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Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

- La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

  • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

 

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

------- [Dans le monde physique] -------

Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

  • premièrement, il lui donne une forme ;
  • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

  • la pesanteur,
  • et le mouvement que celle-ci entraîne.

Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

  • nam primo quidem dat formam,
  • secundo autem dat motum consequentem formam;

sicut generans dat corpori

  • gravitatem,
  • et motum consequentem ipsam.

Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

------- [Dans le monde des passions] -------

De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

  • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
  • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

  • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
  • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
  • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

  • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
  • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
  • et enfin le repos, qui est joie.

Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

  • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
  • ex qua sequitur motus ad appetibile.

Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

  • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
  • et appetitus tendit in appetibile
  • realiter consequendum,

ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

  • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
  • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
  • et ultimo quies, quae est gaudium.
Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

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1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens se a été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif ... voir l'explication donnée ici.

4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

 

 

Amour, Réel, Volonté, Mouvement, Passions, Plaisir, Intention, Appétit, Complaisance, Possession, Joie, Amour naturel, Concupiscence

Thomas d'Aquin - EN COURS - CommNico.1543 - Les amis n'ont pas besoin de justice

(1155a26)

Il présente ensuite la cinquième raison.

Il dit que

  • si des gens sont amis,
  • ils n'auront en rien besoin de la justice proprement dite,
  • parce qu'ils auront toutes choses quasi en commun,
  • puisque l'ami est un autre soi-même ;
  • or il n'y a pas de justice envers soi-même.

Tandis que

  • s'ils sont justes,
  • ils auront néanmoins besoin de l'amitié entre eux.

Même que ce qui est le plus juste paraît être conservateur et réparateur de l'amitié. Il relève donc beaucoup plus du moraliste de porter attention à l'amitié qu'à la justice.

Et cela même qui est au plus au point juste semble être conservateur et réparateur (ou revivifier ou renouveler ???) de l'amitié. Donc, il est bien plus pertinent que la morale considère l'amitié plutôt que la justice.

(Commentaire Ethique à Nicomaque,  n°1543)

Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 6

Quintam rationem ponit ibi, et amicis quidem et cetera.

Et dicit quod,

  • si aliqui sint amici,
  • in nullo indigerent iustitia proprie dicta,
  • quia haberent omnia quasi communia,
  • cum amicus sit alter ipse;
  • non est autem iustitia ad seipsum.

Sed

  • si sint iusti,
  • nihilominus indigent amicitia adinvicem.

Et illud quod est maxime iustum videtur esse conservativum et reparativum amicitiae. Multo ergo magis ad moralem pertinet considerare de amicitia quam de iustitia.

 

 

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Aide de ChatGPT : 

Bien sûr, je peux décomposer cette phrase pour vous.

“Et illud quod est maxime iustum videtur esse conservativum et reparativum amicitiae.”

En anglais, cela se traduit par :

“And that which seems most just appears to be conservative and restorative of friendship.”

Voici une explication détaillée de chaque partie :

“Et illud quod est maxime iustum” : Cette partie signifie “And that which is most just”. Elle fait référence à quelque chose qui est considéré comme le plus juste ou le plus équitable.
“videtur esse conservativum” : Cette partie se traduit par “seems to be conservative”. Elle suggère que ce qui est le plus juste a tendance à être conservateur, c’est-à-dire à maintenir l’état actuel des choses.
“et reparativum amicitiae” : Cette partie signifie “and restorative of friendship”. Elle indique que ce qui est le plus juste a également la capacité de restaurer ou de réparer l’amitié.
Donc, dans l’ensemble, la phrase suggère que ce qui est le plus juste non seulement conserve l’état actuel des choses, mais a aussi le pouvoir de restaurer l’amitié. J’espère que cela vous aide à mieux comprendre la phrase. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à me le faire savoir! 😊

Contemplation, Plaisir, Continuité, Corps, Fatigue, Imagination, Délectation, Intellect

Thomas d'Aquin - I-II.q91a2 - °°° Loi naturelle et appétit naturel

En nous, toute opération de la raison et de la volonté dérivent de ce qui est selon notre nature, comme cela a été dit plus haut ;

  • toute acte de raisonnement dérive des principes connus naturellement,
  • et tout appétit portant sur les moyens qui sont en vue d'une fin, dérive de l’appétit naturel pour cette fin ultime.

Ainsi il est nécessaire que l’orientation première de nos actes vers la fin se fasse par la loi naturelle.

(I-II.q90a2ad2)

Omnis operatio, rationis et voluntatis derivatur in nobis ab eo quod est secundum naturam, ut supra habitum est, nam

  • omnis ratiocinatio derivatur a principiis naturaliter notis,
  • et omnis appetitus eorum quae sunt ad finem, derivatur a naturali appetitu ultimi finis.

Et sic etiam oportet quod prima directio actuum nostrorum ad finem, fiat per legem naturalem.

 


 

Nature, Raison, Volonté, Fin, Principes (premiers), Moyens, Syndérèse, Loi naturelle, Axiomes

Thomas d'Aquin - I-II.q46a1 °°° La passion amour est la racine première de toutes les passions

Donc, de la première manière, la colère n'est pas une passion générale, mais est condivisée avec les autres passions, nous l'avons dit plus haut

De manière similaire elle ne l'est pas non plus de la seconde manière, car elle n'est pas cause des autres passions mais de cette manière l'amour qui peut être dite passion générale, comme cela est patent chez S. Augustin. L'amour est la racine première de toutes les passions, comme on l'a dit plus haut.

(I-II.q46a1)

Primo ergo modo, ira non est passio generalis, sed condivisa aliis passionibus, ut supra dictum est.

Similiter autem nec secundo modo. Non est enim causa aliarum passionum, sed per hunc modum potest dici generalis passio amor, ut patet per Augustinum, in XIV libro de Civ. Dei; amor enim est prima radix omnium passionum, ut supra dictum est.

 


 

Amour, Passions, Colère

Thomas d'Aquin - I.q82a1 - EN COURS - Quelque chose de nécessaire peut être voulu ou comme moyen relatif à une fin ou selon sa propre nature

  • nécessité de la fin vs nécessité de contrainte, vs nécessité naturelle

La nécessité de la fin ne répugne pas à la volonté quand on ne peut parvenir à la fin sinon d'une seule manière ; par exemple si on a la volonté de traverser la mer, il est nécessaire pour la volonté qu’elle veuille le bateau.

Pareillement la nécessité naturelle ne répugne pas à la volonté. Bien au contraire, il doit en être ainsi :

  • de même que l’intellect adhère1(inhaereat) par nécessité aux premiers principes,
  • ainsi la volonté adhère (inhaereat) par nécessité à la fin dernière, qu’est la béatitude.
  • De fait, la fin est dans le domaine des actions (operativis)
  • comme le principe dans le domaine des [actes] spéculatifs,

comme il est  dit le en Physique, II.

Il faut donc que ce qui convient naturellement et immuablement (immobiliter) à quelque chose, soit fondement et principe de tous les autres, parce que

  • la nature de la chose (rei) est première en chacune de [ces choses],
  • et tout mouvement procède à partir d'un principe immobile.

(Somme, I.q82a1)

Necessitas autem finis non repugnat voluntati, quando ad finem non potest perveniri nisi uno modo, sicut ex voluntate transeundi mare, fit necessitas in voluntate ut velit navem.

Similiter etiam nec necessitas naturalis repugnat voluntati. Quinimmo necesse est quod,

  • sicut intellectus ex necessitate inhaeret primis principiis,
  • ita voluntas ex necessitate inhaereat ultimo fini, qui est beatitudo ;
  • finis enim se habet in operativis
  • sicut principium in speculativis,

ut dicitur in II Physic.

Oportet enim quod illud quod naturaliter alicui convenit et immobiliter, sit fundamentum et principium omnium aliorum, quia

  • natura rei est primum in unoquoque,
  • et omnis motus procedit ab aliquo immobili.

 

QUESTION ENTIERE

"Nécessité" se dit de plusieurs manière. Le nécessaire est "ce qui ne peut pas ne pas être".

  1. D'une première manière, cela peut convenir à quelque chose à partir d’un principe intrinsèque ;
    • soit d’un principe matériel, comme lorsque l’on dit que tout composé de contraires doit nécessairement se corrompre ;
    • soit d’un principe formel, comme lorsque l’on dit nécessaire que les trois angles d’un triangle soient égaux à deux droits. Et cela est la nécessité naturelle et absolue.
  2. Il peut ensuite convenir à un être de ne pouvoir pas ne pas être en raison d’un principe extrinsèque, cause finale ou efficiente.
    • (a) [Du côté de la nécessité à partir de] la fin, cela arrive quand un être ne peut atteindre sa fin, ou l’atteindre convenablement sans ce principe ; par exemple, la nourriture est nécessaire à la vie, le cheval au voyage. Cela s’appelle nécessité de la fin, ou parfois encore l’utilité.
    • (b) Tandis que [du côté de la nécessité] à partir de l'agent, la nécessité se rencontre quand un être se trouve contraint par un agent de telle sorte qu’il ne puisse pas faire le contraire. C’est la nécessité de contrainte.
    • (b) Cette dernière nécessité répugne tout à fait à la volonté. Car nous appelons violent ce qui est contraire à l’inclination naturelle d’une chose (rei). Or, le mouvement volontaire est une certaine inclination vers quelque chose (aliquid). Par suite, comme on appelle naturel ce qui est conforme à l’inclination de la nature, ainsi appelle-t-on volontaire ce qui est conforme à l’inclination de la volonté. Or, il est impossible qu’un acte soit à la fois violent et naturel ; il est donc également impossible qu’un acte soit absolument contraint ou violent, et en même temps volontaire.
    • (a) Mais la nécessité venue de la fin ne répugne pas à la volonté, lorsqu’elle ne peut atteindre cette fin que par un seul moyen ; ainsi lorsqu’on a la volonté de traverser la mer, il est nécessaire à la volonté qu’elle veuille prendre le bateau.
      • De même pour la nécessité de nature. Il faut même dire qu’il doit en être ainsi ; de même que l’intelligence adhère nécessairement aux premiers principes, de même la volonté adhère nécessairement à la fin dernière, qui est le bonheur. Car la fin a le même rôle dans l’ordre pratique que le principe dans l’ordre spéculatifs. Il faut en effet que ce qui convient naturellement et immuablement à quelque chose soit le fondement et le principe de tout ce qui en dérive ; car la nature est le premier principe en tout être, et tout mouvement procède de quelque chose d’immuable.

Necessitas dicitur multipliciter. Necesse est enim quod non potest non esse.

  1. Quod quidem convenit alicui, uno modo ex principio intrinseco,
    • sive materiali, sicut cum dicimus quod omne compositum ex contrariis necesse est corrumpi;
    • sive formali, sicut cum dicimus quod necesse est triangulum habere tres angulos aequales duobus rectis. Et haec est necessitas naturalis et absoluta.
  2. Alio modo convenit alicui quod non possit non esse, ex aliquo extrinseco, vel fine vel agente.
    • Fine quidem, sicut cum aliquis non potest sine hoc consequi, aut bene consequi finem aliquem, ut cibus dicitur necessarius ad vitam, et equus ad iter. Et haec vocatur necessitas finis; quae interdum etiam utilitas dicitur.
    • Ex agente autem hoc alicui convenit, sicut cum aliquis cogitur ab aliquo agente, ita quod non possit contrarium agere. Et haec vocatur necessitas coactionis.
    • Haec igitur coactionis necessitas omnino repugnat voluntati. Nam hoc dicimus esse violentum, quod est contra inclinationem rei. Ipse autem motus voluntatis est inclinatio quaedam in aliquid. Et ideo sicut dicitur aliquid naturale quia est secundum inclinationem naturae, ita dicitur aliquid voluntarium quia est secundum inclinationem voluntatis. Sicut ergo impossibile est quod aliquid simul sit violentum et naturale; ita impossibile est quod aliquid simpliciter sit coactum sive violentum, et voluntarium.
    • Necessitas autem finis non repugnat voluntati, quando ad finem non potest perveniri nisi uno modo, sicut ex voluntate transeundi mare, fit necessitas in voluntate ut velit navem.
      • Similiter etiam nec necessitas naturalis repugnat voluntati. Quinimmo necesse est quod, sicut intellectus ex necessitate inhaeret primis principiis, ita voluntas ex necessitate inhaereat ultimo fini, qui est beatitudo, finis enim se habet in operativis sicut principium in speculativis, ut dicitur in II Physic. Oportet enim quod illud quod naturaliter alicui convenit et immobiliter, sit fundamentum et principium omnium aliorum, quia natura rei est primum in unoquoque, et omnis motus procedit ab aliquo immobili.

1. inhaereat : adhère de manière inhérente. Thomas aurait-il pu utiliser le verbe adhærĕō, adhérer, se tenir attaché... ??

Nature, Volonté, Nécessité, Fin, Cause efficiente, Principes (premiers), Inhérence, Moyens, Adhésion

Thomas d'Aquin - °°° L'union affective se fait formellement et l'union effective se fait réellement - I-II.q28a1

Double est l'union de l'aimant à ce qui est aimé.

  • La première se fait dans la réalité, lorsque ce qui est aimé est présent à l'aimant.
  • L'autre est une union affective, qui doit être considérée à partir d'une appréhension qui a précédé, car tout mouvement de l'appétit fait suite à une appréhension. 

Les deux amours, celui de concupiscence et celui d'amitié, procèdent l'un et l'autre d'une certaine appréhension de l'unité entre l'aimant et l'aimé.

  • En effet, lorsque quelqu'un aime quelque chose comme objet de concupiscence, il l'appréhende comme tendant (pertinens) à son propre bien être.
  • Et de même, lorsque quelqu'un aime quelqu'un d'un amour d'amitié, il veut pour lui le bien comme il le veut pour soi ; c'est donc qu'il l'appréhende comme un autre soi-même, en tant qu'il veut pour lui le bien comme pour soi. C'est pourquoi on appelle l'ami "un autre soi-même". Et S. Augustin écrit : "Il a bien parlé de son ami, celui qui l'a appelé la moitié de son âme." 

 

  • La première union, l'amour la fait effective, car il meut à désirer et à rechercher la présence de l'aimé comme lui convenant et tendant à lui (ad se pertinentis).
  • La seconde union l'amour la fait formellement, car l'amour lui-même est 
    • une telle union
    • ou un [tel] lien.

Ce qui fait dire à S. Augustin que l'amour est 

    1. "comme une sorte de vie joignant deux êtres
    2. ou tendant à les joindre : l'aimant et celui qui est aimé".
    1. Le mot "joignant" se réfère à l'union affective, sans laquelle il n'est point d'amour,
    2. et ces mots : "cherchant à les joindre" visent (pertinet) l'union réelle.

(Somme, I-II.q28a1)

Duplex est unio amantis ad amatum.

  • Una quidem secundum rem, puta cum amatum praesentialiter adest amanti.
  • Alia vero secundum affectum. Quae quidem unio consideranda est ex apprehensione praecedente, nam motus appetitivus sequitur apprehensionem.

Cum autem sit duplex amor, scilicet concupiscentiae et amicitiae, uterque procedit ex quadam apprehensione unitatis amati ad amantem.

  • Cum enim aliquis amat aliquid quasi concupiscens illud, apprehendit illud quasi pertinens ad suum bene esse.
  • Similiter cum aliquis amat aliquem amore amicitiae, vult ei bonum sicut et sibi vult bonum, unde apprehendit eum ut alterum se, inquantum scilicet vult ei bonum sicut et sibi ipsi. Et inde est quod amicus dicitur esse alter ipse, et Augustinus dicit, in IV Confess., bene quidam dixit de amico suo, dimidium animae suae.

 

  • Primam ergo unionem amor facit effective, quia movet ad desiderandum et quaerendum praesentiam amati, quasi sibi convenientis et ad se pertinentis.
  • Secundam autem unionem facit formaliter, quia ipse amor est talis unio vel nexus.

Unde Augustinus dicit, in VIII de Trin., quod amor est

    1. quasi vita quaedam duo aliqua copulans,
    2. vel copulare appetens, amantem scilicet et quod amatur.
    1. Quod enim dicit copulans, refertur ad unionem affectus, sine qua non est amor,
    2. quod vero dicit copulare intendens, pertinet ad unionem realem.

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1. "vult ei bonum" : non pas il lui veut du bien, il lui veut le bien. Faire du bien et vouloir le bien pour quuelqu'un diffèrent.

2. Pertinere : le fait de tendre vers quelque chose jusqu'à sa possession.

3. Nexus : lien, noeud, étreinte, entrelacement.

4. "amor facit effective" : l'amour rend effectif ; trad. 1984 : "La première espèce d'union, l'amour la produit par manière de cause efficiente" ...

°°° Commentaire : il y a quelque chose de remarquable à noter, l'amour est à la fois cause de l'union et est lui-même "une telle union ou un nexus". Si on suit bien le propos l'amour serait tout simplement cause de lui-même. Comment ? L'amour naît lorsque l'appétit et le bien sont présentés l'un à l'autre, il y a convenance mutuelle, connaturralité, les deux s'entendent, entrent en consonnance. L'amour actue  l'appétit et immédiatement se fait désir et cherche la présence réelle du bien.

  • Il y a un premier moment de l'amour, celui qui aime porte le bien aimé en soi suite à une certaine connaissance qu'il en a d'abord eu ; il s'agit d'un amour bien réel de ce qui est aimé, mais à travers une forme : je porte en moi ce que j'aime, je suis touché, je suis affecté, il s'agit d'un amour affectif ;  
  • puis, l'amour meut en tant qu'il ne peut rester seulement selon la forme, il se fait désir, et, en tant que désir, il devient cause de l'union ; tout en restant un amour affectif, il devient aussi effectif, réel, grâce à la présence ou possession de ce qui est aimé. Je continue d'être touché par l'autre, mais l'être aimé que je porte en moi "fusionne" avec l'être aimé présent, le bien touché à travers la forme laisse palce au bien touché dans sa présence. °°°

Amour, Appréhension, Union, Union formelle, Union réelle, Union affective, Union effective

Thomas d'Aquin - I-II.q47a5 - La prudence est la vertu la plus nécessaire à la vie humaine.

  • Il faut une sous-traitance spécifique pour s'occuper des moyens, c'est la vertu de prudence qui s'en charge

La prudence est la vertu la plus nécessaire à la vie humaine. Bien vivre (bene vivere) consiste en effet à bien opérer (operari) [= agir]. Cependant pour que quelque chose soit bien opéré (bene operetur),

  • il est non seulement requis qu'on fasse quelque chose,
  • mais aussi qu'on le fasse d'une certaine manière (quomodo)

c'est à dire que

  • les [actions] soient posées selon une élection droite,
  • et non seulement à partir d'une impulsion ou d'une passion.

Mais, comme l'élection porte sur les moyens, la rectitude de l'élection requiert deux [choses], à savoir :

  • la fin due,
  • et ce qui est convenablement (convenienter) ordonnée à (ad) la fin due. [= plan des moyens]

[A la fin due]

  1. Mais à la fin due,
    • l'homme est convenablement disposé par la vertu [= ?? La témpérance] qui perfectionne la partie appétitive de l'âme, dont l'objet est
      • le bien
      • et la fin. 
  2. Mais à (ad) ce qui est convenablement ordonné à (in) la fin due,  [= plan des moyens]
    • il faut qu'on y soit directement disposé par un habitus de la raison, car
      • délibérer
      • et élire, 
        • qui sont les opérations relatives aux moyens,
    • sont des actes de la raison.

Et c'est pourquoi il est nécessaire que soit dans la raison une vertu intellectuelle, par laquelle est perfectionnée la raison, de sorte qu'elle se rapporte convenablement aux moyens.

Et cette vertu est la prudence. Aussi la prudence est-elle une vertu nécessaire pour bien vivre..

(Somme, I-II.q47a5)

Prudentia est virtus maxime necessaria ad vitam humanam. Bene enim vivere consistit in bene operari. Ad hoc autem quod aliquis bene operetur,

  • non solum requiritur quid faciat,
  • sed etiam quomodo faciat;

ut scilicet

  • secundum electionem rectam operetur,
  • non solum ex impetu aut passione.

Cum autem electio sit eorum quae sunt ad finem, rectitudo electionis duo requirit, scilicet

  • debitum finem;
  • et id quod convenienter ordinatur ad debitum finem.

[Ad debitum finem]

  1. Ad debitum autem finem homo convenienter disponitur per virtutem quae perficit partem animae appetitivam, cuius obiectum est
    • bonum
    • et finis.
  2. Ad id autem quod convenienter in finem debitum ordinatur,
    • oportet quod homo directe disponatur per habitum rationis, quia
      • consiliari
      • et eligere,
        • quae sunt eorum quae sunt ad finem,
    • sunt actus rationis.

Et ideo necesse est in ratione esse aliquam virtutem intellectualem, per quam perficiatur ratio ad hoc quod convenienter se habeat ad ea quae sunt ad finem.

Et haec virtus est prudentia. Unde prudentia est virtus necessaria ad bene vivendum. 

 

   

1. -- Il est intéressant de voir que TH. ajoute "et non seulement à partir d'une impulsion ou d'une passion", il aurait pu dire "et non à partir de". Il reste fidèle au fait que l'impulsion naturelle et la passion ne sont pas par elles-mêmes mauvaises, seulement neutres. Livrées à elles-mêmes, elles ne peuvent agir droitement, d'où la nécessité d'une vertu.

2. -- debitum finem : une fin issue d'une loi, cf. par ex. I-II.q91a2 :

Et d'où en cette créature est participée la raison éternelle, par laquelle elle possède une inclination naturelle à l'acte dû et à la fin due.

Unde et in ipsa participatur ratio aeterna, per quam habet naturalem inclinationem ad debitum actum et finem.

3. -- debitum finem : la traduction de 1933 dit : "la fin conforme au devoir", elle a été heureusement corrigée dans les années 80, c'est celle que nous avons retenue. Bien sûr, TH. est bien loin d'une morale du devoir !

4. -- convenienter : voir la notion de convenance chez TH.

Convenance, Prudence, Bene vivere, Vivre bien, Bien agir, Fin due (debitum finis)

Thomas d'Aquin - III.q15a4 - La propassion

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

... Troisièmement quant à l'effet. Parce qu'en nous

  • il arrive que les mouvements passionnels ne s'arrêtent pas dans l'appétit sensible,
  • mais qu'ils entraînent la raison.

Cela ne se produit pas chez le Christ, parce que les mouvements qui conviennent naturellement à la partie charnelle de l'homme restaient dans son appétit sensible de par Sa disposition, de telle manière que la raison n’était en aucun cas empêchée de faire ce qui convenait.

Et c'est ce que dit S. Jérôme:

  • "Notre Seigneur, pour montrer qu'il était devenu homme véritable, a éprouvé véritablement de la tristesse ;
  • mais, parce que cette passion ne dominait pas son âme, c'est par une propassion qu'il est dit qu'il commença à s'attrister."
  • Ainsi, la passion parfaitement intelligée, c'est quand elle domine l'âme, c'est-à-dire la raison ;
  • la pro-passion, c'est la passion qui, commencée dans l'appétit sensible, ne s'étend pas ensuite [au-delà].

(III.q15a4)

Tertio, quantum ad effectum. Quia in nobis

  • quandoque huiusmodi motus non sistunt in appetitu sensitivo,
  • sed trahunt rationem.

Quod in Christo non fuit, quia motus naturaliter humanae carni convenientes sic ex eius dispositione in appetitu sensitivo manebant quod ratio ex his nullo modo impediebatur facere quae conveniebant.

Unde Hieronymus dicit, super Matth.,

  • quod dominus noster, ut veritatem assumpti probaret hominis, vere quidem contristatus est,
  • sed, ne passio in animo illius dominaretur, per propassionem dicitur quod coepit contristari,
  • ut passio perfecta intelligatur quando animo, idest rationi, dominatur; 
  • propassio autem, quando est inchoata in appetitu sensitivo, sed ulterius non se extendit.

 


 

Principes (premiers), Syndérèse, Loi naturelle

Thomas d'Aquin - De Malo.q10a5 - Aucun acte humain particulier n'est indifférent

L'acte bon et l'acte mauvais sont par leur genre des opposés qui ont un intermédiaire, et il existe un acte qui, considéré selon une espèce, est indifférent ; mais le bien et le mal qui viennent des circonstances sont sans intermédiaire, parce qu'ils se distinguent selon une opposition d'affirmation et de négation, c'est-à-dire le fait d'être ou de ne pas être comme il faut selon toutes les circonstances.

Or ce bien et ce mal sont le propre de l'acte particulier, et c'est pourquoi aucun acte humain particulier n'est indifférent (nullus actus humanus singularis, est indifferens). Et je dis un acte humain celui qui est issu d'une volonté délibérée (dico actum humanum qui est a voluntate deliberata), car si on prend un acte sans délibération procédant de la seule imagination, comme se frotter la barbe ou quelque chose du même genre, cet acte-là est en dehors du genre moral (extra genus moris) ; aussi ne participe t-il pas à la bonté ou à la malice morale.

(DeMalo.q10a5)

Sic ergo bonus actus et malus actus ex genere sunt opposita mediata; et est aliquis actus qui in specie consideratus est indifferens. Bonum autem et malum ex circumstantia sunt immediata, qui distinguuntur secundum oppositionem affirmationis et negationis, scilicet per hoc quod est secundum quod oportet et non secundum quod oportet secundum omnes circumstantias.

Hoc autem bonum et malum est proprium actus singularis; et ideo nullus actus humanus singularis, est indifferens; et dico actum humanum qui est a voluntate deliberata. Si enim sit aliquis actus sine deliberatione procedens ex sola imaginatione, sicut confricatio barbae, aut aliquid huiusmodi, huiusmodi actus est extra genus moris; unde non participat bonitatem vel malitiam moralem.

 

 

Mal, Acte indifférent, Actes humains, Imagination, Barbe

Thomas d'Aquin - Quatre effets immédiats de la passion amour - I-II.q28a5ad1

On peut attribuer à l'amour quatre effets immédiats (proximi), à savoir la liquéfaction, la jouissance, la langueur et la ferveur. Amori attribui possunt quatuor effectus proximi, scilicet liquefactio, fruitio, languor et fervor. 

1) Parmi lesquelles la première est la liquéfaction, qui s'oppose à la congélation. Car ces choses qui sont congelées sont resserrées en elles-mêmes, de sorte qu'elles ne peuvent pâtir l'entrée intérieure (subintrationem) facile d'une autre [chose]. Or c'est à l'amour de relever d'un appétit co-apté à une certaine réception du bien aimé [l'amour est une sorte d'adaptateur qui met en relation l'appétit et le bien], selon que ce qui est aimé est dans celui qui aime comme il a déjà été dit plus haut.

C'est pourquoi la congélation ou l'endurcissement du cœur est une disposition qui répugne à l'amour. Mais la liquéfaction relève d'une sorte de ramollissement du cœur, par lequel le cœur se présente apte (habile) à laisser ce qui est aimé entrer en lui (in ipsum subintret) [le latin répète deux fois l'intériorité : "in" puis "sub-in"].

Inter quae primum est liquefactio, quae opponitur congelationi. Ea enim quae sunt congelata, in seipsis constricta sunt, ut non possint de facili subintrationem alterius pati. Ad amorem autem pertinet quod appetitus coaptetur ad quandam receptionem boni amati, prout amatum est in amante, sicut iam supra dictum est.

Unde cordis congelatio vel duritia est dispositio repugnans amori. Sed liquefactio importat quandam mollificationem cordis, qua exhibet se cor habile ut amatum in ipsum subintret.

2) Si donc ce qui est aimé est présent et possédé, il y a plaisir ou fruition.

Si ergo amatum fuerit praesens et habitum, causatur delectatio sive fruitio. 

Si toutefois il était absent, cela a pour conséquence deux passions, à savoir

  • 3) la tristesse [provenant] de l'absence, qui est signifiée par la langueur (d'où Cicéron mentionne la tristesse surtout comme maladie) ;
  • 4) et un désir intense d'obtenir le bien-aimé, qui est signifié par la ferveur.

Si autem fuerit absens, consequuntur duae passiones,

  • scilicet tristitia de absentia, quae significatur per languorem (unde et Tullius, in III de Tusculanis quaest., maxime tristitiam aegritudinem nominat);
  • et intensum desiderium de consecutione amati, quod significatur per fervorem.

Et ce sont bien là les effets de l'amour considéré formellement, selon le rapport de la puissance appétitive à l'objet. Mais dans la passion amour, certains effets se produisent en proportion de [ces quatre premiers effets], selon [qu'il survient] une modification organique. (Somme, I-II.q28a5ad1)

 Et isti quidem sunt effectus amoris formaliter accepti, secundum habitudinem appetitivae virtutis ad obiectum. Sed in passione amoris, consequuntur aliqui effectus his proportionati, secundum immutationem organi.

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1. Qu'est ce que la co-aptitude ? Deux réalités sont aptes l'une envers l'autre : le bien vis à vis de l'appétit, et l'appétit vis à vis de du bien.

2. Qu'est ce que des effets proximi ?

3. Les quatre effets : 

La liquéfaction : Celui qui aime attendri son coeur de manière à se disposer à laisser son intérieur envahi par ce qu'il aime.

La plaisir ou fruition : Ce qui est aimé est entré, il est donc présent en soi et possédé dans celui qui aime (on notera que la possession se comprend ici comme une réception, le sujet n'est pas d'abord celui qui est actif).

La langueur : Tant que le bien aimé n'est pas entré ou entièrement entré (càd entièrement reçu/possédé), se produit une blessure, une blessure d'amour, une tristesse spécifique appelée langueur.

La ferveur : plus l'amour est grand, plus l'intensité du désir est grande et quand elle est grande jusqu'à dépasser une mesure ordinaire, on l'appelle ferveur --> cf. l'église d'Ephèse dans l'Apocalypse.

Amour, Plaisir, Ferveur, Blessure, Liquéfaction, Ramolissement, Attendrissement, Fruition, Langueur, Désir intense

Thomas d'Aquin - I-II.q28a2 - L'inhésion affective comme effet de l'amour

Inhaesio : traduit tantôt par "existence mutuelle en autrui", tantôt par "inhabitation" ; il s'agit à la fois d'une présence de l'être aimé en soi et d'une présence de soi dans l'être aimé. On a pris le parti de le traduire ici par inhésion, mot maintenant inusité mais fidèle au texte. Voir ici et ici. Pas de solution idéale.

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L'inhésion mutuelle est-elle un effet de l'amour ?

Cet effet d'inhésion mutuelle, peut être compris (intelligi) quant à la puissance appréhensive et quant à la puissance appétitive.

[Quant à de la puissance appétitive]

En effet, quant à de la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il demeure (immoratur) dans l'appréhension de l'aimant ; selon ces mots de l'Apôtre (Ph 1, 17) : " je vous porte dans mon coeur."

[Quant à de la puissance appréhensive (la connaissance)]

Mais l'aimant est dit dans l'aimé selo l'appréhension en tant qu'il

  • ne se satisfait pas d'une connaissance superficielle de l'aimé
  • mais s'efforce
    • d’examiner en profondeur chaque aspect qui concerne l’aimé,
    • et ainsi il pénètre à l’intérieur de celui-ci.

C'est le sens de ces mots appliqués à l'Esprit Saint, qui est l'Amour de Dieu: "Il scrute même les profondeurs de Dieu" (1 Co 2, 10).

*     *     *

Utrum mutua inhaesio sit effectus amoris ?

Iste effectus mutuae inhaesionis potest intelligi et quantum ad vim apprehensivam, et quantum ad vim appetitivam.

[]

Nam quantum ad vim apprehensivam amatum dicitur esse in amante, inquantum amatum immoratur in apprehensione amantis; secundum illud Philipp. I, eo quod habeam vos in corde.

[]

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans

  • non est contentus superficiali apprehensione amati,
  • sed nititur
    • singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere,
    • et sic ad interiora eius ingreditur.

Sicut de spiritu sancto, qui est amor Dei, dicitur, I ad Cor. II, quod scrutatur etiam profunda Dei.

*     *     *

[1. L'aimé est dans l'aimant]

Mais quant à la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il est par une certaine complaisance dans son affect [~ son coeur],

  • si bien qu'il se délecte de l'aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ;
  • s'ils sont absents, son désir se porte
    • vers l'aimé lui-même par l'amour de concupiscence,
    • ou vers les biens qu'il lui veut par l'amour d'amitié.

Et

  • ce n'est pas en raison de quelque cause d'extrinsèque, comme 
    • lorsqu'on désire une chose à cause d'une autre,
    • ou que l'on veut du bien à quelqu'un en vue d'autre chose,
  • mais à cause de la complaisance pour l'aimé la plus intérieurement enracinée (interius radicatam). C'est pour cela que l'amour est dit ce qui est le plus au-dedans (intimus) et que l'on parle des "entrailles de la charité".

*     *     *

Sed quantum ad vim appetitivam, amatum dicitur esse in amante, prout est per quandam complacentiam in eius affectu,

  • ut vel delectetur in eo, aut in bonis eius, apud praesentiam;
  • vel in absentia, per desiderium tendat
    • in ipsum amatum per amorem concupiscentiae;
    • vel in bona quae vult amato, per amorem amicitiae;
  • non quidem ex aliqua extrinseca causa, sicut
    • cum aliquis desiderat aliquid propter alterum,
    • vel cum aliquis vult bonum alteri propter aliquid aliud;
  • sed propter complacentiam amati interius radicatam. Unde et amor dicitur intimus; et dicuntur viscera caritatis.

*     *     *

[2. L'aimant est dans l'aimé]

Réciproquement, l'aimant est dans l'aimé, mais différemment selon qu'il y a amour de concupiscence ou amour d'amitié.

  • En effet, l'amour de concupiscence
    • ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l'aimé,
    • mais cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime.
  • Dans l'amour d'amitié, au contraire, l'aimant est dans l'aimé en ce sens qu'il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de sorte que lui-même, en son ami, semble
    • pâtir les biens et les maux
    • et être affecté des biens et des maux.

C'est pour cela que, d'après Aristote, il est propre aux amis

  • de "vouloir les mêmes choses,
  • et de s'attrister et de se réjouir dans les mêmes choses".

*

E converso autem amans est in amato aliter quidem per amorem concupiscentiae, aliter per amorem amicitiae.

  • Amor namque concupiscentiae
    • non requiescit in quacumque extrinseca aut superficiali adeptione vel fruitione amati,
    • sed quaerit amatum perfecte habere, quasi ad intima illius perveniens.
  • In amore vero amicitiae, amans est in amato, inquantum reputat bona vel mala amici sicut sua, et voluntatem amici sicut suam, ut quasi ipse in suo amico videatur
    • bona vel mala pati,
    • et affici.

Et propter hoc, proprium est amicorum

  • eadem velle,
  • et in eodem tristari et gaudere

secundum philosophum, in IX Ethic. et in II Rhetoric.

*

Ainsi donc,

  • en tant qu'il considère comme sien ce qui est à son ami, l'aimant semble exister en celui qu'il aime et être comme identifié à lui.
  • Au contraire, en tant qu'il veut et agit pour son ami comme (sicut) pour soi-même, le considérant comme (quasi) un (idem) avec soi, c'est l'aimé qui est dans l'aimant.

*     *     *

Ut sic,

  • inquantum quae sunt amici aestimat sua, amans videatur esse in amato, quasi idem factus amato.
  • Inquantum autem e converso vult et agit propter amicum sicut propter seipsum, quasi reputans amicum idem sibi, sic amatum est in amante.

*     *     *

[3ème manière]

Il y a une troisième manière d'entendre cette mutuelle inhésion par l'amour d'amitié, c'est celle de l'amour qui répond à l'amour, en tant que

  • mutuellement les amis s'aiment (mutuo),
  • et l'un à l'autre (invicem) 
    • se veulent (volunt) de bonnes choses
    • et font (operantur) de bonnes choses.

(Somme, I-II.q28a2)

Potest autem et tertio modo mutua inhaesio intelligi in amore amicitiae, secundum viam redamationis, inquantum

  • mutuo se amant amici,
  • et sibi invicem bona
    • volunt
    • et operantur.

 

VOIR AUSSI LA REPONSE TRES SYNTETIQUE A L'ARGUMENT 1 DU MÊME ARTICLE

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

2. Complacentiam : de complaceo, "plaire en même temps, concurremment" (Gaffiot). Que signififie le préfixe "com" dans le mot complaisance ? A quoi se rapporte le "en-même temps" ? Pourquoi dit-on se complaire dans l'ami en tant qu'il affecte notre appétit plutôt que se plaire en l'ami en tant qu'il affecte notre appétit ? Se complaire en quelque chose, se plaire en quelque chose, quelle différence ?

Voir I-II.q27a1ad3

"Le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante (vim cognoscitivam)

    • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter)
    • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension"

Premier élément de réponse : on doit pouvoir dire que l'amour affectif est source de complaisance alors que l'amour effectif est source de plaisir/joie. La complaisance serait alors le plaisir intentionnel, la chose nous a affecté et nous aimons ce en quoi elle nous affecte et cela à pour effet une complaisance. Nous aimons la chose ou la personne aimée en tant qu'elle réside en nous, en tant qu'elle a donné lieu à une modification (affect-ion) en nous, et nous aimons cette modification. La chose a fait quelque chose en nous (adficio --> ad-facio, d'où vient le mot affection). Cette chose qui s'est faite en nous, l'affect, est liée à la chose qui affecte, le lien n'est pas rompu, mais l'affect est dans le ressenti de la chose aimée.

C'est pour cette raison que la complaisance, dans la signification dans laquelle elle nous est parvenue, comporte un aspect péjoratif en cela qu'elle porte en elle une possibilité d'en rester à ce "ressenti" en relativisant la chose qui est à la source de ce sentir intérieur. C'est pourquoi un véritable amour n'en reste pas au stade affectif mais naturellement se porte par le désir au bien réel, à la chose aimée en tant qu'elle existe indépendamment de moi et que je veux rejoindre réellement.

Et lorsque la chose aimée ou la personne aimée est aimée dans sa réalité, alors il y a plaisir/joie. On ajoute alors à l'unité intérieure dans laquelle l'aimé est en soi, une unité qui découle d'une sortie de nous-même pour demeurer en l'autre, l'autre réel. L'autre réel continuant de nous toucher intérieurement, mais en raison même de ce toucher intérieur nous projette vers lui pour y demeurer, d'où le mot d'Aristote rapporté par Thomas : l'amour est circulaire. L'analyse de Thomas est d'un très grand réalisme, car c'est en effet de cette manière que nous expérimentons et que nous vivons l'amour.

La complaisance a une cause immédiate intérieure ; le plaisir/joie a une cause extérieure ; les deux se vivant de fait de manière mêlée, à cause du cercle.

°°° ~ ~ La chose belle en tant qu'elle est belle plaît car elle reste extérieure du fait que la connaissance nécessite la présence de la chose connue. ~ ~

 

Amour, Volonté, Mal, Amitié, Plaisir, Appétit, Appréhension, Inhérence, Concupiscence, Délectation, Affection, Amour d'amitié, Opérations, Inhésion, Inhabitation, Intimité

Thomas d'Aquin - I.q79a12 - Induction de la syndérèse - [!!! HAUTE VOLÉE !!! ---> Y REVENIR]

  • Elle est un habitus naturel qui nous pousse au bien par la saisie de premiers principes pratiques

L'article est construit d'une manière très minutieuse.

On comprend pourquoi, le propos est ici d'une importance capitale : il s'agit de défendre le donné naturel dans lequel nous découvrons inductivement certains appuis premiers à partir desquels nous pouvons ou penser ou bien agir.

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La syndérèse est-elle une puissance intellectuelle ? Utrum synderesis sit aliqua potentia intellectivae partis.
[Ce qu'on va montrer]

La syndérèse

  • n’est pas une puissance,
  • mais un habitus,

bien que

  • certains posèrent la syndérèse comme étant une certaine puissance supérieure à la raison,
  • et d’autres dirent que c’était la raison elle-même,
    • non comme raison
    • mais comme nature.

Synderesis

  • non est potentia,
  • sed habitus,

licet quidam 

  • posuerint synderesim esse quandam potentiam ratione altiorem;
  • quidam vero dixerint eam esse ipsam rationem,
    • non ut est ratio,
    • sed ut est natura.
[Ce qui se passe dans le domaine spéculatif]

Pour [saisir] l'évidence envers cela, il faut considérer, comme on l’a dit plus haut,

  • que le raisonnement humain,
    • étant un certain mouvement,
    • d'un intellect qui progresse à partir de certaines [choses]
      •  c'est à dire de choses naturellement connues sans recherche de la raison,
      • comme d’un principe immobile,
  • et qu'encore à l'intellect il se termine,
    • lorsque nous jugeons par des principes par soi naturellement connus,
    • de ce que nous découvrons en raisonnant.

[ (1) On part de quelque chose de simple qui n'est pas un raisonnement, (2) puis nous continuons avec le raisonnement, (3) puis nous terminons par quelque chose de simple : le terme du raisonnement]

Ad huius autem evidentiam, considerandum est quod, sicut supra dictum est,

  • ratiocinatio hominis,
    • cum sit quidam motus,
    • ab intellectu progreditur aliquorum,
      • scilicet naturaliter notorum absque investigatione rationis,
    • sicut a quodam principio immobili,
  • et ad intellectum etiam terminatur,
    • inquantum iudicamus per principia per se naturaliter nota,
    • de his quae ratiocinando invenimus.
[On pose le rapport d'analogie]

Mais c'est un fait établi que, 

  • comme la raison spéculative raisonne sur le spéculatif,
  • ainsi la raison pratique raisonne sur l'opérable [= les actions que l'on peut poser].

Constat autem quod,

  • sicut ratio speculativa ratiocinatur de speculativis,
  • ita ratio practica ratiocinatur de operabilibus.
[On se sert de l'analogie]

[A. Premièrement]

[D'une part,] il faut donc que naturellement nous soit donnés,

  • (comme les premiers principes pour le spéculable),
  • ainsi aussi les premiers principes pour l'opérable.

[B. Deuxièmement]

  • Mais d'autre part les premiers principes spéculatifs qui nous sont naturellement donnés
    • ne relèvent pas d'une puissance spéciale,
    • mais d'un habitus spécial qui est dit "l’intelligence des principes".

[C. Conclusion]

D'où aussi,

  • les premiers principes dans le domaine de l'opérable qui nous sont naturellement donnés
    • ne relèvent pas d’une puissance spéciale,
    • mais d’un habitus naturel spécial, que nous nommons syndérèse.

A.

Oportet igitur naturaliter nobis esse indita,

  • sicut principia speculabilium,
  • ita et principia operabilium.

B.

  • Prima autem principia speculabilium nobis naturaliter indita,
    • non pertinent ad aliquam specialem potentiam;
    • sed ad quendam specialem habitum, qui dicitur intellectus principiorum, ut patet in VI Ethic.

C.

Unde et

  • principia operabilium nobis naturaliter indita,
    • non pertinent ad specialem potentiam;
    • sed ad specialem habitum naturalem, quem dicimus synderesim.
[On précise l'étendue de la conclusion]

D'où la syndérèse est dite

  • inciter au bien,
  • et murmurer contre le mal, 

en tant que

  • nous procédons, à l’aide de premiers principes [pratiques] en vue de découvrir,
  • et que nous jugeons ce qui a été découvert.

Il est donc clair que la syndérèse n’est pas une puissance, mais un habitus naturel.

(Somme, II-II.q79a12)

 

Unde et synderesis dicitur

  • instigare ad bonum,
  • et murmurare de malo,

inquantum

  • per prima principia procedimus ad inveniendum,
  • et iudicamus inventa.

Patet ergo quod synderesis non est potentia, sed habitus naturalis.

 

 

-----

1. -- "sicut principia speculabilium, ita et principia operabilium" --> principia, adjectif (nom. ou acc.) ou nom (nom. et acc.) neutre pluriel --> ici il faudrait traduire  "les premiers [au sens de principes] sur lesquels on peut spéculer", c'est d'ailleurs ainsi que la traduction d'origine continue, mais pourquoi n'avoir pas traduit ainsi dès le départ ?

2. -- operabilium : petite curiosité --> litt. : oeuvrable --> ce qui a donné "ouvrable" comme dans "un jour ouvrable", i.e. un jour pendant lequel on peut oeuvrer.

3. -- Il y a donc un nom pour désigner la saisie des premiers principes dans le domaine pratique (syndérèse) mais pas dans le domaine spéculatif.

4. -- Contrairement à son habitude Thomas dit qu'il va mettre en évidence, il n'utilise par le mot manifeste. Pourquoi ? Ce qui est manifeste n'a pas besoin d'être mise en évidence. Cela recoupe les termes delon et phaneron chez Aristote.

Progrès, Principes (premiers), Raison pratique, Raison spéculative, Syndérèse

Thomas d'Aquin - I-II.q94a1ad2 - Syndérèse et loi naturelle

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

La syndérèse est dite loi de notre intellect en tant qu'elle est un habitus contenant les précèptes de la loi naturelle, qui sont les premiers principes des oeuvres [= actions] de l'homme.

(I-II.q94a1ad2)

Synderesis dicitur lex intellectus nostri, inquantum est habitus continens praecepta legis naturalis, quae sunt prima principia operum humanorum.

 


 

Principes (premiers), Syndérèse, Loi naturelle

Thomas d'Aquin - II-II.q47a6 - A REVOIR - La prudence s'appuie sur la syndérèse afin de trouver les bons moyens

  • Mais la prudence n'est pas la syndérèse

[A. Syllogisme]

  1. La fin des vertus morales est le bien humain.
  2. Or, le bien de l'âme humaine est d'être selon la raison, comme le montre Denys.
  3. Aussi est-il nécessaire que les fins des vertus morales préexistent dans la raison.

A.

  1. Finis virtutum moralium est bonum humanum.
  2. Bonum autem humanae animae est secundum rationem esse; ut patet per Dionysium, IV cap. de Div. Nom.
  3. Unde necesse est quod fines moralium virtutum praeexistant in ratione.

[B. Rappel de I.q79a12 : Analogie raison spéculative / raison pratique sur les 1er principes - Syndérèse]

[1. Premier niveau d'analogie - plan des principes premiers]

  • Mais tout comme il y a dans la raison spéculative
    • certaines [choses] naturellement connues [= des premiers principes], relevant de l'intelligence
    • et certaines choses amenées à la connaissance (innotescunt) par le moyen de celles-là, à savoir les conclusions, relevant de la science [les conclusions des raisonnements sont établies grâce aux premiers principes] ;
  • de même dans la raison pratique préexistent 
    • certaines [choses] au titre de principes premiers naturellement connus,
  • et telles sont les fins des vertus morales
    • car la fin est dans les choses opérables [= les actions] comme le principe dans la spéculation, comme nous l'avons montré ;

[2. Deuxième niveau d'analogie - plan des conclusions - 
c'est à dire des connaissances obtenues grâce à des raisonnements posés à partir des principes premiers]

  • et certaines [choses] sont dans la raison pratique comme des conclusions ;
  • et telles sont [ces choses] qui sont relatives à la fin [= les moyens], auxquelles nous parvenons à partir des fins elles-mêmes. 

B.

  • Sicut autem in ratione speculativa sunt
    • quaedam ut naturaliter nota, quorum est intellectus;
    • et quaedam quae per illa innotescunt, scilicet conclusiones, quarum est scientia,
  • ita in ratione practica praeexistunt
    • quaedam ut principia naturaliter nota,
  • et huiusmodi sunt fines virtutum moralium,
    • quia finis se habet in operabilibus sicut principium in speculativis, ut supra habitum est;
  • et quaedam sunt in ratione practica ut conclusiones,
  • et huiusmodi sunt ea quae sunt ad finem, in quae pervenimus ex ipsis finibus

[C. ]

La prudence concerne ces connaissances-là [= les moyens], puisqu'elle applique les principes universels aux conclusions particulières en matière d'action.

C'est pourquoi il ne rélève pas de la prudence de déterminer à l'avance (praestituere)  leur fin aux vertus morales, mais seulement d'ordonner (disponere) ce qui est en vue de la fin [= les moyens].

(Somme, II-II.q47a6)

C.

Et horum est prudentia, applicans universalia principia ad particulares conclusiones operabilium. 

Et ideo ad prudentiam non pertinet praestituere finem virtutibus moralibus, sed solum disponere de his quae sunt ad finem. 

 


  1. -- La prudence est donc un analogue du raisonnement spéculatif qui a pour terme une conclusion, ici une conclusion dans l'ordre spéculatif de la connaissance, là dans l'ordre des moyens pratiques à mettre en oeuvre auxquels on conclue (telle action possible se révèle comme un moyen pour parvenir à la fin - fin sur laquelle on ne délibère/raisonne pas).
  2. -- TH. semble ne pas tellement aimer nommer la syndérèse. Ici, c'est pourtant bien elle qu'on rappelle pour préciser le rôle propre de  la prudence. Il la nomme seulement dans la réponse à la 1ère obj. Sans doute préfère-t-il aller à la réalité de la syndérèse et ne pas utiliser un mot qui risque de voiler ce qu'elle est. Ce qui n'a pas de nom du côté de la raison spéculative n'est pas nommé du côté de la raison pratique, on force l'intelligence à saisir.
  3. -- Disponere : Pourquoi TH. n'utilise-t-il pas ici le verbe ordinare ?
  4. -- Sicut autem in ratione speculativa sunt quaedam ut naturaliter nota : pour compléter la traduction de cet art. 6, voir déjà les mêmes expressions ici I.q79a12 : " iudicamus per principia per se naturaliter nota".
  5. -- Le mot praeexistunt est intéressant, cela aurait-il changé quelque chose à la vision de Kant s'il avait lu ces passages ?

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Moyens, Prudence, Raison pratique, Raison spéculative, Syndérèse

Thomas d'Aquin - I-II.q23a1ad1 - Il doit nécessairement y avoir une puissance de l'irascible

  • ... sans quoi le bien difficile serait uniquement regardé comme un mal
  •  Le bien, en tant que délectable, meut le concupiscible.
  • Mais si le bien présente quelque difficulté à être atteint, il a par cela même quelque chose qui répugne à ce concupiscible.

Et c'est pourquoi il est nécessaire qu'il existe une autre puissance pour tendre à cela [= au bien en tant que difficile à atteindre]. 

Et il en va de même pour le mal.

Et cette puissance est l'irascible.

D'où vient la conséquence que les passions du concupiscible et de [celles] de l'irascible diffèrent par l'espèce.

(Somme, I-II.q23a1ad3) 

  • Bonum inquantum est delectabile, movet concupiscibilem.
  • Sed si bonum habeat quandam difficultatem ad adipiscendum, ex hoc ipso habet aliquid repugnans concupiscibili.

Et ideo necessarium fuit esse aliam potentiam quae in id tenderet.

Et eadem ratio est de malis.

Et haec potentia est irascibilis.

Unde ex consequenti passiones concupiscibilis et irascibilis specie differunt.

 


 

Mal, Désir (appétit sensible), Passions, Irascible, Concupiscible, Différence, Imagination, Espèce, Difficulté, Atteinte (du bien), Spécification

Thomas d'Aquin - I-II.q22a3ad2 - ~ L'appétit sensible pâtit plus qu'il n'est actué alors que l'appétit intellectuel est plus actué qu'il ne pâtit

On dit que la magnitude [= l'ampleur] de la passion

  • ne dépend pas seulement de la puissance (ex virtute) de l'agent,
  • mais encore de la passibilité (ex passibilitate) de celui qui pâtit,

parce que les choses qui sont bien passibles (quae sunt bene passibilia) pâtissent beaucoup même de la part d'un agent faible.

  • Donc bien que l'objet de l'appétit intellectuel soit plus actif que l'objet de l'appétit sensitif, [ce qui devrait donc entraîner une plus grande passion dans celui qui pâtit]
  • pourtant l'appétit sensitif est plus passif.

(Somme, I-II.q22a3ad2)

Dicendum quod magnitudo passionis

  • non solum dependet ex virtute agentis,
  • sed etiam ex passibilitate patientis,

quia quae sunt bene passibilia, multum patiuntur etiam a parvis activis.

  • Licet ergo obiectum appetitus intellectivi sit magis activum quam obiectum appetitus sensitivi,
  • tamen appetitus sensitivus est magis passivus.

 


 1. -- "quia quae sunt bene passibilia...", comprendre  : "parce ques les choses disposées à pâtir pâtissent beaucoup même de la part d'une cause de moindre importance".

2. -- Puisque TH. dit que la passion est davantage dans la partie sensible que dans la partie intellectuelle, il reconnît par là même que la prtie intellectuelle possède un côté passif, sans doute a-t-il ici en tête l'intellect passif.

3. -- Ici TH. semble dire que puisque le monde de l'appétit sensible est lié à la matière il est davantage passible que la partie appétit intellectuel. Alors que la partie intellectuelle, du fait même qu'elle est intellectuelle, est davantage portée à l'acte. L'objet de de l'appétit intellectuel actue davantage l'appétit intellectuel qu'il ne le fait pâtir. Par exemple, lorsque Dieu se révèle à nous, il nous actue plus qu'il ne nous fait pâtir.

Acte, Puissance, Passions, Appétit, Sujet, Objet, Passibilité, Appétit sensible, Appétit intellectuel

Thomas d'Aquin - DePot.q1a5a13 - Dieu, bien qu'immuable, a le libre arbitre

  • ... l'arbitrage étant un jugement électif supposant une multiplicité

Bien que Dieu soit immuable, il n'est pas déterminé à une seule chose entre celles qui sont à faire [= qu'il est possible de faire], et c'est pourquoi il a le libre arbitre. 

(DePot.q1a5ad13)

Licet Deus sit immutabilis, tamen eius voluntas non est determinata ad unum in his quae facienda sunt : et ideo habet liberum arbitrium.

 

 

Libre arbitre, Détermination, Dieu, Immuabilité, Détermination ad unum

Thomas d'Aquin - I.q1a1ad2 - Philosophie et théologie peuvent atteindre un même objet

  • Il existe une théologie strictement philosophique

Rien n’empêche donc que les choses (rebus) mêmes

  • dont traitent les sciences philosophiques,
    • selon qu’elles sont connaissables par la lumière de la raison naturelle,
  • soient traitées par une autre science,
    • selon que [ces choses] sont connues par la lumière de la révélation divine.

D'où la théologie qui relève de la doctrine sacrée differt selon le genre de la théologie qui est posée comme partie de la philosophie.

(I.q1a1ad2)

Unde nihil prohibet de eisdem rebus,

  • de quibus philosophicae disciplinae tractant
    • secundum quod sunt cognoscibilia lumine naturalis rationis,
  • et aliam scientiam tractare
    • secundum quod cognoscuntur lumine divinae revelationis.

Unde theologia quae ad sacram doctrinam pertinet, differt secundum genus ab illa theologia quae pars philosophiae ponitur.

 


1. -- Ceci ne recoupe pas la vision franciscaine des choses au XIII et XIVème siècles. Ni Duns Scot ni même Bonaventure n'auraient pu s'exprimer en ces termes. L'époque était à l'extrême méfiance à l'égard des prétentions de certains penseurs dont on pensait qu'ils voulaient priver la théologie révélée de ces prérogatives.

Philosophie, Théologie, Duns Scot, Raison naturelle, Théologie naturelle, Révélation, Foi, Foi et raison

Thomas d'Aquin - DePot.q1a5 - Toute volonté, en tant que volonté, veut naturellement et nécessairement une certaine fin

  • Cette même volonté voudra les nécessairement les moyens sans lesquels cette fin ne peut être atteinte

Il faut que n’importe quelle volonté ait une certaine fin

  • qu’elle veut naturellement,
  • et qu’elle ne puisse pas vouloir le contraire ;

ainsi l’homme naturellement et par nécessité veut le bonheur et il ne peut pas vouloir le malheur.

Cependant,

  • avec le fait que la volonté veut nécessairement sa fin naturelle,
  • elle veut aussi nécessairement les choses sans lesquelles elle ne peut pas atteindre sa fin,
    • si elle les connaît ;

et ce sont les choses qui sont proportionnées à la fin ; par exemple, si je veux la vie, je veux de la nourriture.

(DePot.q1a5)

Oportet enim quod quaelibet voluntas habeat aliquem finem

  • quem naturaliter velit,
  • et cuius contrarium velle non possit ;

sicut homo naturaliter et de necessitate vult beatitudinem, et miseriam velle non potest.

 

  • Cum hoc autem quod voluntas velit necessario finem suum naturalem,
  • vult etiam de necessitate ea sine quibus finem habere non potest,
    • si hoc cognoscat ;

et haec sunt quae sunt commensurata fini ; sicut si volo vitam, volo cibum.

 


 1. -- Voilà une manière de penser qui est totalement à l'opposé de ce qui est proposé par l'air ambiant depuis quelques siècles déjà chez les intellectuels mais maintenant aussi très répandue chez tous. Ce que dit Thomas est effrayant pour l'homme moderne, il pense que Thomas soutient que l'homme n'est pas libre, qu'il est totalement déterminé. Bien sûr rien n'est plus faux. Thomas souligne simplement ce qu'il constate exprimentalement, et ce avec quoi tout un chacun ne peut qu'être d'accord : il existe quantités de choses vis à vis desquelles nous ne sommes pas libres. A commencer par notre rapport au bonheur et notre rapport à une personne aimée.

Nature, Volonté, Bonheur, Nécessité, Fin, Malheur, Moyens, Vie, Proportion, Nourriture

Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4 - La nécessité naturelle en Dieu ne s'oppose pas à la [raison de] liberté

La volonté divine a une nécessité, non de contrainte, mais d'ordre naturel, qui ne répugne pas [= ne s'oppose pas] à la liberté.

(DeVer.q23a4)

Voluntas divina necessitatem habet, non quidem coactionis, sed naturalis ordinis, qui libertati non repugnat.

 


Sinon Dieu serait obligé de nier tout ce qu'il est pour pouvoir être libre d'être ce qu'il veut.

Nature, Liberté, Contrainte, Nécessité, Dieu, Opposés, Répugnance

Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4adsc - La nécessité naturelle ne s'oppose pas à la liberté

La nécessité de l'ordre naturel ne répugne pas [= ne s'oppose pas] à la liberté, mais seulement la nécessité de contrainte.

(DeVer.q23a4adsc - Toute fin de la question)

 Necessitas naturalis ordinis libertati non repugnat, sed sola necessitas coactionis.

 


Important au plus haut point, sinon nous serions obligé de nier préalablement tout ce que nous sommes pour pouvoir être libre de tout ce que nous sommes.

Nature, Liberté, Contrainte, Nécessité, Répugnance

Thomas d'Aquin - I.q82a3 - Version courte : De l'intellect ou de la volonté, quelle est la plus grande ?

  • Cela dépend de l'objet
  • Alors, quand la chose (res) en laquelle est le bien est une chose plus noble que l’âme même (en laquelle est la raison (ratio) ayant été intelligée),
    • par comparaison à une telle chose (rem), la volonté est plus élevée que l'intellect.
  • Quand, d'un autre côté, la chose (res) en laquelle est le bien est une chose inférieure à l’âme,
    • à ce moment-là, par comparaison à une telle chose (rem)l’intellect est plus élevé que la volonté. 

(Somme, I.q82a3)

  • ... Quando igitur res in qua est bonum, est nobilior ipsa anima, in qua est ratio intellecta,
    • per comparationem ad talem rem, voluntas est altior intellectu.
  • Quando vero res in qua est bonum, est infra animam,
    • tunc etiam per comparationem ad talem rem, intellectus est altior voluntate.

 


1. -- Intéressant de voir que dans le cas d'une chose plus noble que l'âme, Thomas prend soin de préciser que l'âme est l'âme en tant qu'elle a intelligé la raison de bien qui a servi à juger de la chose qui lui est supérieure. Et donc l'intellect lui-même participe dans le processus qui permet à l'âme de connaître qu'une réalité est plus digne d'être aimée que d'être connue. L'intellect collabore ici à son propre "retrait" au profit de la volonté.

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Sur cette question, voir p. 553, la note lumineuse et déterminante de FX Putallaz dans L'âme humaine, Le Cerf, 2018.

Et l'explication plus détaillée de Thomas dans De Veritate, q. 22, a. 11.

--> Voir l'analyse de la question complète ici.

