Les délectations du corps, par leur augmentation ou leur seule continuité, super-excèdent la disposition naturelle et engendrent le dégoût (fastidiosae), comme on le voit pour la délectation de manger. C'est pourquoi, lorsqu'on est parvenu à la perfection dans les plaisirs corporels, ils nous dégoûtent et, parfois, on a l'appétit de quelques autres [délectations].
Mais les déléctations spirituelles ne super-excèdent jamais la disposition naturelle (naturalem habitudinem) ; mais ils perfectionnent la nature. Aussi, lorsqu'on parvient à l'accomplisement en eux, c'est alors qu'ils sont le plus agréables (delectabiles) ; sauf peut-être par accident, du fait qu'à l'activité contemplative sont unies (adiunguntur) quelques opérations des puissances corporelles qui sont fatiguées (lassantur) par la prolongation de leur activité.
(Somme, Ia-IIae, q33a2)
Delectationes enim corporales, quia augmentatae, vel etiam continuatae, faciunt superexcrescentiam naturalis habitudinis, efficiuntur fastidiosae; ut patet in delectatione ciborum. Et propter hoc, quando aliquis iam pervenit ad perfectum in delectationibus corporalibus, fastidit eas, et quandoque appetit aliquas alias.
Sed delectationes spirituales non superexcrescunt naturalem habitudinem, sed perficiunt naturam. Unde cum pervenitur ad consummationem in ipsis, tunc sunt magis delectabiles, nisi forte per accidens, inquantum operationi contemplativae adiunguntur aliquae operationes virtutum corporalium, quae per assiduitatem operandi lassantur.
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1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q32a7.
Les actions, étant exercées par le corps, peuvent être contraintes ou empêchées non seulement chez les bêtes, mais aussi chez les hommes, et c’est pourquoi on ne dit pas même de l’homme qu’il est libre de son action.
(DeVer.q24a2ad3)
Actiones, cum per corpus exerceantur, cogi possunt vel prohiberi, non solum in brutis, sed in hominibus, unde nec ipse homo dicitur liber actionis suae.
Parce que nous sommes des êtres corporels appartenant au monde physique, les conséquences d'un choix peuvent ne pas s'appliquer. La liberté est avant tout interne et n'a pas besoin de voir les actions réellement efféctuées pour exister.
ils n'auront en rien besoin de la justice proprement dite,
parce qu'ils auront toutes choses quasi en commun,
puisque l'ami est un autre soi-même ;
or il n'y a pas de justice envers soi-même.
Tandis que
s'ils sont justes,
ils auront néanmoins besoin de l'amitié entre eux.
Même que ce qui est le plus juste paraît être conservateur et réparateur de l'amitié. Il relève donc beaucoup plus du moraliste de porter attention à l'amitié qu'à la justice.
Et cela même qui est au plus au point juste semble être conservateur et réparateur (ou revivifier ou renouveler ???) de l'amitié. Donc, il est bien plus pertinent que la morale considère l'amitié plutôt que la justice.
(Commentaire Ethique à Nicomaque, n°1543)
Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 6
Quintam rationem ponit ibi, et amicis quidem et cetera.
Et dicit quod,
si aliqui sint amici,
in nullo indigerent iustitia proprie dicta,
quia haberent omnia quasi communia,
cum amicus sit alter ipse;
non est autem iustitia ad seipsum.
Sed
si sint iusti,
nihilominus indigent amicitia adinvicem.
Et illud quod est maxime iustum videtur esse conservativum et reparativum amicitiae. Multo ergo magis ad moralem pertinet considerare de amicitia quam de iustitia.
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Aide de ChatGPT :
Bien sûr, je peux décomposer cette phrase pour vous.
“Et illud quod est maxime iustum videtur esse conservativum et reparativum amicitiae.”
En anglais, cela se traduit par :
“And that which seems most just appears to be conservative and restorative of friendship.”
