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Thomas d'Aquin - ContraRetr.9 - Si tu veux entrer en religion, ne demande pas conseil aux proches selon la chair

Mais il reste deux choses qu’il faut encore conseiller à ceux qui entretiennent le propos d’entrer en religion : l’une est la manière d’entrer en religion ; l’autre est de savoir s’ils ont quelque empêchement par lequel ils seraient empêchés d’entrer en religion, par exemple, s’ils sont des serfs, ou s’ils sont unis par le mariage, ou quelque chose de ce genre.

Mais, en premier lieu, les proches selon la chair doivent être écartés de ce conseil. En effet, il est dit en Pr 25, 9 : "Traite de ce qui te concerne avec ton ami, et ne révèle pas ton secret à un étranger". Les proches selon la chair ne sont pas des amis eu égard à ce propos, mais plutôt des ennemis, selon ce qu’on lit en Mi 7, 6 : "Les ennemis de l’homme, ce sont les membres de sa maison". C’est ce que le Seigneur aussi met de l’avant en Mt 10, 36. Dans ce cas, donc, il faut surtout éviter les conseils des proches selon la chair. (...)

Il faut aussi que soient écartés de ce conseil les hommes charnels, par qui la sagesse de Dieu est considérée comme folie. Ainsi est-il dit par dérision en Si 37, 12 : Parle de sainteté avec un homme sans religion, et de justice avec un homme injuste!Et il ajoute plus loin : Ne porte attention à aucun de leurs conseils, mais fréquente l’homme sage(Si 37, 14‑15), à qui il faut demander conseil, s’il faut être conseillé par certains dans cette situation.

(ContraRetr.9)

Restant autem duo de quibus consiliari relinquitur his qui religionis assumendae propositum gerunt: quorum unum est de modo religionem intrandi; aliud autem est, si aliquod speciale impedimentum habeant, per quod impediantur a religionis ingressu; puta, si sint servi, vel matrimonio iuncti, vel aliquid huiusmodi.

Sed ab hoc consilio primo quidem amovendi sunt carnis propinqui. Dicitur enim Prov. XXV, 9: causam tuam tracta cum amico tuo, et secretum extraneo non reveles. Propinqui autem carnis in hoc proposito amici non sunt, sed potius inimici, secundum illud quod habetur Mich. VII, 6: inimici hominis domestici eius: quod etiam dominus introducit Matth. X, 36. In hoc igitur casu sunt praecipue vitanda carnalium propinquorum consilia. (...)

Arcendi sunt etiam ab hoc consilio carnales homines, apud quos Dei sapientia stultitia reputatur: unde Eccli. XXXVII, 12, irrisorie dicitur: cum viro irreligioso tracta de sanctitate, et cum iniusto de iustitia: et postea subdit: non attendas his in omni consilio, sed cum viro sancto assiduus esto: a quo est petendum consilium, si de aliquibus in hoc casu consiliari oporteat.

 


1. -- Morceau très autobiographique, lorsqu'on sait à quel point les parents de TH. s'opposèrent très concrètement et pendant un long temps à son entrée chez les dominicains quoiqu'ils furent plus que favorables à ce qu'il reste chez les bénédictins du Mont Cassin... pour en devenir l'abbé...

2. -- "s'il faut demander conseil" : encore une note autobiographique. On voit là que TH. n'a semble-t-il pas eu besoin de demander conseil et que sa décision a été ferme et hautement personnelle.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad11 - Quelque chose du bien demeure dans l'action volontairement fautive - LUMINEUX

Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait. 

(DeVer.q24a10ad11)

 

Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.

 

Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".

A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.

La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement (specie) comme un bien.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - La vertu est un choix prédéterminé qui améliore la rapidité dans l'action

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

Pour faciliter la lecture, on pourra remplacer élection par choix et élire par choisir.

Comme dit le Philosophe au troisième livre de l’Éthique, « on fait preuve de plus de courage quand on se montre sans peur et sans trouble devant un péril surgi à l’improviste que devant un péril attendu ». En effet, l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation :

  • car les choses attendues, c’est‑à‑dire connues d’avance, on les élira par la raison et la réflexion (ex ratione et cogitatione)
    • sans habitus ;
  • mais ce qui surgit à l’improviste est élu
    • par un habitus.

Et il ne faut pas comprendre (intelligendum)

  • que l’opération par l’habitus de vertu pourrait être tout à fait sans délibération, puisque la vertu est un habitus électif,
  • mais que, pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection ;

par conséquent, chaque fois qu’une chose (aliquid) se présente comme convenant à cette fin,

  • elle est aussitôt élue,
  • à moins qu’elle ne soit empêchée par une délibération plus attentive et plus longue.