Volonté, Intellect / Intelligence

Thomas d'Aquin - I.q82a2ad2 - La volonté n'est pas totalement soumise à vouloir un bien particulier...

  • ...alors qu'elle ne peut vouloir autrement (comme volonté) que sous la ratio boni

Ce qui meut cause de nécessité le mouvement dans le mobile, quand le pouvoir de ce qui meut excède le mobile, de telle sorte que toute sa possibilité de mouvement est soumise à ce qui meut.

Avec le fait que la possibilité de la volonté regarde le bien universel et parfait, toute sa possibilité ne peut être soumise en tout à quelque bien particulier.

C’est pourquoi elle n’est pas de nécessité mise en mouvement par lui.

(Somme, I.q82a2ad2)

Movens tunc ex necessitate causat motum in mobili, quando potestas moventis excedit mobile, ita quod tota eius possibilitas moventi subdatur.

Cum autem possibilitas voluntatis sit respectu boni universalis et perfecti, non subiicitur eius possibilitas tota alicui particulari bono.

Et ideo non ex necessitate movetur ab illo.


1. -- C'est la raison de bien (ratio boni) qui est nommée ici bien universel et parfait. En tant que ratio elle ne peut pas être incomplète, d'où le mot parfait ici. 

2. -- La volonté n'est pas soumise en tout à tel bien particulier mais seulement dans la mesure où la volonté veut toujours sous la raison de bien, c'est à dire que la volonté ne veut que ce qui lui apparaît comme bien. Si un bien particulier lui apparaît comme un bien, alors elle veut ce bien particulier, mais à travers la ratio boni, et donc elle n'est pas liée en tout au bien particulier. L'animal juge d'un jugement naturel (qui lui vient d'un autre comme dit Thomas, c'est à dire de son créateur), alors que l'homme a la capacité de juger de lui-même si telle chose est un bien.

3. -- Sur la ratio boni, voir ici.

Perfection, Universel, Particulier, Volonté, Bien, Mouvement, Nécessité, Bien universel, Ratio boni, Bien particulier, Soumission

Thomas d'Aquin - I.q62a9ad1 - Au terme, plus de mouvement, le changement est accompli, la fin atteinte - Ainsi la différence entre la charité d'ici-bas et la charité parfaite

 

On a laissé le texte entier de cette réponse au 3ème argument, et donc aussi son aspect théologique (le mérite, l'ange, l'état de voyageur, la charité). 

Deux choses à notre ici : le préambule général sur le progrès, et son application à propos de la charité.

[On se demande] si les anges bienheureux dans la béatitude peuvent progresser ?  Utrum angeli beati in beatitudine proficere possint

[Préambule]

Le mérite est à l'égard de celui qui est mû vers la fin. Or la créature rationnelle est mûe vers la fin, 

  • non seulement en [recevant] passivement, 
  • mais aussi en opérant [activement]. 
  • Et si une certaine fin est sous la puissance (virtuti) de la créature rationnelle,
    • cette opération est dîte acquisition de cette fin ;
    • comme l'homme en méditant acquiert la science [la science est le fruit du raisonnement],
  • mais si la fin n'est pas en son pouvoir (potestate),
    • mais reçue par un autre,
      • l'opération sera méritoire de la fin

De plus, à ce qui est [parvenu] au terme ultime (ultimo termino), ne convient plus de mouvoir, mais le changement est [= est accompli].

[Progrès dans la charité et charité parfaite]

D'où

  • la charité imparfaite, qui est celle de la voie, c'est mériter,
  • tandis que la charité parfaite n'est pas mériter, mais est dans le pouvoir fruir de la récompense [= mais cueille le fruit de la récompense].

Et comme dans les habitus acquis, l'opération qui précède l'habitus est acquisition de l'habitus, mais [l'opération] qui est issu d'un habitus déjà acquis, est une opération déjà parfaite [la] déléctation [qui l'accompagne].

Et de manière similaire l'acte de la charité parfaite n'a pas la raison de mérite mais relève plutôt de la perfection de la récompense.

(Somme, I.q62a9ad1)

Mereri est eius quod movetur ad finem. Movetur autem ad finem creatura rationalis,

  • non solum patiendo,
  • sed etiam operando.

Et si quidem finis ille subsit virtuti rationalis creaturae, operatio illa dicetur acquisitiva illius finis, sicut homo meditando acquirit scientiam,

si vero finis non sit in potestate eius, sed ab alio expectetur, operatio erit meritoria finis.

Ei autem quod est in ultimo termino, non convenit moveri, sed mutatum esse.

Unde

  • caritatis imperfectae, quae est viae, est mereri,
  • caritatis autem perfectae non est mereri, sed potius praemio frui.

Sicut et in habitibus acquisitis, operatio praecedens habitum est acquisitiva habitus, quae vero est ex habitu iam acquisito, est operatio iam perfecta cum delectatione.

Et similiter actus caritatis perfectae non habet rationem meriti, sed magis est de perfectione praemii.

N.B. : Traduction un peu difficile par endroit, sans doute très perfectible, la dernière phrase par ex.

1. -- Noter que le vocabulaire propre au domaine passionnel et le vocabulaire propre au domaine spirituel sont quelque fois utilisés l'un pour l'autre par Thomas. délectation désigne proprement le plaisir sensible mais est ici utilisé pour désigner la joie, plaisir spirituel.

 

Perfection, Charité, Mouvement, Habitus, Fin, Mérite, Science, Habitus acquis, Charité du voyageur, Méditation, Statu viae, Voyageur, Changement, Mutation

Thomas d'Aquin - I.q62a9 - L'in-fini répugne à l'intention, l'intention est à l'égard de la fin

Dans chaque mouvement, l'intention du moteur est de porter dans quelque chose de déterminé, vers quoi il a l'intention de conduire (per-ducere) le mobile. En effet, l'intention est de la fin [= tient son être de la fin - ablatif d'origine], et l'indéfini (infinitum) lui répugne.

Somme, I.q62a9)

In unoquoque motu motoris intentio fertur in aliquid determinatum, ad quod mobile perducere intendit : intentio enim est de fine, cui repugnat infinitum.

 


1. -- Où l'on voit que la fin n'est pas un mot pris au hasard. La fin c'est ce qui est fini, c'est à dire précisément ce qui manque à ce qui est mis en mouvement. Il y a mouvement parce qu'on vise quelque chose qui manque, et ce qui est visée est cet état dans lequel n'existe pas ce manque, quelque chose à quoi il ne manque rien dans son ordre. Donc, intéressant de voir que ce qui est mis en mouvement n'est pas motivé par quelque chose qui serait lui-même en manque mais bien par quelque chose qui est en quelque sorte fini, qui possède quelque chose qui manque à celui qui est mis en mouvement. Le vide ne va pas vers le vide. La puissance ne va pas vers la puissance.

2. -- Infinitum : il faudrait traduire in-fini, non dans le sens infini mais dans le sens de ce qui n'est pas fini, terminé, de ce qui est en défaut de quelque chose.

3. -- "l'intention est de la fin", expression similaire fréquemment utilisée par Thomas à propos du libre arbitre : "l'homme est de libre arbitre (est liberi arbitrii)".

Fin, Intention, In-fini

Thomas d'Aquin - I.q82a4ad3 - Une appréhension précède nécessairement tout mouvement de la volonté

  • Il est nécessaire qu’une appréhension précède tout mouvement de la volonté,
  • mais pas qu’un mouvement de la volonté précède toute appréhension.

(Somme, I.q82a4ad3)

  • Omnem enim voluntatis motum necesse est quod praecedat appre­hensio,
  • sed non omnem apprehensionem praecedit motus voluntatis.

 


 

Volonté, Intellect / Intelligence, Mouvement, Nécessité, Appréhension

Thomas d'Aquin - I-II.q38a1 - La tristesse est un état "non naturel", maladif, qui fatigue

  • La tristesse fatigue, elle est comme une maladie de l'appétit

... D'où

  • comme la délectation [= plaisir, joie] est à l'égard de la tristesse
    • dans les mouvements de l’appétit,
  • ainsi ce qu'est le repos à la fatigue
    • dans les mouvements corporels,

[fatigue] qui provient de quelque transmutation non naturelle (innaturali), car la tristesse elle-même

  • [implique] une certaine fatigue
  • ou implique (importat) un état maladif de la puissance appétitive

(Somme, I-II.q38a1) 

... Unde

  • sic se habet
    • delectatio ad tristitiam
    • in motibus appetitivis,
  • sicut se habet
    • in corporibus
    • quies ad fatigationem,

quae accidit ex aliqua transmutatione innaturali, nam et ipsa tristitia

  • fatigationem quandam,
  • seu aegritudinem appetitivae virtutis importat.

La tristesse fatigue car elle est le signe que le bien désiré n'a pas été atteint, cette incomplétude de l'appétit plonge dans la division qui fatigue.

D'une certaine manière, ce n'est pas naturel d'être triste, nous ne sommes pas fait pour cela. La tristesse est comme un état de violence pour l'appétit.

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Comme si Thomas disait qu'il y a quelque chose dans la nature de naturellement non naturel, comme si la nature jouait naturellement contre elle-même. La fatigue est naturelle, mais du point de vue de ce que doit être le mouvement musculaire d'un individu dans son état de pleine forme, elle représente quelque chose qui s'oppose à la nature, de la même manière qu'un appétit qui ne trouve pas son terme quitte d'une certaine manière l'ordre naturel des choses.

Du côté de la joie, nous admettons qu'elle nous donne une grande force pour agir, contrairement à la tristesse qui n'est pas amie de l'action.

Analogiquement, on parlera donc d'un appétit fatigué. On dira que la tristesse produit les mêmes effets dans la dimension appétitive de notre être que la fatigue physique dans le corps : l'arrêt ou la diminution du mouvement. Comme la fatigue empêche l'exercice physique, la tristesse empêche la re-mise en mouvement vers un bien extérieur à atteindre.

Thomas termine en disant que cette fatigue de l'appétit pourrait aussi se comprendre par le terme de "maladie", la tristesse serait ainsi une maladie de l'appétit.

Après avoir dit ce qu'elle était (ce que nous ressentons en l'absence du bien), Thomas se livre ici à une forme de description expérimentale, presque psychologique, de la tristesse.

Être triste est fatiguant.

Nature, Mouvement, Plaisir, Appétit, Repos, Tristesse, Fatigue, Maladie, Contre-nature, Choses corporelles

Thomas d'Aquin - I-II.q38a2 - Extérioriser le mal intérieur par les larmes adoucie la douleur

  • Comme si on la diffusait à l'extérieur

Les larmes et les gémissements atténuent naturellement la tristesse. Et cela pour une double raison.

  1. Premièrement, 
    • parce que tout élément nocif enfermé à l'intérieur (interius) afflige davantage (parce que davantage est démultipliée (magis multiplicatur) l’attention (intentio) de l’âme à propos de lui ) ;
    • mais quand à l'extérieur (exteriora) il est dispersé, alors l’attention (intentio) de l’âme se trouve en quelque sorte désagrégée (disgregatur) à l'extérieur et ainsi la douleur intérieure est diminuée.

Et pour cela, quand des hommes qui sont dans la tristesse,

    • manifestent leur tristesse à l'extérieur
        • ou par des pleurs
        • ou par des gémissements
        • ou même par des paroles,
  • [alors] la tristesse est atténuée.

  1. Deuxièmement ...

(Somme, I-II.q38a2)

Lacrimae et gemitus naturaliter mitigant tristitiam. Et hoc duplici ratione.

  1. Primo quidem,
    • quia omne nocivum interius clausum magis affligit, quia magis multiplicatur intentio animae circa ipsum,
    • sed quando ad exteriora diffunditur, tunc animae intentio ad exteriora quodammodo disgregatur, et sic interior dolor minuitur.

Et propter hoc, quando homines qui sunt in tristitiis,

    • exterius suam tristitiam manifestant
        • vel fletu
        • aut gemitu,
        • vel etiam verbo,
  • mitigatur tristitia.

  1. Secundo, ...

 1. -- mitigant : on a hésité avec adoucir et apaiser. Nousa vons finalement gardé la traduction d'origine : "atténuée". Le terme mitigo, en effet, implique un mélange, quelque chose dont on diminue la réalité en mélengeant avec autre chose. La douleur reste, mais son intensité est alors moindre.

Intention, Intérieur, Extérieur, Souffrance, Pleurs, Paroles, Gémissements, Division, Attention, Atténuation, Mélange

Thomas d'Aquin - DeVer.q22a11ad7 - L'intellect n'abstrait que des réalités sensibles et matérielles

L’intellect n’abstrait de la matière que lorsqu’elle intellige les choses (res) sensibles et matérielles.

Mais lorsqu’elle intellige les choses (res) qui sont au dessus d’elle,

  • elle n’abstrait pas,
  • mais reçoit au contraire moins simplement que les réalités ne sont en elles mêmes ;

D'où, l'acte de la volonté qui est porté dans les choses mêmes telles qu'elles sont en elles-mêmes, reste plus simple et plus noble.

(DeVer.q22a11ad7)

Intellectus non abstrahit a materia nisi cum intelligit res sensibiles et materiales.

Cum vero intelligit res quae sunt supra ipsum,

  • non abstrahit,
  • immo recipit minus simpliciter quam sint res ipsae in seipsis;

unde remanet actus voluntatis qui fertur in ipsas res prout in seipsis sunt, simplicior et nobilior.

 


 1. -- Difficile à saisir sans lire la question complète.

Volonté, Intellect / Intelligence, Abstraction, Simplicité, Chose elle-même, Noblesse, Chose sensible, Chose matérielle, Matière

Thomas d'Aquin - I.q82a3 - Version complète : De l'intellect ou de la volonté, quelle est la plus grande ? - SOMMET - Y REVENIR

L'éminence d’une chose à l'égard d'une autre peut être considérée doublement, 

  • d'une manière : absolument (simpliciter),
  • d'une autre manière : selon un rapport (secundum quid).
  • Une chose est considérée telle absolument,
    • quand elle est telle selon elle-même,
  • et elle est telle selon un rapport,
    • quand elle est telle au regard d'une autre.

[Simpliciter -- l'objet est plus élevé donc la puissance est plus élevée]

Si l’intellect et la volonté sont considérées selon elles-mêmes, ainsi l’intellect est trouvée plus éminente.

Et cela apparaît à partir de la comparaison des objets entre eux.

L'objet de l'intellect, en effet, est plus simple et plus absolu que l'objet de la volonté.

  • C'est un fait que l’objet de l’intellect est la raison même de bien appétible [= la notion même de bien vers lequel on peut être porté] (ipsa ratio boni appetibilis) ; 
  • et le bien appétible, dont la ratio [= la notion] est dans l’intellect, est l’objet de la volonté.

Et plus quelque chose est plus simple et plus abstrait, plus il est selon soi noble et élevé. Et c’est pourquoi l’objet de l’intellect est plus élevé que l'objet de la volonté.

Avec donc [le fait que] la ratio propre d’une puissance est ordonnée [= dépend de son ordre] à l’objet, il s’ensuit que selon soi et absolument (simpliciter), l'intellect est plus élevée et plus noble que la volonté.

[Secundum quid]

Relativement (secundum quid) cependant, et par comparaison à un autre, la volonté est trouvée parfois plus élevée que l'intellect ; c'est à dire à partir du [fait] que l'objet de la volonté est trouvé dans une chose (altiori re) plus elevée que l'objet de l'intellect. 

Comme si je disais que l’ouïe est sous un certain rapport plus noble que la vue, parce que la chose qui produit le son est d’une plus grande perfection qu’une autre chose qui serait colorée, bien que la couleur soit plus noble et plus simple que le son.

C'est un fait qui a déjà été dit plus haut,

  • l'action de l'intellect consiste en cela que la ratio d'une chose intelligée est dans celui qui intellige ;
  • l’acte de la volonté, de son côté, est perfectionné en cela que la volonté est inclinée vers la chose-même (ipsam rem) telle qu'elle est en soi.

Et c'est pourquoi le Philosophe dit en Métaphysique VI

  • que le bien et le mal, qui sont objets de la volonté, sont dans les choses (rebus),
  • [et que] le vrai et le faux, qui sont objets de l’intellect, sont dans l’esprit.
  • Quand alors la chose (res) en laquelle est le bien est une chose plus noble que l’âme même (en laquelle est la raison (ratio) ayant été intelligée),
    • par comparaison à une telle chose (rem), la volonté est plus élevée que l'intellect.
  • Quand, d'un autre côté, la chose (res) en laquelle est le bien est une chose inférieure à l’âme,
    • à ce moment-là, par comparaison à une telle chose (rem)l’intellect est plus élevé que la volonté. 

D'où

  • il est meilleur d’aimer Dieu que de connaître [Dieu] ;
  • et au contraire il est meilleur de connaître les choses corporelles que de [les] aimer.

Toutefois, absolument (simpliciter) [parlant], l’intellect est plus noble que la volonté.

(Somme, I.q82a3)

Eminentia alicuius ad alterum potest attendi dupliciter,

  • uno modo, simpliciter;
  • alio modo, secundum quid.
  • Consideratur autem aliquid tale simpliciter,
    • prout est secundum seipsum tale,
  • secundum quid autem,
    • prout dicitur tale secundum respectum ad alterum.

[ ]

Si ergo intellectus et voluntas considerentur secundum se, sic intellectus eminentior invenitur.

Et hoc apparet ex comparatione obiectorum ad invicem.

Obiectum enim intellectus est simplicius et magis absolutum quam obiectum voluntatis,

  • nam obiectum intellectus est ipsa ratio boni appetibilis;
  • bonum autem appetibile, cuius ratio est in intellectu, est obiectum voluntatis.

Quanto autem aliquid est simplicius et abstractius, tanto secundum se est nobilius et altius. Et ideo obiectum intellectus est altius quam obiectum voluntatis.

Cum ergo propria ratio potentiae sit secundum ordinem ad obiectum, sequitur quod secundum se et simpliciter intellectus sit altior et nobilior voluntate.

[ ]

Secundum quid autem, et per comparationem ad alterum, voluntas invenitur interdum altior intellectu; ex eo scilicet quod obiectum voluntatis in altiori re invenitur quam obiectum intellectus.

Sicut si dicerem auditum esse secundum quid nobiliorem visu, inquantum res aliqua cuius est sonus, nobilior est aliqua re cuius est color, quamvis color sit nobilior et simplicior sono.

Ut enim supra dictum est,

  • actio intellectus consistit in hoc quod ratio rei intellectae est in intelligente;
  • actus vero voluntatis perficitur in hoc quod voluntas inclinatur ad ipsam rem prout in se est.

Et ideo philosophus dicit, in VI Metaphys.,

  • quod bonum et malum, quae sunt obiecta voluntatis, sunt in rebus;
  • verum et falsum, quae sunt obiecta intellectus, sunt in mente.

  • ... Quando igitur res in qua est bonum, est nobilior ipsa anima, in qua est ratio intellecta,
    • per comparationem ad talem rem, voluntas est altior intellectu.
  • Quando vero res in qua est bonum, est infra animam,
    • tunc etiam per comparationem ad talem rem, intellectus est altior voluntate.

Unde

  • melior est amor Dei quam cognitio,
  • e contrario autem melior est cognitio rerum corporalium quam amor.

Simpliciter tamen intellectus est nobilior quam voluntas.


1. -- Résumons :

  • l'objet de l'intellect : la raison de bien, la ratio boni, la notion de bien ;
  • l'objet de la volonté : le bien réel capable de nous mobilisé, de nous attiré, mais seulement si ce bien concret est appréhendé et jugé à travers la ratio boni qui est dans l'intellect.

Voilà pourquoi Thomas dit que l'objet de l'intelligence est plus simple, c'est que l'intellect n'a pas besoin de la volonté pour se porter vers son objet, c'est à dire la vérité des choses, celle-ci n'étant atteinte qu'à travers une appréhension qui permet ensuite le jugement : ce bien-ci est un bien. Alors que la volonté est dépendante de l'intellect. Ce qui ne signifie pas que sa dépendance la rende inférieure en tout, mais seulement quant à certains objets comme va le dire Thomas. Passionnant et extrêmement réaliste. Thomas, ici comme ailleurs, est d'une très grande finesse d'analyse.

A travers notre volonté, c'est à dire notre capacité d'aimer, nous n'aimons pas le bien en général, le bien universel, la notion ou l'idée de bien, mais nous aimons tel bien, telle personne, un Dieu bien réel.

De son côté, la connaissance de n'importe quelle vérité nous ennoblie mais l'amour de n'importe quel bien ne nous ennoblie pas nécessairement.

2. -- "la ratio propre d’une puissance est ordonnée à l’objet", cela signifie que la compréhension qu'on peut avoir d'une puissance est directement relative à son objet, on ne comprend ce qu'est une puissance que relativement à son objet. De même que la puissance d'un rateau ne se comprend pas s'il n'y a rien à ratisser car c'est seulement en découvrant les feuillles mortes ratissables que la puissance du rateau devient intelligible.

3. -- "in qua est ratio intellecta" : Intéressant de voir que dans le cas d'une chose plus noble que l'âme, Thomas prend soin de préciser que l'âme est l'âme en tant qu'elle a intelligé la raison de bien qui a servi à juger de la chose qui lui est supérieure. Et donc l'intellect lui-même participe dans le processus qui permet à l'âme de connaître qu'une réalité est plus digne d'être aimée que d'être connue. L'intellect collabore ici à son propre "retrait" au profit de la volonté.

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Sur cette question, voir p. 553, la note intéressante de FX Putallaz dans L'âme humaine, Le Cerf, 2018.

Voir aussi l'explication de Thomas dans De Veritate, q. 22, a. 11., plus détaillée bien qu'abordée à travers un vocabulaire et un angle un peu différents.

Perfection, Volonté, Intellect / Intelligence, Objet, Noblesse, Supériorité

Thomas d'Aquin - DePerf.11 - L'amour divin sort celui qui l'aime de son propre être pour être celui qu'il aime

Pour atteindre la perfection de la charité, il n’est pas seulement nécessaire

  • que l’homme écarte les réalités extérieures,
  • mais aussi que, en quelque manière, il s’abandonne complètement lui-même.

Denys dit en effet dans Les noms divins, chap. IV, que l’amour divin est faiseur d’extase [= provoque l'extase], c’est-à-dire qu’il met l’homme à l'extérieur de lui-même, en ne laissant pas l’homme être lui-même [= être à lui-même son propre être], mais [être] celui qui est aimé.

L’exemple en a été donné en lui-même par Paul, qui dit, en Ga 2, 20 : Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis : c’est plutôt le Christ qui vit en moi, comme s’il estimait que ce n’était pas sa [propre] vie, mais celle du Christ, car, en méprisant ce qui était proprement sien, il existe [litt. : adhère] totalement dans le Christ.

(DePerf.chap. 11)

Non solum autem necessarium est ad perfectionem caritatis consequendam quod

  • homo exteriora abiciat,
  • sed etiam quodammodo se ipsum derelinquat. 

Dicit enim Dionysius, 4 cap. De divinis nominibus, quod divinus amor est extasim faciens, id est hominem extra se ipsum ponens, non sinens hominem sui ipsius esse, sed eius quod amatur.

Cuius rei exemplum in se ipso demonstravit Apostolus dicens ad Gal. II, 20 Vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus, quasi suam vitam non suam aestimans, sed Christi; quia quod proprium sibi erat contemnens, totus Christo inhaerebat.

 


1. -- Celui qui aime vraiment, c'est à dire spirituellement et et d'une manière très forte, devient en quelque sorte celui qu'il aime. A plus forte raison quand celui qui est aimé est "celui qui est", celui de qui tout autre être dépend.

2. -- Extraordinaire de voir comment, dans un premier temps, on écarte les réalités extérieures, puis, dans un second, on est sorti de son propre être pour exister en une autre réalité. Il y a donc une bonne manière d'exister à l'extérieur !

3. -- "inhaerebat" : haereo signifie déjà "être attaché à", "adhérer à", le préfixe "in" ajoute une indication sur la manière dont se fait cet attachement. Il se fait à l'intérieur. Il faut rappeler que Thomas reprend à Denys l'un des effets de l'amour qui est l'inhésion en la personne aimée. On existe en l'autre lorsqu'on l'aime, cf. I.q28a2.

Amour, Perfection, Charité, Extérieur, Dieu, Être, Christ, Extase, Amour de Dieu, Vie

Thomas d'Aquin - I.q82a2ad1 - La volonté veut toujours quelque chose comme un bien mais n'est pas déterminée à vouloir tel bien.

  • Vouloir nécessairement le bien n'est pas vouloir nécessairement tel bien

La volonté ne peut tendre à rien sinon sous la raison de bien (ratio boni).

Mais parce que le bien est multiple, à cause de cela, elle n'est pas de nécessité déterminée à un seul [de ces biens].

(Somme, I.q82a2ad1)

Voluntas in nihil potest tendere nisi sub ratione boni.

Sed quia bonum est multiplex, propter hoc non ex necessitate determinatur ad unum.

 


 1. -- Rien ne peut être voulu s'il n'est pas voulu sous l'apparence de bien, sous la notion de bien. Ce qui ne signifie pas que ce qui est voulu soit un bien, mais seulement qu'il est voulu comme un bien.

Volonté, Bien, Nécessité, Détermination, Multiplicité, Détermination ad unum, Ratio boni

Thomas d'Aquin - I.q82a2ad3 - La puissance collative (la capacité de confronter) appartient la raison, non à la puissance sensitive et cela fonde le libre arbitre

La puissance sensitive

  • n’est pas une puissance collative à propos d'une diversité [de choses] (vis collativa diversorum), comme [l'est] la raison,
  • mais elle appréhende simplement une [seule chose].

Et

  • c'est pourquoi selon cette unique [chose] déterminée elle meut l'appétit sensitif.
  • Mais la raison est confrontation de plusieurs [choses] ; c’est pourquoi,
    • à partir de cette pluralité (ex pluribus), elle peut mettre en mouvement l’appétit intellectif, à savoir la volonté,
    • et non à partir d'une seule [chose] par nécessité (non ex uno ex necessitate).

(Somme, I.q82a2ad3)

Vis sensitiva

  • non est vis collativa diversorum, sicut ratio,
  • sed simpliciter aliquid unum apprehendit.

Et 

  • ideo secundum illud unum determinate movet appetitum sensitivum.
  • Sed ratio est collativa plurium, et ideo 
    • ex pluribus moveri potest appetitus intellectivus, scilicet voluntas,
    • et non ex uno ex necessitate.

 

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1. -- Pas de mouvement volontaire sans la capacité à confronter de la raison, donc pas d'acte libre.

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  • Vis (nominatif)
  • sensitiva (pluriel neutre - nominatif, accusatif, vocatif)
  • non est
  • vis (genitif)
  • collativa (vocatif ou ablatif)
  • diversorum (accusatif - Participe parfait passif - Masculin)

 

Un, Raison, Volonté, Mouvement, Nécessité, Multiplicité, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Diversité

Thomas d'Aquin - I.q83a1 - Le libre jugement provient de la confrontation de la raison

  • Ex collatione

L’homme agit à partir d'un jugement1, car, par la puissance cognitive, il juge

  • s’il faut fuir quelque chose
  • ou le poursuivre.

Mais parce que ce jugement

  • ne pro­vient pas d’un instinct naturel (naturali instinctu) portant sur un opérable particulier (in particulari operabili) [= une action particulière],
  • mais provient de quelque confrontation (ex collatione quadam - ablatif) de la raison,

il agit alors à partir d'un libre jugement (agit libero iudicio), pouvant se porter sur des objets divers (in diversa).

(Somme, I.q83a1) 

Homo agit iudicio, quia per vim cognoscitivam iudicat aliquid esse

  • fugiendum
  • vel prosequendum.

Sed quia iudicium istud

  • non est ex naturali instinctu in particulari operabili,
  • sed ex collatione quadam rationis,

ideo agit libero iudicio, potens in diversa ferri.

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1. agit libero iudicio : ablatif, il peut exprimer ici  le point de départ ou/et le moyen.

Raison, Libre arbitre, Connaissance, Multiplicité, Libre jugement, Instinct, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa)

Thomas d'Aquin - I.q82a1 - Ce que nous appelons « volontaire »

Le mouvement de la volonté est une certaine inclination vers quelque chose ;

et c’est pourquoi,

  • de même que quelque chose est dit « naturel » parce que [cette chose] est selon une inclination de la nature,
  • de même quelque chose est dit « volontaire » parce que [cette chose] est selon l’in­clination de la volonté.

(Somme, I.q82a1)

Motus voluntatis est inclinatio quaedam in aliquid.

Et ideo

  • sicut dicitur aliquid naturale quia est secundum inclinationem naturae,
  • ita dicitur aliquid voluntarium quia est secundum inclinationem voluntatis.

 


1. -- Intéressant de voir à quel point ce qui est dit volontaire n'a rien à voir avec la notion actuelle, celle du sujet qui se propose de faire quelque chose de par sa propre volonté qu'il pose comme absolu et comme vide de tout objet pré-determiné. Le mot inclination chez Thomas peut se prendre ou de la fin ou des moyens (voir DeVer.q22a4). La volonté est inclinée au bonheur de manière nécessaire mais la volonté peut s'incliner elle-même quant aux moyens qu'elle prend pour parvenir au bonheur.

Nature, Volonté, Mouvement, Inclination

Thomas d'Aquin - DeVer.q22a4 - Il y a trois sortes d'inclinations : deux non libres, une qui fonde la liberté

En effet,

  • plus une nature est proche de Dieu,
  • plus la similitude de la dignité divine est trouvée expressive en elle.

Or il revient à la dignité divine de mouvoir, incliner et diriger toutes choses, Dieu lui-même n’étant mû, incliné ou dirigé par rien d’autre. Par conséquent,

  • plus quelque nature est voisine de Dieu,
  • moins elle est inclinée par autre chose,
  • et plus elle est de nature à s’incliner elle-même.

Ainsi, la nature insensible qui (...)

La nature sensitive, étant (...)

[En quoi la nature rationnelle peut-elle s'incliner elle-même]

Mais la nature rationnelle (qui est supérieurement voisine de Dieu),

  1. n’a pas seulement (non solum) l’inclination vers quelque chose,
    • comme les réalités inanimées,
  2. ni seulement le moteur de cette inclination qui lui est pour ainsi dire (quasi) déterminée d’ailleurs,
    • comme la nature sensible,
  3. mais outre cela elle a en son pouvoir l’inclination elle‑même,
    • de sorte qu’il n’est pas nécessaire pour elle d’être inclinée vers l’appétible appréhendé,
    • mais elle peut
      • être inclinée
      • ou non inclinée.

Et ainsi, cette inclination ne lui est pas déterminée

  • par autre chose,
  • mais par elle‑même.

Et cela lui convient parce qu’elle n’use pas d’un organe corporel ; et ainsi,

  • s’éloignant de la nature sujette à être mue, [natura (ablatif d'origine) ; mobilis (génitif) mobile, capable d'être mû ]
  • elle accède à la nature de moteur et d’agent.

Et qu’une chose se détermine à soi‑même une inclination vers la fin, ne peut se produire que si

  • elle connaît la fin
  • et la relation de la fin aux moyens :

ce qui est le propre de la raison seulement.

Voilà pourquoi un tel appétit, que nul autre ne détermine de nécessité, suit l’appréhension de la raison ;

d'où, l’appétit rationnel, que l’on appelle volonté, est une puissance autre que l’appétit sensitif.

(DeVer.q22a4)

 

  • Quanto enim aliqua natura est Deo propinquior,
  • tanto expressior in ea divinae dignitatis similitudo invenitur.

Hoc autem ad divinam dignitatem pertinet ut omnia moveat et inclinet et dirigat, ipse a nullo alio motus vel inclinatus aut directus. Unde,

  • quanto aliqua natura est Deo vicinior,
  • tanto minus ab alio inclinatur
  • et magis nata est seipsam inclinare.

Natura igitur insensibilis, (...)

Natura vero sensitiva ut (...)

[Natura rationalis]

Sed natura rationalis, quae est Deo vicinissima,

  1. non solum habet inclinationem in aliquid
    • sicut habent inanimata,
  2. nec solum movens hanc inclinationem quasi aliunde ei determinatam,
    • sicut natura sensibilis ;
  3. sed ultra hoc habet in potestate ipsam inclinationem,
    • ut non sit ei necessarium inclinari ad appetibile apprehensum,
    • sed possit
      • inclinari
      • vel non inclinari.

 

Et sic ipsa inclinatio non determinatur ei

  • ab alio,
  • sed a seipsa.

Et hoc quidem competit ei in quantum non utitur organo corporali : et sic

  • recedens a natura mobilis,
  • accedit ad naturam moventis et agentis.

Quod autem aliquid determinet sibi inclinationem in finem, non potest contingere nisi cognoscat

  • finem,
  • et habitudinem finis in ea quae sunt ad finem :

quod est tantum rationis.

Et ideo talis appetitus non determinatus ex aliquo alio de necessitate, sequitur apprehensionem rationis ; unde appetitus rationalis, qui voluntas dicitur, est alia potentia ab appetitu sensibili.

 

 


1. -- Liberté et inclination à l'égard de l'amour, voir II-II.q19a4.

2. -- Très important de bien faire attention aux termes "non seulement", "nécessaire" et "nécessité". Cela rend le fait que les trois niveaux d'inclination cohabitent. Nous sommes inclinés parce que nous sommes des objets physiques, parceque nous sommes des êtres sensibles (connaissance et appétit sensibles), mais au-delà (ultra) de ces deux niveaux nous accédons à une nature capable de se déterminer par elle-même et non plus par "un autre". Mais attention, cela ne signifie pas que nous édictons ex nihilo les règles selon lesquelles notre appétit va tendre vers telle ou telle chose : TH. dit bien que si nous accédons à ce niveau c'est en raison du fait que nous connaissons la fin et les moyens qui peuvent y mener ; alors nous pouvons agir par nous-mêmes grâce à cette connaissance. Rappelons que pour TH. on ne délibère pas à propos de la fin, on la découvre seulement. Il s'agit d'une adhésion libre et non d'une choix arbitraire de notre propre fin. C'est pourquoi TH. dit "un appétit que nul autre ne détermine de nécessité", c'est à dire qu'il y a une détermination mais elle n'est pas nécessaire, il faut y adhérer.

3. -- Il serait intéressant d'étudier si TH. n'est pas légèrement plus volontariste au début de sa carrière comme ici dans le DeVer.

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Liberté, Inclination, Fin, Connaissance, Moyens, Causa sui, Moteur, Agent

Thomas d'Aquin - I-II.q37a2 - La tristesse est un poids qui peut à ce point atterrer qu'elle peut aller jusqu'à l'inertie totale (stupidus)

  • La métaphore de la pesanteur qui immobilise le corps physique au sol

Les effets des passions de l’âme sont parfois nommées métaphoriquement, selon une similitude avec les corps sensibles, en cela que les mouvements de l’appétit animal sont similaires (similes) aux inclinations de l’appétit naturel [= celui existant même dans les objets physiques].

Et sur ce mode

  • la ferveur (fervor) est attribuée à l’amour,
  • la dilatation (dilatatio) au plaisir,
  • et l’appesentissement (aggravatio) à la tristesse.

On dit en effet qu’un homme est appesanti (aggravari) lorsqu’un poids empêche son mouvement propre.

[Avec le poids croissant de la tristesse, augmente l'impossibilité d'échapper à l'inertie]

Or il est manifeste, d’après ce qui a été dit précédement, que la tristesse arrive à partir d’un mal présent. Celui-ci, de ce fait même qu’il répugne au mouvement de la volonté, appesentit l'âme (aggravat animum), en tant qu'il l'empêche d'avoir la fruition (fruatur) [= jouir] de ce qu’elle veut.

S'il n'y a pas une telle force (vis) de tristesse qu'elle ôte l'espoir d'échapper (spem evadendi)

  • bien que l’âme soit appesentie par cela que, présentement, elle ne peut obtenir (potitur) ce qu’elle veut ;
  • il reste cependant un mouvement pour repousser la [chose] nocive qui l’attriste.

Mais si la force (vis) du mal super-accroît (superexcrescat) à un point tel qu'il exclut l'espoir d’y échapper (spem evasionis excludat),

  • alors, même le mouvement intérieur (interior motus) de l’âme angoissée (animi angustiatilitt. : rétrécie) est absolument empêché (simpliciter impeditur),
  • ainsi il ne peut se détourner ni d'un côté ni de l'autre.

Et parfois est empêché le mouvement extérieur du corps (exterior motus corporis), de telle sorte que l'homme reste figé en lui-même (stupidus in seipso).

(Somme, I-II.q37a2)

Effectus passionum animae quandoque metaphorice nominantur, secundum similitudinem sensibilium corporum, eo quod motus appetitus animalis sunt similes inclinationibus appetitus naturalis.

Et per hunc modum

  • fervor attribuitur amori,
  • dilatatio delectationi,
  • et aggravatio tristitiae.

Dicitur enim homo aggravari, ex eo quod aliquo pondere impeditur a proprio motu.

[ ]

Manifestum est autem ex praedictis quod tristitia contingit ex aliquo malo praesenti. Quod quidem, ex hoc ipso quod repugnat motui voluntatis, aggravat animum, inquantum impedit ipsum ne fruatur eo quod vult.

Et si quidem non sit tanta vis mali contristantis ut auferat spem evadendi,

  • licet animus aggravetur quantum ad hoc, quod in praesenti non potitur eo quod vult;
  • remanet tamen motus ad repellendum nocivum contristans.

Si vero superexcrescat vis mali intantum ut spem evasionis excludat,

  • tunc simpliciter impeditur etiam interior motus animi angustiati,
  • ut neque hac neque illac divertere valeat.

Et quandoque etiam impeditur exterior motus corporis, ita quod remaneat homo stupidus in seipso.

 


1. -- On notera l'extraordinaire précision de cette analyse qui n'a rien perdue de sa justesse, bien au contraire.

2. -- C'est ainsi que dans le langage courant on dit être atterré par telle nouvelle ou par telle situation, on est semblable à la pierre ramenée au sol.

Mal, Mouvement, Tristesse, Corps, Joie, Souffrance, Angoisse, Âme, Fruition, Poids, Stupidité

Thomas d'Aquin - I-II.q36a4 - L'appétit naturel d'unité est cause de souffrance, tout comme l'appétit du bien

  • Tout être désire naturellement l’unité

 

 
  • Le bien en n'importe quelle chose (rei) consiste en une certaine unité, selon que chaque chose (res) tient unis en soi les [éléments] de sa perfection ;
    • d'où les platoniciens posaient que l’un était principe, tout comme le bien.
  • D'où, chaque [chose] appète [= désire] naturellement l'unité, tout comme la bonté.
  • Et c’est pour cela que, comme l'amour ou l'appétit du bien est cause de douleur, de même l'amour ou l'appétit de l'unité.

(Somme, I-II.q36a4)

  • Bonum enim uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit, prout scilicet unaquaeque res habet in se unita illa ex quibus consistit eius perfectio,
    • unde et platonici posuerunt unum esse principium, sicut et bonum.
  • Unde naturaliter unumquodque appetit unitatem, sicut et bonitatem.
  • Et propter hoc, sicut amor vel appetitus boni est causa doloris, ita etiam amor vel appetitus unitatis. 

 

 

 

 

D'où la douleur n’est pas causée par l'appétit de n’importe quelle unité, mais de celle en laquelle constitue la perfection de la nature.

 (Somme, I-II.q36a4ad1)

Unde dolor non causatur ex appetitu cuiuslibet unitatis, sed eius in qua consistit perfectio naturae.

 

 

 

 

Amour, Perfection, Un, Bien, Appétit, Platon, Unité, Douleur

Thomas d'Aquin - I.q79a10 - Distinction intelligence et intellect

Ce nom "intelligence" signifie proprement l'acte même de l'intellect qui est intelliger. (...) Ainsi donc l'intelligence de l'intellect n'est pas distinguée

  • comme une puissance à l'égard d'une puissance ;
  • mais comme l'acte d'une puissance.

(Somme, I.q79a10)

 

Hoc nomen intelligentia proprie significat ipsum actum intellectus qui est intelligere. (...) Sic ergo intelligentia ab intellectu non distinguitur

  • sicut potentia a potentia;
  • sed sicut actus a potentia.

 

 

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Acte, Puissance, Intellect / Intelligence, Intelligence, Intellect

Thomas d'Aquin - I.q79a10ad3 - Intelligence | Intention | Raisonnement-Découverte | Jugement | Sagesse | Parole intérieure | Parole extérieure

Tous ces actes que le Damascène énumère sont une seule puissance, c'est à dire la [puissance] intellectuelle.

  1. Premièrement elle appréhende simplement quelque chose, et cet acte est dit intelligence.
  2. Deuxièmement, ce qu’elle a appréhendé, elle l'ordonne à quelque chose d'autre à connaître ou à opérer [= agir], et cela est appelé intention.
  3. Alors qu'elle persiste à chercher ce vers quoi elle tend, cela est appelé découverte par la réflexion.
  4. Alors qu'elle examine ce qui a été découvert par la réflexion pour [parvenir] à quelque chose de certain, cela est dit connaître ou faire oeuvre de sagesse (scire ver sapere) ; ce qu'est la phronèsis ou la sagesse, car "la sagesse c'est juger ", comme il est dit en Métaphysique I.
  5. Alors qu'elle tient quelque chose pour certain, comme quelque chose qui a été examiné, elle pense à comment manifester [= communiquer] cela aux autres, et cela est la disposition de la parole intérieure (intrioris sermonis) ;
  6. de quoi procède la parole extérieure (exterior locutio).

Et en effet toute différence dans les actes ne se diversifie pas en puissances ; mais celle-là seulement qui ne peut être réduite au même principe, comme il a été dit plus haut.

(Somme, I.q79a10ad3)

 

Omnes illi actus quos Damascenus enumerat, sunt unius potentiae, scilicet intellectivae.

  1. Quae primo quidem simpliciter aliquid apprehendit, et hic actus dicitur intelligentia.
  2. Secundo vero, id quod apprehendit, ordinat ad aliquid aliud cognoscendum vel operandum, et hic vocatur intentio.
  3. Dum vero persistit in inquisitione illius quod intendit, vocatur excogitatio.
  4. Dum vero id quod est excogitatum examinat ad aliqua certa, dicitur scire vel sapere; quod est phronesis, vel sapientiae, nam sapientiae est iudicare, ut dicitur in I Metaphys.
  5. Ex quo autem habet aliquid pro certo, quasi examinatum, cogitat quomodo possit illud aliis manifestare, et haec est dispositio interioris sermonis;
  6. ex qua procedit exterior locutio.

Non enim omnis differentia actuum potentias diversificat; sed solum illa quae non potest reduci in idem principium, ut supra dictum est.

  

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1. -- Excogitatio : Ch. V. Héris : réflexion ; F.-X. Putallaz : invention.

2. -- Appréhension --> Intention --> Réflexion --> Jugement (oeuvre de sagesse) --> Parole intérieure --> Parole extérieure

3. -- On notera que l'appréhension est ici appelée intelligence, c'est à dire acte de l'intellect. Mais l'appréhension n'est pas le seul acte de l'intellect, celui-ci peut aussi juger, (même si, pour se faire, il est souvent besoin de faire appel aux raisonnements de la raison). Voir DeVer.q15a1ad4.

Acte, Puissance, Sagesse, Communication, Intention, Raisonnement, Intelligence, Intellect, Excogitatio, Découverte, Invention, Réflexion, Parole, Sermon, Langage, Phronésis, Certitude, Manifestation

Thomas d'Aquin - I.q62a8ad2 - La volonté peut se porter sur des opposés SI ils ne sont pas ordonnés naturellement

  • Les puissances rationnelles peuvent se porter sur des opposés dans ces [choses] auxquelles elles ne sont pas ordonnées naturellement (non ordinantur naturaliter) ;
  • mais quant à ces [choses] auxquelles elles sont ordonnées naurellement, elles ne peuvent se porter sur des opposés.
  • L'intellect, en effet, ne peut pas ne pas assentir (assentire) aux principes naturellement connus ;
  • et de même la volonté ne peut pas ne pas adhérer (adhaerere) au bien en tant qu'il est un bien,
    • parce qu'elle est naturellement ordonnée au bien comme à son objet.

(Somme, I.q62a8ad2)

 
  • Virtutes rationales se habent ad opposita in illis ad quae non ordinantur naturaliter,
  • sed quantum ad illa ad quae naturaliter ordinantur, non se habent ad opposita.
  • Intellectus enim non potest non assentire principiis naturaliter notis,
  • et similiter voluntas non potest non adhaerere bono inquantum est bonum,
    • quia in bonum naturaliter ordinatur sicut in suum obiectum.

Mettre cette déclaration "les facultés rationnelles (...) ne peuvent être ordonnées par nature à des objets opposés" en regard des propositions de Duns Scot sur les opposés objets de la volonté.

Volonté, Bien, Duns Scot, Assentiment, Ordre, Principes (premiers), Opposés, Intellect, Adhésion

Thomas d'Aquin - I-II.q29a6 - On peut parler de l’universel de deux façons

De l'universel d'une double manière il arrive qu'on parle,

  • d'une manière, selon qu’on le considère sous l'intention d’universalité, 
  • d'une autre manière selon la nature à laquelle cette intention est attribuée ; 

en effet

  • autre est la considération de l’homme universel,
  • autre est la considération de l’homme en tant qu’homme.

(Somme, I-II.q29a6)

De universali dupliciter contingit loqui, 

  • uno modo, secundum quod subest intentioni universalitatis; 
  • alio autem modo, de natura cui talis intentio attribuitur, 
  • alia est enim consideratio hominis universalis,
  • et alia hominis in eo quod homo.

 


1. -- Autre est l'idée d'homme, son concept universel, sans rapport direct à tel homme ; autre est le fait de regarder tel homme en tant qu'il est homme, de voir en lui qu'il est un homme.

Nature, Universel, Intention, Attribution, Universalité

Thomas d'Aquin - I.q62a8 - On ne veut et n'agit toujours qu'en vue du bien

 

Il est impossible que

  • quelqu'un veuille ou opère [= agisse] quoi que ce soit, si ce n'est pour tendre au bien ;
  • ou qu'il veuille se détourner du bien, en tant que tel (inquantum huiusmodi).

(Somme, I.q62a8)

Impossibile est autem

  • quod aliquis quidquam velit vel operetur, nisi attendens ad bonum;
  • vel quod velit divertere a bono, inquantum huiusmodi.

 

Action, Volonté, Bien, Impossible, Appétit, Opération

Thomas d'Aquin - DeVer.q15a1 - EN COURS - Différence intellect / raison

  • En effet, "intellect" semble désigner une connaissance simple et absolue ;
    • car on dit que quelqu’un intellige parce que, à l'intérieur, il lit en quelque sorte la vérité dans l’essence même de la chose (rei).
  • Quant à "raison", il désigne une certaine discursion
    • par laquelle l’âme humaine atteint ou parvient à la connaissance d’une chose à partir d’une autre.
  • Intellectus enim simplicem et absolutam cognitionem designare videtur;
    • ex hoc enim aliquis intelligere dicitur quod intus in ipsa rei essentia veritatem quodammodo legit.
  • Ratio vero discursum quemdam designat,
    • quo ex uno in aliud cognoscendum anima humana pertingit vel pervenit. (...)

 

  • Mais tout mouvement procède de l’immobile, comme dit saint Augustin au huitième livre Sur la Genèse au sens littéral;
  • en outre, la fin du mouvement est le repos, comme il est dit en Physique V,

et ainsi, le mouvement se rapporte au repos 

  • et comme à un principe
  • et comme à un terme.

De même aussi la raison se rapporte à l’intelligence

  • comme le mouvement au repos,
  • et comme la génération à l’être,

comme cela est patent à partir de l'autorité de Boèce citée plus haut ; elle se rapporte à l’intelligence

  • comme à un principe
  • et comme à un terme.

°°° Comme à un principe, car l’esprit humain ne pourrait pas procéder discursivement d’une chose à l’autre si son processus discursif ne commençait par quelque simple réception d’une vérité, réception qui relève de l’intelligence des principes.

Semblablement, le processus discursif de la raison ne parviendrait pas à quelque chose de certain, si ce qui est trouvé par ce processus n’était confronté aux principes premiers auxquels réduit analytiquement la raison.

Si bien que l’intelligence se trouve être le principe de la raison quant à la voie d’invention, et son terme quant à la voie de jugement.

(DeVer.q15a1)

  • Motus autem omnis ab immobili procedit, ut dicit Augustinus, VIII super Genes. ad litteram;
  • motus etiam finis est quies, ut in V Physic. dicitur.

Et sic motus comparatur ad quietem

  • et ut ad principium
  • et ut ad terminum,

ita etiam et ratio comparatur ad intellectum

  • ut motus ad quietem,
  • et ut generatio ad esse;

ut patet ex auctoritate Boetii supra inducta. Comparatur ad intellectum

  • ut ad principium
  • et ut ad terminum.

Ut ad principium quidem, quia non posset mens humana ex uno in aliud discurrere, nisi eius discursus ab aliqua simplici acceptione veritatis inciperet, quae quidem acceptio est intellectus principiorum. Similiter etiam nec rationis discursus ad aliquid certum perveniret, nisi fieret examinatio eius quod per discursum invenitur, ad principia prima, in quae ratio resolvit.

Ut sic intellectus inveniatur rationis principium quantum ad viam inveniendi, terminus vero quantum ad viam iudicandi.

 

 

Raison, Intellect / Intelligence, Intelligere, Chose, Chose elle-même, Etymologie

Thomas d'Aquin - I-II.q29a6 - La colère est toujours causée par quelque chose de particulier

La colère toujours est causée à partir de quelque chose de particulier, parce qu'elle [est causée] à partir de quelque acte qui nous a blessé ; et les actes sont [des choses] particulières.

Et c'est pour cela que le Philosophe dit que "la colère est à propos d'une [chose] singulière, tandis que la haine peut exister à propos de quelque chose en général". [Thomas se plaçant ici uniquement au plan passionnel.]

(Somme, I-II.q29a6)

Ira semper causatur ex aliquo particulari, quia ex aliquo actu laedentis; actus autem particularium sunt.

Et propter hoc philosophus dicit quod ira semper est ad aliquid singulare; odium vero potest esse ad aliquid in genere.

 

 

 

 

Acte, Particulier, Passions, Colère, Blessure, Haine, Général

Thomas d'Aquin - I.q60a2 - (1) Différence connaissance / amour : l’acte de l'appétit volontaire met en rapport celui qui désire avec la chose-même - (2) Le bien ultime est désiré et choisi par soi, le moyen à cause du bien-fin-ultime

S'il y a dans l'ange la dilection élective [= amour de choix] Utrum in angelis sit dilectio elective

[Chez les anges]

Chez les anges existe

  • une certaine dilection naturelle
  • et une certaine dilection élective ;

et la dilection naturelle, en eux, est principe de [la dilection] élective,

  • parce que, toujours, ce qui relève du premier a raison de principe (ratio principii) ; 
    • de sorte que, puisque la nature est première en chaque [être], il faut que ce qui relève de la nature soit principe en ces [êtres].

[Chez les hommes]

Et cela apparaît chez les hommes

  • et quant à son intellect
  • et quant à sa volonté.
  • L’intellect, en effet, connaît les principes naturellement, et, à partir de cette connaissance est causée en l'homme la science des conclusions,
    • lesquelles ne sont pas connues naturellement par l'homme,
      • mais [seulement] par la recherche ou par l’enseignement (doctrinam).
  • Pareillement (similiter) dans la volonté, la fin se prend sur ce mode, comme le principe pour l'intellect, comme il est dit dans Physiques, II.

C’est pourquoi la volonté tend naturellement vers sa fin ultime, car tout homme veut naturellement la béatitude. De cette volonté naturelle dérivent tous les autres volontés ; car tout ce que veut l’homme, il le veut en vue de la fin.

  • La dilection du bien que l’homme veut naturellement comme fin, est une dilection naturelle.
  • La dilection qui en est dérivée, qui est un bien aimé (diligitur) en vue de la fin, est une dilection élective.

In angelis est

  • quaedam dilectio naturalis
  • et quaedam electiva.

Et naturalis dilectio in eis est principium electivae,

  • quia semper id quod pertinet ad prius, habet rationem principii;
    • unde, cum natura sit primum quod est in unoquoque, oportet quod id quod ad naturam pertinet, sit principium in quolibet.

Et hoc apparet in homine

  • et quantum ad intellectum,
  • et quantum ad voluntatem.
  • Intellectus enim cognoscit principia naturaliter, et ex hac cognitione causatur in homine scientia conclusionum,
    • quae non cognoscuntur naturaliter ab homine, sed per inventionem vel doctrinam.
  • Similiter in voluntate finis hoc modo se habet, sicut principium in intellectu, ut dicitur in II physic..

Unde voluntas naturaliter tendit in suum finem ultimum, omnis enim homo naturaliter vult beatitudinem. Et ex hac naturali voluntate causantur omnes aliae voluntates, cum quidquid homo vult, velit propter finem.

  • Dilectio igitur boni quod homo naturaliter vult sicut finem, est dilectio naturalis,
  • dilectio autem ab hac derivata, quae est boni quod diligitur propter finem, est dilectio electiva.

Cela, cependant, se prend différemment de la partie de l'intellect, et [de la partie de] la volonté.

  • Parce que, comme il a été dit plus haut, la connaissance de l'intellect se fait selon que les choses connues (res cognitae) sont dans celui qui connaît.
    • Or, du fait de l’imperfection de la nature intellectuelle dans l'homme,
      • que, de manière non immédiate, son intellect a naturellement [connaissance] de tous les intelligibles,
      • mais quelques-uns [seulement], à partir desquels il est mû vers certains autres.
  • Mais l’acte de la puissance (virtutis) appétitive est [= se réalise], au contraire (e converso), selon l'ordre de l'appétit vers la chose (res).
    • Or, certaines de ces [choses]
      • sont bonnes en elles-mêmes (secundum se bona)
      • et donc appétibles [= désirables] en elles-mêmes (secundum se appetibilia) ;
    • et il y a certaines [choses]
      • dont la ratio boni [= ~ la bonté] tient à leur ordre à autre chose,
      • et qui sont appétibles à cause de cette autre chose.

[Peu importe qui désire, c'est naturellement qu'on désire la fin et électivement qu'on désire les moyens]

D'où, ce n'est pas du fait de l'imperfection de celui qui appète  

  • que quelqu'un (aliquid) appète naturellement [une réalité] comme fin, 
  • et que quelqu'un (aliquid) appète par élection [une réalité] comme ordonnée à la fin.

Hoc tamen differenter se habet ex parte intellectus, et voluntatis.

  • Quia, sicut supra dictum est, cognitio intellectus fit secundum quod res cognitae sunt in cognoscente.
    • Est autem ex imperfectione intellectualis naturae in homine,
      • quod non statim eius intellectus naturaliter habet omnia intelligibilia,
      • sed quaedam, a quibus in alia quodammodo movetur.
  • Sed actus appetitivae virtutis est, e converso, secundum ordinem appetentis ad res.
    • Quarum quaedam
      • sunt secundum se bona,
      • et ideo secundum se appetibilia,
    • quaedam vero 
      • habent rationem bonitatis ex ordine ad aliud,
      • et sunt appetibilia propter aliud.

[ ]

Unde non est ex imperfectione appetentis, quod

  • aliquid appetat naturaliter ut finem,
  • et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.

[Retour au cas de l'ange, ce qui se passe au plan de la connaissance ne se retrouve pas au plan de l'amour]

Donc, puisque la nature de l’ange est parfaite,

  1. on trouve en lui
    • seulement la connaissance naturelle,
    • non la connaissance ratiocinante (ratiocinativa) [= raisonnante].
  1. Mais on trouve en lui la dilection
    • et naturelle
    • et élective.

[Tout cela a été dit au plan simplement naturel, qui est d'ailleurs insuffisant]

Mais ces [choses] ont été dites en laissant de côté celles qui sont au-dessus de la nature (supra naturam), car la nature de celles-ci n'est pas un principe suffisant. De cela, il sera dit plus bas.

(Somme, I.q60a2)

[ ]

Quia igitur natura intellectualis in angelis perfecta est,

  1. invenitur in eis
    • sola cognitio naturalis,
    • non autem ratiocinativa,
  1. sed invenitur in eis dilectio
    • et naturalis
    • et electiva.

[ ]

Haec autem dicta sunt, praetermissis his quae supra naturam sunt, horum enim natura non est principium sufficiens. De his autem infra dicetur.

 

 -----

0. --  Dilection = amour spirituel impliquant un choix conscient, à la différence de l'amour instinctif et de l'amour passionnel et même de l'amour spirituel dans son tout premier moment, avant que l'intention de se porter vers l'objet aimé n'entre en jeu. Ici, Thomas ne parle que de dilection, ce qui signifie qu'il parle d'un amour du bonheur et d'un amour des moyens dans lesquels réside déjà un choix conscient, un certain jugement. On n'est pas au moment tout à fait premier de la naissance de ces amours.

1. --  Dans l'étude des passions Thomas parlera de l'amour naturel distingué de l'amour sensitif et de la dilection. Ici, il parle de dilection naturelle. Il serait intéressant de bien distinguer amour naturel et dilection naturelle. Le mot nature n'est pas utilisé exactement dans le même sens... A creuser. La dilection naturelle serait l'amour conscient qu'on est amené à élire suite à l'amour naturel du bonheur. Choisir ce qui pourtant s'impose. Il est assez amusant de relever chez Thomas l'expression "dilection élective" puisque l'élection fait déjà partie de ce qu'est la dilection. Il y a une double élection qui se fait en cascade : la dilection simple dans laquelle on aime d'un amour choisi la fin (qualifiée de naturelle par TH.) puis la dilection de ce qui, propement, est objet d'élection : le moyen. C'est très subtil, mais pas étonnant de la part de Thomas qui expérimente ce dont il parle, cette expérience qui révèle la complexité de la vie humaine lorsqu'on l'analyse (elle est bien plus simple lorsqu'on la vit, comme la voiture apparaît complexe quand elle est entièrement démontée, mais simple quand elle roule). On se demande comme ce manuel pour débutants qu'est la Somme peut être compris par les dits débutants !

2. -- Le principe est à l'intellect ce que la fin est à la volonté.

  • En s'appuyant sur un principe, l'intellect parvient à des conclusions par le raisonnement, ces conclusions n'étant pas évidentes au point de départ.
  • En s'appuyant sur la fin (la dilection du bonheur), la volonté parvient par délibération à vouloir des biens intermédiaires, des moyens en vue de la fin, qui n'étaient pas évidents dans la dilection naturelle initiale du bonheur.

La conclusion issue du raisonnement est analogue au choix issu de la délibération.

---
 
A. -- On notera ce que nous prenons comme une grossière erreur de traduction :
 
Unde non est ex imperfectione appetentis, quod aliquid appetat naturaliter ut finem, et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.
qui a été rendu par : 
 
Ce n’est donc pas du fait de son imperfection que le sujet désirant veut ceci naturellement comme sa fin, et cela électivement, en l’ordonnant à sa fin. 
 
"et aliquid" est traduit par "et ceci", ce qui ne répond pas des deux choses désirées : le bien ultime comme fin, et les moyens ordonnés à cette fin.
 

Raison, Libre arbitre, Volonté, Intellect / Intelligence, Analogie, Principes (premiers), Prédétermination, Fin ultime

Thomas d'Aquin - I.q59a3ad3 - La liberté en soi étrangère à la contrainte vs le libre arbitre exercée à travers notre conditionnement

  • ... qui, lui, peut subir des contraintes

Le libre arbitre, chez les anges supérieurs, existe sur un mode plus noble que chez les [hommes] inférieurs, comme [c'est le cas] aussi pour le jugement de l'intellect.

[Cependant,] il est vrai que la liberté elle-même (ipsa libertas)

  • selon qu'est considérée en elle un certain rejet (quaedam remotio) de la contrainte (coactionis),
    • ne soutient pas de plus ou de moins,
      • parce que toute privation et toute négation ne peuvent être diminuées ou augmentées par elles-mêmes (per se),
  • mais [soutient le plus ou le moins] seulement
    • par sa cause (per suam causam),
    • ou selon que quelque affirmation est adjointe.

(Somme, I.q59a3ad3)

Liberum arbitrium nobiliori modo est in superioribus angelis, quam in inferioribus, sicut et iudicium intellectus.

