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Thomas d'Aquin - A SUPPRIMER

L'appétit porte sur l'opérable particulier. (De Ver. q. 24, a. 2, c.)

Est enim appetitus de particulari operabili.

On veut, on désire toujours ce quelque chose, ce quelqu'un. On ne désire pas en général, contrairement à "la raison qui peut porter sur un universel" (id.).

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Thomas d'Aquin - Celui qui aime n'a pas besoin de connaître en détail ce qu'il aime - I-II.q27a2ad2

Il faut davantage pour la perfection de la connaissance que pour celle de l'amour.

Quelque chose est requis pour la perfection de la connaissance qui n'est pas requis pour la perfection de l'amour.

En effet, la connaissance relève de la raison, dont [le rôle] est de distinguer ce qui ne fait qu'un dans la chose (rem), et de rapprocher (componere) les éléments divers en les comparant. C'est pourquoi il est requis pour une connaissance parfaite (ad perfectionem cognitionis) que l'homme connaisse dans le détail tout ce qui est dans une chose (re) : comme ses parties, ses puissances, ses propriétés.

Mais l'amour est, dans la puissance appétitive, ce qui regarde la chose (rem) selon qu'elle est en elle-même. De sorte qu'il suffit pour la perfection de l'amour (ad perfectionem amoris) que la chose soit aimée selon qu'elle est appréhendée en elle-même. Il arrive alors qu'une chose soit aimée plus qu'elle n'est connue : en cela que quelque chose peut être aimé parfaitement (perfecte amari) même si elle n'est pas parfaitement connue (perfecte cognoscatur).

C'est ce qu'on voit nettement pour les sciences que certains aiment, bien qu'ils n'en aient qu'une connaissance sommaire : ils savent, par exemple, que la rhétorique est la science qui permet à l'homme de persuader, et c'est cela qu'ils aiment en elle.

Et cela peut être dit de manière similaire à propos de l'amour de Dieu.

(Somme, I-II.q27a2ad2)

Aliquid requiritur ad perfectionem cognitionis, quod non requiritur ad perfectionem amoris.

Cognitio enim ad rationem pertinet, cuius est distinguere inter ea quae secundum rem sunt coniuncta, et componere quodammodo ea quae sunt diversa, unum alteri comparando. Et ideo ad perfectionem cognitionis requiritur quod homo cognoscat singillatim quidquid est in re, sicut partes et virtutes et proprietates.

Sed amor est in vi appetitiva, quae respicit rem secundum quod in se est. Unde ad perfectionem amoris sufficit quod res prout in se apprehenditur, ametur. Ob hoc ergo contingit quod aliquid plus amatur quam cognoscatur, quia potest perfecte amari, etiam si non perfecte cognoscatur.

Sicut maxime patet in scientiis, quas aliqui amant propter aliquam summariam cognitionem quam de eis habent, puta quod sciunt rhetoricam esse scientiam per quam homo potest persuadere, et hoc in rhetorica amant. Et similiter est dicendum circa amorem Dei..

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1. La traduction originale de la première phrase a été laissée pour montrer son approximation.

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Thomas d'Aquin - DePot.q3a15ad14 - Dieu agit agit non par appétit de la fin, mais par amour de la fin - SUBLIME

  • La communication de la bonté n'est pas la fin ultime, 
  • mais la bonté divine elle-même, c'est à partir de l'amour de [cette bonté] que Dieu veut la communiquer ; 

car

  • il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il avait l'appétit (appetens) de ce qu'il n'a pas,
  • mais comme voulant communiquer ce qu'il a ; parce qu'il agit
    • non par appétit de la fin (ex appetitu finis),
    • mais par amour de la fin (ex amore finis).

(DePot.q3a15ad14)

  • Communicatio bonitatis non est ultimus finis,
  • sed ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult;
  • non enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet,
  • sed quasi volens communicare quod habet: quia agit
    • non ex appetitu finis,
    • sed ex amore finis.

 

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L'appétit et l'amour concerne tous les deux un bien. Mais l'appétit, dans son exercice, tend vers un bien qui n'est pas encore présent (ou totalement présent) tandis que l'amour jouit du bien présent.

Le conditionnement de notre existence humaine nous permet d'atteindre quelque chose de l'amour de l'autre mais reste dans un certain appétit dans la mesure où il est possible d'ajouter quelque chose à la perfection de cet amour. C'est pourquoi, pour nous, l'amour est à la fois une tension et un repos, un désir et une joie. Ajoutons qu'il nous est toutefois possible d'atteindre une certaine perfection dans l'amour par le moyen de l'intention. (J'ai l'heureuse surprise de découvrir quelques jours après avoir écrit cela que Thomas le dit exactement ainsi, voir ici.)

Dans le cas de ce passage, Thomas souligne que Dieu n'agit pas par désir, ce qui supposerait qu'il lui manque quelque chose, mais par amour - comme à partir d'un sommet sur lequel il est déjà et non vers un sommet qu'il souhaite atteindre. Celui qui, en quelque manière, a atteint quelque chose du bonheur n'est plus en quête mais agit à partir de lui, en surabondance.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q1a1 - L'ens - sa convenance avec l'appétit - sa convenance avec l'intellect

  • La convenance de l’étant avec l’appétit est donc exprimée par le nom de « bien »
    • (ainsi est‑il dit au début de l’Éthique que « le bien est ce que toute chose recherche »).
  • La convenance avec l’intellect est exprimée, quant à elle, par le nom de « vrai ».
(DeVer.q1a1)
  • Convenientiam ergo entis ad appetitum exprimit hoc nomen bonum,
    • ut in principio Ethic. [I, 1 (1094 a 3)] dicitur quod bonum est quod omnia appetunt.
  • Convenientiam vero entis ad intellectum exprimit hoc nomen verum.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4 - La volonté humaine recherche naturellement la béatitude

 

La volonté humaine appète [= désire] naturellement la béatitude [= le bonheur], et relativement à cet objet voulu la volonté a une nécessité, puisqu’elle tend vers lui par mode de nature ; en effet, l’homme ne peut pas vouloir ne pas être heureux, ou être malheureux.

(DeVer.q23a4)

Humana voluntas naturaliter appetit beatitudinem, et respectu huius voliti vo‑ luntas necessitatem habet, cum in ipsum tendat per modum naturae ; non enim potest homo velle non esse beatus, aut esse miser.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad2 - La volonté, lorsqu'elle aime, devient spirituellement une avec ce qu'elle aime

 

La nature spirituelle, quant à son être second, a été faite

  • indéterminée (indeterminata)
  • et capable de tout (omnium capax)

(comme il est dit dans le De Anima d'Aristote, que

  • l’âme est d'une certaine manière (quodammodo) toutes choses ;
  • et en adhérant à une chose, elle est rendue (efficitur) une avec elle ;

comme

  • l'intellect devient d’une certaine (quodammodo) façon l’intelligible lui‑même
    • lorsqu’il intellige,
  • et que la volonté devient l’appétible lui‑même
    • lorsqu’elle aime (amando).

(DeVer.q24a10ad2)

 

Natura spiritualis est facta quantum ad secundum esse suum

  • indeterminata,
  • et omnium capax ;

sicut dicitur in III de Anima [cap. 8 (431 b 21)], quod

  • anima est quodammodo omnia :
  • et per hoc quod alicui adhaeret, efficitur unum cum eo ;

sicut

  • intellectus fit quodammodo ipsum intelligibile
    • intelligendo,
  • et voluntas ipsum appetibile
    • amando.

 


 1. -- Thomas montre d'autre part que cette union ne se fait pas de la même manière sur plan de l'intellect et sur plan de la volonté. Sur le plan volontaire lui-même, l'union peut être vue sous son aspect affectif et sous son aspect effectif.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2 - La similitude de libre arbitre et la liberté conditionnée chez les animaux

  • Où Thomas joue un peu avec les mots ...

 

Il y a dans [les bêtes] une certaine similitude du libre arbitre (similitudo liberi arbitrii),

  • en tant qu’elles peuvent
      • agir
      • ou ne pas agir
    • une seule et même chose, suivant leur jugement,
  • de sorte qu’il y a en elles comme (quasi) une certaine liberté conditionnée (conditionata libertas) :

en effet,

  • elles peuvent agir,
    • si elles jugent qu’il faut agir,
  • ou ne pas agir,
    • si elles ne jugent pas ainsi.

Mais parce que leur jugement est déterminé à une seule chose, par conséquent

  • et l’appétit
  • et l’action

sont déterminés à une seule chose. (DeVer.q24a2)

Est in eis quaedam similitudo liberi arbitrii,

  • in quantum possunt
      • agere
      • vel non agere
    • unum et idem, secundum suum iudicium,
  • ut sic sit in eis quasi quaedam conditionata libertas :
  • possunt enim agere,
    • si iudicant esse agendum,
  • vel non agere,
    • si non iudicant.

Sed quia iudicium eorum est determinatum ad unum, per consequens

  • et appetitus
  • et actio

ad unum determinatur.

 


1. -- Les animaux peuvent agir ou ne pas agir, or les animaux ne sont pas libres, et puisque les hommes peuvent eux aussi agir ou ne pas agir, cela signifie que la liberté ne se trouve pas dans le fait de pouvoir agir ou ne pas agir, à moins de n'être libre que par similitude. Mais alors en quoi est-on libre en tant qu'homme ? Nous le sommes par ce qui précède l'action : le jugement libre discernant entre les diverses actions possibles celle qui sera retenue et choisie, cf. DeVer.q24a1ad1. et DeMalo.q15a5.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a9ad1 - La volonté parvient AUSSI à la fin lorsqu'elle la désire intensément, bien qu'elle ne la possède pas encore parfaitement

L'affect [volontaire] (affectus) parvient à la fin,

  • non seulement quand elle possède parfaitement la fin,
  • mais aussi, d’une certaine façon (quodammodo), quand elle la désire intensément (intense desiderat) ;

et par cette façon (hunc modum), d'une certaine manière (aliquo modo), quelqu'un (aliquis) peut être confirmé dans le bien en l’état de voie. 

(DeVer.q24a9ad1)

Affectus pervenit ad finem,

  • non solum quando finem perfecte possidet,
  • sed etiam quodammodo quando ipsum intense desiderat ;

et per hunc modum aliquo modo in statu viae aliquis potest confirmari in bono.

 


  1. La fin étant entendue ici comme fin spirituelle, il est réjouissant de pouvoir lui lier le mot intensément alors qu'il est de nos jours plus guère utilisé que dans le marketing pour qualifié le goût des aliments ou dans l'industrie des loisirs à propos des expériences qu'elle est sensée proposer. Ici, avec Thomas, l'intensité est d'abord dans le désir spirituel de la fin (en dernier lieu, la vision béatifique), désir si intense que les fruits sont déjà comme donnés par avance. Le terme "intensité" est un terme technique largement utilisé au Moyen-Âge.
  2. La dimension affective chez Thomas est à mettre en parallèle avec la dimension effective. Le moment "affect", c'est le moment passif de quelque chose qui touche une personne dans son appétit, qu'il soit sensible ou spirituel. Le moment "effectif" est le moment où la personne atteint réellement ce qui l'a touché. Voir union affective / union effective.
  3. Bien rapprocher le mot intensément du mot intention.
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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - L'intellect peut "percevoir" la raison ou comme simplement nature ou comme proprement raison

La distinction par laquelle est distinguée raison comme raison et raison comme nature peut être intelligée (intelligi) de deux manières. [= intelligi, "être compris" ne rend pas l'acte simple de l'intellect lorsqu'il une chose est par lui intelligée, mieux vaudrait traduire par "être saisie" ou "être touchée", ~ le tugein d'Aristote. Concrètement, "comprendre" fait davantage référence à l'expérience du raisonnement.]

