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Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin.

D'où il est impossible que rechercher la fin relève d’une autre puissance que rechercher le moyen. Et cette différence entre

  • la fin,
    • qui est désirée (appetitur) dans l’absolu,
  • et le moyen,
    • qui est [désiré] dans l'ordre à autre [chose],

ne peut induire une distinction des puissances appétitives.

Car l’ordination de l’un à l’autre

  • n’est point par soi dans l’appétit,
  • mais par autre chose,

c’est‑à‑dire par la raison, à laquelle il appartient d’ordonner et de confronter ;

d'où elle ne peut être une différence spécifique constituant une espèce de l’appétit.

(DeVer.q24a6)

Tota autem ratio appetibilitatis eius quod est ad finem, in quantum huiusmodi, est finis. 

Unde non potest esse quod ad aliam potentiam pertineat appetere finem et id quod est ad finem. Nec haec differentia,

  • qua finis
    • appetitur absolute,
  • id autem quod est ad finem,
    • in ordine ad alterum,

potest appetitivarum potentiarum distinctionem inducere.

Nam ordinatio unius ad alterum inest appetitui

  • non per se,
  • sed per aliud,

scilicet per rationem, cuius est ordinare et conferre :

unde non potest esse differentia specifica constituens speciem appetitus.

 


 1.-- On ne désire un moyen que parcequ'on désire une fin. Il n'y a pas moyen de désirer un moyen pour lui-même, à moins d'entrer dans une erreur morale. Cela permettra ensuite à TH. de montrer que, puisqu'il traite des moyens, le libre arbitre est lié par eux à la fin. Or la fin est objet de la volonté, donc le libre arbitre est davantage du côté de la volonté. Lire la suite de l'article pour le raisonnement détaillé de TH.

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Alain Sériaux - Loi, ordre et cause finale

Ainsi la loi doit-elle être appréhendée dans la perspective de la cause finale, c’est-à-dire ce vers quoi tend chaque chose. La loi oriente, au sens fort d'indiquer la bonne direction vers cette fin sans pourtant la réaliser d'emblée. En ce sens, il est possible de dire qu'elle « ordonne » car ordonner suppose au fond d'orienter quelque chose vers une fin. Que ce travail d'orientation soit d'abord et avant tout l'œuvre de la raison, mieux : que cette orientation vers la fin soit inscrite dans la raison (« rationis or- dinatio ») de Dieu, des anges ou des hommes, c’est là une profonde vérité qu’avaient déjà sentie les plus grands penseurs de l’antiquité et que saint Thomas a su, mieux que quiconque, éclairer d’une lumière fulgurante dans son traité des lois.

(Alain Sériaux, Contribution à la théorie de la loi : comment traduire le concept thomiste d'ordinatio ?, Extrait des "Archives de Philosophie du Droit", t. 38, Paris : Sirey, 1993, p. 295)

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Com. Romains 147 (Chap.I,Leç.8) - Dans certain cas, la passion peut être dite péché

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II dit donc d’abord : C’est pourquoi, c’est-à-dire parce qu'ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge, Dieu les a livrés,

  • non pas en les poussant au mal,
  • mais en les abandonnant eux-mêmes "à des passions d’ignominie," 

c’est-à-dire à des péchés contre nature, qui sont dits passions, selon que la passion est proprement dîte du fait que quelque chose est tirée en dehors de l'ordre de sa nature, par exemple

  • avec l'eau chauffée et 
  • avec l'homme affaibli.

D'où, parce que par des péchés de cette sorte l'homme s'écarte de l'ordre naturel, ils sont convenablement dits "passions" ; ainsi plus bas en Rom. VII, 5 : "Les passions des péchés [(...) opéraient dans nos membres]".

Ils sont dits des passions "d’ignominie," parce qu’elles ne sont pas dignes d'avoir un nom, selon ce passage de l’Ép. Aux Éphésiens (V, 12) : "Ce que ces hommes font dans le secret est honteux à dire." 

  • Si en effet les péchés de la chair sont ordinairement blâmable parce que par eux l’homme est abaissé à ce qui en lui est animal,
  • combien plus à propos du péché contre nature, par lequel l’homme déchoît en plus de la nature animale.

Osée, IV, 7 : "Je changerai leur gloire en ignominie." 

Dicit ergo primo propterea, scilicet quia Dei veritatem in mendacium mutaverunt, tradidit illos Deus,

  • non quidem impellendo in malum
  • sed deserendo, in passiones ignominiae,

id est peccata contra naturam, quae dicuntur passiones, secundum quod proprie passio dicitur ex eo quod aliquid trahitur extra ordinem suae naturae, puta

  • cum aqua calefit aut
  • cum homo infirmatur.

Unde quia per huiusmodi peccata homo recedit ab ordine naturali, convenienter dicuntur passiones, infra VII, 5: passiones peccatorum.

Dicuntur autem passiones ignominiae quia non sunt nomine digna, secundum illud Eph. c. V, 15: quae aguntur in occulto ab eis turpe est dicere. Si enim peccata carnis 

  • communiter exprobrabilia sunt quia per ea homo deducitur ad id quod est bestiale in homine,
  • multo magis peccatum contra naturam, per quod etiam homo a natura bestiali decidit. 

Os. IV, 7: gloriam eorum in ignominiam commutabo.

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1. "La passion est proprement dîte du fait que quelque chose est tirée en dehors de l'ordre de sa nature" : Thomas est fidèle à sa compréhension de  la passion comme quelque chose de neutre moralement. Ici, le péché tire l'homme de son ordre naturel au bien, en cela il se laisse modifier par une chose dont il ne devrait pas accepter l'attraction.

  • En cela qu'il est atteint, l'homme est affecté d'une passion,
  • en cela qu'il se laisse atteindre par quelque chose dont il devrait s'écarter, l'homme pêche.

C'est pourquoi Thomas précise : "parce que telle chose, alors il convient, dans ce cas, que le péché soit dit passion" (nous paraphrasons).

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Thomas d'Aquin - DeVer.q15a1 - EN COURS

Cependant la perfection d'une nature spirituelle consiste dans la connaissance de la vérité.

+ mettre la suite

(DeVer.q15a1)

Perfectio autem spiritualis naturae in cognitione veritatis consistit. 

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q21a6 - EN COURS - La ratio boni (La raison de bien)

DIFFICILE, UN TEMPS EST NECESSAIRE AVANT D'ASSIMILER - IL EST NECESSAIRE DE POSSEDER UN CERTAIN NIVEAU DE METAPHYSIQUE ET DE CRITIQUE/LOGIQUE POUR SAISIR, puisqu'on fait appel ici à un grand nombre de notions : forme, substance, acte, fin, qualité, relation, mode, espèce, ordre, bien, être (esse), etc.