(DeVer.q24a12)

Ut enim philosophus dicit in III Ethicorum [cap. 11 (1117 a 17)], fortioris est in repentinis timoribus impavidum et imperturbatum esse, quam in praemanifestis. Ab habitu enim est magis operatio, quanto minus est ex praemeditatione :

  • praemanifesta enim, id est praecognita, aliquis praeeliget ex ratione et cogitatione sine habitu ;
  • sed repentina sunt secundum habitum.

Nec hoc est intelligendum

  • quod operatio secundum habitum virtutis possit esse omnino absque deliberatione, cum virtus sit habitus electivus ;
  • sed quia habenti habitum iam est in eius electione finis determinatus ;

unde quandocumque aliquid occurrit ut conveniens illi fini,

  • statim eligitur,
  • nisi ex aliqua attentiori et maiori deliberatione impediatur.

 


... l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation...

... puisque la vertu est un habitus électif...

... pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection...

1. -- Bien noter que l'habitus n'est pas un réflexe, le choix demeure, même s'il a été antérieurement et volontairement automatisé afin de ne pas avoir à rechoisir le moindre des petits actes dans le détail. Si les circonstances l'exigent, on pourra réactiver un choix plus conscient par l'attention et le temps qu'on y passera. Mais s'il n'y a pas lieu, c'est justement sur le plan de la rapidité à l'action et du temps gagné que l'homme prudent tablera. En dernier lieu, s'il s'agit de gagner du temps, c'est pour se consacrer aux tâches les plus nobles, et parmi elles la plus noble, celle d'aimer ("il est meilleur d’aimer Dieu que de le connaître", SommeI.q82a3). Noter que le mot "opérations" ou le mot "activités" est plus adapté ici que le mots "tâches".

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - Où Thomas éclaire la relation entre le conseil et la délibération

En effet, puisque l’acte du libre arbitre 

  • est l’élection,
  • qui suit le conseil, 
  • c’est-à-dire la délibération de la raison, 
le libre arbitre ne peut s’étendre à ce qui échappe à la délibération de la raison, comme c’est le cas des choses qui se présentent de façon non préméditée.

(DeVer.q24a12)

Cum enim actus liberi arbitrii

  • sit electio,
  • quae consilium,
  • id est deliberationem rationis,

sequitur, ad illud se liberum arbitrium extendere non potest quod deliberationem rationis subterfugit, sicut sunt ea quae impraemeditate occurrunt.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad1 - On ne dit pas que l'homme est libre de ses actions, mais libre de son élection

L'homme n'est pas dit libre de ses actions, mais libre de son élection, qui est juge des choses à faire dans le domaine de l'action. Et le nom même "libre arbitre" le montre.

(DeVer.q24a1ad1)

Homo non dicitur esse liber suarum actionum, sed liber suae electionis, quae est judicum de agendis. Et hoc ipsum nomen liberi arbitrii demonstrat.

 


A précisément parler, l'homme n'est pas libre de ses actions, mais du choix qui prélude à ses actions. Ce qui implique de penser qu'il n'y a pas d'acte humain sans choix.

Voir aussi DeVer.q24a2ad3

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad17 - Le jugement libre, c'est le jugement d'élection passé par le conseil

Le jugement auquel la liberté est attribuée,

  • est le jugement d’élection,
  • et non celui que l’homme prononce sur les conclusions dans les sciences spéculatives ;

car l’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis).

(DeVer.q24a1ad17)

Iudicium cui attribuitur libertas,

  • est iudicium electionis ;
  • non autem iudicium quo sententiat homo de conclusionibus in scientiis speculativis ;

nam ipsa electio est quasi quaedam scientia de praeconsiliatis.

 

 


L'élection est le terme du conseil, comme la conclusion est le terme du raisonnement. A ce stade il n'y a pas de mouvement mais un repos.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad19 - Le libre arbitre, le conditionnement et les différentes causes efficientes et matérielles (les corps extérieurs, le corps, l'habitus acquis, l'habitus infus)

[Ce que l'on ne tient pas de notre naissance]

Les hommes ne tiennent de leur naissance aucune disposition immédiatement dans l’âme intellective, par laquelle ils sont de nécessité inclinés à élire une certaine fin : [aliquem => une fin seconde, un moyen, par laquelle on atteint la fin ultime]

  • ni du corps céleste,
  • ni d’aucune autre chose ;

si ce n’est que de leur nature même (ex ipsa sui natura) ils ont en eux un appétit nécessaire de la fin ultime, c’est‑à‑dire de la béatitude, 

  • ce qui n’empêche pas la liberté de l’arbitre,
  • puisque diverses voies demeurent éligibles pour suivre cette fin ;

et ce, parce que les corps célestes ne laissent pas une impression immédiate dans l’âme raisonnable.