Verum est quod ipsa libertas,

  • secundum quod in ea consideratur quaedam remotio coactionis,
    • non suscipit magis et minus,
      • quia privationes et negationes non remittuntur nec intenduntur per se,
  • sed solum
    • per suam causam,
    • vel secundum aliquam affirmationem adiunctam.

 

 -----

1. -- On considère dans la liberté une certaine opposition à la contrainte. Est-ce là la trace de la réserve que TH. va mentionner plus bas ?

2. -- TH. parle dans un premier temps du libre arbitre pour dire qu'il existe sur un mode supérieur chez l'ange comparativement au mode selon lequel il existe chez l'homme.

Puis il apporte une nuance en ne parlant plus cette fois-ci du libre arbitre lui-même mais du terme abstrait "liberté". Il peut alors dire que la liberté en elle-même (ipsam libertas) est étrangère à la contrainte parce qu'il considère la raison de liberté, la notion de liberté, en elle-même, dans sa pureté conceptuelle.

Ensuite il ne la considère plus en elle-même, mais selon sa cause (per suam causam). Quelle est la cause de la liberté ? C'est bien notre capacité à juger que telle chose est un bien, que telle chose est un moyen efficace pour parvenir à la fin. C'est le mot "affirmation" que Thomas utilise ici, une affirmation est un jugement. Or, notre jugement peut être altéré, c'est alors que notre libre arbitre (c'est à dire la liberté dans son exercice concret, non plus considérée seulement en elle-même), dans son exercice, peut soutenir le plus et le moins. L'expérience le montre, grâce à nos efforts, à la qualité de notre application, la qualité de nos jugements et de ses conséquences pratiques s'améliorent dans le temps et nous devenons par là de plus en plus libre effectivement.

Première version de mon commentaire : Autant la notion de liberté n'implique pas le plus et le moins, autant l'exercice de notre libre arbitre se fait à travers notre conditionnement (psychologique, moral, culturel, corporel, etc.... et simplement par le fait que nous devenons de plus en plus humain). Par là-même, cet exercice est susceptible d'être plus ou moins libre.

Liberté, Contrainte, Plus / Moins

Thomas d'Aquin - DeVer.q10a4 - EN COURS - L'être de la forme par laquelle on connaît n'est pas l'être de la chose connue

[Point de vue de la connaissance]

Le mode de connaissance d’une certaine chose [existante] se fait selon la condition de celui qui connaît, en qui la forme est reçue selon son mode [d’être].

[Point de vue de la res (de la chose existante)]

En revanche, il ne faut pas [nécessairement] que la réalité connue (res cognita) soit

  • selon le mode de celui qui connaît [la chose existante de ne se réduit pas à la manière dont on la connaît],
  • ou selon le mode selon lequel la forme,
      • qui est le principe de la connaissance,
    • a l’être dans le connaissant ; [l'être de la forme par laquelle on connaît n'est pas l'être de la chose connue]

d'où, rien n'empêche que, par des formes qui existent immatériellement dans l'esprit, des choses matérielles (res materiales) soient connues.

(DeVer.q10a4)

[]

Modus cognoscendi rem aliquam, est secundum conditionem cognoscentis, in quo forma recipitur secundum modum eius.

[]

Non autem oportet quod res cognita sit

  • secundum modum cognoscentis,
  • vel secundum illum modum quo forma,
      • quae est cognoscendi principium,
    • esse habet in cognoscente ;

unde nihil prohibet, per formas quae in mente immaterialiter existunt, res materiales cognosci.

 


1.-- Puisque la chose connue et ce par quoi on connaît ne sont pas la même chose, alors on peut connaître une chose matériel par le moyen d'une chose immatérielle. En effet, si la chose connue et la forme par laquelle on la connaît étaient toutes deux matérielles, on ne pourrait connaître que matériellement, c'est à dire comme les animaux limités à la connaissance sensible. Cette affirmation répond à la question posée dans l'article 4 : "l'esprit peut-il connaître des réalités matérielles ?".

2. -- Mais la chose importante à retenir ici, c'est qu'il ne faut pas réduire la chose connue à la manière dont on la connaît ; ce n'est pas parce qu'on connaît à travers une forme qu'on doit réduit la chose à une forme. Grâce au jugement, on peut retourner à la chose au delà de la forme : "ceci est un arbre". Si on ne se sert pas du jugement, on est contraint d'en rester à la forme appréhendée, et donc à un idéalisme. Platon. Descartes. Kant.

Raison, Fin, Moyen, Ordre, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Appétibilité, Induction, Différence spécifique

Thomas d'Aquin - I.q59a2ad3 - Une même chose (res) peut être considérée comme vrai et comme bien

 A MEDITER en confrontant à l'expérience personnelle :

Le bien et le vrai sont convertibles dans la réalité (secundum rem), et c'est pourquoi

  • et le bien est intelligé (intelligitur) par l'intellect sous la ratio veri,
  • et le vrai est appété (appetitur) par la volonté sous la ratio boni.

Cette distinction des ratios suffit à distinguer les deux puissances, comme il a été dit.

(Somme, I.q59a2ad3)

Bonum et verum convertuntur secundum rem, inde est quod

  • et bonum ab intellectu intelligitur sub ratione veri,
  • et verum a voluntate appetitur sub ratione boni.

Sed tamen diversitas rationum ad diversificandum potentias sufficit, ut dictum est.

 


secundum rem, litt. : "selon la chose" ; implicitement : "selon qu'ils sont dans la chose concrète réelle".

Volonté, Intellect / Intelligence, Bien, Vrai, Transcendantaux

Thomas d'Aquin - I.q59a1ad3 - Vouloir est un certain mouvement (intelliger aussi)

La volonté est appelée moteur mû selon que vouloir est un certain mouvement, de même qu'intelliger1, rien n'interdit qu'un mouvement de ce genre existe dans l’ange, car un tel mouvement est l’acte d'un [être] parfait, comme il est dit dans le De Anima.

(Somme, I.q59a1ad3)

Voluntas dicitur movens motum, secundum quod velle est motus quidam, et intelligere; cuiusmodi motum nihil prohibet in angelis esse, quia talis motus est actus perfecti, ut dicitur in III de Anima.

 


Il faudrait expliciter ici. Dieu est un être parfait, y a-t-il donc un certain mouvement en lui ? TH. ne parle ici que des êtres parfaits en dehors de Dieu.

Volonté, Intellect / Intelligence, Mouvement

Thomas d'Aquin - Iq59a2 - Notre volonté n'est pas notre essence, contrairement à Dieu

  • Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté

L'inclination vers quelque chose d'extrinsèque (extrinsecum) se fait par quelque chose de surajouté à l'essence ;

  • ainsi l'inclination au lieu se fait par gravité ou par légèreté (per gravitatem vel levitatem) ;
  • l'inclination à produire un être semblable à soi se fait par le moyen de qualités actives.

Or la volonté a naturellement une inclination au bien.

Il n'y aura donc identité entre essence et volonté que

  • dans le cas ou la totalité du bien est contenue dans l'essence de celui qui veut,
    • comme en Dieu, qui ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté. [= Il ne veut rien d'autre que sa propre bonté]

Cela ne peut être dit d'aucune créature, car le bien infini est en dehors (extra) de l'essence de tout être créé.

(Somme, I.q59a2)

Sed inclinatio ad aliquid extrinsecum, est per aliquid essentiae superadditum,

  • sicut inclinatio ad locum est per gravitatem vel levitatem,
  • inclinatio autem ad faciendum sibi simile est per qualitates activas.

Voluntas autem habet inclinationem in bonum naturaliter.

Unde ibi solum est idem essentia et voluntas,

  • ubi totaliter bonum continetur in essentia volentis;
    • scilicet in Deo, qui nihil vult extra se nisi ratione suae bonitatis.

Quod de nulla creatura potest dici; cum bonum infinitum sit extra essentiam cuiuslibet creati.

 


A noter : 

- "Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté." S'il faut comprendre que Dieu ne veut rien d'autre que sa propre bonté, par extension, lorsqu'il nous veut et nous crée, cela ne se fait pas pour autre chose qu'en voulant sa propre bonté. Il faudrait détailler ici pour voir en quoi cela peut être vrai. Car nous ne sommes pas créés par nécessité, Dieu n'ayant pas besoin de nous. Mais Dieu en nous créant ne peut pas créer autre chose que des êtres dont la volonté est appelée à être entièrement tournée vers Lui. Volonté = appétit d'amour. Acte volontaire = acte d'amour, aimer. La volonté n'est volonté, au sens "avoir de la volonté", qu'à propos des moyens, le volontarisme se contente du moyen et se termine (à tord) au moyen en oubliant la fin, c'est à dire le bien, l'être aimable et donc aimé.

Tout ce que "fait" Dieu en dehors de lui-même est fait par amour gratuit comme une expression de sa bonté (surabondance, débordement, surplus).

- Il n'y a pas de tension en Dieu vers quelque chose qu'il n'aurait pas, c'est pourquoi il n'y a pas d'inclination en lui. Voir aussi ici. Il y a bien un amour mais pas d'appétit.

- Noter le cas de Dieu et les autres cas : pour nous, la volonté vient comme quelque chose d'extrinsèque à notre essence dans ce sens que nous ne sommes pas réductible à notre puissance volontaire. Tandis que Dieu est identique à son intellect, identique à sa volonté.

 

Nature, Volonté, Bien, Inclination, Intérieur, Extérieur, Infini, Gratuité, Appétit naturel, Surabondance, Extrinsèque

Thomas d'Aquin - I.q59a1ad1 (complet) - L'intellect connaît simplement, la raison par discursion, ainsi l'intellect surpasse la raison

  •  Autrement la raison transcende [= surpasse] le sens,
  • et autrement l'intellect la raisona.

La raison transcende le sens selon la diversité de ce qui est connu ; car

  • le sens concernent (est) les choses particulières,
  • tandis que la raison [concerne] les choses universelles.

C'est pourquoi il faut 

  • qu'il y ait un autre appétit qui tende vers le bien universel, qui est dû à la raison ;
  • et un autre qui tende vers le bien particulier, qui est dû au sens.

Mais l'intellect et la raison diffèrent seulement par leur mode de connaissance ;

  • l'intellect connaît par simple intuition (simplici intuiti) ; [= ATTENTION à bien comprendre ce mot chez TH.]
  • la raison connaît par discursion d'une chose à l'autre (discurrendo de uno in aliud).

Mais

  • la raison parvient à connaître par la discursion,
  • ce que l'intellect connaît sans la discursion,

à savoir l'universel.

C’est donc le même objet qui est proposé à la [puissance] appétitive,

  • et du côté de la raison,
  • et du côté de l'intellect.

De là, chez les anges (qui sont des [êtres] uniquement intellectuels [= i.e. : purement spirituels]), le fait qu'il n'y ait pas d'appétit supérieur à la volonté.

(Somme, I.q59a1ad1)

  •  Aliter ratio transcendit sensum,
  • et aliter intellectus rationem.

Ratio enim transcendit sensum, secundum diversitatem cognitorum,

  • nam sensus est particularium,
  • ratio vero universalium.

Et ideo oportet 

  • quod sit alius appetitus tendens in bonum universale, qui debetur rationi;
  • et alius tendens in bonum particulare, qui debetur sensui.

Sed intellectus et ratio differunt quantum ad modum cognoscendi,

  • quia scilicet intellectus cognoscit simplici intuitu,
  • ratio vero discurrendo de uno in aliud.

Sed tamen

  • ratio per discursum pervenit ad cognoscendum illud,
  • quod intellectus sine discursu cognoscit,

scilicet universale. 

Idem est ergo obiectum quod appetitivae proponitur

  • et ex parte rationis,
  • et ex parte intellectus.

Unde in angelis, qui sunt intellectuales tantum, non est appetitus superior voluntate.

 


a. Au lieu de "Ce n'est pas de la même manière que la raison est supérieure au sens, et l'intelligence à la raison."

1. -- "simplici intuiti" : attention, le mot intuiti (participe parfait passif, masculin) désigne
- ou un acte dans lequel l'image d'une réalité est réfléchie par un miroir (Gaffiot)
- ou un acte de considération attentive (Gaffiot, Deferrari), possiblement accompagnée d'étonnement ou d'admiration (Cassel's) .
Ces deux dimensions sont à reprendre dans ce qui se passe dans l'appréhension, où l'intellect produit un concept universel abstrait à partir de l'image de la réalité laissée dans l'imagination. Il ne s'agit en aucun cas de comprendre ce mot comme nous comprenons l'intuition artistique aujourd'hui.

2. -- A l'appréhension suit le jugement. Ce qui a été appréhendé est ensuite jugé dans la réalité. On abstrait le concept arbre à partir des expérience de tel et tel arbre, puis, on retourne au réel (en vérifiant alors que l'abstraction s'est bien faite) en jugeant : "ceci est un arbre", "ceci est bien un arbre".

3. -- Le raisonnement se terminera lui aussi dans un jugement, mais de manière médiate, à travers la discursion.

4. -- La finale du texte s'explique ainsi : si la raison et l'intellect touchait une réalité différente, ils proposeraient tout deux une réalité différente à la partie appétitive, il faudrait alors deux puissances appétitives différentes, et donc une en plus de la puissance volontaire.

5. -- Soulignons encore une fois que la volonté ne peux faire sans l'intellect (ou la raison) pour pouvoir aimer spirituellement un bien spirituel, car il faut qu'elle puisse d'abord en juger, et le jugement passe par l'universel.

Raison, Universel, Particulier, Sens (les)

Thomas d'Aquin - I.q59a1ad1 (extrait) - L'intellect connaît simplement, la raison par discursion, ainsi l'intellect surpasse la raison

  • Autrement la raison transcende [= surpasse] le sens,
  • et autrement l'intellect la raisona. (...)

Mais l'intellect et la raison diffèrent seulement par leur mode de connaissance ;

  • l'intellect connaît par simple intuition (simplici intuiti) ; [= ATTENTION à bien comprendre ce mot chez TH.]
  • la raison connaît par discursion d'une chose à l'autre (discurrendo de uno in aliud).

Ce qui n'empêche pas la raison de parvenir à connaître par la discursion, ce que l'intellect connaît sans la discursion, à savoir l'universel [--> par l'appréhension].

(Somme, I.q59a1ad1)

  • Aliter ratio transcendit sensum,
  • et aliter intellectus rationem. (...)

Sed intellectus et ratio differunt quantum ad modum cognoscendi,

  • quia scilicet intellectus cognoscit simplici intuitu,
  • ratio vero discurrendo de uno in aliud.

Sed tamen ratio per discursum pervenit ad cognoscendum illud, quod intellectus sine discursu cognoscit, scilicet universale. 


a. Au lieu de "Ce n'est pas de la même manière que la raison est supérieure au sens, et l'intelligence à la raison."

1. -- "simplici intuiti" : attention, le mot intuiti (participe parfait passif, masculin) désigne
- ou un acte dans lequel l'image d'une réalité est réfléchie par un miroir (Gaffiot)
- ou un acte de considération attentive (Gaffiot, Deferrari), possiblement accompagnée d'étonnement ou d'admiration (Cassel's) .
Ces deux dimensions sont à reprendre dans ce qui se passe dans l'appréhension, où l'intellect produit un concept universel abstrait à partir de l'image de la réalité laissée dans l'imagination. Il ne s'agit en aucun cas de comprendre ce mot comme nous comprenons l'intuition artistique aujourd'hui.

2. -- A l'appréhension suit le jugement. Ce qui a été appréhendé est ensuite jugé dans la réalité. On abstrait le concept arbre à partir des expérience de tel et tel arbre, puis, on retourne au réel (en vérifiant alors que l'abstraction s'est bien faite) en jugeant : "ceci est un arbre", "ceci est bien un arbre".

3. -- Le raisonnement se terminera lui aussi dans un jugement, mais de manière médiate, à travers la discursion.

Raison, Universel, Intellect / Intelligence, Connaissance, Intuition, Raisonnement

Thomas d'Aquin - I-II.q24a1 - Lorsqu'elle est sous le commandement de la volonté les passions deviennent morales

  • Mais les passions en elles-mêmes ne sont pas morales

Les passions de l'âme peuvent être considérées de manière double :

  • d'une manière, selon elles-mêmes
  • d'une autre manière, selon qu'elles sont sous le commandement de la raison et de la volonté.

[Les passions en elle-mêmes]

Donc, si on les considère selon elles-mêmes, c'est-à-dire comme mouvements de l'appétit irrationnel, il n'y a en elles ni bien ni mal moral, car cela dépend de la raison, comme nous l'avons vu plus haut.

[Les passions sous le commandement de la raison et de la volonté]

Mais si elles sont considérées selon qu'elles sont sous le commandement (imperio) de la raison et de la volonté, ainsi il y a en elles bien ou mal moral.

  • En effet, l’appétit sensitif est plus proche de la raison elle-même et de la volonté que nos membres extérieurs, dont cependant les mouvements et les actes sont bons ou mauvais moralement (moraliter) selon qu’ils sont volontaires [voluntarii = adj. génitif].
  • Donc, bien plus encore, les passions elles-mêmes en tant qu'elles sont volontaires [voluntariae = adj. génitif], peuvent être dites bonnes ou mauvaises moralement (moraliter).

Et on les dit volontaires,

  • ou parce qu’elles sont commandées (imperantur) par la volonté,
  • ou parce que la volonté n’y fait pas obstacle (non prohibentur).

(I-II.q24a1)

Passiones animae dupliciter possunt considerari,

  • uno modo, secundum se;
  • alio modo, secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis.

Si igitur secundum se considerentur, prout scilicet sunt motus quidam irrationalis appetitus, sic non est in eis bonum vel malum morale, quod dependet a ratione, ut supra dictum est.

Si autem considerentur secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis, sic est in eis bonum et malum morale.

  • Propinquior enim est appetitus sensitivus ipsi rationi et voluntati, quam membra exteriora; quorum tamen motus et actus sunt boni vel mali moraliter, secundum quod sunt voluntarii.
  • Unde multo magis et ipsae passiones, secundum quod sunt voluntariae, possunt dici bonae vel malae moraliter.

Dicuntur autem voluntariae

  • vel ex eo quod a voluntate imperantur,
  • vel ex eo quod a voluntate non prohibentur.

 

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1. Les passions ne sont pas en elles-mêmes morales, comme un bras ou une jambe ne le sont également pas, mais, en tant qu'elle sont sous le commandement de la raison et de la volonté, etc. ...

2. Noter que la passion chez l'homme semble toujours avoir une dimension morale puisque, laissée à elle-même, elle fait sortir l'homme de la moralité en le ramenant à l'ordre sensible. Or l'ordre sensible, chez l'homme, devrait toutjours être ou commandé ou agréé par la volonté. Mais est-ce bien vrai  ? Comme certains mouvements de nos membres extérieurs sont indifférents (comme se gratter la barbe), de la même manière le mouvement d'une passion ne pourrait-il pas lui aussi être indifférent ? Il semble néanmoins qu'il faille toujours au moins assumer nos passions pour les garder sur un plan moral, ainsi nos passions ne devraient pas être laissées à elle-même dans l'indifférence.

Raison, Désir (appétit sensible), Passions, Commandement, Imperium, Membre, Moralité, Empêchement

Thomas d'Aquin - I.59a1 - On ne peut aimer spirituellement qu'à travers l'aide de l'intellect qui permet de saisir la ratio boni et de juger ce qu'on aime pour l'aimer pour ce qu'il est - UN SOMMET

On ne peut comprendre immédiatement ce passage. Bien lire le commentaire.

[1. L'appétit naturel]

Certains [êtres] sont inclinés au bien par la seule disposition (habitudinem) de la nature, sans connaissance, comme les plantes et les corps inanimés.

Et une telle inclination au bien est appelée appétit naturel.

[2. L'appétit sensible]

Certains [êtres] sont inclinés au bien avec une certaine connaissance,

  • non qu’elles connaissent la ratio boni elle-même [= la raison de bien, la notion universelle de bien],
  • mais connaissent un certain bien particulier ;
    • comme le sens, qui connaît le doux, le blanc, etc.

L'inclination qui suit cette connaissance est dîte appétit sensitif.

[3. L'appétit intellectuel ; entendre "appétit volontaire"]

Certains autres [êtres] sont inclinés au bien avec une connaissance par laquelle ils connaissent la ratio boni elle-même, ce qui est le propre de l'intellect. [ --> rien d'autre que l'intellect ne peut saisir une ratio, par abstraction chez les hommes, par saisie directe chez les anges]

Et ceux-là sont inclinés vers le bien de la façon la plus parfaite (perfectissime) ;

  • car ils ne sont pas, comme (quasi) par un autre, seulement [inclinés] directement au bien,
    • comme il arrive aux êtres à qui manque la connaissance ; [= appétit naturel]
  • ni au bien de manière particulière seulement
    • comme les êtres doués de connaissance sensible ;
  • mais ils sont comme (quasi) inclinés vers le bien universel lui-même.
    • Et cette inclination est dite « volonté ».

C’est pourquoi, puisque les anges appréhendent par leur intelligence la raison universelle de bien, il est manifeste qu’il y a en eux une volonté.

(Somme, I.59a1)

[1.]

Quaedam enim inclinantur in bonum, per solam naturalem habitudinem, absque cognitione, sicut plantae et corpora inanimata.

Et talis inclinatio ad bonum vocatur appetitus naturalis.

[2.]

Quaedam vero ad bonum inclinantur cum aliqua cognitione;

  • non quidem sic quod cognoscant ipsam rationem boni,
  • sed cognoscunt aliquod bonum particulare;
    • sicut sensus, qui cognoscit dulce et album et aliquid huiusmodi.

Inclinatio autem hanc cognitionem sequens, dicitur appetitus sensitivus.

[3.]

Quaedam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem; quod est proprium intellectus. 

Et haec perfectissime inclinantur in bonum;

  • non quidem quasi ab alio solummodo directa in bonum,
    • sicut ea quae cognitione carent; 
  • neque in bonum particulariter tantum,
    • sicut ea in quibus est sola sensitiva cognitio;
  • sed quasi inclinata in ipsum universale bonum.
    • Et haec inclinatio dicitur voluntas.

Unde cum angeli per intellectum cognoscant ipsam universalem rationem boni, manifestum est quod in eis sit voluntas.

 

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Voir aussi ici.


1. -- Bien faire attention a chaque fois que TH. parle de ratio boni, le sujet est delicat. Car on n'aime en effet pas un universel, une notion, mais toujours tel bien existant. Toutefois on ne l'aime pas uniquement comme on aime particulièrement un être particulier ! - Cela demande un peu de finesse ici, mais c'est tès grisant intellectuellement à comprendre. - Sans la ratio boni je ne peux voir les divers plans de biens, le plan du bien naturel, le plan du bien sensible, le plan du bien spirituel. A chaque fois on touche le bien, ce qui me permet, bien que les plans soient différents, d'abstraire la notion commune de bien, ce qu'au Moyen-Âge on appelle ratio boni. Ayant la capacité de voir le bien partout où il se trouve, je peux les ordonner entre eux, je peux voir qu'un bien spirituel est supérieur à un bien sensible. Aimer spirituellement une personne n'est pas la même chose que l'aimer pour ses qualités sensibles, physiques, etc. Et cela se fait nécessairement avec le concours de l'intellect. La volonté, comme volonté, ne peut abstraire ; mais, dans l'expérience volontaire, c'est à dire dans l'expérience de mon appétit spirituel pour le bien spirituel, je fais appelle à mon intellect pour distinguer mon attraction au bien spirituel de mon attraction au bien sensible. En jugeant qu'un bien sensible et un bien spirituel sont tous les deux des biens, je vois par la même occasion ce qui les différencie l'un de l'autre. Grâce au commun saisi par la ratio boni, je distingue comme par soustraction ce qui reste : leur différence, qualités sensibles d'un côté, qualité spirituelle de l'autre. Et c'est alors en le connaissant et en le jugeant pour ce qu'il est, que j'aime spirituellement un bien en ce qu'il a de spirituel. - Ce qui n'exclue pas les autres plans, comme le souligne TH. au moment où il parle des passions qui peuvent/doivent être assumées, "emmenées", dans l'acte d'amour spirituel.

2. -- Quand Thomas parle d'inclination vers le bien universel lui-même, il faut bien notre le quasi. : "quasi inclinata in ipsum universale bonum". Il ne faut pas entendre que l'appétit volontaire se porte vers l'idée en soi du bien mais que dans tel bien elle discerne que c'est un bien. Elle est capable de juger que ce bien est un bien et un bien spirituel aimable spirituellement. Thomas n'est pas ici platonicien, il ne dit pas qu'il faut aimer la ratio boni.

3. -- A distinguer de la quête universelle du bonheur, voir par exemple ici.

4. -- A noter : ce qu'est le propre de l'intellect : appréhender la ratio d'une chose, ce qu'est une chose ... "Ceci est un bien".

Universel, Particulier, Volonté, Intellect / Intelligence, Bien, Désir (appétit sensible), Désir (appétit volontaire), Appétit, Appréhension, Bien universel, Ratio boni

Thomas d'Aquin - I.q59a3ad1 - Chez l'ange, l'élection se fait sans la délibération du conseil, contrairement à l'homme

Comme l'estimation de l'homme dans les choses spéculatives differt en cela de l'estimation des anges,

  • ([c'est à dire] que l'un se passe de recherche,
  • [tandis que] l'autre passe par une recherche) ;

Il en est de même dans le domaine de l’opération [= l'action].

De sorte que, chez les anges, il y a élection ;

  • non cependant avec une recherche délibérative du conseil ;
  • mais par une directe (subitam) saisie de la vérité.

(Somme, I.q59a3ad1)

Sicut autem aestimatio hominis in speculativis differt ab aestimatione angeli in hoc,

  • quod una est absque inquisitione,
  • alia vero per inquisitionem;

ita et in operativis.

Unde in Angelis est electio;

  • non tamen cum inquisitiva deliberatione consilii,
  • sed per subitam acceptionem veritatis.

 


1. -- "sed per subitam acceptionem veritatis" : accipio peut autant se traduire activement que passivement (prendre, recevoir). La traduction originale fait pencher du côté de la dimension active ("la saisie immédiate de la vérité lui suffit"), ce qui n'est pas faux du fait de l'intellect agent, on peut aussi traduire du côté passif du fait de l'intellect patient et du fait la chose à connaître vient de l'extérieur ("une directe réception de la vérité"). Dans ce cas, comme Thomas évoque le fait de procéder à une recherche, on peut penser qu'il faut laisser le côté actif primer.

2. -- Comme dans le domaine de l'acquisition de la vérité qui se passe du raisonnement chez l'ange, ainsi dans le domaine pratique qui, chez, lui se passe de délibération.

3. -- On pourrait ajouter que puisque la délibération pour Thomas a pour objet le moyen en vue de la fin, la délibération est d'autant inutile chez l'ange ; car a-t-il besoin d'un moyen pour orienter son être à Dieu, ou l'est-il directement ?

 

Vérité, Progrès, Choix (Election), Délibération, Raisonnement, Croissance, Conseil, Recherche

Thomas d'Aquin - I.q59a4ad2 - Ce que sont l'amour et la joie au plan spirituel (et non au plan du sensible, commun avec les animaux)

L'amour et la joie,

  • selon qu'elles sont des passions, sont dans le concupiscible ;
  • mais selon qu'ils nomment un acte simple de la volonté, il sont alors dans la partie intellective [= spirituelle] ;

ainsi

  • aimer, c'est vouloir le bien à quelqu'un,
  • et être en joie, c'est le repos de la volonté en un certain bien possédé.

(Somme, I.q59a4ad2)

Amor et gaudium,

  • secundum quod sunt passiones, sunt in concupiscibili,
  • sed secundum quod nominant simplicem voluntatis actum, sic sunt in intellectiva parte;

prout

  • amare est velle bonum alicui,
  • et gaudere est quiescere voluntatem in aliquo bono habito.

 


1. -- Dans le traité des passions, la joie sera plus précisément vue comme le plaisir spirituel ; tandis que la plaisir proprement dit sera plutôt réeservé au plan sensible. Thomas, même s'il est habituellement d'une grande précision quant à l'utilisation des termes, montre qu'il est possible d'utiliser le vocabulaire du monde sensible sur le plan spirituel et vis versa. Thomas expliquera par exemple que le mot concupiscible, par extension, peut être utilisé au niveau spirituel.

2. -- "amare est velle bonum alicui" : attention à ne pas traduire "vouloir du bien", ici on ne cherche pas à "se faire du bien" l'un envers lautre, on veut bien plus profondément que l'autre atteigne le bien, son bien, on fait tout pour que l'autre puisse l'atteindre, quitte à ce que ce bien soit envers lui le don de nous-même dans l'amitié, la charité (sans que cela s'y restreigne). Dans une réflexion voisine, on encouragera à ne pas traduire benevolentia par bienveillance, mais par un mot qu'il aurait fallu reproduire en français par quelque chose comme "bienvoulance", il s'agit de vouloir le bien pour l'autre. Avec le terme bienveillance, on est loin du compte.

 

Amour, Volonté, Bien, Passions, Concupiscible, Repos, Possession, Joie

Thomas d'Aquin - I.q59a3 - Un arbitre n'est pas nécessairement libre

Il y a des êtres

  • qui n’agissent pas à partir d'un arbitre,
  • mais qui sont comme agis et mus par d’autres,
    • telle la flèche lancée vers un but une fin par l’archer.

D’autres êtres agissent

  • par un certain arbitre (quodam arbitrio),
  • mais qui n’est pas libre, tels les animaux sans raison (irrationalia) ;

ainsi la brebis fuit le loup à partir d'un certain jugement (quodam iudicio) qui estime que le loup lui est nuisible ;

  • mais ce jugement n’est pas lui-même libre,
  • mais il lui est inné par implanté par nature (a natura inditum).

(I.q59a3)

Quaedam sunt

  • quae non agunt ex aliquo arbitrio,
  • sed quasi ab aliis acta et mota,
    • sicut sagitta a sagittante movetur ad finem.

Quaedam vero agunt

  • quodam arbitrio,
  • sed non libero, sicut animalia irrationalia,

ovis enim fugit lupum ex quodam iudicio, quo existimat eum sibi noxium;

  • sed hoc iudicium non est sibi liberum,
  • sed a natura inditum.

 

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(suite et fin de l'article ici)


 1. -- Notre la relative équivalence arbitre / jugement.

Nature, Raison, Libre arbitre, Choix (Election), Jugement

Thomas d'Aquin - I-II.q27a1ad3 - Le beau est identique au bien

Le beau est identique au bien ; seule la raison diffèrre1(sola ratione differens)

Le bien étant ce que « tous appètent [= désirent] »,

  • il [relève] à la ratio boni que d'être un repos pour l'appétit, 
  • tandis qu’il relève de la ratio pulchri que d'être un repos pour l'appétit quant à sa vue ou quant à sa connaissance [= la vue et la connaissance du bien].

C’est pourquoi les sens les plus intéressés par la beauté sont ceux qui procurent le plus de connaissances, comme la vue et l’ouïe mises entièrement au service (deservientes) de la raison ; nous parlons, en effet, de beaux spectacles et de belles musiques. Les objets des autres sens n’évoquent pas l’idée de beauté : nous ne disons pas belles les saveurs ou belles les odeurs.

Cela montre bien que le beau ajoute (addit) au bien un certain ordre à la puissance connaissante ; 

  • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter) ;
  • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension

(Somme, I-II.q27a1ad3)

Pulchrum est idem bono, sola ratione differens. Cum enim bonum sit quod omnia appetunt, 

  • de ratione boni est quod in eo quietetur appetitus,
  • sed ad rationem pulchri pertinet quod in eius aspectu seu cognitione quietetur appetitus.

Unde et illi sensus praecipue respiciunt pulchrum, qui maxime cognoscitivi sunt, scilicet visus et auditus rationi deservientes, dicimus enim pulchra visibilia et pulchros sonos. In sensibilibus autem aliorum sensuum, non utimur nomine pulchritudinis, non enim dicimus pulchros sapores aut odores.

Et sic patet quod pulchrum addit supra bonum, quendam ordinem ad vim cognoscitivam,

  • ita quod bonum dicatur id quod simpliciter complacet appetitui;
  • pulchrum autem dicatur id cuius ipsa apprehensio placet.

1 Au lieu de : « leur seule différence procède d’une vue de la raison ».

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1. -- A noter cette question de vocabulaire chez Thomas : le bien complaît à l'appétit, le beau plaît à l'appréhension. On voit ailleurs que la complaisance est au niveau de l'amour affectif, c'est à dire le tout premier moment de l'amour. A distinguer du terme quand l'amour devient effectif.

2. -- Le bien est donc davantage objet de l'appétit (sensible - vue - ; ou spirituel - connaissance -) ; le beau, davantage objet de l'appréhension, c'est à dire de l'intellect, de l'intelligence.

3. -- Il y a donc dans le bien une dimension qui satisfait, qui vonvient, à la connaissance. Lorsqu'il s'agit d'un acte moralement mauvais, c'est cependant sous un aspect secondairement bon que l'intelligence y trouvera quelque chose de beau. Chez Arsène Lupin, rompu à l'art du vol, son vol pourra être trouvé beau dans l'exercice, dans la réalisation de son vol, pas quant au vol lui-même. C'est ce en quoi le vol comporte une part de bien qu'on trouvera le vol beau.

4. -- On se rappelle qu'il y a trois dimensions du bien dans la ratio boni, reprises d'Augustin, l'espèce, l'ordre, le mode. Ici Thomas évoque une dimension d'ordre qui établit une relation entre le bien et la puissance connaissante.

Beau, Bien, Connaissance, Plaisir, Appétit, Repos, Sens (les), Vue, Ouïe, Complaisance, Joie, Ratio boni, Ratio pulchri, Odorat, Odeurs, Saveurs, Goût

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - La vertu est un choix prédéterminé qui améliore la rapidité dans l'action

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

Pour faciliter la lecture, on pourra remplacer élection par choix et élire par choisir.

Comme dit le Philosophe au troisième livre de l’Éthique, « on fait preuve de plus de courage quand on se montre sans peur et sans trouble devant un péril surgi à l’improviste que devant un péril attendu ». En effet, l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation :

  • car les choses attendues, c’est‑à‑dire connues d’avance, on les élira par la raison et la réflexion (ex ratione et cogitatione)
    • sans habitus ;
  • mais ce qui surgit à l’improviste est élu
    • par un habitus.

Et il ne faut pas comprendre (intelligendum)

  • que l’opération par l’habitus de vertu pourrait être tout à fait sans délibération, puisque la vertu est un habitus électif,
  • mais que, pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection ;

par conséquent, chaque fois qu’une chose (aliquid) se présente comme convenant à cette fin,

  • elle est aussitôt élue,
  • à moins qu’elle ne soit empêchée par une délibération plus attentive et plus longue.

(DeVer.q24a12)

Ut enim philosophus dicit in III Ethicorum [cap. 11 (1117 a 17)], fortioris est in repentinis timoribus impavidum et imperturbatum esse, quam in praemanifestis. Ab habitu enim est magis operatio, quanto minus est ex praemeditatione :

  • praemanifesta enim, id est praecognita, aliquis praeeliget ex ratione et cogitatione sine habitu ;
  • sed repentina sunt secundum habitum.

Nec hoc est intelligendum

  • quod operatio secundum habitum virtutis possit esse omnino absque deliberatione, cum virtus sit habitus electivus ;
  • sed quia habenti habitum iam est in eius electione finis determinatus ;

unde quandocumque aliquid occurrit ut conveniens illi fini,

  • statim eligitur,
  • nisi ex aliqua attentiori et maiori deliberatione impediatur.

 


... l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation ...

... puisque la vertu est un habitus électif ...

... pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection ...

1. -- Bien noter que l'habitus n'est pas un réflexe, le choix demeure, même s'il a été antérieurement et volontairement automatisé afin de ne pas avoir à rechoisir le moindre des petits actes dans le détail. Si les circonstances l'exigent, on pourra réactiver un choix plus conscient par l'attention et le temps qu'on y passera. Mais s'il n'y a pas lieu, c'est justement sur le plan de la rapidité à l'action et du temps gagné que l'homme prudent tablera. En dernier lieu, s'il s'agit de gagner du temps, c'est pour se consacrer aux tâches les plus nobles, et parmi elles la plus noble, celle d'aimer ("il est meilleur d’aimer Dieu que de le connaître", SommeI.q82a3). Noter que le mot "opérations" ou le mot "activités" est plus adapté ici que le mots "tâches".

Raison, Choix (Election), Habitus, Délibération, Vertu, Détermination, Cogitation, Improviste, Préméditation, Courage, Convenance, Prédétermination

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a13 - Le libre arbitre n'a pas un pouvoir moteur - Juger n'est pas agir

Bien lire la note postérieure.

Quand il est dit : « Celui‑ci peut persévérer jusqu’à la fin de sa vie dans l’abstention du péché »,

  • la puissance est portée sur quelque chose d’affirmatif,
  • c’est‑à‑dire que quelqu’un se met en un état tel que le péché ne puisse être (esse) en lui ;

car l’homme ne pourrait, par un acte du libre arbitre, se rendre persévérant, que s’il se rendait impeccable. Or cela ne tombe pas sous le pouvoir du libre arbitre, car la vertu motrice exécutante (exequens) ne s’y étend pas.

Et c'est pourquoi l’homme ne peut être pour lui‑même une cause de persévérance, mais il est dans la nécessité de demander à Dieu la persévérance.

(DeVer.q24a13)

Cum dicitur : iste potest perseverare usque ad finem vitae in abstinentia peccati ;

  • potentia fertur ad aliquid affirmativum,
  • ut scilicet aliquis ponat se in tali statu quod peccatum in eo esse non possit :

aliter enim homo per actum liberi arbitrii non posset se facere perseverare, nisi se impeccabilem faceret. Hoc autem non cadit sub potestate liberi arbitrii, quia virtus motiva exequens ad hoc non se extendit.

Et ideo homo causa perseverantiae sibi esse non potest, sed necesse habet perseverantiam a Deo petere.


1. -- Dans le De Veritate, comme dans la plupart de ses oeuvres, Thomas parle en théologien mais passe souvent par des affirmations que le philosophe soutient lui aussi. Ici, si le propos est tenu sous l'angle avant tout théologique, il contient une affirmation également très juste au point de vue philosophique. Le libre arbitre ne peut pas à lui seul passer à l'action. Juger librement d'une chose, n'est pas agir. On juge d'abord, on agit ensuite. Ce sont deux actes distincts. La partie efficiente de l'activité humaine éthique est un acte qui suit l'acte du jugement. A noter que la partie efficiente se distingue elle-même en deux actes distincts, le commandement puis l'application (aussi dit "exécution", ou "usage").

2. -- "exequens" : participe présent actif du verbe exequor, exequi, exsecutus sum qui signifie suivre, poursuivre, exécuter, accomplir. Par exemple : Exequens imperatoris mandata : Suivant les ordres de l’empereur. Exequens legem : Exécutant la loi. (Source : ChatGPT)

Libre arbitre, Mouvement, Efficacité / Efficience, Cause efficiente

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a11 - On peut toujours être libéré de son obstination au mal et coopérer à cette libération

Qu'un homme, en l'état de voie [= en ce monde terrestre], ne peut être si obstiné dans le mal qu’il ne puisse coopérer à sa libération, la raison en est patente d'après ce qui a été dit : parce que,

  • et une passion [peut être] dissoute ou réprimée,
  • et l’habitus ne corrompt pas totalement l’âme,
  • et la raison n’adhère pas au faux avec une opiniâtreté telle qu’elle ne puisse en être détournée par une raison contraire. 

(DeVer.q24a11)

Quod aliquis homo in statu viae non possit esse ita obstinatus in malo quin ad suam liberationem cooperari possit, ratio patet ex dictis : quia

  • et passio solvitur et reprimitur,
  • et habitus non totaliter animam corrumpit,
  • et ratio non ita pertinaciter falso adhaeret quin per contrariam rationem possit abduci.

 


 1. -- Dans la dernière ligne, le mot raison ne signifie pas la même chose dans les deux cas.

Raison, Mal, Habitus, Passions, Obstination, Coopération, Libération, Refoulement

Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad2 - Qu'est-ce que le désir à proprement parler ?

Le désir (desiderium) peut davantage relever (magis pertinere), à proprement parler, non seulement de l'appétit inférieur mais aussi du supérieur. En effet, il n'implique pas, comme la concupiscence (concupiscentia), une certaine multiplicité associée dans le fait de convoiter (aliquam consociationem cupiendo) mais un mouvement simple vers la chose désirée (desideratam).

(Somme, I-II.q30a1ad2)

Desiderium magis pertinere potest, proprie loquendo, non solum ad inferiorem appetitum, sed etiam ad superiorem. Non enim importat aliquam consociationem in cupiendo, sicut concupiscentia; sed simplicem motum in rem desideratam.

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Très intéressant car la notion d'association autour du désir sensible explique le préfixe "con" de concupiscence. C'est une expérience sensible au cours de laquelle un faisceau d'éléments distincts trouvés dans un certain bien sensible suscite en nous une attraction sensible. Il y a donc quelque chose d'aveugle dans le désir sensible (concupiscence) qu'on ne fait en partie que constater, les raisons pour lesquelles nous sommes attirés sensiblement par une réalité sensible ne sont pas toujours très claires. Alors que dans le désir (lorsque le terme est proprement employé, c'est à dire comme appétit spirituel), l'attraction est exercée par un objet simple. L'objet étant d'autant plus facile à discerner qu'il est simple, il en découle un désir plus simple, plus pur (pas au sens moral), plus limpide. Ce n'est pas seulement à cause de ce qu'est la chose spirituelle désirée, mais parce qu'une chose, en tant qu'elle est spirituelle, est simple. La concupiscence hérite de la complexité des éléments matériels dont est fait le corps. C'est une des causes pour lesquelles la concupiscence s'exerce souvent dans un certain chaos. Une autre cause se trouve lorsque le désir sensible persévère malgré le jugement de la raison. 

Bien, Désir (appétit sensible), Passions, Désir (appétit volontaire), Appétit, Simplicité, Multiplicité, Concupiscence

Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad1 - Le corps lui-même peut se mettre entièrement au service des réalités spirituelles - SUBLIME

 

  • L'appétit de la sagesse
  • ou des autres biens spirituels

est appelé parfois concupiscence (concupiscentia),

  • soit à cause d'une certaine ressemblance (similitudinem) entre appétit supérieur et appétit inférieur ;
  • soit à cause de l'intensité (intensionem) de l'appétit supérieur qui rejaillit sur l'inférieur ;

de sorte que

  • celui-ci tend à sa manière (suo modo tendat) vers le bien spirituel à la suite de l'appétit supérieur,
  • et le corps (corpus) lui-même se met entièrement au service des [biens] spirituels. Comme il est écrit dans le Psaume (84, 3) : "Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant." 

(I-II.q30a1ad1)

Appetitus sapientiae,

  • vel aliorum spiritualium bonorum,
  • interdum concupiscentia nominatur,
  • vel propter similitudinem quandam,
  • vel propter intensionem appetitus superioris partis, ex quo fit redundantia in inferiorem appetitum,

ut simul

  • etiam ipse inferior appetitus suo modo tendat in spirituale bonum consequens appetitum superiorem,
  • et etiam ipsum corpus spiritualibus deserviat; sicut in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum. 

1. -- Gaffiot : dēservĭō, īre, intr., servir avec zèle, se dévouer à, se consacrer à : alicui Cic. Fam. 16, 18, 1, servir qqn avec dévouement ; vigiliæ deserviunt amicis Cic. Sulla 26, mes veilles sont entièrement consacrées au service de mes amis ; corpori Cic. Leg. 1, 39, être l’esclave de son corps || [fig.] être destiné à, consacré à : nec unius oculis flumina, fontes, maria deserviunt Plin. Min. Pan. 50, 1, les fleuves, les fontaines, les mers ne sont pas faits pour les yeux d’un seul.

2. -- De la part de Thomas, cette vision du corps est extraordinairement positive, comparée à la vue manichéenne souvent invoquée dans la distinction corps/esprit. Pour Thomas, la création a été faite entièrement bonne, et il s'agit de retrouver l'entièreté de l'orientation au bien de tous les éléments qui composent cette création. Comme les éléctrons d'un objet métallique peuvent être tous "orientés" de manière à le rendre mlagnétique, comme l'intégralité des tournesols dans un champs sont orientés vers le Soleil... "Un Bien pour les gouverner tous", pour paraphraser Tolkien... Comme le mat du chapiteau donne tout son sens aux parties du chapiteau. Une fois entré dans cette perspective, il est difficile d'entendre les opinions selon lesquelles l'homme est fondamentalement mauvais, etc... 

3. -- Voir toutes les conséquences dans l'unité de l'humanité du Christ. Et voir comment dans le vrai Dieu et vrai homme tout cela était tenu en un même être.

4. -- Comme dans d'autres passages (DeVer.q24a9ad1 ; DeVer.q26a7 ; I-II.q24a3 I-II.q24a3ad1), on sent toute la vie de Thomas tendue vers le spirituel. On sent qu'il a expérimenté ce qu'il écrit là. Dans son travail intelletcuel notamment, lorsqu'il réduisait son temps de sommeil, l'intensité du désir de sagesse faisait en quelque sorte se mouvoir le corps de Thomas. Un peut comme un "lève-toi et march"... La simplicité du désir spirituel qui inonde jusqu'à la complexité du corps. Thomas est très ferme sur ce point, le spirituel emmène avec lui le corps, la personne humaine est une, on ne peut laisser aller son esprit sans que le corps ne le suive. Notons bien que dans ce passage, ce n'est pas le corps qui de lui-même apporte à l'esprit mais bien l'inverse. Le corps peut être réjoui à cause de l'appétit des biens spirituels comme par capilarité. Autant de points que l'on peut vérifier nous-mêmes par l'expérience.

5. -- Il peut aussi en aller dans l'autre sens, une oeuvre d'art peut, par les sens, dégager un objet spirituel et réveiller ainsi un appétit spirituel. C'est ce que Thomas, à la suite d'Augustin, affirme à propos des chants cf. II-II.q91a2)

Bien, Désir (appétit sensible), Passions, Désir (appétit volontaire), Appétit, Corps

Thomas d'Aquin - I-II.q85a4 - La ratio boni (La raison de bien) révélée à travers quatre biens

Contexte : nous nous intéressons à la ratio boni dont TH. se sert ici à propos du péché. Il va terminer en distinguant quatre sortes de bien et en montrant que chacun d'eux répond à ce qui caractérise n'importe quel bien, c'est à dire ce qui caractérise la ratio boni.

Comme cela a été dit dans la première partie,

  • (1) le mode, [cause matérielle et efficiente]
  • (2) l'espèce [cause formelle]
  • (3) et l'ordre [cause finale]

sont conséquents

  • à tout bien créé, en tant que tel,
  • et aussi à tout être (ens).

(2) Car

  • tout être
  • et tout bien

sont considérés par une certaine forme dont est tirée l'espèce.

(1) D'autre part, la forme de chaque chose (rei), de quelque qualité qu'elle soit,

  • ou substantielle
  • ou accidentelle,

est selon une certaine mesure (aliquam mesuram),

d'où est indiqué dans Metaph. VIII, que les formes des choses (rerum) sont comme les nombres. En sorte qu'une forme a un certain mode en relation à une mesure.

(3) Enfin, par sa forme, chaque chose est ordonnée à autre chose.

Sicut in primo dictum est,

  • modus,
  • species
  • et ordo

consequuntur

  • unumquodque bonum creatum inquantum huiusmodi,
  • et etiam unumquodque ens.

Omne enim

  • esse
  • et bonum

consideratur per aliquam formam, secundum quam sumitur species.

Forma autem uniuscuiusque rei, qualiscumque sit,

  • sive substantialis
  • sive accidentalis,

est secundum aliquam mensuram,

unde et in VIII Metaphys. dicitur quod formae rerum sunt sicut numeri. Et ex hoc habet modum quendam, qui mensuram respicit.

Ex forma vero sua unumquodque ordinatur ad aliud.

 Ainsi,

  • selon divers degrés de biens
  • sont divers degrés
    • de mode, 
    • d'espèce
    • et d'ordre.

[a. le bien substance]

Il y a donc un bien qui relève de la substance [trad. orig. : le fond (!!)] même de la nature, qui a son mode, espèce, ordre ;

  • celui-là n'est ni privé ni diminué par le péché.

[b. le bien inclination]

Il y a encore un certain bien, celui de l'inclination de la nature, et ce bien a aussi son mode, espèce, ordre,

  • et celui-là est diminué par le péché, comme nous l'avons dit, mais non totalement supprimé.

[c. le bien vertu]

Il y a encore un certain bien, celui de la vertu et de la grâce, qui a aussi son mode, son espèce et son ordre;

  • et celui-là est totalement supprimé par le péché mortel.

[d. le bien acte]

Il y a encore un certain bien qui est l'acte ordonné lui-même, qui a aussi son mode, son espèce, son ordre ;

  • et cette privation est essentiellement le péché lui-même.

[Conclusion]

De sorte qu'on voit de manière patente comment le péché

  • et est une privation de mode, d'espèce et d'ordre,
  • et prive ou diminue le mode, l'espèce et l'ordre [eux-mêmes].

 Sic igitur

  • secundum diversos gradus bonorum,
  • sunt diversi gradus
    • modi,
    • speciei
    • et ordinis.

[a.]

Est ergo quoddam bonum pertinens ad ipsam substantiam naturae, quod habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et illud nec privatur nec diminuitur per peccatum.

[b.]

Est etiam quoddam bonum naturalis inclinationis, et hoc etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc diminuitur per peccatum, ut dictum est, sed non totaliter tollitur.

[c.]

Est etiam quoddam bonum virtutis et gratiae, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc totaliter tollitur per peccatum mortale.

[d.]

Est etiam quoddam bonum quod est ipse actus ordinatus, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et huius privatio est essentialiter ipsum peccatum.

[Conclusion]

Et sic patet qualiter peccatum

  • et est privatio modi, speciei et ordinis;
  • et privat vel diminuit modum, speciem et ordinem.

 1. -- Analogie avec la mesure : si une chose mesure tant, et si on modifie cette chose en gangeant ses mesures, alors elle n'est plus la même chose. Quelque chose qui est mesurée d'une certaine manière fait que cette chose est unique et ce qu'elle est. Voir la référence au numérique dans le Commentaire du De Trinitate de Boèce lorsqu'est traitée l'individuation qui se fait, chez TH., par la matière, avec donc l'aspect de la quantité.

2. -- Bien noter que TH. corrige l'ordre donné par Augustin : de mode, espèce, ordre, on passe a espèce, mode, ordre. 

3. -- Dans l'ordre de l'être, espèce, mode, ordre, donneront la substance, l'individu, l'acte ; ou encore l'être selon la forme, tel être concret, l'être en acte.

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Les quatre biens évoqués par TH. :

[a.] -- Le bien-substance n'est pas touché par le péché, un homme reste un homme qu'il soit pécheur ou non.

[b.] -- L'inclination naturelle n'est pas touchée en elle-même puisqu'elle dépend de ce qu'est une chose (le bien substance) mais elle peut être diminuée dans son exercice réel, comme recouverte.

[c.] -- La vertu morale est acquise, elle peut donc se perdre totalement. La grâce est donnée à la nature, elle peut donc se perdre également.

[d.] -- Le bien moral doit aller jusqu'à l'accomplissement, l'application concrète, d'un acte et celui-ci peut très bien ne pas l'être ou remplacé par un autre qui ne convient pas (et ce d'autant plus que la vertu et la grâce auront été perdues).

Dans ces différents biens, que sont le mode, l'espèce, l'ordre ?

[a.] -- Le mode du bien substance c'est l'existence concrète d'un être (ex. : tel homme, Jean, l'individu) ; l'espèce d'un bien-substance, c'est ce qu'il est (ex. : un homme) ; l'ordre d'un bien substance, c'est qu'il existe en acte.

[b.] -- Le mode de l'inclination naturelle c'est son existence concrète et unique dans tel être individué ; l'espèce, ce qu'est cette inclination (ex. : l'inclination de la volonté au bien) ; l'ordre, l'accomplissement de cette inclination (ex. : l'inclination en acte de la volonté au bien, l'ami qui veut le bien de son ami et qui agit pour que cela arrive).

[c.] -- Idem que b. mais pour ce qui est acquis, ajouté à la nature.

[d.] -- Tel acte ; ce qu'est cet acte ; jusqu'à quel point cet acte pousse jusqu'à sa perfection (ex. l'action héroïque ; cf. la différence entre une oeuvre accomplie par un artisan ordinaire et celle accomplie par un maître artisan).

Perfection, Bien, Fin, Ordre, Bonté, Raison de bien, Ratio boni, Mode, Relation, Espèce

Thomas d'Aquin - I.q5a5 - La ratio boni (la raison de bien)

  • La raison de bien est ce qui existe dans un individu donné (mode) selon une forme (espèce) qui le "pousse" à tel acte comme à sa fin (ordre).

Article très difficile.

Lieu paralèlle important :

  • DeVer.q21a6 où l'on rappelle l'origine augustinienne de la distincion mode, espèce, ordre

Voir aussi :

  • I.85a4 (traduction délirante de 1931 dans Revue des jeunes)
  • DeVer.q1a1
La raison de bien consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? Utrum ratio boni consistat in modo, specie et ordine

Chaque chose est dite bonne en tant qu'elle est parfaite, c'est ainsi qu'elle est appétible, comme on l’a dit plus haut.

Et le parfait est dit ce qui ne manque de rien selon le mode de sa perfection.

  • (1) Cependant chaque chose est ce qu’elle est par sa forme ;
  • (2) et la forme présuppose certaines [choses]
  • (3) et certaines [choses], de nécessité, sont conséquentes de la [forme] ;

pour que quelque chose (aliquid)a soit parfait et bon, il est nécessaire qu’il ait

  • (1) à la fois une forme, [= sa détermination]
  • (2) et les choses qui sont prérequises pour elle,
  • (3) et les choses qui sont conséquentes pour elle-même.

Unumquodque dicitur bonum, inquantum est perfectum, sic enim est appetibile, ut supra dictum est.

Perfectum autem dicitur, cui nihil deest secundum modum suae perfectionis.

  • Cum autem unumquodque sit id quod est, per suam formam;
  • forma autem praesupponit quaedam,
  • et quaedam ad ipsam ex necessitate consequuntur;

ad hoc quod aliquid sit perfectum et bonum, necesse est quod

  • formam habeat,
  • et ea quae praeexiguntur ad eam,
  • et ea quae consequuntur ad ipsam.

[LE MODE - (2) Le prérequis à l'existence concrète d'une chose selon une forme - Cause matérielle et cause efficiente]

Or, ce qui est pré-exigé à la forme, c’est la détermination ou commensuration proportionnalité de ses principes,

  • soit matériels,
  • soit efficients

et c’est ce qui est signifié par le mode ; d'où il est dit, [d’après S. Augustin] que la mesure pré-fixe [= prédétermine ??] ce que doit être le mode.

 [Modo]

Praeexigitur autem ad formam determinatio sive commensuratio principiorum,

  • seu materialium,
  • seu efficientium ipsam,

et hoc significatur per modum, unde dicitur quod mensura modum praefigit.

[L'ESPECE - (1) La forme actuelle de la chose - On semble être ici au niveau de la logique avec la différence spécifique - Cause formelle]

Et la forme elle-même est signifiée par l’espèce, car chaque chose est constituée dans l'espèce par la forme. Et c’est pourquoi il est dit que le nombre expose l’espèce.

Car, d’après le Philosophe, les définitions qui expriment l’espèce sont comme les nombres. En effet, comme l’unité ajoutée ou soustraite au nombre en fait varier l’espèce, de même, dans les définitions, une différence ajoutée ou soustraite.

[Specie]

Ipsa autem forma significatur per speciem, quia per formam unumquodque in specie constituitur. Et propter hoc dicitur quod numerus speciem praebet, quia definitiones significantes speciem sunt sicut numeri,

secundum Philosophum in VIII Metaphys.; sicut enim unitas addita vel subtracta variat speciem numeri, ita in definitionibus differentia apposita vel subtracta.

[L'ORDRE - (3) L'acte-fin réclamé par ce qu'est une chose selon sa forme - Cause finale ]

Enfin ce qui est consécutif à la forme, c’est l’inclination

  • à la fin,
  • à l’action
  • ou à quelque chose de semblable ;

car chaque chose, en tant qu'acte, 

  • agit,
  • et tend,

en ce qui lui convientb selon sa forme. Et cela relève du poids et de l'ordre. 

[Ordine]

Ad formam autem consequitur inclinatio

  • ad finem,
  • aut ad actionem,
  • aut ad aliquid huiusmodi,

quia unumquodque, inquantum est actu,

  • agit,
  • et tendit

in id quod sibi convenit secundum suam formam. Et hoc pertinet ad pondus et ordinem.

[Conclusion]

D'où la raison de bien, selon qu'elle

  • consiste dans la perfection, 
  • consiste dans 
    • le mode,
    • l'espèce, 
    • et l'ordre. 

[Conclusion]

Unde ratio boni, secundum quod

  • consistit in perfectione,
  • consistit etiam in
    • modo,
    • specie,
    • et ordine.

 


Rappel du sous-titre qui résume tout le passage : La raison de bien est ce qui existe dans un individu donné (mode) selon une forme (espèce) qui le "pousse" à tel acte comme à sa fin (ordre). Les quatre causes sont ici utilisées.

a. -- TH. fait l'étymologie du mot aliquid, toujours dans DeVer.q1a1 : 

C’est ce qu’exprime le nom « quelque chose », car il se dit [en latin] aliquid, comme si l’on disait aliud quid (quelque autre chose) ; donc, de même que l’ens [ce qui est] est appelé « un » en tant qu’il est indivis en soi, de même il est appelé « quelque chose » en tant qu’on le distingue des autres.

b. -- La référence à la convenance est importante et apparaît aussi dans DeVer.q1a1.

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Bien, Bonté, Prudence, Vertu intellectuelle, Vertu morale, Raison de bien, Ratio boni

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad11 - Quelque chose du bien demeure dans l'action volontairement fautive - LUMINEUX

Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait. 

(DeVer.q24a10ad11)

 

Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.

 

Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".

A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.

La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement (specie) comme un bien.

Liberté, Libre arbitre, Choix (Election), Bien, Mal, Péché, Bien apparent, Forme, Formaliter, Espèce

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad7 - Le libre arbitre ne reçoit pas le plus et le moins

Le libre arbitre,

  • en tant qu’il est dit libre de contrainte (coactione), ne reçoit pas le plus et le moins ;
  • mais s'il on considère par rapport au péché et au malheur (miseria), il est dit dans un état plus libre que dans l'autre.

(DeVer.q24a10ad7)

Liberum arbitrium,

  • secundum quod dicitur liberum a coactione, non suscipit magis et minus ;
  • sed considerata libertate a peccato et amiseria, dicitur in uno statu esse magis liberum quam inalio.

 


 1. -- En principe, le libre arbitre, comme puissance spirituelle, n'est ni limité par ce qu'il choisit, ni quantifiée par la matière. Mais du point de vue ou d'un choix antérieur qui a conduit au péché ou du conditionnement matériel de la vie concrète d'un individu, le libre arbitre peut se trouver dans un état qui ne lui permet plus d'être ce pour quoi il est fait : vouloir le bien en le choisissant. Voir le rapport inégal du libre arbitre à l'égard du bien et à l'égard du mal (III.q34a3ad1).

Libre arbitre, Contrainte, Péché, Plus / Moins, Malheur, Misère

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad2 - La volonté, lorsqu'elle aime, devient spirituellement une avec ce qu'elle aime

 

La nature spirituelle, quant à son être second, a été faite

  • indéterminée (indeterminata)
  • et capable de tout (omnium capax)

(comme il est dit dans le De Anima d'Aristote, que

  • l’âme est d'une certaine manière (quodammodo) toutes choses ;
  • et en adhérant à une chose, elle est rendue (efficitur) une avec elle ;

comme

  • l'intellect devient d’une certaine (quodammodo) façon l’intelligible lui‑même
    • lorsqu’il intellige,
  • et que la volonté devient l’appétible lui‑même
    • lorsqu’elle aime (amando).

