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Thomas d'Aquin - CG.III.63.9-10 - La vie contemplative commence en cette vie et continue dans la future, au contraire de la vie active et politique

9. Ainsi est-il évident que par la vision divine les substances intellectuelles obtiennent le bonheur véritable, en lequel tous les désirs sont apaisés, et où tous les biens se trouvent avec la pleine suffisance (...) requise pour le bonheur. (...).

10. Dans la vie présente, rien n'est plus semblable à ce bonheur ultime et parfait que la vie de ceux qui contemplent la vérité, autant qu'il est possible en cette vie. Voilà pourquoi les philosophes, qui ne purent avoir une pleine connaissance de ce bonheur ultime, placèrent le bonheur ultime de l'homme dans la contemplation qui est possible en cette vie. C'est aussi pour cette raison que la vie contemplative est, de toutes les [formes de] vies, celle que la Sainte Ecriture recommande davantage, par ces mots du Seigneur dans Luc, 10,42 : Marie a choisi la meilleure part, c'est à dire la contemplation de la vérité, qui ne lui sera pas ôtée. La contemplation de la vérité a en effet son commencement en cette vie, et sa consommation dans la vie future, tandis que la vie active et politique ne s'étend pas au-delà des limites de la vie présente.

(CG.III.63.9-10)

9. Sic igitur patet quod per visionem divinam consequuntur intellectuales substantiae veram felicitatem, in qua omnino desideria quietantur, et in qua est plena sufficientia omnium bonorum, quae (...) ad felicitatem requiritur. (...).

10. Huius autem ultimae et perfectae felicitatis in hac vita nihil est adeo simile sicut vita contemplantium veritatem, secundum quod est possibile in hac vita. Et ideo philosophi, qui de illa felicitate ultima plenam notitiam habere non potuerunt, in contemplatione quae est possibilis in hac vita, ultimam felicitatem hominis posuerunt. Propter hoc etiam, inter alias vitas, in Scriptura divina magis contemplativa commendatur, dicente domino, Lucae 10:42: Maria optimam partem elegit, scilicet contemplationem veritatis, quae non auferetur ab ea. Incipit enim contemplatio veritatis in hac vita, sed in futura consummatur: activa vero et civilis vita huius vitae terminos non transcendit.  

 


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Thomas d'Aquin - CG.III.c116.5 - La fin de toute législation, c’est donc que l’homme aime Dieu

De plus. Par le commandement de la loi promulguée, les législateurs meuvent ceux à qui la loi est donnée. Or, dans toutes les choses mues par un premier moteur, est mû plus parfaitement ce qui participe davantage à la motion du premier moteur, et à sa ressemblance. Or Dieu, qui donne la loi divine, fait toutes choses pour son amour. Donc celui qui tend vers lui de cette manière, c’est-à-dire en l’aimant, est le plus parfaitement mû vers lui. Or tout agent vise la perfection dans ce qu’il fait. La fin de toute législation, c’est donc que l’homme aime Dieu.

(CG.III.c116.5)

Adhuc. Legislatores imperio legis editae movent eos quibus lex datur. In omnibus autem quae moventur ab aliquo primo movente, tanto aliquid perfectius movetur quanto magis participat de motione primi moventis, et de similitudine ipsius. Deus autem, qui est legis divinae dator, omnia facit propter suum amorem. Qui igitur hoc modo tendit in ipsum, scilicet amando, perfectissime movetur in ipsum. Omne autem agens intendit perfectionem in eo quod agit. Hic igitur est finis totius legislationis, ut homo Deum amet.

 


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Thomas d'Aquin - DePerf.11 - L'amour divin sort celui qui l'aime de son propre être pour être celui qu'il aime

Pour atteindre la perfection de la charité, il n’est pas seulement nécessaire

  • que l’homme écarte les réalités extérieures,
  • mais aussi que, en quelque manière, il s’abandonne complètement lui-même.

Denys dit en effet dans Les noms divins,chap. IV, que l’amour divin produite l’extase (extasim faciens), c’est-à-dire qu’il met l’homme à l'extérieur de lui-même, en ne laissant pas l’homme être lui-même, mais celui qui est aimé.