Le bien de la créature consiste‑t‑il en (1) un mode, (2) une espèce et (3) un ordre, comme dit saint Augustin ? Utrum bonum creaturae consistat in modo, specie et ordine, sicut Augustinus dicit [cf.De nat. boni,cap. 3].
La raison de bien consiste dans les trois choses en question, selon ce que dit saint Augustin. Ratio boni in tribus praedictis consistit, secundum quod Augustinus dicit.

[Un nom implique deux relations possibles]

Et pour l'évidence de cela, il faut savoir qu'un nom donné (aliquod nomen) peut impliquer une relation de deux manières. [respectum : on traduit par relation et non par rapport qui convient aussi]

[a. La relation elle-même]

D'une première manière, en sorte que le nom soit donné pour signifier la relation elle‑même,

  • comme le nom de père, ou de fils, ou la paternité elle‑même.

[b. Ce qui suit la relation : une qualité]

En revanche, on dit de certains noms qu’ils impliquent une relation, parce qu’ils signifient une réalité d’un certain genre, qu’accompagne la relation, quoique le nom ne soit pas donné pour signifier la relation elle‑même ;

  • par exemple, le nom de science est donné pour signifier une certaine qualité, que suit une certaine relation, mais non pour signifier la relation elle‑même.

[Commentaire : dans la connaissance est établie une relation entre ce qui est connu et celui qui connaît, cette relation produit la science qui est une qualité qui perfectionne l'âme de celui qui connaît.]

[c. Ce que fait comprendre l'analogie nom / bien]

Et c’est de cette façon que la raison de bien implique une relation :

  • non parce que le nom même de bien signifie la seule relation elle‑même,
  • mais parce qu'il signifie [aussi la relation de] ce qui suit la relation, avec la relation elle‑même.

[Commentaire : ]

Or (3) la relation impliquée dans le nom de bien est la relation de cause de perfection, en ce sens qu’une chose (aliquid) est de nature à perfectionner

  • (2) non seulement selon la nature de l’espèce, [forme, ce qu'est une chose]
  • (1) mais aussi selon l’être (esse) qu’elle a dans la chose réelle (rebus) [le mode, la manière d'exister, l'existence  concrète] ;

de fait, c’est de cette manière que la fin perfectionne les moyens.

Mais

  • puisque les créatures ne sont pas leur être (esse) [ce qu'est une chose n'est pas identique à l'exister de cette chose],
  • il est nécessaire qu’elles aient un être reçu (esse receptum) ;

et par conséquent, leur être est

  • fini
  • et terminé [= déterminé] par la mesure de ce en quoi il est reçu.

 

Ad huius autem evidentiam sciendum est, quod aliquod nomen potest respectum importare dupliciter.

[1.]

Uno modo sic quod nomen imponatur ad significandum ipsum respectum,

  • sicut hoc nomen pater, vel filius, aut paternitas ipsa.

[2.]

Quaedam vero nomina dicuntur importare respectum, quia significant rem alicuius generis, quam comitatur respectus, quamvis nomen non sit impositum ad ipsum respectum significandum ;

  • sicut hoc nomen scientia est impositum ad significandum qualitatem quamdam, quam sequitur quidam respectus, non autem ad significandum respectum ipsum.

 

 

[c.]

Et per hunc modum ratio boni respectum implicat :

  • non quia ipsum nomen boni significet ipsum respectum solum,
  • sed quia significat id ad quod sequitur respectus, cum respectu ipso.

 

Respectus autem importatus in nomine boni, est habitudo perfectivi, secundum quod aliquid natum est perficere

  • non solum secundum rationem speciei,
  • sed etiam secundum esse quod habet in rebus ;

hoc enim modo finis perficit ea quae sunt ad finem.

Cum autem

  • creaturae non sint suum esse,
  • oportet quod habeant esse receptum ;

et per hoc earum esse est

  • finitum
  • et terminatum secundum mensuram eius in quo recipitur.

Ainsi donc, parmi les trois choses qu’énumère saint Augustin,

  • (3) la dernière, à savoir l’ordre,
    • est la relation qu’implique le nom de bien,
  • (2 et 1) et les deux autres, à savoir l’espèce et le mode,
    • causent cette relation.

En effet,

  • (2) l’espèce relève de la raison même (ipsam rationem) de l’espèce [trad. orig. = nature même de l'e.],
  • (1) qui, parce qu’elle a l’être en quelque chose [d'individuel] (aliquo),
    • est reçue avec un certain mode déterminé,
    • puisque tout ce qui est en quelque chose y est suivant le mode d’être de ce qui reçoit.

Ainsi donc,

  • chaque bien,
  • (3) en tant qu’il est cause de perfection

selon

  • (2) la raison de l’espèce [trad. orig. : la nature de l'espèce]
  • (1) et l’être (esse) en même temps,

a

  • (1) un mode,
  • (2) une espèce
  • (3) et un ordre.
  • (2) Une espèce quant à la nature même de l’espèce ;
  • (1) un mode quant à l’être (esse) ;
  • (3) un ordre quant à la relation même de cause de perfection.

Sic igitur inter ista tria quae Augustinus ponit,

  • ultimum, scilicet ordo,
    • est respectus quem nomen boni importat ;
  • sed alia duo, scilicet species, et modus,
    • causant illum respectum.

Species enim pertinet ad ipsam rationem speciei,

  • quae quidem secundum quod in aliquo esse habet,
  • recipitur per aliquem modum determinatum,
  • cum omne quod est in aliquo, sit in eo per modum recipientis.

Ita igitur

  • unumquodque bonum,
  • in quantum est perfectivum

secundum

  • rationem speciei
  • et esse simul,

habet

  • modum,
  • speciem
  • et ordinem.
  • Speciem quidem quantum ad ipsam rationem speciei;
  • modum quantum ad esse;
  • ordinem quantum ad ipsam habitudinem perfectivi.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin

Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin.

D'où il est impossible que rechercher la fin relève d’une autre puissance que rechercher le moyen. Et cette différence entre

  • la fin,
    • qui est désirée (appetitur) dans l’absolu,
  • et le moyen,
    • qui est [désiré] dans l'ordre à autre [chose],

ne peut induire une distinction des puissances appétitives.

Car l’ordination de l’un à l’autre

  • n’est point par soi dans l’appétit,
  • mais par autre chose,

c’est‑à‑dire par la raison, à laquelle il appartient d’ordonner et de confronter ;

d'où elle ne peut être une différence spécifique constituant une espèce de l’appétit.