(DeVer.q24a10ad2)

 

Natura spiritualis est facta quantum ad secundum esse suum

  • indeterminata,
  • et omnium capax ;

sicut dicitur in III de Anima [cap. 8 (431 b 21)], quod

  • anima est quodammodo omnia :
  • et per hoc quod alicui adhaeret, efficitur unum cum eo ;

sicut

  • intellectus fit quodammodo ipsum intelligibile
    • intelligendo,
  • et voluntas ipsum appetibile
    • amando.

 


 1. -- Thomas montre d'autre part que cette union ne se fait pas de la même manière sur plan de l'intellect et sur plan de la volonté. Sur le plan volontaire lui-même, l'union peut être vue sous son aspect affectif et sous son aspect effectif.

Puissance, Un, Volonté, Intellect / Intelligence, Appétit, Intelligible, Etre second, Indétermination, Capax, Capacité

Thomas d'Aquin - L'homme peut tendre à Dieu plus en subissant son attraction que par le jugement de sa raison - I-II.q26a3ad4

Certains ont posé, jusque dans la volonté même, que le nom d'amour est plus divin que le nom de dilection,

  • parce que l'amour implique une certaine passion, d'autant plus qu'il l'est dans l'appétit sensitif ;
  • tandis que la dilection présuppose le jugement de la raison.

Mais l'homme peut tendre à Dieu

  • plus par amour, passivement attiré (attractus) d'une certaine manière par Dieu lui-même,
  • que sa propre raison ne peut l'y conduire, ce qui relève de la raison de dilection, comme cela a été dit.

Et à cause de cela, l'amour est plus divin que la dilection. 

(Somme, I-II.q26a3ad4)

Aliqui posuerunt, etiam in ipsa voluntate, nomen amoris esse divinius nomine dilectionis,

  • quia amor importat quandam passionem, praecipue secundum quod est in appetitu sensitivo;
  • dilectio autem praesupponit iudicium rationis.

 

  • Magis autem homo in Deum tendere potest per amorem, passive quodammodo ab ipso Deo attractus,
  • quam ad hoc eum propria ratio ducere possit, quod pertinet ad rationem dilectionis, ut dictum est.

Et propter hoc, divinius est amor quam dilectio.

Ce passage est de première importance pour montrer tout ce qui oppose Duns Scot à Thomas !

Amour, Duns Scot, Passions, Volontarisme, Appétit sensible, Dilection, Attraction

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a9ad1 - La volonté parvient AUSSI à la fin lorsqu'elle la désire intensément, bien qu'elle ne la possède pas encore parfaitement

L'affect [volontaire] (affectus) parvient à la fin,

  • non seulement quand elle possède parfaitement la fin,
  • mais aussi, d’une certaine façon (quodammodo), quand elle la désire intensément (intense desiderat) ;

et par cette façon (hunc modum), d'une certaine manière (aliquo modo), quelqu'un (aliquis) peut être confirmé dans le bien en l’état de voie. 

(DeVer.q24a9ad1)

Affectus pervenit ad finem,

  • non solum quando finem perfecte possidet,
  • sed etiam quodammodo quando ipsum intense desiderat ;

et per hunc modum aliquo modo in statu viae aliquis potest confirmari in bono.

 


  1. La fin étant entendue ici comme fin spirituelle, il est réjouissant de pouvoir lui lier le mot intensément alors qu'il est de nos jours plus guère utilisé que dans le marketing pour qualifié le goût des aliments ou dans l'industrie des loisirs à propos des expériences qu'elle est sensée proposer. Ici, avec Thomas, l'intensité est d'abord dans le désir spirituel de la fin (en dernier lieu, la vision béatifique), désir si intense que les fruits sont déjà comme donnés par avance. Le terme "intensité" est un terme technique largement utilisé au Moyen-Âge.
  2. La dimension affective chez Thomas est à mettre en parallèle avec la dimension effective. Le moment "affect", c'est le moment passif de quelque chose qui touche une personne dans son appétit, qu'il soit sensible ou spirituel. Le moment "effectif" est le moment où la personne atteint réellement ce qui l'a touché. Voir union affective / union effective.
  3. Bien rapprocher le mot intensément du mot intention.

Perfection, Bien, Fin, Conditionnement, Désir (appétit volontaire), Intention, Désir intense

Thomas d'Aquin - I-II.q24a2 - Les passions sont bonnes si mesurées par la raison

 Les Péripatéticiens donnent le nom de passion à tous les mouvements de l'appétit sensitif. 
  • Ils les estiment bonnes quand elles sont modérées (moderatae) par la raison,
  • et mauvaises quand elles sont au-delà de la modération de la raison. (...) 

Les passions ne sont pas dîtes maladies (morbi) ou profonds troubles (perturbationes) de l'âme, si ce n'est quand elles manquent de la modération (moderatione) de la raison.

(Somme, I-II.q24a2)

Peripatetici vero omnes motus appetitus sensitivi passiones vocant.

  • Unde eas bonas aestimant, cum sunt a ratione moderatae;
  • malas autem, cum sunt praeter moderationem rationis. (...)

Non enim passiones dicuntur morbi vel perturbationes animae, nisi cum carent moderatione rationis.

 


1. -- Le mot perturbationes a un sens plus fort qu'un simpe trouble, il s'agit d'un bouleversement profond qui change radicalement la donne.

Raison, Passions, Ordre, Modération, Mesure, Trouble

Thomas d'Aquin - II-II.q91a2ad3 - Il est plus noble de provoquer les hommes à la dévotion par la doctrine et la prédication que par le chant

Il est plus noble de provoquer les hommes à la dévotion par la doctrine et la prédication que par le chant. C'est pourquoi les diacres et les prélats, à qui il convient, par la doctrine et la prédication, de provoquer à Dieu les âmes des hommes, ne doivent pas s'attacher au chant, pour ne pas se soustraire à des [oeuvres] supérieures. Comme dit S. Grégoire: « C'est une coutume très répréhensible que les ministres établis dans l'ordre du diaconat se consacrent à la musique vocale, quand il leur conviendrait de vaquer à l'office de la prédication et à la gestion des aumônes. »

(Somme, II-II.q91a2ad3)

Nobilior modus est provocandi homines ad devotionem per doctrinam et praedicationem quam per cantum. Et ideo diaconi et praelati, quibus competit per praedicationem et doctrinam animos hominum provocare in Deum, non debent cantibus insistere, ne per hoc a maioribus retrahantur. Unde ibidem Gregorius dicit, consuetudo est valde reprehensibilis ut in diaconatus ordine constituti modulationi vocis inserviant, quos ad praedicationis officium et eleemosynarum studium vacare congruebat.

 


 

Âme, Appel, Mission, Chants, Doctrine, Enseignement, Prédication

Thomas d'Aquin - De Ver. q24a9 - Par la grâce, l’homme peut être si attaché au bien qu’il ne puisse que très difficilement pécher

[Dans l'état de voie, l'exercice de la raison ne peut être continu]

  • Or, bien qu’il puisse être accordé à un viateur que la raison ne se trompe aucunement 
      • à propos de la fin du bien
      • et à propos des [biens] utiles dans en particulier,
    • grâce aux dons de sagesse et de conseil,
  • cependant, que le jugement de la raison ne puisse être interrompu, cela excède l’état de voie, pour deux raisons.
    • D’abord et principalement parce qu’il est impossible à la raison d’exercer toujours l’acte de droite contemplation dans l’état de voie, en sorte que la raison de toutes les opérations [= actions] soit Dieu.
    • Ensuite, parce qu’il n'arrive pas, dans l’état de voie, que les puissances inférieures soient tellement soumises à la raison, que son acte ne soit nullement empêché à cause d’elles, sauf dans le Seigneur Jésus‑Christ, qui fut simultanément viateur et compréhenseur.

[Par la grâce, la continuité de l'attachement au bien peut être presque entier]

Mais cependant, par la grâce de la voie, l’homme peut être attaché au bien de telle façon qu’il ne puisse que très difficilement pécher : ainsi, en effet,

  • les puissances inférieures
    • sont réfrénées par les vertus infuses,
  • et la volonté
    • est inclinée plus fortement vers Dieu,
  • et la raison
    • est perfectionnée dans la contemplation de la vérité divine, et [cette] continuation [de la contemplation] provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire [l’homme] du péché.

Et tout ce qui manque pour la confirmation est complété par la garde de la divine providence, en ceux que l’on dit confirmés ; c’est‑à‑dire que chaque fois qu’il s’introduit une occasion de pécher, leur esprit est divinement stimulé pour résister. 

(De Ver. q24a9)

[ ]

  • Quamvis autem alicui viatori concedi possit ut ratio nullatenus erret
      • circa finem boni,
      • et circa utilia in particulari,
    • per dona sapientiae et consilii,
  • tamen non posse intercipi iudicium rationis, excedit statum viae, propter duo.
    • Primo et principaliter, quia rationem esse semper in actu rectae contemplationis in statu viae, ita quod omnium operum ratio sit Deus, est impossibile.
    • Secundo, quia in statu viae non contingit inferiores vires ita rationi esse subditas, ut actus rationis nullatenus propter eas impediatur, nisi in domino Iesu Christo, qui simul viator et comprehensor fuit.

[ ]

Sed tamen per gratiam viae ita potest homo bono astringi, quod non nisi valde de difficili peccare possit, per hoc quod

  • ex virtutibus infusis inferiores vires refrenantur,
  • et voluntas
    • in Deum fortius inclinatur,
  • et ratio
    • perficitur in contemplatione veritatis divinae, cuius continuatio ex fervore amoris proveniens hominem retrahit a peccato.

Sed totum quod deficit ad confirmationem, completur per custodiam divinae providentiae in illis qui confirmati dicuntur ; ut scilicet quandocumque occasio peccati se ingerit, eorum mens divinitus excitetur ad resistendum.

 

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  1. Cette citation plus longue est d'abord d'ordre théologique. Dans notre condition actuelle (in statu viae), la perfection de nos actions est impossible sans la grâce.
  2. A propos du vocabulaire, viateur signifie celui qui voyage en cette vie, ce voyageur est in statu viae, c'est à dire en transition, sur la voie qui le mène à la fin dernière, la vision béatifique.
  3. Compréhenseur signifie celui qui peut embrasser la totalité d'un ensemble, être capable de prendre ensemble. C'est le cas du Christ, voyageur en tant qu'homme et compréhenseur en tant que Dieu.
  4. "La raison est rendue parfaite dans la contemplation de la vérité divine, dont la continuation provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire l’homme du péché"... La continuité de la contemplation provient de la ferveur de l'amour. 

Amour, Perfection, Contemplation, Conditionnement, Péché, Grâce, Ferveur, Continuité

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7ad6 - On ne peut faillir à désirer le bonheur

  • Tout esprit raisonnable désire naturellement le bonheur

 

  • De façon indéterminée et en général (in universali),
    • tout esprit raisonnable appète [= désire] (appetit) naturellement le bonheur,
      • et à cet égard, faillir ne peut pas ;
  • mais de façon particulière,
    • il n’y a pas de mouvement déterminé de la volonté de la créature pour chercher (quarendam) la félicité en ceci ou cela.
      • Et ainsi, en appétant le bonheur, quelqu’un peut pécher.

(DeVer.q24a7ad6)

  • Felicitatem indeterminate et in universali
    • omnis rationalis mens naturaliter appetit,
      • et circa hoc deficere non potest ;
  • sed in particulari
    • non est determinatus motus voluntatis creaturae ad quaerendam felicitatem in hoc vel illo.
      • Et sic in appetendo felicitatem aliquis peccare potest.

 

 


"à cet égard, faillir ne peut pas" : Georges Lucas a-t-il fait du latin à l'école ?

Nature, Donné (le), Universel, Particulier, Bonheur, Détermination

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7 - Le péché est une action (au sens large) séparée de son ordre propre ET dans le domaine naturel ET dans le domaine artistique ET dans le domaine moral

  • Ce dés-ordre est une dette

Le péché n’est rien d’autre, dit

  • ou dans les choses naturelles,
  • ou dans les choses artificielles,
  • ou dans les choses volontaires,

que

  • le défaut
  • ou le dés-ordre

de l’action propre, quand quelque chose est fait (agitur) non selon ce qui est dû (debitum), ainsi qu’on le voit clairement au deuxième livre de la Physique. 

(DeVer.q24a7)

Nihil enim est aliud peccatum,

  • sive in rebus naturalibus
  • sive artificialibus
  • sive voluntariis dicatur,

quam

  • defectus
  • vel inordinatio

propriae actionis, cum aliquid agitur non secundum quod debitum est agi, ut patet II Phys. [l. 14 (199 a 33)]. 

 


Où l'ont voit bien ici que le sens du mot péché est plus large pour Thomas que dans notre acception actuelle seulement limitée au domaine moral. Pour Thomas, le péché est simplement, d'une manière ou d'une autre, une chose qui fait défaut à son ordre propre. Pour rendre  une partie de la signification de ce mot telle qu'elle est pensée par Thomas, on pourrait traduire par "défaillance", "défectuosité", ce qui serait particulièrement adapté aux "réalités artificielles" dont parle Thomas, une mécanique construite par l'homme peut défaillir. En suivant Thomas, on peut dire qu'un moulin dont la mécanique défaille est un moulin qui pêche. Le péché est vu ici dans un sens large comme un bug.

Sur le mot debitum, il est significatif que le péché soit vu comme une soustraction à ce qui est, le monde créé est débiteur d'un ordre qui lui est intrinsèque. Mais on pourrait dire la même chose de Dieu, il est lui aussi, en quelque sorte, débiteur de ce qu'il est, Dieu est dépendant de sa propre nature. La différence réside dans le fait que le monde créé peut faillir alors que Dieu agit à l'égard de lui-même de manière nécessairement ordonnée.

Nature, Art, Ordre, Péché, Morale / éthique, Désordre, Défaut, Ordre propre, Dette

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a8 - Le mal est involontaire

La volonté

  • tend naturellement vers le bien comme vers son objet ;
  • et si elle tend parfois vers le mal, cela n’arrive pas si ce n'est que parce que le mal lui est présenté sous l'espèce du bien.

En effet, le mal est involontaire, comme dit Denys au quatrième chapitre des Noms divins.

Le péché 

  • ne peut donc exister dans le mouvement de la volonté (c'est à dire : [ne peut exister] que [la volonté] appète [= désire] le mal), 
  • que si dans la puissance appréhensive préexiste un défaut (defectus) à cause duquel le mal lui est proposé comme un bien.

Or ce défaut (defectus) dans la raison peut survenir de deux façons, etc. ... 

(DeVer.q24a8)

Voluntas enim

  • naturaliter tendit in bonum sicut in suum obiectum ;
  • quod autem aliquando in malum tendat, hoc non contingit nisi quia malum sibi sub specie boni proponitur.

Malum enim est involuntarium, ut Dionysius dicit IV cap. de Divin. Nom. [§ 32].

 

  • Unde non potest esse peccatum in motu voluntatis, scilicet quod malum appetat,
  • nisi in apprehensiva virtute defectus praeexistat, per quem sibi malum ut bonum proponatur.

Hic autem defectus in ratione potest dupliciter accidere etc. ...


 

Nature, Volonté, Bien, Mal, Péché, Bien apparent, Involontaire

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7 - La volonté est ordonnée au bien en général, elle est donc laissée dans une certaine indifférence quant aux actions particulières

Dans l’agir, la nature rationnelle pourvue de libre arbitre est différente de toute autre nature.

  • En effet, une autre nature
    • est ordonnée à un certain (aliquod) bien particulier,
    • et ses actions sont déterminées relativement à ce bien,
  • au lieu que la nature raisonnable est simplement (simpliciter) ordonnée au bien.

Car,

  • de même que le vrai dans l’absolu (absolute) est l’objet de l'intellect (intellectus),
  • de même le bien dans l’absolu (absolute) [est l’objet de] la volonté ;

d’où vient que la volonté s’étend

  • au principe universel même des biens,
  • auquel nul autre appétit ne peut parvenir.

Et c’est pourquoi la créature rationnelle

  • n’a pas des actions déterminées (determinatas actiones),
  • mais se comporte avec une certaine indifférence (indifferentia) envers les actions matérielles

(DeVer.q24a7)

Differt autem in agendo natura rationalis praedita libero arbitrio ab omni alia natura.

  • Alia enim natura
    • ordinatur ad aliquod particulare bonum,
    • et actiones eius sunt determinatae respectu illius boni ;
  • natura vero rationalis ordinatur ad bonum simpliciter.

 

  • Sicut enim verum absolute obiectum est intellectus,
  • ita et bonum absolute voluntatis ;

et inde est quod

  • ad ipsum universale bonorum principium voluntas se extendit,
  • ad quod nullus alius appetitus pertingere potest.

Et propter hoc creatura rationalis

  • non habet determinatas actiones,
  • sed se habet sub quadam indifferentia respectu materialium actionum. 

 


1. -- "actions matérielles" : on doit pouvoir prendre ici le mot "matérielles" comme synonymes de "particulières".

2. -- "une certaine indifférence" : le mot "certaine" souligne que l'indifférence ne l'est que sous un certain aspectet n'est pas absolue.

Libre arbitre, Volonté, Intellect / Intelligence, Bien, Vrai

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Les deux dimensions du libre arbitre : la liberté et le jugement, la liberté provient de la volonté, le jugement de la raison

 

Extrêmement clair. C'est un point sur lequel Thomas précise les écrits d'Aristote.

[L’expression de] "Libre arbitre" ne désigne pas la volonté de manière absolu mais dans son ordre à la raison ; c’est pourquoi, pour signifier cela, la volonté et la raison sont mis obliquement (oblique) dans la définition du libre arbitre. 

(DeVer.q24a6ad1)

Liberum arbitrium non nominat voluntatem absolute, sed in ordine ad rationem, inde est quod ad hoc significandum voluntas et ratio in definitione liberi arbitrii oblique ponuntur.

 

La raison confronte les possibles, cette confrontation permet l'élection, acte propre du libre arbitre. La volonté ne peut confronter toute seule, elle "sous-traite" donc cette partie à la raison mais "reste aux commandes", car c'est un bien qu'on choisit et le bien relève de la volonté, non de la raison. 

---

 Encore plus clair : 

Bien que le jugement appartienne à la raison, cependant la liberté dans le jugement appartient immédiatement (immediate) à la volonté.

(DeVer.q24a6ad3)

Quamvis iudicium sit rationis, tamen libertas iudicandi est voluntatis immediate.

 

---

 Nous sommes appelés rationnels et par la puissance de la raison et par la puissance de la volonté.

Nous sommes appelés rationnels non seulement

  • d’après la puissance de la raison,
  • mais aussi d’après l’âme rationnelle,
    • dont la volonté est une puissance ;

et ainsi,

  • selon que nous sommes rationnels
  • nous sommes dits être [doués] de libre arbitre.

Cependant, si le terme « rationnels » était pris de la puissance de la raison [uniquement], la citation des autorités sus-dites [Jean Damascène et Grégoire de Nysse] signifierait que

  • la raison est l’origine première du libre arbitre, [= ce qui est faux]
  • et non le principe immédiat de l’élection. [= comme cela doit être affirmé]

(DeVer.q24a6ad4)

Rationales dicimur non solum

  • a potentia rationis,
  • sed ab anima rationali,
    • cuius potentia est voluntas ;

et sic

  • secundum quod rationales sumus,
  • dicimur esse liberi arbitrii.

Si tamen rationale a rationis potentia sumeretur, praedicta auctoritas significaret

  • rationem esse primam liberi arbitrii originem,
  • non autem immediatum electionis principium.

 

Liberté, Raison, Libre arbitre, Choix (Election), Volonté

Thomas d'Aquin - I-II.q19a10 - La volonté humaine est conformée à la volonté de Dieu sous trois aspects - Y REVENIR - DIFFICILE A ASSIMILER DANS LE DETAIL

  • Materialiter (par efficience de l'inclination naturelle), formaliter (par la fin commune et universelle qu'est Dieu lui-même) et formaliter encore (par ??? charité)

Ne pas oublier qu'aliquid est un terme qui n'est pas anodin, le mot a une signification bien précise et importante. Il est l'un des transcendentaux. Voir notamment, au début du De Veritate.

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Dixièmement, [on se demande] s'il est nécessaire que la volonté humaine soit conforme à la volonté divine, pour qu'elle soit bonne.

Decimo, utrum necesse sit voluntatem humanam conformari divinae voluntati in volito, ad hoc quod sit bona.

[On appréhende d'abord par la raison ce vers quoi on tend ensuite, et on l'appréhende sous deux angles différents]

On a vu précédemment que la volonté est portée vers l'objet tel qu'il lui est présenté par la raison. Or la raison peut considérer un même être sous divers modes,

  • en sorte que sous une ratio, il soit bon,
  • et selon une autre ratio, il ne soit pas bon.

C'est pourquoi

  • une certaine (alicuius) volonté,
    • si elle veut qu'une chose soit,
      • selon qu'elle a raison de bien,
        • est bonne,
  • et une autre volonté,
    • si elle veut que cette même chose ne soit pas,
      • selon qu'elle a raison de mal,
        • cette volonté sera également bonne.

[ ]

Sicut ex praedictis patet, voluntas fertur in suum obiectum secundum quod a ratione proponitur. Contingit autem aliquid a ratione considerari diversimode,

  • ita quod sub una ratione est bonum,
  • et secundum aliam rationem non bonum.

Et ideo

  • voluntas alicuius,
    • si velit illud esse,
      • secundum quod habet rationem boni,
        • est bona,
  • et voluntas alterius,
    • si velit illud idem non esse,
      • secundum quod habet rationem mali,
        • erit voluntas etiam bona.

[Exemple : regard selon la justice (bien commun), regard selon la nature (bien particulier)]

  • Ainsi la volonté du juge est bonne lorsqu'il veut la mort d'un bandit
    • parce qu'elle est juste ;
  • et la volonté de l'épouse ou du fils de ce bandit lorsqu'ils ne veulent pas sa mort,
    • parce que cette mise à mort est un mal selon la nature, est également bonne.

Or, puisque la volonté suit la perception de la raison ou de l'intelligence,

  • selon que la ratio boni appréhendée sera commune,
  • selon cela la volonté est portée dans le bien commun,

comme on le voit dans l'exemple cité : le juge a la charge du bien commun, qui est la justice, et c'est pourquoi il veut la mort du bandit, laquelle à raison de bien en relation avec l'ordre social (statum communem) ;

la femme du bandit, quant à elle, a la considération du bien privé de la famille et c’est pourquoi elle ne veut pas que son mari soit mis à mort.

[ ]

  • Sicut iudex habet bonam voluntatem, dum vult occisionem latronis,
    • quia iusta est,
  • voluntas autem alterius, puta uxoris vel filii, qui non vult occidi ipsum,
    • inquantum est secundum naturam mala occisio, est etiam bona.

Cum autem voluntas sequatur apprehensionem rationis vel intellectus,

  • secundum quod ratio boni apprehensi fuerit communior,
  • secundum hoc et voluntas fertur in bonum communius.

Sicut patet in exemplo proposito, nam iudex habet curam boni communis, quod est iustitia, et ideo vult occisionem latronis, quae habet rationem boni secundum relationem ad statum communem; uxor autem latronis considerare habet bonum privatum familiae, et secundum hoc vult maritum latronem non occidi.

[Le bien que Dieu appréhende et qu'il veut, il le veut sous la raison de bien commun]

Or, le bien de tout l'univers est ce qui est qu'appréhendé par Dieu, créateur et gouverneur de l'univers ;

d'où, tout ce qu'il veut,

  • il le veut sous la raison de bien commun,
    • qui est sa bonté,
      • qui est le bien de tout l'univers.

[Le bien que l'homme appréhende, il le veut ou sous une raison particulière ou sous une raison universelle]

De son côté, ce que la créature appréhende, selon sa nature, est un certain bien particulier proportionné à sa nature. 

Or, il arrive que telle chose (aliquid)

  • soit un bien selon une raison particulière,
  • et ne le soit pas sous la raison universelle, et inversement, comme cela a été dit.

Bonum autem totius universi est id quod est apprehensum a Deo, qui est universi factor et gubernator,

unde quidquid vult,

  • vult sub ratione boni communis,
    • quod est sua bonitas,
      • quae est bonum totius universi.

Apprehensio autem creaturae, secundum suam naturam, est alicuius boni particularis proportionati suae naturae.

Contingit autem aliquid 

  • esse bonum secundum rationem particularem,
  • quod non est bonum secundum rationem universalem, aut e converso, ut dictum est.

[Divers cas]

  1. Cela explique qu'
    • une certaine (aliqua) volonté particulière est bonne lorsqu'elle veut une certaine chose (aliquid) selon une raison particulière,
    • alors que Dieu ne la veut pas selon une raison universelle, et vice versa.

 

  1. De là vient aussi que diverses volontés de divers hommes peuvent,
    • même si elles s'opposent par leurs objets, 
    • être bonnes,

parce que sous diverses raisons particulières (rationibus particularibus) ils veulent ceci

    • être
    • ou ne pas être.

[Quand veut-on de la bonne manière ?] 

Or, n'est pas droite, la volonté d'un certain (alicuius) homme qui veut un certain (aliquod) bien particulier,

  • à moins qu'il ne se réfère au bien commun comme à la fin,
    • (avec ceci que l'appétit naturel de chaque partie est aussi ordonné au bien commun du tout).

Or, c'est de la fin [elle-même] qu'est prise la raison formelle de vouloir quelque chose qui est ordonné à une fin 

Donc, pour que quelqu’un (alquis), avec une volonté droite, 

  • veuille un certain bien particulier, 
    • il faut que ce bien particulier soit voulu matériellement,
  • mais que le bien commun divin
    • soit voulu formellement.

La volonté humaine est donc tenue de se conformer

  • à la volonté divine formellement dans ce qui est voulu,
    • car elle doit vouloir le bien divin et commun,
  • mais pas matériellement, pour la raison déjà dîte.

[ ]

  1. Et ideo contingit quod
    • aliqua voluntas est bona volens aliquid secundum rationem particularem consideratum,
    • quod tamen Deus non vult secundum rationem universalem, et e converso.

 

  1. Et inde est etiam quod possunt diversae voluntates diversorum hominum
    • circa opposita
    • esse bonae,

prout sub diversis rationibus particularibus volunt hoc

    • esse
    • vel non esse.

[ ]

Non est autem recta voluntas alicuius hominis volentis aliquod bonum particulare,

  • nisi referat illud in bonum commune sicut in finem,
  • cum etiam naturalis appetitus cuiuslibet partis ordinetur in bonum commune totius.

Ex fine autem sumitur quasi formalis ratio volendi illud quod ad finem ordinatur.

Unde ad hoc quod aliquis recta voluntate

  • velit aliquod particulare bonum, 
    • oportet quod illud particulare bonum sit volitum materialiter,
  • bonum autem commune divinum
    • sit volitum formaliter.

Voluntas igitur humana tenetur conformari

  • divinae voluntati in volito formaliter,
    • tenetur enim velle bonum divinum et commune,
  • sed non materialiter, ratione iam dicta.

[Même quand on veut matériellement, d'une certaine manière, on veut ce que Dieu veut -

Con-formation formelle selon la fin et con-formation matérielle selon l'efficience]

Cependant, quant à ces deux [aspects], de quelque manière (modo) [que ce soit] la volonté humaine est conformée à la volonté divine.

[Lorsque la volonté veut Dieu lui-même, la forme de la con-formité vient de la fin, comme dit plus haut :]

Parce que,

  • selon qu'elle est conformée à la volonté divine dans la ratio communi de ce qui est voulu,
    • elle lui est conformée dans la fin ultime [= cause finale].

[L'inclination naturelle, à laquelle on ne peut rien, porte notre volonté sans faire appel directement à la fin, elle est simplement mise en mouvement, et cette mise en mouvement est une efficience :]

  • En revanche, selon qu'elle n'est pas conformée à ce qui est voulu matériellement,
    • elle lui est conformée à cette dernière selon la raison de cause efficiente,  [= cause efficiente]
      • (parce que cette inclination propre qui suit
        • la nature
        • ou l’appréhension particulière de cette chose
      • est donnée par Dieu comme cause effective [= cause efficiente].)

C’est pourquoi on a l'habitude de dire qu'est conformée, quant à cela [= l'inclination naturelle], la volonté humaine à la volonté divine, parce qu'elle veut ce que Dieu veut qu’elle veuille. [= donc bien comprendre que ce niveau n'est pas directement celui de la liberté mais celui de l'inclination naturelle.]

[ ]

Sed tamen quantum ad utrumque, aliquo modo voluntas humana conformatur voluntati divinae.

[ ]

Quia

  • secundum quod conformatur voluntati divinae in communi ratione voliti,
    • conformatur ei in fine ultimo.

[ ] 

  • Secundum autem quod non conformatur ei in volito materialiter,
    • conformatur ei secundum rationem causae efficientis,
      • quia hanc propriam inclinationem consequentem
        • naturam,
        • vel apprehensionem particularem huius rei,
      • habet res a Deo sicut a causa effectiva.

 

Unde consuevit dici quod conformatur, quantum ad hoc, voluntas hominis voluntati divinae, quia vult hoc quod Deus vult eum velle.

[Il y a aussi la manière de vouloir, par la charité]

Il existe également un autre mode de conformité selon la raison de cause formelle, à savoir que l’homme veut quelque chose (aliquid) par charité, comme Dieu le veut. 

Cette conformité est également ramenée (reducitur) à une conformité formelle qui est tirée de l’ordre vers la fin ultime, qui est l’objet propre de la charité.

Est et alius modus conformitatis secundum rationem causae formalis, ut scilicet homo velit aliquid ex caritate, sicut Deus vult.

Et ista etiam conformitas reducitur ad conformitatem formalem quae attenditur ex ordine ad ultimum finem, quod est proprium obiectum caritatis. 


1. -- Sur l'immédiateté du bien particulier, voir : DeVer.24a2, début.

2. -- "ex ordine ad ultimum finem", la traduction originale traduit "finem" par "but" !

Charité, Volonté, Mouvement, Inclination, Efficacité / Efficience, Cause efficiente, Bien universel, Dieu, Objet, Cause finale, Fin ultime, Formaliter, Materialiter, Moteur, Dieu seul, Cause matérielle, Cause formelle, Bien commun

Thomas d'Aquin - I.q105a4 - Dieu seul meut la volonté ET par ce qu'il est en lui-même (objet) ET par l'inclination qu'il suscite en nous (sujet).

Art. 4 : Est questionné si Dieu peut mouvoir la volonté : Quarto, utrum possit movere voluntatem.

De même que l’intellect, comme cela a été dit, est mu

  1. par son objet,
  2. et par celui qui lui donne la faculté de connaître,

ainsi la volonté est mue

  1. par son objet qui est le bien,
  2. et par celui qui crée la faculté de vouloir.

Sicut intellectus, ut dictum est, movetur

  • ab obiecto,
  • et ab eo qui dedit virtutem intelligendi;

ita voluntas movetur

  • ab obiecto, quod est bonum,
  • et ab eo qui creat virtutem volendi.
[1. Du côté de l'objet]  

Or la volonté peut être mue, à titre d’objet,

  • par un bien quelconque ;

mais elle ne peut l’être d’une manière suffisante et efficace

  • sinon par Dieu.

En effet, quelque chose ne peut suffisamment mouvoir un certain mobile si la vertu active du moteur 

  • ne dépasse pas,
  • ou au moins n’égale pas

la vertu passive du mobile.

Or la vertu passive de la volonté s’étend au bien dans son universalité ; car

  • son objet est le bien universel (bonum universale) 
  • comme l’objet de l’intelligence est l’être universel (ens universale).

Mais tout bien créé

  • est un certain bien particulier ;

Dieu seul

  • est le bien universel.

C’est pourquoi lui seul 

  • comble (implet) la volonté
  • et la meut suffisamment comme objet. 

Potest autem voluntas moveri sicut ab obiecto,

  • a quocumque bono;

non tamen sufficienter et efficaciter

  • nisi a Deo.

Non enim sufficienter aliquid potest movere aliquod mobile, nisi virtus activa moventis

  • excedat,
  • vel saltem adaequet

virtutem passivam mobilis.

Virtus autem passiva voluntatis se extendit ad bonum in universali,

  • est enim eius obiectum bonum universale,
  • sicut et intellectus obiectum est ens universale.

Quodlibet autem bonum creatum

  • est quoddam particulare bonum,

solus autem Deus

  • est bonum universale.

Unde ipse solus

  • implet voluntatem,
  • et sufficienter eam movet ut obiectum.
[2. Du côté de l'inclination = du côté du sujet]  

De manière similaire, la faculté (virtus) volontaire est causée par Dieu seul. Vouloir, en effet,

  • n’est rien d'autre qu’une certaine inclination vers l’objet de la volonté,
  • c’est-à-dire vers le bien universel.

Or incliner un être vers le bien universel appartient au premier moteur, car c’est à lui que correspond la fin ultime. Ainsi, dans les choses humaines, il appartient à celui qui préside d’orienter (dirigere) la multitude vers le bien commun. 

Similiter autem et virtus volendi a solo Deo causatur. Velle enim

  • nihil aliud est quam inclinatio quaedam in obiectum voluntatis,
  • quod est bonum universale.

Inclinare autem in bonum universale est primi moventis cui proportionatur ultimus finis, sicut in rebus humanis dirigere ad bonum commune est eius qui praeest multitudini. 

D'où,

  • des deux manières, il est propre à Dieu de mouvoir la volonté,
  • mais surtout au second point de vue [selon lequel Dieu] incline intérieurement la volonté.
Unde utroque modo proprium est Dei movere voluntatem, sed maxime secundo modo, interius eam inclinando.

1. -- Par bien universel Thomas veut dire le bien envers qui tous les autres biens sont relativisés ou encore le bien qui est entièrement un bien, un bien à qui ne manque rien de la bonté. Nous ne sommes pas en logique, Thomas ne fait pas de Dieu un concept : le bien en général, la notion (ratio) de bien. Evidemment Dieu n'est pas une abstraction, il est LE bien et le plus réel qui soit, le plus PARTICULIER qui soit. Thomas met certes en regard "particulare bonum" et "bonum universale" mais on peut entendre le mot particulier en plusieurs sens...

2. -- A PRECISER : Le mot interius est éclairant : Dieu en lui-même, de par sa bonté entière et première, de manière pour ains dire extérieure, attire à lui ; mais plus encore Dieu agit en nous, intérieurement, pour nous mettre sur une pente, une inclination, qui nous amène à "glisser" vers lui. Il faudrait voir exactement en quoi "Dieu seul" cause notre capacité volontaire. Quand ma volonté est mûe par le morceau de chocolat, en quoi est-de Dieu seul qui, en fait, la meut. On voit bien dans la premier mode comment Dieu seul peut combler (implet) la volonté... mais dans le deuxième mode... ? Un début de réponse : l'inclination est sensée être si forte en nous, que tout bien réel, effectivement exerce sur nous une attraction mais que cette capacité en nous d'être attiré ne se repose en dernier lieu qu'en Dieu seul. Chaque bien particulier met en oeuvre notre inclination, mais le seul qui nous attire fondamentalement, totalement, si nous sommes suffisammant éveillés, appauvris, c'est Dieu seul. Comme si à travers toutes les inclinations aux biens particuliers, c'est fondamentalement LE bien vers lequel nous inclinons.

Volonté, Mouvement, Inclination, Bien universel, Dieu, Objet, Fin ultime, Moteur, Dieu seul

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le propre du bien, en tant qu'il est utile, est d'être élu, choisi

... le bien utile qui est proprement élu ... (DeVer.q24a6)

... bonum utile, quod proprie eligitur ...


Le bien est l'objet propre de la volonté1.

Le bien utile est proprement l'objet de la volonté en tant qu'il peut être élu, choisi.

Et l'élection, le choix, est l'acte propre de la volonté en tant qu'elle arbitre à propos d'un bien utile, c'est à dire un bien intermédiaire, autrement dit : un moyen.

 

Selon Thomas, la fin (en tant que fin ultime à laquelle sont ordonnées toutes les fins intermédiaires) ne se choisit pas, elle s'impose d'elle-même (pour lui, il s'agit de Dieu, mais nous pouvons noter qu'il y a quelque chose de comparable avec les personnes qu'on aime, nous ne choisissons pas de les aimer) ; alors que le bien utile est "proprement" ce qui peut être choisi parmi d'autres comme étant une bonne manière d'atteindre la fin.

1 Par ex. DePot.q3a15ad5

Choix (Election), Utile, Bien utile, Popriété

Thomas d'Aquin - DePot.q3a15 - Le propre de l'agent volontaire est d'intelliger la fin afin de se mouvoir vers cette fin

Est découvert [par nous] que la volonté et la nature agissent en vue d'une fin, mais de façons différentes.

[Le cas de la nature]

En effet, comme la nature ne connaît

  • ni la fin
  • ni la raison de la fin (rationem finis),
  • ni sa relation, [c'est à dire de la relation de] ce qui est vers la fin dans la fin, [??? = ni la relation des moyens vers la fin ???]
  • elle ne peut se fixer une fin ;
  • ni se mouvoir vers la fin,
  • ou l'ordonner,
  • ou la diriger,

ce qui appartient à l'agent [qui agit] par volonté, dont c'est le propre d'intelliger

  • et la fin
  • et tout ce qui a été dit [plus haut] [= la fin, la ratio finis, la relation moyens / fin].

[Le cas de l'agent volontaire]

C'est pourquoi un agent [qui agit] par volonté

  • agit en vue d'une fin,
  • parce qu'il s'est assignée une fin
  • et il se meut lui-même d'une certaine manière vers la fin,
  • en y ordonnant ses actions.

[Le cas de la nature]

Mais la nature tend à sa fin comme mue et dirigée par un autre, pourvu d'intellect et de volonté,

  • comme cela est patent pour la flèche, qui tend vers une cible déterminée par la direction [donnée] par l'archer
  • et ainsi les philosophes disent que l'oeuvre de la nature est l'oeuvre d'une intelligence.

[Le cas de Dieu qui agit ou naturellement ou volontairement]

Mais toujours ce qui dépend d'un autre est postérieur à ce qui est par soi.

C'est pourquoi il faut que celui qui ordonne en premier vers une fin, le fasse par volonté ;

et ainsi Dieu,

  • par volonté produit les créatures dans l'être, 
  • non par nature.

Et ce n'est pas le cas du Fils parce qu'il procède naturellement du Père ; sa génération a précédé la création : parce que le Fils ne procède pas

  • comme ordonné à une fin,
  • mais comme la fin de tout.

(DePot.q3a15)

Invenitur autem agere propter finem et voluntas et natura, sed aliter et aliter.

[ ]

Natura enim, cum non cognoscat

  • nec finem
  • nec rationem finis,
  • nec habitudinem eius, quod est ad finem in finem,
  • non potest sibi praestituere finem,
  • nec se in finem movere
  • aut ordinare
  • vel dirigere;

quod quidem competit agenti per voluntatem, cuius est intelligere

  • et finem
  • et omnia praedicta.

[ ]

Unde agens per voluntatem sic

  • agit propter finem,
  • quod praestituit sibi finem,
  • et seipsum quodammodo in finem movet,
  • suas actiones in ipsum ordinando.

[ ]

Natura vero tendit in finem sicut mota et directa ab alio intelligente et volente,

  • sicut patet in sagitta, quae tendit in signum determinatum propter directionem sagittantis;
  • et per hunc modum a philosophis dicitur, quod opus naturae est opus intelligentiae.

[ ]

Semper autem quod est per aliud, est posterius eo quod est per se.

Unde oportet quod primum ordinans in finem, hoc faciat per voluntatem; 

et ita Deus

  • per voluntatem creaturas in esse produxit,
  • non per naturam.

Nec est instantia de filio, quod naturaliter procedit a patre, cuius generatio creationem praecedit: quia filius non procedit

  • ut ad finem ordinatus,
  • sed ut omnium finis.

 

-----

0. -- Bien noter : 

  • "Le propre de l'agent [qui agit] par volonté est d'intelliger la fin."

1. -- "il se meut lui-même d'une certaine manière vers la fin" : bien noter le quodamodo, pour Thomas c'est bien en dernier lieu la fin qui meut. Si l'agent volontaire est autre que Dieu lui-même, cet agent est, en dernioer lieu, mû par la fin (même si dans l'ordre des moyens cet agent peut se donner à lui-même telle ou telle fin intermédiaire). Pour ce qui concerne Dieu, il est naturellement sa propre fin, donc il se veut naturellement, il n'a pas besoin de se fixer sa fin. Pour l'action que Dieu porte en dehors de lui-même, par contre, il peut se proposer des fins, et c'est ainsi qu'il se meut de son propre chef vers une fin qu'il s'est à lui-même donnée, c'est le cas de la création.

2. -- Attention, ce n'est pas parce que le Fils procède naturellement du Père, que le Père ne veut pas le Fils librement. Comme le dit ailleurs Thomas ce qui est contraire à la liberté, ce n'est pas la nécessité, mais la contrainte.

Volonté, Fin, Intelligere, Intellect, Fin ultime, Création, Père, Fils, Procession, Acte naturel de Dieu, Acte volontaire de Dieu, Philosophes

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4 - Ni juger, ni juger librement n'est un habitus

Passage dans lequel les mots 

  • vis,
  • potentiae,
  • potestate

sont à distinués.

[L’acte de juger simple ne nécessite pas d'habitus]

Juger,

  • si rien n'est ajouté,
  • n'excède pas la capacité de la puissance (vim potentiae),
    • attendu que c’est l’acte d’une puissance,
      • c'est à dire la raison,
    • par [sa] nature propre,
    • sans cela qu'un certain habitus surajouté soit requis.

[L’acte de juger librement ne change rien]

  • Et si l’on y ajoute « librement » (libere),
  • de manière similaire [juger] n'excède [toujours] pas la capacité de la puissance (vim potentiae).

Car une chose est dîte se faire librement (libere) lorsqu’elle est au pouvoir (potestate) de celui qui fait.

Or, qu’une chose soit en notre pouvoir, cela est en nous

  • par une certaine puissance,
    • c'est à dire la volonté,
  • et non par un habitus.

Voilà pourquoi l’expression de libre arbitre ne désigne pas un habitus, mais

  • la puissance de volonté
  • ou de raison,
  • l’une en relation (ordinem) à l’autre.

En effet, l’acte d’élection est produit ainsi, c’est‑à‑dire de l’une d’elles en relation (ordinem) à l’autre (...).

De ce qui précède ressort aussi le motif pour lequel certains ont prétendu que le libre arbitre était un habitus. En effet, certains ont affirmé cela à cause de ce qui est ajouté par le libre arbitre à la volonté et à la raison, c’est‑à‑dire la relation (ordinem) de l’une à l’autre. Mais cela ... 

(DeVer.q24a4)

[ ]

Iudicare,

  • si nihil addatur,
  • non excedit vim potentiae,
    • eo quod est alicuius potentiae actus,
      • scilicet rationis,
    • per propriam naturam,
    • sine hoc quod aliquis habitus superadditus requiratur.

[ ]

  • Hoc autem quod additur libere,
  • similiter vim potentiae non excedit. 

Nam secundum hoc aliquid libere fieri dicitur quod est in potestate facientis.

Esse autem aliquid in potestate nostra inest nobis

  • secundum aliquam potentiam,
  • non autem per aliquem habitum,
    • scilicet per voluntatem.

Et ideo liberum arbitrium habitum non nominat, sed

  • potentiam voluntatis
  • vel rationis,
  • unam siquidem per ordinem ad alteram.

Sic enim actus electionis progreditur, ab una scilicet earum per ordinem ad aliam (...).

Patet etiam ex dictis, unde quidam moti sunt ad ponendum liberum arbitrium esse habitum. Quidam enim hoc posuerunt propter id quod superaddit liberum arbitrium super voluntatem et rationem, scilicet ordinem unius ad alteram. Sed hoc ...

 


1. -- Bien comprendre cette ordre entre volonté et raison ...

2. --

  • Nous n'acquérons pas le jugement comme nous acquérons le courage. Juger que cette table-ci existe ne demande pas d'entraînement, alors que le courage, comme tous les habitus, demande à être exercé pour être acquis. C'est à force d'actes courageux que les actes courageux deviennent faciles à poser, comme une seconde nature ajoutée. Pour celui qui en fait usage, juger ou juger librement sont des puissances naturelles à disposition, et ce non par une seconde nature ajoutée.
  • On note que Thomas glisse du terme de libre arbitre au terme d'élection, ce qui montre bien la force du lien qui les lie, le second étant l'acte propre du premier.
  • Préciser ceci : Le libre arbitre est issu d'une puissance de la volonté ou de la raison, d'un ordre de l'une avec l'autre. L'élection est produite dans un ordre entre la volonté et la raison. Plus loin Thomas dit que le libre arbitre ajoute un ordre entre volonté et raison." Ce passage dans lequel Thomas semble hésiter à la suite d'Aristote trouve une réponse très claire en q24a6 et les rép. - Voir aussi Somme, I.q83a3).

Puissance, Raison, Libre arbitre, Volonté, Jugement, Habitus

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le libre arbitre est la volonté elle‑même dans son acte d'élection

  • Le libre arbitre ne recouvre pas tout ce qu'est la volonté mais seulement en tant qu'elle élit.
  • ... de même que le délectable et l’honnête,
      • qui incluent la raison de fin,
    • sont objets de la puissance appétitive,
  • de même le bien utile, qui est proprement élu
      • (et cela est patent à partir du nom : car le libre arbitre, comme on l’a dit, est la puissance par laquelle l’homme peut juger librement).

Or, si une chose est dîte principe de ce qu’un acte est fait d’une certaine façon (aliqualiter),

  • il n’est pas nécessaire qu’elle soit purement et simplement (simpliciter) le principe de cet acte,
  • mais il est signifié qu’elle en est le principe d’une certaine façon (aliquiliter) ;
  • de même, en disant que la grammaire est la science du parler correct,
    • on ne dit pas qu’elle est purement et simplement le principe de la parole,
      • car l’homme peut parler sans la grammaire,
    • mais qu’elle est le principe de la correction dans la parole.
  • La puissance qui [fait] que nous jugeons librement ne s’intellige pas
    • de celle qui fait que nous jugeons purement et simplement,
      • ce qui appartient à la raison,
    • mais de celle qui fait (facit) la liberté quand nous jugeons,
      • ce qui appartient à la volonté.

C’est pourquoi le libre arbitre est la volonté elle‑même.

Il ne la dénomme pas

  • absolument,
  • mais dans l'ordre à un acte d’elle,
    • celui d’élire.

(DeVer.q24a6)

  • ... sicut bonum delectabile et honestum,
      • quae habent rationem finis,
    • sunt obiectum appetitivae virtutis,
  • ita et bonum utile, quod proprie eligitur) ;
    • et patet ex nomine : nam liberum arbitrium, ut dictum est, art. 4 huius quaest., est potentia qua homo libere iudicare potest.

Quod autem dicitur esse principium alicuius actus aliqualiter fiendi,

  • non oportet quod sit principium illius actus simpliciter,
  • sed aliqualiter significatur esse principium illius ;
  • sicut grammatica per hoc quod dicitur esse scientia recte loquendi,
    • non dicitur quod sit principium locutionis simpliciter,
      • quia sine grammatica potest homo loqui,
    • sed quod sit principium rectitudinis in locutione.
  • Ita et potentia qua libere iudicamus,
    • non intelligitur illa qua iudicamus simpliciter,
      • quod est rationis ;
    • sed quae facit libertatem in iudicando,
      • quod est voluntatis.

Unde liberum arbitrium est ipsa voluntas.

Nominat autem eam non

  • absolute,
  • sed in ordine ad aliquem actum eius,
    • qui est eligere. 

 

Liberté, Raison, Libre arbitre, Choix (Election), Volonté, Manière, Libre jugement

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin

Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin.

D'où il est impossible que rechercher la fin relève d’une autre puissance que rechercher le moyen. Et cette différence entre

  • la fin,
    • qui est désirée (appetitur) dans l’absolu,
  • et le moyen,
    • qui est [désiré] dans l'ordre à autre [chose],

ne peut induire une distinction des puissances appétitives.

Car l’ordination de l’un à l’autre

  • n’est point par soi dans l’appétit,
  • mais par autre chose,

c’est‑à‑dire par la raison, à laquelle il appartient d’ordonner et de confronter ;

d'où elle ne peut être une différence spécifique constituant une espèce de l’appétit.

(DeVer.q24a6)

Tota autem ratio appetibilitatis eius quod est ad finem, in quantum huiusmodi, est finis. 

Unde non potest esse quod ad aliam potentiam pertineat appetere finem et id quod est ad finem. Nec haec differentia,

  • qua finis
    • appetitur absolute,
  • id autem quod est ad finem,
    • in ordine ad alterum,

potest appetitivarum potentiarum distinctionem inducere.

Nam ordinatio unius ad alterum inest appetitui

  • non per se,
  • sed per aliud,

scilicet per rationem, cuius est ordinare et conferre :

unde non potest esse differentia specifica constituens speciem appetitus.

 


 1.-- On ne désire un moyen que parcequ'on désire une fin. Il n'y a pas moyen de désirer un moyen pour lui-même, à moins d'entrer dans une erreur morale. Cela permettra ensuite à TH. de montrer que, puisqu'il traite des moyens, le libre arbitre est lié par eux à la fin. Or la fin est objet de la volonté, donc le libre arbitre est davantage du côté de la volonté. Lire la suite de l'article pour le raisonnement détaillé de TH.

Raison, Fin, Moyen, Ordre, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Appétibilité, Induction, Différence spécifique

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4ad4 - Juger librement relève directement de la puissance même de la raison

 

Connaître immatériellement convient à l’intelligence par la nature même de cette puissance.

Ainsi, le mode impliqué en cela que je dis « juger librement » (libere iudicare),

  • ne relève pas d’un habitus surajouté
  • mais relève de la puissance même de la raison (ipsam potentiae rationem)

(DeVer.q24a4ad4)

Cognoscere immaterialiter convenit intellectui ex ipsa natura potentiae.

Modus igitur importatus in hoc quod dico libere iudicare,

  • non pertinet ad aliquem habitum superadditum,
  • sed ad ipsam potentiae rationem pertinet.

 


 

Nature, Puissance, Raison, Libre arbitre, Jugement, Habitus

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4ad9 - La raison veut naturellement le bien sans mettre en oeuvre un habitus

  • Seule suffit la connaissance d'un bien

[Les puissances appétitives inférieures]

Les puissances appétitives inférieures, c’est‑à‑dire l’irascible et le concupiscible, ont besoin d’habitus pour être perfectionnées par les vertus morales.

En effet, que leurs actes soient modérés,

  • cela n'excède pas la nature humaine,
  • mais cela excède la force des puissances susdites.

Il est donc nécessaire que ce qui appartient à la puissance supérieure, c’est‑à‑dire à la raison, soit imprimé en elles ; et cette empreinte même de la raison dans les puissances inférieures accomplit formellement (formaliter) les vertus morales. 

[La puissance affective supérieure]

Mais la puissance affective supérieure

  • n’a pas de cette manière besoin d’un habitus particulier,
  • car elle tend naturellement vers le bien qui lui est connaturel, comme vers son objet propre.

D'où aussi est‑il seulement requis, pour qu’elle veuille le bien, qu’il lui soit montré par la puissance cognitive. 

(DeVer.q24a4ad9)

[ ]

Appetitivae inferiores, scilicet irascibilis et concupiscibilis, habitibus indigent, unde perficiuntur virtutibus moralibus.

Quod enim actus eorum moderati sint,

  • non excedit naturam humanam,
  • sed excedit vim dictarum potentiarum.

Unde oportet quod id quod est superioris potentiae, scilicet rationis, eis imprimatur ; et ipsa sigillatio rationis in inferioribus viribus formaliter perficit virtutes morales. 

[ ]

Affectiva autem superior

  • non indiget hoc modo aliquo habitu,
  • quia naturaliter tendit in bonum sibi connaturale sicut in proprium obiectum.

Unde ad hoc quod velit bonum, non requiritur nisi quod ostendatur sibi per vim cognitivam.

 


Volonté, Bien, Habitus, Connaissance, Irascible, Concupiscible

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4 - Distinction du libre arbitre au sens propre (un acte) et au sens usuel (une puissance)

  • Le libre arbitre, si l'on prête attention à la force du mot (vis vocabuli), désigne un acte ;
  • mais à partir de l'usage (ex usu) du langage est tirée une signification selon laquelle [le libre arbitre] est principe de l'acte.

En effet, lorsque nous disons que l’homme est [doué] de libre arbitre,

  • nous n'intelligeons pas (non intelligimus) qu’il juge librement en acte,
  • mais qu’il a en lui‑même de quoi pouvoir juger librement. 

(DeVer.q24a4)

  • Liberum arbitrium, si vis vocabuli attendatur, nominat actum ;
  • sed ex usu loquendi tractum est ut significet id quod est principium actus.

Cum enim dicimus esse hominem liberi arbitrii,

  • non intelligimus quod actu libere iudicet,
  • sed quod habeat in se unde possit libere iudicare. 

1. -- Le langage courant montre que nous préférons regarder le libre arbitre comme un pouvoir (donc comme une puissance en général) plutôt que comme cet acte de libre arbitre et cet autre acte de libre arbitre. Pour être libre, il faut "pratiquer" la liberté, c'est à dire poser concrètement tels actes de libre arbitre, c'est à dire tels actes de choix (desquels découlent telles actions). Pas de liberté seulement en puissance.

Acte, Puissance, Libre arbitre, Jugement, Langage courant

Thomas d'Aquin - A SUPPRIMER

L'appétit porte sur l'opérable particulier. (De Ver. q. 24, a. 2, c.)

Est enim appetitus de particulari operabili.

On veut, on désire toujours ce quelque chose, ce quelqu'un. On ne désire pas en général, contrairement à "la raison qui peut porter sur un universel" (id.).

Particulier, Volonté, Désir (appétit sensible)

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2 - L'homme peut accepter les passions ou les repousser, ce qui montre son libre arbitre

L’homme n’est pas nécessairement mû

  • par les choses qui se présentent à lui,
  • ou par les passions qui surgissent du dedans (insurgentibus),

parce qu’il peut

  • les accepter
  • ou les repousser ;

voilà pourquoi l’homme est [doué] de libre arbitre, mais non la bête. 

(DeVer.q24a2)

Homo non necessario movetur

  • ab his quae sibi occurrunt,
  • vel a passionibus insurgentibus

quia potest ea

  • accipere
  • vel refugere ;

et ideo homo est liberi arbitrii, non autem bruta.

 


 1. -- insurgentibus : alt. : qui s'élève du dedans.

Libre arbitre, Nécessité, Passions

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad20 - On juge de ce dont on peut juger, et pas du reste

  • Certaines choses s'imposent en effet, qui ne sont pas objets de choix.

Puisque l’élection est un certain jugement

  • sur les actions,
  • ou une conséquence de ce jugement,

de cela, qui tombe sous notre jugement, il peut y avoir élection.

[sous-entendu : et pas du reste]

(DeVer.q24a1ad20)

Cum electio sit quoddam iudicium

  • de agendis,
  • vel iudicium consequatur,

de hoc potest esse electio quod sub iudicio nostro cadit.

 

 

Choix (Election), Jugement, Agir

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad20 - Nous ne jugeons ni ne choisissons la fin ultime mais nous l'approuvons et la voulons

 

  • De même que nous ne jugeons pas des premiers principes en les examinant,
    • mais que nous y assentons (assentimus) naturellement et examinons toutes les autres choses d’après eux ;
  • ainsi, dans le domaine de l’appétit, nous ne jugeons pas de la fin ultime par un jugement de discussion ou d’examen,
    • mais nous l’approuvons naturellement (naturaliter approbamus),
    • et c’est pourquoi il n’y a pas sur elle élection, mais volonté.

(DeVer.q24a1ad20)

  • Sicut de primis principiis non iudicamus ea examinantes,
    • sed naturaliter ei assentimus, et secundum ea omnia alia examinamus;
  • ita et in appetibilibus, de fine ultimo non iudicamus iudicio discussionis vel examinationis,
    • sed naturaliter approbamus,
    • propter quod de eo non est electio, sed voluntas.

1. -- in appetibilibus : dans les choses possiblement objets de désir, c'est le domaine de l'agir, de l'action en relation à un bien que nous recherchons.

2. -- Nous ne décidons pas si nous voulons être heureux, nous constatons que nous le voulons naturellement.

Nature, Choix (Election), Volonté, Bonheur, Jugement, Assentiment, Fin, Principes (premiers), Prédétermination, Approbation, Fin ultime

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2 - La similitude de libre arbitre et la liberté conditionnée chez les animaux

  • Où Thomas joue un peu avec les mots ...

 

Il y a dans [les bêtes] une certaine similitude du libre arbitre (similitudo liberi arbitrii),

  • en tant qu’elles peuvent
      • agir
      • ou ne pas agir
    • une seule et même chose, suivant leur jugement,
  • de sorte qu’il y a en elles comme (quasi) une certaine liberté conditionnée (conditionata libertas) :

en effet,

  • elles peuvent agir,
    • si elles jugent qu’il faut agir,
  • ou ne pas agir,
    • si elles ne jugent pas ainsi.

Mais parce que leur jugement est déterminé à une seule chose, par conséquent

  • et l’appétit
  • et l’action

sont déterminés à une seule chose. (DeVer.q24a2)

Est in eis quaedam similitudo liberi arbitrii,

  • in quantum possunt
      • agere
      • vel non agere
    • unum et idem, secundum suum iudicium,
  • ut sic sit in eis quasi quaedam conditionata libertas :
  • possunt enim agere,
    • si iudicant esse agendum,
  • vel non agere,
    • si non iudicant.

Sed quia iudicium eorum est determinatum ad unum, per consequens

  • et appetitus
  • et actio

ad unum determinatur.

 


1. -- Les animaux peuvent agir ou ne pas agir, or les animaux ne sont pas libres, et puisque les hommes peuvent eux aussi agir ou ne pas agir, cela signifie que la liberté ne se trouve pas dans le fait de pouvoir agir ou ne pas agir, à moins de n'être libre que par similitude. Mais alors en quoi est-on libre en tant qu'homme ? Nous le sommes par ce qui précède l'action : le jugement libre discernant entre les diverses actions possibles celle qui sera retenue et choisie, cf. DeVer.q24a1ad1. et DeMalo.q15a5.

Liberté, Libre arbitre, Animaux, Conditionnement, Appétit, Similitude, Détermination ad unum, Agir

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad19 - Le libre arbitre, le conditionnement et les différentes causes efficientes et matérielles (les corps extérieurs, le corps, l'habitus acquis, l'habitus infus)

[Ce que l'on ne tient pas de notre naissance]

Les hommes ne tiennent de leur naissance aucune disposition immédiatement dans l’âme intellective, par laquelle ils sont de nécessité inclinés à élire une certaine fin : [aliquem => une fin seconde, un moyen, par laquelle on atteint la fin ultime]

  • ni du corps céleste,
  • ni d’aucune autre chose ;

si ce n’est que de leur nature même (ex ipsa sui natura) ils ont en eux un appétit nécessaire de la fin ultime, c’est‑à‑dire de la béatitude, 

  • ce qui n’empêche pas la liberté de l’arbitre,
  • puisque diverses voies demeurent éligibles pour suivre cette fin ;

et ce, parce que les corps célestes ne laissent pas une impression immédiate dans l’âme raisonnable.

[Ce que l'on tient de notre naissance]

[Le corps apporte en nous un certain conditionnement ... ]

Mais de la naissance résulte une disposition dans le corps du nouveau-né,

  • tant par la puissance des corps célestes [= conditionnement naturel extérieur à nous]
  • que par les causes inférieures, que sont
    • la semence
    • et la matière du fœtus, [= conditionnement naturel intérieur à nous]
    • par quoi l'âme est en quelque manière penchée de manière efficiente (efficitur) [donc pas par une cause finale] à une certaine élection,
    • selon laquelle l'élection de l'âme rationnelle est inclinée à partir des passions,
      • qui sont dans l'appétit sensible,
      • qui est une puissance du corps qui suit les dispositions corporelles.

[ ... mais qui ne supprime pas le libre arbitre pour autant]

Mais de cela nulle nécessité n'est induite en lui quant à l’élection, puisqu’il est au pouvoir de l’âme raisonnable

  • de recevoir,
  • ou de repousser les passions naissantes.