Paul en lui-même en a montré l'exemple, lorsqu'il dit, en Ga 2, 20 : "Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis : c’est plutôt le Christ qui vit en moi", comme s’il estimait que ce n’était pas sa [propre] vie, mais celle du Christ, car, en méprisant ce qui était proprement sien, il était fixé (inhaerebat) totalement dans le Christ.

(DePerf.chap. 11)

Non solum autem necessarium est ad perfectionem caritatis consequendam quod

  • homo exteriora abiciat,
  • sed etiam quodammodo se ipsum derelinquat. 

Dicit enim Dionysius, 4 cap. De divinis nominibus, quod divinus amor est extasim faciens, id est hominem extra se ipsum ponens, non sinens hominem sui ipsius esse, sed eius quod amatur.

Cuius rei exemplum in se ipso demonstravit Apostolus dicens ad Gal. II, 20 Vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus, quasi suam vitam non suam aestimans, sed Christi; quia quod proprium sibi erat contemnens, totus Christo inhaerebat.

 


"inhaerebat" : haereo signifie déjà "être attaché à", "adhérer à" ; le préfixe "in" ajoute une indication sur la manière dont se fait cet attachement, il se fait à l'intérieur. Dans la Somme, Thomas emprunte à Denys l'un des effets de l'amour qui est l'inhésion en la personne aimée. Lorsqu'on l'aime, on existe en ce qu'on aime, cf. I.q28a2. 

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Thomas d'Aquin - L'amour spirituel extatique n'implique pas d'aimer l'autre plus que soi-même - I-II.q28a3ad3

  • Celui qui aime(amat), en cela qu'il aime, sort à l'extérieur de lui, en tant qu'il veut le bien pour son ami et qu'il y travaille.
  • Non cependant qu'il veuille le bien pour son ami plus qu'il ne le veuille pour lui-même. De là, il ne s'ensuit pas qu'on aime de dilection (diligat) l'autre plus que soi-même.

(Somme, I-II.q28a3ad3)

  • Ille qui amat, intantum extra se exit, inquantum vult bona amici et operatur.
  • Non tamen vult bona amici magis quam sua. Unde non sequitur quod alterum plus quam se diligat..

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 1. Une seule réalité mérite d'être aimé plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu. Voir Commentaires des Noms Divins

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles de sorte qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ; tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles. (4.10.432)

Ainsi Jésus recommande d'aimer son prochain comme soi-même, non pas plus que soi-même. Il y a ici beaucoup à dire. Voir le sacrifice de Maximilien Kolbe.

2. Le fait que l'amour spirituel est de soi extatique ne signifie pas le fait de quitter quelque chose qu'on aimerait moins (soi) pour sortir aimer quelque chose d'autre plus digne d'être aimé (l'ami). Non, en aimant l'autre et en demeurant en lui et en s'attachant à oeuvre pour son bien, on ne cesse pas de s'aimer tout autant qu'on aime l'autre.

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Thomas d'Aquin - Nous aimons quelqu'un d'amitié lorsque nous l'aimons pour son être même - Comm.Noms.Divins.4.9.404

  • ... non à cause d'une de ses qualités accidentelles dont nous retirons un bien

Quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous la raison de bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

(Commentaire des Noms Divins, 4.9.404)

Dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

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1. Bien noter : TH. atteste que plusieurs auteurs ou enseignants utilisent déjà l'expression "amour d'amitié" ; il la reprend ici à son compte.

2. Benevolentia : disposition à vouloir du bien ; amor benevolentiae : amour par lequel nous voulons à l'autre le bien. Dans d'autres passages TH. ajoute que cet amour nous pousse à opérer le bien pour la personne qu'on aime d'amitié, c'est à dire nous pousse à travailler pour le bien de l'autre.

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Thomas d'Aquin - Une seule réalité mérite d'être aimée plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu - Comm.Noms.Divins.4.10.432

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif : dans sans mouvement] de sorte 

  • qu’à soi seul il ne tende pas mais aux autres [aussi] ;
  • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

(Commentaire des Noms Divins, 4.10.432)

Aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.
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