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Thomas d'Aquin - I.q60a2 - (1) Différence connaissance / amour : l’acte de l'appétit volontaire met en rapport celui qui désire avec la chose-même - (2) Le bien ultime est désiré et choisi par soi, le moyen à cause du bien-fin-ultime

S'il y a dans l'ange la dilection élective [= amour de choix] Utrum in angelis sit dilectio elective

[Chez les anges]

Chez les anges existe

  • une certaine dilection naturelle
  • et une certaine dilection élective ;

et la dilection naturelle, en eux, est principe de [la dilection] élective,

  • parce que, toujours, ce qui relève du premier a raison de principe (ratio principii) ; 
    • de sorte que, puisque la nature est première en chaque [être], il faut que ce qui relève de la nature soit principe en ces [êtres].

[Chez les hommes]

Et cela apparaît chez les hommes

  • et quant à son intellect
  • et quant à sa volonté.
  • L’intellect, en effet, connaît les principes naturellement, et, à partir de cette connaissance est causée en l'homme la science des conclusions,
    • lesquelles ne sont pas connues naturellement par l'homme,
      • mais [seulement] par la recherche ou par l’enseignement (doctrinam).
  • Pareillement (similiter) dans la volonté, la fin se prend sur ce mode, comme le principe pour l'intellect, comme il est dit dans Physiques, II.

C’est pourquoi la volonté tend naturellement vers sa fin ultime, car tout homme veut naturellement la béatitude. De cette volonté naturelle dérivent tous les autres volontés ; car tout ce que veut l’homme, il le veut en vue de la fin.

  • La dilection du bien que l’homme veut naturellement comme fin, est une dilection naturelle.
  • La dilection qui en est dérivée, qui est un bien aimé (diligitur) en vue de la fin, est une dilection élective.

In angelis est

  • quaedam dilectio naturalis
  • et quaedam electiva.

Et naturalis dilectio in eis est principium electivae,

  • quia semper id quod pertinet ad prius, habet rationem principii;
    • unde, cum natura sit primum quod est in unoquoque, oportet quod id quod ad naturam pertinet, sit principium in quolibet.

Et hoc apparet in homine

  • et quantum ad intellectum,
  • et quantum ad voluntatem.
  • Intellectus enim cognoscit principia naturaliter, et ex hac cognitione causatur in homine scientia conclusionum,
    • quae non cognoscuntur naturaliter ab homine, sed per inventionem vel doctrinam.
  • Similiter in voluntate finis hoc modo se habet, sicut principium in intellectu, ut dicitur in II physic..

Unde voluntas naturaliter tendit in suum finem ultimum, omnis enim homo naturaliter vult beatitudinem. Et ex hac naturali voluntate causantur omnes aliae voluntates, cum quidquid homo vult, velit propter finem.

  • Dilectio igitur boni quod homo naturaliter vult sicut finem, est dilectio naturalis,
  • dilectio autem ab hac derivata, quae est boni quod diligitur propter finem, est dilectio electiva.

Cela, cependant, se prend différemment de la partie de l'intellect, et [de la partie de] la volonté.

  • Parce que, comme il a été dit plus haut, la connaissance de l'intellect se fait selon que les choses connues (res cognitae) sont dans celui qui connaît.
    • Or, du fait de l’imperfection de la nature intellectuelle dans l'homme,
      • que, de manière non immédiate, son intellect a naturellement [connaissance] de tous les intelligibles,
      • mais quelques-uns [seulement], à partir desquels il est mû vers certains autres.
  • Mais l’acte de la puissance (virtutis) appétitive est [= se réalise], au contraire (e converso), selon l'ordre de l'appétit vers la chose (res).
    • Or, certaines de ces [choses]
      • sont bonnes en elles-mêmes (secundum se bona)
      • et donc appétibles [= désirables] en elles-mêmes (secundum se appetibilia) ;
    • et il y a certaines [choses]
      • dont la ratio boni [= ~ la bonté] tient à leur ordre à autre chose,
      • et qui sont appétibles à cause de cette autre chose.

[Peu importe qui désire, c'est naturellement qu'on désire la fin et électivement qu'on désire les moyens]

D'où, ce n'est pas du fait de l'imperfection de celui qui appète  

  • que quelqu'un (aliquid) appète naturellement [une réalité] comme fin, 
  • et que quelqu'un (aliquid) appète par élection [une réalité] comme ordonnée à la fin.

Hoc tamen differenter se habet ex parte intellectus, et voluntatis.