(DeVer.q24a6)

Tota autem ratio appetibilitatis eius quod est ad finem, in quantum huiusmodi, est finis. 

Unde non potest esse quod ad aliam potentiam pertineat appetere finem et id quod est ad finem. Nec haec differentia,

  • qua finis
    • appetitur absolute,
  • id autem quod est ad finem,
    • in ordine ad alterum,

potest appetitivarum potentiarum distinctionem inducere.

Nam ordinatio unius ad alterum inest appetitui

  • non per se,
  • sed per aliud,

scilicet per rationem, cuius est ordinare et conferre :

unde non potest esse differentia specifica constituens speciem appetitus.

 


 1.-- On ne désire un moyen que parcequ'on désire une fin. Il n'y a pas moyen de désirer un moyen pour lui-même, à moins d'entrer dans une erreur morale. Cela permettra ensuite à TH. de montrer que, puisqu'il traite des moyens, le libre arbitre est lié par eux à la fin. Or la fin est objet de la volonté, donc le libre arbitre est davantage du côté de la volonté. Lire la suite de l'article pour le raisonnement détaillé de TH.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7 - Le péché est une action (au sens large) séparée de son ordre propre ET dans le domaine naturel ET dans le domaine artistique ET dans le domaine moral

  • Ce dés-ordre est une dette

Le péché n’est rien d’autre, dit

  • ou dans les choses naturelles,
  • ou dans les choses artificielles,
  • ou dans les choses volontaires,

que

  • le défaut
  • ou le dés-ordre

de l’action propre, quand quelque chose est fait (agitur) non selon ce qui est dû (debitum), ainsi qu’on le voit clairement au deuxième livre de la Physique. 

(DeVer.q24a7)

Nihil enim est aliud peccatum,

  • sive in rebus naturalibus
  • sive artificialibus
  • sive voluntariis dicatur,

quam

  • defectus
  • vel inordinatio

propriae actionis, cum aliquid agitur non secundum quod debitum est agi, ut patet II Phys. [l. 14 (199 a 33)]. 

 


Où l'ont voit bien ici que le sens du mot péché est plus large pour Thomas que dans notre acception actuelle seulement limitée au domaine moral. Pour Thomas, le péché est simplement, d'une manière ou d'une autre, une chose qui fait défaut à son ordre propre. Pour rendre  une partie de la signification de ce mot telle qu'elle est pensée par Thomas, on pourrait traduire par "défaillance", "défectuosité", ce qui serait particulièrement adapté aux "réalités artificielles" dont parle Thomas, une mécanique construite par l'homme peut défaillir. En suivant Thomas, on peut dire qu'un moulin dont la mécanique défaille est un moulin qui pêche. Le péché est vu ici dans un sens large comme un bug.

Sur le mot debitum, il est significatif que le péché soit vu comme une soustraction à ce qui est, le monde créé est débiteur d'un ordre qui lui est intrinsèque. Mais on pourrait dire la même chose de Dieu, il est lui aussi, en quelque sorte, débiteur de ce qu'il est, Dieu est dépendant de sa propre nature. La différence réside dans le fait que le monde créé peut faillir alors que Dieu agit à l'égard de lui-même de manière nécessairement ordonnée.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - L'intellect peut "percevoir" la raison ou comme simplement nature ou comme proprement raison

La distinction par laquelle est distinguée raison comme raison et raison comme nature peut être intelligée (intelligi) de deux manières. [= intelligi, "être compris" ne rend pas l'acte simple de l'intellect lorsqu'il une chose est par lui intelligée, mieux vaudrait traduire par "être saisie" ou "être touchée", ~ le tugein d'Aristote. Concrètement, "comprendre" fait davantage référence à l'expérience du raisonnement.]

[A. Première manière de distinguer - du point de vue de l'être]

De la première manière,

  1. la raison « comme nature » est dîte raison
    • selon qu’elle est la nature de la créature rationnelle,
      • c’est‑à‑dire que, fondée dans l’essence de l’âme, elle donne au corps l’être naturel (esse naturale) ; [= ~ une chose est ce qu'elle est par sa partie la meilleure, mais cette partie est liée indirectement à des éléments qui ne lui sont pas propres du fait qu'elle appartient à un être qui ne réduit pas à elle]
  2. mais on parle de la raison « comme raison »
    • selon ce qui est le propre de la raison en tant qu’elle est raison,
      • et cela est son acte, parceque les puissances se définissent par les actes.

Ainsi, parce que la douleur

  • n’est pas dans la raison supérieure en tant qu’elle se rapporte à son objet par son acte propre
  • mais en tant qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme,

on dit que la raison supérieure subissait la douleur comme nature, et non comme raison.

(Et il en va de même pour la vue, qui est fondée sur le toucher en tant que l’organe de la vue est un organe du toucher ; la vue peut donc subir une blessure (laesionem) de deux façons : d’abord par son acte propre, comme lorsque la vue est émoussée par une lumière très forte, et c’est la souffrance de la vue comme vue ; ensuite en tant qu’elle est fondée dans le toucher, comme lorsque l’œil est piqué ou qu’il est dissous par quelque chaleur ; et cela n’est pas la souffrance (passio) de la vue comme vue, mais en tant qu’elle est un certain toucher.)

Distinctio illa qua distinguitur ratio ut ratio, et ratio ut natura, dupliciter potest intelligi.

 

[A.]

Uno modo ita quod

  1. ratio ut natura dicatur ratio
    • secundum quod est naturae creaturae rationalis,
    • prout scilicet fundata in essentia animae dat esse naturale corpori :
  2. ratio vero ut ratio dicatur
    • secundum id quod est proprium rationis in quantum est ratio ;
    • et hoc est actus eius, quia potentiae definiuntur per actus.

 

Quia igitur dolor

  • non est in superiori ratione prout secundum actum proprium comparatur ad obiectum,
  • sed secundum quod in essentia animae radicatur ;

ideo dicitur quod superior ratio patiebatur dolorem ut natura, non autem ut ratio.

Et est simile de visu qui fundatur super tactum, in quantum organum visus est organum tactus. Unde dupliciter visus potest pati laesionem : uno modo per actum proprium, sicut cum ab excellenti luce visio obtunditur : et haec est passio visus ut visus ; alio modo prout fundatur in tactu, ut cum oculus pungitur, vel aliquo calore dissolvitur : et hoc non est passio visus ut est visus, sed ut est quidam tactus.