[A. Première manière de distinguer - du point de vue de l'être]

De la première manière,

  1. la raison « comme nature » est dîte raison
    • selon qu’elle est la nature de la créature rationnelle,
      • c’est‑à‑dire que, fondée dans l’essence de l’âme, elle donne au corps l’être naturel (esse naturale) ; [= ~ une chose est ce qu'elle est par sa partie la meilleure, mais cette partie est liée indirectement à des éléments qui ne lui sont pas propres du fait qu'elle appartient à un être qui ne réduit pas à elle]
  2. mais on parle de la raison « comme raison »
    • selon ce qui est le propre de la raison en tant qu’elle est raison,
      • et cela est son acte, parceque les puissances se définissent par les actes.

Ainsi, parce que la douleur

  • n’est pas dans la raison supérieure en tant qu’elle se rapporte à son objet par son acte propre
  • mais en tant qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme,

on dit que la raison supérieure subissait la douleur comme nature, et non comme raison.

(Et il en va de même pour la vue, qui est fondée sur le toucher en tant que l’organe de la vue est un organe du toucher ; la vue peut donc subir une blessure (laesionem) de deux façons : d’abord par son acte propre, comme lorsque la vue est émoussée par une lumière très forte, et c’est la souffrance de la vue comme vue ; ensuite en tant qu’elle est fondée dans le toucher, comme lorsque l’œil est piqué ou qu’il est dissous par quelque chaleur ; et cela n’est pas la souffrance (passio) de la vue comme vue, mais en tant qu’elle est un certain toucher.)

Distinctio illa qua distinguitur ratio ut ratio, et ratio ut natura, dupliciter potest intelligi.

 

[A.]

Uno modo ita quod

  1. ratio ut natura dicatur ratio
    • secundum quod est naturae creaturae rationalis,
    • prout scilicet fundata in essentia animae dat esse naturale corpori :
  2. ratio vero ut ratio dicatur
    • secundum id quod est proprium rationis in quantum est ratio ;
    • et hoc est actus eius, quia potentiae definiuntur per actus.

 

Quia igitur dolor

  • non est in superiori ratione prout secundum actum proprium comparatur ad obiectum,
  • sed secundum quod in essentia animae radicatur ;

ideo dicitur quod superior ratio patiebatur dolorem ut natura, non autem ut ratio.

Et est simile de visu qui fundatur super tactum, in quantum organum visus est organum tactus. Unde dupliciter visus potest pati laesionem : uno modo per actum proprium, sicut cum ab excellenti luce visio obtunditur : et haec est passio visus ut visus ; alio modo prout fundatur in tactu, ut cum oculus pungitur, vel aliquo calore dissolvitur : et hoc non est passio visus ut est visus, sed ut est quidam tactus.

[B. Première manière de distinguer - du point de vue de la connaissance et de l'appétit]

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison comprise (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

Or il est certaines [choses] qui,

  • selon qu'elles sont considérées en elles-mêmes, sont à éviter,
  • mais appétées [désirées] selon qu'elles sont ordonnées à autre chose :

par exemple, la faim et la soif, considérées en elles-mêmes, sont à éviter, mais, si on les considère comme utiles au salut de l’âme ou du corps, alors on les recherche. Et ainsi, la raison comme raison se réjouit à leur sujet, au lieu que la raison comme nature s’attriste à cause d’elles. De même, la passion corporelle du Christ considérée en soi était à éviter : c’est pourquoi la raison comme nature s’en attristait et ne la voulait pas (nolebat) ; mais en tant qu’elle était ordonnée au salut du genre humain, alors elle était bonne et objet d’appétit (appetibilis) ; et ainsi, la raison comme raison la voulait (volebat) et en retirait une joie.

(DeVer.q26a9ad7)

[B.]

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

Sunt enim quaedam quae

  • secundum se considerata sunt fugienda,
  • appetuntur vero secundum ordinem ad aliud :

sicut fames et sitis secundum se considerata sunt fugienda ; prout autem considerantur ut utilia ad salutem animae vel corporis, sic appetuntur. Et sic ratio ut ratio de eis gaudet, ratio vero ut natura de eis tristatur. Ita etiam passio corporalis Christi in se considerata fugienda erat : unde ratio ut natura de ea contristabatur et eam nolebat ; prout vero ordinabatur ad salutem humani generis, sic bona erat et appetibilis ; et sic ratio ut ratio eam volebat, et inde gaudebat.

 


 

1. -- Dans la 2ème manière de distinguer on met la raison face à son objet ou en disant comparatur ou en disantordinatur. Voir ce que cela implique : 

Raison comme nature
(point de vue immédiat, matériel)

Raison comme raison
(point de vue de la fin)

comparatur ordinatur
naturellement per collationem
la raison s'attriste de la faim et de la soif, car avoir faim ou soif n'est pas agréable la raison se réjouit de la faim et de la soif, car la faim et la soif sont ordonnées à me nourrir, sans quoi je mourrais
   

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - Le propre de la raison est de confronter (confere)

Version longue ici.

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison intelligée (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

(DeVer.q26a9ad7)

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

 


 1. -- La raison est en mouvement, l'intellect saisit.

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Thomas d'Aquin - I-II.q22a3ad2 - ~ L'appétit sensible pâtit plus qu'il n'est actué alors que l'appétit intellectuel est plus actué qu'il ne pâtit

On dit que la magnitude [= l'ampleur] de la passion

  • ne dépend pas seulement de la puissance (ex virtute) de l'agent,
  • mais encore de la passibilité (ex passibilitate) de celui qui pâtit,

parce que les choses qui sont bien passibles (quae sunt bene passibilia) pâtissent beaucoup même de la part d'un agent faible.

  • Donc bien que l'objet de l'appétit intellectuel soit plus actif que l'objet de l'appétit sensitif, [ce qui devrait donc entraîner une plus grande passion dans celui qui pâtit]
  • pourtant l'appétit sensitif est plus passif.

(Somme, I-II.q22a3ad2)

Dicendum quod magnitudo passionis

  • non solum dependet ex virtute agentis,
  • sed etiam ex passibilitate patientis,

quia quae sunt bene passibilia, multum patiuntur etiam a parvis activis.

  • Licet ergo obiectum appetitus intellectivi sit magis activum quam obiectum appetitus sensitivi,
  • tamen appetitus sensitivus est magis passivus.

 


 1. -- "quia quae sunt bene passibilia...", comprendre  : "parce ques les choses disposées à pâtir pâtissent beaucoup même de la part d'une cause de moindre importance".

2. -- Puisque TH. dit que la passion est davantage dans la partie sensible que dans la partie intellectuelle, il reconnît par là même que la prtie intellectuelle possède un côté passif, sans doute a-t-il ici en tête l'intellect passif.

3. -- Ici TH. semble dire que puisque le monde de l'appétit sensible est lié à la matière il est davantage passible que la partie appétit intellectuel. Alors que la partie intellectuelle, du fait même qu'elle est intellectuelle, est davantage portée à l'acte. L'objet de de l'appétit intellectuel actue davantage l'appétit intellectuel qu'il ne le fait pâtir. Par exemple, lorsque Dieu se révèle à nous, il nous actue plus qu'il ne nous fait pâtir.

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Thomas d'Aquin - I-II.q23a1ad1 - Il doit nécessairement y avoir une puissance de l'irascible

  • ... sans quoi le bien difficile serait uniquement regardé comme un mal
  •  Le bien, en tant que délectable, meut le concupiscible.
  • Mais si le bien présente quelque difficulté à être atteint, il a par cela même quelque chose qui répugne à ce concupiscible.

Et c'est pourquoi il est nécessaire qu'il existe une autre puissance pour tendre à cela [= au bien en tant que difficile à atteindre]. 

Et il en va de même pour le mal.

Et cette puissance est l'irascible.

D'où vient la conséquence que les passions du concupiscible et de [celles] de l'irascible diffèrent par l'espèce.

(Somme, I-II.q23a1ad3) 

  • Bonum inquantum est delectabile, movet concupiscibilem.
  • Sed si bonum habeat quandam difficultatem ad adipiscendum, ex hoc ipso habet aliquid repugnans concupiscibili.

Et ideo necessarium fuit esse aliam potentiam quae in id tenderet.

Et eadem ratio est de malis.

Et haec potentia est irascibilis.

Unde ex consequenti passiones concupiscibilis et irascibilis specie differunt.

 


 

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Thomas d'Aquin - I-II.q24a1 - Lorsqu'elle est sous le commandement de la volonté les passions deviennent morales

  • Mais les passions en elles-mêmes ne sont pas morales

Les passions de l'âme peuvent être considérées de manière double :

  • d'une manière, selon elles-mêmes
  • d'une autre manière, selon qu'elles sont sous le commandement de la raison et de la volonté.

[Les passions en elle-mêmes]

Donc, si on les considère selon elles-mêmes, c'est-à-dire comme mouvements de l'appétit irrationnel, il n'y a en elles ni bien ni mal moral, car cela dépend de la raison, comme nous l'avons vu plus haut.

[Les passions sous le commandement de la raison et de la volonté]

Mais si elles sont considérées selon qu'elles sont sous le commandement (imperio) de la raison et de la volonté, ainsi il y a en elles bien ou mal moral.

  • En effet, l’appétit sensitif est plus proche de la raison elle-même et de la volonté que nos membres extérieurs, dont cependant les mouvements et les actes sont bons ou mauvais moralement (moraliter) selon qu’ils sont volontaires [voluntarii = adj. génitif].
  • Donc, bien plus encore, les passions elles-mêmes en tant qu'elles sont volontaires [voluntariae = adj. génitif], peuvent être dites bonnes ou mauvaises moralement (moraliter).

Et on les dit volontaires,

  • ou parce qu’elles sont commandées (imperantur) par la volonté,
  • ou parce que la volonté n’y fait pas obstacle (non prohibentur).

(I-II.q24a1)

Passiones animae dupliciter possunt considerari,

  • uno modo, secundum se;
  • alio modo, secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis.

Si igitur secundum se considerentur, prout scilicet sunt motus quidam irrationalis appetitus, sic non est in eis bonum vel malum morale, quod dependet a ratione, ut supra dictum est.

Si autem considerentur secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis, sic est in eis bonum et malum morale.

  • Propinquior enim est appetitus sensitivus ipsi rationi et voluntati, quam membra exteriora; quorum tamen motus et actus sunt boni vel mali moraliter, secundum quod sunt voluntarii.
  • Unde multo magis et ipsae passiones, secundum quod sunt voluntariae, possunt dici bonae vel malae moraliter.

Dicuntur autem voluntariae

  • vel ex eo quod a voluntate imperantur,
  • vel ex eo quod a voluntate non prohibentur.

 

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1. Les passions ne sont pas en elles-mêmes morales, comme un bras ou une jambe ne le sont également pas, mais, en tant qu'elle sont sous le commandement de la raison et de la volonté, etc....

