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Thomas d'Aquin - I-II.q30a3ad1 - Appétit naturel et appétit animal

Cela même qui est désirée (appetitur) par l'appétit naturel peut être désirée (appeti) par l'appétit animal lorsqu'il a été appréhendé. Et selon cela, nourriture et boisson et autres choses semblables que nous désirons  naturellement (appetuntur naturaliter), peuvent être [désirés] d'un désir animal.

(Somme, I-II.q30a3ad1)

Illud idem quod appetitur appetitu naturali, potest appeti appetitu animali cum fuerit apprehensum. Et secundum hoc cibi et potus et huiusmodi, quae appetuntur naturaliter, potest esse concupiscentia animalis (Leonine : naturalis).

Pas d'opposition  entre appétit naturel et appétit animal (c'est à dire sensitif). Le premier n'ayant pas besoin que le bien désiré soit porté à notre connaissance. J'ai faim parce que cela fait un moment que je n'ai pas mangé --> appétit naturel ; j'ai envie de manger à cause de la connaissance sensible (la bonne odeur et la vue de la nourriture, chez le boulanger) --> appétit animal.

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Thomas d'Aquin - !!!! COMM. A VéRIFIER !!! La concupiscence est -elle infinie ? - q30.a4

  • La concupiscence non naturelle est tout à fait infinie

Nous l'avons dit à l'Article précédent, il y a deux sortes de concupiscences : l'une est naturelle, et l'autre non.

Sicut dictum est, duplex est concupiscentia, una naturalis, et alia non naturalis. 

[La convoitise naturelle en acte]

La concupiscence naturelle ne peut être infinie en acte, car elle porte sur ce que la nature requiert. Or la nature tend toujours vers ce qui est fini et déterminé (certum). Aussi bien ne voit-on jamais l'homme convoiter (concupiscit) un mets infini, ou une boisson infinie.

 

 

Naturalis quidem igitur concupiscentia non potest esse infinita in actu. Est enim eius quod natura requirit, natura vero semper intendit in aliquid finitum et certum. Unde nunquam homo concupiscit infinitum cibum, vel infinitum potum.

 

 

[La convoitise naturelle en puissance]

Mais, de même que l'infini en puissance se trouve dans la nature de manière successive, ainsi arrive-t-il que cette concupiscencesoit infinie d'une manière successive : après avoir mangé, on veut un autre mets ou tout autre chose dont la nature a besoin ; car ces biens corporels, quand ils nous adviennent, ne demeurent pas toujours, mais disparaissent. Ce qui fait dire au Seigneur, s'adressant à la Samaritaine (Jn 4, 13): "Celui qui boira de cette eau aura encore soif."

 

Sed sicut in natura contingit esse infinitum in potentia per successionem, ita huiusmodi concupiscentiam contingit infinitam esse per successionem; ut scilicet, post adeptum cibum iterum alia vice desideret cibum, vel quodcumque aliud quod natura requirit, quia huiusmodi corporalia bona, cum adveniunt, non perpetuo manent, sed deficiunt. Unde dixit dominus Samaritanae, Ioan. IV, qui biberit ex hac aqua, sitiet iterum.

[La convoitise non naturelle est infinie, 1ère raison]

Quant à la concupiscence non naturelle, elle est tout à fait infinie. En effet, elle est conséquente de la raison, comme nous l'avons dit, et il appartient à la raison de procéder à l'infini. De sorte que celui qui convoite (concupiscit) les richesses, peut les convoiter (concupiscere) non pas jusqu'à telle limite déterminée, mais pour être riche de façon absolue (simpliciter) autant qu'il est en son pouvoir.

 

Sed concupiscentia non naturalis omnino est infinita. Sequitur enim rationem, ut dictum est, rationi autem competit in infinitum procedere. Unde qui concupiscit divitias, potest eas concupiscere, non ad aliquem certum terminum, sed simpliciter se divitem esse, quantumcumque potest.