[Ce que l'on tient de notre naissance]

[Le corps apporte en nous un certain conditionnement... ]

Mais de la naissance résulte une disposition dans le corps du nouveau-né,

  • tant par la puissance des corps célestes [= conditionnement naturel extérieur à nous]
  • que par les causes inférieures, que sont
    • la semence
    • et la matière du fœtus, [= conditionnement naturel intérieur à nous]
    • par quoi l'âme est en quelque manière penchée de manière efficiente (efficitur) [donc pas par une cause finale] à une certaine élection,
    • selon laquelle l'élection de l'âme rationnelle est inclinée à partir des passions,
      • qui sont dans l'appétit sensible,
      • qui est une puissance du corps qui suit les dispositions corporelles.

[... mais qui ne supprime pas le libre arbitre pour autant]

Mais de cela nulle nécessité n'est induite en lui quant à l’élection, puisqu’il est au pouvoir de l’âme raisonnable

  • de recevoir,
  • ou de repousser les passions naissantes.

Par la suite, l’homme devient de manière efficiente (efficitur) tel ou tel

  • par un habitus acquis,
    • dont nous sommes la cause,
  • ou par un habitus infus,
    • qui n’est pas donné sans notre consentement, quoique nous n’en soyons pas la cause.

Et cet habitus a pour effet (efficitur) que l’homme désire (appetat) efficacement la fin en consonnance avec cet habitus. Et un tel habitus

  • n’induit pas de nécessité,
  • ni ne lève la liberté de l’élection.

(DeVer.q24a1ad19)

[ ]

Homines ex nativitate non consequuntur aliquam dispositionem immediate in anima intellectiva, per quam de necessitate inclinentur ad aliquem finem eligendum,

  • nec a corpore caelesti,
  • nec ab aliquo alio ;

nisi quod ex ipsa sui natura inest eis necessarius appetitus ultimi finis, scilicet beatitudinis,

  • quod non impedit arbitrii libertatem,
  • cum diversae viae remaneant eligibiles ad consecutionem illius finis.

Et hoc ideo quia corpora caelestia non habent immediatam impressionem in animam rationalem.

[ ]

[ ]

Ex nativitate autem consequitur in corpore nati aliqua dispositio

  • tum ex virtute corporum caelestium,
  • tum ex causis inferioribus, quae sunt
    • semen
    • et materia concepti,

per quam anima quodammodo ad aliquid eligendum prona efficitur,

secundum quod electio animae rationalis inclinatur ex passionibus, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est potentia corporalis consequens corporis dispositiones.

[ ]

Sed ex hoc nulla necessitas inducitur ei ad eligendum ; cum in potestate animae rationalis sit

  • accipere,
  • vel etiam refutare passiones subortas.

Postmodum vero homo efficitur aliqualis

  • per aliquem habitum acquisitum
    • cuius nos causa sumus,
  • vel infusum,
    • qui sine nostro consensu non datur, quamvis eius causa non simus.

Et ex hoc habitu efficitur quod homo efficaciter appetat finem consonum illi habitui. Et tamen ille habitus

  • necessitatem non inducit,
  • nec libertatem electionis tollit.

1. -- consonum : cf. la haine qui exprime une relation de dissonance entre un sujet et un objet qui ne lui convient pas (voir traité des passions).

2. -- efficaciter appetat finem : formule concise qui résume tout : il y a le désir naturel de la fin, et il y a le fait de se diriger vers elle de manière efficiente à travers des moyens, c'est à dire par une opération, une action concrète. Dans le domaine moral, ces actions seront déterminées par la prudence (habitus acquis) ou par un don gratuit de Dieu (habitus infus).

3. -- Nécessité de prendre le contrôle de la partie efficiente, sans quoi on la laisse au conditionnement.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad2 - L'homme ne choisit pas de la manière dont l'ange ou Dieu choisissent

Personne ne dirait que l’homme n’est pas [doué] de libre arbitre parce qu’il ne peut pas vouloir ou élire à la façon (qualiter) de Dieu ou de l’ange. (DeVer.q24a1ad2) Nullus autem diceret, propter hoc hominem non esse liberi arbitrii, quia non potest talitervelle vel eligere qualiterDeus vel Angelus.

