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Thomas d'Aquin - De Malo.q10a5 - Aucun acte humain particulier n'est indifférent

L'acte bon et l'acte mauvais sont par leur genre des opposés qui ont un intermédiaire, et il existe un acte qui, considéré selon une espèce, est indifférent ; mais le bien et le mal qui viennent des circonstances sont sans intermédiaire, parce qu'ils se distinguent selon une opposition d'affirmation et de négation, c'est-à-dire le fait d'être ou de ne pas être comme il faut selon toutes les circonstances.

Or ce bien et ce mal sont le propre de l'acte particulier, et c'est pourquoi aucun acte humain particulier n'est indifférent (nullus actus humanus singularis, est indifferens). Et je dis un acte humain celui qui est issu d'une volonté délibérée (dico actum humanum qui est a voluntate deliberata), car si on prend un acte sans délibération procédant de la seule imagination, comme se frotter la barbe ou quelque chose du même genre, cet acte-là est en dehors du genre moral (extra genus moris) ; aussi ne participe t-il pas à la bonté ou à la malice morale.

(DeMalo.q10a5)

Sic ergo bonus actus et malus actus ex genere sunt opposita mediata; et est aliquis actus qui in specie consideratus est indifferens. Bonum autem et malum ex circumstantia sunt immediata, qui distinguuntur secundum oppositionem affirmationis et negationis, scilicet per hoc quod est secundum quod oportet et non secundum quod oportet secundum omnes circumstantias.

Hoc autem bonum et malum est proprium actus singularis; et ideo nullus actus humanus singularis, est indifferens; et dico actum humanum qui est a voluntate deliberata. Si enim sit aliquis actus sine deliberatione procedens ex sola imaginatione, sicut confricatio barbae, aut aliquid huiusmodi, huiusmodi actus est extra genus moris; unde non participat bonitatem vel malitiam moralem.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a4 - EN COURS - Quatre actes de la raison et deux de l'affect à l'égard des actes humains

L'intérêt ici est de distinguer les différents actes humains, au-delà du contexte de la luxure dans lequel Thomas l'évoque, notamment à propos de l'ordre de ces actes.

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Et c'est pourquoi lorsque, dans l'acte de luxure, toute l'intention de l'âme est entraînée par la véhémence du plaisir vers les forces inférieures, c'est-à-dire le concupiscible et le sens du toucher, il est nécessaire que les puissances supérieures, à savoir la raison et la volonté, en souffrent un dommage. Et ideo quando in actu luxuriae propter vehementiam delectationis tota intentio animae attrahitur ad inferiores vires, idest ad concupiscibilem et ad sensum tactus, necesse est quod superiores, scilicet ratio et voluntas, defectum patiantur.

Or il y a quatre actes de la raison pour diriger (dirigit) les actes humains :

[1. Le bien fin :]

  • le premier est une certaine intellection par laquelle quelqu'un juge droitement de la fin, qui est comme le principe dans les opérations, comme le dit le Philosophe dans les Physiques (II, 15) ;

et dans la mesure où cet acte est empêché, on compte comme fille de la luxure l'aveuglement de l'esprit, selon cette parole de Daniel (13, 56) : "La beauté t'a égaré, et le désir a perverti ton coeur."

 

[2. Le conseil/délibération à propos des moyens :]

  • Le second acte est le conseil [~délibération] sur ce qu'il faut faire,

que le désir supprime ; Térence dit en effet dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 12) : "La chose n'admet en soi nulle conseil et nulle mesure, tu ne peux la régler par la réflexion", et il parle de l'amour sensuel (libidinoso) ; à ce point de vue, on a l'irréflexion.

 

[3. Le jugement auquel parvient le conseil : un moyen est choisi :]

  • Le troisième acte est le jugement sur les actions [qu'on doit poser] ;

et la luxure y met aussi obstacle. Il est dit en effet en Daniel (13, 9) : "Ils ont perverti leur esprit pour ne pas se souvenir des justes jugements" ; et à ce point de vue, on a la précipitation, lorsque l'homme est porté au consentement de façon précipitée (consensum praecipitanter), sans avoir attendu le jugement de la raison.