[B. Première manière de distinguer - du point de vue de la connaissance et de l'appétit]

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison comprise (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

Or il est certaines [choses] qui,

  • selon qu'elles sont considérées en elles-mêmes, sont à éviter,
  • mais appétées [désirées] selon qu'elles sont ordonnées à autre chose :

par exemple, la faim et la soif, considérées en elles-mêmes, sont à éviter, mais, si on les considère comme utiles au salut de l’âme ou du corps, alors on les recherche. Et ainsi, la raison comme raison se réjouit à leur sujet, au lieu que la raison comme nature s’attriste à cause d’elles. De même, la passion corporelle du Christ considérée en soi était à éviter : c’est pourquoi la raison comme nature s’en attristait et ne la voulait pas (nolebat) ; mais en tant qu’elle était ordonnée au salut du genre humain, alors elle était bonne et objet d’appétit (appetibilis) ; et ainsi, la raison comme raison la voulait (volebat) et en retirait une joie.

(DeVer.q26a9ad7)

[B.]

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

Sunt enim quaedam quae

  • secundum se considerata sunt fugienda,
  • appetuntur vero secundum ordinem ad aliud :

sicut fames et sitis secundum se considerata sunt fugienda ; prout autem considerantur ut utilia ad salutem animae vel corporis, sic appetuntur. Et sic ratio ut ratio de eis gaudet, ratio vero ut natura de eis tristatur. Ita etiam passio corporalis Christi in se considerata fugienda erat : unde ratio ut natura de ea contristabatur et eam nolebat ; prout vero ordinabatur ad salutem humani generis, sic bona erat et appetibilis ; et sic ratio ut ratio eam volebat, et inde gaudebat.

 


 

1. -- Dans la 2ème manière de distinguer on met la raison face à son objet ou en disant comparatur ou en disantordinatur. Voir ce que cela implique : 

Raison comme nature
(point de vue immédiat, matériel)

Raison comme raison
(point de vue de la fin)

comparatur ordinatur
naturellement per collationem
la raison s'attriste de la faim et de la soif, car avoir faim ou soif n'est pas agréable la raison se réjouit de la faim et de la soif, car la faim et la soif sont ordonnées à me nourrir, sans quoi je mourrais
   

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q24a2 - Les passions sont bonnes si mesurées par la raison

 Les Péripatéticiens donnent le nom de passion à tous les mouvements de l'appétit sensitif. 
  • Ils les estiment bonnes quand elles sont modérées (moderatae) par la raison,
  • et mauvaises quand elles sont au-delà de la modération de la raison. (...) 

Les passions ne sont pas dîtes maladies (morbi) ou profonds troubles (perturbationes) de l'âme, si ce n'est quand elles manquent de la modération (moderatione) de la raison.

(Somme, I-II.q24a2)

Peripatetici vero omnes motus appetitus sensitivi passiones vocant.

  • Unde eas bonas aestimant, cum sunt a ratione moderatae;
  • malas autem, cum sunt praeter moderationem rationis. (...)

Non enim passiones dicuntur morbi vel perturbationes animae, nisi cum carent moderatione rationis.

 


1. -- Le mot perturbationes a un sens plus fort qu'un simpe trouble, il s'agit d'un bouleversement profond qui change radicalement la donne.

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Thomas d'Aquin - I-II.q85a4 - La ratio boni (La raison de bien) révélée à travers quatre biens

Contexte : nous nous intéressons à la ratio boni dont TH. se sert ici à propos du péché. Il va terminer en distinguant quatre sortes de bien et en montrant que chacun d'eux répond à ce qui caractérise n'importe quel bien, c'est à dire ce qui caractérise la ratio boni.

Comme cela a été dit dans la première partie,

  • (1) le mode, [cause matérielle et efficiente]
  • (2) l'espèce [cause formelle]
  • (3) et l'ordre [cause finale]

sont conséquents

  • à tout bien créé, en tant que tel,
  • et aussi à tout être (ens).

(2) Car

  • tout être
  • et tout bien

sont considérés par une certaine forme dont est tirée l'espèce.

(1) D'autre part, la forme de chaque chose (rei), de quelque qualité qu'elle soit,

  • ou substantielle
  • ou accidentelle,

est selon une certaine mesure (aliquam mesuram),

d'où est indiqué dans Metaph. VIII, que les formes des choses (rerum) sont comme les nombres. En sorte qu'une forme a un certain mode en relation à une mesure.

(3) Enfin, par sa forme, chaque chose est ordonnée à autre chose.

Sicut in primo dictum est,

  • modus,
  • species
  • et ordo

consequuntur

  • unumquodque bonum creatum inquantum huiusmodi,
  • et etiam unumquodque ens.

Omne enim

  • esse
  • et bonum

consideratur per aliquam formam, secundum quam sumitur species.

Forma autem uniuscuiusque rei, qualiscumque sit,

  • sive substantialis
  • sive accidentalis,

est secundum aliquam mensuram,

unde et in VIII Metaphys. dicitur quod formae rerum sunt sicut numeri. Et ex hoc habet modum quendam, qui mensuram respicit.

Ex forma vero sua unumquodque ordinatur ad aliud.

 Ainsi,

  • selon divers degrés de biens
  • sont divers degrés
    • de mode, 
    • d'espèce
    • et d'ordre.

[a. le bien substance]

Il y a donc un bien qui relève de la substance [trad. orig. : le fond (!!)] même de la nature, qui a son mode, espèce, ordre ;

  • celui-là n'est ni privé ni diminué par le péché.

[b. le bien inclination]

Il y a encore un certain bien, celui de l'inclination de la nature, et ce bien a aussi son mode, espèce, ordre,

  • et celui-là est diminué par le péché, comme nous l'avons dit, mais non totalement supprimé.

[c. le bien vertu]

Il y a encore un certain bien, celui de la vertu et de la grâce, qui a aussi son mode, son espèce et son ordre;

  • et celui-là est totalement supprimé par le péché mortel.

[d. le bien acte]

Il y a encore un certain bien qui est l'acte ordonné lui-même, qui a aussi son mode, son espèce, son ordre ;

  • et cette privation est essentiellement le péché lui-même.

[Conclusion]

De sorte qu'on voit de manière patente comment le péché

  • et est une privation de mode, d'espèce et d'ordre,
  • et prive ou diminue le mode, l'espèce et l'ordre [eux-mêmes].

 Sic igitur

  • secundum diversos gradus bonorum,
  • sunt diversi gradus
    • modi,
    • speciei
    • et ordinis.

[a.]

Est ergo quoddam bonum pertinens ad ipsam substantiam naturae, quod habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et illud nec privatur nec diminuitur per peccatum.

[b.]

Est etiam quoddam bonum naturalis inclinationis, et hoc etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc diminuitur per peccatum, ut dictum est, sed non totaliter tollitur.

[c.]