2. Noter que la passion chez l'homme semble toujours avoir une dimension morale puisque, laissée à elle-même, elle fait sortir l'homme de la moralité en le ramenant à l'ordre sensible. Or l'ordre sensible, chez l'homme, devrait toutjours être ou commandé ou agréé par la volonté. Mais est-ce bien vrai  ? Comme certains mouvements de nos membres extérieurs sont indifférents (comme se gratter la barbe), de la même manière le mouvement d'une passion ne pourrait-il pas lui aussi être indifférent ? Il semble néanmoins qu'il faille toujours au moins assumer nos passions pour les garder sur un plan moral, ainsi nos passions ne devraient pas être laissées à elle-même dans l'indifférence.

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Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

- La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

  • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

 

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

------- [Dans le monde physique] -------

Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

  • premièrement, il lui donne une forme ;
  • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

  • la pesanteur,
  • et le mouvement que celle-ci entraîne.

Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

  • nam primo quidem dat formam,
  • secundo autem dat motum consequentem formam;

sicut generans dat corpori

  • gravitatem,
  • et motum consequentem ipsam.

Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

------- [Dans le monde des passions] -------

De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

  • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
  • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

  • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
  • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
  • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

  • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
  • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
  • et enfin le repos, qui est joie.

Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

  • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
  • ex qua sequitur motus ad appetibile.

Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

  • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
  • et appetitus tendit in appetibile
  • realiter consequendum,

ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

  • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
  • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
  • et ultimo quies, quae est gaudium.
Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

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1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens sea été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif... voir l'explication donnée ici.

4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q27a1ad3 - Le beau est identique au bien

Le beau est identique au bien ; seule la raison diffèrre1(sola ratione differens)

Le bien étant ce que « tous appètent [= désirent] »,

  • il [relève] à la ratio boni que d'être un repos pour l'appétit, 
  • tandis qu’il relève de la ratio pulchri que d'être un repos pour l'appétit quant à sa vue ou quant à sa connaissance [= la vue et la connaissance du bien].

C’est pourquoi les sens les plus intéressés par la beauté sont ceux qui procurent le plus de connaissances, comme la vue et l’ouïe mises entièrement au service (deservientes) de la raison ; nous parlons, en effet, de beaux spectacles et de belles musiques. Les objets des autres sens n’évoquent pas l’idée de beauté : nous ne disons pas belles les saveurs ou belles les odeurs.

Cela montre bien que le beau ajoute (addit) au bien un certain ordre à la puissance connaissante ; 

  • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter) ;
  • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension

(Somme, I-II.q27a1ad3)

Pulchrum est idem bono, sola ratione differens. Cum enim bonum sit quod omnia appetunt, 

  • de ratione boni est quod in eo quietetur appetitus,
  • sed ad rationem pulchri pertinet quod in eius aspectu seu cognitione quietetur appetitus.

Unde et illi sensus praecipue respiciunt pulchrum, qui maxime cognoscitivi sunt, scilicet visus et auditus rationi deservientes, dicimus enim pulchra visibilia et pulchros sonos. In sensibilibus autem aliorum sensuum, non utimur nomine pulchritudinis, non enim dicimus pulchros sapores aut odores.

Et sic patet quod pulchrum addit supra bonum, quendam ordinem ad vim cognoscitivam,

  • ita quod bonum dicatur id quod simpliciter complacet appetitui;
  • pulchrum autem dicatur id cuius ipsa apprehensio placet.

1 Au lieu de : « leur seule différence procède d’une vue de la raison ».

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1. -- A noter cette question de vocabulaire chez Thomas : le bien complaît à l'appétit, le beau plaît à l'appréhension. On voit ailleurs que la complaisance est au niveau de l'amour affectif, c'est à dire le tout premier moment de l'amour. A distinguer du terme quand l'amour devient effectif.

2. -- Le bien est donc davantage objet de l'appétit (sensible - vue - ; ou spirituel - connaissance -) ; le beau, davantage objet de l'appréhension, c'est à dire de l'intellect, de l'intelligence.

3. -- Il y a donc dans le bien une dimension qui satisfait, qui vonvient, à la connaissance. Lorsqu'il s'agit d'un acte moralement mauvais, c'est cependant sous un aspect secondairement bon que l'intelligence y trouvera quelque chose de beau. Chez Arsène Lupin, rompu à l'art du vol, son vol pourra être trouvé beau dans l'exercice, dans la réalisation de son vol, pas quant au vol lui-même. C'est ce en quoi le vol comporte une part de bien qu'on trouvera le vol beau.

4. -- On se rappelle qu'il y a trois dimensions du bien dans la ratio boni, reprises d'Augustin, l'espèce, l'ordre, le mode. Ici Thomas évoque une dimension d'ordre qui établit une relation entre le bien et la puissance connaissante.

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Thomas d'Aquin - I-II.q28a2 - L'inhésion affective comme effet de l'amour

Inhaesio : traduit tantôt par "existence mutuelle en autrui", tantôt par "inhabitation" ; il s'agit à la fois d'une présence de l'être aimé en soi et d'une présence de soi dans l'être aimé. On a pris le parti de le traduire ici par inhésion, mot maintenant inusité mais fidèle au texte. Voir ici et ici. Pas de solution idéale.

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L'inhésion mutuelle est-elle un effet de l'amour ?

Cet effet d'inhésion mutuelle, peut être compris (intelligi) quant à la puissance appréhensive et quant à la puissance appétitive.

[Quant à de la puissance appétitive]

En effet, quant à de la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il demeure (immoratur) dans l'appréhension de l'aimant ; selon ces mots de l'Apôtre (Ph 1, 17) : " je vous porte dans mon coeur."

[Quant à de la puissance appréhensive (la connaissance)]

Mais l'aimant est dit dans l'aimé selo l'appréhension en tant qu'il

  • ne se satisfait pas d'une connaissance superficielle de l'aimé
  • mais s'efforce
    • d’examiner en profondeur chaque aspect qui concerne l’aimé,
    • et ainsi il pénètre à l’intérieur de celui-ci.

C'est le sens de ces mots appliqués à l'Esprit Saint, qui est l'Amour de Dieu: "Il scrute même les profondeurs de Dieu" (1 Co 2, 10).

*     *     *

Utrum mutua inhaesio sit effectus amoris ?

Iste effectus mutuae inhaesionis potest intelligi et quantum ad vim apprehensivam, et quantum ad vim appetitivam.

[]

Nam quantum ad vim apprehensivam amatum dicitur esse in amante, inquantum amatum immoratur in apprehensione amantis; secundum illud Philipp. I, eo quod habeam vos in corde.

[]

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans

  • non est contentus superficiali apprehensione amati,
  • sed nititur
    • singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere,
    • et sic ad interiora eius ingreditur.

Sicut de spiritu sancto, qui est amor Dei, dicitur, I ad Cor. II, quod scrutatur etiam profunda Dei.

*     *     *

[1. L'aimé est dans l'aimant]

Mais quant à la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il est par une certaine complaisance dans son affect [~ son coeur],

  • si bien qu'il se délecte de l'aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ;
  • s'ils sont absents, son désir se porte
    • vers l'aimé lui-même par l'amour de concupiscence,
    • ou vers les biens qu'il lui veut par l'amour d'amitié.

Et

  • ce n'est pas en raison de quelque cause d'extrinsèque, comme 
    • lorsqu'on désire une chose à cause d'une autre,
    • ou que l'on veut du bien à quelqu'un en vue d'autre chose,
  • mais à cause de la complaisance pour l'aimé la plus intérieurement enracinée (interius radicatam). C'est pour cela que l'amour est dit ce qui est le plus au-dedans (intimus) et que l'on parle des "entrailles de la charité".

*     *     *

Sed quantum ad vim appetitivam, amatum dicitur esse in amante, prout est per quandam complacentiam in eius affectu,

  • ut vel delectetur in eo, aut in bonis eius, apud praesentiam;
  • vel in absentia, per desiderium tendat
    • in ipsum amatum per amorem concupiscentiae;
    • vel in bona quae vult amato, per amorem amicitiae;
  • non quidem ex aliqua extrinseca causa, sicut
    • cum aliquis desiderat aliquid propter alterum,
    • vel cum aliquis vult bonum alteri propter aliquid aliud;
  • sed propter complacentiam amati interius radicatam. Unde et amor dicitur intimus; et dicuntur viscera caritatis.

*     *     *

[2. L'aimant est dans l'aimé]

Réciproquement, l'aimant est dans l'aimé, mais différemment selon qu'il y a amour de concupiscence ou amour d'amitié.

  • En effet, l'amour de concupiscence
    • ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l'aimé,
    • mais cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime.
  • Dans l'amour d'amitié, au contraire, l'aimant est dans l'aimé en ce sens qu'il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de sorte que lui-même, en son ami, semble
    • pâtir les biens et les maux
    • et être affecté des biens et des maux.

C'est pour cela que, d'après Aristote, il est propre aux amis

  • de "vouloir les mêmes choses,
  • et de s'attrister et de se réjouir dans les mêmes choses".

*

E converso autem amans est in amato aliter quidem per amorem concupiscentiae, aliter per amorem amicitiae.

  • Amor namque concupiscentiae
    • non requiescit in quacumque extrinseca aut superficiali adeptione vel fruitione amati,
    • sed quaerit amatum perfecte habere, quasi ad intima illius perveniens.
  • In amore vero amicitiae, amans est in amato, inquantum reputat bona vel mala amici sicut sua, et voluntatem amici sicut suam, ut quasi ipse in suo amico videatur
    • bona vel mala pati,
    • et affici.

Et propter hoc, proprium est amicorum

  • eadem velle,
  • et in eodem tristari et gaudere

secundum philosophum, in IX Ethic. et in II Rhetoric.

*

Ainsi donc,

  • en tant qu'il considère comme sien ce qui est à son ami, l'aimant semble exister en celui qu'il aime et être comme identifié à lui.
  • Au contraire, en tant qu'il veut et agit pour son ami comme (sicut) pour soi-même, le considérant comme (quasi) un (idem) avec soi, c'est l'aimé qui est dans l'aimant.

*     *     *

Ut sic,

  • inquantum quae sunt amici aestimat sua, amans videatur esse in amato, quasi idem factus amato.
  • Inquantum autem e converso vult et agit propter amicum sicut propter seipsum, quasi reputans amicum idem sibi, sic amatum est in amante.

*     *     *

[3ème manière]

Il y a une troisième manière d'entendre cette mutuelle inhésion par l'amour d'amitié, c'est celle de l'amour qui répond à l'amour, en tant que

  • mutuellement les amis s'aiment (mutuo),
  • et l'un à l'autre (invicem) 
    • se veulent (volunt) de bonnes choses
    • et font (operantur) de bonnes choses.

(Somme, I-II.q28a2)

Potest autem et tertio modo mutua inhaesio intelligi in amore amicitiae, secundum viam redamationis, inquantum

  • mutuo se amant amici,
  • et sibi invicem bona
    • volunt
    • et operantur.

 

VOIR AUSSI LA REPONSE TRES SYNTETIQUE A L'ARGUMENT 1 DU MÊME ARTICLE

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

2. Complacentiam : de complaceo, "plaire en même temps, concurremment" (Gaffiot). Que signififie le préfixe "com" dans le mot complaisance ? A quoi se rapporte le "en-même temps" ? Pourquoi dit-on se complaire dans l'ami en tant qu'il affecte notre appétit plutôt que se plaire en l'ami en tant qu'il affecte notre appétit ? Se complaire en quelque chose, se plaire en quelque chose, quelle différence ?