[La convoitise non naturelle est infinie, 2ème raison]

On peut, d'après le Philosophe, assigner une autre raison pour laquelle une certaine concupiscence est finie, et telle autre infinie.

Potest et alia ratio assignari, secundum philosophum in I Polit., quare quaedam concupiscentia sit finita, et quaedam infinita.

La concupiscence de la fin est toujours infinie ; car la fin - la santé, par exemple - est convoitée (concupiscitur) pour elle-même ; ce qui fait qu'une santé meilleure est convoitée (concupiscitur) davantage, et ainsi à l'infini ; de même, puisque le blanc a pour propriété de dilater la pupille, plus il y a de blancheur, plus la dilatation est grande.  Semper enim concupiscentia finis est infinita, finis enim per se concupiscitur, ut sanitas; unde maior sanitas magis concupiscitur, et sic in infinitum; sicut, si album per se disgregat, magis album magis disgregat.

[La convoitise portant sur les moyens]

Au contraire, la concupiscence portant sur les moyens n'est pas infinie, mais quelque chose est désiré (appetitur : litt. "appété") dans la mesure où cela convient à la fin. Ainsi ceux qui mettent leur fin dans les richesses les convoitent (habent concupiscentiam) à l'infini ; mais ceux qui les désirent (appetunt) pour subvenir aux nécessités de la vie ne désirent (concupiscunt) que des richesses limitées, dit le Philosophe au même endroit. Et il en va de même pour la convoitise de tout le reste.

(Somme, Ia-IIae, q. 30, a. 4, c.)

 Concupiscentia vero eius quod est ad finem, non est infinita, sed secundum illam mensuram appetitur qua convenit fini. Unde qui finem ponunt in divitiis, habent concupiscentiam divitiarum in infinitum, qui autem divitias appetunt propter necessitatem vitae, concupiscunt divitias finitas, sufficientes ad necessitatem vitae, ut philosophus dicit ibidem. Et eadem est ratio de concupiscentia, quarumcumque aliarum rerum.

Lire l'AVERTISSEMENT à la trad. de q26.a2 pour comprendre la nécessité de bien distinguer désir et appétit.

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Thomas s'exprime selon deux niveaux de distinction. Le premier se fait selon trois plans : le plan physique, le plan sensible, le plan rationnel :

  • appétit naturel (concupiscence "tout court" --> issue de la convenance d'un bien de par la nature de tel vivant)
  • appétit sensible (concupiscence selon la connaissance sensible, à proprement parlé : cupidité --> issue de la convenance d'un bien par la connaissance )
  • appétit rationnel (concupiscence selon la connaissance rationnelle, à proprement parlé : désir --> idem)

Le second niveau de distinction se fait selon qu'il y a ou non appréhension (connaissance). Ici, appétit sensible et appétit rationnel, bien que distincts, sont placés ensemble, comme il a été traité dans l'article précédent, du fait qu'ils tiennent tous deux leur exercice de la connaissance du bien. 

En quoi le désir non naturel peut-il être infini ?

1ère raison : le désir non naturel est conséquent de la raison "et il appartient à la raison de procéder à l'infini" par le biais de l'universel, on peut poursuivre la richesse en général, la richesse en elle-même qui ne comporte en soi pas de limite, je peux toujours ajouter une pièce à ma richesse. Le désir devient infini parce qu'il a pour objet quelque chose qui contient en puissance une infinité d'éléments additionables. Bien noter que la dimension infinie provient de la puissance et non de l'acte. Ainsi quelqu'un qui a pour fin les richesses vit en partie dans l'imaginaire de la richesse infinie qu'il ne possédera jamais. Bien voir la vanité et la déconnexion du réel que cela implique.

2ème raison : la fin est désirée pour elle-même : rien ne la relativise, elle ne se finit donc jamais, elle est désirée de manière continue, infinie. Rien ne vient lui mettre un terme puisqu'elle est au bout de la "chaîne".