  • Quia, sicut supra dictum est, cognitio intellectus fit secundum quod res cognitae sunt in cognoscente.
    • Est autem ex imperfectione intellectualis naturae in homine,
      • quod non statim eius intellectus naturaliter habet omnia intelligibilia,
      • sed quaedam, a quibus in alia quodammodo movetur.
  • Sed actus appetitivae virtutis est, e converso, secundum ordinem appetentis ad res.
    • Quarum quaedam
      • sunt secundum se bona,
      • et ideo secundum se appetibilia,
    • quaedam vero 
      • habent rationem bonitatis ex ordine ad aliud,
      • et sunt appetibilia propter aliud.

[ ]

Unde non est ex imperfectione appetentis, quod

  • aliquid appetat naturaliter ut finem,
  • et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.

[Retour au cas de l'ange, ce qui se passe au plan de la connaissance ne se retrouve pas au plan de l'amour]

Donc, puisque la nature de l’ange est parfaite,

  1. on trouve en lui
    • seulement la connaissance naturelle,
    • non la connaissance ratiocinante (ratiocinativa) [= raisonnante].
  1. Mais on trouve en lui la dilection
    • et naturelle
    • et élective.

[Tout cela a été dit au plan simplement naturel, qui est d'ailleurs insuffisant]

Mais ces [choses] ont été dites en laissant de côté celles qui sont au-dessus de la nature (supra naturam), car la nature de celles-ci n'est pas un principe suffisant. De cela, il sera dit plus bas.

(Somme, I.q60a2)

[ ]

Quia igitur natura intellectualis in angelis perfecta est,

  1. invenitur in eis
    • sola cognitio naturalis,
    • non autem ratiocinativa,
  1. sed invenitur in eis dilectio
    • et naturalis
    • et electiva.

[ ]

Haec autem dicta sunt, praetermissis his quae supra naturam sunt, horum enim natura non est principium sufficiens. De his autem infra dicetur.

 

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0. --  Dilection = amour spirituel impliquant un choix conscient, à la différence de l'amour instinctif et de l'amour passionnel et même de l'amour spirituel dans son tout premier moment, avant que l'intention de se porter vers l'objet aimé n'entre en jeu. Ici, Thomas ne parle que de dilection, ce qui signifie qu'il parle d'un amour du bonheur et d'un amour des moyens dans lesquels réside déjà un choix conscient, un certain jugement. On n'est pas au moment tout à fait premier de la naissance de ces amours.

1. --  Dans l'étude des passions Thomas parlera de l'amour naturel distingué de l'amour sensitif et de la dilection. Ici, il parle de dilection naturelle. Il serait intéressant de bien distinguer amour naturel et dilection naturelle. Le mot nature n'est pas utilisé exactement dans le même sens... A creuser. La dilection naturelle serait l'amour conscient qu'on est amené à élire suite à l'amour naturel du bonheur. Choisir ce qui pourtant s'impose. Il est assez amusant de relever chez Thomas l'expression "dilection élective" puisque l'élection fait déjà partie de ce qu'est la dilection. Il y a une double élection qui se fait en cascade : la dilection simple dans laquelle on aime d'un amour choisi la fin (qualifiée de naturelle par TH.) puis la dilection de ce qui, propement, est objet d'élection : le moyen. C'est très subtil, mais pas étonnant de la part de Thomas qui expérimente ce dont il parle, cette expérience qui révèle la complexité de la vie humaine lorsqu'on l'analyse (elle est bien plus simple lorsqu'on la vit, comme la voiture apparaît complexe quand elle est entièrement démontée, mais simple quand elle roule). On se demande comme ce manuel pour débutants qu'est la Somme peut être compris par les dits débutants !

2. -- Le principe est à l'intellect ce que la fin est à la volonté.

  • En s'appuyant sur un principe, l'intellect parvient à des conclusions par le raisonnement, ces conclusions n'étant pas évidentes au point de départ.
  • En s'appuyant sur la fin (la dilection du bonheur), la volonté parvient par délibération à vouloir des biens intermédiaires, des moyens en vue de la fin, qui n'étaient pas évidents dans la dilection naturelle initiale du bonheur.

La conclusion issue du raisonnement est analogue au choix issu de la délibération.

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A. -- On notera ce que nous prenons comme une grossière erreur de traduction :
 
Unde non est ex imperfectione appetentis, quod aliquid appetat naturaliter ut finem, et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.
qui a été rendu par : 
 
Ce n’est donc pas du fait de son imperfection que le sujet désirant veut ceci naturellement comme sa fin, et cela électivement, en l’ordonnant à sa fin. 
 
"et aliquid" est traduit par "et ceci", ce qui ne répond pas des deux choses désirées : le bien ultime comme fin, et les moyens ordonnés à cette fin.
 
  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q83a4 - Analogie intelligence / raison / conclusion -- volonté / libre arbitre / moyens

 

Si le libre arbitre est une puissance appétitive, est-elle la même puissance que la volonté, ou une autre ?

 

 

Si est appetitiva, utrum sit eadem potentia cum voluntate, vel alia.