Est etiam quoddam bonum virtutis et gratiae, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc totaliter tollitur per peccatum mortale.

[d.]

Est etiam quoddam bonum quod est ipse actus ordinatus, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et huius privatio est essentialiter ipsum peccatum.

[Conclusion]

Et sic patet qualiter peccatum

  • et est privatio modi, speciei et ordinis;
  • et privat vel diminuit modum, speciem et ordinem.

 1. -- Analogie avec la mesure : si une chose mesure tant, et si on modifie cette chose en gangeant ses mesures, alors elle n'est plus la même chose. Quelque chose qui est mesurée d'une certaine manière fait que cette chose est unique et ce qu'elle est. Voir la référence au numérique dans le Commentaire du De Trinitate de Boèce lorsqu'est traitée l'individuation qui se fait, chez TH., par la matière, avec donc l'aspect de la quantité.

2. -- Bien noter que TH. corrige l'ordre donné par Augustin : de mode, espèce, ordre, on passe a espèce, mode, ordre. 

3. -- Dans l'ordre de l'être, espèce, mode, ordre, donneront la substance, l'individu, l'acte ; ou encore l'être selon la forme, tel être concret, l'être en acte.

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Les quatre biens évoqués par TH. :

[a.] -- Le bien-substance n'est pas touché par le péché, un homme reste un homme qu'il soit pécheur ou non.

[b.] -- L'inclination naturelle n'est pas touchée en elle-même puisqu'elle dépend de ce qu'est une chose (le bien substance) mais elle peut être diminuée dans son exercice réel, comme recouverte.

[c.] -- La vertu morale est acquise, elle peut donc se perdre totalement. La grâce est donnée à la nature, elle peut donc se perdre également.

[d.] -- Le bien moral doit aller jusqu'à l'accomplissement, l'application concrète, d'un acte et celui-ci peut très bien ne pas l'être ou remplacé par un autre qui ne convient pas (et ce d'autant plus que la vertu et la grâce auront été perdues).

Dans ces différents biens, que sont le mode, l'espèce, l'ordre ?

[a.] -- Le mode du bien substance c'est l'existence concrète d'un être (ex. : tel homme, Jean, l'individu) ; l'espèce d'un bien-substance, c'est ce qu'il est (ex. : un homme) ; l'ordre d'un bien substance, c'est qu'il existe en acte.

[b.] -- Le mode de l'inclination naturelle c'est son existence concrète et unique dans tel être individué ; l'espèce, ce qu'est cette inclination (ex. : l'inclination de la volonté au bien) ; l'ordre, l'accomplissement de cette inclination (ex. : l'inclination en acte de la volonté au bien, l'ami qui veut le bien de son ami et qui agit pour que cela arrive).

[c.] -- Idem que b. mais pour ce qui est acquis, ajouté à la nature.

[d.] -- Tel acte ; ce qu'est cet acte ; jusqu'à quel point cet acte pousse jusqu'à sa perfection (ex. l'action héroïque ; cf. la différence entre une oeuvre accomplie par un artisan ordinaire et celle accomplie par un maître artisan).

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Thomas d'Aquin - I.q62a8ad2 - La volonté peut se porter sur des opposés SI ils ne sont pas ordonnés naturellement

  • Les puissances rationnelles peuvent se porter sur des opposés dans ces [choses] auxquelles elles ne sont pas ordonnées naturellement (non ordinantur naturaliter) ;
  • mais quant à ces [choses] auxquelles elles sont ordonnées naurellement, elles ne peuvent se porter sur des opposés.
  • L'intellect, en effet, ne peut pas ne pas assentir (assentire) aux principes naturellement connus ;
  • et de même la volonté ne peut pas ne pas adhérer (adhaerere) au bien en tant qu'il est un bien,
    • parce qu'elle est naturellement ordonnée au bien comme à son objet.

(Somme, I.q62a8ad2)

 
  • Virtutes rationales se habent ad opposita in illis ad quae non ordinantur naturaliter,
  • sed quantum ad illa ad quae naturaliter ordinantur, non se habent ad opposita.
  • Intellectus enim non potest non assentire principiis naturaliter notis,
  • et similiter voluntas non potest non adhaerere bono inquantum est bonum,
    • quia in bonum naturaliter ordinatur sicut in suum obiectum.

Mettre cette déclaration "les facultés rationnelles (...) ne peuvent être ordonnées par nature à des objets opposés" en regard des propositions de Duns Scot sur les opposés objets de la volonté.

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Thomas d'Aquin - L'extase dans le Commentaire des Noms Divins (4.10.426-441)

Bien noter : 

  • l'induction du fait que l'amour est extatique qui montre que dès qu'il y a amour, il y a dans le même temps extase, sortie de soi

426. Après que Denys ait déterminé à propos de l’amour, ici, il détermine à propos de l’extase qui est un effet de l’amour et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre que l’extase est un effet de l’amour ;
  • deuxièmement, il manifeste cela dans les créatures, là où il dit (169) : Et elles montrent… ;
  • troisièmement, il manifeste cela en Dieu, là où il dit (171) : Osons dire…

426. Postquam Dionysius determinavit de amore, hic determinat de extasi quae est effectus amoris et circa hoc, tria facit :

  • primo, proponit extasim esse amoris effectum ;
  • secundo, manifestat hoc in creaturis ; ibi : et monstrant et cetera ;
  • tertio, manifestat hoc in Deo ; ibi : audendum et cetera.
[1. L'EXTASE EFFET DE L'AMOUR]  

427. Concernant le premier point, il faut considérer là une différence entre les puissances

  • cognitives
  • et appétitives,

à savoir que

  • car l'acte de la puissance cognitive se fait selon que ce qui est connu est dans le connaisasnt,
  • alors que l'acte de la puissance appétitive se fait selon l'inclination que l'appétit a envers ce qui est appété [désiré].

Mais la première opération de l’appétit est l’amour ainsi il a été dit plus haut (401), d’où il suit que l’amour porte en lui la première inclination de l’appétit dans la chose (rem) selon que cette dernière a raison de bien, lequel est l’objet de l’appétit.

427. Circa primum, considerandum est quod haec est differentia inter vim

  • cognoscitivam
  • et appetitivam,

quia

  • actus virtutis cognoscitivae est secundum quod cognita sunt in cognoscente,
  • actus autem virtutis appetitivae est secundum inclinationem quam habet appetens ad rem quae appetitur.

Prima autem operatio appetitus est amor, ut supra dictum est, unde amor importat primam inclinationem appetitus in rem secundum quod habet rationem boni, quod est obiectum appetitus.