Voir I-II.q27a1ad3

"Le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante (vim cognoscitivam)

    • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter)
    • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension"

Premier élément de réponse : on doit pouvoir dire que l'amour affectif est source de complaisance alors que l'amour effectif est source de plaisir/joie. La complaisance serait alors le plaisir intentionnel, la chose nous a affecté et nous aimons ce en quoi elle nous affecte et cela à pour effet une complaisance. Nous aimons la chose ou la personne aimée en tant qu'elle réside en nous, en tant qu'elle a donné lieu à une modification (affect-ion) en nous, et nous aimons cette modification. La chose a fait quelque chose en nous (adficio --> ad-facio, d'où vient le mot affection). Cette chose qui s'est faite en nous, l'affect, est liée à la chose qui affecte, le lien n'est pas rompu, mais l'affect est dans le ressenti de la chose aimée.

C'est pour cette raison que la complaisance, dans la signification dans laquelle elle nous est parvenue, comporte un aspect péjoratif en cela qu'elle porte en elle une possibilité d'en rester à ce "ressenti" en relativisant la chose qui est à la source de ce sentir intérieur. C'est pourquoi un véritable amour n'en reste pas au stade affectif mais naturellement se porte par le désir au bien réel, à la chose aimée en tant qu'elle existe indépendamment de moi et que je veux rejoindre réellement.

Et lorsque la chose aimée ou la personne aimée est aimée dans sa réalité, alors il y a plaisir/joie. On ajoute alors à l'unité intérieure dans laquelle l'aimé est en soi, une unité qui découle d'une sortie de nous-même pour demeurer en l'autre, l'autre réel. L'autre réel continuant de nous toucher intérieurement, mais en raison même de ce toucher intérieur nous projette vers lui pour y demeurer, d'où le mot d'Aristote rapporté par Thomas : l'amour est circulaire. L'analyse de Thomas est d'un très grand réalisme, car c'est en effet de cette manière que nous expérimentons et que nous vivons l'amour.

La complaisance a une cause immédiate intérieure ; le plaisir/joie a une cause extérieure ; les deux se vivant de fait de manière mêlée, à cause du cercle.

°°° ~ ~ La chose belle en tant qu'elle est belle plaît car elle reste extérieure du fait que la connaissance nécessite la présence de la chose connue. ~ ~

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad1 - Le corps lui-même peut se mettre entièrement au service des réalités spirituelles - SUBLIME

 

  • L'appétit de la sagesse
  • ou des autres biens spirituels

est appelé parfois concupiscence (concupiscentia),

  • soit à cause d'une certaine ressemblance (similitudinem) entre appétit supérieur et appétit inférieur ;
  • soit à cause de l'intensité (intensionem) de l'appétit supérieur qui rejaillit sur l'inférieur ;

de sorte que

  • celui-ci tend à sa manière (suo modo tendat) vers le bien spirituel à la suite de l'appétit supérieur,
  • et le corps (corpus) lui-même se met entièrement au service des [biens] spirituels. Comme il est écrit dans le Psaume (84, 3) : "Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant." 

(I-II.q30a1ad1)

Appetitus sapientiae,

  • vel aliorum spiritualium bonorum,
  • interdum concupiscentia nominatur,
  • vel propter similitudinem quandam,
  • vel propter intensionem appetitus superioris partis, ex quo fit redundantia in inferiorem appetitum,

ut simul

  • etiam ipse inferior appetitus suo modo tendat in spirituale bonum consequens appetitum superiorem,
  • et etiam ipsum corpus spiritualibus deserviat; sicut in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum. 

1. -- Gaffiot : dēservĭō, īre, intr., servir avec zèle, se dévouer à, se consacrer à : alicui Cic. Fam. 16, 18, 1, servir qqn avec dévouement ; vigiliæ deserviunt amicis Cic. Sulla 26, mes veilles sont entièrement consacrées au service de mes amis ; corpori Cic. Leg. 1, 39, être l’esclave de son corps || [fig.] être destiné à, consacré à : nec unius oculis flumina, fontes, maria deserviunt Plin. Min. Pan. 50, 1, les fleuves, les fontaines, les mers ne sont pas faits pour les yeux d’un seul.

2. -- De la part de Thomas, cette vision du corps est extraordinairement positive, comparée à la vue manichéenne souvent invoquée dans la distinction corps/esprit. Pour Thomas, la création a été faite entièrement bonne, et il s'agit de retrouver l'entièreté de l'orientation au bien de tous les éléments qui composent cette création. Comme les éléctrons d'un objet métallique peuvent être tous "orientés" de manière à le rendre mlagnétique, comme l'intégralité des tournesols dans un champs sont orientés vers le Soleil... "Un Bien pour les gouverner tous", pour paraphraser Tolkien... Comme le mat du chapiteau donne tout son sens aux parties du chapiteau. Une fois entré dans cette perspective, il est difficile d'entendre les opinions selon lesquelles l'homme est fondamentalement mauvais, etc... 

3. -- Voir toutes les conséquences dans l'unité de l'humanité du Christ. Et voir comment dans le vrai Dieu et vrai homme tout cela était tenu en un même être.

4. -- Comme dans d'autres passages (DeVer.q24a9ad1 ; DeVer.q26a7 ; I-II.q24a3 I-II.q24a3ad1), on sent toute la vie de Thomas tendue vers le spirituel. On sent qu'il a expérimenté ce qu'il écrit là. Dans son travail intelletcuel notamment, lorsqu'il réduisait son temps de sommeil, l'intensité du désir de sagesse faisait en quelque sorte se mouvoir le corps de Thomas. Un peut comme un "lève-toi et march"... La simplicité du désir spirituel qui inonde jusqu'à la complexité du corps. Thomas est très ferme sur ce point, le spirituel emmène avec lui le corps, la personne humaine est une, on ne peut laisser aller son esprit sans que le corps ne le suive. Notons bien que dans ce passage, ce n'est pas le corps qui de lui-même apporte à l'esprit mais bien l'inverse. Le corps peut être réjoui à cause de l'appétit des biens spirituels comme par capilarité. Autant de points que l'on peut vérifier nous-mêmes par l'expérience.

5. -- Il peut aussi en aller dans l'autre sens, une oeuvre d'art peut, par les sens, dégager un objet spirituel et réveiller ainsi un appétit spirituel. C'est ce que Thomas, à la suite d'Augustin, affirme à propos des chants cf. II-II.q91a2)

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad2 - Qu'est-ce que le désir à proprement parler ?

Le désir (desiderium) peut davantage relever (magis pertinere), à proprement parler, non seulement de l'appétit inférieur mais aussi du supérieur. En effet, il n'implique pas, comme la concupiscence (concupiscentia), une certaine multiplicité associée dans le fait de convoiter (aliquam consociationem cupiendo) mais un mouvement simple vers la chose désirée (desideratam).

(Somme, I-II.q30a1ad2)

Desiderium magis pertinere potest, proprie loquendo, non solum ad inferiorem appetitum, sed etiam ad superiorem. Non enim importat aliquam consociationem in cupiendo, sicut concupiscentia; sed simplicem motum in rem desideratam.

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Très intéressant car la notion d'association autour du désir sensible explique le préfixe "con" de concupiscence. C'est une expérience sensible au cours de laquelle un faisceau d'éléments distincts trouvés dans un certain bien sensible suscite en nous une attraction sensible. Il y a donc quelque chose d'aveugle dans le désir sensible (concupiscence) qu'on ne fait en partie que constater, les raisons pour lesquelles nous sommes attirés sensiblement par une réalité sensible ne sont pas toujours très claires. Alors que dans le désir (lorsque le terme est proprement employé, c'est à dire comme appétit spirituel), l'attraction est exercée par un objet simple. L'objet étant d'autant plus facile à discerner qu'il est simple, il en découle un désir plus simple, plus pur (pas au sens moral), plus limpide. Ce n'est pas seulement à cause de ce qu'est la chose spirituelle désirée, mais parce qu'une chose, en tant qu'elle est spirituelle, est simple. La concupiscence hérite de la complexité des éléments matériels dont est fait le corps. C'est une des causes pour lesquelles la concupiscence s'exerce souvent dans un certain chaos. Une autre cause se trouve lorsque le désir sensible persévère malgré le jugement de la raison. 

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a2ad1 - Il n'y a désir que de choses absentes

 

Le bien délectable (delectabile) n’est pas absolument objet de concupiscence [= désir sensible], mais [seulement] sous la raison du fait d'être absent (sub ratione absentis).

(Somme, I-II.q30a2ad1)

Bonum delectabile non est absolute obiectum concupiscentiae, sed sub ratione absentis.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q36a4 - L'appétit naturel d'unité est cause de souffrance, tout comme l'appétit du bien

  • Tout être désire naturellement l’unité

 

 
  • Le bien en n'importe quelle chose (rei) consiste en une certaine unité, selon que chaque chose (res) tient unis en soi les [éléments] de sa perfection ;
    • d'où les platoniciens posaient que l’un était principe, tout comme le bien.
  • D'où, chaque [chose] appète [= désire] naturellement l'unité, tout comme la bonté.
  • Et c’est pour cela que, comme l'amour ou l'appétit du bien est cause de douleur, de même l'amour ou l'appétit de l'unité.

(Somme, I-II.q36a4)

  • Bonum enim uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit, prout scilicet unaquaeque res habet in se unita illa ex quibus consistit eius perfectio,
    • unde et platonici posuerunt unum esse principium, sicut et bonum.
  • Unde naturaliter unumquodque appetit unitatem, sicut et bonitatem.
  • Et propter hoc, sicut amor vel appetitus boni est causa doloris, ita etiam amor vel appetitus unitatis. 

 

 

 

 

D'où la douleur n’est pas causée par l'appétit de n’importe quelle unité, mais de celle en laquelle constitue la perfection de la nature.

 (Somme, I-II.q36a4ad1)

Unde dolor non causatur ex appetitu cuiuslibet unitatis, sed eius in qua consistit perfectio naturae.

 

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q38a1 - La tristesse est un état "non naturel", maladif, qui fatigue

  • La tristesse fatigue, elle est comme une maladie de l'appétit

... D'où

  • comme la délectation [= plaisir, joie] est à l'égard de la tristesse
    • dans les mouvements de l’appétit,
  • ainsi ce qu'est le repos à la fatigue
    • dans les mouvements corporels,

[fatigue] qui provient de quelque transmutation non naturelle (innaturali), car la tristesse elle-même

  • [implique] une certaine fatigue
  • ou implique (importat) un état maladif de la puissance appétitive

(Somme, I-II.q38a1) 

... Unde

  • sic se habet
    • delectatio ad tristitiam
    • in motibus appetitivis,
  • sicut se habet
    • in corporibus
    • quies ad fatigationem,

quae accidit ex aliqua transmutatione innaturali, nam et ipsa tristitia

  • fatigationem quandam,
  • seu aegritudinem appetitivae virtutis importat.

La tristesse fatigue car elle est le signe que le bien désiré n'a pas été atteint, cette incomplétude de l'appétit plonge dans la division qui fatigue.