Compléter ce commentaire :

Selon Thomas donc, l'homme a une manière particulière de vouloir et de choisir. Si vouloir ou choisir est une chose, la manière dont nous voulons et dont nous choisissons en est une autre. Mais cette manière particulière n'intervient pas dans le fait que nous sommes doué de libre arbitre. Notre conditionnement physique n'est pas déterminant, ce qui prime est que nous ayons une dimension rationnelle, ce que nous partageons avec Dieu et l'ange. Thomas parle ici en théologien puisqu'il met en parallèle la manière dont nous sommes en mesure d'accomplir des actes méritoires (hors du champs de la nature) et la manière dont nous sommes en mesure d'accomplir des actes simplement politiques (entendre "éthique") qui eux sont bien du ressort de la nature seule.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad20 - Nous ne jugeons ni ne choisissons la fin ultime mais nous l'approuvons et la voulons

 

  • De même que nous ne jugeons pas des premiers principes en les examinant,
    • mais que nous y assentons (assentimus) naturellement et examinons toutes les autres choses d’après eux ;
  • ainsi, dans le domaine de l’appétit, nous ne jugeons pas de la fin ultime par un jugement de discussion ou d’examen,
    • mais nous l’approuvons naturellement (naturaliter approbamus),
    • et c’est pourquoi il n’y a pas sur elle élection, mais volonté.

(DeVer.q24a1ad20)

  • Sicut de primis principiis non iudicamus ea examinantes,
    • sed naturaliter ei assentimus, et secundum ea omnia alia examinamus;
  • ita et in appetibilibus, de fine ultimo non iudicamus iudicio discussionis vel examinationis,
    • sed naturaliter approbamus,
    • propter quod de eo non est electio, sed voluntas.

1. -- in appetibilibus : dans les choses possiblement objets de désir, c'est le domaine de l'agir, de l'action en relation à un bien que nous recherchons.

2. -- Nous ne décidons pas si nous voulons être heureux, nous constatons que nous le voulons naturellement.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad20 - On juge de ce dont on peut juger, et pas du reste

  • Certaines choses s'imposent en effet, qui ne sont pas objets de choix.

Puisque l’élection est un certain jugement

  • sur les actions,
  • ou une conséquence de ce jugement,

de cela, qui tombe sous notre jugement, il peut y avoir élection.

[sous-entendu : et pas du reste]

(DeVer.q24a1ad20)

Cum electio sit quoddam iudicium

  • de agendis,
  • vel iudicium consequatur,

de hoc potest esse electio quod sub iudicio nostro cadit.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2ad3 - Les actions peuvent être empêchées, on n'est donc pas libre de son action

Les actions, étant exercées par le corps, peuvent être contraintes ou empêchées non seulement chez les bêtes, mais aussi chez les hommes, et c’est pourquoi on ne dit pas même de l’homme qu’il est libre de son action. 

(DeVer.q24a2ad3)

Actiones, cum per corpus exerceantur, cogi possunt vel prohiberi, non solum in brutis, sed in hominibus, unde nec ipse homo dicitur liber actionis suae.

 


Parce que nous sommes des êtres corporels appartenant au monde physique, les conséquences d'un choix peuvent ne pas s'appliquer. La liberté est avant tout interne et n'a pas besoin de voir les actions réellement efféctuées pour exister.

 Voir aussi DeVer.q24a1ad1.q24a1ad1

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le libre arbitre est la volonté elle‑même dans son acte d'élection

  • Le libre arbitre ne recouvre pas tout ce qu'est la volonté mais seulement en tant qu'elle élit.
  • ... de même que le délectable et l’honnête,
      • qui incluent la raison de fin,
    • sont objets de la puissance appétitive,
  • de même le bien utile, qui est proprement élu
      • (et cela est patent à partir du nom : car le libre arbitre, comme on l’a dit, est la puissance par laquelle l’homme peut juger librement).

Or, si une chose est dîte principe de ce qu’un acte est fait d’une certaine façon (aliqualiter),

  • il n’est pas nécessaire qu’elle soit purement et simplement (simpliciter) le principe de cet acte,
  • mais il est signifié qu’elle en est le principe d’une certaine façon (aliquiliter) ;
  • de même, en disant que la grammaire est la science du parler correct,
    • on ne dit pas qu’elle est purement et simplement le principe de la parole,
      • car l’homme peut parler sans la grammaire,
    • mais qu’elle est le principe de la correction dans la parole.
  • La puissance qui [fait] que nous jugeons librement ne s’intellige pas
    • de celle qui fait que nous jugeons purement et simplement,
      • ce qui appartient à la raison,
    • mais de celle qui fait (facit) la liberté quand nous jugeons,
      • ce qui appartient à la volonté.

C’est pourquoi le libre arbitre est la volonté elle‑même.

Il ne la dénomme pas

  • absolument,
  • mais dans l'ordre à un acte d’elle,
    • celui d’élire.

(DeVer.q24a6)

  • ... sicut bonum delectabile et honestum,
      • quae habent rationem finis,
    • sunt obiectum appetitivae virtutis,
  • ita et bonum utile, quod proprie eligitur) ;
    • et patet ex nomine : nam liberum arbitrium, ut dictum est, art. 4 huius quaest., est potentia qua homo libere iudicare potest.