428. Mais ainsi que l’être est dit de deux manières, c’est-à-dire

  • de ce qui subsiste par soi
  • et de ce qui existe dans un autre,

de même le bien se dit de deux manières :

  • d'une première manière, il est dit de la réalité subsistante qui a en elle un bien,
    • comme l’homme qui est dit bon ;
  • d'une autre manière, il est dit de ce qui existe en quelqu'un et qui le fait bon,
    • comme la vertu qui est dite bien de l’homme, par laquelle il est bon ;

de même le blanc est dite être (ens),

  • non parce que elle-même serait [une chose] subsistante dans son être,
  • mais ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc de deux manières que l’amour tend vers quelque chose :

  • d'une première manière, comme vers un bien substantiel,
    • ce qui en effet arrive comme lorsque (dum sic) nous aimons quelque chose de telle sorte (ut) que nous lui voulons du bien,
      • comme quand nous aimons un homme en lui voulant du bien ;
  • d'une autre manière, lorsque l’amour tend vers quelque chose, comme vers un bien accidentel,
    • par exemple nous aimons la vertu
      • non pas certes pour cette raison que nous voulons qu’elle soit bonne,
      • mais plutôt pour que grâce à elle nous soyons bons.
  • La première sorte d’amour, certains la nomment amour d’amitié
  • tandis qu’ils réservent pour la seconde le nom d’amour de concupiscence.

428. Sicut autem ens dupliciter dicitur, scilicet

  • de eo quod per se subsistit
  • et de eo quod alteri inest,

ita et bonum :

  • uno modo, dicitur de re subsistente quae habet bonitatem,
    • sicut homo dicitur bonus ;
  • alio modo, de eo quod inest alicui, faciens ipsum bonum,
    • sicut virtus dicitur bonum hominis, quia ea homo est bonus ;

similiter enim albedo dicitur ens,

  • non quia ipsa sit subsistens in suo esse,
  • sed quia ea aliquid est album.

Tendit ergo amor dupliciter in aliquid :

  • uno modo, ut in bonum substantiale,
    • quod quidem fit dum sic amamus aliquid ut ei velimus bonum,
      • sicut amamus hominem volentes bonum eius ;
  • alio modo, amor tendit in aliquid, tamquam in bonum accidentale,
    • sicut amamus virtutem,
      • non quidem ea ratione quod volumus eam esse bonam,
      • sed ratione ut per eam boni simus.
  • Primum autem amoris modum, quidam nominant amorem amicitiae ;
  • secundum autem, amorem concupiscentiae.

429. Il arrive (contingit) cependant parfois que nous aimions même certains biens subsistants d’un amour de concupiscence

  • parce que nous ne les aimons pas pour elles-mêmes,
  • mais pour ce qu’elles possèdent ;

c’est ainsi

  • que nous aimons le vin lorsque nous voulons, en le buvant, jouir de sa douceur ;
  • ou de manière similaire, avec un homme qui est aimé
    • à cause du plaisir
    • ou de l’utilité 
    • non pour lui-même
    • mais par accident,  (405).

429. Contingit autem, quandoque, quod etiam aliqua bona subsistentia amamus hoc secundo modo amoris,

  • quia non amamus ipsa secundum se,
  • sed secundum aliquod eorum accidens ;

sicut

  • amamus vinum, volentes potiri dulcedine eius ;
  • et similiter, cum homo
    • propter delectationem
    • vel utilitatem amatur,
    • non ipse secundum se amatur,
    • sed per accidens.

[Après un préambule, on commence ici à répondre à la question]

430. Ainsi donc, dans l'un et l'autre mode d’amour, l’affect de l’amant, par une certaine inclination, est attiré vers la chose aimée, mais selon divers modes :

  • car dans le deuxième mode d'amour [l'amour de concupiscence], l’affect de l’amant est attiré vers la chose aimée par un acte de la volonté, mais par [= à cause de] son intention, l’affect revient rapidement (recurrit)1 en lui-même (in seipsum) :

en effet, lorsque j'appète [= je désire] la justice ou le vin,

    • mon affect est incliné vers l’un de ces autres,
    • mais cependant il retourne rapidement (recurrit) en lui-même

parce qu’il se porte vers les choses susdîtes de telle manière que par elles il lui arrive (sit) un bien  ;

c’est pourquoi un tel amour ne place pas l’amant à l'extérieur de lui-même (extra se), quant à [= en raison de] la fin de l'intention.

  • Mais avec le premier mode d'amour, l'affect de l'amant est porté vers la réalité aimée de telle manière qu’il n'y ait pas ce retour rapide (recurrit) sur lui-même,
    • parce que c’est à la réalité aimée elle-même qu’il veut du bien
    • et non pour cette raison qu’il voudrait qu’au moyen d’elle il lui arrive (accidit) ensuite quelque chose [= un bien].

Ainsi donc c’est un tel amour qui fait l’extase parce qu'il place l’amant à l'extérieur de lui-même (extra seipsum).

430. In utroque igitur modo amoris, affectus amantis per quamdam inclinationem trahitur ad rem amatam, sed diversimode : 

  • nam in secundo modo amoris, affectus amantis trahitur ad rem amatam per actum voluntatis, sed per intentionem, affectus recurrit in seipsum ;

dum enim appeto iustitiam vel vinum,

    • affectus quidem meus inclinatur in alterum horum,
    • sed tamen recurrit in seipsum,

quia sic fertur in praedicta ut per ea bonum sit ei ;

unde talis amor non ponit amantem extra se, quantum ad finem intentionis.

  • Sed cum aliquid amatur primo modo amoris, sic affectus fertur in rem amatam, quod non recurrit in seipsum,
    • quia ipsi rei amatae vult bonum,
    • non ex ea ratione quia ei exinde aliquid accidat.

Sic igitur talis amor extasim facit, quia ponit amantem extra seipsum.

431. Mais cet [amour d'amitié] se produit de trois manières ; en effet, ce bien substantiel peut se porter de trois manières à l’affect :

  • d'une première manière, selon que le bien est plus parfait que l’amant lui-même
    • et par cela l’amant se compare au bien comme la partie au tout,
    • car ce qui existe en totalité dans ce qui est parfait n'existe qu'en partie dans ce qui est imparfait ;
    • par conséquent, selon cela, l’amant est quelque chose de l’aimé.
  • Deuxièmement, selon que le bien aimé est du même ordre que l’amant.
  • Troisièmement, selon que l’amant est plus parfait que ce qui est aimé et ainsi l’amour de l’amant se porte vers l'aimé comme vers quelque chose qui lui appartient [litt. : de sien].