 

[4. Le moyen choisi doit être mis en oeuvre, commandement à l'exécution :]

  • Le quatrième acte est l'ordre d'agir (praeceptum de agendo),

qui est aussi empêché par la luxure en ce que l'homme ne persiste pas dans ce qu'il a décidé, comme Térence le dit aussi dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 23) : "Ces paroles", selon lesquelles tu dis que tu vas te séparer de ton amie, "une fausse petite larme en restreindra la portée", et à ce point de vue, on a l'inconstance.

Sunt autem quatuor actus rationis, secundum quod dirigit humanos actus:

  • quorum primus est intellectus quidam, quo aliquis recte existimat de fine, qui est sicut principium in operativis, ut philosophus dicit in II Physic.;

et in quantum hoc impeditur, ponitur filia luxuriae caecitas mentis, secundum illud Daniel., XIII, 56: species decepit te, et concupiscentia subvertit cor tuum.

  • Secundus actus est consilium de agendis,

quod per concupiscentiam tollitur; dicit enim Terentius in eunucho: quae res in se neque consilium, neque modum habet ullum, eam consilio regere non potes; et loquitur in amore libidinoso; et quantum ad hoc ponitur inconsideratio.

  • Tertius actus est iudicium de agendis;

et hoc etiam impeditur per luxuriam: dicitur enim Daniel., XIII, 9, quod averterunt sensum suum (...) ut non recordarentur iudiciorum iustorum; et quantum ad hoc ponitur praecipitatio, dum scilicet homo inclinatur ad consensum praecipitanter, non expectato iudicio rationis.

  • Quartus actus est praeceptum de agendo,

quod etiam impeditur per luxuriam, in quantum homo non persistit in eo quod diiudicavit, sicut etiam Terentius dicit eunucho: haec verba, quae scilicet dicis, te recessurum ab amica, una falsa lacrymula restinguet; et quantum ad hoc ponitur inconstantia.

Par contre, du côté des affects désordonnés, deux choses sont à considérer. °°°

  1. La première est l'appétit du plaisir, vers lequel la volonté se porte comme à une fin ;
    • et quant à cela, on a l'amour de soi, quand on appète (appetit) pour soi de façon in-ordonnée (inordinate) le plaisir,
    • et par opposition, la haine de Dieu, dans la mesure où il défend le plaisir que l'on convoite (concupitam).

 

  1. L'autre chose à considérer, c'est l'appétit des choses grâce auxquelles on obtient cette fin-là ;
    • et quant à cela, on a les affects au monde présent,
      • c'est-à-dire à tout ce par quoi on parvient à la fin visée (intentum), qui appartient à ce monde présent ;
    • et par opposition, on a le désespoir du monde futur, parce que quand on s'attache trop aux plaisirs charnels, on a davantage de mépris pour les spirituels.

 

(DeMalo.q15a4)

Ex parte vero inordinationis affectus duo sunt consideranda,

  1. quorum unum est appetitus delectationis, in quem fertur voluntas ut finem;
    • et quantum ad hoc ponitur amor sui, dum scilicet inordinate sibi appetit delectationem;
    • et per oppositum odium Dei, in quantum scilicet prohibet delectationem concupitam.

 

  1. Aliud vero est appetitus eorum per quae consequitur quis hunc finem;
    • et quantum ad hoc ponitur affectus praesentis saeculi,
      • id est omnium eorum per quae ad finem intentum pervenit, quae ad saeculum istud pertinent;
    • et per oppositum ponitur desperatio futuri saeculi, quia dum nimis affectat carnales delectationes magis despicit spirituales.

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1. Ordre concret des six actes mentionnés dans ce passage

  1. L'amour du bien (appétit du bien)
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
  4. La délibération sur les moyens
  5. Le choix d'un moyen
  6. Le commandement

2. Ordre général à travers l'oeuvre

  1. L'amour du bien
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Les actes concernant les moyens
    1. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
    2. Le conseil / délibération sur les moyens
    3. Le jugement issu de la délibération
  4. Le commandement
  5. L'exécution
  6. La jouissance (plaisir/joie)

3. Correspondance des vices engendrés par la luxure avec les actes humains :  

Raison
1. une intellection par laquelle on juge droitement de la fin aveuglement de l'esprit (caecitas mentis)
2. délibération à propos des moyens irréflexion (inconsideratio)
3. jugement final à propos d'un moyen consécutif de la délibération précipitation
4. commandement inconstance (manque de persévérance dans ce qui a été préalablement jugé)
Volonté / Affect
1. amour du bien amour désordonné de soi (quand on appète pour soi de manière in-ordonnée)
2. amour des moyens deséspoir du monde futur (par opposition à l'affect aux moyens de ce monde au service d'un mauvais bien)

 

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Thomas d'Aquin - L'aptitude à connaître la fin fait l'action volontaire - I-II.q6a1

  • Volontaire et inclination propre ne sont pas contradictoires

Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ?