 

Les puissances appétitives être proportionnées aux puissances cognitives, comme on l'a dit plus haut.

  • De même que de la partie appréhension intellectuelle se prennent l'intellect et la raison, 
  • ainsi de la partie appétit intellectif se prennent la volonté et le libre arbitre,
    • qui n’est rien d’autre que la puissance élective (vis electiva).

Et cela est patent à partir du rapport entre objets et actes [de ces puissances].

Potentias appetitivas oportet esse proportionatas potentiis apprehensivis, ut supra dictum est.

  • Sicut autem ex parte apprehensionis intellectivae se habent intellectus et ratio,
  • ita ex parte appetitus intellectivi se habent voluntas et liberum arbitrium,
    • quod nihil aliud est quam vis electiva.

Et hoc patet ex habitudine obiectorum et actuum.

[Du côté de l'appréhension intellective]  
  • Intelliger (intelligere) implique une simple saisie de quelque réalité (alicuius rei).
    • d'où être intelligé est proprement dit des principes,
      • [principes qui] sont connus par eux-mêmes sans confrontation.
  • Raisonner (Ratiocinari), c’est passer d’une connaissance à une autre,
    • d'où, proprement, c'est sur les conlusions que nous raisonnons,
      • [conclusions] qui deviennent connues à partir des principes.
  • Nam intelligere importat simplicem acceptionem alicuius rei,
    • unde intelligi dicuntur proprie principia,
      • quae sine collatione per seipsa cognoscuntur.
  • Ratiocinari autem proprie est devenire ex uno in cognitionem alterius, 
    • unde proprie de conclusionibus ratiocinamur,
      • quae ex principiis innotescunt.
[Du côté de l'appétit intellectif, (= spirituel)]  

Il en va de même dans l’appétit :

  • vouloir (velle) implique un simple appétit (simplicem appetitum) de quelque réalité,
    • d'où, la volonté est dîte [volonté] de la fin, laquelle est par elle-même objet de l'appétit.
  • Elire, c’est appéter [= désirer] une chose pour en obtenir une autre, 
    • d'où [élire] est proprement à propos de ce qui est en vue de la fin [= les moyens].

Similiter ex parte appetitus,

  • velle importat simplicem appetitum alicuius rei,
    • unde voluntas dicitur esse de fine, qui propter se appetitur.
  • Eligere autem est appetere aliquid propter alterum consequendum,
    • unde proprie est eorum quae sunt ad finem.
[Les premiers principes sont aux conclusions ce que la fin est aux moyens]  

Mais, 

  • de même qu''il y a un rapport dans l’ordre de la connaissance du principe à la conclusion,
    • [conclusion] à laquelle nous donnons notre assentiment à cause des principes,
  • ainsi, dans l’ordre appétitif il y a un rapport de la fin aux moyens,
    • [moyens] qui sont appétés [= désirés] à cause de la fin.

D'où est manifeste que

  • de même qu'il y a un rapport de l'intellect à la raison,
  • ainsi il y a un rapport de la volonté à la puissance élective, ce qui est la même chose que le libre arbitre.

Mais a été montré (ostensum) plus haut 

  • qu'intelliger et raisonner est une même puissance (potentiae),
  • comme reposer et mouvoir est une même capacité (virtutis),

D'où aussi vouloir et élire est une même puissance.

Et à cause de cela volonté et libre arbitre ne sont pas deux puissances, mais une [seule].

(Somme, I.q83a4)

  • Sicut autem se habet in cognitivis principium ad conclusionem,
    • cui propter principia assentimus ;
  • ita in appetitivis se habet finis ad ea quae sunt ad finem,
    • quae propter finem appetuntur.

Unde manifestum est quod sicut se habet intellectus ad rationem, ita se habet voluntas ad vim electivam, idest ad liberum arbitrium.

Ostensum est autem supra

  • quod eiusdem potentiae est intelligere et ratiocinari,
  • sicut eiusdem virtutis est quiescere et moveri.

Unde etiam eiusdem potentiae est velle et eligere.

Et propter hoc voluntas et liberum arbitrium non sunt duae potentiae, sed una.


1. --

L'analogie est donc la suivante : 

  • comme les premiers principes s'imposent dans l'ordre de la connaissance,
  • ainsi s'imposent la connaissance simple de la fin dans l'ordre de l'agir ;

puis

  • comme le raisonnement, à partir des premiers principes, amène à la connaissance d'autres choses,
  • ainsi l'élection, à partir de la connaissance de la fin, amène à la connaissance des moyens.

Voici les rapports de proportions à souligner :

(1) premiers principes, (2) raisonnement, (3) conclusion ;

(1) fins, (2) élection (qui implique la recherche par le conseil), (3) moyens.

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