Quod autem dicitur esse principium alicuius actus aliqualiter fiendi,

  • non oportet quod sit principium illius actus simpliciter,
  • sed aliqualiter significatur esse principium illius ;
  • sicut grammatica per hoc quod dicitur esse scientia recte loquendi,
    • non dicitur quod sit principium locutionis simpliciter,
      • quia sine grammatica potest homo loqui,
    • sed quod sit principium rectitudinis in locutione.
  • Ita et potentia qua libere iudicamus,
    • non intelligitur illa qua iudicamus simpliciter,
      • quod est rationis ;
    • sed quae facit libertatem in iudicando,
      • quod est voluntatis.

Unde liberum arbitrium est ipsa voluntas.

Nominat autem eam non

  • absolute,
  • sed in ordine ad aliquem actum eius,
    • qui est eligere. 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le propre du bien, en tant qu'il est utile, est d'être élu, choisi

... le bien utile qui est proprement élu... (DeVer.q24a6)

... bonum utile, quod proprie eligitur...


Le bien est l'objet propre de la volonté1.

Le bien utile est proprement l'objet de la volonté en tant qu'il peut être élu, choisi.

Et l'élection, le choix, est l'acte propre de la volonté en tant qu'elle arbitre à propos d'un bien utile, c'est à dire un bien intermédiaire, autrement dit : un moyen.

 

Selon Thomas, la fin (en tant que fin ultime à laquelle sont ordonnées toutes les fins intermédiaires) ne se choisit pas, elle s'impose d'elle-même (pour lui, il s'agit de Dieu, mais nous pouvons noter qu'il y a quelque chose de comparable avec les personnes qu'on aime, nous ne choisissons pas de les aimer) ; alors que le bien utile est "proprement" ce qui peut être choisi parmi d'autres comme étant une bonne manière d'atteindre la fin.

1 Par ex. DePot.q3a15ad5

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Les deux dimensions du libre arbitre : la liberté et le jugement, la liberté provient de la volonté, le jugement de la raison

 

Extrêmement clair. C'est un point sur lequel Thomas précise les écrits d'Aristote.

[L’expression de] "Libre arbitre" ne désigne pas la volonté de manière absolu mais dans son ordre à la raison ; c’est pourquoi, pour signifier cela, la volonté et la raison sont mis obliquement (oblique) dans la définition du libre arbitre. 

(DeVer.q24a6ad1)

Liberum arbitrium non nominat voluntatem absolute, sed in ordine ad rationem, inde est quod ad hoc significandum voluntas et ratio in definitione liberi arbitrii oblique ponuntur.

 

La raison confronte les possibles, cette confrontation permet l'élection, acte propre du libre arbitre. La volonté ne peut confronter toute seule, elle "sous-traite" donc cette partie à la raison mais "reste aux commandes", car c'est un bien qu'on choisit et le bien relève de la volonté, non de la raison. 

---

 Encore plus clair : 

Bien que le jugement appartienne à la raison, cependant la liberté dans le jugement appartient immédiatement (immediate) à la volonté.

(DeVer.q24a6ad3)

Quamvis iudicium sit rationis, tamen libertas iudicandi est voluntatis immediate.

 

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 Nous sommes appelés rationnels et par la puissance de la raison et par la puissance de la volonté.

Nous sommes appelés rationnels non seulement

  • d’après la puissance de la raison,
  • mais aussi d’après l’âme rationnelle,
    • dont la volonté est une puissance ;

et ainsi,

  • selon que nous sommes rationnels
  • nous sommes dits être [doués] de libre arbitre.

Cependant, si le terme « rationnels » était pris de la puissance de la raison [uniquement], la citation des autorités sus-dites [Jean Damascène et Grégoire de Nysse] signifierait que

  • la raison est l’origine première du libre arbitre, [= ce qui est faux]
  • et non le principe immédiat de l’élection. [= comme cela doit être affirmé]

(DeVer.q24a6ad4)

Rationales dicimur non solum

  • a potentia rationis,
  • sed ab anima rationali,
    • cuius potentia est voluntas ;

et sic

  • secundum quod rationales sumus,
  • dicimur esse liberi arbitrii.

Si tamen rationale a rationis potentia sumeretur, praedicta auctoritas significaret

  • rationem esse primam liberi arbitrii originem,
  • non autem immediatum electionis principium.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Passions et jugement de la raison

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans la Somme

Lorsque [les passions de l'âme] suivent la volonté, elles ne diminuent pas

  • la qualité
  • ou la bonté de l’acte,

car

  • elles seront modérées selon le jugement de la raison,
  • à partir duquel s’ensuit la volonté.

Mais elles ajoutent plutôt à la bonté de l’acte, à deux points de vue.