431. Sed hoc contingit tripliciter ; potest enim illud substantiale bonum, in quod affectus fertur, tripliciter se habere :

  • uno modo sic, quod illud bonum sit perfectius quam ipse amans
    • et per hoc amans comparetur ad ipsum ut pars ad totum,
    • quia quae totaliter sunt in perfectis partialiter sunt in imperfectis ;
    • unde secundum hoc, amans est aliquid amati.
  • Alio modo sic, quod bonum amatum sit eiusdem ordinis cum amante.
  • Tertio modo, quod amans sit perfectius re amata et sic amor amantis fertur in amatum, sicut in aliquid suum.

432. Ainsi donc,

A. quand l’appétit de l’amant se porte vers l’aimé comme vers un [être] supérieur dont un quelque chose [une partie] est l’amant lui-même, alors l’amant ordonne son propre bien vers l’aimé ;

    • par exemple, si la main aimait l’homme, elle ordonnerait cela-même qu’elle est vers le tout [le tout qu'est l'homme],
    • d’où elle se placerait totalement à l'extérieur d’elle-même
    • car en aucune manière il lui resterait quelque chose d'elle
    • mais elle ordonnerait tout vers l'aimé, [c'est-à-dire à l’homme].

B. Il n’en est pas ainsi quand un être en aime un autre de même rang ou qui lui est inférieur :

    • en effet, si une main en aimait une autre, elle ne s'ordonnerait pas totalement vers l’autre ;
    • et un homme qui aime sa main n'ordonne pas tout son bien vers le bien de la main.

Ainsi donc

A. quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

B. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif, donc : dans sans mouvement] de sorte 

    • qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ;
    • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

432.

A. Sic igitur cum affectus amantis fertur in amatum superius, cuius aliquid est ipse amans, ipsum suum bonum amans ordinat in amatum ;

  • sicut si manus amaret hominem, hoc ipsum quod ipsa est in totum ordinaret,
  • unde totaliter extra se poneretur,
  • quia nullo modo aliquid sui sibi relinqueretur,
  • sed totum in amatum ordinaret.

B. Non autem ita est, cum aliquid amat sibi aequale vel id quod infra se est :

  • non enim una manus, si aliam amaret, totam se in aliam ordinaret,
  • neque homo amans suam manum, totum bonum suum in bonum manus ordinat.

A. Sic ergo aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

B. Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.

433. Ainsi donc l’amour divin peut ici s’accepter de deux manières :

  • d'une première manière, de l’amour par lequel Dieu est aimé

et c’est ainsi qu’il faut expliquer cette parole qui dit que l’amour divin fait l’extase,

    • c’est-à-dire qu’il place l’amant hors de lui,
    • c’est-à-dire qu’il l’ordonne à Dieu de telle sorte qu’il ne permet pas aux amants d’exister pour eux-mêmes
    • mais pour les réalités divines qu’ils aiment, car il ne leur reste rien qui ne soit ordonné à Dieu.

 

  • D'une autre manière, l’amour divin peut s’entendre de l’amour qui vient de Dieu,
    • non seulement de celui qui est en Lui,
    • mais aussi de celui qui est dans les autres, c’est-à-dire les égaux et les inférieurs

et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui suit :

n'abandonnant pas tant (tantum) les amantsà ce qui leur est propre,
mais à ceux qui sont aimés,

c’est-à-dire à ceux qui sont aimés, car c’est l’amour qui fait

    • qu’ils ne se contentent pas seulement de se replier sur eux-mêmes,
    • qu'ils ne tendent pas seulement vers eux-même, 
    • mais aussi vers les autres.

433. Sic igitur amor divinus dupliciter potest hic accipi :

  • uno modo, amor quo Deus amatur

et sic exponenda est haec littera quod amor divinus facit extasim,

    • idest ponit amantem extra se,
    • idest ordinat ipsum in Deum ita quod non permittit ipsos amatores esse sui ipsorum,
    • sed rerum divinarum quae amantur, quia nihil sui sibi relinquunt quin in Deum ordinent.

 

  • Alio modo, potest intelligi amor divinus qui est a Deo derivatus,
    • non solum in Deum,
    • sed etiam in alia, scilicet aequalia vel inferiora

et sic intelligendum est : 

non dimittens amatores esse sui ipsorum tantum, 
sed amatorum,

idest eorum quae amantur, quia amor facit

    • quod non solum sibi intendant,
    • sed etiam aliis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET DANS LES CREATURES]  

434. Ensuite, lorsqu’il dit (169) : Et ils montrent…il manifeste dans les créatures ce qu’il vient de dire ;

  • et d’abord, par mode d’induction ;
  • deuxièmement par un recours à l’autorité lorsqu’il ajoute (170) : C’est à cause de cela

434. Deinde, cum dicit : et monstrant et cetera, manifestat quod dixerat, in creaturis ;

  • et primo, per inductionem ;
  • secundo, per auctoritatem ; ibi : propter quod et cetera.
[a. Manifestation par voie d'induction]  

435. Il dit donc en premier que cet effet de l’amour, à savoir l’extase,

  • les réalités supérieures en font la preuve (demonstrant) au moyen de la providence qu’elles exercent (faciunt) à l’égard des réalités inférieures ;

c’est en cela en effet qu’elles sont placées d’une certaine manière hors d’elles-mêmes puisqu'alors elles se tournent vers les autres ;

  • et de même, celles qui sont co-ordonnées, à savoir les égales, manifestent la même chose par le support qu'elles exercent les unes à l'égard des autres, c’est-à-dire pour autant qu’elles s’entraident et s’entretiennent mutuellement ;
  • et les réalités inférieures le montrent par le fait qu'elles sont plus divinement convertis en les réalités qui leur sont supérieures, comme vers celles en qui leur bien existe.

Dans tous ces cas [n.b. : = le signe de l'induction] en effet il apparaît qu’une réalité sort d’elle-même aussitôt [dum = pendant que, indique ici la concommitance] qu’elle se tourne vers une autre.

On se sert ici du génitif au lieu de l’ablatif car la langue grecque en est dépourvue.

435. Dicit ergo primo quod praedictum effectum amoris,

  • demonstrant superiora per providentiam quam faciunt de inferioribus ;

in hoc enim quodammodo extra se ponuntur, quod aliis intendunt ;

  • et similiter, monstrant coordinata, idest aequalia, per continentiam qua se invicem continent, prout scilicet, unum ab altero iuvatur et fovetur ;
  • et monstrant etiam inferiora per hoc quod divinius convertuntur in sua superiora, ut in quibus eorum bonum existit.

In omnibus enim his apparet quod aliquid extra se exit, dum ad alterum convertitur.

Utitur autem hic genitivis pro ablativis, quia Graeci ablativis carent.

