Le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier.
Quant à l'être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c'est la dissonance qui est cause de la haine tandis que la convenance est cause de l'amour ; et, d'autre part, l'être et le vrai sont communs à toutes choses.
Mais, en particulier, rien n'empêche qu'on haïsse tel être ou certaine vérité...
(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 5, c.)
Bonum, sub ratione boni, non potest odio haberi, nec in universali nec in particulari.
Ens autem et verum in universali quidem odio haberi non possunt, quia dissonantia est causa odii, et convenientia causa amoris; ens autem et verum sunt communia omnibus.
Sed in particulari nihil prohibet quoddam ens et quoddam verum odio haberi...
de même que tout être possède une consonance naturelle ou aptitude avec ce qui lui convient (ce qui est l'amour naturel),
de même, à l'égard de ce qui lui répugne et le corrompt, tout être possède une dissonance naturelle, qui est la haine naturelle.
In appetitu autem naturali hoc manifeste apparet, quod
sicut unumquodque habet naturalem consonantiam vel aptitudinem ad id quod sibi convenit, quae est amor naturalis;
ita ad id quod est ei repugnans et corruptivum, habet dissonantiam naturalem, quae est odium naturale.
De même, il apparaît [manifeste que], dans l'appétit animal ou dans l'appétit intellectuel,
l'amour est une consonance de l'appétit avec ce qui est appréhendé comme lui convenant ;
la haine, au contraire, est une sorte de dissonance de l'appétit à ce qui est appréhendé comme répugnant [= repoussant] et nuisible.
Sic igitur et in appetitu animali, seu in intellectivo,
amor est consonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut conveniens,
odium vero est dissonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut repugnans et nocivum.
Or tout ce qui convient, en tant que tel, a raison de bien ;
pareillement, tout ce qui répugne, en tant que tel, a raison de mal.
Par conséquent, de même que le bien est l'objet de l'amour, ainsi le mal est-il l'objet de la haine. (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 1, c.)
Sicut autem omne conveniens, inquantum huiusmodi, habet rationem boni;
ita omne repugnans, inquantum huiusmodi, habet rationem mali.
Et ideo, sicut bonum est obiectum amoris, ita malum est obiectum odii.
Notes :
1. Au Moyen-Âge, lorsqu'on dit que quelque chose est perçu sous la raison de bien ne signifie que ce quelque chose soit un bien, mais seulement qu'il est considéré sous cet aspect.
2. Certains mots se comprennent mieux considérés en regard avec leur opposé : convenance / répugnance, consonnance / dissonance,...
Commentaire :
Thomas analyse ce qui se passe manifestement du point de vue de l'amour naturel, dans toute réalité confondue (la pierre, l'animal, etc.), puis ce qui se passe manifestement du côté de l'amour impliquant une connaissance, appréhension (monde sensible de l'animal, monde spirituel de l'être spirituel).