Secundum vero quod consequuntur ad voluntatem, sic non diminuunt

  • laudem actus
  • vel bonitatem :

quia

  • erunt moderatae secundum iudicium rationis,
  • ex quo voluntas sequitur.

Sed magis addunt ad bonitatem actus, duplici ratione.

Premièrement, par mode de signe :

car la passion même qui s’ensuit dans l’appétit inférieur est le signe que le mouvement de la volonté est intense. Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté se meuve fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. 

C’est pourquoi saint Augustin dit au quatorzième livre de la Cité de Dieu: « Tant que nous portons l’infirmité de cette vie, nous ne vivrions pas selon la justice si nous n’éprouvions absolument aucune de ces passions. » Et peu après, il ajoute la cause en disant : « N’éprouver en effet aucune douleur, tant que nous sommes en ce séjour de misère, cela s’obtient, très chèrement, au prix de la cruauté de l’âme et de l’insensibilité du corps. »

Primo per modum signi :

quia passio ipsa consequens in inferiori appetitu est signum quod sit motus voluntatis intensus. Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.

Unde dicit Augustinus, XIV de Civitate Dei [cap. 9] :dum huius vitae infirmitatem gerimus, si passiones nullas habeamus, non recte vivimus.Et post pauca subiungit causam, dicens : nam omnino non dolere dum sumus in hoc loco miseriae, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, et stuporis in corpore.

Ensuite à la façon d’une aide :

car lorsque la volonté élit quelque chose par le jugement de la raison, elle passe à l'action plus promptement et plus facilement si, avec cela, la passion est excitée dans la partie inférieure, l’appétitive inférieure étant proche du mouvement du corps.

Aussi saint Augustin dit‑il au neuvième livre de la Cité de Dieu: « Or ce mouvement de miséricorde sert la raison quand la miséricorde se manifeste sans compromettre la justice. »

Et c’est ce que le Philosophe dit au troisième livre de l’Éthique, citant le vers d’Homère : « éveille ta force et ton irritation » ; en effet, lorsqu’on est vertueux quant à la vertu de force, la passion de colère qui suit l’élection de la vertu contribue à la plus grande promptitude de l’acte ; mais si elle la précédait, elle perturberait le mode de la vertu

(DeVer.q26a7)

Secundo per modum adiutorii :

quia quando voluntas iudicio rationis aliquid eligit, promptius et facilius id agit, si cum hoc passio in inferiori parte excitetur ; eo quod appetitiva inferior est propinqua ad corporis motum.

Unde dicit Augustinus, IX de Civitate Dei [cap. 5] :servit autem motus misericordiae rationi, quando ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur. Et hoc est quod philosophus dicit in libro III Ethicorum [cap. 11 (1116b 28)] inducens versum Homeri :virtutem et furorem erige; quia videlicet, cum aliquis est virtuosus virtute fortitudinis, passio irae electionem virtutis sequens facit ad maiorem promptitudinem actus ; si autem praecederet, virtutis mo‑ dum perturbaret.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I.q59a3 - Un arbitre n'est pas nécessairement libre

Il y a des êtres

  • qui n’agissent pas à partir d'un arbitre,
  • mais qui sont comme agis et mus par d’autres,
    • telle la flèche lancée vers un but une fin par l’archer.

D’autres êtres agissent

  • par un certain arbitre (quodam arbitrio),
  • mais qui n’est pas libre, tels les animaux sans raison (irrationalia) ;

ainsi la brebis fuit le loup à partir d'un certain jugement (quodam iudicio) qui estime que le loup lui est nuisible ;

  • mais ce jugement n’est pas lui-même libre,
  • mais il lui est inné par implanté par nature (a natura inditum).

(I.q59a3)

Quaedam sunt

  • quae non agunt ex aliquo arbitrio,
  • sed quasi ab aliis acta et mota,
    • sicut sagitta a sagittante movetur ad finem.

Quaedam vero agunt

  • quodam arbitrio,
  • sed non libero, sicut animalia irrationalia,

ovis enim fugit lupum ex quodam iudicio, quo existimat eum sibi noxium;

  • sed hoc iudicium non est sibi liberum,
  • sed a natura inditum.

 

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(suite et fin de l'article ici)


 1. -- Notre la relative équivalence arbitre / jugement.

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Thomas d'Aquin - I.q59a3ad1 - Chez l'ange, l'élection se fait sans la délibération du conseil, contrairement à l'homme

Comme l'estimation de l'homme dans les choses spéculatives differt en cela de l'estimation des anges,

  • ([c'est à dire] que l'un se passe de recherche,
  • [tandis que] l'autre passe par une recherche) ;

Il en est de même dans le domaine de l’opération [= l'action].

De sorte que, chez les anges, il y a élection ;

  • non cependant avec une recherche délibérative du conseil ;
  • mais par une directe (subitam) saisie de la vérité.