D'une certaine manière, ce n'est pas naturel d'être triste, nous ne sommes pas fait pour cela. La tristesse est comme un état de violence pour l'appétit.

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Comme si Thomas disait qu'il y a quelque chose dans la nature de naturellement non naturel, comme si la nature jouait naturellement contre elle-même. La fatigue est naturelle, mais du point de vue de ce que doit être le mouvement musculaire d'un individu dans son état de pleine forme, elle représente quelque chose qui s'oppose à la nature, de la même manière qu'un appétit qui ne trouve pas son terme quitte d'une certaine manière l'ordre naturel des choses.

Du côté de la joie, nous admettons qu'elle nous donne une grande force pour agir, contrairement à la tristesse qui n'est pas amie de l'action.

Analogiquement, on parlera donc d'un appétit fatigué. On dira que la tristesse produit les mêmes effets dans la dimension appétitive de notre être que la fatigue physique dans le corps : l'arrêt ou la diminution du mouvement. Comme la fatigue empêche l'exercice physique, la tristesse empêche la re-mise en mouvement vers un bien extérieur à atteindre.

Thomas termine en disant que cette fatigue de l'appétit pourrait aussi se comprendre par le terme de "maladie", la tristesse serait ainsi une maladie de l'appétit.

Après avoir dit ce qu'elle était (ce que nous ressentons en l'absence du bien), Thomas se livre ici à une forme de description expérimentale, presque psychologique, de la tristesse.

Être triste est fatiguant.

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Thomas d'Aquin - I.59a1 - On ne peut aimer spirituellement qu'à travers l'aide de l'intellect qui permet de saisir la ratio boni et de juger ce qu'on aime pour l'aimer pour ce qu'il est - UN SOMMET

On ne peut comprendre immédiatement ce passage. Bien lire le commentaire.

[1. L'appétit naturel]

Certains [êtres] sont inclinés au bien par la seule disposition (habitudinem) de la nature, sans connaissance, comme les plantes et les corps inanimés.

Et une telle inclination au bien est appelée appétit naturel.

[2. L'appétit sensible]

Certains [êtres] sont inclinés au bien avec une certaine connaissance,

  • non qu’elles connaissent la ratio boni elle-même [= la raison de bien, la notion universelle de bien],
  • mais connaissent un certain bien particulier ;
    • comme le sens, qui connaît le doux, le blanc, etc.

L'inclination qui suit cette connaissance est dîte appétit sensitif.

[3. L'appétit intellectuel ; entendre "appétit volontaire"]

Certains autres [êtres] sont inclinés au bien avec une connaissance par laquelle ils connaissent la ratio boni elle-même, ce qui est le propre de l'intellect. [ --> rien d'autre que l'intellect ne peut saisir une ratio, par abstraction chez les hommes, par saisie directe chez les anges]

Et ceux-là sont inclinés vers le bien de la façon la plus parfaite (perfectissime) ;

  • car ils ne sont pas, comme (quasi) par un autre, seulement [inclinés] directement au bien,
    • comme il arrive aux êtres à qui manque la connaissance ; [= appétit naturel]
  • ni au bien de manière particulière seulement
    • comme les êtres doués de connaissance sensible ;
  • mais ils sont comme (quasi) inclinés vers le bien universel lui-même.
    • Et cette inclination est dite « volonté ».

C’est pourquoi, puisque les anges appréhendent par leur intelligence la raison universelle de bien, il est manifeste qu’il y a en eux une volonté.

(Somme, I.59a1)

[1.]

Quaedam enim inclinantur in bonum, per solam naturalem habitudinem, absque cognitione, sicut plantae et corpora inanimata.

Et talis inclinatio ad bonum vocatur appetitus naturalis.

[2.]

Quaedam vero ad bonum inclinantur cum aliqua cognitione;

  • non quidem sic quod cognoscant ipsam rationem boni,
  • sed cognoscunt aliquod bonum particulare;
    • sicut sensus, qui cognoscit dulce et album et aliquid huiusmodi.

Inclinatio autem hanc cognitionem sequens, dicitur appetitus sensitivus.

[3.]

Quaedam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem; quod est proprium intellectus. 

Et haec perfectissime inclinantur in bonum;

  • non quidem quasi ab alio solummodo directa in bonum,
    • sicut ea quae cognitione carent; 
  • neque in bonum particulariter tantum,
    • sicut ea in quibus est sola sensitiva cognitio;
  • sed quasi inclinata in ipsum universale bonum.
    • Et haec inclinatio dicitur voluntas.

Unde cum angeli per intellectum cognoscant ipsam universalem rationem boni, manifestum est quod in eis sit voluntas.

 

-----

Voir aussi ici.


1. -- Bien faire attention a chaque fois que TH. parle de ratio boni, le sujet est delicat. Car on n'aime en effet pas un universel, une notion, mais toujours tel bien existant. Toutefois on ne l'aime pas uniquement comme on aime particulièrement un être particulier ! - Cela demande un peu de finesse ici, mais c'est tès grisant intellectuellement à comprendre. - Sans la ratio boni je ne peux voir les divers plans de biens, le plan du bien naturel, le plan du bien sensible, le plan du bien spirituel. A chaque fois on touche le bien, ce qui me permet, bien que les plans soient différents, d'abstraire la notion commune de bien, ce qu'au Moyen-Âge on appelle ratio boni. Ayant la capacité de voir le bien partout où il se trouve, je peux les ordonner entre eux, je peux voir qu'un bien spirituel est supérieur à un bien sensible. Aimer spirituellement une personne n'est pas la même chose que l'aimer pour ses qualités sensibles, physiques, etc. Et cela se fait nécessairement avec le concours de l'intellect. La volonté, comme volonté, ne peut abstraire ; mais, dans l'expérience volontaire, c'est à dire dans l'expérience de mon appétit spirituel pour le bien spirituel, je fais appelle à mon intellect pour distinguer mon attraction au bien spirituel de mon attraction au bien sensible. En jugeant qu'un bien sensible et un bien spirituel sont tous les deux des biens, je vois par la même occasion ce qui les différencie l'un de l'autre. Grâce au commun saisi par la ratio boni, je distingue comme par soustraction ce qui reste : leur différence, qualités sensibles d'un côté, qualité spirituelle de l'autre. Et c'est alors en le connaissant et en le jugeant pour ce qu'il est, que j'aime spirituellement un bien en ce qu'il a de spirituel. - Ce qui n'exclue pas les autres plans, comme le souligne TH. au moment où il parle des passions qui peuvent/doivent être assumées, "emmenées", dans l'acte d'amour spirituel.

2. -- Quand Thomas parle d'inclination vers le bien universel lui-même, il faut bien notre le quasi. : "quasi inclinata in ipsum universale bonum". Il ne faut pas entendre que l'appétit volontaire se porte vers l'idée en soi du bien mais que dans tel bien elle discerne que c'est un bien. Elle est capable de juger que ce bien est un bien et un bien spirituel aimable spirituellement. Thomas n'est pas ici platonicien, il ne dit pas qu'il faut aimer la ratio boni.

3. -- A distinguer de la quête universelle du bonheur, voir par exemple ici.

4. -- A noter : ce qu'est le propre de l'intellect : appréhender la ratio d'une chose, ce qu'est une chose... "Ceci est un bien".

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Thomas d'Aquin - I.q62a8 - On ne veut et n'agit toujours qu'en vue du bien

 

Il est impossible que

  • quelqu'un veuille ou opère [= agisse] quoi que ce soit, si ce n'est pour tendre au bien ;
  • ou qu'il veuille se détourner du bien, en tant que tel (inquantum huiusmodi).

(Somme, I.q62a8)

Impossibile est autem

  • quod aliquis quidquam velit vel operetur, nisi attendens ad bonum;
  • vel quod velit divertere a bono, inquantum huiusmodi.

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1 - La prudence c'est voir au loin les incertitudes et confronter les possibles en vue de l'action à poser

Comme dit Isidore : "Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin (porro videns) ;

  • il est perspicace en effet
  • et voit les cas incertains."

Or, la vision n'est pas une puissance appétitive mais une puissance cognitive. D'où Il est manifeste que la prudence relève directement d'une puissance cognitive.

  • Non toutefois d'une puissance [cognitive] sensitive :
    • parce que par elle en effet sont connues seulement les choses présentes et offertes aux sens.
  • Tandis que connaître le futur à partir du présent et du passé, ce qui est le fait de la prudence, est propre à la raison ;
    • parce que cette action est posée par une certaine collation [= confrontation].

D'où il reste que la prudence est proprement dans la raison.

(Somme, II-II.q47a1)

Sicut Isidorus dicit, in libro Etymol., prudens dicitur quasi porro videns,

  • perspicax enim est,
  • et incertorum videt casus.

Visio autem non est virtutis appetitivae, sed cognoscitivae. Unde manifestum est quod prudentia directe pertinet ad vim cognoscitivam.

  • Non autem ad vim sensitivam,
  • quia per eam cognoscuntur solum ea quae praesto sunt et sensibus offeruntur.
  • Cognoscere autem futura ex praesentibus vel praeteritis, quod pertinet ad prudentiam, proprie rationis est, quia hoc per quandam collationem agitur.

Unde relinquitur quod prudentia proprie sit in ratione.

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 1. Bien noter la référence à la collation, utiliser par ailleurs par TH. pour parler de l'oeuvre du libre arbitre.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a16 - Commander, c'est l'application d'une connaissance à l'appétit et à l'opération ...

  • ... et c'est l'acte principal de la prudence

(...)

La prudence ne consiste pas

  • dans la seule raison,
  • mais aussi dans l'appétit,

parce que, nous l'avons dit, son acte principal

  • est de commander,
  • ce qui revient à appliquer une connaissance à l'appétit et à l'opération.

(...)

(Somme, II-II.q47a16)

(...)

Sed prudentia non consistit

  • in sola cognitione,
  • sed etiam in appetitu,

quia ut dictum est, principalis eius actus

  • est praecipere,
  • quod est applicare cognitionem habitam ad appetendum et operandum.

(...)

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a16ad3 - On n'oublie la prudence qu'indirectement

La prudence consiste principalement

  • non dans la connaissance des [principes] universels
  • mais dans leur application aux actes, on vient de le dire.

Et c'est pourquoi l'oubli de la connaissance universelle

  • ne corrompt pas ce qu'il y a de principal dans la prudence,
  • mais lui porte quelque empêchement, on vient de le dire.

(Somme, II-II.q47a16ad3)

Prudentia principaliter consistit

  • non in cognitione universalium,
  • sed in applicatione ad opera, ut dictum est.

Et ideo oblivio universalis cognitionis

  • non corrumpit id quod est principale in prudentia,
  • sed aliquid impedimentum ei affert, ut dictum est.

 


1.

Objection :les premiers principes pratiques s'imposent à nous, comment pourraient-ils s'oublier ?

Essai de réponse : Ce ne sont pas les premiers principes que nous oublions mais la science acquise à partir d'eux. Aussi bien le traducteur qui s'est permis d'ajouter le terme "principes" semble conduire à une incompréhension. Dans le corps de l'article, TH. parle explicitement de l'oubli d'un art ou d'une science, ce qui amène à penser qu'il aurait mieux valu ajouter, s'il fallait ajouter, le terme "conclusions" plutôt que le terme "principes". -- Pour ce qui concerne la prudence, on aurait ici l'oubli de la pratique du conseil. Si l'habitus de conseil est perdu, la prudence sera empêchée dans son acte principal de commandement et d'application.