Par la suite, l’homme devient de manière efficiente (efficitur) tel ou tel

  • par un habitus acquis,
    • dont nous sommes la cause,
  • ou par un habitus infus,
    • qui n’est pas donné sans notre consentement, quoique nous n’en soyons pas la cause.

Et cet habitus a pour effet (efficitur) que l’homme désire (appetat) efficacement la fin en consonnance avec cet habitus. Et un tel habitus

  • n’induit pas de nécessité,
  • ni ne lève la liberté de l’élection.

(DeVer.q24a1ad19)

[ ]

Homines ex nativitate non consequuntur aliquam dispositionem immediate in anima intellectiva, per quam de necessitate inclinentur ad aliquem finem eligendum,

  • nec a corpore caelesti,
  • nec ab aliquo alio ;

nisi quod ex ipsa sui natura inest eis necessarius appetitus ultimi finis, scilicet beatitudinis,

  • quod non impedit arbitrii libertatem,
  • cum diversae viae remaneant eligibiles ad consecutionem illius finis.

Et hoc ideo quia corpora caelestia non habent immediatam impressionem in animam rationalem.

[ ]

[ ]

Ex nativitate autem consequitur in corpore nati aliqua dispositio

  • tum ex virtute corporum caelestium,
  • tum ex causis inferioribus, quae sunt
    • semen
    • et materia concepti,

per quam anima quodammodo ad aliquid eligendum prona efficitur,

secundum quod electio animae rationalis inclinatur ex passionibus, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est potentia corporalis consequens corporis dispositiones.

[ ]

Sed ex hoc nulla necessitas inducitur ei ad eligendum ; cum in potestate animae rationalis sit

  • accipere,
  • vel etiam refutare passiones subortas.

Postmodum vero homo efficitur aliqualis

  • per aliquem habitum acquisitum
    • cuius nos causa sumus,
  • vel infusum,
    • qui sine nostro consensu non datur, quamvis eius causa non simus.

Et ex hoc habitu efficitur quod homo efficaciter appetat finem consonum illi habitui. Et tamen ille habitus

  • necessitatem non inducit,
  • nec libertatem electionis tollit.

1. -- consonum : cf. la haine qui exprime une relation de dissonance entre un sujet et un objet qui ne lui convient pas (voir traité des passions).

2. -- efficaciter appetat finem : formule concise qui résume tout : il y a le désir naturel de la fin, et il y a le fait de se diriger vers elle de manière efficiente à travers des moyens, c'est à dire par une opération, une action concrète. Dans le domaine moral, ces actions seront déterminées par la prudence (habitus acquis) ou par un don gratuit de Dieu (habitus infus).

3. -- Nécessité de prendre le contrôle de la partie efficiente, sans quoi on la laisse au conditionnement.

Donné (le), Libre arbitre, Choix (Election), Volonté, Bonheur, Habitus, Inclination, Nécessité, Efficacité / Efficience, Cause efficiente, Moyens, Fin ultime, Habitus infus, Habitus acquis

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad17 - Le jugement libre, c'est le jugement d'élection passé par le conseil

Le jugement auquel la liberté est attribuée,

  • est le jugement d’élection,
  • et non celui que l’homme prononce sur les conclusions dans les sciences spéculatives ;

car l’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis).

(DeVer.q24a1ad17)

Iudicium cui attribuitur libertas,

  • est iudicium electionis ;
  • non autem iudicium quo sententiat homo de conclusionibus in scientiis speculativis ;

nam ipsa electio est quasi quaedam scientia de praeconsiliatis.

 

 


L'élection est le terme du conseil, comme la conclusion est le terme du raisonnement. A ce stade il n'y a pas de mouvement mais un repos.

Liberté, Libre arbitre, Choix (Election), Jugement, Conseil, Science

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad18 - Comment la volonté est doublement non contrainte

  • De même qu'un certain vrai, du fait qu'il est non mélangé de faux, est reçu de nécessité par l'intellect,
    • comme le sont les premiers principes de la démonstration,
  • de même un certain bien, du fait qu'il est non mélangé de mal, est de nécessité désiré (appetitur) par la volonté,
    • à savoir, la félicité elle-même.

[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 1er point - Du côté de la fin]

Cependant, il ne s’ensuit pas que la volonté soit contrainte par cet objet ; car « contrainte »

  • dit quelque chose de contraire à la volonté
    • (qui est proprement inclination de celui qui veut)
  • et ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect
    • (qui ne dit pas inclination en celui qui intellige).

[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 2ème point- Du côté des moyens]

  • A partir de la nécessité de ce bien
    • n'est pas induit la nécessité de la volonté à vouloir d'autres choses, 
  • comme à partir de la nécessité des premiers principes
    • est induit la nécessité à l'assentiment des conclusions ;
  • les autres choses voulues n'ont pas un rapport nécessaire à ce premier voulu (ou selon la vérité ou selon l'apparence) 
    • [qui ferait en] sorte que sans eux ce premier voulu ne soit pas possible ;
  • alors que les conclusions démonstratives ont un rapport nécessaire aux principes à partir desquels elles sont démontrées, 
    • si bien que, les conclusions n'étant pas vraies, il est nécessaire que les principes ne soient pas vrais.

(DeVer.q24a1ad18)

  • Sicut aliquod verum est quod propter impermixtionem falsi de necessitate ab intellectu recipitur,
    • sicut prima principia demonstrationis;
  • ita est aliquod bonum quod propter malitiae impermixtionem de necessitate a voluntate appetitur,
    • scilicet ipsa felicitas.

[ ]

Non tamen sequitur quod ab illo obiecto voluntas cogatur; quia coactio 

  • dicit aliquid contrarium voluntati,
    • quae est proprie inclinatio volentis ;
  • non autem dicit aliquid contrarium intellectui,
    • qui non dicit inclinationem intelligentis.

[ ]

  • Nec ex necessitate illius boni
    • inducitur necessitas voluntatis respectu aliorum volendorum,
  • sicut ex necessitate primorum principiorum
    • inducitur intellectui necessitas ad assentiendum conclusionibus ;
  • eo quod alia volita non habent necessariam habitudinem ad illud primum volitum vel secundum veritatem vel secundum apparentiam,
    • ut scilicet absque illis primum volitum haberi non possit;
  • sicut conclusiones demonstrativae habent necessariam habitudinem ad principia ex quibus demonstrantur,
    • ita quod, conclusionibus non existentibus veris, necesse est principia non esse vera.

 

 


1. -- Extraordinaire : du fait que le bonheur est un bien dans lequel on ne trouve aucun mal, il en peut qu'être nécessairement désiré.

2. -- Sur l'argument du côté de la fin : Le bonheur ne contraint pas la volonté à le vouloir, parce que la volonté est faite pour cela. Non seulement il n'y a pas contrainte, mais désirer le bonheur accomplit la volonté puisqu'elle a en elle-même une inclination au bonheur (elle tend naturellement à cela, elle ne peut faire autrement, comme voir n'est pas une contrainte pour l'oeil). C'est opurquoi, en d'autres lieux, TH. dira que la nécessité n'est pas contraire à la liberté mais seulement la contrainte.

3. -- Sur l'argument du côté des moyens : Le premier vrai et le premier bien servent de premier appui, l'un dans le domaine spéculatif l'autre dans le domaine pratique. Mais alors que ce qui en découle est nécessaire sur le plan spéculatif, cela n'est pas le cas sur le plan pratique. Ainsi, si les conclusions s'imposent d'elles-mêmes à partir des premiers principes (le premier vrai) sur le plan spéculatif, les moyens, eux, ne s'imposent pas à partir du premier bien (le premier bien, désir du bonheur) sur le plan pratique.

4. -- Remarque sur "« contrainte » (...) ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect, qui ne dit pas inclination en celui qui intellige". En effet, car l'intellect n'est pas déterminé à intelliger quelque chose en particulier, alors que la volonté en elle-même est "programmée" à vouloir le bonheur.

Volonté, Bonheur, Contrainte, Inclination, Nécessité, Principes (premiers), Intellect, Mélange (absence de)

Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a5 - L'arbitre et les trois niveaux de réalités, physique, animal, intellectuel

Il faut donc remarquer qu'il appartient à la nature du libre arbitre de pouvoir se porter sur des choses diverses.

[Les êtres qui ne possèdent pas la connaissance]

Aussi la réalité à qui la connaissance manque, dont les actions sont déterminées à une seule [possibilité], n'agit en rien par son arbitre.

[Les êtres qui possèdent la connaissance sensible]

Les animaux sans raison agissent bien

  • par un arbitre,
  • mais pas un arbitre libre ;

parce que le jugement qui les fait rechercher ou fuir une chose est déterminé en eux par nature, de sorte qu'il ne peuvent pas le dépasser, comme la brebis ne peut pas ne pas fuir le loup qu'elle a vu.

[Les êtres qui possèdent la connaissance intellectuelle et rationnelle]

Mais tout être qui possède l'intellect et la raison agit de [par un] libre arbitre, c'est à dire en tant que son arbitre (qui le fait agir) suit l'appréhension de l'intellect ou de la raison, qui se rapportent à plusieurs [objets].

Et c'est pourquoi, comme il a été dit, il relève de la raison de libre arbitre de pouvoir se porter sur plusieurs [choses].

(DeMalo.q15a5)

Est ergo considerandum, quod ad rationem liberi arbitrii pertinet quod in diversa possit.

[ ]

Unde res cognitione carentes, quarum actiones sunt determinatae ad unum, nihil agunt suo arbitrio.

[ ]

Animalia vero irrationalia agunt quidem

  • arbitrio,
  • sed non libero;

quia iudicium quo aliquid prosequuntur velfugiunt, est in eis determinatum a natura, ita ut ipsum praeterire non possint, sicut ovis non potest non fugere lupum visum.

[ ]

Sed omne illud quod habet intellectum et rationem, agit libero arbitrio, in quantum scilicet arbitrium eius, quo agit, consequitur apprehensionem intellectus vel rationis, quae se habet ad multa.

Et ideo, sicut dictum est, ad rationem liberi arbitrii pertinet quod in diversa possit.

 


Libre arbitre, Animaux, Détermination ad unum, Arbitre, Connaissance sensible, Connaissance intellectuelle

Thomas d'Aquin - Seul l'amour spirituel d'amour d'amitié sort réellement de lui-même - I-II.q28a3

[La première extase est celle qui se fait par l'intermédiaire de la connaissance qui médite intensément sur l'objet aimé, elle nous abstrait (abstrahit) des autres choses.]  

... Quant à la seconde extase, l'amour la fait directement : 

  • purement et simplement (simpliciter) dans l'amour d'amitié ;
  • non purement et simplement dans l'amour de concupiscence, mais seulement relativement (secundum quid).

De fait,

  • dans l'amour de convoitise,
    • l'aimant se porte d'une certaine manière hors de soi-même, en tant que, 
      • non content de jouir du bien qu'il possède,
      • il cherche à jouir de quelque chose en dehors de lui-même.
    • Mais parce que ce bien extérieur, il cherche à l'avoir pour soi,
      • il ne sort pas purement et simplement de soi ;
      • mais une telle affection, in fine, se conclut en-dessous de lui [= se ramène sous le pouvoir de sa convoitise].
  • Mais dans l'amour d'amitié, l'affection sort purement et simplement d'elle-même,
    • parce qu'on veut le bien à son ami et on opère [à cela],
    • comme si on lui portait soins et providence
      • à cause de l'ami lui-même.

(Somme, I-II.q28a3)

Sed secundam extasim facit amor directe,

  • simpliciter quidem amor amicitiae;
  • amor autem concupiscentiae non simpliciter, sed secundum quid.

Nam

  • in amore concupiscentiae,
    • quodammodo fertur amans extra seipsum, inquantum scilicet,
      • non contentus gaudere de bono quod habet,
      • quaerit frui aliquo extra se.
    • Sed quia illud extrinsecum bonum quaerit sibi habere,
      • non exit simpliciter extra se,
      • sed talis affectio in fine infra ipsum concluditur.
  • Sed in amore amicitiae, affectus alicuius simpliciter exit extra se,
    • quia vult amico bonum, et operatur,
    • quasi gerens curam et providentiam ipsius,
      • propter ipsum amicum.

 ----- 

 

Bien, Amour d'amitié, Extase, Amour de concupiscence, Soin, Providence

Thomas d'Aquin - !!!! COMM. A VéRIFIER !!! La concupiscence est -elle infinie ? - q30.a4

  • La concupiscence non naturelle est tout à fait infinie

Nous l'avons dit à l'Article précédent, il y a deux sortes de concupiscences : l'une est naturelle, et l'autre non.

Sicut dictum est, duplex est concupiscentia, una naturalis, et alia non naturalis. 

[La convoitise naturelle en acte]

La concupiscence naturelle ne peut être infinie en acte, car elle porte sur ce que la nature requiert. Or la nature tend toujours vers ce qui est fini et déterminé (certum). Aussi bien ne voit-on jamais l'homme convoiter (concupiscit) un mets infini, ou une boisson infinie.

 

 

Naturalis quidem igitur concupiscentia non potest esse infinita in actu. Est enim eius quod natura requirit, natura vero semper intendit in aliquid finitum et certum. Unde nunquam homo concupiscit infinitum cibum, vel infinitum potum.

 

 

[La convoitise naturelle en puissance]

Mais, de même que l'infini en puissance se trouve dans la nature de manière successive, ainsi arrive-t-il que cette concupiscence soit infinie d'une manière successive : après avoir mangé, on veut un autre mets ou tout autre chose dont la nature a besoin ; car ces biens corporels, quand ils nous adviennent, ne demeurent pas toujours, mais disparaissent. Ce qui fait dire au Seigneur, s'adressant à la Samaritaine (Jn 4, 13): "Celui qui boira de cette eau aura encore soif."

 

Sed sicut in natura contingit esse infinitum in potentia per successionem, ita huiusmodi concupiscentiam contingit infinitam esse per successionem; ut scilicet, post adeptum cibum iterum alia vice desideret cibum, vel quodcumque aliud quod natura requirit, quia huiusmodi corporalia bona, cum adveniunt, non perpetuo manent, sed deficiunt. Unde dixit dominus Samaritanae, Ioan. IV, qui biberit ex hac aqua, sitiet iterum.

[La convoitise non naturelle est infinie, 1ère raison]

Quant à la concupiscence non naturelle, elle est tout à fait infinie. En effet, elle est conséquente de la raison, comme nous l'avons dit, et il appartient à la raison de procéder à l'infini. De sorte que celui qui convoite (concupiscit) les richesses, peut les convoiter (concupiscere) non pas jusqu'à telle limite déterminée, mais pour être riche de façon absolue (simpliciter) autant qu'il est en son pouvoir.

 

Sed concupiscentia non naturalis omnino est infinita. Sequitur enim rationem, ut dictum est, rationi autem competit in infinitum procedere. Unde qui concupiscit divitias, potest eas concupiscere, non ad aliquem certum terminum, sed simpliciter se divitem esse, quantumcumque potest.

[La convoitise non naturelle est infinie, 2ème raison]

On peut, d'après le Philosophe, assigner une autre raison pour laquelle une certaine concupiscence est finie, et telle autre infinie.

Potest et alia ratio assignari, secundum philosophum in I Polit., quare quaedam concupiscentia sit finita, et quaedam infinita.

La concupiscence de la fin est toujours infinie ; car la fin - la santé, par exemple - est convoitée (concupiscitur) pour elle-même ; ce qui fait qu'une santé meilleure est convoitée (concupiscitur) davantage, et ainsi à l'infini ; de même, puisque le blanc a pour propriété de dilater la pupille, plus il y a de blancheur, plus la dilatation est grande.  Semper enim concupiscentia finis est infinita, finis enim per se concupiscitur, ut sanitas; unde maior sanitas magis concupiscitur, et sic in infinitum; sicut, si album per se disgregat, magis album magis disgregat.

[La convoitise portant sur les moyens]

Au contraire, la concupiscence portant sur les moyens n'est pas infinie, mais quelque chose est désiré (appetitur : litt. "appété") dans la mesure où cela convient à la fin. Ainsi ceux qui mettent leur fin dans les richesses les convoitent (habent concupiscentiam) à l'infini ; mais ceux qui les désirent (appetunt) pour subvenir aux nécessités de la vie ne désirent (concupiscunt) que des richesses limitées, dit le Philosophe au même endroit. Et il en va de même pour la convoitise de tout le reste.

(Somme, Ia-IIae, q. 30, a. 4, c.)

 Concupiscentia vero eius quod est ad finem, non est infinita, sed secundum illam mensuram appetitur qua convenit fini. Unde qui finem ponunt in divitiis, habent concupiscentiam divitiarum in infinitum, qui autem divitias appetunt propter necessitatem vitae, concupiscunt divitias finitas, sufficientes ad necessitatem vitae, ut philosophus dicit ibidem. Et eadem est ratio de concupiscentia, quarumcumque aliarum rerum.

Lire l'AVERTISSEMENT à la trad. de q26.a2 pour comprendre la nécessité de bien distinguer désir et appétit.

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Thomas s'exprime selon deux niveaux de distinction. Le premier se fait selon trois plans : le plan physique, le plan sensible, le plan rationnel :

  • appétit naturel (concupiscence "tout court" --> issue de la convenance d'un bien de par la nature de tel vivant)
  • appétit sensible (concupiscence selon la connaissance sensible, à proprement parlé : cupidité --> issue de la convenance d'un bien par la connaissance )
  • appétit rationnel (concupiscence selon la connaissance rationnelle, à proprement parlé : désir --> idem)

Le second niveau de distinction se fait selon qu'il y a ou non appréhension (connaissance). Ici, appétit sensible et appétit rationnel, bien que distincts, sont placés ensemble, comme il a été traité dans l'article précédent, du fait qu'ils tiennent tous deux leur exercice de la connaissance du bien. 

En quoi le désir non naturel peut-il être infini ?

1ère raison : le désir non naturel est conséquent de la raison "et il appartient à la raison de procéder à l'infini" par le biais de l'universel, on peut poursuivre la richesse en général, la richesse en elle-même qui ne comporte en soi pas de limite, je peux toujours ajouter une pièce à ma richesse. Le désir devient infini parce qu'il a pour objet quelque chose qui contient en puissance une infinité d'éléments additionables. Bien noter que la dimension infinie provient de la puissance et non de l'acte. Ainsi quelqu'un qui a pour fin les richesses vit en partie dans l'imaginaire de la richesse infinie qu'il ne possédera jamais. Bien voir la vanité et la déconnexion du réel que cela implique.

2ème raison : la fin est désirée pour elle-même : rien ne la relativise, elle ne se finit donc jamais, elle est désirée de manière continue, infinie. Rien ne vient lui mettre un terme puisqu'elle est au bout de la "chaîne".

 

Fin, Infini, Concupiscence, Moyens, Finitude

Thomas d'Aquin - Il y a déjà un certain plaisir dans le désir, mais plus encore dans l'espoir - I-II.q32a3ad3

L'amour et la concupiscence [= désir sensible] causent du plaisir. Car tout ce qui est aimé est délectable pour celui qui aime, du fait que l'amour est une sorte d'union ou de connaturalité de l'aimant et de l'aimé.

De même, tout objet de concupiscence est délectable à celui qui convoite (concupiscenti), la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation.

Cependant l'espoir, parce qu'il comporte une certaine certitude de la présence réelle [à venir] du bien délectable qu'on ne trouve ni dans l'amour ni dans la concupiscence, est dit cause de délectation plus que celle-ci.

Et même, plus que le souvenir (memoria), tourné vers ce qui a déjà passé.

(Somme,  I-II.q2a3ad3)

Etiam amor et concupiscentia delectationem causant. Omne enim amatum fit delectabile amanti, eo quod amor est quaedam unio vel connaturalitas amantis ad amatum.

Similiter etiam omne concupitum est delectabile concupiscenti, cum concupiscentia sit praecipue appetitus delectationis.

Sed tamen spes, inquantum importat quandam certitudinem realis praesentiae boni delectantis, quam non importat nec amor nec concupiscentia, magis ponitur causa delectationis quam illa.

Et similiter magis quam memoria, quae est de eo quod iam transiit.

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1. Noter la remarque "la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation" : sur le plan sensible passionnel, on désire surtout le plaisir procuré par le bien, alors que sur le plan spirituel, on désire surtout le bien qui nous procure du plaisir. Si l'amour instinctif est essentiellement interne (cela vient de l'intérieur du vivant), l'amour passionnel s'ouvre à un premier niveau d'extériorité à travers le bien sensible. Mais c'est avec le bien spirituel qu'est atteint une véritable sortie de soi, un véritable détournement de l'égo. On se détourne de soi pour être intièrement tourné vers l'autre.

Bien, Plaisir, Appétit, Désir, Présence, Concupiscence, Délectation, Espoir

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad2 - L'homme ne choisit pas de la manière dont l'ange ou Dieu choisissent

Personne ne dirait que l’homme n’est pas [doué] de libre arbitre parce qu’il ne peut pas vouloir ou élire à la façon (qualiter) de Dieu ou de l’ange. (DeVer.q24a1ad2) Nullus autem diceret, propter hoc hominem non esse liberi arbitrii, quia non potest taliter velle vel eligere qualiter Deus vel Angelus.

Compléter ce commentaire :

Selon Thomas donc, l'homme a une manière particulière de vouloir et de choisir. Si vouloir ou choisir est une chose, la manière dont nous voulons et dont nous choisissons en est une autre. Mais cette manière particulière n'intervient pas dans le fait que nous sommes doué de libre arbitre. Notre conditionnement physique n'est pas déterminant, ce qui prime est que nous ayons une dimension rationnelle, ce que nous partageons avec Dieu et l'ange. Thomas parle ici en théologien puisqu'il met en parallèle la manière dont nous sommes en mesure d'accomplir des actes méritoires (hors du champs de la nature) et la manière dont nous sommes en mesure d'accomplir des actes simplement politiques (entendre "éthique") qui eux sont bien du ressort de la nature seule.

 

Choix (Election), Volonté, Manière

Thomas d'Aquin - III.q85a1ad3 - Vouloir l'impossible est stupide

Avoir la douleur de ce qui a d'abord été fait, avec l'intention de tenter que ce qui a été fait n'ait pas existé, serait sot.

Somme, III.q85a1ad3

Dolere de eo quod prius factum est cum hac intentione conandi ad hoc quod factum non fuerit, esset stultum.

 


1. -- Dolere : d'autres ont traduit par "Regretter".

2. -- Autrement dit, pour Thomas, vouloir l'impossible est stupide. Ce ne sera pas le cas pour Duns Scot qui cherchera à montrer, à l'occasion de propos sur la chute du diable, qu'il est possible de vouloir l'impossible ; et pour le diable, de vouloir être Dieu alors qu'il sait ne pas être Dieu et qu'il est impossible de le devenir.

Volonté, Impossible, Duns Scot, Principe de non contradiction, Intention, Souffrance, Regret

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1- Les hommes peuvent agir librement à cause de leur capacité à confronter

  • ... et du fait qu'ils ont la notion de fin et celle de moyen, ainsi que l'ordre entre elles
  • A partir d'un jugement de la raison (ex iudicio rationis) les hommes agissent et sont mus,
    • car ils confrontent1 les choses à faire dans le domaine de l'action (conferunt enim de agendis),
  • mais à partir d'un jugement naturel (ex iudicio naturali) agissent et se meuvent toutes les bêtes.

Et cela ressort clairement,

  • d’une part, de ce que toutes celles qui sont de la même espèce opèrent semblablement
    • ainsi, toutes les hirondelles font leur nid de manière similaire,
  • et d’autre part de ce qu’elles ont un jugement pour une œuvre déterminée et non pour toute œuvre ;
    • ainsi, les abeilles n’ont pas d’industrie pour fabriquer autre chose que des rayons de miel (...).
  • [Les bêtes] ne sont pas la cause de leur arbitre, et n’ont pas la liberté de l’arbitre (libertatem arbitrii habent).
  • L’homme, en revanche, jugeant par la puissance (virtutem) de la raison sur les choses à faire dans le domaine de l'action, peut juger depuis son arbitre (de suo arbitrio), en tant qu’il connaît la raison [= la notion analogique] de la fin et du moyen, ainsi que la relation et l’ordre entre l’un et l’autre ;

voilà pourquoi il n’est pas seulement la cause de soi‑même

  • dans le mouvement,
  • mais [aussi] dans le jugement ;

et c’est pourquoi il est [doué] de libre arbitre, on peut quasiment dire de libre jugement pour agir ou ne pas agir.

(DeVer.q24a1)

  • Ex iudicio rationis homines agunt et moventur ; conferunt enim de agendis;
  • sed ex iudicio naturali agunt et moventur omnia bruta.

Quod quidem patet

  • tum ex hoc quod omnia quae sunt eiusdem speciei, similiter operantur,
    • sicut omnes hirundines similiter faciunt nidum :
  • tum ex hoc quod habent iudicium ad aliquod opus determinatum et non ad omnia ;
    • sicut apes non habent industriam ad faciendum aliquod aliud opus nisi favos mellis (...). 
  • Et sic non sunt causa sui arbitrii, nec libertatem arbitrii habent.
  • Homo vero per virtutem rationis iudicans de agendis, potest de suo arbitrio iudicare, in quantum cognoscit rationem finis et eius quod est ad finem, et habitudinem et ordinem unius ad alterum :

et ideo non est solum causa sui ipsius

  • in movendo,
  • sed in iudicando ;

et ideo est liberi arbitrii, ac si [Gaffiot : quasi] diceretur liberi iudicii de agendo vel non agendo.

-----

1.

  • De "confero" : comparer, mettre en parallèle.
  • Le verbe confero met bien en valeur l'analogie intelligence / raison, volonté / libre arbitre. Le mot est utilisé aussi en DeVer.q24a6
  • Plus tard, Thomas utilise l'expression ex collatione (Somme, I.q83a1 et I.q83a4), la collation étant l'acte de conférer avec quelqu'un. Collatio vient de Collatus participe passé de Confero.
  • En ce sens on pourait aussi traduire par : "les hommes tiennent en eux-mêmes conférence afin de juger" ou encore "les hommes discutent en eux-mêmes afin de juger", ou "s'entretiennent en eux-mêmes".
  • Voir l'éclairant article du CNRTL.
  • Voir la réponse de GPT4 : Quelles sont les différentes traductions possibles du verbe confero ? Le verbe latin “confero” peut être traduit en français de plusieurs manières selon le contexte. Les traductions les plus courantes sont “comparer”, “rassembler”, “réunir”, “apporter”, “contribuer” et “conférer”.
  • Une autre bonne traduction serait d'utiliser le verbe colliger mais demeure d'un usage trop rare...

2. -- "[Les bêtes] ne sont pas la cause de leur arbitre, et n’ont pas la liberté de l’arbitre" : très intéressant, cela montre que les bêtes ont bien un arbitre, c'est à dire une capacité de juger, mais cet arbitrage n'est pas libre, leur jugement est naturel.

3. -- "L’homme jugeant par la puissance de la raison sur les choses à faire, peut juger depuis son arbitre, en tant qu’il connaît la raison de la fin et du moyen, ainsi que la relation et l’ordre entre l’un et l’autre" : la "raison" est la saisie dans telle chose puis dans telle autre, etc., d'un élément commun qui lui permet d'abstraire ; on découvre ainsi ce qu'est une fin en général et on peut ensuite juger à propos de certaines choses qu'elles sont des fins. Même chose pour la ratio de moyen. A PRECISER : La ratio fait appel à l'analogie et à l'abstraction.

Action, Libre arbitre, Jugement, Animaux, Mouvement, Libre jugement, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Jugement naturel, Jugement rationnel

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad1 - On ne dit pas que l'homme est libre de ses actions, mais libre de son élection

L'homme n'est pas dit libre de ses actions, mais libre de son élection, qui est juge des choses à faire dans le domaine de l'action. Et le nom même "libre arbitre" le montre.

(DeVer.q24a1ad1)

Homo non dicitur esse liber suarum actionum, sed liber suae electionis, quae est judicum de agendis. Et hoc ipsum nomen liberi arbitrii demonstrat.

 


A précisément parler, l'homme n'est pas libre de ses actions, mais du choix qui prélude à ses actions. Ce qui implique de penser qu'il n'y a pas d'acte humain sans choix.

Voir aussi DeVer.q24a2ad3

Libre arbitre, Choix (Election), Actions, Jugement, Juge, Arbitre

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2ad3 - Les actions peuvent être empêchées, on n'est donc pas libre de son action

Les actions, étant exercées par le corps, peuvent être contraintes ou empêchées non seulement chez les bêtes, mais aussi chez les hommes, et c’est pourquoi on ne dit pas même de l’homme qu’il est libre de son action. 

(DeVer.q24a2ad3)

Actiones, cum per corpus exerceantur, cogi possunt vel prohiberi, non solum in brutis, sed in hominibus, unde nec ipse homo dicitur liber actionis suae.

 


Parce que nous sommes des êtres corporels appartenant au monde physique, les conséquences d'un choix peuvent ne pas s'appliquer. La liberté est avant tout interne et n'a pas besoin de voir les actions réellement efféctuées pour exister.

 Voir aussi DeVer.q24a1ad1.q24a1ad1

Liberté, Choix (Election), Actions, Animaux, Contrainte, Conditionnement, Corps, Empêchement

Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4 - Ce que Dieu veut d'autre que lui-même l'est pour étendre sa bonté à d'autres êtres

La volonté divine a donc pour objet voulu principal

  • ce qu’elle veut naturellement,
  • et qui est comme la fin de sa volonté,
  • c’est‑à‑dire sa bonté elle‑même,
    • à cause de laquelle elle veut tout ce qu’elle veut d’autre qu'elle‑même :

en effet,

  • il veut les créatures à cause de sa bonté, comme dit saint Augustin,
  • c’est‑à‑dire afin que sa bonté,
    • (qui, par essence, ne peut être multipliée,)
    • soit diffusée à une multitude [d'êtres] au moins par une certaine participation de similitude.

(DeVer.q23a4)

Voluntas igitur divina habet pro principali volito

  • id quod naturaliter vult,
  • et quod est quasi finis voluntatis suae ;
  • scilicet ipsa bonitas sua,
    • propter quam vult quidquid aliud a se vult :

 

  • vult enim creaturas propter suam bonitatem, ut Augustinus [Ps.‑ August., De dil. Deo, cap. 2] dicit ;
  • ut videlicet sua bonitas,
    • quae per essentiam multiplicari non potest,
    • saltem per quamdam similitudinis participationem diffundatur ad multa.

 

 

Volonté, Bonté, Volonté divine, Créatures, Diffusion, Participation

Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4 - La volonté humaine recherche naturellement la béatitude

 

La volonté humaine appète [= désire] naturellement la béatitude [= le bonheur], et relativement à cet objet voulu la volonté a une nécessité, puisqu’elle tend vers lui par mode de nature ; en effet, l’homme ne peut pas vouloir ne pas être heureux, ou être malheureux.

(DeVer.q23a4)

Humana voluntas naturaliter appetit beatitudinem, et respectu huius voliti vo‑ luntas necessitatem habet, cum in ipsum tendat per modum naturae ; non enim potest homo velle non esse beatus, aut esse miser.

 

 

Nature, Donné (le), Volonté, Bonheur, Béatitude, Désir (appétit volontaire), Appétit

Thomas d'Aquin - I.q59a3 - Partout où est un intellect, est un libre arbitre

Seul celui qui possède un intellect peut agir par un jugement libre, car

  • il connaît la raison universelle de bien,
  • à partir de laquelle il peut juger si ceci ou cela est bon.

C’est pourquoi, en tout [être] où il y a un intellect est un libre arbitre.

(Somme, I.q59a3)

 

Sed solum id quod habet intellectum, potest agere iudicio libero, inquantum

  • cognoscit universalem rationem boni,
  • ex qua potest iudicare hoc vel illud esse bonum.

Unde ubicumque est intellectus, est liberum arbitrium.  

 


(début de l'article ici)

 

Libre arbitre, Intellect / Intelligence

Thomas d'Aquin - ContraRetr.9 - Si tu veux entrer en religion, ne demande pas conseil aux proches selon la chair

Mais il reste deux choses qu’il faut encore conseiller à ceux qui entretiennent le propos d’entrer en religion : l’une est la manière d’entrer en religion ; l’autre est de savoir s’ils ont quelque empêchement par lequel ils seraient empêchés d’entrer en religion, par exemple, s’ils sont des serfs, ou s’ils sont unis par le mariage, ou quelque chose de ce genre.

Mais, en premier lieu, les proches selon la chair doivent être écartés de ce conseil. En effet, il est dit en Pr 25, 9 : "Traite de ce qui te concerne avec ton ami, et ne révèle pas ton secret à un étranger". Les proches selon la chair ne sont pas des amis eu égard à ce propos, mais plutôt des ennemis, selon ce qu’on lit en Mi 7, 6 : "Les ennemis de l’homme, ce sont les membres de sa maison". C’est ce que le Seigneur aussi met de l’avant en Mt 10, 36. Dans ce cas, donc, il faut surtout éviter les conseils des proches selon la chair. (...)

Il faut aussi que soient écartés de ce conseil les hommes charnels, par qui la sagesse de Dieu est considérée comme folie. Ainsi est-il dit par dérision en Si 37, 12 : Parle de sainteté avec un homme sans religion, et de justice avec un homme injuste! Et il ajoute plus loin : Ne porte attention à aucun de leurs conseils, mais fréquente l’homme sage (Si 37, 14‑15), à qui il faut demander conseil, s’il faut être conseillé par certains dans cette situation.

(ContraRetr.9)

Restant autem duo de quibus consiliari relinquitur his qui religionis assumendae propositum gerunt: quorum unum est de modo religionem intrandi; aliud autem est, si aliquod speciale impedimentum habeant, per quod impediantur a religionis ingressu; puta, si sint servi, vel matrimonio iuncti, vel aliquid huiusmodi.

Sed ab hoc consilio primo quidem amovendi sunt carnis propinqui. Dicitur enim Prov. XXV, 9: causam tuam tracta cum amico tuo, et secretum extraneo non reveles. Propinqui autem carnis in hoc proposito amici non sunt, sed potius inimici, secundum illud quod habetur Mich. VII, 6: inimici hominis domestici eius: quod etiam dominus introducit Matth. X, 36. In hoc igitur casu sunt praecipue vitanda carnalium propinquorum consilia. (...)

Arcendi sunt etiam ab hoc consilio carnales homines, apud quos Dei sapientia stultitia reputatur: unde Eccli. XXXVII, 12, irrisorie dicitur: cum viro irreligioso tracta de sanctitate, et cum iniusto de iustitia: et postea subdit: non attendas his in omni consilio, sed cum viro sancto assiduus esto: a quo est petendum consilium, si de aliquibus in hoc casu consiliari oporteat.

 


1. -- Morceau très autobiographique, lorsqu'on sait à quel point les parents de TH. s'opposèrent très concrètement et pendant un long temps à son entrée chez les dominicains quoiqu'ils furent plus que favorables à ce qu'il reste chez les bénédictins du Mont Cassin... pour en devenir l'abbé ...

2. -- "s'il faut demander conseil" : encore une note autobiographique. On voit là que TH. n'a semble-t-il pas eu besoin de demander conseil et que sa décision a été ferme et hautement personnelle.

Liberté, Libre arbitre, Vie religieuse, Choix (Election), Obéissance, Chair, Conseil

Thomas d'Aquin - DeMalo.q10a1- EN COURS - Pourquoi l'envie est-elle une faute ?

Tout acte

  • qui relève de la fuite
  • et dont l'objet est un bien,

n'est convenable

  • ni quant à sa matière
  • ni quant à son objet,

et c'est pourquoi tout acte de cette sorte est un péché par son genre, ainsi

  • haïr le bien, le repousser et s'en attrister,
  • parce que dans l'intelligence, c'est aussi un vice de nier le vrai.

Il ne suffit cependant pas, pour qu'un acte soit bon,

  • qu'il implique la poursuite du bien ou la fuite du mal,
  • si ce n'est la poursuite du bien convenable, et la fuite du mal qui lui est opposé :

pour le bien, dont la perfection tient à la plénitude et à l'intégrité de la chose, sont requis plus d'éléments que pour le mal, qui résulte de chaque déficience singulière, comme le dit Denys dans Les Noms Divins (IV, 30).

Or l'envie implique une tristesse qui vient du bien ; aussi est-il patent qu'elle est de par son genre un péché.

(DeMalo.q10a1)

Omnis actus

  • ad fugam pertinens
  • cuius obiectum est bonum,

est non conveniens

  • suae materiae
  • vel obiecto;

omnis talis actus ex suo genere est peccatum; sicut

  • odire bonum et abominari bonum et de ipso tristari;
  • quia etiam in intellectu vitium est negare verum.

Non tamen sufficit ad hoc quod actus sit bonus,

  • quod importet prosecutionem boni vel fugam mali
  • nisi sit prosecutio boni convenientis, et fuga mali quod ei opponitur;

quia plura requiruntur ad bonum, quod perficitur ex tota et integra causa, quam ad malum, quod relinquitur ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit V cap. de Divin. nominibus;

invidia autem importat tristitiam ex bono. Unde patet quod ex suo genere est peccatum. 

 


 

Envie, Bien, Mal, Tristesse, Fuite, Convenance

Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Passions et jugement de la raison

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans la Somme

Lorsque [les passions de l'âme] suivent la volonté, elles ne diminuent pas

  • la qualité
  • ou la bonté de l’acte,

car

  • elles seront modérées selon le jugement de la raison,
  • à partir duquel s’ensuit la volonté.

Mais elles ajoutent plutôt à la bonté de l’acte, à deux points de vue.

Secundum vero quod consequuntur ad voluntatem, sic non diminuunt

  • laudem actus
  • vel bonitatem :

quia

  • erunt moderatae secundum iudicium rationis,
  • ex quo voluntas sequitur.

Sed magis addunt ad bonitatem actus, duplici ratione.

Premièrement, par mode de signe :

car la passion même qui s’ensuit dans l’appétit inférieur est le signe que le mouvement de la volonté est intense. Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté se meuve fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. 

C’est pourquoi saint Augustin dit au quatorzième livre de la Cité de Dieu: « Tant que nous portons l’infirmité de cette vie, nous ne vivrions pas selon la justice si nous n’éprouvions absolument aucune de ces passions. » Et peu après, il ajoute la cause en disant : « N’éprouver en effet aucune douleur, tant que nous sommes en ce séjour de misère, cela s’obtient, très chèrement, au prix de la cruauté de l’âme et de l’insensibilité du corps. »

Primo per modum signi :

quia passio ipsa consequens in inferiori appetitu est signum quod sit motus voluntatis intensus. Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.

Unde dicit Augustinus, XIV de Civitate Dei [cap. 9] :dum huius vitae infirmitatem gerimus, si passiones nullas habeamus, non recte vivimus.Et post pauca subiungit causam, dicens : nam omnino non dolere dum sumus in hoc loco miseriae, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, et stuporis in corpore.

Ensuite à la façon d’une aide :

car lorsque la volonté élit quelque chose par le jugement de la raison, elle passe à l'action plus promptement et plus facilement si, avec cela, la passion est excitée dans la partie inférieure, l’appétitive inférieure étant proche du mouvement du corps.

Aussi saint Augustin dit‑il au neuvième livre de la Cité de Dieu: « Or ce mouvement de miséricorde sert la raison quand la miséricorde se manifeste sans compromettre la justice. »

Et c’est ce que le Philosophe dit au troisième livre de l’Éthique, citant le vers d’Homère : « éveille ta force et ton irritation » ; en effet, lorsqu’on est vertueux quant à la vertu de force, la passion de colère qui suit l’élection de la vertu contribue à la plus grande promptitude de l’acte ; mais si elle la précédait, elle perturberait le mode de la vertu

(DeVer.q26a7)

Secundo per modum adiutorii :

quia quando voluntas iudicio rationis aliquid eligit, promptius et facilius id agit, si cum hoc passio in inferiori parte excitetur ; eo quod appetitiva inferior est propinqua ad corporis motum.

Unde dicit Augustinus, IX de Civitate Dei [cap. 5] : servit autem motus misericordiae rationi, quando ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur. Et hoc est quod philosophus dicit in libro III Ethicorum [cap. 11 (1116b 28)] inducens versum Homeri : virtutem et furorem erige; quia videlicet, cum aliquis est virtuosus virtute fortitudinis, passio irae electionem virtutis sequens facit ad maiorem promptitudinem actus ; si autem praecederet, virtutis mo‑ dum perturbaret.

 

 

 

Raison, Choix (Election), Volonté, Jugement, Passions, Vertu, Bonté, Courage, Moralité, Morale / éthique, Appétit sensible, Hâte

Thomas d'Aquin - On peut utiliser la passion par choix pour aller plus vite ! - I-II.q24a3ad1

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans De Veritate

Les passions peuvent avoir un double rapport avec le jugement de la raison. Dicendum quod passiones animae dupliciter se possunt habere ad iudicium rationis. 
1. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent (obnubilent) le jugement, duquel dépend la bonté de l'acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d'accomplir une oeuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié (misericordiae). Uno modo, antecedenter. Et sic, cum obnubilent iudicium rationis, ex quo dependet bonitas moralis actus, diminuunt actus bonitatem, laudabilius enim est quod ex iudicio rationis aliquis faciat opus caritatis, quam ex sola passione misericordiae.
2. D'autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d'une double manière : Alio modo se habent consequenter. Et hoc dupliciter.
  • a) Par manière de rejaillissement (redundantiae) lorsque, la partie supérieure de l'âme est mue intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Et ainsi la passion qui existe consécutivement [au jugement] dans l'appétit sensitif est un signe de l'intensité de la volonté. Et ainsi elle indique une bonté morale plus grande.
  • Uno modo, per modum redundantiae, quia scilicet, cum superior pars animae intense movetur in aliquid, sequitur motum eius etiam pars inferior. Et sic passio existens consequenter in appetitu sensitivo, est signum intensionis voluntatis. Et sic indicat bonitatem moralem maiorem. 
  • b) Par manière de choix : quand l'homme, par un jugement rationnel, choisit d'être affecté de telle passion afin d'agir plus vite (promptius), avec la coopération de l'appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l'acte.
Somme, I-II.q24a3ad1)
  • Alio modo, per modum electionis, quando scilicet homo ex iudicio rationis eligit affici aliqua passione, ut promptius operetur, cooperante appetitu sensitivo. Et sic passio animae addit ad bonitatem actionis.

 

Commentaires : 

  1. Redundantiae traduit par rejaillissement pourrait être aussi traduit par "surabondance", "excès" ou "débordement".
  2. A vérifier mais, a priori, grave erreur de traduction ("l'âme se portant intensément vers une chose") : pars animae intense movetur in aliquid : ici l'âme est mûe et non se meut, movetur est au présent passif, non actif, l'objet prime sur la possibilité volontariste de la raison. Ici, l'âme répond à une attraction. On n'est pas chez Duns Scot ! Même problème ici.
  3. La dernière partie est extraordinaire, le choix de se servir de la passion comme d'une monture pour aller plus vite. Quelle liberté ! On imagine très bien Thomas utilisant son amour passionné de la vérité pour donner plus d'allant à sa recherche concrète malgré la fatigue et autres obstacles.
  4. Promptius : ne veut pas dire immmédiatement "plus vite" mais davantage "plus facilement", en cela que la passion peut de nouveau rendre nos facultés spirituelles prêtes à être utilisées. Mais la traduction reste bonne, la passion habilement utilisée peut maintenir nos facultés éveillées, plus en acte. On est prêt à dégainer, on peut maintenir l'activité spirituelle plus longtemps. De même que Thomas reconnaîtra dans l'autre sens que la fatigue des faultés sensibles adjointes à l'activité contemplative ne permet pas de maintenir la contemplation indéfiniment.

Raison, Choix (Election), Volonté, Jugement, Passions, Vertu, Bonté, Efficacité / Efficience, Moralité, Morale / éthique, Appétit sensible, Hâte, Vitesse, Promptitude

Thomas d'Aquin - DeMalo.q11a3ad1 - La sensibilité, même chez les parfaits, reste dans une certaine lutte contre le bien spirituel

L'acédie est-elle un péché mortel ?

Chez les hommes parfaits, il peut y avoir un mouvement imparfait d'acédie, du moins (saltem) dans la sensualité, en raison de ce que nul n'est si parfait qu'il ne reste en lui quelque opposition de la chair envers l'esprit. (DeMalo.q11a3ad1)

Utrum accidia sit peccatum mortale

In viris perfectis potest esse imperfectus motus accidiae saltem in sensualitate, propter hoc quod nullus est ita perfectus in quo non remaneat aliqua contrarietas carnis ad spiritum.

 -----

1. Dans sa réponse Thomas dit : oui, en tant que telle, l'acédie est un péché mortel puisqu'elle est "une certaine tristesse qui vient de la répugnance de l'affect humain (affectus humanis) pour le bien spirituel divin". --- Mais pour qu'elle soit vraiment un péché mortel, il faut que l'acte d'acédie soit principal, dominant. C'est pourquoi Thomas ajoute dans les réponses aux objections qu'il reste toujours, même chez les parfaits (entendre : chez les gens qui sont principalement parfaits) une trace, une rémanence (remaneat) de contrariété (contrarietas) dans la sensibilité qui reste indocile à ce que choisit l'esprit, comme un cheval qui manifesterait de temps à autre un léger mécontentement dans le fait d'être dirigé. La sensibilité met beaucoup de temps à être "convertie" entièrement au bien spirituel parce que ce n'est pas son bien propre immédiat, son bien naturel. C'est pourquoi, il faut faire en sorte d'imbiber nos activités sensibles dans l'orientation (l'ordre) profonde de notre esprit au bien spirituel.

2. "Un mouvement imparfait d'acédie" : si le mouvement d'acédie est parfait (entendre : dominant jusqu'à ce que la volonté y adhère), alors il est un péché mortel.

3. Sensualité : voir I.q81a1

Perfection, Esprit, Bien, Péché, Opposés, Amour sensitif, Sensualité, Acédie, Chair, Bien divin, Sensibilité affective

Thomas d'Aquin - I.q83a4 - Analogie intelligence / raison / conclusion -- volonté / libre arbitre / moyens

 

Si le libre arbitre est une puissance appétitive, est-elle la même puissance que la volonté, ou une autre ?

 

 

Si est appetitiva, utrum sit eadem potentia cum voluntate, vel alia.

 

Les puissances appétitives être proportionnées aux puissances cognitives, comme on l'a dit plus haut.

  • De même que de la partie appréhension intellectuelle se prennent l'intellect et la raison, 
  • ainsi de la partie appétit intellectif se prennent la volonté et le libre arbitre,
    • qui n’est rien d’autre que la puissance élective (vis electiva).

Et cela est patent à partir du rapport entre objets et actes [de ces puissances].

Potentias appetitivas oportet esse proportionatas potentiis apprehensivis, ut supra dictum est.

  • Sicut autem ex parte apprehensionis intellectivae se habent intellectus et ratio,
  • ita ex parte appetitus intellectivi se habent voluntas et liberum arbitrium,
    • quod nihil aliud est quam vis electiva.

Et hoc patet ex habitudine obiectorum et actuum.

[Du côté de l'appréhension intellective]  
  • Intelliger (intelligere) implique une simple saisie de quelque réalité (alicuius rei).
    • d'où être intelligé est proprement dit des principes,
      • [principes qui] sont connus par eux-mêmes sans confrontation.
  • Raisonner (Ratiocinari), c’est passer d’une connaissance à une autre,
    • d'où, proprement, c'est sur les conlusions que nous raisonnons,
      • [conclusions] qui deviennent connues à partir des principes.
  • Nam intelligere importat simplicem acceptionem alicuius rei,
    • unde intelligi dicuntur proprie principia,
      • quae sine collatione per seipsa cognoscuntur.
  • Ratiocinari autem proprie est devenire ex uno in cognitionem alterius, 
    • unde proprie de conclusionibus ratiocinamur,
      • quae ex principiis innotescunt.
[Du côté de l'appétit intellectif, (= spirituel)]  

Il en va de même dans l’appétit :

  • vouloir (velle) implique un simple appétit (simplicem appetitum) de quelque réalité,
    • d'où, la volonté est dîte [volonté] de la fin, laquelle est par elle-même objet de l'appétit.
  • Elire, c’est appéter [= désirer] une chose pour en obtenir une autre, 
    • d'où [élire] est proprement à propos de ce qui est en vue de la fin [= les moyens].

Similiter ex parte appetitus,

  • velle importat simplicem appetitum alicuius rei,
    • unde voluntas dicitur esse de fine, qui propter se appetitur.
  • Eligere autem est appetere aliquid propter alterum consequendum,
    • unde proprie est eorum quae sunt ad finem.
[Les premiers principes sont aux conclusions ce que la fin est aux moyens]  

Mais, 

  • de même qu''il y a un rapport dans l’ordre de la connaissance du principe à la conclusion,
    • [conclusion] à laquelle nous donnons notre assentiment à cause des principes,
  • ainsi, dans l’ordre appétitif il y a un rapport de la fin aux moyens,
    • [moyens] qui sont appétés [= désirés] à cause de la fin.

D'où est manifeste que

  • de même qu'il y a un rapport de l'intellect à la raison,
  • ainsi il y a un rapport de la volonté à la puissance élective, ce qui est la même chose que le libre arbitre.

Mais a été montré (ostensum) plus haut 

  • qu'intelliger et raisonner est une même puissance (potentiae),
  • comme reposer et mouvoir est une même capacité (virtutis),

D'où aussi vouloir et élire est une même puissance.

Et à cause de cela volonté et libre arbitre ne sont pas deux puissances, mais une [seule].

(Somme, I.q83a4)

  • Sicut autem se habet in cognitivis principium ad conclusionem,
    • cui propter principia assentimus ;
  • ita in appetitivis se habet finis ad ea quae sunt ad finem,
    • quae propter finem appetuntur.

Unde manifestum est quod sicut se habet intellectus ad rationem, ita se habet voluntas ad vim electivam, idest ad liberum arbitrium.

Ostensum est autem supra

  • quod eiusdem potentiae est intelligere et ratiocinari,
  • sicut eiusdem virtutis est quiescere et moveri.

Unde etiam eiusdem potentiae est velle et eligere.

Et propter hoc voluntas et liberum arbitrium non sunt duae potentiae, sed una.


1. --

L'analogie est donc la suivante : 

  • comme les premiers principes s'imposent dans l'ordre de la connaissance,
  • ainsi s'imposent la connaissance simple de la fin dans l'ordre de l'agir ;

puis

  • comme le raisonnement, à partir des premiers principes, amène à la connaissance d'autres choses,
  • ainsi l'élection, à partir de la connaissance de la fin, amène à la connaissance des moyens.

Voici les rapports de proportions à souligner :

(1) premiers principes, (2) raisonnement, (3) conclusion ;

(1) fins, (2) élection (qui implique la recherche par le conseil), (3) moyens.

Raison, Libre arbitre, Volonté, Intellect / Intelligence, Analogie, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa)

Thomas d'Aquin - I-II.q57a4ad3 - EN COURS - La prudence dans les arts est une prudence au sens restreint

La prudence est bonne conseillère pour ces [choses] qui s'adressent

  • à la totalité de la conduite
  • et à la fin ultime de la vie humaine.

Mais dans les arts certains offre conseil dans ces [choses] àenvers les fins propres de ces arts.

De là vient que certains, en tant qu'ils sont bons conseillers dans les affaires de la guerre ou de la navigation, sont dits de prudents chefs ou de prudents navigateurs,

  • non pas cependant des prudents [purement et] simplement ; 
  • mais [sont dit prudents simpliciter] ceux-là seulement qui conseillent bien dans ces [choses] qui confèrent à [= concernent] toute la vie.

(Somme, I-II.q57a4ad3)

Prudentia est bene consiliativa de his quae pertinent

  • ad totam vitam hominis,
  • et ad ultimum finem vitae humanae.

Sed in artibus aliquibus est consilium de his quae pertinent ad fines proprios illarum artium.

Unde aliqui, inquantum sunt bene consiliativi in rebus bellicis vel nauticis, dicuntur prudentes duces vel gubernatores,

  • non autem prudentes simpliciter,
  • sed illi solum qui bene consiliantur de his quae conferunt ad totam vitam.

 


 

Art, Fin ultime, Prudence, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Conseil

Thomas d'Aquin - I-II.q57a4ad2 - EN COURS - La proximité de l'art avec la prudence sous un certain angle et avec l'habitus spéculatif sous un autre

[Du point de vue du siège, l'art est proche de la prudence]

La prudence s'accorde plus (magis convenit) avec l'art qu'avec les habitus spéculatifs quant

  • au sujet
  • et à la matière,

chacun d'eux en effet 

  • est dans la partie opinative de l'âme, [= le sujet]
  • et atteint les choses qui peuvent être autrement [qu'elles ne sont]. [= la matière]

[Du point de vue de la vertu, l'art est proche de l'habitus spéculatif]

Mais l'art s'accorde plus avec les habitus spéculatifs dans la raison de vertu [= en tant que vertu] qu'avec la prudence, comme cela est patent à partir ce qu'on a dit [dans le corps de l'article].

(Somme, I-II.q57a4ad2)

[ ]

Prudentia magis convenit cum arte quam habitus speculativi, quantum ad

  • subiectum
  • et materiam,

utrumque enim 

est in opinativa parte animae,

et circa contingens aliter se habere.

[ ]

Sed ars magis convenit cum habitibus speculativis in ratione virtutis, quam cum prudentia, ut ex dictis patet.

 


 1. -- La dernière phrase demande à être commentée.

Art, Âme, Prudence, Habitus spéculatif, Opinion, Opiniative, Partie de l'âme

Thomas d'Aquin - II-II.q189a6 - Pour entrer en religion, il faut se fier au Père des esprits plutôt qu'à ceux qui nous ont donné la chair

Si les parents se trouvent dans une telle nécessité que seule l'aide de leurs enfants peut convenablement y pourvoir, ces enfants n'ont pas le droit d'abandonner le soin de leurs parents pour entrer en religion.

Quand les parents ne sont pas dans une telle nécessité qu’ils aient grandement (multum) besoin de l’assistance de leurs enfants, ceux-ci peuvent abandonner le service de leurs parents et entrer en religion, même contre leur défense.

Passé l’âge de la puberté, quiconque est de condition libre (ingenuues) a la liberté (libertatem habet) en ce qui concerne les questions relatives à la disposition de son état de vie, surtout s’il s’agit du service de Dieu : il vaut mieux obéir au Père des esprits (Hébreux 12, 9) pour que nous vivions, qu’aux parents de la chair.

(Somme, II-II.q189a6)

Parentibus in necessitate existentibus ita quod eis commode aliter quam per obsequium filiorum subveniri non possit, non licet filiis, praetermisso parentum obsequio, religionem intrare.

Si vero non sint in tali necessitate ut filiorum obsequio multum indigeant, possunt, praetermisso parentum obsequio, filii religionem intrare, etiam contra praeceptum parentum,

quia post annos pubertatis, quilibet ingenuus libertatem habet quantum ad ea quae pertinent ad dispositionem sui status, praesertim in his quae sunt divini obsequii; et magis est obtemperandum patri spirituum, ut vivamus, quam parentibus carnis, ut apostolus, Heb. XII, dicit.

 


Voir aussi dans le Contra Retrahentes.

Liberté, Libre arbitre, Vie religieuse, Choix (Election), Obéissance

Thomas d'Aquin - CatenaAurea - C’est principalement dans l’Évangile qu’est transmise la forme de la foi catholique

Cela a été mon intention en cette ouvrage de non seulement poursuivre

  • le sens littéral,
  • mais d’exposer aussi le sens mystique ;
  • parfois même de détruire les erreurs,
  • et pas seulement de confirmer la vérité catholique.

Ce qui m’a paru nécessaire, parce que c’est principalement dans l’Évangile qu’est transmise (traditur) la forme de la foi catholique, et la règle de toute la vie chrétienne.

Puisse cet ouvrage ne paraître trop long à personne. Il m’a été impossible de poursuivre un plan si étendu sans abréger beaucoup, ayant à citer tant de saints [docteurs], ce que j’ai tâché de faire en tout en préservant la briéveté.

(CatenaAurea, Dédicace à Urbain IV)

Fuit autem mea intentio in hoc opere non solum sensum prosequi

  • litteralem,
  • sed etiam mysticum ponere;
  • interdum etiam errores destruere,
  • nec non confirmare Catholicam veritatem.

Quod quidem necessarium fuisse videtur, quia in Evangelio praecipue forma fidei Catholicae traditur et totius vitae regula Christianae.

Prolixum igitur praesens opus non videatur alicui. Fieri enim non potuit ut haec omnia sine diminutione prosequerer, et tot sanctorum sententias explicarem, omnimoda brevitate servata.


A mettre en parallèle avec une des idées majeures de Luther selon laquelle il faut revenir à l'Ecriture... Sola scriptura, etc. A mettre en parallèle aussi avec sa haine de a scolastique... Si Luther avait perçu la primauté de l'Ecriture chez Thomas d'Aquin, aurait-il été aussi violent dans son rejet des scolastiques ?

Ecriture, Foi catholique, Concision, Sens littéral, Sens mystique, Erreur, Brièveté, Vérité catholique

Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a1 - La loi du mariage et l'enfant

Toute union de l'homme et de la femme en dehors de la loi du mariage n'est pas proportionnée à l'éducation due de l'enfant : la loi du mariage a en effet été instituée pour exclure les unions passagères qui sont contraire à la certitude concernant l'enfant.

Si en effet n'importe quel [homme] pouvait indifféremment s'unir à n'importe quelle femme sans qu'aucune ne lui soit déterminée, 

  • la certitude concernant l'enfant serait levée,
  • et par voie de conséquence, la sollicitude du père pour l'éducation de ses fils ;

et cela est contre à ce qui convient à la nature humaine, parce que naturellement, les hommes ont souci

  • de la certitude concernant l'enfant
  • et de l'éducation de leurs fils.

(DeMalo.q15a1)

Omnis vero commixtio maris et feminae praeter legem matrimonii est improportionata debitae prolis educationi: est enim lex matrimonii instituta ad excludendum vagos concubitus, qui contrariantur certitudini prolis.

Si enim quilibet posset indifferenter ad quamlibet accedere, quae non esset sibi determinata,

tolleretur certitudo prolis,

et per consequens sollicitudo patris circa educationem filiorum;

et hoc est contra id quod convenit humanae naturae: quia naturaliter homines sunt solliciti 

  • de prolis certitudine,
  • et de educatione suorum filiorum.

 


1. -- Si un homme se rend compte que son enfant n'est pas son enfant biologique, il y a un risque que l'homme s'en désintéresse et ne prenne pas son éducation en charge. Il y a certainement le poids de l'époque dans cette observation de TH. mais la remarque reste juste sur le plan naturel. Au point de vue moral, l'homme saura regarder d'abord le bien de l'enfant en dépassant l'absence de lien animal (lien de sang) qui les lie.

On sent que toute l'argumentation de TH. concernant ce qui touche le mariage a besoin d'être approfondie, néanmoins le lien entre fidélité des conjoints dans le mariage et bien de l'enfant est très beau dans la mesure où le mariage trouve sa signification profonde dans un dépassement du seul lien mari / femme, le but n'est pas le couple. C'est ce qui me semble intéressant dans ce passage. Cela a besoin d'être souligné car le mariage est aujourd'hui d'abord vu par la plupart comme un lien où chacun trouve son compte d'abord pour lui-même. L'enfant lui-même est actuellement vu presque comme un bien de consommation (un signe en est que l'enfant existe dans le sein de sa mère seulement s'il a été ou est désiré, l'enfant est devenu un relatif qui n'est pas regardé pour lui-même).

Enfant, Mariage, Union libre, Parents

Thomas d'Aquin - (Comm.Psaumes, Prol.) - Tout ce qui touche à la foi en l'Incarnation est livré dans ce livre avec une telle clarté, qu'on dirait presque l'Evangile

Tout ce qui relève de la foi en l'Incarnation est livré dans cette oeuvre avec une telle clarté, qu'on dirait presque un Evangile et non une prophétie. (...) La matière de ce livre, c'est le Christ et ses membres.