(Somme,I.q59a3ad1)

Sicut autem aestimatio hominis in speculativis differt ab aestimatione angeli in hoc,

  • quod una est absque inquisitione,
  • alia vero per inquisitionem;

ita et in operativis.

Unde in Angelis est electio;

  • non tamen cum inquisitiva deliberatione consilii,
  • sed per subitam acceptionem veritatis.

 


1. -- "sed per subitam acceptionem veritatis" : accipio peut autant se traduire activement que passivement (prendre, recevoir). La traduction originale fait pencher du côté de la dimension active ("la saisie immédiate de la vérité lui suffit"), ce qui n'est pas faux du fait de l'intellect agent, on peut aussi traduire du côté passif du fait de l'intellect patient et du fait la chose à connaître vient de l'extérieur ("une directe réception de la vérité"). Dans ce cas, comme Thomas évoque le fait de procéder à une recherche, on peut penser qu'il faut laisser le côté actif primer.

2. -- Comme dans le domaine de l'acquisition de la vérité qui se passe du raisonnement chez l'ange, ainsi dans le domaine pratique qui, chez, lui se passe de délibération.

3. -- On pourrait ajouter que puisque la délibération pour Thomas a pour objet le moyen en vue de la fin, la délibération est d'autant inutile chez l'ange ; car a-t-il besoin d'un moyen pour orienter son être à Dieu, ou l'est-il directement ?

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q189a6 - Pour entrer en religion, il faut se fier au Père des esprits plutôt qu'à ceux qui nous ont donné la chair

Si les parents se trouvent dans une telle nécessité que seule l'aide de leurs enfants peut convenablement y pourvoir, ces enfants n'ont pas le droit d'abandonner le soin de leurs parents pour entrer en religion.

Quand les parents ne sont pas dans une telle nécessité qu’ils aient grandement (multum) besoin de l’assistance de leurs enfants, ceux-ci peuvent abandonner le service de leurs parents et entrer en religion, même contre leur défense.

Passé l’âge de la puberté, quiconque est de condition libre (ingenuues) a la liberté (libertatem habet) en ce qui concerne les questions relatives à la disposition de son état de vie, surtout s’il s’agit du service de Dieu : il vaut mieux obéir au Père des esprits (Hébreux 12, 9) pour que nous vivions, qu’aux parents de la chair.

(Somme, II-II.q189a6)

Parentibus in necessitate existentibus ita quod eis commode aliter quam per obsequium filiorum subveniri non possit, non licet filiis, praetermisso parentum obsequio, religionem intrare.

Si vero non sint in tali necessitate ut filiorum obsequio multum indigeant, possunt, praetermisso parentum obsequio, filii religionem intrare, etiam contra praeceptum parentum,

quia post annos pubertatis, quilibet ingenuus libertatem habet quantum ad ea quae pertinent ad dispositionem sui status, praesertim in his quae sunt divini obsequii; et magis est obtemperandum patri spirituum, ut vivamus, quam parentibus carnis, ut apostolus, Heb. XII, dicit.

 


Voir aussi dans le Contra Retrahentes.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad2 - La prudence regarde les moyens (les "ce en vue de la fin")

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

Le prudent considère

  • ce qui est loin en tant qu'ordonné
    • à une aide
    • ou à un empechement
  • envers ce qui est présentement amené dans l'action.

D'où il est patent que

  • ce qui est considérée par la prudence
  • est ordonné à une autre [chose] comme à sa fin.

Or, pour les [choses] qui sont en vue d'une fin [= les moyens]

  • il y a le conseil dans la raison,
  • et l'élection dans l'appétit.

De ces deux [actes],

  • le conseil relève plus proprement de la prudence :
    • le Philosophe dit en effet que le prudent "délibère bien".
  • Mais parce que l'élection présuppose le conseil
    • elle est en effet "l'appétit de ce qui a été préalablement délibéré (praeconsiliati)", selon Aristote,

l'acte d'élire peut encore (etiam) être attribué de façon logique (!!) conséquemment à la prudence, en ce sens que par le conseil elle dirige l'élection.

(Somme, II-II.q47a1ad2)

Prudens considerat

  • ea quae sunt procul inquantum ordinantur
    • ad adiuvandum
    • vel impediendum
  • ea quae sunt praesentialiter agenda.

Unde patet quod

  • ea quae considerat prudentia
  • ordinantur ad alia sicut ad finem.

Eorum autem quae sunt ad finem est

  • consilium in ratione
  • et electio in appetitu.