Voir : 

L’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis)(DeVer.q24a1ad17)

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad1 - Quel lien entre amour et prudence ?

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

La volonté meut toutes les puissances à leurs actes. Or, le premier acte de la  puissance appétitive est l'amour, comme on l'a dit plus haut. Ainsi donc la prudence est dite amour,

  • non pas essentiellement,
  • mais en tant que l'amour meut à l'acte la prudence. 

Aussi S. Augustin ajoute-t-il à la suite que "la prudence est un amour discernant bien (bene discernens)

  • ce qui l'aide à tendre vers Dieu
  • de ce qui peut l'en empêcher".

Et l'amour est dit discerner, en tant qu'il meut la raison au discernement.

(Somme, II-II.q47a1ad1)

Voluntas movet omnes potentias ad suos actus. Primus autem actus appetitivae virtutis est amor, ut supra dictum est. Sic igitur prudentia dicitur esse amor

  • non quidem essentialiter,
  • sed inquantum amor movet ad actum prudentiae.

Unde et postea subdit Augustinus quod prudentia est amor bene discernens ea

  • quibus adiuvetur ad tendendum in Deum
  • ab his quibus impediri potest.

Dicitur autem amor discernere, inquantum movet rationem ad discernendum.

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1. En dernier lieu, bien noter la relation entre la prudence et la tension amoureuse vers Dieu.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad2 - La prudence regarde les moyens (les "ce en vue de la fin")

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

Le prudent considère

  • ce qui est loin en tant qu'ordonné
    • à une aide
    • ou à un empechement
  • envers ce qui est présentement amené dans l'action.

D'où il est patent que

  • ce qui est considérée par la prudence
  • est ordonné à une autre [chose] comme à sa fin.

Or, pour les [choses] qui sont en vue d'une fin [= les moyens]

  • il y a le conseil dans la raison,
  • et l'élection dans l'appétit.

De ces deux [actes],

  • le conseil relève plus proprement de la prudence :
    • le Philosophe dit en effet que le prudent "délibère bien".
  • Mais parce que l'élection présuppose le conseil
    • elle est en effet "l'appétit de ce qui a été préalablement délibéré (praeconsiliati)", selon Aristote,

l'acte d'élire peut encore (etiam) être attribué de façon logique (!!) conséquemment à la prudence, en ce sens que par le conseil elle dirige l'élection.

(Somme, II-II.q47a1ad2)

Prudens considerat

  • ea quae sunt procul inquantum ordinantur
    • ad adiuvandum
    • vel impediendum
  • ea quae sunt praesentialiter agenda.

Unde patet quod

  • ea quae considerat prudentia
  • ordinantur ad alia sicut ad finem.

Eorum autem quae sunt ad finem est

  • consilium in ratione
  • et electio in appetitu.

Quorum duorum

  • consilium magis proprie pertinet ad prudentiam,
    • dicit enim philosophus, in VI Ethic., quod prudens est bene consiliativus.
  • Sed quia electio praesupponit consilium,
    • est enim appetitus praeconsiliati, ut dicitur in III Ethic.;

ideo etiam eligere potest attribui prudentiae consequenter, inquantum scilicet electionem per consilium dirigit.

 -----

1.

La prudence s'enquiert des choses futures en vue des actions présentes à poser. Donc d'un côté un relatif et de l'autre une fin. La prudence s'occupe d'une chose médiate, les moyens.

Or, dans l'activité humaine, lorsqu'on en arrive à l'étape des moyens, deux actes entrent en jeu : le conseil (quel moyen ?) et l'élection (le moyen retenu). C'est un moment dans lequel l'appétit volontaire sous-traite à la raison la phase qui va permettre de retirer à la personne sa liberté face à la diversité des moyens : après le conseil on n'est plus libre d'opter pour tel ou tel moyen (d'où dé-libération). Au moment où il y a choix, la phase libre arbitre est derrière soi. Ce qui est intéressant puisqu'on voit d'habitude la liberté dans le choix alors qu'elle est plutôt dans le conseil [REFLECHIR ENCORE LA-DESSUS]. Quand il n'y a plus qu'un moyen, on le considère comme un bien, donc est davantage objet de l'appétit. Mais, dit TH., comme la raison a dû apporter son aide lors de la phase de conseil et que cet acte est maintenu dans la phase du choix, on peut aussi attribuer à la raison l'acte du choix. Ainsi l'acte d'élection est posé dans un acte appétitif soutenu par un acte de la raison.

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Thomas d'Aquin - Il y a déjà un certain plaisir dans le désir, mais plus encore dans l'espoir - I-II.q32a3ad3

L'amour et la concupiscence [= désir sensible] causent du plaisir. Car tout ce qui est aimé est délectable pour celui qui aime, du fait que l'amour est une sorte d'union ou de connaturalité de l'aimant et de l'aimé.

De même, tout objet de concupiscence est délectable à celui qui convoite (concupiscenti), la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation.

Cependant l'espoir, parce qu'il comporte une certaine certitude de la présence réelle [à venir] du bien délectable qu'on ne trouve ni dans l'amour ni dans la concupiscence, est dit cause de délectation plus que celle-ci.

Et même, plus que le souvenir (memoria), tourné vers ce qui a déjà passé.

(Somme,  I-II.q2a3ad3)

Etiam amor et concupiscentia delectationem causant. Omne enim amatum fit delectabile amanti, eo quod amor est quaedam unio vel connaturalitas amantis ad amatum.

Similiter etiam omne concupitum est delectabile concupiscenti, cum concupiscentia sit praecipue appetitus delectationis.

Sed tamen spes, inquantum importat quandam certitudinem realis praesentiae boni delectantis, quam non importat nec amor nec concupiscentia, magis ponitur causa delectationis quam illa.

Et similiter magis quam memoria, quae est de eo quod iam transiit.

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1. Noter la remarque "la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation" : sur le plan sensible passionnel, on désire surtout le plaisir procuré par le bien, alors que sur le plan spirituel, on désire surtout le bien qui nous procure du plaisir. Si l'amour instinctif est essentiellement interne (cela vient de l'intérieur du vivant), l'amour passionnel s'ouvre à un premier niveau d'extériorité à travers le bien sensible. Mais c'est avec le bien spirituel qu'est atteint une véritable sortie de soi, un véritable détournement de l'égo. On se détourne de soi pour être intièrement tourné vers l'autre.

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Thomas d'Aquin - Imagination et passions

Mais contre cela, il y a ce que dit Damascène, lorsqu'il décrit les passions animales : "La passion est un mouvement de l'appétit sensible se portant sur le bien ou sur le mal présent dans l'imagination. Et encore : La passion est un mouvement de l'âme irrationnelle à l'appréhension du bien et du mal". (Somme, I-II, q. 22, a. 3, s.c.)

Sed contra est quod dicit Damascenus, in II libro, describens animales passiones, passio est motus appetitivae virtutis sensibilis in imaginatione boni vel mali. Et aliter, passio est motus irrationalis animae per suspicionem boni vel mali.

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Thomas d'Aquin - L'extase dans le Commentaire des Noms Divins (4.10.426-441)

Bien noter : 

  • l'induction du fait que l'amour est extatique qui montre que dès qu'il y a amour, il y a dans le même temps extase, sortie de soi

426. Après que Denys ait déterminé à propos de l’amour, ici, il détermine à propos de l’extase qui est un effet de l’amour et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre que l’extase est un effet de l’amour ;
  • deuxièmement, il manifeste cela dans les créatures, là où il dit (169) : Et elles montrent… ;
  • troisièmement, il manifeste cela en Dieu, là où il dit (171) : Osons dire…

426. Postquam Dionysius determinavit de amore, hic determinat de extasi quae est effectus amoris et circa hoc, tria facit :

  • primo, proponit extasim esse amoris effectum ;
  • secundo, manifestat hoc in creaturis ; ibi : et monstrant et cetera ;
  • tertio, manifestat hoc in Deo ; ibi : audendum et cetera.
[1. L'EXTASE EFFET DE L'AMOUR]  

427. Concernant le premier point, il faut considérer là une différence entre les puissances

  • cognitives
  • et appétitives,

à savoir que

  • car l'acte de la puissance cognitive se fait selon que ce qui est connu est dans le connaisasnt,
  • alors que l'acte de la puissance appétitive se fait selon l'inclination que l'appétit a envers ce qui est appété [désiré].

Mais la première opération de l’appétit est l’amour ainsi il a été dit plus haut (401), d’où il suit que l’amour porte en lui la première inclination de l’appétit dans la chose (rem) selon que cette dernière a raison de bien, lequel est l’objet de l’appétit.

427. Circa primum, considerandum est quod haec est differentia inter vim

  • cognoscitivam
  • et appetitivam,

quia

  • actus virtutis cognoscitivae est secundum quod cognita sunt in cognoscente,
  • actus autem virtutis appetitivae est secundum inclinationem quam habet appetens ad rem quae appetitur.

Prima autem operatio appetitus est amor, ut supra dictum est, unde amor importat primam inclinationem appetitus in rem secundum quod habet rationem boni, quod est obiectum appetitus.

428. Mais ainsi que l’être est dit de deux manières, c’est-à-dire

  • de ce qui subsiste par soi
  • et de ce qui existe dans un autre,

de même le bien se dit de deux manières :

  • d'une première manière, il est dit de la réalité subsistante qui a en elle un bien,
    • comme l’homme qui est dit bon ;
  • d'une autre manière, il est dit de ce qui existe en quelqu'un et qui le fait bon,
    • comme la vertu qui est dite bien de l’homme, par laquelle il est bon ;

de même le blanc est dite être (ens),

  • non parce que elle-même serait [une chose] subsistante dans son être,
  • mais ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc de deux manières que l’amour tend vers quelque chose :

  • d'une première manière, comme vers un bien substantiel,
    • ce qui en effet arrive comme lorsque (dum sic) nous aimons quelque chose de telle sorte (ut) que nous lui voulons du bien,
      • comme quand nous aimons un homme en lui voulant du bien ;
  • d'une autre manière, lorsque l’amour tend vers quelque chose, comme vers un bien accidentel,
    • par exemple nous aimons la vertu
      • non pas certes pour cette raison que nous voulons qu’elle soit bonne,
      • mais plutôt pour que grâce à elle nous soyons bons.
  • La première sorte d’amour, certains la nomment amour d’amitié
  • tandis qu’ils réservent pour la seconde le nom d’amour de concupiscence.

428. Sicut autem ens dupliciter dicitur, scilicet

  • de eo quod per se subsistit
  • et de eo quod alteri inest,

ita et bonum :

  • uno modo, dicitur de re subsistente quae habet bonitatem,
    • sicut homo dicitur bonus ;
  • alio modo, de eo quod inest alicui, faciens ipsum bonum,
    • sicut virtus dicitur bonum hominis, quia ea homo est bonus ;

similiter enim albedo dicitur ens,

  • non quia ipsa sit subsistens in suo esse,
  • sed quia ea aliquid est album.