 

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Thomas d'Aquin - Deux manières d'être similaires donnent deux manières d'aimer : amour d'amitié / amour de concupiscence - I-II.q27a3

La similitude est à proprement parler cause de l'amour. Mais il faut remarquer que la similitude peut tendre à une double [acception]. Similitudo, proprie loquendo, est causa amoris. Sed considerandum est quod similitudo inter aliqua potest attendi dupliciter.
  1. D'une première manière du fait que chacun d'eux a en acte une même [réalité], comme deux [choses] ayant la blancheur sont dit similaires.
  2. D'une autre manière du fait que l'un a en acte ce que l'autre a en puissance et [ceci] par une certaine inclination ;
    • comme lorsque nous disons que un corps lourd existant hors de son lieu a une similtude avec un corps grave qui existe en son lieu. 
    • Ou encore selon que la puissance a une similitude avec l'acte lui-même ; car dans la puissance elle-même existe d'une certaine façon l'acte
  1. Uno modo, ex hoc quod utrumque habet idem in actu, sicut duo habentes albedinem, dicuntur similes.
  2. Alio modo, ex hoc quod unum habet in potentia et in quadam inclinatione, illud quod aliud habet in actu,
    • sicut si dicamus quod corpus grave existens extra suum locum, habet similitudinem cum corpore gravi in suo loco existenti.
    • Vel etiam secundum quod potentia habet similitudinem ad actum ipsum, nam in ipsa potentia quodammodo est actus.
  1. Le premier genre de ressemblance est cause de l'amour d'amitié ou de la volonté de se faire mutuellement du bien (benevolentiae). De ce fait, deux êtres étant similaires, et n'ayant pour ainsi dire qu'une seule forme, ils sont, en quelque manière, un dans cette forme ;
    • deux hommes ne font qu'un dans l'espèce humaine,
    • et deux êtres blancs dans la même blancheur.

De sorte que l'affect de l'un tend vers l'autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu'à soi.

  1. Mais le deuxième genre de similitude est cause de l'amour de concupiscence ou de l'amitié utile et délectable. Car tout être en puissance, en tant que tel, a l'appétit de son acte, et, lorsqu'il l'a obtenu, il s'en réjouit, s'il est sensible et doué de connaissance. Or dans l'amour de concupiscence, avons-nous dit, c'est lui-même, à proprement parler, que l'aimant aime, quand il veut ce bien qu'il convoite. 

 

  1. Primus ergo similitudinis modus causat amorem amicitiae, seu benevolentiae. Ex hoc enim quod aliqui duo sunt similes, quasi habentes unam formam, sunt quodammodo unum in forma illa,
    • sicut duo homines sunt unum in specie humanitatis,
    • et duo albi in albedine.

Et ideo affectus unius tendit in alterum, sicut in unum sibi; et vult ei bonum sicut et sibi.

  1. Sed secundus modus similitudinis causat amorem concupiscentiae, vel amicitiam utilis seu delectabilis. Quia unicuique existenti in potentia, inquantum huiusmodi, inest appetitus sui actus, et in eius consecutione delectatur, si sit sentiens et cognoscens. Dictum est autem supra quod in amore concupiscentiae amans proprie amat seipsum, cum vult illud bonum quod concupiscit.

Mais chacun s'aime plus que les autres, parce que l'un,

  • avec soi, est dans la substance [= on ne fait qu'un avec notre propre être],
  • tandis qu'avec un autre, est dans la similitude de quelque forme.

Et c'est pourquoi si de (ex) ce qui est similaire à lui-même dans la participation de la forme, il est lui-même empêché d'atteindre le bien qu'il aime, [ce qui lui est similaire] lui devient odieux,

  • non en tant qu'il lui est similaire,
  • mais en tant qu'il est un empêchement à son propre bien.

Magis autem unusquisque seipsum amat quam alium, quia

  • sibi unus est in substantia,
  • alteri vero in similitudine alicuius formae.

Et ideo si ex eo quod est sibi similis in participatione formae, impediatur ipsemet a consecutione boni quod amat; efficitur ei odiosus,

  • non inquantum est similis,
  • sed inquantum est proprii boni impeditivus.

