Jean-Pierre Torrell - Chez Thomas spéculatif signifie contemplatif, donc qqch d'éminemment moral
Quand Thomas assure que la théologie est principalement spéculative, il veut dire qu’elle est d’abord contemplative ; les deux mots sont pratiquement synonymes chez lui. C’est pourquoi – on le voit en acte dans sa vie – recherche, étude, réflexion sur Dieu ne peuvent que s’accompagner de prière, trouver dans l’oraison leur source et leur achèvement. Les chrétiens orientaux aiment à dire de la théologie qu’elle est doxologie ; Thomas apporterait ici quelques précisions, mais ne récuserait pas l’intention : la joie de l’Ami contemplé s’achève dans le chant.
Considérée comme savoir pratique, c’est-à-dire dans son effort de direction de l’agir chrétien (ce qu’il est convenu d’appeler théologie morale), la théologie ne perd pas sa visée contemplative (ST Ia q.1 a.4). Elle est encore et toujours commandée par la considération de Dieu, puisqu’il est la Fin en vue de laquelle se prennent toutes les options et le Bien par rapport auquel se situent tous les autres biens. Parler de Dieu comme principe et comme fin n’est pas une option purement théorique ; elle concerne toute la vie chrétienne. Si Dieu est la source de tout être et de tout l’être, il est aussi l’accomplissement de tous les désirs et de toutes les actions (finis omnium desideriorum et actionum nostrarum, ST IIa IIae q. 4 a.2 ad 3). Qu’on ne s’y trompe pas, Thomas se retrouve ici plus près d’Augustin et de son cœur sans repos que de Freud et de sa mégalomanie infantile du désir. Il sait que le désir naturel de voir Dieu ne peut pas être vain, car c’est Dieu lui-même qui l’a mis au cœur de l’homme. (Inititation, Jean-Pierre Torrell, 2015, pp. 207-208)