Quorum duorum

  • consilium magis proprie pertinet ad prudentiam,
    • dicit enim philosophus, in VI Ethic., quod prudens est bene consiliativus.
  • Sed quia electio praesupponit consilium,
    • est enim appetitus praeconsiliati, ut dicitur in III Ethic.;

ideo etiam eligere potest attribui prudentiae consequenter, inquantum scilicet electionem per consilium dirigit.

 -----

1.

La prudence s'enquiert des choses futures en vue des actions présentes à poser. Donc d'un côté un relatif et de l'autre une fin. La prudence s'occupe d'une chose médiate, les moyens.

Or, dans l'activité humaine, lorsqu'on en arrive à l'étape des moyens, deux actes entrent en jeu : le conseil (quel moyen ?) et l'élection (le moyen retenu). C'est un moment dans lequel l'appétit volontaire sous-traite à la raison la phase qui va permettre de retirer à la personne sa liberté face à la diversité des moyens : après le conseil on n'est plus libre d'opter pour tel ou tel moyen (d'où dé-libération). Au moment où il y a choix, la phase libre arbitre est derrière soi. Ce qui est intéressant puisqu'on voit d'habitude la liberté dans le choix alors qu'elle est plutôt dans le conseil [REFLECHIR ENCORE LA-DESSUS]. Quand il n'y a plus qu'un moyen, on le considère comme un bien, donc est davantage objet de l'appétit. Mais, dit TH., comme la raison a dû apporter son aide lors de la phase de conseil et que cet acte est maintenu dans la phase du choix, on peut aussi attribuer à la raison l'acte du choix. Ainsi l'acte d'élection est posé dans un acte appétitif soutenu par un acte de la raison.

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Thomas d'Aquin - On peut utiliser la passion par choix pour aller plus vite ! - I-II.q24a3ad1

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans De Veritate

Les passions peuvent avoir un double rapport avec le jugement de la raison. Dicendum quod passiones animae dupliciter se possunt habere ad iudicium rationis. 
1. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent (obnubilent) le jugement, duquel dépend la bonté de l'acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d'accomplir une oeuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié (misericordiae). Uno modo, antecedenter. Et sic, cum obnubilent iudicium rationis, ex quo dependet bonitas moralis actus, diminuunt actus bonitatem, laudabilius enim est quod ex iudicio rationis aliquis faciat opus caritatis, quam ex sola passione misericordiae.
2. D'autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d'une double manière : Alio modo se habent consequenter. Et hoc dupliciter.
  • a) Par manière de rejaillissement (redundantiae) lorsque, la partie supérieure de l'âme est mue intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Et ainsi la passion qui existe consécutivement [au jugement] dans l'appétit sensitif est un signe de l'intensité de la volonté. Et ainsi elle indique une bonté morale plus grande.
  • Uno modo, per modum redundantiae, quia scilicet, cum superior pars animae intense movetur in aliquid, sequitur motum eius etiam pars inferior. Et sic passio existens consequenter in appetitu sensitivo, est signum intensionis voluntatis. Et sic indicat bonitatem moralem maiorem. 
  • b) Par manière de choix : quand l'homme, par un jugement rationnel, choisit d'être affecté de telle passion afin d'agir plus vite (promptius), avec la coopération de l'appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l'acte.
Somme, I-II.q24a3ad1)
  • Alio modo, per modum electionis, quando scilicet homo ex iudicio rationis eligit affici aliqua passione, ut promptius operetur, cooperante appetitu sensitivo. Et sic passio animae addit ad bonitatem actionis.

 

Commentaires : 

  1. Redundantiae traduit par rejaillissement pourrait être aussi traduit par "surabondance", "excès" ou "débordement".
  2. A vérifier mais, a priori, grave erreur de traduction ("l'âme se portant intensément vers une chose") : pars animae intense movetur in aliquid: ici l'âme est mûe et non se meut, movetur est au présent passif, non actif, l'objet prime sur la possibilité volontariste de la raison. Ici, l'âme répond à une attraction. On n'est pas chez Duns Scot ! Même problème ici.
  3. La dernière partie est extraordinaire, le choix de se servir de la passion comme d'une monture pour aller plus vite. Quelle liberté ! On imagine très bien Thomas utilisant son amour passionné de la vérité pour donner plus d'allant à sa recherche concrète malgré la fatigue et autres obstacles.
  4. Promptius : ne veut pas dire immmédiatement "plus vite" mais davantage "plus facilement", en cela que la passion peut de nouveau rendre nos facultés spirituelles prêtes à être utilisées. Mais la traduction reste bonne, la passion habilement utilisée peut maintenir nos facultés éveillées, plus en acte. On est prêt à dégainer, on peut maintenir l'activité spirituelle plus longtemps. De même que Thomas reconnaîtra dans l'autre sens que la fatigue des faultés sensibles adjointes à l'activité contemplative ne permet pas de maintenir la contemplation indéfiniment.
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