Il faut qu'il y ait du volontaire dans les actes humains.

Pour amener cela à l'évidence, il faut considérer que

  • le principe de certains actes est dans l'agent ou dans ce qui est mû.
  • Et il y a des mouvements et des actes dont le principe est extérieur.

En effet, 

  • si une pierre se meut vers le haut, le principe de ce mouvement est à l'extérieur de la pierre,
  • si au contraire elle se meut vers le bas, le principe de ce mouvement est à l'intérieur de la pierre elle-même. 

Parmi ces choses qui sont mûes par un principe intrinsèque,

  • certains se meuvent eux-mêmes,
  • certains non.

En effet, tout ce qui agit ou est mû agit ou est mû en raison d'une fin, comme on l'a établi précédemment ; seront donc mus de manière parfaite, par un principe intrinsèque, les êtres où l'on trouve un principe intrinsèque tel que,

  • non seulement ils soient mus,
  • mais qu'ils soient mus vers une fin.

Or, pour que quelque chose se fasse en vue d'une fin (propter finem),il faut qu'il y ait une certaine connaissance de la fin (cognitio finis aliqualis).

  • Donc tout ce qui agit ou est mû de l'intérieur, en ayant connaissance de la fin (notitiam finis), possède en soi le principe de son acte,
    • non seulement pour agir,
    • mais pour agir en vue d'une fin (propter finem).
  • Mais ce qui n'a aucune connaissance de la fin (notitiam finis), eût-il en soi le principe de son acte ou de son mouvement, n'a pas en soi le principe d'agir ou d'être mû en vue d'une fin (propter finem), mais ce principe est dans un autre qui l'imprime (imprimitur) en lui. Aussi ne dit-on pas que de tels êtres se meuvent eux-mêmes, mais qu'ils sont mus par d'autres.

En revanche, ceux qui ont la connaissance de la fin (notitiam finis) sont dits se mouvoir eux-mêmes, précisément parce qu'ils ont en eux,

  • non seulement de quoi agir,
  • mais de quoi agir en vue d'une fin.

Ainsi, parce que l'une et l'autre [de ces conditions] viennent d'un principe intrinsèque

  • qu'ils agissent,
  • et qu'ils agissent pour une fin,

les actes et les mouvements de ces êtres sont dits volontaires, c'est ce qu'en effet implique cette appellation de "volontaires", que le mouvement et l'action proviennent de sa propre inclination.

C'est pourquoi, dans la définition d'Aristote, de S. Grégoire de Nysse et de S. Jean Damascène on appelle volontaire, non seulement "ce qui procède d'un principe intérieur", mais en y ajoutant "de science". Aussi, puisque l'homme excelle à connaître la fin de son oeuvre et à se mouvoir lui-même, c'est dans ses actes que l'on trouve le plus haut degré de volontaire.

(Somme. I-II.q6a1)

Utrum in humanis actibus inveniatur voluntarium

Oportet in actibus humanis voluntarium esse.

Ad cuius evidentiam, considerandum est quod

  • quorundam actuum seu motuum principium est in agente, seu in eo quod movetur; 
  • quorundam autem motuum vel actuum principium est extra.
  • Cum enim lapis movetur sursum, principium huius motionis est extra lapidem,
  • sed cum movetur deorsum, principium huius motionis est in ipso lapide.

Eorum autem quae a principio intrinseco moventur,

  • quaedam movent seipsa,
  • quaedam autem non.

Cum enim omne agens seu motum agat seu moveatur propter finem, ut supra habitum est; illa perfecte moventur a principio intrinseco, in quibus est aliquod intrinsecum principium

  • non solum ut moveantur,
  • sed ut moveantur in finem.

Ad hoc autem quod fiat aliquid propter finem, requiritur cognitio finis aliqualis.