(Commentaire des Psaumes, Prologue) 

Omnia enim quae ad fidem incarnationis pertinent, sic dilucide traduntur in hoc opere, ut fere videatur Evangelium, et non prophetia. (...) materia hujus libri est Christus et membra ejus.

 

Psaumes, Christ, Eglise, Evangiles, Prophétie

Thomas d'Aquin - I-II.q57a4 - EN COURS - Différence entre l'agere et le facere ; l'agir et le faire ; l'art et la prudence

Où sont trouvées diverses raisons de vertus, là il faut distinguer les vertus. Mais il a été dit plus haut que

  • un certain habitus a raison de vertu à partir de cela seul qu'il fait la faculté pour des oeuvres bonnes ;
  • mais qu'un certain [autre a raison de vertu] à partir de cela que non seulement il fait la faculté 
    • pour des oeuvres bonnes,
    • mais aussi l'usage [bon].
  • Mais l'art fait seulement la faculté pour des oeuvres bonnes, parce que qu'il ne regarde pas l'appétit.
  • Mais la prudence ne fait pas seulement la faculté pour des oeuvres bonnes, mais aussi l'usage, qui regarde l'appétit, en tant qu'elle présuppose la rectitude de l'appétit.

La raison de cette différence, c'est que

  • l'art est la règle droite dans les choses qu'on peut fabriquer (factibilium),
  • tandis que la prudence est la droite règle dans les actions qu'on peut poser (agibilium).

Faire et agir diffère parce que (comme il est dit au chap. IX des Métaphysiques)

  • faire est un acte qui fait aller dans une matière extérieure,
    • comme édifier, tailler, etc.
  • mais agir est un acte qui demeure (permanens) dans l'agent même,
    • comme voir, vouloir, etc.

Ainsi donc,

  • sur ce mode la prudence se rapporte aux actes humains de ce genre
    • ([c'est à dire ces actes humains] que sont l'usage des puissances et des habitus),
  • comme l'art se rapporte aux fabrications extérieures ;

parce que chacune d'elles est la raison parfaite au regard de ces [choses] auxquelles elle est appliquée (comparatur, trad. difficile).

[A propos de la raison droite, analogie domaine pratique / domaine spéculatif]

Or

  • la perfection et rectitude de la raison dans les choses spéculatives
    • dépend des principes à partir desquels la raison syllogise [= atteint des conclusions par raisonnement] ;
  • comme il a été dit que la science
    • dépend de l'intellect
      • qu'est l'habitus des principes,
      • et le présuppose.

Mais dans les actes humains les fins se prennent comme les principes dans les choses spéculatives, comme il est dit dans l'Ethique [à Nicomaque].

Et c'est pourquoi pour la prudence, qui est la droite règle des actions qu'on peut poser, il est requis que l'homme soi bien disposé à propos des fins, ce qui se fait par un appétit rendu droit.

Et c'est pourquoi pour la prudence est requise la vertu morale, par laquelle l'appétit devient (fit) droit.

(...)

(Somme, I-II.q57a4)

Ubi invenitur diversa ratio virtutis, ibi oportet virtutes distingui. Dictum est autem supra quod

  • aliquis habitus habet rationem virtutis ex hoc solum quod facit facultatem boni operis, 
  • aliquis autem ex hoc quod facit non solum facultatem 
    • boni operis,
    • sed etiam usum.
  • Ars autem facit solum facultatem boni operis, quia non respicit appetitum.
  • Prudentia autem non solum facit boni operis facultatem, sed etiam usum, respicit enim appetitum, tanquam praesupponens rectitudinem appetitus.

Cuius differentiae ratio est, quia

  • ars est recta ratio factibilium;
  • prudentia vero est recta ratio agibilium.

Differt autem facere et agere quia, ut dicitur in IX Metaphys.,

  • factio est actus transiens in exteriorem materiam, sicut aedificare, secare, et huiusmodi;
  • agere autem est actus permanens in ipso agente, sicut videre, velle, et huiusmodi.

Sic igitur

  • hoc modo se habet prudentia ad huiusmodi actus humanos, 
    • qui sunt usus potentiarum et habituum,
  • sicut se habet ars ad exteriores factiones,

quia utraque est perfecta ratio respectu illorum ad quae comparatur.

[ ]

  • Perfectio autem et rectitudo rationis in speculativis,
    • dependet ex principiis, ex quibus ratio syllogizat,
  • sicut dictum est quod scientia
    • dependet ab intellectu,
      • qui est habitus principiorum,
      • et praesupponit ipsum.

In humanis autem actibus se habent fines sicut principia in speculativis, ut dicitur in VII Ethic.

Et ideo ad prudentiam, quae est recta ratio agibilium, requiritur quod homo sit bene dispositus circa fines, quod quidem est per appetitum rectum.

Et ideo ad prudentiam requiritur moralis virtus, per quam fit appetitus rectus.

 (...)


1. -- transiens : trans-ire, aller d'un point à un autre

2. -- "comme voir, vouloir, etc." : intéressant de voir combien l'agere pris au sens basic n'est pas nécessairement un acte moral, puisque "voir" est un exemple que TH. donne, alors que l'exempel suivant "vouloir" lui est bien du domaine moral.

 

Art, Actions, Prudence, Oeuvres d'art, Rectitude, Règle droite, Ratio recta

Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad1 - EN COURS - Quel est le bien en art ? Quel est le bien en éthique ?

!!! Dernier commentaire intra texte à finaliser.

[Le bien de l'art]

Le bien de l'art n'est pas considéré

  • dans l'artisan, [= celui qui possède un art]
  • mais plutôt dans l'oeuvre d'art (artificiato),

puisque l'art est la droite règle (ratio recta) des [choses] qu'on peut fabriquer. En effet la fabrication, qui se réalise (transiens) dans une matière extérieure,

  • n'est pas la perfection de celui qui fait
  • mais de ce qui est fait,

comme le mouvement est l'acte du mobile ; 

en effet, l'art regarde les [choses] qu'on peut fabriquer.

[Le bien de la prudence]

Mais le bien de la prudence est

  • celui qui est atteint en celui qui agit
  • et dont la perfection est son agir même,

en effet, la prudence est la droite règle au sujet des actions posables, comme on l'a dit.

 

[L'artisan n'a pas besoin d'être bon moralement pour être un bon artiste]

  • C'est pourquoi, pour l'art, il n'est pas requis que l'ouvrier opère bien [= agisse bien], mais qu'il fasse une oeuvre bonne.
  • Il serait plutôt requis que l'oeuvre d'art elle-même opère bien, 
    • comme le couteau coupe bien 
    • ou à la scie scie bien, s'il leur appartenait en propre d'agir et non plutôt d'être "agis", du fait qu'ils n'ont pas la maîtrise  (dominium) de leurs actes.

 

[Son art n'apporte spécifiquement rien à l'artisan à propos de son bene vivere]

Voilà pourquoi

  • l'art n'est pas nécessaire à l'artisan lui-même pour bien vivre,
  • mais seulement pour faire une oeuvre bonne et pour la conserver [= intéressant, il faut maintenir la bonté de oeuvre par l'entretien ; // avec la vertu ??].

Mais la prudence est nécessaire à l'homme

  • pour bien vivre
  • et pas seulement pour devenir bon. [Dans l'agir, le bien n'est pas un produit, mais un acte de celui qui agit. L'artisan peut mourrir, l'oeuvre d'art bonne reste.]

(Somme, I-II.q57a5)

[Bonum artis]

Bonum artis consideratur

  • non in ipso artifice,
  • sed magis in ipso artificiato,

cum ars sit ratio recta factibilium, factio enim, in exteriorem materiam transiens,

  • non est perfectio facientis,
  • sed facti,

sicut motus est actus mobilis;

ars autem circa factibilia est.

[Prudentiae bonum]

Sed prudentiae bonum

  • attenditur in ipso agente,
  • cuius perfectio est ipsum agere,

est enim prudentia recta ratio agibilium, ut dictum est.

[ ] 

Et ideo ad artem 

  • non requiritur quod artifex bene operetur, sed quod bonum opus faciat.
  • Requireretur autem magis quod ipsum artificiatum bene operaretur,
    • sicut quod cultellus bene incideret,
    • vel serra bene secaret;

si proprie horum esset agere, et non magis agi, quia non habent dominium sui actus.

[ ]

Et ideo

  • ars non est necessaria ad bene vivendum ipsi artificis;
  • sed solum ad faciendum artificiatum bonum, et ad conservandum ipsum.

Prudentia autem est necessaria homini

  • ad bene vivendum,
  • non solum ad hoc quod fiat bonus. 

 


1. -- " la fabrication, qui se réalise dans une matière extérieure, n'est pas la perfection du fabricant mais de l'objet fabriqué" : on peut néanmoins dire qu'en perfectionnant l'oeuvre, l'artiste se perfectionne lui-même.

2. -- Son art n'apporte spécifiquement rien à l'artisan/artiste à propos de son bene vivere, c'est à dire dans les actions qu'il pose dans le domaine moral et non dans son domaine propre d'artisan/artiste. Cependant si, en tant qu'artiste, l'artiste travaille mal et produit de mauvaises oeuvres, cela atténuera son bonheur d'homme moral puisqu'il ne parvient pas à s'accomplir en tant qu'artisan/artiste. TH. distingue bien les différents domaines dans l'analyse mais, concrètement, c'est un homme tout un qui existe, c'est le même homme qui est à la fois moral et artiste, et donc ce qui touche un plan a une influence sur l'autre. Bien distinguer l'analyse qui saucissone et la réalité qui est une.

Art, Prudence, Bene vivere, Vivre bien, Bien agir, Agir, Ethique, Agere vs Facere, Règle droite, Ratio recta

Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad3 - Le vrai de l'intellect pratique (conformité du contingent avec l'appétit droit)

Le vrai de l'intellect spéculatif (...).

Mais le vrai de l'intellect pratique se prend par conformité à l'appétit rendu droit.

  • [De sorte] qu'une telle conformité dans les [choses] nécessaires n'a pas lieu ici,
    • [une conformité à ces choses nécessaires] que la volonté humaine ne fait pas,
  • mais [elle a lieu] seulement dans les [choses] contingentes
    • qui peuvent être faites par nous [= que la volonté humaine peut faire]
      • ou qu'elles soient des actions intérieures (agibilia interiora)
      • ou qu'elles soient des choses fabricables extérieures (factibilia exteriora).

Et c'est pourquoi à propos des seules [choses] contingentes est posée une vertu de l'intellect pratique,

  • à propos des [choses] fabricables, l'art ; [dans le domaine du faire]
  • à propos des actions, la prudence. [dans le domaine éthique de l'agir]

(Somme, I-II.q57a5ad3)

Nam verum intellectus speculativi (...).

Verum autem intellectus practici accipitur per conformitatem ad appetitum rectum.

  • Quae quidem conformitas in necessariis locum non habet,
    • quae voluntate humana non fiunt,
  • sed solum in contingentibus
    • quae possunt a nobis fieri,
      • sive sint agibilia interiora, 
      • sive factibilia exteriora.

Et ideo circa sola contingentia ponitur virtus intellectus practici,

  • circa factibilia quidem, ars;
  • circa agibilia vero prudentia.

 


1. -- agibilia interiora : seule occurence de cette expresson chez TH., le mot interiora qualifie l'action de l'homme sur le plan éthique. Sur ce plan, la fin est le bien agir, et l'action n'est pas séparée de celui qui la pose (elle reste en ce sens intérieure) ; contrairement à l'oeuvre d'art, fin séparée de l'artiste qui la produit (l'oeuvre est alors manifestement extérieure). Le mot "intérieures" ne désigne pas ici l'intériorité spirituelle de l'homme. Voir I-II.q57a4 où cela est clairement dit.

2. -- appetitum rectum : rectum = participe passé passif, qui a été rectifié, rendu droit, "droitifié"

Vérité, Art, Actions, Nécessité, Vrai, Prudence, Opération, Oeuvres d'art, Intellect pratique, Intellect spéculatif, Contingence, Conformité

Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad2 - L'homme qui agit par lui-même sans le conseil d'un autre atteint vraiment le bien vivre

Quand un homme opère le bien

  • non selon sa propre raison,
  • mais d'après la motion du conseil d'un autre, 

son opération n'est pas encore en tout parfaite,

  • quant à la raison qui dirige,
  • et quant à l'appétit qui meut.

D'où, si le bien est opéré, [= le bien est réellement fait, mais reste en partie extérieur]

  • ce n'est pas le bien simplement ; [= il reste encore une division, il faut que la personne accomplisse le bien entièrement d'elle-même sans que le conseil d'un autre soit nécessaire]
  • [car c'est opérer le bien simplement] qui est le bien vivre. [=bien vivre, ce sera alors savoir par soi-même et uniquement par soi-même quel bien il faut accomplir, alors l'acte sera simple et parfait]

(Somme, I-II.q57a5ad2)

 

Cum homo bonum operatur

  • non secundum propriam rationem,
  • sed motus ex consilio alterius;

nondum est omnino perfecta operatio ipsius,

  • quantum ad rationem dirigentem,
  • et quantum ad appetitum moventem.

Unde si bonum operetur,

  • non tamen simpliciter bene;
  • quod est bene vivere.

 


1. -- Le mot "parfaite" n'est pas à entendre ici comme quelque chose qui épuise totalement la capacité de bien opérer. On souligne simplement que agir par soi-même atteint une perfection que celui qui agit par un autre n'atteint pas.

Perfection, Sagesse, Prudence, Opération, Bene vivere, Vivre bien, Bien agir, Agir

Thomas d'Aquin - II-II.q19a4 - L'amour ne se réalise pas sur un mode servile - COMM. PRESQ. VALIDé

La servitude s'oppose à la liberté. (...) L'esclave est [quelqu'un] qui n'est pas la cause de sa propre opération, mais [quelqu'un qui est] pour ainsi dire (quasi) mû par [quelquechose] d'extrinsèque. Or celui qui fait quelque chose à partir de l'amour, opère pour ainsi dire (quasi) à partir de lui-même, parce que à partir d'une inclination propre il est mû à l'opération.

C'est pourquoi il est contre la raison de servilité que quelqu'un opère à partir de l'amour.

(Somme, II-II.q19a4)

Servitus enim libertati opponitur. (...) Servus est qui non causa sui operatur, sed quasi ab extrinseco motus. Quicumque autem ex amore aliquid facit, quasi ex seipso operatur, quia ex propria inclinatione movetur ad operandum. 

Et ideo contra rationem servilitatis est quod aliquis ex amore operetur.

 


1. 

Ex seipso (à partir de lui-même) ne signifie pas que celui qui agit par amour agit complètement à partir de lui-même, mais seulement sous un certain point de vue, TH. ajoute d'ailleurs l'adverbe quasi, "pour ainsi dire, comme", parce que l'existence de l'amour suppose un amant et un aimé entre lesquels il y a convenance et coaptatio, l'un est apte à aimer telle chose et cette chose est apte à être aimée ; d'un côté le sujet est incliné naturellement vers tel bien, et de l'autre le bien a naturellement en lui-même une bonté propre capable de donner son objet à l'inclination du sujet. L'amour ne se fait pas ex nihilo à partir de soi-même. Pour qu'il y ait amour, il faut qu'il y ait deux réalités. De même que l'esclave est comme déterminé de l'extérieur, de même celui qui aime n'est que comme entièrement déterminé de l'intérieur. (Même dans le cas de l'amour naturel, celui qui n'a pas besoin de la connaissance d'un objet extérieur pour exister, TH. maintient qu'il y a convenance entre l'inclination naturelle de l'objet et l'intention du Créateur.) Il faut simplement rappeler ici que aimer, c'est aimer quelquechose (ou quelqu'un).

Ce que TH. souhaite souligner ici, c'est que l'homme fait sienne l'inclination, ce que l'animal ne peut faire. L'homme peut refuser le sens vers lequel une inclination le fait tendre.

Le fait qu'on aime un autre à partir d'une inclination faite sienne implique que l'on adhère à cet amour. C'est cette adhésion qui fait en sorte que nous n'aimons pas comme l'esclave obéit, c'est ce qui fait la liberté de notre amour.

2. -- Ce passage est bien éclairé par les différents types d'inclination mentionnés en DeVer.q22a4q22a4 lorsqu'est abordée l'inclination rationnelle.

Amour, Action, Inclination, Opération, Esclave, Servilité, Cause de soi, Causa sui

Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - Le propre de la raison est de confronter (confere)

Version longue ici.

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison intelligée (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

(DeVer.q26a9ad7)

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

 


 1. -- La raison est en mouvement, l'intellect saisit.

Raison, Connaissance, Appétit, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Raison comme nature

Thomas d'Aquin - DeVer.q1a1 - Distinction rei / ens

Le nom de « res », lequel, selon Avicenne au début de sa Métaphysique, diffère de « ens » en ce que
  • « ens » est pris de l’acte d’être,
  • au lieu que le nom de « rei » exprime la quiddité ou l’essence de l’entis.

(DeVer.q1a1)

Et sic imponitur hoc nomen res, quod in hoc differt ab ente, secundum Avicennam in principio Metaphys. [I, 6], quod

  • ens sumitur ab actu essendi,
  • sed nomen rei exprimit quidditatem vel essentiam entis.

 

 

Quiddité, Être (ens), Réalité (res), Essence, Acte d'être (actus essendi)

Thomas d'Aquin - II-II.q48a1 - EN COURS - Un tout (ici, la vertu) compte trois sortes de parties

Il y a trois sortes de parties, c'est à dire,

  1. intégrantes, ainsi le mur, le toit, les fondations sont parties d'une maison ;
  2. subjectives, ainsi le boeuf et le lion sont parties du genre animal ;
  3. et potentielles, ainsi la faculté nutritive et la faculté sensitive sont parties de l'âme.

On peut donc attribuer des parties à une vertu de trois manières. 

  1. Tout d'abord, à la manière des parties intégrantes : en ce cas, on appellera parties d'une vertu les éléments concourant nécessairement à l'acte parfait de cette vertu.
    • Et en ce sens on peut retenir, de toutes les qualités énumérées, huit parties de la prudence (...).
  2. On appelle parties subjectives d'une vertu ses diverses espèces.
    • Ainsi entendues, les parties de la prudence, à les prendre au sens propre, sont la prudence par laquelle chacun se gouverne soi-même, et la prudence par laquelle on gouverne la multitude, l'une et l'autre différant spécifiquement, on l'a dit. (...)
  3. On appelle parties potentielles d'une vertu les vertus annexes ordonnées à des actes ou matières secondaires, signifiant par ce nom qu'elles ne possèdent pas toute la puissance de la vertu principale.  (...)

Quant à la prudence, elle concerne l'acte principal, qui est de commander.

(Somme, II-II.q48a1)

 Triplex est pars, scilicet 

  1. integralis, ut paries, tectum et fundamentum sunt partes domus; 
  2. subiectiva, sicut bos et leo sunt partes animalis;
  3. et potentialis, sicut nutritivum et sensitivum sunt partes animae.

Tribus ergo modis possunt assignari partes alicui virtuti.

  1. Uno modo, ad similitudinem partium integralium, ut scilicet illa dicantur esse partes virtutis alicuius quae necesse est concurrere ad perfectum actum virtutis illius.
    • Et sic ex omnibus enumeratis possunt accipi octo partes prudentiae (...).
  2. Partes autem subiectivae virtutis dicuntur species eius diversae.
    • Et hoc modo partes prudentiae, secundum quod proprie sumuntur, sunt prudentia per quam aliquis regit seipsum, et prudentia per quam aliquis regit multitudinem, quae differunt specie, ut dictum est, et iterum prudentia quae est multitudinis regitiva dividitur in diversas species secundum diversas species multitudinis. (...).
  3. Partes autem potentiales alicuius virtutis dicuntur virtutes adiunctae quae ordinantur ad aliquos secundarios actus vel materias, quasi non habentes totam potentiam principalis virtutis. (...)

 Prudentia vero est circa principalem actum, qui est praecipere.

 


1.

Commandement, Imperium, Prudence, Tout, Partie, Partie intégrantes, Partie subjective, Partie potentielle

Thomas d'Aquin - II-II.q47a4 - La prudence est d'abord une vertu intellectuelle mais elle est aussi une vertu morale

  • La prudence ne doit pas en rester à la connaissance des moyens mais elle doit les mettre en oeuvre

 

ARTICLE DIFFICILE - BIEN L'ASSIMILER - ET Y REVENIR

 

La prudence est-elle une vertu ?  

Comme il a été dit lorsqu'on traitait des vertus en général, "la vertu rend bon celui qui la possède, et bonne l'oeuvre qu'il accomplit". Or, le bien peut se dire en deux sens :

  • d'une manière, matériellement, pour [désigner] ce qui est bon ;
  • d'une autre manière, formellement, selon la raison de bien (rationem boni).
    • Et le bien, en tant que [regardé sous] ce mode, est objet de la puissance appétitive.

[A. Habitus qui rectifient l'acte rationnel de la connaissance]

Et c'est pourquoi, s'il y a des habitus qui font droite la considération de la raison sans égard à la rectitude de l'appétit, [ces habitus] ont moins la raison de vertu en tant qu'ils n'ordonnent au bien que matériellement, 

  • c'est-à-dire ce qui est bon,
  • non [considéré] sous la raison de bien,

Sicut supra dictum est cum de virtutibus in communi ageretur, virtus est quae bonum facit habentem et opus eius bonum reddit. Bonum autem potest dici dupliciter,

  • uno modo, materialiter, pro eo quod est bonum;
  • alio modo, formaliter, secundum rationem boni.
    • Bonum autem, inquantum huiusmodi, est obiectum appetitivae virtutis.

A.

Et ideo si qui habitus sunt qui faciant rectam considerationem rationis non habito respectu ad rectitudinem appetitus, minus habent de ratione virtutis, tanquam ordinantes ad bonum materialiter,

  • idest ad id quod est bonum
  • non sub ratione boni,
 

[B. Habitus qui regardent la rectitude de l'appétit]

tandis que les habitus qui regardent la rectitude de l'appétit vérifient davantage la raison de vertu, car ils regardent le bien

  • non seulement matériellement
  • mais encore formellement,
    • c'est-à-dire ce qui est bon sous la raison de bien.

B.

plus autem habent de ratione virtutis habitus illi qui respiciunt rectitudinem appetitus, quia respiciunt bonum

  • non solum materialiter,
  • sed etiam formaliter,
    • idest id quod est bonum sub ratione boni

[C. L'habitus de prudence]

Or, il revient à la prudence, nous l'avons dit,

  • d'appliquer la raison droite à l'oeuvre, [= exécution dans une action = dernier des trois actes de la prudence]
  • ce qui ne se fait pas sans un appétit droit. [= ce qui ne peut se faire qu'en ordonnant les biens selon leur bonté]

C'est pourquoi la prudence

  • n'a pas seulement la raison de vertu que possèdent les autres vertus intellectuelles,
  • mais elle a en outre la raison de vertu que possèdent les vertus morales, au nombre desquelles elle figure aussi.

(Somme, II-II.q47a4)

C.

Ad prudentiam autem pertinet, sicut dictum est,

  • applicatio rectae rationis ad opus,
  • quod non fit sine appetitu recto.

Et ideo prudentia

  • non solum habet rationem virtutis quam habent aliae virtutes intellectuales;
  • sed etiam habet rationem virtutis quam habent virtutes morales, quibus etiam connumeratur.

 

CEPASTEBIN%


 

Bien, Bonté, Prudence, Vertu intellectuelle, Vertu morale, Raison de bien, Ratio boni, Formaliter, Materialiter

Com. Romains 147 (Chap.I,Leç.8) - Dans certain cas, la passion peut être dite péché

 ---

II dit donc d’abord : C’est pourquoi, c’est-à-dire parce qu'ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge, Dieu les a livrés,

  • non pas en les poussant au mal,
  • mais en les abandonnant eux-mêmes "à des passions d’ignominie," 

c’est-à-dire à des péchés contre nature, qui sont dits passions, selon que la passion est proprement dîte du fait que quelque chose est tirée en dehors de l'ordre de sa nature, par exemple

  • avec l'eau chauffée et 
  • avec l'homme affaibli.

D'où, parce que par des péchés de cette sorte l'homme s'écarte de l'ordre naturel, ils sont convenablement dits "passions" ; ainsi plus bas en Rom. VII, 5 : "Les passions des péchés [(...) opéraient dans nos membres]".

Ils sont dits des passions "d’ignominie," parce qu’elles ne sont pas dignes d'avoir un nom, selon ce passage de l’Ép. Aux Éphésiens (V, 12) : "Ce que ces hommes font dans le secret est honteux à dire." 

  • Si en effet les péchés de la chair sont ordinairement blâmable parce que par eux l’homme est abaissé à ce qui en lui est animal,
  • combien plus à propos du péché contre nature, par lequel l’homme déchoît en plus de la nature animale.

Osée, IV, 7 : "Je changerai leur gloire en ignominie." 

Dicit ergo primo propterea, scilicet quia Dei veritatem in mendacium mutaverunt, tradidit illos Deus,

  • non quidem impellendo in malum
  • sed deserendo, in passiones ignominiae,

id est peccata contra naturam, quae dicuntur passiones, secundum quod proprie passio dicitur ex eo quod aliquid trahitur extra ordinem suae naturae, puta

  • cum aqua calefit aut
  • cum homo infirmatur.

Unde quia per huiusmodi peccata homo recedit ab ordine naturali, convenienter dicuntur passiones, infra VII, 5: passiones peccatorum.

Dicuntur autem passiones ignominiae quia non sunt nomine digna, secundum illud Eph. c. V, 15: quae aguntur in occulto ab eis turpe est dicere. Si enim peccata carnis 

  • communiter exprobrabilia sunt quia per ea homo deducitur ad id quod est bestiale in homine,
  • multo magis peccatum contra naturam, per quod etiam homo a natura bestiali decidit. 

Os. IV, 7: gloriam eorum in ignominiam commutabo.

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1. "La passion est proprement dîte du fait que quelque chose est tirée en dehors de l'ordre de sa nature" : Thomas est fidèle à sa compréhension de  la passion comme quelque chose de neutre moralement. Ici, le péché tire l'homme de son ordre naturel au bien, en cela il se laisse modifier par une chose dont il ne devrait pas accepter l'attraction.

  • En cela qu'il est atteint, l'homme est affecté d'une passion,
  • en cela qu'il se laisse atteindre par quelque chose dont il devrait s'écarter, l'homme pêche.

C'est pourquoi Thomas précise : "parce que telle chose, alors il convient, dans ce cas, que le péché soit dit passion" (nous paraphrasons).

%MC

EPASTEBIN%

Nature, Animalité, Animaux, Ordre, Péché, Moralité, Passion, Contre-nature, Déchéance, Nature animale, Ignominie, Désordre

Thomas d'Aquin - L'amour unit plus que la connaissance - I-II.q28a1ad3

La connaissance est perfectionnée (perficitur) par ce qui est connu uni à celui qui connaît selon sa similitude. Mais l'amour fait que la chose aimée elle-même (ipsa res) est unie en quelque manière à celui qui aime. D'où l'amour est plus unifiant que la connaissance. (Somme, I-II.q28a1ad3)

Cognitio perficitur per hoc quod cognitum unitur cognoscenti secundum suam similitudinem. Sed amor facit quod ipsa res quae amatur, amanti aliquo modo uniatur, ut dictum est. Unde amor est magis unitivus quam cognitio.

Commentaire : La connaissance s’achève (perficitur) lorsque la réalité connue est unie à celui qui la connaît par similitude ; alors que l’amour s’achève lorsque la réalité aimée elle-même est unie à celui qui l’aime (28/1/3). L’amour unit plus que la connaissance.

Distinction

  • union substantielle (avec soi-même) /
  • union affective (assimilée à l’union substantielle en tant qu’on considère la personne aimée comme un autre soi-même) /
  • union effective ou réelle (vie en commun, conversation, activités communes).

L’amour n’est pas seulement intentionnel, il donne naissance à un mouvement (le désir) qui tend à rejoindre la réalité aimée (on aime pas le chocolat seulement intentionnellement), l’amour est alors perfectionné lorsque l’aimé et l’aimant son unis réellement.

[A MEDITER POUR PRECISER :] Remarque à propos de la connaissance par similitude. Thomas répond ici d'abord à une objection concernant la connaissance sensible. Lorsque l'animal connaît une réalité, il reçoit par ses sens une similitude du réel, cette réception est une union. L'animal connaissant est uni à la similitude de la chose, pas à la chose elle-même. 

Amour, Connaissance, Passions, Union

Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - L'intellect peut "percevoir" la raison ou comme simplement nature ou comme proprement raison

La distinction par laquelle est distinguée raison comme raison et raison comme nature peut être intelligée (intelligi) de deux manières. [= intelligi, "être compris" ne rend pas l'acte simple de l'intellect lorsqu'il une chose est par lui intelligée, mieux vaudrait traduire par "être saisie" ou "être touchée", ~ le tugein d'Aristote. Concrètement, "comprendre" fait davantage référence à l'expérience du raisonnement.]

[A. Première manière de distinguer - du point de vue de l'être]

De la première manière,

  1. la raison « comme nature » est dîte raison
    • selon qu’elle est la nature de la créature rationnelle,
      • c’est‑à‑dire que, fondée dans l’essence de l’âme, elle donne au corps l’être naturel (esse naturale) ; [= ~ une chose est ce qu'elle est par sa partie la meilleure, mais cette partie est liée indirectement à des éléments qui ne lui sont pas propres du fait qu'elle appartient à un être qui ne réduit pas à elle]
  2. mais on parle de la raison « comme raison »
    • selon ce qui est le propre de la raison en tant qu’elle est raison,
      • et cela est son acte, parceque les puissances se définissent par les actes.

Ainsi, parce que la douleur

  • n’est pas dans la raison supérieure en tant qu’elle se rapporte à son objet par son acte propre
  • mais en tant qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme,

on dit que la raison supérieure subissait la douleur comme nature, et non comme raison.

(Et il en va de même pour la vue, qui est fondée sur le toucher en tant que l’organe de la vue est un organe du toucher ; la vue peut donc subir une blessure (laesionem) de deux façons : d’abord par son acte propre, comme lorsque la vue est émoussée par une lumière très forte, et c’est la souffrance de la vue comme vue ; ensuite en tant qu’elle est fondée dans le toucher, comme lorsque l’œil est piqué ou qu’il est dissous par quelque chaleur ; et cela n’est pas la souffrance (passio) de la vue comme vue, mais en tant qu’elle est un certain toucher.)

Distinctio illa qua distinguitur ratio ut ratio, et ratio ut natura, dupliciter potest intelligi.

 

[A.]

Uno modo ita quod

  1. ratio ut natura dicatur ratio
    • secundum quod est naturae creaturae rationalis,
    • prout scilicet fundata in essentia animae dat esse naturale corpori :
  2. ratio vero ut ratio dicatur
    • secundum id quod est proprium rationis in quantum est ratio ;
    • et hoc est actus eius, quia potentiae definiuntur per actus.

 

Quia igitur dolor

  • non est in superiori ratione prout secundum actum proprium comparatur ad obiectum,
  • sed secundum quod in essentia animae radicatur ;

ideo dicitur quod superior ratio patiebatur dolorem ut natura, non autem ut ratio.

Et est simile de visu qui fundatur super tactum, in quantum organum visus est organum tactus. Unde dupliciter visus potest pati laesionem : uno modo per actum proprium, sicut cum ab excellenti luce visio obtunditur : et haec est passio visus ut visus ; alio modo prout fundatur in tactu, ut cum oculus pungitur, vel aliquo calore dissolvitur : et hoc non est passio visus ut est visus, sed ut est quidam tactus.

[B. Première manière de distinguer - du point de vue de la connaissance et de l'appétit]

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison comprise (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

Or il est certaines [choses] qui,

  • selon qu'elles sont considérées en elles-mêmes, sont à éviter,
  • mais appétées [désirées] selon qu'elles sont ordonnées à autre chose :

par exemple, la faim et la soif, considérées en elles-mêmes, sont à éviter, mais, si on les considère comme utiles au salut de l’âme ou du corps, alors on les recherche. Et ainsi, la raison comme raison se réjouit à leur sujet, au lieu que la raison comme nature s’attriste à cause d’elles. De même, la passion corporelle du Christ considérée en soi était à éviter : c’est pourquoi la raison comme nature s’en attristait et ne la voulait pas (nolebat) ; mais en tant qu’elle était ordonnée au salut du genre humain, alors elle était bonne et objet d’appétit (appetibilis) ; et ainsi, la raison comme raison la voulait (volebat) et en retirait une joie.

(DeVer.q26a9ad7)

[B.]

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

Sunt enim quaedam quae

  • secundum se considerata sunt fugienda,
  • appetuntur vero secundum ordinem ad aliud :

sicut fames et sitis secundum se considerata sunt fugienda ; prout autem considerantur ut utilia ad salutem animae vel corporis, sic appetuntur. Et sic ratio ut ratio de eis gaudet, ratio vero ut natura de eis tristatur. Ita etiam passio corporalis Christi in se considerata fugienda erat : unde ratio ut natura de ea contristabatur et eam nolebat ; prout vero ordinabatur ad salutem humani generis, sic bona erat et appetibilis ; et sic ratio ut ratio eam volebat, et inde gaudebat.

 


 

1. -- Dans la 2ème manière de distinguer on met la raison face à son objet ou en disant comparatur ou en disant ordinatur. Voir ce que cela implique : 

Raison comme nature
(point de vue immédiat, matériel)

Raison comme raison
(point de vue de la fin)

comparatur ordinatur
naturellement per collationem
la raison s'attriste de la faim et de la soif, car avoir faim ou soif n'est pas agréable la raison se réjouit de la faim et de la soif, car la faim et la soif sont ordonnées à me nourrir, sans quoi je mourrais
   

 

Nature, Acte, Raison, Connaissance, Ordre, Appétit, Tristesse, Vue, Joie, Toucher, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Essence, Raison comme nature, Douleur, Lumière

Thomas d'Aquin - I.q20a2ad3 - L'amour "comme de concupiscence" de Dieu envers les créatures irrationnelles

L'amitié ne peut exister si ce n'est envers des créatures rationnelles,

  • capables de se rendre l'amour
  • et de communiquer entre elles dans les diverses opérations de la vie
  • et qui peuvent bien ou mal tourner selon les changements de la fortune et du bonheur ; 

tout comme c'est envers elles que, proprement, la bienveillance s'exerce.

Mais les créatures irrationnelles

  • ne peuvent parvenir à aimer Dieu,
  • ni à participer à la vie
      • intellectuelle
      • et béatifique
    • que Dieu vit.

Alors donc, à proprement parler, Dieu n'aime pas les créatures irrationnelles 

  • d'un amour d'amitié ; 
  • mais d'un amour comme de concupiscence [= c'est à dire relatif, comme lorsque on aime le secours matériel qu'on offre à son ami],

en tant qu'il les ordonne

  • aux créatures raisonnables,
  • et même à lui-même ;
  • non comme s'il était en indigence ;
  • mais seulement à cause
    • de sa bonté
    • et pour notre utilité.

Car nous désirons (Concupiscimus) une chose

  • et pour nous
  • et pour les autres.

Amicitia non potest haberi nisi ad rationales creaturas,

  • in quibus contingit esse redamationem,
  • et communicationem in operibus vitae,
  • et quibus contingit bene evenire vel male, secundum fortunam et felicitatem,

sicut et ad eas proprie benevolentia est.

Creaturae autem irrationales

  • non possunt pertingere ad amandum Deum,
  • neque ad communicationem
      • intellectualis
      • et beatae vitae,
    • qua Deus vivit.

Sic igitur Deus, proprie loquendo, non amat creaturas irrationales

  • amore amicitiae,
  • sed amore quasi concupiscentiae;

inquantum ordinat eas

  • ad rationales creaturas,
  • et etiam ad seipsum;
  • non quasi eis indigeat,
  • sed propter 
    • suam bonitatem
    • et nostram utilitatem.

Concupiscimus enim aliquid

  • et nobis
  • et aliis.

 


1. -- Dieu peut vouloir (désirer) mais il n'a pas d'appétit (DePot.q3a15ad14)

2. -- "... mais d'un amour comme de concupiscence ..." : à méditer, puis à commenter

Amitié, Bonté, Amour d'amitié, Amour de concupiscence, Créatures rationnelles, Créatures irrationnelles, Utilité

Thomas d'Aquin - DeVer.q21a6 - EN COURS - La ratio boni (La raison de bien)

DIFFICILE, UN TEMPS EST NECESSAIRE AVANT D'ASSIMILER - IL EST NECESSAIRE DE POSSEDER UN CERTAIN NIVEAU DE METAPHYSIQUE ET DE CRITIQUE/LOGIQUE POUR SAISIR, puisqu'on fait appel ici à un grand nombre de notions : forme, substance, acte, fin, qualité, relation, mode, espèce, ordre, bien, être (esse), etc.

Le bien de la créature consiste‑t‑il en (1) un mode, (2) une espèce et (3) un ordre, comme dit saint Augustin ? Utrum bonum creaturae consistat in modo, specie et ordine, sicut Augustinus dicit [cf.De nat. boni,cap. 3].
La raison de bien consiste dans les trois choses en question, selon ce que dit saint Augustin. Ratio boni in tribus praedictis consistit, secundum quod Augustinus dicit.

[Un nom implique deux relations possibles]

Et pour l'évidence de cela, il faut savoir qu'un nom donné (aliquod nomen) peut impliquer une relation de deux manières. [respectum : on traduit par relation et non par rapport qui convient aussi]

[a. La relation elle-même]

D'une première manière, en sorte que le nom soit donné pour signifier la relation elle‑même,

  • comme le nom de père, ou de fils, ou la paternité elle‑même.

[b. Ce qui suit la relation : une qualité]

En revanche, on dit de certains noms qu’ils impliquent une relation, parce qu’ils signifient une réalité d’un certain genre, qu’accompagne la relation, quoique le nom ne soit pas donné pour signifier la relation elle‑même ;

  • par exemple, le nom de science est donné pour signifier une certaine qualité, que suit une certaine relation, mais non pour signifier la relation elle‑même.

[Commentaire : dans la connaissance est établie une relation entre ce qui est connu et celui qui connaît, cette relation produit la science qui est une qualité qui perfectionne l'âme de celui qui connaît.]

[c. Ce que fait comprendre l'analogie nom / bien]

Et c’est de cette façon que la raison de bien implique une relation :

  • non parce que le nom même de bien signifie la seule relation elle‑même,
  • mais parce qu'il signifie [aussi la relation de] ce qui suit la relation, avec la relation elle‑même.

[Commentaire : ]

Or (3) la relation impliquée dans le nom de bien est la relation de cause de perfection, en ce sens qu’une chose (aliquid) est de nature à perfectionner

  • (2) non seulement selon la nature de l’espèce, [forme, ce qu'est une chose]
  • (1) mais aussi selon l’être (esse) qu’elle a dans la chose réelle (rebus) [le mode, la manière d'exister, l'existence  concrète] ;

de fait, c’est de cette manière que la fin perfectionne les moyens.

Mais

  • puisque les créatures ne sont pas leur être (esse) [ce qu'est une chose n'est pas identique à l'exister de cette chose],
  • il est nécessaire qu’elles aient un être reçu (esse receptum) ;

et par conséquent, leur être est

  • fini
  • et terminé [= déterminé] par la mesure de ce en quoi il est reçu.

 

Ad huius autem evidentiam sciendum est, quod aliquod nomen potest respectum importare dupliciter.

[1.]

Uno modo sic quod nomen imponatur ad significandum ipsum respectum,

  • sicut hoc nomen pater, vel filius, aut paternitas ipsa.

[2.]

Quaedam vero nomina dicuntur importare respectum, quia significant rem alicuius generis, quam comitatur respectus, quamvis nomen non sit impositum ad ipsum respectum significandum ;

  • sicut hoc nomen scientia est impositum ad significandum qualitatem quamdam, quam sequitur quidam respectus, non autem ad significandum respectum ipsum.

 

 

[c.]

Et per hunc modum ratio boni respectum implicat :

  • non quia ipsum nomen boni significet ipsum respectum solum,
  • sed quia significat id ad quod sequitur respectus, cum respectu ipso.

 

Respectus autem importatus in nomine boni, est habitudo perfectivi, secundum quod aliquid natum est perficere

  • non solum secundum rationem speciei,
  • sed etiam secundum esse quod habet in rebus ;

hoc enim modo finis perficit ea quae sunt ad finem.

Cum autem

  • creaturae non sint suum esse,
  • oportet quod habeant esse receptum ;

et per hoc earum esse est

  • finitum
  • et terminatum secundum mensuram eius in quo recipitur.

Ainsi donc, parmi les trois choses qu’énumère saint Augustin,

  • (3) la dernière, à savoir l’ordre,
    • est la relation qu’implique le nom de bien,
  • (2 et 1) et les deux autres, à savoir l’espèce et le mode,
    • causent cette relation.

En effet,

  • (2) l’espèce relève de la raison même (ipsam rationem) de l’espèce [trad. orig. = nature même de l'e.],
  • (1) qui, parce qu’elle a l’être en quelque chose [d'individuel] (aliquo),
    • est reçue avec un certain mode déterminé,
    • puisque tout ce qui est en quelque chose y est suivant le mode d’être de ce qui reçoit.

Ainsi donc,

  • chaque bien,
  • (3) en tant qu’il est cause de perfection

selon

  • (2) la raison de l’espèce [trad. orig. : la nature de l'espèce]
  • (1) et l’être (esse) en même temps,

a

  • (1) un mode,
  • (2) une espèce
  • (3) et un ordre.
  • (2) Une espèce quant à la nature même de l’espèce ;
  • (1) un mode quant à l’être (esse) ;
  • (3) un ordre quant à la relation même de cause de perfection.

Sic igitur inter ista tria quae Augustinus ponit,

  • ultimum, scilicet ordo,
    • est respectus quem nomen boni importat ;
  • sed alia duo, scilicet species, et modus,
    • causant illum respectum.

Species enim pertinet ad ipsam rationem speciei,

  • quae quidem secundum quod in aliquo esse habet,
  • recipitur per aliquem modum determinatum,
  • cum omne quod est in aliquo, sit in eo per modum recipientis.

Ita igitur

  • unumquodque bonum,
  • in quantum est perfectivum

secundum

  • rationem speciei
  • et esse simul,

habet

  • modum,
  • speciem
  • et ordinem.
  • Speciem quidem quantum ad ipsam rationem speciei;
  • modum quantum ad esse;
  • ordinem quantum ad ipsam habitudinem perfectivi.

 

Perfection, Bien, Fin, Ordre, Bonté, Raison de bien, Ratio boni, Mode, Relation, Espèce

Thomas d'Aquin - Les mouvements de l'appétit relèvent plutôt de l'ordre intentionnel

Les mouvements de l'appétit relèvent plutôt de l'ordre intentionnel que de l'ordre d'exécution.
(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 3, ad. 3)

Motus autem appetitivus magis pertinet ad intentionem quam ad executionem.

Ce propos est tenu lors de la réponse à la question : La haine est-elle causée par l'amour ?

Concrètement, lorsque nous nous éloignons maintenant d'un mal c'est pour nous approcher ensuite d'un bien. Si l'on s'éloigne des vices en cultivant les vertus, c'est pour nous approcher d'un bien qu'on sait ne pas pouvoir obtenir sans une activité vertueuse.

Donc ce qui arrive concrètement en premier, à tel moment, c'est l'exécution de l'éloignement du vice (par exemple, la paresse).

Mais nous ne le faisons que parce que avant cet ordre concret d'exécution, nous aimions déjà intentionnellement un certain bien (par exemple la science que nous aimons sans pour autant la posséder et qui nécessite un effort opposé à la paresse).

Pourquoi l'appétit est-il plutôt dans l'ordre intentionnel ? Parce que la tension vers quelque chose, qui est la signification étymologique du mot appétit, n'existe que parce que l'individu a connaissance d'un bien qui exerce une attraction sur lui, mais comme ce bien n'est pas d'abord présent (possédé), on peut dire que l'appétit, du fait même qu'il tend vers, est dans l'ordre de l'intention. C'est dans un second temps que l'appétit va susciter chez l'individu une action qui vise à posséder.

Notons que dans le monde des passions, le bien n'est jamais réellement totalement possédé, ce qui laisse toujours une grande part d'intentionnalité, l'amour passionnel n'étant jamais totalement satisfait.

Notons également qu'il en est de même du point de vue spirituel, notre connaissance du bien spirituel aimé n'étant jamais totale, il reste toujours une "tension vers". De même dans la vie mystique à l'égard de Dieu.

C'est ainsi que même regardant la joie, passion accompagnant le bien présent, reste en partie intentionnelle car nous nous représentons la joie qui découlera du bien possédé pleinement dans la vision béatifique. Ou à un niveau plus philosophique, nous nous représentons la joie qui accompagnera une meilleure union au bien aimé (lorsque les époux ou les amis se connaissent mieux avec le temps, leur amour grandit et donc leur joie. Même si la connaissance n'augmente pas sensiblement, la qualité de l'amour, lui, peut augmenter, et donc la joie.

Amour, Plaisir, Absence, Désir, Présence

Thomas d'Aquin - Quand l'excellence des autres est perçue comme un obstacle à sa propre excellence ! - I-II28a4

L'amour, et ici l'amour de convoitise se porte contre tout obstacle l'empêchant de profiter de ce qu'on aime. L'exemple de la concurrence entre gens amateurs d'excellence est particulièrement savoureuse.

Ceux qui recherchent l'excellence s'élèvent contre ceux qui semblent exceller, comme s'ils entravaient leur excellence. (Somme, I-II28a4)

Similiter etiam qui quaerunt excellentiam, moventur contra eos qui excellere videntur, quasi impedientes excellentiam eorum.

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Voir dans la réponse 2 aux objections dans lequel TH. mentionne le zèle envieux de l'excellence des autres.

Amour, Excellence, Jalousie

Thomas d'Aquin - Celui qui aime veut tout savoir de ce qu'il aime

 

Mais l'amant est aussi dit être dans l'aimé selon l'appréhension, dans la mesure où l'amant ne se contente pas de l'appréhension superficielle de l'aimé, mais s'efforce d'enquêter avec soin sur les détails qui relève profondément (intrinsecus) de l'aimé, et entre ainsi dans son intérieur. (Somme, Ia-IIae, q. 28, a. 2, c.)

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans non est contentus superficiali apprehensione amati, sed nititur singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere, et sic ad interiora eius ingreditur.

 

Amour, Connaissance, Amitié

Thomas d'Aquin - Celui qui aime n'a pas besoin de connaître en détail ce qu'il aime - I-II.q27a2ad2

Il faut davantage pour la perfection de la connaissance que pour celle de l'amour.

Quelque chose est requis pour la perfection de la connaissance qui n'est pas requis pour la perfection de l'amour.

En effet, la connaissance relève de la raison, dont [le rôle] est de distinguer ce qui ne fait qu'un dans la chose (rem), et de rapprocher (componere) les éléments divers en les comparant. C'est pourquoi il est requis pour une connaissance parfaite (ad perfectionem cognitionis) que l'homme connaisse dans le détail tout ce qui est dans une chose (re) : comme ses parties, ses puissances, ses propriétés.

Mais l'amour est, dans la puissance appétitive, ce qui regarde la chose (rem) selon qu'elle est en elle-même. De sorte qu'il suffit pour la perfection de l'amour (ad perfectionem amoris) que la chose soit aimée selon qu'elle est appréhendée en elle-même. Il arrive alors qu'une chose soit aimée plus qu'elle n'est connue : en cela que quelque chose peut être aimé parfaitement (perfecte amari) même si elle n'est pas parfaitement connue (perfecte cognoscatur).

C'est ce qu'on voit nettement pour les sciences que certains aiment, bien qu'ils n'en aient qu'une connaissance sommaire : ils savent, par exemple, que la rhétorique est la science qui permet à l'homme de persuader, et c'est cela qu'ils aiment en elle.

Et cela peut être dit de manière similaire à propos de l'amour de Dieu.

(Somme, I-II.q27a2ad2)

Aliquid requiritur ad perfectionem cognitionis, quod non requiritur ad perfectionem amoris.

Cognitio enim ad rationem pertinet, cuius est distinguere inter ea quae secundum rem sunt coniuncta, et componere quodammodo ea quae sunt diversa, unum alteri comparando. Et ideo ad perfectionem cognitionis requiritur quod homo cognoscat singillatim quidquid est in re, sicut partes et virtutes et proprietates.

Sed amor est in vi appetitiva, quae respicit rem secundum quod in se est. Unde ad perfectionem amoris sufficit quod res prout in se apprehenditur, ametur. Ob hoc ergo contingit quod aliquid plus amatur quam cognoscatur, quia potest perfecte amari, etiam si non perfecte cognoscatur.

Sicut maxime patet in scientiis, quas aliqui amant propter aliquam summariam cognitionem quam de eis habent, puta quod sciunt rhetoricam esse scientiam per quam homo potest persuadere, et hoc in rhetorica amant. Et similiter est dicendum circa amorem Dei..

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1. La traduction originale de la première phrase a été laissée pour montrer son approximation.

Amour, Connaissance, Passions, Appétit, Appréhension, Exhaustivité, Chose elle-même, Distinction

Thomas d'Aquin - Comme le bien lui-même, la connaissance du bien est principe de l'amour de ce bien

Comme nous l'avons dit, Le bien est cause de l'amour par mode d'objet. Or le bien n'est objet de l'appétit que selon qu'il est appréhendé. C'est pourquoi l'amour requiert une certaine appréhension du bien que l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe que "la vision corporelle est le principe de l'amour sensitif". Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe de l'amour spirituel. Ainsi donc la connaissance est cause de l'amour au même titre que le bien, qui ne peut être aimé que s'il est connu. (Somme, Ia-IIae, q. 27, a. 2, c.)

Sicut dictum est, bonum est causa amoris per modum obiecti. Bonum autem non est obiectum appetitus, nisi prout est apprehensum. Et ideo amor requirit aliquam apprehensionem boni quod amatur. Et propter hoc philosophus dicit, IX Ethic., quod visio corporalis est principium amoris sensitivi. Et similiter contemplatio spiritualis pulchritudinis vel bonitatis, est principium amoris spiritualis. Sic igitur cognitio est causa amoris, ea ratione qua et bonum, quod non potest amari nisi cognitum.

Il faut bien comprendre que lorsque Thomas dit que la connaissance du bien est tout autant cause de l'amour du bien que le bien lui-même, il ordonne néanmoins les deux réalités : le bien et la connaissance du bien. Les deux ne sont pas au même plan. Il est manifeste qu'il ne peut y avoir connaissance du bien si le bien n'existe pas. La connaissance est donc relative au bien qu'elle connaît.

Dans le déroulement du processus au cours duquel il y a amour de quelque chose, il faut à la fois que 

  • ce quelque chose existe
  • ET qu'il soit connu.

Les propriétés du bien aimé ne dépendent pas de la connaissance que j'en ai.

Aimer quelque chose, c'est aimer la chose elle-même, pas la connaissance que j'en ai. La réponse à l'objection n°2 montre d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de connaître parfaitement dans le détail ce qu'on aime pour l'aimer. Ici, la connaissance est donc relativisée de deux manières : 

  • en tant qu'elle est dépendante du bien connu,
  • et en tant qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit exhaustive.

Amour, Connaissance, Principe, Appétit sensible, Cause, Vision

Thomas d'Aquin - Les passions de l'irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent en elles

Les passions de l'irascible sont intermédiaires (mediae) entre les passions du concupiscible qui portent sur mouvement vers le bien ou vers le mal, et celles qui portent sur un repos dans le bien ou dans le mal. On voit donc que les passions de l'irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent en elles. (Somme, Ia-IIae, q. 25, a. 1, c.)

Passiones irascibilis mediae sunt inter passiones concupiscibilis quae important motum in bonum vel in malum; et inter passiones concupiscibilis quae important quietem in bono vel in malo. Et sic patet quod passiones irascibilis et principium habent a passionibus concupiscibilis, et in passiones concupiscibilis terminantur.

 

Passions, Irascible, Concupiscible

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad15 - Il faut aller jusqu'à vraiment vouloir ce qu'on veut !

 

La volonté s’obéit toujours à elle‑même, d’une certaine façon, c’est‑à‑dire que l’homme veut en quelque manière ce qu’il veut vouloir.

Mais d’une autre façon, elle ne s’obéit pas toujours, c’est‑à‑dire en tant que l’on ne veut pas

  • parfaitement
  • et efficacement

ce qu’on voudrait vouloir parfaitement et efficacement. 

(DeVer.q24a10ad15)

Voluntas sibi ipsi quodammodo semper obedit, ut sc. homo qualitercumque velit illud quod vult se velle.

Quodam autem modo non semper sibi obedit, in quantum scilicet aliquis

  • non perfecte
  • et efficaciter

vult quod vellet se perfecte et efficaciter velle.

 

 

 

 

Perfection, Obéissance, Volonté, Efficacité / Efficience, Application (exécution, mise en oeuvre)

Thomas d'Aquin - La dissonance est cause de la haine, la convenance est cause de l'amour

Le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier.

Quant à l'être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c'est la dissonance qui est cause de la haine tandis que la convenance est cause de l'amour ; et, d'autre part, l'être et le vrai sont communs à toutes choses. 

Mais, en particulier, rien n'empêche qu'on haïsse tel être ou certaine vérité ...

(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 5, c.)

Bonum, sub ratione boni, non potest odio haberi, nec in universali nec in particulari.

Ens autem et verum in universali quidem odio haberi non possunt, quia dissonantia est causa odii, et convenientia causa amoris; ens autem et verum sunt communia omnibus. 

Sed in particulari nihil prohibet quoddam ens et quoddam verum odio haberi ...

 

Amour, Bien, Haine, Dissonance, Convenance

Thomas d'Aquin - La fatigue des opérations corporelles empêchent le plaisir de la contemplation de les perfectionner - I-II.q33a2

Les délectations du corps, par leur augmentation ou leur seule continuité, super-excèdent la disposition naturelle et engendrent le dégoût (fastidiosae), comme on le voit pour la délectation de manger. C'est pourquoi, lorsqu'on est parvenu à la perfection dans les plaisirs corporels, ils nous dégoûtent et, parfois, on a l'appétit de quelques autres [délectations].

Mais les déléctations spirituelles ne super-excèdent jamais la disposition naturelle (naturalem habitudinem) ; mais ils perfectionnent la nature. Aussi, lorsqu'on parvient à l'accomplisement en eux, c'est alors qu'ils sont le plus agréables (delectabiles) ; sauf peut-être par accident, du fait qu'à l'activité contemplative sont unies (adiunguntur) quelques opérations des puissances corporelles qui sont fatiguées (lassantur) par la prolongation de leur activité.

(Somme, Ia-IIae, q33a2)

Delectationes enim corporales, quia augmentatae, vel etiam continuatae, faciunt superexcrescentiam naturalis habitudinis, efficiuntur fastidiosae; ut patet in delectatione ciborum. Et propter hoc, quando aliquis iam pervenit ad perfectum in delectationibus corporalibus, fastidit eas, et quandoque appetit aliquas alias.

Sed delectationes spirituales non superexcrescunt naturalem habitudinem, sed perficiunt naturam. Unde cum pervenitur ad consummationem in ipsis, tunc sunt magis delectabiles, nisi forte per accidens, inquantum operationi contemplativae adiunguntur aliquae operationes virtutum corporalium, quae per assiduitatem operandi lassantur.

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1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q32a7.

Nature, Perfection, Plaisir, Mesure, Corps, Joie, Fatigue, Délectation, Lassitude, Achèvement, Accomplissement, Commensuration, Excès, Dégoût, Faste

Thomas d'Aquin - I-II.q30a3ad1 - Appétit naturel et appétit animal

Cela même qui est désirée (appetitur) par l'appétit naturel peut être désirée (appeti) par l'appétit animal lorsqu'il a été appréhendé. Et selon cela, nourriture et boisson et autres choses semblables que nous désirons  naturellement (appetuntur naturaliter), peuvent être [désirés] d'un désir animal.

(Somme, I-II.q30a3ad1)

Illud idem quod appetitur appetitu naturali, potest appeti appetitu animali cum fuerit apprehensum. Et secundum hoc cibi et potus et huiusmodi, quae appetuntur naturaliter, potest esse concupiscentia animalis (Leonine : naturalis).

Pas d'opposition  entre appétit naturel et appétit animal (c'est à dire sensitif). Le premier n'ayant pas besoin que le bien désiré soit porté à notre connaissance. J'ai faim parce que cela fait un moment que je n'ai pas mangé --> appétit naturel ; j'ai envie de manger à cause de la connaissance sensible (la bonne odeur et la vue de la nourriture, chez le boulanger) --> appétit animal.

Appréhension, Appétit sensible, Concupiscence, Appétit naturel

Thomas d'Aquin - Le culte extérieur est relatif au culte intérieur de l'intellect et du cœur - I-II.101a2

Les préceptes cérémoniels sont dit de ce qui est ordonné au culte de Dieu.

Or ce culte revêt une double forme :

  • culte intérieur
  • et culte extérieur.

L'homme étant composé d'une âme et d'un corps, il convient que l'un et l'autre s'appliquent au culte divin,

  • l'âme au culte intérieur,
  • le corps au culte extérieur,

d'où il est dit dans le Psaume (84, 3): "Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant." 

Comme le corps est ordonné à Dieu par l'âme, de même le culte extérieur est ordonné au culte intérieur.

Le culte intérieur consiste dans le fait que l'âme est unie (conjugatur) à Dieu par l'intellect et par le coeur (affectum).

(Somme, I-II.101a2)

Praecepta caeremonialia dicuntur quae ordinantur ad cultum Dei.

Est autem duplex cultus Dei,

  • interior,
  • et exterior.

Cum enim homo sit compositus ex anima et corpore, utrumque debet applicari ad colendum Deum, ut scilicet

  • anima colat interiori cultu,
  • et corpus exteriori,

unde dicitur in Psalmo LXXXIII, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum. 

Sicut corpus ordinatur in Deum per animam, ita cultus exterior ordinatur ad interiorem cultum.

Consistit autem interior cultus in hoc quod anima coniungatur Deo per intellectum et affectum.

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Encore une traduction problématique puisque il a fallu corriger : 

Le culte intérieur consiste pour l'âme à s'unir à Dieu ...

par 

Le culte intérieur consiste dans le fait que l'âme est unie à Dieu ...

Conjungatur est au passif ! Ce n'est pas en premier lieu l'âme qui s'unit à Dieu, mais Dieu qui unit l'âme. 

Même problème ici.

Corps, Union, Culte intérieur, Culte extérieur, Intellect, Coeur, Affection, Conjugalité

Thomas d'Aquin - Dans la passion plaisir, un certain mouvement survit à la possession de la fin - I-II.q31a1ad2)

Dans l'animal on peut considérer un double mouvement :

  • l'un concerne l'intention de la fin et appartient à l'appétit ;
  • l'autre, regarde l'exécution et se rapporte à l'opération extérieure.

Donc, bien que chez celui qui a déjà obtenu le bien dans lequel il se délecte,

  • cesse le mouvement d'exécution par lequel il tend vers  la fin ;
  • le mouvement de la partie appétitive, lui, ne cesse pas pour autant.
  • Elle désirait (desiderabat) auparavant le bien qu'elle n'avait pas ;
  • elle s'en délecte maintenant qu'elle le possède.
  • Assurément la délectation est une sorte de repos de l'appétit, si l'on considère la présence du bien agréable qui le satisfait ;
  • cependant le changement intérieur (immutatio) de l'appétit sous l'action de l'appétible demeure, raison pour laquelle la délectation est un certain mouvement.

(Somme, Ia-IIae, q31.a1.ad2)

In animali duplex motus considerari potest,

  • unus secundum intentionem finis, qui pertinet ad appetitum,
  • alius secundum executionem, qui pertinet ad exteriorem operationem

licet ergo

  • in eo qui iam consecutus est bonum in quo delectatur, cesset motus executionis, quo tenditur ad finem;
  • non tamen cessat motus appetitivae partis, quae, sicut
  • prius desiderabat non habitum,
  • ita postea delectatur in habito.
  • Licet enim delectatio sit quies quaedam appetitus, considerata praesentia boni delectantis, quod appetitui satisfacit;
  • tamen adhuc remanet immutatio appetitus ab appetibili, ratione cuius delectatio motus quidam est.