Tendit ergo amor dupliciter in aliquid :

  • uno modo, ut in bonum substantiale,
    • quod quidem fit dum sic amamus aliquid ut ei velimus bonum,
      • sicut amamus hominem volentes bonum eius ;
  • alio modo, amor tendit in aliquid, tamquam in bonum accidentale,
    • sicut amamus virtutem,
      • non quidem ea ratione quod volumus eam esse bonam,
      • sed ratione ut per eam boni simus.
  • Primum autem amoris modum, quidam nominant amorem amicitiae ;
  • secundum autem, amorem concupiscentiae.

429. Il arrive (contingit) cependant parfois que nous aimions même certains biens subsistants d’un amour de concupiscence

  • parce que nous ne les aimons pas pour elles-mêmes,
  • mais pour ce qu’elles possèdent ;

c’est ainsi

  • que nous aimons le vin lorsque nous voulons, en le buvant, jouir de sa douceur ;
  • ou de manière similaire, avec un homme qui est aimé
    • à cause du plaisir
    • ou de l’utilité 
    • non pour lui-même
    • mais par accident,  (405).

429. Contingit autem, quandoque, quod etiam aliqua bona subsistentia amamus hoc secundo modo amoris,

  • quia non amamus ipsa secundum se,
  • sed secundum aliquod eorum accidens ;

sicut

  • amamus vinum, volentes potiri dulcedine eius ;
  • et similiter, cum homo
    • propter delectationem
    • vel utilitatem amatur,
    • non ipse secundum se amatur,
    • sed per accidens.

[Après un préambule, on commence ici à répondre à la question]

430. Ainsi donc, dans l'un et l'autre mode d’amour, l’affect de l’amant, par une certaine inclination, est attiré vers la chose aimée, mais selon divers modes :

  • car dans le deuxième mode d'amour [l'amour de concupiscence], l’affect de l’amant est attiré vers la chose aimée par un acte de la volonté, mais par [= à cause de] son intention, l’affect revient rapidement (recurrit)1 en lui-même (in seipsum) :

en effet, lorsque j'appète [= je désire] la justice ou le vin,

    • mon affect est incliné vers l’un de ces autres,
    • mais cependant il retourne rapidement (recurrit) en lui-même

parce qu’il se porte vers les choses susdîtes de telle manière que par elles il lui arrive (sit) un bien  ;

c’est pourquoi un tel amour ne place pas l’amant à l'extérieur de lui-même (extra se), quant à [= en raison de] la fin de l'intention.

  • Mais avec le premier mode d'amour, l'affect de l'amant est porté vers la réalité aimée de telle manière qu’il n'y ait pas ce retour rapide (recurrit) sur lui-même,
    • parce que c’est à la réalité aimée elle-même qu’il veut du bien
    • et non pour cette raison qu’il voudrait qu’au moyen d’elle il lui arrive (accidit) ensuite quelque chose [= un bien].

Ainsi donc c’est un tel amour qui fait l’extase parce qu'il place l’amant à l'extérieur de lui-même (extra seipsum).

430. In utroque igitur modo amoris, affectus amantis per quamdam inclinationem trahitur ad rem amatam, sed diversimode : 

  • nam in secundo modo amoris, affectus amantis trahitur ad rem amatam per actum voluntatis, sed per intentionem, affectus recurrit in seipsum ;

dum enim appeto iustitiam vel vinum,

    • affectus quidem meus inclinatur in alterum horum,
    • sed tamen recurrit in seipsum,

quia sic fertur in praedicta ut per ea bonum sit ei ;

unde talis amor non ponit amantem extra se, quantum ad finem intentionis.

  • Sed cum aliquid amatur primo modo amoris, sic affectus fertur in rem amatam, quod non recurrit in seipsum,
    • quia ipsi rei amatae vult bonum,
    • non ex ea ratione quia ei exinde aliquid accidat.

Sic igitur talis amor extasim facit, quia ponit amantem extra seipsum.

431. Mais cet [amour d'amitié] se produit de trois manières ; en effet, ce bien substantiel peut se porter de trois manières à l’affect :

  • d'une première manière, selon que le bien est plus parfait que l’amant lui-même
    • et par cela l’amant se compare au bien comme la partie au tout,
    • car ce qui existe en totalité dans ce qui est parfait n'existe qu'en partie dans ce qui est imparfait ;
    • par conséquent, selon cela, l’amant est quelque chose de l’aimé.
  • Deuxièmement, selon que le bien aimé est du même ordre que l’amant.
  • Troisièmement, selon que l’amant est plus parfait que ce qui est aimé et ainsi l’amour de l’amant se porte vers l'aimé comme vers quelque chose qui lui appartient [litt. : de sien].

431. Sed hoc contingit tripliciter ; potest enim illud substantiale bonum, in quod affectus fertur, tripliciter se habere :

  • uno modo sic, quod illud bonum sit perfectius quam ipse amans
    • et per hoc amans comparetur ad ipsum ut pars ad totum,
    • quia quae totaliter sunt in perfectis partialiter sunt in imperfectis ;
    • unde secundum hoc, amans est aliquid amati.
  • Alio modo sic, quod bonum amatum sit eiusdem ordinis cum amante.
  • Tertio modo, quod amans sit perfectius re amata et sic amor amantis fertur in amatum, sicut in aliquid suum.

432. Ainsi donc,

A. quand l’appétit de l’amant se porte vers l’aimé comme vers un [être] supérieur dont un quelque chose [une partie] est l’amant lui-même, alors l’amant ordonne son propre bien vers l’aimé ;

    • par exemple, si la main aimait l’homme, elle ordonnerait cela-même qu’elle est vers le tout [le tout qu'est l'homme],
    • d’où elle se placerait totalement à l'extérieur d’elle-même
    • car en aucune manière il lui resterait quelque chose d'elle
    • mais elle ordonnerait tout vers l'aimé, [c'est-à-dire à l’homme].

B. Il n’en est pas ainsi quand un être en aime un autre de même rang ou qui lui est inférieur :

    • en effet, si une main en aimait une autre, elle ne s'ordonnerait pas totalement vers l’autre ;
    • et un homme qui aime sa main n'ordonne pas tout son bien vers le bien de la main.

Ainsi donc

A. quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

B. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif, donc : dans sans mouvement] de sorte 

    • qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ;
    • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

432.

A. Sic igitur cum affectus amantis fertur in amatum superius, cuius aliquid est ipse amans, ipsum suum bonum amans ordinat in amatum ;

  • sicut si manus amaret hominem, hoc ipsum quod ipsa est in totum ordinaret,
  • unde totaliter extra se poneretur,
  • quia nullo modo aliquid sui sibi relinqueretur,
  • sed totum in amatum ordinaret.

B. Non autem ita est, cum aliquid amat sibi aequale vel id quod infra se est :

  • non enim una manus, si aliam amaret, totam se in aliam ordinaret,
  • neque homo amans suam manum, totum bonum suum in bonum manus ordinat.

A. Sic ergo aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

B. Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.

433. Ainsi donc l’amour divin peut ici s’accepter de deux manières :

  • d'une première manière, de l’amour par lequel Dieu est aimé

et c’est ainsi qu’il faut expliquer cette parole qui dit que l’amour divin fait l’extase,

    • c’est-à-dire qu’il place l’amant hors de lui,
    • c’est-à-dire qu’il l’ordonne à Dieu de telle sorte qu’il ne permet pas aux amants d’exister pour eux-mêmes
    • mais pour les réalités divines qu’ils aiment, car il ne leur reste rien qui ne soit ordonné à Dieu.

 

  • D'une autre manière, l’amour divin peut s’entendre de l’amour qui vient de Dieu,
    • non seulement de celui qui est en Lui,
    • mais aussi de celui qui est dans les autres, c’est-à-dire les égaux et les inférieurs

et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui suit :

n'abandonnant pas tant (tantum) les amantsà ce qui leur est propre,
mais à ceux qui sont aimés,

c’est-à-dire à ceux qui sont aimés, car c’est l’amour qui fait

    • qu’ils ne se contentent pas seulement de se replier sur eux-mêmes,
    • qu'ils ne tendent pas seulement vers eux-même, 
    • mais aussi vers les autres.

433. Sic igitur amor divinus dupliciter potest hic accipi :

  • uno modo, amor quo Deus amatur

et sic exponenda est haec littera quod amor divinus facit extasim,

    • idest ponit amantem extra se,
    • idest ordinat ipsum in Deum ita quod non permittit ipsos amatores esse sui ipsorum,
    • sed rerum divinarum quae amantur, quia nihil sui sibi relinquunt quin in Deum ordinent.

 

  • Alio modo, potest intelligi amor divinus qui est a Deo derivatus,
    • non solum in Deum,
    • sed etiam in alia, scilicet aequalia vel inferiora

et sic intelligendum est : 

non dimittens amatores esse sui ipsorum tantum, 
sed amatorum,

idest eorum quae amantur, quia amor facit

    • quod non solum sibi intendant,
    • sed etiam aliis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET DANS LES CREATURES]  

434. Ensuite, lorsqu’il dit (169) : Et ils montrent…il manifeste dans les créatures ce qu’il vient de dire ;

  • et d’abord, par mode d’induction ;
  • deuxièmement par un recours à l’autorité lorsqu’il ajoute (170) : C’est à cause de cela

434. Deinde, cum dicit : et monstrant et cetera, manifestat quod dixerat, in creaturis ;

  • et primo, per inductionem ;
  • secundo, per auctoritatem ; ibi : propter quod et cetera.
[a. Manifestation par voie d'induction]  

435. Il dit donc en premier que cet effet de l’amour, à savoir l’extase,

  • les réalités supérieures en font la preuve (demonstrant) au moyen de la providence qu’elles exercent (faciunt) à l’égard des réalités inférieures ;

c’est en cela en effet qu’elles sont placées d’une certaine manière hors d’elles-mêmes puisqu'alors elles se tournent vers les autres ;

  • et de même, celles qui sont co-ordonnées, à savoir les égales, manifestent la même chose par le support qu'elles exercent les unes à l'égard des autres, c’est-à-dire pour autant qu’elles s’entraident et s’entretiennent mutuellement ;
  • et les réalités inférieures le montrent par le fait qu'elles sont plus divinement convertis en les réalités qui leur sont supérieures, comme vers celles en qui leur bien existe.

Dans tous ces cas [n.b. : = le signe de l'induction] en effet il apparaît qu’une réalité sort d’elle-même aussitôt [dum = pendant que, indique ici la concommitance] qu’elle se tourne vers une autre.

On se sert ici du génitif au lieu de l’ablatif car la langue grecque en est dépourvue.

435. Dicit ergo primo quod praedictum effectum amoris,

  • demonstrant superiora per providentiam quam faciunt de inferioribus ;

in hoc enim quodammodo extra se ponuntur, quod aliis intendunt ;

  • et similiter, monstrant coordinata, idest aequalia, per continentiam qua se invicem continent, prout scilicet, unum ab altero iuvatur et fovetur ;
  • et monstrant etiam inferiora per hoc quod divinius convertuntur in sua superiora, ut in quibus eorum bonum existit.

In omnibus enim his apparet quod aliquid extra se exit, dum ad alterum convertitur.

Utitur autem hic genitivis pro ablativis, quia Graeci ablativis carent.