  • Quodcumque igitur sic agit vel movetur a principio intrinseco, quod habet aliquam notitiam finis, habet in seipso principium sui actus
    • non solum ut agat,
    • sed etiam ut agat propter finem.
  • Quod autem nullam notitiam finis habet, etsi in eo sit principium actionis vel motus; non tamen eius quod est agere vel moveri propter finem est principium in ipso, sed in alio, a quo ei imprimitur principium suae motionis in finem. Unde huiusmodi non dicuntur movere seipsa, sed ab aliis moveri.

Quae vero habent notitiam finis dicuntur seipsa movere, quia in eis est principium

  • non solum ut agant,
  • sed etiam ut agant propter finem.

Et ideo, cum utrumque sit ab intrinseco principio, scilicet

  • quod agunt,
  • et quod propter finem agunt,

horum motus et actus dicuntur voluntarii, hoc enim importat nomen voluntarii, quod motus et actus sit a propria inclinatione.

Et inde est quod voluntarium dicitur esse, secundum definitionem Aristotelis et Gregorii Nysseni et Damasceni, non solum cuius principium est intra, sed cum additione scientiae. Unde, cum homo maxime cognoscat finem sui operis et moveat seipsum, in eius actibus maxime voluntarium invenitur.

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1. Bien noter que comme la passion désir, la volonté relève d'une inclination, la différence spécifique résidant dans le fait qu'on connaît ce pour quoi on agit et non en premier lieu parce que la volonté serait libre. On agit volontairement parce qu'on connaît ce pour quoi on agit. La question de la liberté et du libre arbitre est une autre question. Nous sommes dans la continuité de ce qui a été dit à propos du bonheur humain, l'homme n'est pas libre de vouloir être heureux. Ici on cherche simplement à savoir ce qu'est le volontaire et s'il se trouve dans l'homme.

2. Le fait de se mouvoir par soi-même est une action.

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Thomas d'Aquin - Les actions humaines sont celles qui sont posées par une volonté délibérée à cause d'une fin - I-II.q1a1

  • ... les autres sont seulement des actions de l'homme

Convient-il à l’homme d'agir à cause d'une fin ?

Des actions posées par l'homme, celles-là seules sont proprement dites "humaines" celles qui sont propres à l'homme en tant qu'homme.

Et l'homme diffère des autres créatures, [celles qui sont] irrationnelles, en cela qu'il est seigneur (dominus) de ses actes. D'où il suit que sont appelées proprement humaines les seules actions dont l'homme est seigneur (dominus).

C'est cependant par sa raison et sa volonté que l'homme est le seigneur de ses actes, d'où il suit que le libre arbitre est dit "une faculté de la volonté et de la raison".

  • Sont donc dites proprement humaines ces actions qui procèdent d'une volonté délibérée.
  • S'il est cependant d'autres actions qui conviennent à l'homme, elles peuvent être seulement dites (dici quidem) des actions de l'homme, mais non pas des actions  proprement humaines, puisqu'elles ne sont pas de l'homme en tant qu'il est homme.

Or, il est manifeste que toute action qui procéde d'une puissance quelconque est causée selon la raison (rationem) de son objet [= la nature de son objet]. Or l'objet de la volonté c'est la fin et le bien.

Il est donc nécessaire que toutes les actions humaines soient à cause d'une fin.

(Somme. I-II.q1a1)

Utrum hominis sit agere propter finem ?

Actionum quae ab homine aguntur, illae solae proprie dicuntur humanae, quae sunt propriae hominis inquantum est homo.

Differt autem homo ab aliis irrationalibus creaturis in hoc, quod est suorum actuum dominus. Unde illae solae actiones vocantur proprie humanae, quarum homo est dominus.

Est autem homo dominus suorum actuum per rationem et voluntatem, unde et liberum arbitrium esse dicitur facultas voluntatis et rationis.

  • Illae ergo actiones proprie humanae dicuntur, quae ex voluntate deliberata procedunt.
  • Si quae autem aliae actiones homini conveniant, possunt dici quidem hominis actiones; sed non proprie humanae, cum non sint hominis inquantum est homo.

Manifestum est autem quod omnes actiones quae procedunt ab aliqua potentia, causantur ab ea secundum rationem sui obiecti. Obiectum autem voluntatis est finis et bonum.

Unde oportet quod omnes actiones humanae propter finem sint.

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

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