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Thomas d'Aquin - I-II.q27a1ad3 - Le beau est identique au bien

Le beau est identique au bien ; seule la raison diffèrre1(sola ratione differens)

Le bien étant ce que « tous appètent [= désirent] »,

  • il [relève] à la ratio boni que d'être un repos pour l'appétit, 
  • tandis qu’il relève de la ratio pulchri que d'être un repos pour l'appétit quant à sa vue ou quant à sa connaissance [= la vue et la connaissance du bien].

C’est pourquoi les sens les plus intéressés par la beauté sont ceux qui procurent le plus de connaissances, comme la vue et l’ouïe mises entièrement au service (deservientes) de la raison ; nous parlons, en effet, de beaux spectacles et de belles musiques. Les objets des autres sens n’évoquent pas l’idée de beauté : nous ne disons pas belles les saveurs ou belles les odeurs.

Cela montre bien que le beau ajoute (addit) au bien un certain ordre à la puissance connaissante ; 

  • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter) ;
  • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension

(Somme, I-II.q27a1ad3)

Pulchrum est idem bono, sola ratione differens. Cum enim bonum sit quod omnia appetunt, 

  • de ratione boni est quod in eo quietetur appetitus,
  • sed ad rationem pulchri pertinet quod in eius aspectu seu cognitione quietetur appetitus.

Unde et illi sensus praecipue respiciunt pulchrum, qui maxime cognoscitivi sunt, scilicet visus et auditus rationi deservientes, dicimus enim pulchra visibilia et pulchros sonos. In sensibilibus autem aliorum sensuum, non utimur nomine pulchritudinis, non enim dicimus pulchros sapores aut odores.

Et sic patet quod pulchrum addit supra bonum, quendam ordinem ad vim cognoscitivam,

  • ita quod bonum dicatur id quod simpliciter complacet appetitui;
  • pulchrum autem dicatur id cuius ipsa apprehensio placet.

1 Au lieu de : « leur seule différence procède d’une vue de la raison ».

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1. -- A noter cette question de vocabulaire chez Thomas : le bien complaît à l'appétit, le beau plaît à l'appréhension. On voit ailleurs que la complaisance est au niveau de l'amour affectif, c'est à dire le tout premier moment de l'amour. A distinguer du terme quand l'amour devient effectif.

2. -- Le bien est donc davantage objet de l'appétit (sensible - vue - ; ou spirituel - connaissance -) ; le beau, davantage objet de l'appréhension, c'est à dire de l'intellect, de l'intelligence.

3. -- Il y a donc dans le bien une dimension qui satisfait, qui vonvient, à la connaissance. Lorsqu'il s'agit d'un acte moralement mauvais, c'est cependant sous un aspect secondairement bon que l'intelligence y trouvera quelque chose de beau. Chez Arsène Lupin, rompu à l'art du vol, son vol pourra être trouvé beau dans l'exercice, dans la réalisation de son vol, pas quant au vol lui-même. C'est ce en quoi le vol comporte une part de bien qu'on trouvera le vol beau.

4. -- On se rappelle qu'il y a trois dimensions du bien dans la ratio boni, reprises d'Augustin, l'espèce, l'ordre, le mode. Ici Thomas évoque une dimension d'ordre qui établit une relation entre le bien et la puissance connaissante.

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Thomas d'Aquin - I.q59a1ad1 (complet) - L'intellect connaît simplement, la raison par discursion, ainsi l'intellect surpasse la raison

  •  Autrement la raison transcende [= surpasse] le sens,
  • et autrement l'intellect la raisona.

La raison transcende le sens selon la diversité de ce qui est connu ; car

  • le sens concernent (est) les choses particulières,
  • tandis que la raison [concerne] les choses universelles.

C'est pourquoi il faut 

  • qu'il y ait un autre appétit qui tende vers le bien universel, qui est dû à la raison ;
  • et un autre qui tende vers le bien particulier, qui est dû au sens.

Mais l'intellect et la raison diffèrent seulement par leur mode de connaissance ;

  • l'intellect connaît par simple intuition (simplici intuiti) ; [= ATTENTION à bien comprendre ce mot chez TH.]
  • la raison connaît par discursion d'une chose à l'autre (discurrendo de uno in aliud).

Mais

  • la raison parvient à connaître par la discursion,
  • ce que l'intellect connaît sans la discursion,

à savoir l'universel.

C’est donc le même objet qui est proposé à la [puissance] appétitive,

  • et du côté de la raison,
  • et du côté de l'intellect.

De là, chez les anges (qui sont des [êtres] uniquement intellectuels [= i.e. : purement spirituels]), le fait qu'il n'y ait pas d'appétit supérieur à la volonté.

(Somme,I.q59a1ad1)

  •  Aliter ratio transcendit sensum,
  • et aliter intellectus rationem.

Ratio enim transcendit sensum, secundum diversitatem cognitorum,

  • nam sensus est particularium,
  • ratio vero universalium.

Et ideo oportet 

  • quod sit alius appetitus tendens in bonum universale, qui debetur rationi;
  • et alius tendens in bonum particulare, qui debetur sensui.

Sed intellectus et ratio differunt quantum ad modum cognoscendi,

  • quia scilicet intellectus cognoscit simplici intuitu,
  • ratio vero discurrendo de uno in aliud.

Sed tamen

  • ratio per discursum pervenit ad cognoscendum illud,
  • quod intellectus sine discursu cognoscit,

scilicet universale. 

Idem est ergo obiectum quod appetitivae proponitur

  • et ex parte rationis,
  • et ex parte intellectus.

Unde in angelis, qui sunt intellectuales tantum, non est appetitus superior voluntate.

 


a. Au lieu de "Ce n'est pas de la même manière que la raison est supérieure au sens, et l'intelligence à la raison."

1. -- "simplici intuiti" : attention, le mot intuiti (participe parfait passif, masculin) désigne
- ou un acte dans lequel l'image d'une réalité est réfléchie par un miroir (Gaffiot)
- ou un acte de considération attentive (Gaffiot, Deferrari), possiblement accompagnée d'étonnement ou d'admiration (Cassel's) .
Ces deux dimensions sont à reprendre dans ce qui se passe dans l'appréhension, où l'intellect produit un concept universel abstrait à partir de l'image de la réalité laissée dans l'imagination. Il ne s'agit en aucun cas de comprendre ce mot comme nous comprenons l'intuition artistique aujourd'hui.

2. -- A l'appréhension suit le jugement. Ce qui a été appréhendé est ensuite jugé dans la réalité. On abstrait le concept arbre à partir des expérience de tel et tel arbre, puis, on retourne au réel (en vérifiant alors que l'abstraction s'est bien faite) en jugeant : "ceci est un arbre", "ceci est bien un arbre".

3. -- Le raisonnement se terminera lui aussi dans un jugement, mais de manière médiate, à travers la discursion.

4. -- La finale du texte s'explique ainsi : si la raison et l'intellect touchait une réalité différente, ils proposeraient tout deux une réalité différente à la partie appétitive, il faudrait alors deux puissances appétitives différentes, et donc une en plus de la puissance volontaire.

5. -- Soulignons encore une fois que la volonté ne peux faire sans l'intellect (ou la raison) pour pouvoir aimer spirituellement un bien spirituel, car il faut qu'elle puisse d'abord en juger, et le jugement passe par l'universel.

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