Et pour cela

  • "les potiers se disputent les uns les autres" ; parce qu'ils s'empêchent les uns les autres dans leurs propres profits ;
  • et "les orgueilleux se querellent" parce qu'ils s'empêchent  les uns les autres dans l'excellence propre qu'ils convoitent (concupiscunt).

(Somme, I-II.q27a3)

Et propter hoc

  • figuli corrixantur ad invicem, quia se invicem impediunt in proprio lucro,
  • et inter superbos sunt iurgia, quia se invicem impediunt in propria excellentia, quam concupiscunt.

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1.

Quand les deux sont en acte d'une forme similaire --> amour d'amitié.

Quand l'un n'a qu'en puissance ce qu'a l'autre en acte --> amour de concupiscence.

On aime l'aimable en acte, le véritable amour se fait quand l'un aime la bonté en acte de l'autre, c'est pourquoi il y a réciprocité dans l'amitié.

Quand il nous manque quelque chose que l'autre a,

  • nous ne regardons pas l'autre pour lui-même,
  • et l'autre n'a pas de raison de nous regarder du tout.

2.

Benevolentiae : la traduction habituelle par bienveilance ne semble pas ici adéquate. Un ami est quelqu'un a qui on veut du bien dit ailleurs Thomas.

3.

Noter la parenthèse métaphysique à partir de laquelle Thomas montre pourquoi, sous un certain aspect, l'amour de soi est plus grand que l'amour des autres. L'unité avec soi est substantielle tandis que l'unité avec l'autre se fait par la qualité.

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Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

- La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

  • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

 

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

------- [Dans le monde physique] -------

Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

  • premièrement, il lui donne une forme ;
  • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

  • la pesanteur,
  • et le mouvement que celle-ci entraîne.

Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

  • nam primo quidem dat formam,
  • secundo autem dat motum consequentem formam;

sicut generans dat corpori

  • gravitatem,
  • et motum consequentem ipsam.

Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

------- [Dans le monde des passions] -------

De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

  • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
  • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

  • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
  • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
  • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

  • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
  • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
  • et enfin le repos, qui est joie.

Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

  • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
  • ex qua sequitur motus ad appetibile.

Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

  • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
  • et appetitus tendit in appetibile
  • realiter consequendum,

ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

  • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
  • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
  • et ultimo quies, quae est gaudium.
Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

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1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens sea été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif... voir l'explication donnée ici.

4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q28a2 - L'inhésion affective comme effet de l'amour

Inhaesio : traduit tantôt par "existence mutuelle en autrui", tantôt par "inhabitation" ; il s'agit à la fois d'une présence de l'être aimé en soi et d'une présence de soi dans l'être aimé. On a pris le parti de le traduire ici par inhésion, mot maintenant inusité mais fidèle au texte. Voir ici et ici. Pas de solution idéale.

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L'inhésion mutuelle est-elle un effet de l'amour ?

Cet effet d'inhésion mutuelle, peut être compris (intelligi) quant à la puissance appréhensive et quant à la puissance appétitive.

[Quant à de la puissance appétitive]

En effet, quant à de la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il demeure (immoratur) dans l'appréhension de l'aimant ; selon ces mots de l'Apôtre (Ph 1, 17) : " je vous porte dans mon coeur."

[Quant à de la puissance appréhensive (la connaissance)]

Mais l'aimant est dit dans l'aimé selo l'appréhension en tant qu'il

  • ne se satisfait pas d'une connaissance superficielle de l'aimé
  • mais s'efforce
    • d’examiner en profondeur chaque aspect qui concerne l’aimé,
    • et ainsi il pénètre à l’intérieur de celui-ci.

C'est le sens de ces mots appliqués à l'Esprit Saint, qui est l'Amour de Dieu: "Il scrute même les profondeurs de Dieu" (1 Co 2, 10).

*     *     *

Utrum mutua inhaesio sit effectus amoris ?