Commentaire : 

1. La réponse se place sur plan de la partie animale, on parle donc ici du plaisir sensible sans dire si ce qu'on dit ici pour l'être à propos de la joie qui est un plaisir spirituel.

2. Deux mouvements, 

  • du côté de la fin : celui de l'appétit qui se produit à l'intérieur de l'animal, il y a en lui une "tension vers" (en fait, une double "tension vers", la naturelle, et celle amenée par la connaissance d'un bien concret - de la même manière il y a une double intention, celle inscrite dans la nature de l'animal et celle de l'objet à l'état de réalité intentionnelle amenée par la connaissance du dit objet) ;
  • du côté de l'exécution : il faut bien se mouvoir vers le chocolat pour qu'il devienne nôtre.

3. Lorsque le bien est possédé, la fin est atteinte, l'objet n'est plus intentionnel mais bien réel. L'appétit ne se nourrit plus de l'objet intentionnel mais de l'objet réel, c'est toujours l'objet, il est toujours là, sa possession amène l'appétit à une certaine perfection, mais une perfection qui dure dans le temps, tant qu'on qu'on savoure le chocolat. D'où la question suivante que posera Thomas pour préciser le rapport plaisir / temps.

4. Il est très intéressant de voir que dans le domaine passionnel la fin possédée réclame néanmoins de rester dans le temps, un écoulement, une succession... En sera-t-il de même dans le domaine de l'amour spirituel ?

5. Immutatio, même mot employé en q26.a2 : "Le premier changement intérieur de l’appétit par l'appétible est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible."

Mouvement, Fin, Plaisir, Intention, Cause efficiente, Désir, Délectation, Cause finale, Exécution

Thomas d'Aquin - Le plaisir, par soi, n'est pas dans le temps

  • Être un homme, par exemple, n'implique essentiellement rien de successif, car ce n'est pas un mouvement, mais le terme d'un mouvement, ou d'un changement, qui est la génération de cet homme ;
  • cependant, parce que l'être humain est soumis à des causes qui le font changer, on dit encore que le fait d'être homme est dans le temps. 

Nous dirons ainsi que

  • la délectation, par soi, n'est pas dans le temps ; car elle existe dans le bien possédé, qui est comme le terme du mouvement.
  • Mais si ce bien possédé est soumis au changement, la délectation sera dans le temps par accident.
  • En revanche, si le bien est absolument immuable, le plaisir ne sera dans le temps ni par soi ni par accident.

(Somme, Ia-IIae, q31.a1.ad2)

  • Sicut esse hominem de sui ratione non habet successionem, non enim est motus, sed terminus motus vel mutationis, scilicet generationis ipsius,
  • sed quia humanum esse subiacet causis transmutabilibus, secundum hoc esse hominem est in tempore.

Sic igitur dicendum est quod

  • delectatio secundum se quidem non est in tempore, est enim delectatio in bono iam adepto, quod est quasi terminus motus.
  • Sed si illud bonum adeptum transmutationi subiaceat, erit delectatio per accidens in tempore.
  • Si autem sit omnino intransmutabile, delectatio non erit in tempore nec per se, nec per accidens.

Commentaire : 

1. Esse hominem : Être homme n'est pas être un homme, gros problème de traduction. D'un côté c'est ce qu'est l'homme, de l'autre on inclut son existence réelle.

Mouvement, Plaisir, Être, Immuabilité, Délectation, Temps, Immutabilité, Esse

Thomas d'Aquin - La perfection d'une chose dépend de la réalité EXTERIEURE la plus parfaite vers laquelle cette chose tend - I.q59a3ad3

La connaissance réside dans le fait que le connu est dans le connaissant. (...) 

Mais l’acte de la puissance appétitive est [ce] par quoi l'affect est incliné vers la chose extérieure. Or, la perfection d’une chose ne dépend pas de toutes les choses vers lesquelles elle est inclinée, mais seulement des choses supérieures.

(Somme,  I.q59.a3.ad3)

Cognitio fit per hoc quod cognita sunt in cognoscente. (...)

Sed actus appetitivae virtutis est per hoc quod affectus inclinatur ad rem exteriorem. Non autem dependet perfectio rei ex omni re ad quam inclinatur, sed solum ex superiori.

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Perfection, Inclination, Appétit sensible, Supérieure (réalité), Extérieure (réalité)

Thomas d'Aquin - La division en l'homme du fait de sa nature composée - Le cas de la contemplation - CommNico.1534

C'est pourquoi,

  • si l'homme, selon une certaine de ses dispositions, pose une action délectable pour lui,
  • cette délectation est hors de sa nature pour l'homme selon une autre de ses dispositions.

Ainsi,

  • contempler est naturel à l'homme en raison de l'intellect,
  • mais hors de sa nature en raison des organes de l'imagination, qui travaillent tandis qu'il contemple.

C'est pourquoi la contemplation n'est pas toujours délectable à l'homme. Et cela est similaire pour la consommation  de nourriture, qui est naturelle au corps qui a faim, mais hors de sa nature pour le corps déjà repu.

(Commentaire Ethique à Nicomaque,  n°1534)

Et ideo,

  • si homo secundum aliquam sui dispositionem agat aliquam actionem sibi delectabilem,
  • haec delectatio est praeternaturalis homini secundum alteram eius dispositionem.

Sicut

  • contemplari est naturale homini ratione intellectus,
  • sed est praeternaturale homini ratione organorum imaginationis, quae laborant in contemplando.

Et ideo contemplatio non est semper homini delectabilis. Et est simile de sumptione cibi quae est naturalis corpori indigenti, praeter naturam autem corpori iam repleto.

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1. C'est pourquoi celui qui a un désir intense de contempler verra son corps moins rapidement à la traine de la partie spirituelle même après une longue période de contemplation. Mais arrivera un moment où le corps ne pourra plus suivre.

2. Noter combien Thomas est réaliste puisqu'il n'isole pas du corps l'activité de l'intellect. Thomas parle ici davantage de la contemplation naturelle, philosophique. Il faudrait comparer avec ce qu'il dit dans le cas de la contemplation dont le contenu vient de la foi.

Contemplation, Plaisir, Continuité, Corps, Fatigue, Imagination, Délectation, Intellect

Thomas d'Aquin - De Malo, q4a5ad4 - Les vertus cardinales sont respectivement dans la raison, la volonté, le concupiscible, l'irascible

La justice

  • ne regarde pas les passions,
  • mais les opérations,

comme il est dit dans l'Éthique V, 1.

C'est pourquoi la justice

  • n'est pas dans les appétits irascible et concupiscible,
  • mais dans la volonté.

Et ainsi les quatre vertus principales sont dans les quatre puissances qui peuvent être le siège d'une vertu :

  • la prudence dans la raison,
  • la justice dans la volonté,
  • la tempérance dans le concupiscible
  • et la force dans l'irascible.

(De Malo, q4a5ad4)

Iustitia autem

  • non est circa passiones,
  • sed circa operationes,

ut dicitur in V Ethic.;

unde iustitia

  • non est in irascibili et concupiscibili,
  • sed in voluntate.

Et sic quatuor virtutes principales sunt in quatuor potentiis quae sunt susceptivae virtutis:

  • prudentia quidem in ratione,
  • iustitia in voluntate,
  • temperantia in concupiscibili,
  • fortitudo in irascibili.

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%MCEPASTEBIN%

Raison, Volonté, Passions, Irascible, Concupiscible, Courage, Justice, Vertus cardinales, Prudence, Force, Opérations

Thomas d'Aquin - Le bien, surtout corporel, consiste en une certaine commensuration - I-II.q32a7

Que le similaire corrompe le bien propre, cela arrive d'une double manière.

D'une manière, parce que le similaire corrompt par un certain excès la mesure du bien propre ; le bien, et surtout [le bien] corporel, comme la santé, consiste en une certaine commensuration. Et pour cela, la surabondance de nourriture, ou de tout autre plaisir corporel, engendre le dégoût.

D'une autre manière ... [Thomas donne l'exemple des potiers qui ont un bien propre similaire par lequel se fait l'unité (le profit), ce bien propre devennant un mal par concurrence, ce qui se comprend puisqu'on est dans le divisible.]

(Somme, I-II.q32a7)

Quod autem aliquid simile corrumpat proprium bonum, contingit dupliciter.

Uno modo, quia corrumpit mensuram proprii boni per quendam excessum, bonum enim, praecipue corporale, ut sanitas, in quadam commensuratione consistit. Et propter hoc, superabundantes cibi, vel quaelibet delectationes corporales, fastidiuntur.

Alio modo ...

 -----

1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q33a2.

2. Là où, pour les biens coporels, Thomas parle de commensuration, ailleurs, d'une manière plus générale, Thomas parle de convenance ou de connaturalité. La mesure, donc la quantité, est pèse davantage pour les biens du corps.

%MCEPASTEBIN%

Bien, Mesure, Bien corporel, Commensuration, Excès, Surabondance, Dégoût, Faste

Thomas d'Aquin - Par volonté divine la gloire de l'âme du Christ a été retenue de rejaillir sur son corps - III.q4a1ad2

Selon l'état naturel qui existe entre l'âme et le corps, c'est de la gloire de l'âme que déborde la gloire sur le corps.

Mais cet état naturel chez le Christ était soumis à la volonté divine elle-même d'où tenait le fait que la béatitude restait dans l'âme et n'a pas été reconduite vers le corps, 

mais la chair a pâti ce qui convenaient à une nature passible, dit le Damascène : "La volonté divine permettait à la chair de pâtir et d'agir conformément à ses propriétés naturelles."

(Somme, III.q14a1ad2)

Secundum naturalem habitudinem quae est inter animam et corpus, ex gloria animae redundat gloria ad corpus,

sed haec naturalis habitudo in Christo subiacebat voluntati divinitatis ipsius, ex qua factum est ut beatitudo remaneret in anima et non derivaretur ad corpus,

sed caro pateretur quae conveniunt naturae passibili; secundum illud quod dicit Damascenus, quod beneplacito divinae voluntatis permittebatur carni pati et operari quae propria.

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%MCEPASTEBIN%

Passions, Corps, Christ, Dispensation, Volonté divine, Gloire

Thomas d'Aquin - Le Christ assuma nos défauts corporels par dispense [= par ?? miséricorde ??] - III.q14a4ad2

La plénitude de toute grâce et de toute science était due à l'âme du Christ, du fait même qu'elle était assumée par le Verbe de Dieu. C'est pourquoi le Christ possédait (assumpsit) absolument toute plénitude de sagesse et de grâce.

Mais il assuma (assumpsit) nos déficiences de manière dispensationnelle par miséricorde(dispensative)

  • afin de satisfaire pour notre péché,
  • et non parce qu'elles coïncidaient avec lui (se competerent) ;

aussi ne devait-il pas les assumer toutes, mais seulement celles qui suffisaient à satisfaire pour le péché de toute la nature humaine.

(Somme, III.q14a4ad2)

Plenitudo omnis gratiae et scientiae animae Christi secundum se debebatur, ex hoc ipso quod erat a verbo Dei assumpta. Et ideo absolute omnem plenitudinem sapientiae et gratiae Christus assumpsit.

Sed defectus nostros dispensative assumpsit,

  • ut pro peccato nostro satisfaceret,
  • non quia ei secundum se competerent.

Et ideo non oportuit quod omnes assumeret, sed solum illos qui sufficiebant ad satisfaciendum pro peccato totius humanae naturae.

 -----

1.  Cette dispense vient de la volonté divine, voir : III.q14a1ad2.

2. Les relations du Christ avec, d'un côté, la sagesse et la grâce, et, de l'autre, les déficiences corporelles, sont qualifiées par le même verbe : assumere / adsumo ...

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Péché, Christ, Défauts corporels, Dispensation, Satisfaction

Thomas d'Aquin - L'espoir est à la fois cause de plaisir et cause de tristesse - I-II.q32a3ad2

Rien n'empêche qu'une même [chose], selon [des aspects] divers, soit cause d'[effets] contraires. Ainsi  

  • en tant que l'on est actuellement persuadé de pouvoir atteindre un bien futur, l'espoir cause la délectation ;
  • en tant que privé de la présence de ce bien, l'espoir cause l'affliction.

(Somme,  I-II.q2a3ad2)

Nihil prohibet idem, secundum diversa, esse causam contrariorum. Sic igitur spes,

  • inquantum habet praesentem aestimationem boni futuri, delectationem causat,
  • inquantum autem caret praesentia eius, causat afflictionem.

 -----

 

Bien, Plaisir, Tristesse, Absence, Présence, Délectation, Espoir, Affliction

Thomas d'Aquin - °°° A passions diverses, vertus diverses - I-II.q60a4

Les différentes passions du concupiscible ne se rapportent pas à des vertus morales différentes, parce que leurs mouvements s'enchaînent les uns aux autres suivant un certain ordre, du fait qu'ils sont ordonnés au même but, c'est-à-dire à la poursuite du bien ou à la fuite du mal ;

  • ainsi de l'amour découle la convoitise, et de la convoitise on en vient à la délectation.
  • Et l'enchaînement est le même pour les mouvements opposés ; la haine est suivie d'éloignement ou de répulsion, qui conduit à la tristesse.

Mais les passions de l'irascible ne font pas partie d'un ordre unique. Elles sont ordonnées à des buts différents ;

  • la crainte et l'audace à un grand danger ;
  • l'espoir et le désespoir à un bien ardu ;
  • la colère à surmonter quelque chose de contraire qui nous a nui.

Et c'est pourquoi ce sont des vertus diverses qui mettent de l'ordre dans ces passions :

  • la tempérance aux passions du concupiscible ;
  • la force aux craintes et aux audaces ;
  • la magnanimité à l'espoir et au désespoir ;
  • la douceur aux colères.

(Somme, I-II.q60a4)

Et ideo diversae passiones concupiscibilis non pertinent ad diversas virtutes morales, quia earum motus secundum quendam ordinem se invicem consequuntur, utpote ad idem ordinati, scilicet ad consequendum bonum, vel ad fugiendum malum;

  • sicut ex amore procedit concupiscentia, et ex concupiscentia pervenitur ad delectationem.
  • Et eadem ratio est de oppositis, quia ex odio sequitur fuga vel abominatio, quae perducit ad tristitiam.

Sed passiones irascibilis non sunt unius ordinis, sed ad diversa ordinantur,

  • nam audacia et timor ordinantur ad aliquod magnum periculum;
  • spes et desperatio ad aliquod bonum arduum;
  • ira autem ad superandum aliquod contrarium quod nocumentum

intulit. Et ideo circa has passiones diversae virtutes ordinantur, utpote

  • temperantia circa passiones concupiscibilis;
  • fortitudo circa timores et audacias;
  • magnanimitas circa spem et desperationem;
  • mansuetudo circa iras.

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Bien

Thomas d'Aquin - Le libre arbitre se rapporte par lui-même et naturellement au bien - III.q34a3ad1

  • et il se rapporte au mal sur le mode du défaut et hors de la nature

Le libre arbitre ne se rapporte pas au bien et au mal de la même manière,

  • car il se rapporte au bien
    • par lui-même
    • et naturellement ;
  • mais il se rapporte au mal
    • sur le mode du défaut
    • et hors de la nature.

Mais comme le dit le Philosophe, dans De Caelo II, 3, ce qui est au-delà de la nature est postérieur à ce qui est selon la nature, parce que ce qui est au-delà de la nature est une sorte de coupure (excisio) de ce qui est selon la nature.

Et donc le libre arbitre d'une créature au premier instant de sa création

  • peut être mû vers le bien en méritant,
  • mais non vers le mal en péchant,

du moins si la nature est encore intacte.

(Somme, III.q14a1ad2)

Liberum arbitrium non eodem modo se habet ad bonum et ad malum,

  • nam ad bonum se habet
    • per se
    • et naturaliter;
  • ad malum autem se habet
    • per modum defectus,
    • et praeter naturam.

Sicut autem philosophus dicit, in II de caelo, posterius est quod est praeter naturam, eo quod est secundum naturam, quia id quod est praeter naturam, est quaedam excisio ab eo quod est secundum naturam.

Et ideo liberum arbitrium creaturae in primo instanti creationis

  • potest moveri ad bonum merendo,
  • non autem ad malum peccando,

si tamen natura sit integra.

 -----

 1. Citation du De Caelo, 286a 18 : 

ὕστερον δὲ τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν,
καὶ ἔκστασίς τίς ἐστιν ἐν τῇ γενέσει
τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν

"D'autre part ce qui est contre la nature est postérieur à ce qui est selon la nature
et ce qui est contre nature dans la génération est une sorte de déviation au regard de ce qui est selon la nature."

%MCEPASTEBIN%

Nature, Libre arbitre, Bien, Mal, Péché, Contre-nature, Déviation, Coupure, Séparation, Création, Mérite

Thomas d'Aquin - L'inhésion en soi et l'inhésion en l'autre comme effet de l'amour - I-II.q28a2ad1

LIRE D'ABORD LA REPONSE PRINCIPALE DE L'ARTICLE

  • L'aimé est contenu dans celui qui aime, en tant qu'il est imprimé dans son affectif par une certaine complaisance.
  • Réciproquement, l'aimant est contenu dans l'aimé, en ce sens qu'il rejoint en quelque sorte l'intimité de son ami. 

Rien n'empêche en effet que l'on contienne et que l'on soit contenu à des titres divers ; c'est ainsi que le genre est contenu dans l'espèce, et réciproquement.

(Somme, I-II.q28a2ad1)

  • Amatum continetur in amante, inquantum est impressum in affectu eius per quandam complacentiam.
  • E converso vero amans continetur in amato, inquantum amans sequitur aliquo modo illud quod est intimum amati.

Nihil enim prohibet diverso modo esse aliquid continens et contentum, sicut genus continetur in specie et e converso.

 ----- 

1. "in affectu" : ablatif de lieu, indique le lieu où l'on est (par opposition à l'accusatif, qui désigne le lieu où l'on va).

Bien, Complaisance, Inhérence, Inhésion, Inhabitation, Intériorité, Intimité

Thomas d'Aquin - On entend par mouvement sensuel l'opération de la puissance appétitive - I.q81a1 et I.q81a2

  • La sensualité n'est pas directement morale mais dit simplement l'appétit sensitif en général

AVERTISSEMENT : Nous nous permettons ici ce que nous ne pourrions nous permettre dans une traduction grand public : "sensualitas" est ici traduit littéralement "sensualité". Ce terme n'est pas à comprendre dans son sens moral actuel mais dans un sens neutre plus proche du terme "sensibilité" dans son versant affectif (par distinction de son versant cognitif). Une bonne traduction pourrait être "affectivité sensible"1.

---

Le mouvement sensuel (sensualis) est un appétit consécutif à une appréhension sensible (sensitivam)

Car

  • l'acte de la puissance appréhensive n'est pas aussi proprement dit un mouvement,
  • comme [peut l'être] l'action de l'appétit, 

car

  • l'opération de la puissance appréhensive est perfectionnée en cela que les choses appréhendées sont dans celui qui appréhende,
  • tandis que l’opération de la puissance appétitive est perfectionnée en ce que l’être qui appète [= désire] est incliné dans la chose appétible [= désirable]2.

Et c’est pourquoi

  • l’opération de la puissance appréhensive est assimilée au repos,
  • tandis l’opération de la puissance appétitive est davantage assimilée au mouvement.

Aussi par mouvement sensuel (sensualem) est intelligé [= est entendu] l’opération de la puissance appétitive. Ainsi la sensualité est le nom de l'appétit sensitif.

(Somme, I.q81a1)

Motus autem sensualis est appetitus apprehensionem sensitivam consequens.

  • Actus enim apprehensivae virtutis non ita proprie dicitur motus, 
  • sicut actio appetitus,
  • nam operatio virtutis apprehensivae perficitur in hoc, quod res apprehensae sunt in apprehendente;
  • operatio autem virtutis appetitivae perficitur in hoc, quod appetens inclinatur in rem appetibilem.

Et ideo

  • operatio apprehensivae virtutis assimilatur quieti,
  • operatio autem virtutis appetitivae magis assimilatur motui.

Unde per sensualem motum intelligitur operatio appetitivae virtutis. Et sic sensualitas est nomen appetitus sensitivi.

 *     *     *

L’appétit sensitif est une faculté qu’on appelle en général sensualité, mais il se divise en deux puissances qui sont ses espèces : l’irascible et le concupiscible.

(Somme, I.q81a2)

Appetitus sensitivus est una vis in genere, quae sensualitas dicitur; sed dividitur in duas potentias, quae sunt species appetitus sensitivi, scilicet in irascibilem et concupiscibilem.

 ----- 

1. Voir la note de F.-X. Putallaz :

Le mot « sensualitas » est d’ordinaire traduit par « sensibilité ». Mais ce dernier terme recouvre à la fois les facultés cognitives et les facultés appétitives ; or il s’agit ici seulement des deux facultés appétitives d’ordre sensible ; le terme « sensibilité » est donc trop large. En conservant le mot proche du latin « sensualité », on tombe dans le travers inverse, en raison de sa connotation de désir qu’il comporte, et même de désir imprégné de sexualité ; le terme est donc trop étroit. Je propose « affectivité sensible », au sens de la tendance qui porte l’appétit vers les réalités corporelles, afin de les atteindre, de les fuir ou de les combattre. Cette « affectivité sensible » est le siège des « sentiments », des émotions et des passions. Elle a un rôle vital.

in : Thomas d'Aquin, L'âme humaine, Cerf, 2018, p. 547.

2. Thomas préfère réserver le terme désir à l'appétit volontaire. Le terme appétit est plus générique, il peut refléter une tendance vers un bien sensible (concupiscence) comme spirituel (désir).

3. On comprend ici ce que Thomas dira plus loin, la sensualité (c'est à dire l'appétit sensitif, c'est à dire les passions) n'est pas en lui-même moral, cf. I-II.q24a1 : les passions en elles-mêmes ne sont pas morales.

Connaissance, Appétit, Connaissant (le), Appréhension, Moralité, Appétit sensible, Sensualité, Opération, Sensibilité affective

Thomas d'Aquin - Le bavardage (multiloquium) - DeMalo.q14a4

... comme conséquence de la gourmandise ...

... un désordre dans la parole, et c'est le bavardage (multiloquium) : car si la raison ne pèse pas les mots, la conséquence est que l'homme se répand en mots superflus ...

(DeMalo.q14a4)

Tertio sequitur inordinatio locutionis; et sic est multiloquium: quia dum ratio verba non ponderat, consequens est ut homo ad verba superflua dilabatur.

 

 

 

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Raison, Concupiscible, Gourmandise, Pondération, Tempérance, Bavardage, Discours, Paroles

Thomas d'Aquin - L'amour spirituel extatique n'implique pas d'aimer l'autre plus que soi-même - I-II.q28a3ad3

  • Celui qui aime(amat), en cela qu'il aime, sort à l'extérieur de lui, en tant qu'il veut le bien pour son ami et qu'il y travaille.
  • Non cependant qu'il veuille le bien pour son ami plus qu'il ne le veuille pour lui-même. De là, il ne s'ensuit pas qu'on aime de dilection (diligat) l'autre plus que soi-même.

(Somme, I-II.q28a3ad3)

  • Ille qui amat, intantum extra se exit, inquantum vult bona amici et operatur.
  • Non tamen vult bona amici magis quam sua. Unde non sequitur quod alterum plus quam se diligat..

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 1. Une seule réalité mérite d'être aimé plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu. Voir Commentaires des Noms Divins

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles de sorte qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ; tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles. (4.10.432)

Ainsi Jésus recommande d'aimer son prochain comme soi-même, non pas plus que soi-même. Il y a ici beaucoup à dire. Voir le sacrifice de Maximilien Kolbe.

2. Le fait que l'amour spirituel est de soi extatique ne signifie pas le fait de quitter quelque chose qu'on aimerait moins (soi) pour sortir aimer quelque chose d'autre plus digne d'être aimé (l'ami). Non, en aimant l'autre et en demeurant en lui et en s'attachant à oeuvre pour son bien, on ne cesse pas de s'aimer tout autant qu'on aime l'autre.

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Amour d'amitié, Extase, Amour de Dieu, Amour de l'autre

Thomas d'Aquin - Une seule réalité mérite d'être aimée plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu - Comm.Noms.Divins.4.10.432

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif : dans sans mouvement] de sorte 

  • qu’à soi seul il ne tende pas mais aux autres [aussi] ;
  • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

(Commentaire des Noms Divins, 4.10.432)

Aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.

Amour d'amitié, Extase, Amour de Dieu, Amour de l'autre

Thomas d'Aquin - Nous aimons quelqu'un d'amitié lorsque nous l'aimons pour son être même - Comm.Noms.Divins.4.9.404

  • ... non à cause d'une de ses qualités accidentelles dont nous retirons un bien

Quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous la raison de bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

(Commentaire des Noms Divins, 4.9.404)

Dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

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1. Bien noter : TH. atteste que plusieurs auteurs ou enseignants utilisent déjà l'expression "amour d'amitié" ; il la reprend ici à son compte.

2. Benevolentia : disposition à vouloir du bien ; amor benevolentiae : amour par lequel nous voulons à l'autre le bien. Dans d'autres passages TH. ajoute que cet amour nous pousse à opérer le bien pour la personne qu'on aime d'amitié, c'est à dire nous pousse à travailler pour le bien de l'autre.

Amour, Amour d'amitié, Extase, Amour de Dieu, Amour de bienveillance, Amour de concupiscence, Amour de l'autre, Amour accidentel

Thomas d'Aquin - L'amour, quel qu'il soit, lorsqu'il est intense, défend son bien - I-II.q28a4

  • ... et dans l'amour d'amitié, s'il est intense, on défend l'ami coûte que coûte

Note : Le terme zelus peut ici être traduit presque exactement par jalousie.

Le zèle, en quelque mode qu'on la prenne, vient de l'intensité de l'amour. Il est manifeste en effet que

  • plus une puissance se porte intensément vers quelque chose,
  • plus elle repousse avec force tout ce qui lui est contraire ou ce qui lui répugne.

Or l'amour, dit S. Augustin, est "une sorte de mouvement qui tend vers l'aimé" : un amour intense cherchera donc à exclure tout ce qui s'oppose à lui. 

Mais cela arrive autrement dans l'amour de convoitise et autrement dans l'amour d'amitié. [Autre, autre : le signe de l'analogie, l'amour se dit de plusieurs manières.]

[A. Le zèle dans l'amour de convoitise]

Car dans l'amour de convoitise, celui qui désire intensément quelque chose est mû contre tout ce qui l'empêche d'obtenir ce qu'il aime ou d'en jouir tranquillement (quietae).

  • C'est de cette manière qu'il est dit du zèle des maris pour leurs femmes : ils ne veulent pas que ce qu'ils cherchent d'unique auprès d'elles soit empêché par la compagnie des autres.
  • Et de même, ceux qui recherchent l'excellence sont mûs contre ceux qui sont vus exceller, comme s'ils empêchaient leur propre excellence : c'est le zèle envieux, dont il est écrit (Ps 37, 1): "N'imite pas ceux qui sont dans l'intention mauvaise ; ne jalouse pas ceux qui font l'iniquité." 

[B. Le zèle dans l'amour d'amitié]

Tandis que dans l'amour d'amitié,

  • on cherche le bien de l'ami
  • de là, quand l'amour est intense, il se fait que l'homme est mû contre tout ce qui répugne au bien de l'ami.

Et selon cela, quelqu'un est dit avoir du zèle pour l'ami quand, si sont dits ou faits des choses contre le bien de l'ami, l'homme s'applique à les repousser.

C'est aussi de cette manière qu'on est dit être zélé pour Dieu, quand ...

(Somme, I-II.q28a4)

Zelus, quocumque modo sumatur, ex intensione amoris provenit. Manifestum est enim quod

  • quanto aliqua virtus intensius tendit in aliquid,
  • fortius etiam repellit omne contrarium vel repugnans.

Cum igitur amor sit quidam motus in amatum, ut Augustinus dicit in libro octoginta trium quaest., intensus amor quaerit excludere omne quod sibi repugnat.

Aliter tamen hoc contingit in amore concupiscentiae, et aliter in amore amicitiae.

A.

Nam in amore concupiscentiae, qui intense aliquid concupiscit, movetur contra omne illud quod repugnat consecutioni vel fruitioni quietae eius quod amatur.

  • Et hoc modo viri dicuntur zelare uxores, ne per consortium aliorum impediatur singularitas quam in uxore quaerunt.
  • Similiter etiam qui quaerunt excellentiam, moventur contra eos qui excellere videntur, quasi impedientes excellentiam eorum. Et iste est zelus invidiae, de quo dicitur in Psalmo XXXVI, noli aemulari in malignantibus, neque zelaveris facientes iniquitatem.

B.

Amor autem amicitiae

  • quaerit bonum amici,
  • unde quando est intensus, facit hominem moveri contra omne illud quod repugnat bono amici.

Et secundum hoc, aliquis dicitur zelare pro amico, quando, si qua dicuntur vel fiunt contra bonum amici, homo repellere studet.

Et per hunc etiam modum aliquis dicitur zelare pro Deo, quando ...

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 1. Dans le cas d'un amour spirituel (i.e. un amour d'amitié) ne peut-on pas dire que le zèle sera soutenu par la vertu de force de manière spéciale et par la vertu de prudence d'une manière générale ?

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Jalousie, Amour d'amitié, Amour de concupiscence, Zèle, Intensité, Amour intense, Obstacle, Défense

Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad1 - Quel lien entre amour et prudence ?

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

La volonté meut toutes les puissances à leurs actes. Or, le premier acte de la  puissance appétitive est l'amour, comme on l'a dit plus haut. Ainsi donc la prudence est dite amour,

  • non pas essentiellement,
  • mais en tant que l'amour meut à l'acte la prudence. 

Aussi S. Augustin ajoute-t-il à la suite que "la prudence est un amour discernant bien (bene discernens)

  • ce qui l'aide à tendre vers Dieu
  • de ce qui peut l'en empêcher".

Et l'amour est dit discerner, en tant qu'il meut la raison au discernement.

(Somme, II-II.q47a1ad1)

Voluntas movet omnes potentias ad suos actus. Primus autem actus appetitivae virtutis est amor, ut supra dictum est. Sic igitur prudentia dicitur esse amor

  • non quidem essentialiter,
  • sed inquantum amor movet ad actum prudentiae.

Unde et postea subdit Augustinus quod prudentia est amor bene discernens ea

  • quibus adiuvetur ad tendendum in Deum
  • ab his quibus impediri potest.

Dicitur autem amor discernere, inquantum movet rationem ad discernendum.

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1. En dernier lieu, bien noter la relation entre la prudence et la tension amoureuse vers Dieu.

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Amour, Raison, Appétit, Prudence, Discernement

Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad2 - La prudence regarde les moyens (les "ce en vue de la fin")

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

Le prudent considère

  • ce qui est loin en tant qu'ordonné
    • à une aide
    • ou à un empechement
  • envers ce qui est présentement amené dans l'action.

D'où il est patent que

  • ce qui est considérée par la prudence
  • est ordonné à une autre [chose] comme à sa fin.

Or, pour les [choses] qui sont en vue d'une fin [= les moyens]

  • il y a le conseil dans la raison,
  • et l'élection dans l'appétit.

De ces deux [actes],

  • le conseil relève plus proprement de la prudence :
    • le Philosophe dit en effet que le prudent "délibère bien".
  • Mais parce que l'élection présuppose le conseil
    • elle est en effet "l'appétit de ce qui a été préalablement délibéré (praeconsiliati)", selon Aristote,

l'acte d'élire peut encore (etiam) être attribué de façon logique (!!) conséquemment à la prudence, en ce sens que par le conseil elle dirige l'élection.

(Somme, II-II.q47a1ad2)

Prudens considerat

  • ea quae sunt procul inquantum ordinantur
    • ad adiuvandum
    • vel impediendum
  • ea quae sunt praesentialiter agenda.

Unde patet quod

  • ea quae considerat prudentia
  • ordinantur ad alia sicut ad finem.

Eorum autem quae sunt ad finem est

  • consilium in ratione
  • et electio in appetitu.

Quorum duorum

  • consilium magis proprie pertinet ad prudentiam,
    • dicit enim philosophus, in VI Ethic., quod prudens est bene consiliativus.
  • Sed quia electio praesupponit consilium,
    • est enim appetitus praeconsiliati, ut dicitur in III Ethic.;

ideo etiam eligere potest attribui prudentiae consequenter, inquantum scilicet electionem per consilium dirigit.

 -----

1.

La prudence s'enquiert des choses futures en vue des actions présentes à poser. Donc d'un côté un relatif et de l'autre une fin. La prudence s'occupe d'une chose médiate, les moyens.

Or, dans l'activité humaine, lorsqu'on en arrive à l'étape des moyens, deux actes entrent en jeu : le conseil (quel moyen ?) et l'élection (le moyen retenu). C'est un moment dans lequel l'appétit volontaire sous-traite à la raison la phase qui va permettre de retirer à la personne sa liberté face à la diversité des moyens : après le conseil on n'est plus libre d'opter pour tel ou tel moyen (d'où dé-libération). Au moment où il y a choix, la phase libre arbitre est derrière soi. Ce qui est intéressant puisqu'on voit d'habitude la liberté dans le choix alors qu'elle est plutôt dans le conseil [REFLECHIR ENCORE LA-DESSUS]. Quand il n'y a plus qu'un moyen, on le considère comme un bien, donc est davantage objet de l'appétit. Mais, dit TH., comme la raison a dû apporter son aide lors de la phase de conseil et que cet acte est maintenu dans la phase du choix, on peut aussi attribuer à la raison l'acte du choix. Ainsi l'acte d'élection est posé dans un acte appétitif soutenu par un acte de la raison.

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Raison, Choix (Election), Appétit, Prudence, Futur, Présent, Conseil

Thomas d'Aquin - Le zèle causé par l'amour intense du bien rend odieux tout ce qui empêche ce bien de se communiquer - I-II.q28a4ad2

  • ... on n'est pas envieux du bien que tous peuvent posséder (comme Dieu ou la vérité), mais on peut l'être de la manière excellente de le posséder

Le bien est aimé en tant qu'il peut se communiquer à celui qui aime. C'est pourquoi tout ce qui empêche la perfection de cette communication, devient odieux [= devient objet de haine]. Et ainsi le zèle est causé par l'amour du bien. Mais il arrive que, par défaut de bonté, certains biens de peu de valeur (parva) ne peuvent être possédés simultanément et intégralement par plusieurs. C'est de l'amour de tels biens qu'est causée le zèle envieux.

Il n'en va pas de même, à proprement parler, quand il s'agit de ces biens que plusieurs peuvent posséder intégralement (integre), nul n'est envieux d'autrui pour la connaissance de la vérité, que plusieurs peuvent acquérir intégralement ; mais on peut peut-être l'être de l'excellence de cette connaissance.

(Somme, I-II.q28a4ad2)

Bonum amatur inquantum est communicabile amanti. Unde omne illud quod perfectionem huius communicationis impedit, efficitur odiosum. Et sic ex amore boni zelus causatur. Ex defectu autem bonitatis contingit quod quaedam parva bona non possunt integre simul possideri a multis. Et ex amore talium causatur zelus invidiae.

Non autem proprie ex his quae integre possunt a multis possideri, nullus enim invidet alteri de cognitione veritatis, quae a multis integre cognosci potest; sed forte de excellentia circa cognitionem huius.

 ----- 

1. Le bien spirituel n'est pas limité par l'aspect quantitatif qui limite le bien sensible. Mais il peut être limité par la manière dont on cherche à l'atteindre, aussi certains peuvent être envieux même des choses spirituelles.

En creux, TH. nous invite à ne pas se contenter de simplement aimer le bien spirituel, mais à l'aimer intensément.

Et s'il y a amour intense, il y aura aussi un zèle

  • à atteindre le bien spirituel de la meilleure manière possible
  • et à le défendre.
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Vérité, Connaissance, Communication, Jalousie, Haine, Zèle, Obstacle

Thomas d'Aquin - II-II.q47a1 - La prudence c'est voir au loin les incertitudes et confronter les possibles en vue de l'action à poser

Comme dit Isidore : "Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin (porro videns) ;

  • il est perspicace en effet
  • et voit les cas incertains."

Or, la vision n'est pas une puissance appétitive mais une puissance cognitive. D'où Il est manifeste que la prudence relève directement d'une puissance cognitive.

  • Non toutefois d'une puissance [cognitive] sensitive :
    • parce que par elle en effet sont connues seulement les choses présentes et offertes aux sens.
  • Tandis que connaître le futur à partir du présent et du passé, ce qui est le fait de la prudence, est propre à la raison ;
    • parce que cette action est posée par une certaine collation [= confrontation].

D'où il reste que la prudence est proprement dans la raison.

(Somme, II-II.q47a1)

Sicut Isidorus dicit, in libro Etymol., prudens dicitur quasi porro videns,

  • perspicax enim est,
  • et incertorum videt casus.

Visio autem non est virtutis appetitivae, sed cognoscitivae. Unde manifestum est quod prudentia directe pertinet ad vim cognoscitivam.

  • Non autem ad vim sensitivam,
  • quia per eam cognoscuntur solum ea quae praesto sunt et sensibus offeruntur.
  • Cognoscere autem futura ex praesentibus vel praeteritis, quod pertinet ad prudentiam, proprie rationis est, quia hoc per quandam collationem agitur.

Unde relinquitur quod prudentia proprie sit in ratione.

 -----

 1. Bien noter la référence à la collation, utiliser par ailleurs par TH. pour parler de l'oeuvre du libre arbitre.

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Raison, Connaissance, Appétit, Prudence, Conférer (Confrontation, Collation, Vis Collativa), Futur, Présent, Passé, Incertitude, Perspicacité

Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad3 - En éthique, ne pas passer à la mise en oeuvre concrète est ce qu'il y a de pire, car on manque la fin

  • Où Thomas montre qu'il est tout sauf un intellectualiste de salon, c'est un homme fermement enraciné dans la réalité pratique de la vie

Ce passage est éblouissant de réalisme.

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Une prudence digne d'éloge ne consiste pas

  • dans la simple considération, 
  • mais dans l'application à l'oeuvre, ce qui est la fin de la raison pratique.

Et c'est pourquoi si en cela il y a défaut, c'est au plus haut point contraire à la prudence, 

parce que,

  • de même que la fin est ce qu'il y a de plus puissant (potissimus) dans quel que domaine que ce soit,
  • ainsi le défaut qui concerne la fin est le pire.

D'où la remarque complémentaire du Philosophe au même endroit, selon laquelle la prudence "n'est pas seulement avec la raison", comme [dans] l'art ; elle comporte en effet, comme on l'a dit, l'application à l'oeuvre, ce qui se fait par la volonté.

(Somme, II-II.q47a1ad3)

Laus prudentiae non consistit

  • in sola consideratione,
  • sed in applicatione ad opus, quod est finis practicae rationis.

Et ideo si in hoc defectus accidat, maxime est contrarium prudentiae, quia

  • sicut finis est potissimus in unoquoque,
  • ita et defectus qui est circa finem est pessimus.

Unde ibidem philosophus subdit quod prudentia non est solum cum ratione, sicut ars, habet enim, ut dictum est, applicationem ad opus, quod fit per voluntatem.

 -----

 1. Limpide. La recherche du bonheur ne peut être simplement théorique, elle passe par la mise en oeuvre pratique. Sans quoi l'erreur serait ici maximale.

2. Bien noter la référence à l'art, domaine loin d'être étranger à la réflexion de TH.

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Réalisme, Art, Fin, Prudence, Raison pratique, Application (exécution, mise en oeuvre), Erreur

Thomas d'Aquin - II-II.q47a2ad1 - La prudence est la sagesse spécialisée dans le bien humain

... D'où il est manifeste que la prudence est sagesse

  • dans les choses humaines,
  • mais non pas sagesse absolument,

car elle ne porte pas sur la cause la plus élevée absolument ; 

en effet

  • la prudence porte sur le bien humain,
  • et l'homme n'est pas ce qu'il y a de meilleur entre toutes [les choses] qui sont.

Aussi est-il dit expressément (signanter) que la prudence est "sagesse pour l'homme", et non pas sagesse absolument.

(Somme, II-II.q47a2ad1)

Unde manifestum est quod prudentia est sapientia

  • in rebus humanis,
  • non autem sapientia simpliciter,

quia non est circa causam altissimam simpliciter;

  • est enim circa bonum humanum,
  • homo autem non est optimum eorum quae sunt.

Et ideo signanter dicitur quod prudentia est sapientia viro, non autem sapientia simpliciter.

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1. "prudentia est sapientia viro" : mieux vaut ne pas traduire littéralement ! viro est le datif de vir qui signifie l'homme mâle. Dans la perspective de Thomas, c'est peut-être l'une de ses rares faiblesses, la femme est plus ou moins empétrée dans ses passions et ne peut réellement faire oeuvre de sagesse.

Il faudrait détailler ici pour être plus juste. 

Il serait intéressant de savoir si TH. a entendu parler d'Hildegarde Von Bingen (1098-1179), ou s'il l'a laissé volontairement de côté.

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Sagesse, Prudence, Sagesse absolue, Sagesse relative

Thomas d'Aquin - II-II.q47a2ad3 - La prudence n'est pas spéculative ...

  • ... car elle regarde ce dont le chemin n'est pas déterminé d'avance
  • Toute application de la raison droite à quelque chose qu'on peut fabriquer relève de l'art. 
  • Mais de la prudence ne relève rien si ce n'est l'application de la raison droite aux [choses] dont il y a conseil.

Et les [choses] de ce genre sont dans les [choses] pour lesquelles ne sont pas des voies atteignant à la fin de manière déterminée ; comme il est dit dans l'Ethique à Nicomaque.

Donc, puisque la raison spéculative produit certains effets, comme le syllogisme, la proposition, etc., où l'on procède selon des voies fixes et déterminées,

  • la raison d'art est sauve par rapport à cela,
  • mais non pas la raison de prudence.

Et c'est pourquoi on peut trouver

  • quelque art spéculatif,
  • mais pas de prudence [spéculative].

(Somme, II-II.q47a2ad3)

  • Omnis applicatio rationis rectae ad aliquid factibile pertinet ad artem.
  • Sed ad prudentiam non pertinet nisi applicatio rationis rectae ad ea de quibus est consilium.

Et huiusmodi sunt in quibus non sunt viae determinatae perveniendi ad finem; ut dicitur in III Ethic.

Quia igitur ratio speculativa quaedam facit, puta syllogismum, propositionem et alia huiusmodi, in quibus proceditur secundum certas et determinatas vias;

  • inde est quod respectu horum potest salvari ratio artis,
  • non autem ratio prudentiae.

Et ideo invenitur

  • aliqua ars speculativa,
  • non autem aliqua prudentia.

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Art, Déterminisme, Détermination, Prudence, Détermination ad unum, Raison pratique, Raison spéculative

Thomas d'Aquin - II-II.q47a2ad2 - En lui-même, l'acte spéculatif ne relève ni du conseil ni de la prudence

  • Où Thomas montre qu'il est tout sauf un intellectualiste de salon, c'est un homme fermement enraciné dans la réalité pratique de la vie

L'acte de la raison spéculative lui-même, (...) dans la mesure où il est mis en relation avec [son] objet, qui est le vrai nécessaire, ne tombe ni sous le conseil ni sous la prudence.

(Somme, II-II.q47a2ad2)

Ipse actus speculativae rationis, (...) prout comparatur ad obiectum, quod est verum necessarium, non cadit sub consilio nec sub prudentia.

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Vérité, Nécessité, Prudence, Conseil, Raison spéculative

Thomas d'Aquin - II-II.q47a5 - En quoi la prudence se distingue-t-elle des autres vertus ?

  • Elle peut être distinguée d'une triple manière.

 

[La prudence distinguée des autres vertus intellectuelles]

La prudence étant dans la raison, nous l'avons dit, elle se diversifie (diversificatur) des autres vertus intellectuelles selon la diversité matérielle des objets.

  • Car la sagesse, la science et l'intelligence
    • sont à propos des [choses] nécessaires ;
  • l'art et la prudence,
    • [sont] à propos des [choses] contingentes ;

mais

  • l'art [est] à propos des [choses] fabriquables,
    • c'est-à-dire constituées dans une matière extérieure, comme une maison, un couteau, etc.,
  • tandis que la prudence est à propos des [choses] agibles,
    • lesquelles ont leur existence dans l'opérateur lui-même, nous l'avons montré.

[La prudence distinguée des autres vertus morales]

Mais par rapport aux vertus morales, la prudence est distinguée (distingitur) selon la raison formelle qui [fait] la distinction des puissances :

  • c'est à dire la [puissance] intellectuelle [d'une part], en quoi est la prudence ; [raison]
  • et la [puissance] appétitive [d'autre part], en quoi est la vertu morale. [appétit]

D'où il est manifeste que la prudence est une vertu spéciale, distinguée de toutes les autres vertus.

(Somme, II-II.q47a5)

A.

Sic igitur dicendum est quod cum prudentia sit in ratione, ut dictum est, diversificatur quidem ab aliis virtutibus intellectualibus secundum materialem diversitatem obiectorum.

  • Nam sapientia, scientia et intellectus
    • sunt circa necessaria;
  • ars autem et prudentia
    • circa contingentia;

sed

  • ars circa factibilia, quae scilicet in exteriori materia constituuntur, sicut domus, cultellus et huiusmodi;
  • prudentia autem est circa agibilia, quae scilicet in ipso operante consistunt, ut supra habitum est.

B.

Sed a virtutibus moralibus distinguitur prudentia secundum formalem rationem potentiarum distinctivam,

  • scilicet intellectivi, in quo est prudentia;
  • et appetitivi, in quo est virtus moralis.

Unde manifestum est prudentiam esse specialem virtutem ab omnibus aliis virtutibus distinctam.

-----

1. -- in ipso operante : [operante (participe) = celui qui opère, qui pose une action qui est elle-même l'oeuvre, la fin]

2. -- Elle peut être distinguée d'une triple manière, la prudence relève 

    1. du domaine pratique et non spéculatif, (art. 2)
    2. dans le domaine pratique elle relève de l'action et non de l'art, (art. 4.2)
    3. dans le domaine de l'action, elle est une vertu intellectuelle (elle raisonne à partir du futur pour l'action présente à travers le conseil et l'élection, etc.) et non une vertu qui traite directement de l'appétit (ce que seront la tempérance et la force).

Prudence

Thomas d'Aquin - II-II.q47a3 - La prudence doit connaître et les principes universels et les singuliers

  • Encore un court passage dans lequel l'agile Thomas montre autant de souplesse que de précision.

Il revient à la prudence, non seulement de considérer selon la raison, mais encore de s'appliquer à l'oeuvre, ce qui est la fin de la raison pratique. (...) Et c'est pourquoi il est nécessaire que le prudent 

  • et connaisse les principes universels de la raison
  • et connaisse les singuliers, objets des opérations.

(Somme, II-II.q47a3)

Ad prudentiam pertinet non solum consideratio rationis, sed etiam applicatio ad opus, quae est finis practicae rationis. (...) Et ideo necesse est quod prudens

  • et cognoscat universalia principia rationis,
  • et cognoscat singularia, circa quae sunt operationes.

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 1. Où l'on rappelle à l'occasion que l'action concrète est la fin de la raison pratique.

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Prudence, Raison pratique, Principes universels, Singulier

Thomas d'Aquin - II-II.q47a4 - Le bien se dit en deux sens

  • Le bien concret (tel bien) et la ratio de bien

Le bien peut se dire en deux sens :

  • d'une manière, matériellement, pour [désigner] ce qui est bon ; [tel bien]
  • d'une autre manière, formellement, selon la raison de bien. [la notion analogique de bien]

(Somme, II-II.q47a4)

Sicut supra dictum est cum de virtutibus in communi ageretur, virtus est quae bonum facit habentem et opus eius bonum reddit. Bonum autem potest dici dupliciter,

  • uno modo, materialiter, pro eo quod est bonum;
  • alio modo, formaliter, secundum rationem boni. 

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Bien, Raison de bien, Ratio boni, Formaliter, Materialiter

Thomas d'Aquin - II-II.q47a8 - Le commandement est le plus grand de trois actes de la raison dans la prudence

  • L'agir n'est plus l'agir s'il n'y a pas passage dans le concret par lequel on touche à la fin

La prudence est la droite règle dans le domaine de l'agir, on l'a dit plus haut.

D'où il faut que l'acte principal de la prudence soit l'acte principal de la raison préposée à l'action. Celle-ci émet trois actes.

  1. Le premier est le conseil : il se rattache à l'invention (inventionem)[= découvrir], car délibérer c'est chercher, comme il a été établi antérieurement.
  2. Le deuxième acte est le jugement à propos de ce qu'on a trouvé (inventis), ce que fait la raison spéculative.
  3. Mais la raison pratique,
      • qui est ordonnée à l'oeuvre,
      • va plus loin
    • et son troisième acte est de commander, 
      • cet acte-là consiste dans l'application à l'oeuvre de ce qui résulte
        • du conseil
        • et du jugement.

Et parce que cet acte est plus proche de la fin de la raison pratique, il est l'acte principal de la raison pratique et par conséquent de la prudence. Et le signe en est que (...)

Prudentia est recta ratio agibilium, ut supra dictum est.

Unde oportet quod ille sit praecipuus actus prudentiae qui est praecipuus actus rationis agibilium. Cuius quidem sunt tres actus.

  1. Quorum primus est consiliari, quod pertinet ad inventionem, nam consiliari est quaerere, ut supra habitum est.
  2. Secundus actus est iudicare de inventis, et hic sistit speculativa ratio.
  3. Sed practica ratio,
      • quae ordinatur ad opus,
      • procedit ulterius
    • et est tertius actus eius praecipere,
      • qui quidem actus consistit in applicatione
        • consiliatorum
        • et iudicatorum ad operandum.

Et quia iste actus est propinquior fini rationis practicae, inde est quod iste est principalis actus rationis practicae, et per consequens prudentiae.  Et huius signum est quod  (...)


1.

  • par le conseil, on cherche en délibérant
  • on juge du résultat de la phase de conseil
  • on commande l'application concrète des moyens découverts et retenus (jugés bons)

 

 

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Délibération, Fin, Commandement, Imperium, Prudence, Conseil, Raison spéculative

Thomas d'Aquin - II-II.q47a16 - Commander, c'est l'application d'une connaissance à l'appétit et à l'opération ...

  • ... et c'est l'acte principal de la prudence

(...)

La prudence ne consiste pas

  • dans la seule raison,
  • mais aussi dans l'appétit,

parce que, nous l'avons dit, son acte principal

  • est de commander,
  • ce qui revient à appliquer une connaissance à l'appétit et à l'opération.

(...)

(Somme, II-II.q47a16)

(...)

Sed prudentia non consistit

  • in sola cognitione,
  • sed etiam in appetitu,

quia ut dictum est, principalis eius actus

  • est praecipere,
  • quod est applicare cognitionem habitam ad appetendum et operandum.

(...)

 

Raison, Connaissance, Appétit, Commandement, Imperium, Prudence, Opération, Application (exécution, mise en oeuvre)

Thomas d'Aquin - II-II.q47a16ad3 - On n'oublie la prudence qu'indirectement

La prudence consiste principalement

  • non dans la connaissance des [principes] universels
  • mais dans leur application aux actes, on vient de le dire.

Et c'est pourquoi l'oubli de la connaissance universelle

  • ne corrompt pas ce qu'il y a de principal dans la prudence,
  • mais lui porte quelque empêchement, on vient de le dire.

(Somme, II-II.q47a16ad3)

Prudentia principaliter consistit

  • non in cognitione universalium,
  • sed in applicatione ad opera, ut dictum est.

Et ideo oblivio universalis cognitionis

  • non corrumpit id quod est principale in prudentia,
  • sed aliquid impedimentum ei affert, ut dictum est.

 


1.

Objection : les premiers principes pratiques s'imposent à nous, comment pourraient-ils s'oublier ?

Essai de réponse : Ce ne sont pas les premiers principes que nous oublions mais la science acquise à partir d'eux. Aussi bien le traducteur qui s'est permis d'ajouter le terme "principes" semble conduire à une incompréhension. Dans le corps de l'article, TH. parle explicitement de l'oubli d'un art ou d'une science, ce qui amène à penser qu'il aurait mieux valu ajouter, s'il fallait ajouter, le terme "conclusions" plutôt que le terme "principes". -- Pour ce qui concerne la prudence, on aurait ici l'oubli de la pratique du conseil. Si l'habitus de conseil est perdu, la prudence sera empêchée dans son acte principal de commandement et d'application.

Voir : 

L’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis)(DeVer.q24a1ad17)

 

Raison, Connaissance, Appétit, Commandement, Imperium, Prudence, Opération, Application (exécution, mise en oeuvre), Corruption

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - Où Thomas éclaire la relation entre le conseil et la délibération

En effet, puisque l’acte du libre arbitre 

  • est l’élection,
  • qui suit le conseil, 
  • c’est-à-dire la délibération de la raison, 
le libre arbitre ne peut s’étendre à ce qui échappe à la délibération de la raison, comme c’est le cas des choses qui se présentent de façon non préméditée.

(DeVer.q24a12)

Cum enim actus liberi arbitrii

  • sit electio,
  • quae consilium,
  • id est deliberationem rationis,

sequitur, ad illud se liberum arbitrium extendere non potest quod deliberationem rationis subterfugit, sicut sunt ea quae impraemeditate occurrunt.

 

Raison, Libre arbitre, Choix (Election), Délibération, Conseil

Thomas d'Aquin - DeVer.q1a1 - L'ens - sa convenance avec l'appétit - sa convenance avec l'intellect

  • La convenance de l’étant avec l’appétit est donc exprimée par le nom de « bien »
    • (ainsi est‑il dit au début de l’Éthique que « le bien est ce que toute chose recherche »).
  • La convenance avec l’intellect est exprimée, quant à elle, par le nom de « vrai ».
(DeVer.q1a1)
  • Convenientiam ergo entis ad appetitum exprimit hoc nomen bonum,
    • ut in principio Ethic. [I, 1 (1094 a 3)] dicitur quod bonum est quod omnia appetunt.
  • Convenientiam vero entis ad intellectum exprimit hoc nomen verum.

 

 

Bien, Vrai, Appétit, Convenance, Être (ens)

Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a4 - EN COURS - Quatre actes de la raison et deux de l'affect à l'égard des actes humains

L'intérêt ici est de distinguer les différents actes humains, au-delà du contexte de la luxure dans lequel Thomas l'évoque, notamment à propos de l'ordre de ces actes.

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Et c'est pourquoi lorsque, dans l'acte de luxure, toute l'intention de l'âme est entraînée par la véhémence du plaisir vers les forces inférieures, c'est-à-dire le concupiscible et le sens du toucher, il est nécessaire que les puissances supérieures, à savoir la raison et la volonté, en souffrent un dommage. Et ideo quando in actu luxuriae propter vehementiam delectationis tota intentio animae attrahitur ad inferiores vires, idest ad concupiscibilem et ad sensum tactus, necesse est quod superiores, scilicet ratio et voluntas, defectum patiantur.

Or il y a quatre actes de la raison pour diriger (dirigit) les actes humains :

[1. Le bien fin :]

  • le premier est une certaine intellection par laquelle quelqu'un juge droitement de la fin, qui est comme le principe dans les opérations, comme le dit le Philosophe dans les Physiques (II, 15) ;

et dans la mesure où cet acte est empêché, on compte comme fille de la luxure l'aveuglement de l'esprit, selon cette parole de Daniel (13, 56) : "La beauté t'a égaré, et le désir a perverti ton coeur."

 

[2. Le conseil/délibération à propos des moyens :]

  • Le second acte est le conseil [~délibération] sur ce qu'il faut faire,

que le désir supprime ; Térence dit en effet dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 12) : "La chose n'admet en soi nulle conseil et nulle mesure, tu ne peux la régler par la réflexion", et il parle de l'amour sensuel (libidinoso) ; à ce point de vue, on a l'irréflexion.

 

[3. Le jugement auquel parvient le conseil : un moyen est choisi :]

  • Le troisième acte est le jugement sur les actions [qu'on doit poser] ;

et la luxure y met aussi obstacle. Il est dit en effet en Daniel (13, 9) : "Ils ont perverti leur esprit pour ne pas se souvenir des justes jugements" ; et à ce point de vue, on a la précipitation, lorsque l'homme est porté au consentement de façon précipitée (consensum praecipitanter), sans avoir attendu le jugement de la raison.

 

[4. Le moyen choisi doit être mis en oeuvre, commandement à l'exécution :]

  • Le quatrième acte est l'ordre d'agir (praeceptum de agendo),

qui est aussi empêché par la luxure en ce que l'homme ne persiste pas dans ce qu'il a décidé, comme Térence le dit aussi dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 23) : "Ces paroles", selon lesquelles tu dis que tu vas te séparer de ton amie, "une fausse petite larme en restreindra la portée", et à ce point de vue, on a l'inconstance.

Sunt autem quatuor actus rationis, secundum quod dirigit humanos actus:

  • quorum primus est intellectus quidam, quo aliquis recte existimat de fine, qui est sicut principium in operativis, ut philosophus dicit in II Physic.;

et in quantum hoc impeditur, ponitur filia luxuriae caecitas mentis, secundum illud Daniel., XIII, 56: species decepit te, et concupiscentia subvertit cor tuum.

  • Secundus actus est consilium de agendis,

quod per concupiscentiam tollitur; dicit enim Terentius in eunucho: quae res in se neque consilium, neque modum habet ullum, eam consilio regere non potes; et loquitur in amore libidinoso; et quantum ad hoc ponitur inconsideratio.

  • Tertius actus est iudicium de agendis;

et hoc etiam impeditur per luxuriam: dicitur enim Daniel., XIII, 9, quod averterunt sensum suum (...) ut non recordarentur iudiciorum iustorum; et quantum ad hoc ponitur praecipitatio, dum scilicet homo inclinatur ad consensum praecipitanter, non expectato iudicio rationis.

  • Quartus actus est praeceptum de agendo,

quod etiam impeditur per luxuriam, in quantum homo non persistit in eo quod diiudicavit, sicut etiam Terentius dicit eunucho: haec verba, quae scilicet dicis, te recessurum ab amica, una falsa lacrymula restinguet; et quantum ad hoc ponitur inconstantia.

Par contre, du côté des affects désordonnés, deux choses sont à considérer. °°°

  1. La première est l'appétit du plaisir, vers lequel la volonté se porte comme à une fin ;
    • et quant à cela, on a l'amour de soi, quand on appète (appetit) pour soi de façon in-ordonnée (inordinate) le plaisir,
    • et par opposition, la haine de Dieu, dans la mesure où il défend le plaisir que l'on convoite (concupitam).

 

  1. L'autre chose à considérer, c'est l'appétit des choses grâce auxquelles on obtient cette fin-là ;
    • et quant à cela, on a les affects au monde présent,
      • c'est-à-dire à tout ce par quoi on parvient à la fin visée (intentum), qui appartient à ce monde présent ;
    • et par opposition, on a le désespoir du monde futur, parce que quand on s'attache trop aux plaisirs charnels, on a davantage de mépris pour les spirituels.

 

(DeMalo.q15a4)

Ex parte vero inordinationis affectus duo sunt consideranda,

  1. quorum unum est appetitus delectationis, in quem fertur voluntas ut finem;
    • et quantum ad hoc ponitur amor sui, dum scilicet inordinate sibi appetit delectationem;
    • et per oppositum odium Dei, in quantum scilicet prohibet delectationem concupitam.

 

  1. Aliud vero est appetitus eorum per quae consequitur quis hunc finem;
    • et quantum ad hoc ponitur affectus praesentis saeculi,
      • id est omnium eorum per quae ad finem intentum pervenit, quae ad saeculum istud pertinent;
    • et per oppositum ponitur desperatio futuri saeculi, quia dum nimis affectat carnales delectationes magis despicit spirituales.

