Comme dit Isidore : "Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin (porro videns) ;
il est perspicace en effet
et voit les cas incertains."
Or, la vision n'est pas une puissance appétitive mais une puissance cognitive. D'où Il est manifeste que la prudence relève directement d'une puissance cognitive.
Non toutefois d'une puissance [cognitive] sensitive :
parce que par elle en effet sont connues seulement les choses présentes et offertes aux sens.
Tandis que connaître le futur à partir du présent et du passé, ce qui est le fait de la prudence, est propre à la raison ;
parce que cette action est posée par une certaine collation [= confrontation].
D'où il reste que la prudence est proprement dans la raison.
(Somme, II-II.q47a1)
Sicut Isidorus dicit, in libro Etymol., prudens dicitur quasi porro videns,
perspicax enim est,
et incertorum videt casus.
Visio autem non est virtutis appetitivae, sed cognoscitivae. Unde manifestum est quod prudentia directe pertinet ad vim cognoscitivam.
Non autem ad vim sensitivam,
quia per eam cognoscuntur solum ea quae praesto sunt et sensibus offeruntur.
Cognoscere autem futura ex praesentibus vel praeteritis, quod pertinet ad prudentiam, proprie rationis est, quia hoc per quandam collationem agitur.
Unde relinquitur quod prudentia proprie sit in ratione.
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1. Bien noter la référence à la collation, utiliser par ailleurs par TH. pour parler de l'oeuvre du libre arbitre.
L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement
Le prudent considère
ce qui est loin en tant qu'ordonné
à une aide
ou à un empechement
envers ce qui est présentement amené dans l'action.
D'où il est patent que
ce qui est considérée par la prudence
est ordonné à une autre [chose] comme à sa fin.
Or, pour les [choses] qui sont en vue d'une fin [= les moyens]
il y a le conseil dans la raison,
et l'élection dans l'appétit.
De ces deux [actes],
le conseil relève plus proprement de la prudence :
le Philosophe dit en effet que le prudent "délibère bien".
Mais parce que l'élection présuppose le conseil
elle est en effet "l'appétit de ce qui a été préalablement délibéré (praeconsiliati)", selon Aristote,
l'acte d'élire peut encore (etiam) être attribué de façon logique (!!) conséquemment à la prudence, en ce sens que par le conseil elle dirige l'élection.
(Somme, II-II.q47a1ad2)
Prudens considerat
ea quae sunt procul inquantum ordinantur
ad adiuvandum
vel impediendum
ea quae sunt praesentialiter agenda.
Unde patet quod
ea quae considerat prudentia
ordinantur ad alia sicut ad finem.
Eorum autem quae sunt ad finem est
consilium in ratione
et electio in appetitu.
Quorum duorum
consilium magis proprie pertinet ad prudentiam,
dicit enim philosophus, in VI Ethic., quod prudens est bene consiliativus.
Sed quia electio praesupponit consilium,
est enim appetitus praeconsiliati, ut dicitur in III Ethic.;
ideo etiam eligere potest attribui prudentiae consequenter, inquantum scilicet electionem per consilium dirigit.
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1.
La prudence s'enquiert des choses futures en vue des actions présentes à poser. Donc d'un côté un relatif et de l'autre une fin. La prudence s'occupe d'une chose médiate, les moyens.
Or, dans l'activité humaine, lorsqu'on en arrive à l'étape des moyens, deux actes entrent en jeu : le conseil (quel moyen ?) et l'élection (le moyen retenu). C'est un moment dans lequel l'appétit volontaire sous-traite à la raison la phase qui va permettre de retirer à la personne sa liberté face à la diversité des moyens : après le conseil on n'est plus libre d'opter pour tel ou tel moyen (d'où dé-libération). Au moment où il y a choix, la phase libre arbitre est derrière soi. Ce qui est intéressant puisqu'on voit d'habitude la liberté dans le choix alors qu'elle est plutôt dans le conseil [REFLECHIR ENCORE LA-DESSUS]. Quand il n'y a plus qu'un moyen, on le considère comme un bien, donc est davantage objet de l'appétit. Mais, dit TH., comme la raison a dû apporter son aide lors de la phase de conseil et que cet acte est maintenu dans la phase du choix, on peut aussi attribuer à la raison l'acte du choix. Ainsi l'acte d'élection est posé dans un acte appétitif soutenu par un acte de la raison.