Iste effectus mutuae inhaesionis potest intelligi et quantum ad vim apprehensivam, et quantum ad vim appetitivam.

[]

Nam quantum ad vim apprehensivam amatum dicitur esse in amante, inquantum amatum immoratur in apprehensione amantis; secundum illud Philipp. I, eo quod habeam vos in corde.

[]

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans

  • non est contentus superficiali apprehensione amati,
  • sed nititur
    • singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere,
    • et sic ad interiora eius ingreditur.

Sicut de spiritu sancto, qui est amor Dei, dicitur, I ad Cor. II, quod scrutatur etiam profunda Dei.

*     *     *

[1. L'aimé est dans l'aimant]

Mais quant à la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il est par une certaine complaisance dans son affect [~ son coeur],

  • si bien qu'il se délecte de l'aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ;
  • s'ils sont absents, son désir se porte
    • vers l'aimé lui-même par l'amour de concupiscence,
    • ou vers les biens qu'il lui veut par l'amour d'amitié.

Et

  • ce n'est pas en raison de quelque cause d'extrinsèque, comme 
    • lorsqu'on désire une chose à cause d'une autre,
    • ou que l'on veut du bien à quelqu'un en vue d'autre chose,
  • mais à cause de la complaisance pour l'aimé la plus intérieurement enracinée (interius radicatam). C'est pour cela que l'amour est dit ce qui est le plus au-dedans (intimus) et que l'on parle des "entrailles de la charité".

*     *     *

Sed quantum ad vim appetitivam, amatum dicitur esse in amante, prout est per quandam complacentiam in eius affectu,

  • ut vel delectetur in eo, aut in bonis eius, apud praesentiam;
  • vel in absentia, per desiderium tendat
    • in ipsum amatum per amorem concupiscentiae;
    • vel in bona quae vult amato, per amorem amicitiae;
  • non quidem ex aliqua extrinseca causa, sicut
    • cum aliquis desiderat aliquid propter alterum,
    • vel cum aliquis vult bonum alteri propter aliquid aliud;
  • sed propter complacentiam amati interius radicatam. Unde et amor dicitur intimus; et dicuntur viscera caritatis.

*     *     *

[2. L'aimant est dans l'aimé]

Réciproquement, l'aimant est dans l'aimé, mais différemment selon qu'il y a amour de concupiscence ou amour d'amitié.

  • En effet, l'amour de concupiscence
    • ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l'aimé,
    • mais cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime.
  • Dans l'amour d'amitié, au contraire, l'aimant est dans l'aimé en ce sens qu'il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de sorte que lui-même, en son ami, semble
    • pâtir les biens et les maux
    • et être affecté des biens et des maux.

C'est pour cela que, d'après Aristote, il est propre aux amis

  • de "vouloir les mêmes choses,
  • et de s'attrister et de se réjouir dans les mêmes choses".

*

E converso autem amans est in amato aliter quidem per amorem concupiscentiae, aliter per amorem amicitiae.

  • Amor namque concupiscentiae
    • non requiescit in quacumque extrinseca aut superficiali adeptione vel fruitione amati,
    • sed quaerit amatum perfecte habere, quasi ad intima illius perveniens.
  • In amore vero amicitiae, amans est in amato, inquantum reputat bona vel mala amici sicut sua, et voluntatem amici sicut suam, ut quasi ipse in suo amico videatur
    • bona vel mala pati,
    • et affici.

Et propter hoc, proprium est amicorum

  • eadem velle,
  • et in eodem tristari et gaudere

secundum philosophum, in IX Ethic. et in II Rhetoric.

*

Ainsi donc,

  • en tant qu'il considère comme sien ce qui est à son ami, l'aimant semble exister en celui qu'il aime et être comme identifié à lui.
  • Au contraire, en tant qu'il veut et agit pour son ami comme (sicut) pour soi-même, le considérant comme (quasi) un (idem) avec soi, c'est l'aimé qui est dans l'aimant.