[b. Manifestation par voie d'autorité]  
 

436. Ensuite, lorsqu’il dit (170) : C’est à cause de cela… il montre la même chose, mais par voie d’autorité ;

et il dit que c’est à cause de cela que

  • l’amour ne permet pas à l’amant d'exister pour lui-même, [l'amour de type amour d'amitié en tant que tel implique une sortie et ne peut se contenter de rester en soi]
  • mais [le pousse à exister] pour l’aimé,

comme on le voit chez le grand Paul qui fut établi dans l’amour divin

  • comme dans une étreinte
  • et par une puissance de l’amour divin qui le fit sortir totalement de lui-même

lorsqu’il dit, en parlant comme par la bouche de Dieu, au deuxième chapitre de l’épître aux Galates (2, 20) : ¨Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi¨,

c'est à dire qu’il était sorti de lui-même, se projetant totalement en Dieu (totum se in Deum proiecerat),

ne cherchant pas

  • ce qui est à lui [litt. "est sien" ; = son bien propre]
  • mais ce qui est à Dieu [= le bien de Dieu, dans l'amour d'amitié, on recherche le bien de l'autre,... il appartient à Dieu d'être aimé...],

comme un vrai amant transporté dans l’extase,

  • vivant de Dieu
  • et ne vivant pas de sa propre vie
  • mais de celle du Christ, son Amour, laquelle lui paraissait de loin préférable.
 

436. Deinde, cum dicit : propter quod et cetera, ostendit idem per auctoritatem ;

et dicit quod propter hoc quod 

  • amor non permittit amatorem esse sui ipsius,
  • sed amati, 

magnus Paulus constitutus in divino amore

  • sicut in quodam continente 
  • et virtute divini amoris faciente ipsum totaliter extra se exire,

quasi divino ore loquens dicit, Galat. 2 : vivo ego, iam non ego, vivit autem in me Christus 

scilicet quia a se exiens totum se in Deum proiecerat,

non quaerens

  • quod sui est,
  • sed quod Dei, 

sicut verus amator et passus extasim,

  • Deo vivens 
  • et non vivens vita sui ipsius,
  • sed vita Christi ut amati, quae vita erat sibi valde diligibilis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET EN DIEU]  

437. Ensuite, lorsqu’il dit (171) : Osons dire

  • il dit qu’il faut affirmer que l’opération de l’amour dont nous venons de parler se retrouve aussi en Dieu, en disant que 
  • ceci est dit audacieusement comme une vérité,
    • c'est à dire établir (faciente) cette vérité audacieusement ;
  • ou, comme une vérité,
    • c'est-à-dire qu’il faut affirmer comme vrai

que Lui-même,

qui est la cause de toute chose par son amour beau et bon par lequel Il aime tout,
selon l’abondance de sa bonté par laquelle il aime les choses,

sort de Lui-même

    • en tant qu'Il pourvoit aux besoins de tout ce qui existe par
      • sa bonté,
      • son amour
      • et sa charité,
    • et d'une certaine manière il est attiré et mis à terre (deponitur)
    • de manière relative à sa propre excellence,
      • selon le fait qu'il existe au-dessus de toutes choses
      • et qu'il est séparé de toutes choses,
    • de sorte qu'il est en toutes choses,
    • par les effets de sa bonté,
    • selon une certaine extase
    • qui le fait cependant exister dans tous les inférieurs,
    • de telle sorte que sa puissance supersubstantielle ne sorte pas de Lui (non egrediatur ab ipso).
    • En effet il comble toutes les choses sans que sa puissance ne soit épuisée dans aucune d’elles.

C’est ce que Denys ajoute certes pour montrer que par le mot ‘mis à terre(deponitur),

    • il ne faut pas comprendre que Dieu soit diminué,
    • mais seulement qu'il se communique à ceux qui participent de sa bonté.

437. Deinde, cum dicit : 

  • audendum et cetera, dicit quod praedicta operatio amoris etiam in Deo invenitur, dicens quod 
    • hoc audacter dicendum est pro veritate,
      • idest veritatem hanc audacter faciente ;
    • vel pro veritate,
      • idest pro vero hoc asserendo, 

quod ipse 

qui est omnium causa per suum pulchrum et bonum amorem quo omnia amat,
secundum abundantiam suae bonitatis qua amat res, 

fit extra seipsum,

    • inquantum providet omnibus existentibus per
      • suam bonitatem
      • et amorem
      • vel dilectionem
    • et quodammodo trahitur et deponitur 
    • quodammodo a sua excellentia, 
      • secundum quod supra omnia existit 
      • et ab omnibus segregatur,
    • ad hoc quod sit in omnibus,
    • per effectus suae bonitatis,
    • secundum quamdam extasim,
    • quae tamen sic ipsum facit in omnibus inferioribus esse,
    • ut supersubstantialis eius virtus non egrediatur ab ipso.
    • Sic enim implet omnia quod ipse in nullo evacuetur sua virtute.

Quod quidem addit, ut per hoc quod dixerat : deponitur,

  • non intelligatur aliqua minoratio,
  • sed hoc solum quod se inferioribus ingerit propter suae bonitatis participationem.
   

 -----

0. Vérifier que la traduction de "in" par "vers" est toujours correcte (il faut l'accusatif).

1. Recurrit : courrir en arrière, revenir en courant, revenir vite, revenir

2. Dans l'amour de conupiscence, il y a un premier temps où l'on sort de soi mais c'est pour un bref instant, le temps de prendre ce qui nous intéresse à l'extérieur pour le ramener en soi. Donc, l'extase est ici certes dans un premier stade, contrairement à l'amour naturel de soi qui ne nécessite pas de sortir de soi, mais elle ne demeure pas dans cet état. Seul l'amour d'amitié restera tendu vers l'autre et demeurera dans cet "état de sortie".

3. Traduction originale du n° 437 : "... et que d’une certaine manière il se prolonge et s’abandonne, mais  à cause de son excellence conformément à Son existence qui demeure au-dessus et séparée de tout dans l’existence de tous les êtres, selon une certaine extase..."

4. n° 437 : "deponitur" :

  • trad. originale : "s'abandonne".
  • Traduction du grec par Sources Chrétiennes 478 : "et, pour ainsi dire, se laisse séduire par la bonté, la dilection et l'amour" ;
  • traduction de Georges Darboy : "et daigne bien se laisser vaincre aux charmes de la bonté, de la dilection et de l’amour".

5. n° 437 : "supersubstantialis eius" : trad. originale : "sa substance qui est au-dessus de toute substance"

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

  • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
  • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

(Somme. I-II.q59a4)

Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

  • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
  • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

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