[b. Manifestation par voie d'autorité]  
 

436. Ensuite, lorsqu’il dit (170) : C’est à cause de cela… il montre la même chose, mais par voie d’autorité ;

et il dit que c’est à cause de cela que

  • l’amour ne permet pas à l’amant d'exister pour lui-même, [l'amour de type amour d'amitié en tant que tel implique une sortie et ne peut se contenter de rester en soi]
  • mais [le pousse à exister] pour l’aimé,

comme on le voit chez le grand Paul qui fut établi dans l’amour divin

  • comme dans une étreinte
  • et par une puissance de l’amour divin qui le fit sortir totalement de lui-même

lorsqu’il dit, en parlant comme par la bouche de Dieu, au deuxième chapitre de l’épître aux Galates (2, 20) : ¨Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi¨,

c'est à dire qu’il était sorti de lui-même, se projetant totalement en Dieu (totum se in Deum proiecerat),

ne cherchant pas

  • ce qui est à lui [litt. "est sien" ; = son bien propre]
  • mais ce qui est à Dieu [= le bien de Dieu, dans l'amour d'amitié, on recherche le bien de l'autre,... il appartient à Dieu d'être aimé...],

comme un vrai amant transporté dans l’extase,

  • vivant de Dieu
  • et ne vivant pas de sa propre vie
  • mais de celle du Christ, son Amour, laquelle lui paraissait de loin préférable.
 

436. Deinde, cum dicit : propter quod et cetera, ostendit idem per auctoritatem ;

et dicit quod propter hoc quod 

  • amor non permittit amatorem esse sui ipsius,
  • sed amati, 

magnus Paulus constitutus in divino amore

  • sicut in quodam continente 
  • et virtute divini amoris faciente ipsum totaliter extra se exire,

quasi divino ore loquens dicit, Galat. 2 : vivo ego, iam non ego, vivit autem in me Christus 

scilicet quia a se exiens totum se in Deum proiecerat,

non quaerens

  • quod sui est,
  • sed quod Dei, 

sicut verus amator et passus extasim,

  • Deo vivens 
  • et non vivens vita sui ipsius,
  • sed vita Christi ut amati, quae vita erat sibi valde diligibilis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET EN DIEU]  

437. Ensuite, lorsqu’il dit (171) : Osons dire

  • il dit qu’il faut affirmer que l’opération de l’amour dont nous venons de parler se retrouve aussi en Dieu, en disant que 
  • ceci est dit audacieusement comme une vérité,
    • c'est à dire établir (faciente) cette vérité audacieusement ;
  • ou, comme une vérité,
    • c'est-à-dire qu’il faut affirmer comme vrai

que Lui-même,

qui est la cause de toute chose par son amour beau et bon par lequel Il aime tout,
selon l’abondance de sa bonté par laquelle il aime les choses,

sort de Lui-même

    • en tant qu'Il pourvoit aux besoins de tout ce qui existe par
      • sa bonté,
      • son amour
      • et sa charité,
    • et d'une certaine manière il est attiré et mis à terre (deponitur)
    • de manière relative à sa propre excellence,
      • selon le fait qu'il existe au-dessus de toutes choses
      • et qu'il est séparé de toutes choses,
    • de sorte qu'il est en toutes choses,
    • par les effets de sa bonté,
    • selon une certaine extase
    • qui le fait cependant exister dans tous les inférieurs,
    • de telle sorte que sa puissance supersubstantielle ne sorte pas de Lui (non egrediatur ab ipso).
    • En effet il comble toutes les choses sans que sa puissance ne soit épuisée dans aucune d’elles.

C’est ce que Denys ajoute certes pour montrer que par le mot ‘mis à terre(deponitur),

    • il ne faut pas comprendre que Dieu soit diminué,
    • mais seulement qu'il se communique à ceux qui participent de sa bonté.

437. Deinde, cum dicit : 

  • audendum et cetera, dicit quod praedicta operatio amoris etiam in Deo invenitur, dicens quod 
    • hoc audacter dicendum est pro veritate,
      • idest veritatem hanc audacter faciente ;
    • vel pro veritate,
      • idest pro vero hoc asserendo, 

quod ipse 

qui est omnium causa per suum pulchrum et bonum amorem quo omnia amat,
secundum abundantiam suae bonitatis qua amat res, 

fit extra seipsum,

    • inquantum providet omnibus existentibus per
      • suam bonitatem
      • et amorem
      • vel dilectionem
    • et quodammodo trahitur et deponitur 
    • quodammodo a sua excellentia, 
      • secundum quod supra omnia existit 
      • et ab omnibus segregatur,
    • ad hoc quod sit in omnibus,
    • per effectus suae bonitatis,
    • secundum quamdam extasim,
    • quae tamen sic ipsum facit in omnibus inferioribus esse,
    • ut supersubstantialis eius virtus non egrediatur ab ipso.
    • Sic enim implet omnia quod ipse in nullo evacuetur sua virtute.

Quod quidem addit, ut per hoc quod dixerat : deponitur,

  • non intelligatur aliqua minoratio,
  • sed hoc solum quod se inferioribus ingerit propter suae bonitatis participationem.
   

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0. Vérifier que la traduction de "in" par "vers" est toujours correcte (il faut l'accusatif).

1. Recurrit : courrir en arrière, revenir en courant, revenir vite, revenir

2. Dans l'amour de conupiscence, il y a un premier temps où l'on sort de soi mais c'est pour un bref instant, le temps de prendre ce qui nous intéresse à l'extérieur pour le ramener en soi. Donc, l'extase est ici certes dans un premier stade, contrairement à l'amour naturel de soi qui ne nécessite pas de sortir de soi, mais elle ne demeure pas dans cet état. Seul l'amour d'amitié restera tendu vers l'autre et demeurera dans cet "état de sortie".

3. Traduction originale du n° 437 : "... et que d’une certaine manière il se prolonge et s’abandonne, mais  à cause de son excellence conformément à Son existence qui demeure au-dessus et séparée de tout dans l’existence de tous les êtres, selon une certaine extase..."

4. n° 437 : "deponitur" :

  • trad. originale : "s'abandonne".
  • Traduction du grec par Sources Chrétiennes 478 : "et, pour ainsi dire, se laisse séduire par la bonté, la dilection et l'amour" ;
  • traduction de Georges Darboy : "et daigne bien se laisser vaincre aux charmes de la bonté, de la dilection et de l’amour".

5. n° 437 : "supersubstantialis eius" : trad. originale : "sa substance qui est au-dessus de toute substance"

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Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

  • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
  • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

(Somme. I-II.q59a4)

Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

  • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
  • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

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Thomas d'Aquin - Les passions de l'irascible s'exercent au sein des passions du concupiscible

  • Elles y naissent et s'y terminent

L'irascible a été donné aux animaux pour vaincre les obstacles qui empêchent le concupiscible de tendre vers son objet, parce que le bien est difficile à atteindre, ou le mal difficile à vaincre. C'est pourquoi toutes les passions de l'irascible se terminent dans celles du concupiscible. C'est en ce sens que les passions de l'irascible sont suivies par la joie ou la tristesse, qui sont dans le concupiscible.  (Somme, I-II, q. 23, a. 1, r.1.)

Dicendum quod, sicut in primo dictum est, ad hoc vis irascibilis data est animalibus, ut tollantur impedimenta quibus concupiscibilis in suum obiectum tendere prohibetur, vel propter difficultatem boni adipiscendi, vel propter difficultatem mali superandi. Et ideo passiones irascibilis omnes terminantur ad passiones concupiscibilis. Et secundum hoc, etiam passiones quae sunt in irascibili, consequitur gaudium et tristitia, quae sunt in concupiscibili.

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Thomas d'Aquin - On entend par mouvement sensuel l'opération de la puissance appétitive - I.q81a1 et I.q81a2

  • La sensualité n'est pas directement morale mais dit simplement l'appétit sensitif en général

AVERTISSEMENT : Nous nous permettons ici ce que nous ne pourrions nous permettre dans une traduction grand public : "sensualitas" est ici traduit littéralement "sensualité". Ce terme n'est pas à comprendre dans son sens moral actuel mais dans un sens neutre plus proche du terme "sensibilité" dans son versant affectif (par distinction de son versant cognitif). Une bonne traduction pourrait être "affectivité sensible"1.

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Le mouvement sensuel (sensualis) est un appétit consécutif à une appréhension sensible (sensitivam)

Car

  • l'acte de la puissance appréhensive n'est pas aussi proprement dit un mouvement,
  • comme [peut l'être] l'action de l'appétit, 

car

  • l'opération de la puissance appréhensive est perfectionnée en cela que les choses appréhendées sont dans celui qui appréhende,
  • tandis que l’opération de la puissance appétitive est perfectionnée en ce que l’être qui appète [= désire] est incliné dans la chose appétible [= désirable]2.

Et c’est pourquoi

  • l’opération de la puissance appréhensive est assimilée au repos,
  • tandis l’opération de la puissance appétitive est davantage assimilée au mouvement.

Aussi par mouvement sensuel (sensualem) est intelligé [= est entendu] l’opération de la puissance appétitive. Ainsi la sensualité est le nom de l'appétit sensitif.

(Somme, I.q81a1)

Motus autem sensualis est appetitus apprehensionem sensitivam consequens.

  • Actus enim apprehensivae virtutis non ita proprie dicitur motus, 
  • sicut actio appetitus,
  • nam operatio virtutis apprehensivae perficitur in hoc, quod res apprehensae sunt in apprehendente;
  • operatio autem virtutis appetitivae perficitur in hoc, quod appetens inclinatur in rem appetibilem.

Et ideo

  • operatio apprehensivae virtutis assimilatur quieti,
  • operatio autem virtutis appetitivae magis assimilatur motui.

Unde per sensualem motum intelligitur operatio appetitivae virtutis. Et sic sensualitas est nomen appetitus sensitivi.

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L’appétit sensitif est une faculté qu’on appelle en général sensualité, mais il se divise en deux puissances qui sont ses espèces : l’irascible et le concupiscible.

(Somme, I.q81a2)

Appetitus sensitivus est una vis in genere, quae sensualitas dicitur; sed dividitur in duas potentias, quae sunt species appetitus sensitivi, scilicet in irascibilem et concupiscibilem.

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1. Voir la note de F.-X. Putallaz :

Le mot « sensualitas » est d’ordinaire traduit par « sensibilité ». Mais ce dernier terme recouvre à la fois les facultés cognitives et les facultés appétitives ; or il s’agit ici seulement des deux facultés appétitives d’ordre sensible ; le terme « sensibilité » est donc trop large. En conservant le mot proche du latin « sensualité », on tombe dans le travers inverse, en raison de sa connotation de désir qu’il comporte, et même de désir imprégné de sexualité ; le terme est donc trop étroit. Je propose « affectivité sensible », au sens de la tendance qui porte l’appétit vers les réalités corporelles, afin de les atteindre, de les fuir ou de les combattre. Cette « affectivité sensible » est le siège des « sentiments », des émotions et des passions. Elle a un rôle vital.

in : Thomas d'Aquin, L'âme humaine, Cerf, 2018, p. 547.

2. Thomas préfère réserver le terme désir à l'appétit volontaire. Le terme appétit est plus générique, il peut refléter une tendance vers un bien sensible (concupiscence) comme spirituel (désir).

3. On comprend ici ce que Thomas dira plus loin, la sensualité (c'est à dire l'appétit sensitif, c'est à dire les passions) n'est pas en lui-même moral, cf. I-II.q24a1 : les passions en elles-mêmes ne sont pas morales.

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