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1. Ordre concret des six actes mentionnés dans ce passage

  1. L'amour du bien (appétit du bien)
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
  4. La délibération sur les moyens
  5. Le choix d'un moyen
  6. Le commandement

2. Ordre général à travers l'oeuvre

  1. L'amour du bien
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Les actes concernant les moyens
    1. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
    2. Le conseil / délibération sur les moyens
    3. Le jugement issu de la délibération
  4. Le commandement
  5. L'exécution
  6. La jouissance (plaisir/joie)

3. Correspondance des vices engendrés par la luxure avec les actes humains :  

Raison
1. une intellection par laquelle on juge droitement de la fin aveuglement de l'esprit (caecitas mentis)
2. délibération à propos des moyens irréflexion (inconsideratio)
3. jugement final à propos d'un moyen consécutif de la délibération précipitation
4. commandement inconstance (manque de persévérance dans ce qui a été préalablement jugé)
Volonté / Affect
1. amour du bien amour désordonné de soi (quand on appète pour soi de manière in-ordonnée)
2. amour des moyens deséspoir du monde futur (par opposition à l'affect aux moyens de ce monde au service d'un mauvais bien)

 

%MCEPASTEBIN%

Raison, Volonté, Actes humains, Délibération, Passions, Concupiscible, Intention, Commandement, Imperium, Principe, Moyens, Exécution, Opérations, Toucher, Luxure, Choix, Conseil

Thomas d'Aquin - II-II.q47a15 - La prudence n'est pas naturelle bien qu'elle s'appuie sur des principes connus naturellement

  • D'où la nécessité de "travailler" pour acquérir la prudence

[Rappel]

Comme il ressort de ce qu'on a avancé plus haut, la prudence inclut la connaissance

  • et des [principes] universels
  • et des opérables singuliers des circonstances singulières relatives à l'action,

l'homme prudent appliquant à celles-ci les principes universels.

A.

Sicut ex praemissis patet, prudentia includit cognitionem

  • et universalium
  • et singularium operabilium,

ad quae prudens universalia principia applicat.

 

[Du côté de la connaissance universelle : premiers principes et principes seconds]

Quant à la connaissance universelle donc, on a le même rapport

  • pour la prudence
  • et pour la science spéculative.

Parce que l'une et l'autre connaissent naturellement les premiers principes universels, selon ce qu'on a dit plus haut ;

(avec cette différence que les principes communs de la prudence sont plus connaturels à l'homme ; comme dit en effet le Philosophe : "La vie spéculative est au-dessus de la nature de l'homme"). 

Mais les principes universels postérieurs,

  • soit de la raison spéculative
  • soit de la raison pratique,
  • on ne les possède pas par nature 
  • mais on les découvre
    • par l'expérience,
    • ou par l'enseignement. 

 B.

Quantum igitur ad universalem cognitionem, eadem ratio est

  • de prudentia
  • et de scientia speculativa.

Quia utriusque prima principia universalia sunt naturaliter nota, ut ex supradictis patet,

nisi quod principia communia prudentiae sunt magis connaturalia homini; ut enim philosophus dicit, in X Ethic., vita quae est secundum speculationem est melior quam quae est secundum hominem.

Sed alia principia universalia posteriora,

  • sive sint rationis speculativae
  • sive practicae,
  • non habentur per naturam,
  • sed per inventionem secundum viam
    • experimenti,
    • vel per disciplinam.

 

[Du côté de la connaissance particulière]

Quant à la connaissance particulière de ce qui concerne l'opération, il faut de nouveau distinguer. Parce que l'opération a rapport

  • ou à la fin
  • ou à ce qui est en vue de la fin.

[Les fins]

Or les fins droites de la vie humaine sont déterminées. Il peut donc y avoir inclination naturelle à l'égard de ces fins ; ainsi a-t-on dit précédemment que certains, par disposition naturelle, possèdent certaines vertus les inclinant vers des fins droites, et donc possèdent par nature aussi un jugement droit relatif à ces fins.

[Les moyens]

Mais les choses qui sont en vue de la fin [= les moyens], dans le domaine des choses humaines, ne sont pas déterminées ; elles sont sujettes à toute sorte de variations selon

  • la diversité des personnes
  • et des affaires (negotiorum).

[Conclusion]

Aussi, parce que l'inclination de la nature se porte toujours vers du déterminé, une telle connaissance ne peut être innée (inesse) par nature chez l'homme ;

(toutefois, l'un peut être naturellement plus apte que l'autre à discerner ce genre d'actions, comme il arrive aussi pour les conclusions des sciences spéculatives).

Parce que la prudence n'a pas pour objet les fins mais les choses qui sont en vue de la fin [= les moyens], comme on l'a établi plus haut, elle n'est pas naturelle à l'homme.

 C.

Quantum autem ad particularem cognitionem eorum circa quae operatio consistit est iterum distinguendum. Quia operatio consistit circa aliquid

  • vel sicut circa finem;
  • vel sicut circa ea quae sunt ad finem.

[Les fins]

Fines autem recti humanae vitae sunt determinati. Et ideo potest esse naturalis inclinatio respectu horum finium, sicut supra dictum est quod quidam habent ex naturali dispositione quasdam virtutes quibus inclinantur ad rectos fines, et per consequens etiam habent naturaliter rectum iudicium de huiusmodi finibus.

[Les ]

Sed ea quae sunt ad finem in rebus humanis non sunt determinata, sed multipliciter diversificantur secundum

  • diversitatem personarum
  • et negotiorum.

D.

Unde quia inclinatio naturae semper est ad aliquid determinatum, talis cognitio non potest homini inesse naturaliter,

licet ex naturali dispositione unus sit aptior ad huiusmodi discernenda quam alius; sicut etiam accidit circa conclusiones speculativarum scientiarum.

Quia igitur prudentia non est circa fines, sed circa ea quae sunt ad finem, ut supra habitum est; ideo prudentia non est naturalis.


1. -- eadem ratio est : voir si l'on peut dire que l'expression indique un rapport analogique, a priori oui. La prudence est à l'égard des premiers principes du domaine pratique, ce que la science spéculative est aux premiers principes spéculatifs.

2. -- Bien noter cette particularité de la prudence : elle inclut connaissance de l'universel et connaissance du particulier ... A creuser.

 

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Nature, Universel, Particulier, Fin, Principes (premiers), Moyens, Prudence

Thomas d'Aquin - DeVer.q16a2 - La syndérèse murmure contre le mal et incline au bien

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

... il faut qu’il y ait un principe permanent qui ait une rectitude immuable, par rapport auquel toutes les opérations humaines soient examinées, en sorte que ce principe permanent

  • résiste à tout mal
  • et donne son assentiment à tout bien.

Et ce principe est la syndérèse, dont l'office est

  • de murmurer contre le mal
  • et d’incliner au bien ;

voilà pourquoi nous accordons qu’il ne peut y avoir de péché en elle.

(DeVer.q16a2)

... oportet esse aliquod principium permanens, quod rectitudinem immutabilem habeat, ad quod omnia humana opera examinentur ; ita quod illud principium permanens

  • omni malo resistat,
  • et omni bono assentiat.

Et haec est synderesis, cuius officium est

  • remurmurare malo,
  • et inclinare ad bonum ;

et ideo concedimus quod in ea peccatum esse non potest.

 


1. -- Rare passage dans lequel Thomas use d'une expression métaphorique.

Bien, Mal, Inclination, Péché, Principes (premiers), Bien moral, Opération, Syndérèse, Murmure

Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Un mouvement passionnel suit TOUJOURS un acte fort de volonté

Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté soit mûe fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. (DeVer.q26a7)

Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.


moveatur : subjonctif passif, traduction originale : "que la volonté se meuve", ma traduction : "que la volonté soit mûe".

Influence de Duns Scot, Descartes, etc. sur le traducteur. Thomas n'est pas volontariste.

Volonté, Passions

Thomas d'Aquin - I-II.q24a4 - Les passions peuvent relever du genre moral

Ce que nous avons dit des actes, il semble qu'on pourrait le dire des passions, en cela que l'espèce des actes ou des passions peut être considérée de deux manières. (...)

Dicendum quod sicut de actibus dictum est, ita et de passionibus dicendum videtur, quod scilicet species actus vel passionis dupliciter considerari potest.

D'une premier manière, (...) Uno modo (...)

D'une autre manière elles relèvent du genre moral, c'est-à-dire qu'elles participent à quelque chose du volontaire et du jugement de la raison. Et selon cette manière, le bien et le mal moral peuvent peuvent concerner l'espèce de la passion, en cela que quelque chose de l'objet de la passion, de soi1

  • convient (conveniens) à la raison
  • ou dissone (dissonum) avec la raison ;

on le voit clairement pour la honte, qui est la crainte d'une chose laide, et pour l'envie, qui est la tristesse du bien d'autrui.

C'est en ce sens que le bien et le mal moral sont en relation avec l'espèce des actes extérieurs.

(I-II.q24a4)

Alio modo, secundum quod pertinent ad genus moris, prout scilicet participant aliquid de voluntario et de iudicio rationis. Et hoc modo bonum et malum morale possunt pertinere ad speciem passionis, secundum quod accipitur ut obiectum passionis aliquid de se

  • conveniens rationi,
  • vel dissonum a ratione,

sicut patet de verecundia, quae est timor turpis; et de invidia, quae est tristitia de bono alterius.

Sic enim pertinent ad speciem exterioris actus.

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1. de se : manquant dans les traductions françaises !!!

Bien, Mal, Passions, Moralité

Thomas d'Aquin - De Pot. q10a2ad6 - Dieu aime sa bonté naturellement et par nécessité mais il produit les créatures gratuitement sans nécessité

 

La créature ne procède de la volonté divine

  • ni naturellement
  • ni de nécessité ;
  • car bien que Dieu aime sa bonté naturellement par sa volonté et de nécessité, et qu’un tel amour qui procède soit l’Esprit saint,
  • cependant il ne veut pas produire les créatures naturellement ou de nécessité mais gratuitement (sed gratis).

Car

  • les créatures ne sont pas la fin ultime de la volonté divine,
  • et sa bonté, qui est la fin ultime, ne dépend pas d’elles, puisque les créatures n’ajoutent rien à sa bonté ;

ainsi l’homme

  • veut le bonheur de nécessité,
  • non cependant ce qui est ordonné au bonheur.

(De Pot. q10a2ad6)

Creatura non procedit a voluntate divina

  • naturaliter
  • neque ex necessitate ;
  • licet enim Deus sua voluntate naturaliter et ex necessitate amet suam bonitatem, et talis amor procedens sit Spiritus sanctus ;
  • non tamen naturaliter aut ex necessitate vult creaturas produci, sed gratis.
  • Non enim creaturae sunt ultimus finis voluntatis divinae,
  • neque ab eis dependet bonitas Dei, qui est ultimus finis, cum ex creaturis divinae bonitati nihil accrescat ;

sicut etiam homo

  • ex necessitate vult felicitatem,
  • non tamen ea quae ad felicitatem ordinantur.

 

Nature, Volonté, Bonheur, Nécessité, Bonté, Gratuité, Surabondance, Esprit-Saint

Thomas d'Aquin - DePot.q3a15ad14 - Dieu agit agit non par appétit de la fin, mais par amour de la fin - SUBLIME

  • La communication de la bonté n'est pas la fin ultime, 
  • mais la bonté divine elle-même, c'est à partir de l'amour de [cette bonté] que Dieu veut la communiquer ; 

car

  • il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il avait l'appétit (appetens) de ce qu'il n'a pas,
  • mais comme voulant communiquer ce qu'il a ; parce qu'il agit
    • non par appétit de la fin (ex appetitu finis),
    • mais par amour de la fin (ex amore finis).

(DePot.q3a15ad14)

  • Communicatio bonitatis non est ultimus finis,
  • sed ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult;
  • non enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet,
  • sed quasi volens communicare quod habet: quia agit
    • non ex appetitu finis,
    • sed ex amore finis.

 

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L'appétit et l'amour concerne tous les deux un bien. Mais l'appétit, dans son exercice, tend vers un bien qui n'est pas encore présent (ou totalement présent) tandis que l'amour jouit du bien présent.

Le conditionnement de notre existence humaine nous permet d'atteindre quelque chose de l'amour de l'autre mais reste dans un certain appétit dans la mesure où il est possible d'ajouter quelque chose à la perfection de cet amour. C'est pourquoi, pour nous, l'amour est à la fois une tension et un repos, un désir et une joie. Ajoutons qu'il nous est toutefois possible d'atteindre une certaine perfection dans l'amour par le moyen de l'intention. (J'ai l'heureuse surprise de découvrir quelques jours après avoir écrit cela que Thomas le dit exactement ainsi, voir ici.)

Dans le cas de ce passage, Thomas souligne que Dieu n'agit pas par désir, ce qui supposerait qu'il lui manque quelque chose, mais par amour - comme à partir d'un sommet sur lequel il est déjà et non vers un sommet qu'il souhaite atteindre. Celui qui, en quelque manière, a atteint quelque chose du bonheur n'est plus en quête mais agit à partir de lui, en surabondance.

Amour, Fin, Désir (appétit sensible), Bonté, Communication, Gratuité, Surabondance

Thomas d'Aquin - I-II.q38a4ad1 - La science est cause de douleurs

  • La science en tant qu'elle nous corrige provoque de la peine

« Celui qui augmente sa science ajoute à sa douleur », c’est vrai à cause de la difficulté et des échecs (defectum) que l’on rencontre dans la recherche de la vérité ou bien parce que la science fait connaître à l’homme beaucoup de choses contraires à sa volonté. Ainsi, du côté des objets de connaissance, la science engendre la douleur, mais du côté de la contemplation de la vérité, elle engendre le plaisir. (Somme, I-II.q38a4ad1)

Qui addit scientiam, addit dolorem, vel propter difficultatem et defectum inveniendae veritatis, vel propter hoc, quod per scientiam homo cognoscit multa quae voluntati contrariantur. Et sic ex parte rerum cognitarum, scientia dolorem causat, ex parte autem contemplationis veritatis, delectationem.

La recherche nous conduit à des conclusions d'ordre pratique qui nous amène à imposer des changements dans notre vie, et cela est, au début, douloureux. Thomas aurait sans doute été d'accord pour dire qu'ensuite, c'est un plaisir continuel que de se voir sans cesse corrigé par la recherche de la vérité.

Vérité, Contemplation, Plaisir, Correction

Thomas d'Aquin - Imagination et passions

Mais contre cela, il y a ce que dit Damascène, lorsqu'il décrit les passions animales : "La passion est un mouvement de l'appétit sensible se portant sur le bien ou sur le mal présent dans l'imagination. Et encore : La passion est un mouvement de l'âme irrationnelle à l'appréhension du bien et du mal". (Somme, I-II, q. 22, a. 3, s.c.)

Sed contra est quod dicit Damascenus, in II libro, describens animales passiones, passio est motus appetitivae virtutis sensibilis in imaginatione boni vel mali. Et aliter, passio est motus irrationalis animae per suspicionem boni vel mali.

Désir (appétit sensible), Passions, Imagination

Thomas d'Aquin - Les passions de l'irascible s'exercent au sein des passions du concupiscible

  • Elles y naissent et s'y terminent

L'irascible a été donné aux animaux pour vaincre les obstacles qui empêchent le concupiscible de tendre vers son objet, parce que le bien est difficile à atteindre, ou le mal difficile à vaincre. C'est pourquoi toutes les passions de l'irascible se terminent dans celles du concupiscible. C'est en ce sens que les passions de l'irascible sont suivies par la joie ou la tristesse, qui sont dans le concupiscible.  (Somme, I-II, q. 23, a. 1, r.1.)

Dicendum quod, sicut in primo dictum est, ad hoc vis irascibilis data est animalibus, ut tollantur impedimenta quibus concupiscibilis in suum obiectum tendere prohibetur, vel propter difficultatem boni adipiscendi, vel propter difficultatem mali superandi. Et ideo passiones irascibilis omnes terminantur ad passiones concupiscibilis. Et secundum hoc, etiam passiones quae sunt in irascibili, consequitur gaudium et tristitia, quae sunt in concupiscibili.

Désir (appétit sensible), Passions, Imagination

Thomas d'Aquin - La perfection morale requiert que l'homme soit aussi mû au bien par l'appétit sensible

Donc, de même qu'il est meilleur que l'homme veuille le bien et le réalise extérieurement, ainsi la perfection du bien moral requiert que l'homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible, selon cette parole du Psaume (84, 3) -  Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant", le "coeur" étant ici l'appétit intellectuel, et la "chair" l'appétit sensible. (Somme, I-II, q. 24, a. 3, c.)

Sicut igitur melius est quod homo et velit bonum, et faciat exteriori actu; ita etiam ad perfectionem boni moralis pertinet quod homo ad bonum moveatur non solum secundum voluntatem, sed etiam secundum appetitum sensitivum; secundum illud quod in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum, ut cor accipiamus pro appetitu intellectivo, carnem autem pro appetitu sensitivo.

Volonté, Passions, Bien moral, Appétit sensible

Thomas d'Aquin - La peur provoque une dépression de l'âme

La crainte ajoute à la fuite (...) une certaine dépression de l'âme à cause d'un mal difficile [à repousser].

(Somme, Ia-IIae, q. 25, a. 1, c.)

Timor addit supra fugam (...), quandam depressionem animi, propter difficultatem mali.

 

Chez Thomas le mal suscite en nous une passion de haine (ne pas aimer), nous n'aimons pas le mal. En conséquence nous fuyons le mal (la fuite étant une autre passion). Si le mal ne peut être évité, nous le subissons et en ressentons douleur ou tristesse.

Qu'en est-il de la peur ? La peur se greffe sur la fuite du mal lorsque cette fuite se révèle difficile et qu'elle pourrait ne pas aboutir de sorte que le mal finisse par nous atteindre. L'effet de la peur, ici, est de ralentir la fuite, voire même de la rendre impossible tant le mal nous paraît grand, indiscernable, difficile à éviter. 

Au contraire, elle peut aussi nous amener à être happé dans la fuite, dans un mouvement irrépressible.

C'est ainsi que Thomas utilise le mot dépression qui signifie en latin un mouvement de pression du haut vers le bas, le fait de rabaisser quelqu'un et, plus généralement, tout mouvement d'abaissement. On  retrouve aujourd'hui encore cet usage lorsqu'on parle de la dépression d'un terrain pour désigner un endroit enfoncé. De même en météorologie.

L'image fonctionne alors ainsi : ou bien nous restons piégés dans cet enfoncement, ou bien nous dévalons la pente d'autant plus vite que la pente est raide.

Nous sommes sans doute ici face à l'un des premiers usages du mot pour qualifier la vie sensible de l'âme, lorsqu'elle est prise par un mouvement de descente face à un mal.

Autre part, Thomas parle d'angoisse, évoquant alors le sentiment de rétrécissement.

 

Mal, Passions, Peur, Fuite, Dépression

Thomas d'Aquin - L'amour est dans dans la présence ET dans l'absence, le plaisir uniquement dans la présence (union)

 

Le plaisir requiert l'union réelle comme cause. Mais le désir est dans la réalité aimée absente, tandis que l'amour est dans l'absence et dans la présence. (Somme, Ia-IIae, q. 28, a. 1, ad.1.)

Obiectio illa procedit de unione reali. Quam quidem requirit delectatio sicut causam, desiderium vero est in reali absentia amati, amor vero et in absentia et in praesentia..

 

Amour, Plaisir, Absence, Désir, Présence

Thomas d'Aquin - Consonnance - Convenance - Amour / Dissonance - Répugnance - Haine

Dans l'appétit naturel ceci apparaît manifeste :

  • de même que tout être possède une consonance naturelle ou aptitude avec ce qui lui convient (ce qui est l'amour naturel),
  • de même, à l'égard de ce qui lui répugne et le corrompt, tout être possède une dissonance naturelle, qui est la haine naturelle. 

 

In appetitu autem naturali hoc manifeste apparet, quod

  • sicut unumquodque habet naturalem consonantiam vel aptitudinem ad id quod sibi convenit, quae est amor naturalis;
  • ita ad id quod est ei repugnans et corruptivum, habet dissonantiam naturalem, quae est odium naturale.

De même, il apparaît [manifeste que], dans l'appétit animal ou dans l'appétit intellectuel,

  • l'amour est une consonance de l'appétit avec ce qui est appréhendé comme lui convenant ;
  • la haine, au contraire, est une sorte de dissonance de l'appétit à ce qui est appréhendé comme répugnant [= repoussant] et nuisible.

Sic igitur et in appetitu animali, seu in intellectivo,

  • amor est consonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut conveniens,
  • odium vero est dissonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut repugnans et nocivum.

 

  • Or tout ce qui convient, en tant que tel, a raison de bien ;
  • pareillement, tout ce qui répugne, en tant que tel, a raison de mal.

Par conséquent, de même que le bien est l'objet de l'amour, ainsi le mal est-il l'objet de la haine. (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 1, c.)

  • Sicut autem omne conveniens, inquantum huiusmodi, habet rationem boni; 
  • ita omne repugnans, inquantum huiusmodi, habet rationem mali.

Et ideo, sicut bonum est obiectum amoris, ita malum est obiectum odii.

Notes :

1. Au Moyen-Âge, lorsqu'on dit que quelque chose est perçu sous la raison de bien ne signifie que ce quelque chose soit un bien, mais seulement qu'il est considéré sous cet aspect. 

2. Certains mots se comprennent mieux considérés en regard avec leur opposé : convenance / répugnance, consonnance / dissonance, ...

Commentaire :

Thomas analyse ce qui se passe manifestement du point de vue de l'amour naturel, dans toute réalité confondue (la pierre, l'animal, etc.), puis ce qui se passe manifestement du côté de l'amour impliquant une connaissance, appréhension (monde sensible de l'animal, monde spirituel de l'être spirituel).

Amour, Répugnance, Haine, Consonnance, Aptitude, Dissonance, Convenance

Thomas d'Aquin - Concupiscence selon la nature et concupiscence selon la connaissance - Ia-IIae.q30a3

La concupiscence, avons-nous dit, est l'appétit du bien délectable. Or une chose peut être délectable à un double titre.

  • D'abord parce qu'elle est convient à la nature de l'animal, comme manger, boire, etc. Cette concupiscence du délectable est dite naturelle.
  • Ou bien la chose est délectable parce qu'elle convient à l'animal selon la connaissance qu'il en a ; ainsi une chose est appréhendée comme bonne et adaptée et par conséquence on s'y délecte. La concupiscence de ces derniers objets est dite non naturelle, et, couramment, est plutôt appelée cupidité.

Concupiscentia est appetitus boni delectabilis. Dupliciter autem aliquid est delectabile.

  • Uno modo, quia est conveniens naturae animalis, sicut cibus, potus, et alia huiusmodi. Et huiusmodi concupiscentia delectabilis dicitur naturalis.
  • Alio modo aliquid est delectabile, quia est conveniens animali secundum apprehensionem, sicut cum aliquis apprehendit aliquid ut bonum et conveniens, et per consequens delectatur in ipso. Et huiusmodi delectabilis concupiscentia dicitur non naturalis, et solet magis dici cupiditas.

Les premières de ces convoitises, celles qui sont naturelles, sont communes aux hommes et aux animaux ; aux uns et aux autres certaines choses conviennent et sont délectables au point de vue naturel.

Et tous les hommes en sont d'accord. Aussi le Philosophe appelle-t-il ces convoitises communes et nécessaires.

Primae ergo concupiscentiae, naturales, communes sunt et hominibus et aliis animalibus, quia utrisque est aliquid conveniens et delectabile secundum naturam. Et in his etiam omnes homines conveniunt, unde et philosophus, in III Ethic., vocat eas communes et necessarias.

Quant aux autres convoitises, elles sont propres à l'homme, à qui il appartient de se représenter que telle chose lui est bonne et lui convient, en dehors de ce que la nature requiert.

C'est pourquoi le même Philosophe dit que les premières convoitises sont "irrationnelles", et les secondes "accompagnées de raison". Et parce que tous raisonnent de façon diverses, ces dernières sont appelées par Aristote: "propres et surajoutées", par rapport aux convoitises naturelles.

(Somme, Ia-IIae.q30a3)

Sed secundae concupiscentiae sunt propriae hominum, quorum proprium est excogitare aliquid ut bonum et conveniens, praeter id quod natura requirit.

Unde et in I Rhetoric., philosophus dicit primas concupiscentias esse irrationales, secundas vero cum ratione. Et quia diversi diversimode ratiocinantur, ideo etiam secundae dicuntur, in III Ethic., propriae et appositae, scilicet supra naturales.

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1. Le terme naturel est utilisé ici par Thomas pour désigner ce qui est intimement lié à cette chose sans faire appel à quelque chose d'extérieur à cette chose. Cela ne signifie pas qu'on se cantonne ici au plan matériel, il y a par exemple un appétit naturel au vrai.

2. Thomas laisse entendre ici que, chez l'homme, dès qu'il y a connaissance sensible, la raison s'attache à cette connaissance. L'homme ne peut connaître sensiblement sans connaître en même temps selon la raison. Si ce bougeoire m'est connu par les sens, il m'est alors aussi connu selon la raison. Je ne peux isoler dans le sensible mon appétit pour le chocolat car, du fait que je possède la raison, ma raison participera à cet appétit. Il n'est pas nécessaire que le bien désiré soit un bien spirituel pour que je le désire selon la raison.

La distinction de l'appétit naturel de l'appétit non naturel se voit clairement sur le plan de la nourriture : nous désirons nécesairement nous nourrir (appétit naturel), mais nous ne désirons pas nécessairement que cette nourriture soit telle nourriture (appétit non naturel -- de fait, certaines personnes n'aiment pas le chocolat). 

3. Lorsqu'on dépasse l'appétit naturel dans l'appétit sensible nous accédons à un premier niveau d'altérité par la connaissance d'une chose extérieure alors que le plan naturel d'une chose ressort uniquement de sa "programmation" interne.

Raison, Nécessité, Plaisir, Appétit naturel, Appétits non naturels

Thomas d'Aquin - Où Thomas mentionne la distinction de quatre modes d'amour chez Denys - I-II.q28a6ad1

... Nous parlons ici de l'amour tel qu'il est communément accepté, selon qu'il comprend sous lui l'amour

  • intellectuel,
  • rationnel,
  • animal,
  • naturel,

c'est ainsi que Denys parle de l'amour.

... Nos autem loquimur nunc de amore communiter accepto, prout comprehendit sub se amorem

  • intellectualem,
  • rationalem,
  • animalem,
  • naturalem,

sic enim Dionysius loquitur de amore in IV cap. de Div. Nom.

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1. Quelle différence TH. fait-il entre amour intellectuel et amour rationnel ?

Amour, Amour naturel, Amour animal, Amour intellectuel, Amour rationnel

Thomas d'Aquin - Le plaisir est-il une passion - Analyse de I-II.q31.a1

Un mouvement de l'appétit sensible s'appelle proprement passion, nous l'avons vu. Et toute affection qui procède d'une appréhension sensible est un mouvement de l'appétit sensible. Or cela s'applique nécessairement au plaisir. Comme le dit le Philosophe, en effet :

"Le plaisir est 

  • un certain mouvement de l'âme 
  • et la constitution simultanée d'un tout sensible dans la nature existante."

Motus appetitus sensitivi proprie passio nominatur, sicut supra dictum est. Affectio autem quaecumque ex apprehensione sensitiva procedens, est motus appetitus sensitivi. Hoc autem necesse est competere delectationi. Nam, sicut philosophus dicit in I Rhetoric.,

delectatio est

  • quidam motus animae,
  • et constitutio simul tota et sensibilis in naturam existentem.

Pour comprendre cela, il faut prendre garde à ce fait :

  • si l'on voit dans les choses naturelles certaines réaliser leur perfection naturelle, 
  • cela se rencontre aussi chez les animaux.

Et

  • bien que être mû à la perfection ne soit pas un tout simultané,
  • cependant la réalisation même d'une perfection naturelle est un tout simultané.

Il y a cependant une différence entre les animaux et les autres choses de la nature

  • que ceux-ci, quand ils sont établis dans ce qui leur convient (convenit) selon la nature, ne le sentent pas,
  • tandis que les animaux le sentent.

De cette sensation est causé un certain mouvement de l'âme dans l'appétit sensible ; et ce mouvement, c'est le plaisir.

Ad cuius intellectum, considerandum est quod,

  • sicut contingit in rebus naturalibus aliqua consequi suas perfectiones naturales,
  • ita hoc contingit in animalibus.

Et

  • quamvis moveri ad perfectionem non sit totum simul,
  • tamen consequi naturalem perfectionem est totum simul.

Haec autem est differentia inter animalia et alias res naturales, quod aliae res naturales,

  • quando constituuntur in id quod convenit eis secundum naturam, hoc non sentiunt,
  • sed animalia hoc sentiunt.

Et ex isto sensu causatur quidam motus animae in appetitu sensitivo, et iste motus est delectatio.

  1. En disant donc que le plaisir est "un mouvement de l'âme",

--> on lui assigne son genre.

  1. En disant d'autre part qu'il est "une constitution dans la nature existante", c'est-à-dire dans ce qui existe dans la nature des choses,

--> on marque la cause du plaisir : la présence du bien connaturel.

  1. En disant d'autre part "un tout simultané", on met en avant que cette constitution ne doit pas s'entendre 
    • selon quelque chose en train de se constituer,
    • mais selon une chose déjà constituée,
    • comme (quasi) dans le terme du mouvement ;
      • [en effet] le plaisir n'est pas une génération, comme le posait Platon,
      • mais plutôt une chose faite, au dire d'Aristote.
    1. Enfin le mot "sensible" exclut les perfections des êtres privés de connaissance qui sont incapables de plaisir. 

    On voit donc ainsi que le plaisir parce qu'il est un mouvement de l'appétit animal consécutif à une appréhension sensible, est bien une passion de l'âme.

    (Somme, I-II.q31.a1)

    1. Per hoc ergo quod dicitur quod delectatio est motus animae,

    --> ponitur in genere.

    1. Per hoc autem quod dicitur constitutio in existentem naturam, idest in id quod existit in natura rei,

    --> ponitur causa delectationis, scilicet praesentia connaturalis boni.

    1. Per hoc autem quod dicitur simul tota, ostendit quod constitutio non debet accipi
      • prout est in constitui,
      • sed prout est in constitutum esse,
      • quasi in termino motus,
      • non enim delectatio est generatio, ut Plato posuit,
      • sed magis consistit in factum esse, ut dicitur in VII Ethic.
    1. Per hoc autem quod dicitur sensibilis, excluduntur perfectiones rerum insensibilium, in quibus non est delectatio.

    Sic ergo patet quod, cum delectatio sit motus in appetitu animali consequens apprehensionem sensus, delectatio est passio animae.

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    Commentaire

    1. La compréhension demande ici beaucoup de finesse : il faut distinguer

    • le mouvement qui a lieu dans toute passion
    • du mouvement spécial qui a lieu dans le plaisir,

    car ce mouvement là est à prendre comme un terminus, comme si un mouvement pouvait être une fin. Il faut tenir compte du fait qu'on parle ici d'un plaisir sensible, non d'un plaisir spirituel. Il sera intéressant de voir ce que dit Thomas à propos de la joie dans l'article 3 : est-elle, elle aussi, un mouvement en même temps qu'un terme ?

    2. Le plaisir vient du fait que l'animal est capable de sentir la convenance du bien qui perfectionne lorsqu'il est acquis, 

    3. A noter que la réponse à l'arg. 2 traite explicitement de l'apparente contradiction mouvement/repos-fin.

    Appréhension

    Thomas d'Aquin - Le mouvement vers la possession du bien commence à faire entrer en délectation - I-II.q32a2ad1

     

    A. Ce qui est mû, bien qu'il ne possède pas encore parfaitement ce vers quoi il est mû, commence cependant de posséder déjà quelque chose de ce vers quoi il est mû ; et, selon cela, le mouvement lui-même possède une certaine délectation.

    Il manque cependant à la délectation la perfection car les délectations les plus parfaites sont dans les réalités immuables.

    B. Le mouvement devient aussi délectable en tant qu'il se fait par lui quelque chose qui convient qui auparavant ne convenait pas ou qui avait cessé d'exister.

    (Somme, I-II.q32a2ad1)

    A. Id quod movetur, etsi nondum habeat perfecte id ad quod movetur, incipit tamen iam aliquid habere eius ad quod movetur, et secundum hoc, ipse motus habet aliquid delectationis.

    Deficit tamen a delectationis perfectione, nam perfectiores delectationes sunt in rebus immobilibus.

    B. Motus etiam efficitur delectabilis, inquantum per ipsum fit aliquid conveniens quod prius conveniens non erat, vel desinit esse.

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    Voir aussi ici : 

     

    1. "Ce qui se meut" --> C'est un passif, pas un actif, on doit donc traduire : "Ce qui est mû".

    2. La convenance : deux choses qui s'assemblent naturellement, comme l'appétit et l'appétible : il convient à l'appétit de tendre vers l'appétible, il convient l'appétible d'être objet de l'appétit. Il n'y a pas de dissonance entre eux. Quand l'appétible n'est pas porté à la connaissance ou à la présence de l'appétit, il ne peut se produire de convenance.

    Perfection, Mouvement, Plaisir, Immuabilité, Convenance, Délectation

    Thomas d'Aquin - Deux manières d'être similaires donnent deux manières d'aimer : amour d'amitié / amour de concupiscence - I-II.q27a3

    La similitude est à proprement parler cause de l'amour. Mais il faut remarquer que la similitude peut tendre à une double [acception]. Similitudo, proprie loquendo, est causa amoris. Sed considerandum est quod similitudo inter aliqua potest attendi dupliciter.
    1. D'une première manière du fait que chacun d'eux a en acte une même [réalité], comme deux [choses] ayant la blancheur sont dit similaires.
    2. D'une autre manière du fait que l'un a en acte ce que l'autre a en puissance et [ceci] par une certaine inclination ;
      • comme lorsque nous disons que un corps lourd existant hors de son lieu a une similtude avec un corps grave qui existe en son lieu. 
      • Ou encore selon que la puissance a une similitude avec l'acte lui-même ; car dans la puissance elle-même existe d'une certaine façon l'acte
    1. Uno modo, ex hoc quod utrumque habet idem in actu, sicut duo habentes albedinem, dicuntur similes.
    2. Alio modo, ex hoc quod unum habet in potentia et in quadam inclinatione, illud quod aliud habet in actu,
      • sicut si dicamus quod corpus grave existens extra suum locum, habet similitudinem cum corpore gravi in suo loco existenti.
      • Vel etiam secundum quod potentia habet similitudinem ad actum ipsum, nam in ipsa potentia quodammodo est actus.
    1. Le premier genre de ressemblance est cause de l'amour d'amitié ou de la volonté de se faire mutuellement du bien (benevolentiae). De ce fait, deux êtres étant similaires, et n'ayant pour ainsi dire qu'une seule forme, ils sont, en quelque manière, un dans cette forme ;
      • deux hommes ne font qu'un dans l'espèce humaine,
      • et deux êtres blancs dans la même blancheur.

    De sorte que l'affect de l'un tend vers l'autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu'à soi.

    1. Mais le deuxième genre de similitude est cause de l'amour de concupiscence ou de l'amitié utile et délectable. Car tout être en puissance, en tant que tel, a l'appétit de son acte, et, lorsqu'il l'a obtenu, il s'en réjouit, s'il est sensible et doué de connaissance. Or dans l'amour de concupiscence, avons-nous dit, c'est lui-même, à proprement parler, que l'aimant aime, quand il veut ce bien qu'il convoite. 

     

    1. Primus ergo similitudinis modus causat amorem amicitiae, seu benevolentiae. Ex hoc enim quod aliqui duo sunt similes, quasi habentes unam formam, sunt quodammodo unum in forma illa,
      • sicut duo homines sunt unum in specie humanitatis,
      • et duo albi in albedine.

    Et ideo affectus unius tendit in alterum, sicut in unum sibi; et vult ei bonum sicut et sibi.

    1. Sed secundus modus similitudinis causat amorem concupiscentiae, vel amicitiam utilis seu delectabilis. Quia unicuique existenti in potentia, inquantum huiusmodi, inest appetitus sui actus, et in eius consecutione delectatur, si sit sentiens et cognoscens. Dictum est autem supra quod in amore concupiscentiae amans proprie amat seipsum, cum vult illud bonum quod concupiscit.

    Mais chacun s'aime plus que les autres, parce que l'un,

    • avec soi, est dans la substance [= on ne fait qu'un avec notre propre être],
    • tandis qu'avec un autre, est dans la similitude de quelque forme.

    Et c'est pourquoi si de (ex) ce qui est similaire à lui-même dans la participation de la forme, il est lui-même empêché d'atteindre le bien qu'il aime, [ce qui lui est similaire] lui devient odieux,

    • non en tant qu'il lui est similaire,
    • mais en tant qu'il est un empêchement à son propre bien.

    Magis autem unusquisque seipsum amat quam alium, quia

    • sibi unus est in substantia,
    • alteri vero in similitudine alicuius formae.

    Et ideo si ex eo quod est sibi similis in participatione formae, impediatur ipsemet a consecutione boni quod amat; efficitur ei odiosus,

    • non inquantum est similis,
    • sed inquantum est proprii boni impeditivus.

    Et pour cela

    • "les potiers se disputent les uns les autres" ; parce qu'ils s'empêchent les uns les autres dans leurs propres profits ;
    • et "les orgueilleux se querellent" parce qu'ils s'empêchent  les uns les autres dans l'excellence propre qu'ils convoitent (concupiscunt).

    (Somme, I-II.q27a3)

    Et propter hoc

    • figuli corrixantur ad invicem, quia se invicem impediunt in proprio lucro,
    • et inter superbos sunt iurgia, quia se invicem impediunt in propria excellentia, quam concupiscunt.

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    1.

    Quand les deux sont en acte d'une forme similaire --> amour d'amitié.

    Quand l'un n'a qu'en puissance ce qu'a l'autre en acte --> amour de concupiscence.

    On aime l'aimable en acte, le véritable amour se fait quand l'un aime la bonté en acte de l'autre, c'est pourquoi il y a réciprocité dans l'amitié.

    Quand il nous manque quelque chose que l'autre a,

    • nous ne regardons pas l'autre pour lui-même,
    • et l'autre n'a pas de raison de nous regarder du tout.

    2.

    Benevolentiae : la traduction habituelle par bienveilance ne semble pas ici adéquate. Un ami est quelqu'un a qui on veut du bien dit ailleurs Thomas.

    3.

    Noter la parenthèse métaphysique à partir de laquelle Thomas montre pourquoi, sous un certain aspect, l'amour de soi est plus grand que l'amour des autres. L'unité avec soi est substantielle tandis que l'unité avec l'autre se fait par la qualité.

    Amour, Un, Inclination, Amitié, Concupiscence, Substance, Forme, Similitude, Amour d'amitié, Amour de soi

    Thomas d'Aquin - Le bien aimé [intensément] peut excéder les possibilités du corps et le blesser - I-II.q28a5

    • ... mais en tant que bien, un bien ne peut blesser, puisqu'un bien n'est bien que s'il convient à celui pour qui il est un bien

    Nous l'avons dit, l'amour signifie une certaine co-aptation de la puissance affective à un certain bien. 

    [A. Réponse du côté de la forme]

    [a. Quand il y a co-aptation à un vrai bien]

    • Or rien de ce qui a été co-apté à quelque chose qui lui convient ne s'en trouve blessé,
    • mais bien plutôt, si cela est possible, 
      • il progresse,
      • et s'améliore.

    [b. Quand il y a co-aptation à un bien qui ne con-vient pas]

    Au contraire, ce qui veut s'adapter à ce qui ne lui convient pas en est blessé et détérioré.

    • Donc, l'amour du bien qui convient perfectionne et améliore celui qui aime ;
    • l'amour du bien qui ne convient pas blesse et détériore. 
    • C'est pour cela que l'homme est perfectionné et rendu meilleur surtout par l'amour de Dieu,
    • tandis qu'il est blessé et détérioré par l'amour du péché, selon ces mots d'Osée (9, 10) : "Ils sont devenus abominables comme l'objet de leur amour." 

    Cela doit s'entendre de l'amour au point de vue de ce qu'il y a de formel en lui, c'est-à-dire de l'appétit.

    [B. Réponse du côté de la matière]

    [a. Néanmoins, l'amour peut blesser à cause du lien âme/corps]

    Quant à l'aspect matériel de la passion amour, à savoir une certaine modification corporelle,

    • il arrive que l'amour blesse, à cause d'un certain excès,
    • comme cela arrive
      • dans l'activité sensorielle,
      • et en tout acte d'une puissance de l'âme qui s'exerce avec modification de l'organe corporel.

    Sicut supra dictum est, amor significat coaptationem quandam appetitivae virtutis ad aliquod bonum.

    A.

    • Nihil autem quod coaptatur ad aliquid quod est sibi conveniens, ex hoc ipso laeditur,
    • sed magis, si sit possibile,
      • proficit
      • et melioratur.

    B.

    Quod vero coaptatur ad aliquid quod non est sibi conveniens, ex hoc ipso laeditur et deterioratur.

    • Amor ergo boni convenientis est perfectivus et meliorativus amantis,
    • amor autem boni quod non est conveniens amanti, est laesivus et deteriorativus amantis.
    • Unde maxime homo perficitur et melioratur per amorem Dei,
    • laeditur autem et deterioratur per amorem peccati, secundum illud Osee IX, facti sunt abominabiles, sicut ea quae dilexerunt.

    Et hoc quidem dictum sit de amore, quantum ad id quod est formale in ipso, quod est scilicet ex parte appetitus.

    C.

    Quantum vero ad id quod est materiale in passione amoris, quod est immutatio aliqua corporalis,

    • accidit quod amor sit laesivus propter excessum immutationis,
    • sicut accidit
      • in sensu,
      • et in omni actu virtutis animae qui exercetur per aliquam immutationem organi corporalis.

    -----

    1. Le bien en tant que bien, lorsqu'il convient à un être, le rend meilleur. Un ami me rend meilleur, et je rends meilleur l'ami.

    Amour, Progrès, Blessure, Amélioration, Détérioration, Croissance

    Thomas d'Aquin - L'aptitude à connaître la fin fait l'action volontaire - I-II.q6a1

    • Volontaire et inclination propre ne sont pas contradictoires

    Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ?

    Il faut qu'il y ait du volontaire dans les actes humains.

    Pour amener cela à l'évidence, il faut considérer que

    • le principe de certains actes est dans l'agent ou dans ce qui est mû.
    • Et il y a des mouvements et des actes dont le principe est extérieur.

    En effet, 

    • si une pierre se meut vers le haut, le principe de ce mouvement est à l'extérieur de la pierre,
    • si au contraire elle se meut vers le bas, le principe de ce mouvement est à l'intérieur de la pierre elle-même. 

    Parmi ces choses qui sont mûes par un principe intrinsèque,

    • certains se meuvent eux-mêmes,
    • certains non.

    En effet, tout ce qui agit ou est mû agit ou est mû en raison d'une fin, comme on l'a établi précédemment ; seront donc mus de manière parfaite, par un principe intrinsèque, les êtres où l'on trouve un principe intrinsèque tel que,

    • non seulement ils soient mus,
    • mais qu'ils soient mus vers une fin.

    Or, pour que quelque chose se fasse en vue d'une fin (propter finem), il faut qu'il y ait une certaine connaissance de la fin (cognitio finis aliqualis).

    • Donc tout ce qui agit ou est mû de l'intérieur, en ayant connaissance de la fin (notitiam finis), possède en soi le principe de son acte,
      • non seulement pour agir,
      • mais pour agir en vue d'une fin (propter finem).
    • Mais ce qui n'a aucune connaissance de la fin (notitiam finis), eût-il en soi le principe de son acte ou de son mouvement, n'a pas en soi le principe d'agir ou d'être mû en vue d'une fin (propter finem), mais ce principe est dans un autre qui l'imprime (imprimitur) en lui. Aussi ne dit-on pas que de tels êtres se meuvent eux-mêmes, mais qu'ils sont mus par d'autres.

    En revanche, ceux qui ont la connaissance de la fin (notitiam finis) sont dits se mouvoir eux-mêmes, précisément parce qu'ils ont en eux,

    • non seulement de quoi agir,
    • mais de quoi agir en vue d'une fin.

    Ainsi, parce que l'une et l'autre [de ces conditions] viennent d'un principe intrinsèque

    • qu'ils agissent,
    • et qu'ils agissent pour une fin,

    les actes et les mouvements de ces êtres sont dits volontaires, c'est ce qu'en effet implique cette appellation de "volontaires", que le mouvement et l'action proviennent de sa propre inclination.

    C'est pourquoi, dans la définition d'Aristote, de S. Grégoire de Nysse et de S. Jean Damascène on appelle volontaire, non seulement "ce qui procède d'un principe intérieur", mais en y ajoutant "de science". Aussi, puisque l'homme excelle à connaître la fin de son oeuvre et à se mouvoir lui-même, c'est dans ses actes que l'on trouve le plus haut degré de volontaire.

    (Somme. I-II.q6a1)

    Utrum in humanis actibus inveniatur voluntarium

    Oportet in actibus humanis voluntarium esse.

    Ad cuius evidentiam, considerandum est quod

    • quorundam actuum seu motuum principium est in agente, seu in eo quod movetur; 
    • quorundam autem motuum vel actuum principium est extra.
    • Cum enim lapis movetur sursum, principium huius motionis est extra lapidem,
    • sed cum movetur deorsum, principium huius motionis est in ipso lapide.

    Eorum autem quae a principio intrinseco moventur,

    • quaedam movent seipsa,
    • quaedam autem non.

    Cum enim omne agens seu motum agat seu moveatur propter finem, ut supra habitum est; illa perfecte moventur a principio intrinseco, in quibus est aliquod intrinsecum principium

    • non solum ut moveantur,
    • sed ut moveantur in finem.

    Ad hoc autem quod fiat aliquid propter finem, requiritur cognitio finis aliqualis.

    • Quodcumque igitur sic agit vel movetur a principio intrinseco, quod habet aliquam notitiam finis, habet in seipso principium sui actus
      • non solum ut agat,
      • sed etiam ut agat propter finem.
    • Quod autem nullam notitiam finis habet, etsi in eo sit principium actionis vel motus; non tamen eius quod est agere vel moveri propter finem est principium in ipso, sed in alio, a quo ei imprimitur principium suae motionis in finem. Unde huiusmodi non dicuntur movere seipsa, sed ab aliis moveri.

    Quae vero habent notitiam finis dicuntur seipsa movere, quia in eis est principium

    • non solum ut agant,
    • sed etiam ut agant propter finem.

    Et ideo, cum utrumque sit ab intrinseco principio, scilicet

    • quod agunt,
    • et quod propter finem agunt,

    horum motus et actus dicuntur voluntarii, hoc enim importat nomen voluntarii, quod motus et actus sit a propria inclinatione.

    Et inde est quod voluntarium dicitur esse, secundum definitionem Aristotelis et Gregorii Nysseni et Damasceni, non solum cuius principium est intra, sed cum additione scientiae. Unde, cum homo maxime cognoscat finem sui operis et moveat seipsum, in eius actibus maxime voluntarium invenitur.

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    1. Bien noter que comme la passion désir, la volonté relève d'une inclination, la différence spécifique résidant dans le fait qu'on connaît ce pour quoi on agit et non en premier lieu parce que la volonté serait libre. On agit volontairement parce qu'on connaît ce pour quoi on agit. La question de la liberté et du libre arbitre est une autre question. Nous sommes dans la continuité de ce qui a été dit à propos du bonheur humain, l'homme n'est pas libre de vouloir être heureux. Ici on cherche simplement à savoir ce qu'est le volontaire et s'il se trouve dans l'homme.

    2. Le fait de se mouvoir par soi-même est une action.

    %MCEPASTEBIN%

    Perfection, Action, Actes humains, Mouvement, Inclination, Fin, Connaissance, Pincipe intrinsèque, Pincipe extrinsèque

    Thomas d'Aquin - Les actions humaines sont celles qui sont posées par une volonté délibérée à cause d'une fin - I-II.q1a1

    • ... les autres sont seulement des actions de l'homme

    Convient-il à l’homme d'agir à cause d'une fin ?

    Des actions posées par l'homme, celles-là seules sont proprement dites "humaines" celles qui sont propres à l'homme en tant qu'homme.

    Et l'homme diffère des autres créatures, [celles qui sont] irrationnelles, en cela qu'il est seigneur (dominus) de ses actes. D'où il suit que sont appelées proprement humaines les seules actions dont l'homme est seigneur (dominus).

    C'est cependant par sa raison et sa volonté que l'homme est le seigneur de ses actes, d'où il suit que le libre arbitre est dit "une faculté de la volonté et de la raison".

    • Sont donc dites proprement humaines ces actions qui procèdent d'une volonté délibérée.
    • S'il est cependant d'autres actions qui conviennent à l'homme, elles peuvent être seulement dites (dici quidem) des actions de l'homme, mais non pas des actions  proprement humaines, puisqu'elles ne sont pas de l'homme en tant qu'il est homme.

    Or, il est manifeste que toute action qui procéde d'une puissance quelconque est causée selon la raison (rationem) de son objet [= la nature de son objet]. Or l'objet de la volonté c'est la fin et le bien.

    Il est donc nécessaire que toutes les actions humaines soient à cause d'une fin.

    (Somme. I-II.q1a1)

    Utrum hominis sit agere propter finem ?

    Actionum quae ab homine aguntur, illae solae proprie dicuntur humanae, quae sunt propriae hominis inquantum est homo.

    Differt autem homo ab aliis irrationalibus creaturis in hoc, quod est suorum actuum dominus. Unde illae solae actiones vocantur proprie humanae, quarum homo est dominus.

    Est autem homo dominus suorum actuum per rationem et voluntatem, unde et liberum arbitrium esse dicitur facultas voluntatis et rationis.

    • Illae ergo actiones proprie humanae dicuntur, quae ex voluntate deliberata procedunt.
    • Si quae autem aliae actiones homini conveniant, possunt dici quidem hominis actiones; sed non proprie humanae, cum non sint hominis inquantum est homo.

    Manifestum est autem quod omnes actiones quae procedunt ab aliqua potentia, causantur ab ea secundum rationem sui obiecti. Obiectum autem voluntatis est finis et bonum.

    Unde oportet quod omnes actiones humanae propter finem sint.

    ----- 

    1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

    %MCEPASTEBIN%

    Raison, Action, Libre arbitre, Volonté, Bien, Actes humains, Délibération, Fin, Volonté délibérée, Actes de l'homme

    Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

    • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

    La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

    Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

    • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
    • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

    Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

    (Somme. I-II.q59a4)

    Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

    Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

    • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
    • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

    Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

    ----- 

    Perfection, Raison, Bien, Vertu, Ordre, Modération, Appétit

    Thomas d'Aquin - La passion amour dans le Commentaire des sentences

    (Passage livré ici in extenso plus pour analyse que par volonté de citer.)

     

    L’amour se trouve-t-il seulement dans le concupiscible ?

    Utrum amor sit tantum in concupiscibili

    Tout ce qui découle d’une fin doit d’une certaine manière avoir été déterminé à cette fin, autrement cela ne parviendrait pas à cette fin plutôt qu’à une autre. Or, cette détermination doit provenir de l’intention de la fin, et non seulement de la nature qui tend vers cette fin, car alors tout serait hasard, comme l’ont affirmé certains philosophes.

    [11100] Respondeo dicendum, quod omne quod sequitur aliquem finem, oportet quod fuerit aliquo modo determinatum ad illum finem: alias non magis in hunc finem quam in alium perveniret. Illa autem determinatio oportet quod proveniat ex intentione finis, non solum ex natura tendente in finem: quia sic omnia essent casu, ut quidam philosophi posuerunt.

    Or, avoir l’intention d’une fin est impossible à moins que la fin ne soit connue sous la raison de fin, ainsi que la proportion de ce qui est ordonné à la fin vers la fin même. Or, celui qui connaît la fin et ce qui est ordonné à la fin ne dirige pas seulement lui-même vers la fin, mais aussi d’autres choses, comme l’archer lance la flèche vers la cible. Ainsi donc, quelque chose tend de deux manières vers la fin. Intendere autem finem impossibile est, nisi cognoscatur finis sub ratione finis, et proportio eorum quae sunt ad finem in finem ipsum. Cognoscens autem finem et ea quae sunt ad finem, non solum seipsum in finem dirigit, sed etiam alia, sicut sagittator emittit sagittam ad signum. Sic ergo dupliciter aliquid tendit in finem.
    • Premièrement, en tant que dirigé vers la fin par lui-même, ce qui n’existe que chez celui qui connaît la fin et la raison de fin.
    • D’une autre manière, en tant que dirigé par un autre, et, de cette manière, toutes choses tendent selon leur nature vers leurs fins propres et naturelles, dirigées par la sagesse qui crée la nature.
    • Uno modo directum in finem a seipso, quod est tantum in cognoscente finem et rationem finis.
    • Alio modo directum ab alio; et hoc modo omnia secundum suam naturam tendunt in fines proprios et naturales, directa a sapientia instituente naturam.

    De sorte que nous trouvons deux appétits :

    • l’appétit naturel, qui n’est rien d’autre que l’inclination d’une chose à sa fin naturelle, qui vient de la direction de celui qui crée la nature;
    • et l’appétit volontaire, qui est l’inclination de celui qui connaît la fin et l’ordre à cette fin.

    Et secundum hoc invenimus duos appetitus:

    • scilicet appetitum naturalem, qui nihil aliud est quam inclinatio rei in finem suum naturalem qui est ex directione instituentis naturam,
    • et iterum appetitum voluntarium, qui est inclinatio cognoscentis finem, et ordinem in finem illum;
    Entre ces deux appétits, il existe un qui est intermédiaire : il vient de la connaissance de la fin sans que la raison de fin ne soit connue, ni proportion à la fin elle-même de ce qui est ordonné à la fin : c’est l’appétit sensible. et inter hos duos appetitus est unus medius, qui procedit ex cognitione finis sine hoc quod cognoscatur ratio finis et proportio ejus quod est ad finem, in finem ipsum; et iste est appetitus sensitivus.

    Ces deux appétits se trouvent seulement dans la nature vivante et connaissante. Or, tout ce qui est propre à la nature du vivant doit se ramener à une puissance de l’âme chez ceux qui ont une âme; aussi est-il nécessaire qu’existe une puissance de l’âme à qui il appartient de désirer, par opposition à celle à laquelle il appartient de connaître, de la même manière que les substances séparées se divisent en intellect et volonté, comme le disent les philosophes.

    Et hujusmodi duo appetitus inveniuntur tantum in natura vivente et cognoscente. Omne autem quod est proprium naturae viventis, oportet quod ad aliquam potentiam animae reducatur in habentibus animam; et ideo oportet unam potentiam animae esse cujus sit appetere, condivisam contra eam cujus est cognoscere, sicut etiam substantiae separatae dividuntur in intellectum et voluntatem, ut dicunt philosophi.

    Ainsi donc, il ressort que l’appétit naturel et l’appétit volontaire diffèrent en ceci que l’inclination de l’appétit naturel vient d’un principe extrinsèque : c’est pourquoi il n’a pas de liberté, car est libre ce qui est cause de soi.

    Mais l’inclination de l’appétit volontaire se trouve à l’intérieur de celui-là même qui veut : la volonté possède donc la liberté.

    Sic ergo patet quod in hoc differt appetitus naturalis et voluntarius, quod inclinatio naturalis appetitus est ex principio extrinseco; et ideo non habet libertatem, quia liberum est quod est sui causa:

    inclinatio autem voluntarii appetitus est in ipso volente; et ideo habet voluntas libertatem.

    Mais l’inclination de l’appétit sensible vient en partie de celui qui désire, pour autant qu’il découle de la perception de ce qui est désirable. Aussi Augustin dit-il que « les animaux sont mus par ce qui est vu », en partie par l’objet, dans la mesure où la connaissance de l’ordre à la fin leur fait défaut.

    C’est pourquoi il faut que ce qui leur convient leur soit assuré par un autre qui connaît la fin. Or, tout ce qui vient de Dieu reçoit une certaine nature par laquelle il est ordonné à sa fin ultime. Il faut donc que, dans toutes les créatures qui ont une fin, se trouve aussi dans la volonté elle-même un appétit naturel par rapport à la fin ultime. C’est ainsi que l’homme veut par appétit naturel la béatitude et ce qui concerne la nature de la volonté.

    Sed inclinatio appetitus sensitivi partim est ab appetente, inquantum sequitur apprehensionem appetibilis; unde dicit Augustinus, quod animalia moventur visis: partim ab objecto, inquantum deest cognitio ordinis in finem: et ideo oportet quod ab alio cognoscente finem, expedientia eis provideantur.

    Et propter hoc non omnino habent libertatem, sed participant aliquid libertatis. Omne autem quod est a Deo, accipit aliquam naturam qua in finem suum ultimum ordinetur. Unde oportet in omnibus creaturis habentibus aliquem finem inveniri appetitum naturalem etiam in ipsa voluntate respectu ultimi finis; unde naturali appetitu vult homo beatitudinem, et ea quae ad naturam voluntatis spectant.

    Il faut donc dire qu’un appétit naturel est inhérent à toutes les puissances de l’âme et à toutes les parties du corps par rapport à leur propre bien  Sic ergo dicendum est, quod naturalis appetitus inest omnibus potentiis animae et partibus corporis respectu proprii boni; 

    mais l’appétit animal, qui porte sur un bien déterminé, pour lequel l’inclination de la nature ne suffit pas, relève d’une puissance déterminée,

    • soit de la volonté,
    • soit du concupiscible.

    De là vient

    • que toutes les autres puissances de l’âme sont entraînées par leurs objets au-delà de la volonté, car toutes les autres [puissances] possèdent un si grand appétit naturel à l'égard de leur objet,
    • mais la volonté possède au-delà de l’inclination naturelle,  une autre [puissance], dont celui qui veut est lui-même la cause.1

    sed appetitus animalis, qui est boni determinati, ad quod non sufficit naturae inclinatio, est alicujus determinatae potentiae,

    • vel voluntatis
    • vel concupiscibilis.

    Et inde est quod

    • omnes aliae vires animae coguntur a suis objectis praeter voluntatem: quia omnes aliae habent appetitum naturalem tantum respectu sui objecti;
    • voluntas autem habet praeter inclinationem naturalem, aliam, cujus est ipse volens causa.

    Cela est dit de manière similaire de l’amour, qui est l'achèvement du mouvement appétitif, car

    • un amour naturel existe dans toutes les puissances ET dans toutes les choses ;
    • mais l’amour animal, pour dire ainsi, est dans une certaine puissance déterminée,
      • soit dans la volonté, selon quoi est exprimé l'achèvement de l’appétit de la partie intellectuelle,
      • soit dans le concupiscible, selon quoi est exprimé une détermination de l’appétit sensible.2

    Et similiter dicendum est de amore, qui est terminatio appetitivi motus: quia

    • amor naturalis est in omnibus potentiis et omnibus rebus;
    • amor autem animalis, ut ita dicam, est in aliqua potentia determinata,
      • vel voluntate, secundum quod dicit terminationem appetitus intellectivae partis;
      • vel in concupiscibili, secundum quod dicit determinationem sensitivi appetitus.

    (Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 co.)

     

    Tout cela est très subtile, il faut bien décanter ce qui est dit.

    ---

    1. Passage très intéressant dans lequel Thomas montre qu'il y a chez l'être dotée de volonté un jeu entre

    • la détermination naturelle à être entraîné par son objet (car l'appétit sensible ou volontaire sont avant cela des appétits naturels bien qu'ils ne soient pas seulement cela),
    • et la détermination que le sujet se donne à lui-même par sa volonté tout en reconnaissant que la puissance volontaire, comme toute puissance de l'âme, possède une inclination naturelle.

    Les deux cohabitent dans l'être volontaire, il s'agira de voir ensuite comment ordonner.

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    2. Thomas force ici le langage (il le précise : ''ut ita dicam") pour dire que l'amour animal (distingué ici de l'amour naturel qui est en lui-même pure détermination - la pierre lachée tombe naturellement sans qu'on puisse y faire quoi que ce soit si elle n'es pas empêchée) est relatif en plus de sa détermination naturelle à une certaine puissance déterminée : 

    • soit que la puissance elle-même se détermine (la volonté termine l'acte appétitif volontaire)
    • soit que l'objet détermine la puissance (l'objet détermine l'acte appétitif sensitif).

    Le plan sensible s'ajoute au plan naturel (chez l'animal), comme le plan "intellectuel" s'ajoute aux plans sensible et naturel (chez l'homme).

     

    Passions, Amour naturel, Amour animal, Amour volontaire, Amour sensitif