*     *     *

Ut sic,

  • inquantum quae sunt amici aestimat sua, amans videatur esse in amato, quasi idem factus amato.
  • Inquantum autem e converso vult et agit propter amicum sicut propter seipsum, quasi reputans amicum idem sibi, sic amatum est in amante.

*     *     *

[3ème manière]

Il y a une troisième manière d'entendre cette mutuelle inhésion par l'amour d'amitié, c'est celle de l'amour qui répond à l'amour, en tant que

  • mutuellement les amis s'aiment (mutuo),
  • et l'un à l'autre (invicem) 
    • se veulent (volunt) de bonnes choses
    • et font (operantur) de bonnes choses.

(Somme, I-II.q28a2)

Potest autem et tertio modo mutua inhaesio intelligi in amore amicitiae, secundum viam redamationis, inquantum

  • mutuo se amant amici,
  • et sibi invicem bona
    • volunt
    • et operantur.

 

VOIR AUSSI LA REPONSE TRES SYNTETIQUE A L'ARGUMENT 1 DU MÊME ARTICLE

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

2. Complacentiam : de complaceo, "plaire en même temps, concurremment" (Gaffiot). Que signififie le préfixe "com" dans le mot complaisance ? A quoi se rapporte le "en-même temps" ? Pourquoi dit-on se complaire dans l'ami en tant qu'il affecte notre appétit plutôt que se plaire en l'ami en tant qu'il affecte notre appétit ? Se complaire en quelque chose, se plaire en quelque chose, quelle différence ?

Voir I-II.q27a1ad3

"Le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante (vim cognoscitivam)

    • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter)
    • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension"

Premier élément de réponse : on doit pouvoir dire que l'amour affectif est source de complaisance alors que l'amour effectif est source de plaisir/joie. La complaisance serait alors le plaisir intentionnel, la chose nous a affecté et nous aimons ce en quoi elle nous affecte et cela à pour effet une complaisance. Nous aimons la chose ou la personne aimée en tant qu'elle réside en nous, en tant qu'elle a donné lieu à une modification (affect-ion) en nous, et nous aimons cette modification. La chose a fait quelque chose en nous (adficio --> ad-facio, d'où vient le mot affection). Cette chose qui s'est faite en nous, l'affect, est liée à la chose qui affecte, le lien n'est pas rompu, mais l'affect est dans le ressenti de la chose aimée.

C'est pour cette raison que la complaisance, dans la signification dans laquelle elle nous est parvenue, comporte un aspect péjoratif en cela qu'elle porte en elle une possibilité d'en rester à ce "ressenti" en relativisant la chose qui est à la source de ce sentir intérieur. C'est pourquoi un véritable amour n'en reste pas au stade affectif mais naturellement se porte par le désir au bien réel, à la chose aimée en tant qu'elle existe indépendamment de moi et que je veux rejoindre réellement.

Et lorsque la chose aimée ou la personne aimée est aimée dans sa réalité, alors il y a plaisir/joie. On ajoute alors à l'unité intérieure dans laquelle l'aimé est en soi, une unité qui découle d'une sortie de nous-même pour demeurer en l'autre, l'autre réel. L'autre réel continuant de nous toucher intérieurement, mais en raison même de ce toucher intérieur nous projette vers lui pour y demeurer, d'où le mot d'Aristote rapporté par Thomas : l'amour est circulaire. L'analyse de Thomas est d'un très grand réalisme, car c'est en effet de cette manière que nous expérimentons et que nous vivons l'amour.

La complaisance a une cause immédiate intérieure ; le plaisir/joie a une cause extérieure ; les deux se vivant de fait de manière mêlée, à cause du cercle.

°°° ~ ~ La chose belle en tant qu'elle est belle plaît car elle reste extérieure du fait que la connaissance nécessite la présence de la chose connue. ~ ~

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad2 - Qu'est-ce que le désir à proprement parler ?

