Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad18 - Comment la volonté est doublement non contrainte
De même qu'un certain vrai, du fait qu'il est non mélangé de faux, est reçu de nécessité par l'intellect,
comme le sont les premiers principes de la démonstration,
de même un certain bien, du fait qu'il est non mélangé de mal, est de nécessité désiré (appetitur) par la volonté,
à savoir, la félicité elle-même.
[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 1er point - Du côté de la fin]
Cependant, il ne s’ensuit pas que la volonté soit contrainte par cet objet ; car « contrainte »
dit quelque chose de contraire à la volonté
(qui est proprement inclination de celui qui veut)
et ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect
(qui ne dit pas inclination en celui qui intellige).
[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 2ème point- Du côté des moyens]
A partir de la nécessité de ce bien
n'est pas induit la nécessité de la volonté à vouloir d'autres choses,
comme à partir de la nécessité des premiers principes
est induit la nécessité à l'assentiment des conclusions ;
les autres choses voulues n'ont pas un rapport nécessaire à ce premier voulu (ou selon la vérité ou selon l'apparence)
[qui ferait en] sorte que sans eux ce premier voulu ne soit pas possible ;
alors que les conclusions démonstratives ont un rapport nécessaire aux principes à partir desquels elles sont démontrées,
si bien que, les conclusions n'étant pas vraies, il est nécessaire que les principes ne soient pas vrais.
(DeVer.q24a1ad18)
Sicut aliquod verum est quod propter impermixtionem falsi de necessitate ab intellectu recipitur,
sicut prima principia demonstrationis;
ita est aliquod bonum quod propter malitiae impermixtionem de necessitate a voluntate appetitur,
scilicet ipsa felicitas.
[ ]
Non tamen sequitur quod ab illo obiecto voluntas cogatur; quia coactio
dicit aliquid contrarium voluntati,
quae est proprie inclinatio volentis ;
non autem dicit aliquid contrarium intellectui,
qui non dicit inclinationem intelligentis.
[ ]
Nec ex necessitate illius boni
inducitur necessitas voluntatis respectu aliorum volendorum,
sicut ex necessitate primorum principiorum
inducitur intellectui necessitas ad assentiendum conclusionibus ;
eo quod alia volita non habent necessariam habitudinem ad illud primum volitum vel secundum veritatem vel secundum apparentiam,
ut scilicet absque illis primum volitum haberi non possit;
sicut conclusiones demonstrativae habent necessariam habitudinem ad principia ex quibus demonstrantur,
ita quod, conclusionibus non existentibus veris, necesse est principia non esse vera.
1. -- Extraordinaire : du fait que le bonheur est un bien dans lequel on ne trouve aucun mal, il en peut qu'être nécessairement désiré.
2. -- Sur l'argument du côté de la fin : Le bonheur ne contraint pas la volonté à le vouloir, parce que la volonté est faite pour cela. Non seulement il n'y a pas contrainte, mais désirer le bonheur accomplit la volonté puisqu'elle a en elle-même une inclination au bonheur (elle tend naturellement à cela, elle ne peut faire autrement, comme voir n'est pas une contrainte pour l'oeil). C'est opurquoi, en d'autres lieux, TH. dira que la nécessité n'est pas contraire à la liberté mais seulement la contrainte.
3. -- Sur l'argument du côté des moyens : Le premier vrai et le premier bien servent de premier appui, l'un dans le domaine spéculatif l'autre dans le domaine pratique. Mais alors que ce qui en découle est nécessaire sur le plan spéculatif, cela n'est pas le cas sur le plan pratique. Ainsi, si les conclusions s'imposent d'elles-mêmes à partir des premiers principes (le premier vrai) sur le plan spéculatif, les moyens, eux, ne s'imposent pas à partir du premier bien (le premier bien, désir du bonheur) sur le plan pratique.
4. -- Remarque sur "« contrainte » (...) ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect, qui ne dit pas inclination en celui qui intellige". En effet, car l'intellect n'est pas déterminé à intelliger quelque chose en particulier, alors que la volonté en elle-même est "programmée" à vouloir le bonheur.