Le désir (desiderium) peut davantage relever (magis pertinere), à proprement parler, non seulement de l'appétit inférieur mais aussi du supérieur. En effet, il n'implique pas, comme la concupiscence (concupiscentia), une certaine multiplicité associée dans le fait de convoiter (aliquam consociationem cupiendo) mais un mouvement simple vers la chose désirée (desideratam).

(Somme, I-II.q30a1ad2)

Desiderium magis pertinere potest, proprie loquendo, non solum ad inferiorem appetitum, sed etiam ad superiorem. Non enim importat aliquam consociationem in cupiendo, sicut concupiscentia; sed simplicem motum in rem desideratam.

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Très intéressant car la notion d'association autour du désir sensible explique le préfixe "con" de concupiscence. C'est une expérience sensible au cours de laquelle un faisceau d'éléments distincts trouvés dans un certain bien sensible suscite en nous une attraction sensible. Il y a donc quelque chose d'aveugle dans le désir sensible (concupiscence) qu'on ne fait en partie que constater, les raisons pour lesquelles nous sommes attirés sensiblement par une réalité sensible ne sont pas toujours très claires. Alors que dans le désir (lorsque le terme est proprement employé, c'est à dire comme appétit spirituel), l'attraction est exercée par un objet simple. L'objet étant d'autant plus facile à discerner qu'il est simple, il en découle un désir plus simple, plus pur (pas au sens moral), plus limpide. Ce n'est pas seulement à cause de ce qu'est la chose spirituelle désirée, mais parce qu'une chose, en tant qu'elle est spirituelle, est simple. La concupiscence hérite de la complexité des éléments matériels dont est fait le corps. C'est une des causes pour lesquelles la concupiscence s'exerce souvent dans un certain chaos. Une autre cause se trouve lorsque le désir sensible persévère malgré le jugement de la raison. 

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a2ad1 - Il n'y a désir que de choses absentes

 

Le bien délectable (delectabile) n’est pas absolument objet de concupiscence [= désir sensible], mais [seulement] sous la raison du fait d'être absent (sub ratione absentis).

(Somme, I-II.q30a2ad1)

Bonum delectabile non est absolute obiectum concupiscentiae, sed sub ratione absentis.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - Il y a déjà un certain plaisir dans le désir, mais plus encore dans l'espoir - I-II.q32a3ad3

L'amour et la concupiscence [= désir sensible] causent du plaisir. Car tout ce qui est aimé est délectable pour celui qui aime, du fait que l'amour est une sorte d'union ou de connaturalité de l'aimant et de l'aimé.

De même, tout objet de concupiscence est délectable à celui qui convoite (concupiscenti), la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation.

Cependant l'espoir, parce qu'il comporte une certaine certitude de la présence réelle [à venir] du bien délectable qu'on ne trouve ni dans l'amour ni dans la concupiscence, est dit cause de délectation plus que celle-ci.

Et même, plus que le souvenir (memoria), tourné vers ce qui a déjà passé.

(Somme,  I-II.q2a3ad3)

Etiam amor et concupiscentia delectationem causant. Omne enim amatum fit delectabile amanti, eo quod amor est quaedam unio vel connaturalitas amantis ad amatum.

Similiter etiam omne concupitum est delectabile concupiscenti, cum concupiscentia sit praecipue appetitus delectationis.

Sed tamen spes, inquantum importat quandam certitudinem realis praesentiae boni delectantis, quam non importat nec amor nec concupiscentia, magis ponitur causa delectationis quam illa.

Et similiter magis quam memoria, quae est de eo quod iam transiit.

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1. Noter la remarque "la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation" : sur le plan sensible passionnel, on désire surtout le plaisir procuré par le bien, alors que sur le plan spirituel, on désire surtout le bien qui nous procure du plaisir. Si l'amour instinctif est essentiellement interne (cela vient de l'intérieur du vivant), l'amour passionnel s'ouvre à un premier niveau d'extériorité à travers le bien sensible. Mais c'est avec le bien spirituel qu'est atteint une véritable sortie de soi, un véritable détournement de l'égo. On se détourne de soi pour être intièrement tourné vers l'autre.

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