Voici une explication détaillée de chaque partie :
“Et illud quod est maxime iustum” : Cette partie signifie “And that which is most just”. Elle fait référence à quelque chose qui est considéré comme le plus juste ou le plus équitable. “videtur esse conservativum” : Cette partie se traduit par “seems to be conservative”. Elle suggère que ce qui est le plus juste a tendance à être conservateur, c’est-à-dire à maintenir l’état actuel des choses. “et reparativum amicitiae” : Cette partie signifie “and restorative of friendship”. Elle indique que ce qui est le plus juste a également la capacité de restaurer ou de réparer l’amitié. Donc, dans l’ensemble, la phrase suggère que ce qui est le plus juste non seulement conserve l’état actuel des choses, mais a aussi le pouvoir de restaurer l’amitié. J’espère que cela vous aide à mieux comprendre la phrase. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à me le faire savoir! 😊
est appelé parfois concupiscence (concupiscentia),
soit à cause d'une certaine ressemblance (similitudinem) entre appétit supérieur et appétit inférieur ;
soit à cause de l'intensité (intensionem) de l'appétit supérieur qui rejaillit sur l'inférieur ;
de sorte que
celui-ci tend à sa manière (suo modo tendat) vers le bien spirituel à la suite de l'appétit supérieur,
et le corps (corpus) lui-même se met entièrement au service des [biens] spirituels. Comme il est écrit dans le Psaume (84, 3) : "Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant."
(I-II.q30a1ad1)
Appetitus sapientiae,
vel aliorum spiritualium bonorum,
interdum concupiscentia nominatur,
vel propter similitudinem quandam,
vel propter intensionem appetitus superioris partis, ex quo fit redundantia in inferiorem appetitum,
ut simul
etiam ipse inferior appetitus suo modo tendat in spirituale bonum consequens appetitum superiorem,
et etiam ipsum corpus spiritualibus deserviat; sicut in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum.
1. -- Gaffiot : dēservĭō, īre, intr., servir avec zèle, se dévouer à, se consacrer à : alicui Cic. Fam. 16, 18, 1, servir qqn avec dévouement ; vigiliæ deserviunt amicis Cic. Sulla 26, mes veilles sont entièrement consacrées au service de mes amis ; corpori Cic. Leg. 1, 39, être l’esclave de son corps || [fig.] être destiné à, consacré à : nec unius oculis flumina, fontes, maria deserviunt Plin. Min. Pan. 50, 1, les fleuves, les fontaines, les mers ne sont pas faits pour les yeux d’un seul.
2. -- De la part de Thomas, cette vision du corps est extraordinairement positive, comparée à la vue manichéenne souvent invoquée dans la distinction corps/esprit. Pour Thomas, la création a été faite entièrement bonne, et il s'agit de retrouver l'entièreté de l'orientation au bien de tous les éléments qui composent cette création. Comme les éléctrons d'un objet métallique peuvent être tous "orientés" de manière à le rendre mlagnétique, comme l'intégralité des tournesols dans un champs sont orientés vers le Soleil... "Un Bien pour les gouverner tous", pour paraphraser Tolkien... Comme le mat du chapiteau donne tout son sens aux parties du chapiteau. Une fois entré dans cette perspective, il est difficile d'entendre les opinions selon lesquelles l'homme est fondamentalement mauvais, etc...
3. -- Voir toutes les conséquences dans l'unité de l'humanité du Christ. Et voir comment dans le vrai Dieu et vrai homme tout cela était tenu en un même être.
4. -- Comme dans d'autres passages (DeVer.q24a9ad1 ; DeVer.q26a7 ; I-II.q24a3 ; I-II.q24a3ad1), on sent toute la vie de Thomas tendue vers le spirituel. On sent qu'il a expérimenté ce qu'il écrit là. Dans son travail intelletcuel notamment, lorsqu'il réduisait son temps de sommeil, l'intensité du désir de sagesse faisait en quelque sorte se mouvoir le corps de Thomas. Un peut comme un "lève-toi et march"... La simplicité du désir spirituel qui inonde jusqu'à la complexité du corps. Thomas est très ferme sur ce point, le spirituel emmène avec lui le corps, la personne humaine est une, on ne peut laisser aller son esprit sans que le corps ne le suive. Notons bien que dans ce passage, ce n'est pas le corps qui de lui-même apporte à l'esprit mais bien l'inverse. Le corps peut être réjoui à cause de l'appétit des biens spirituels comme par capilarité. Autant de points que l'on peut vérifier nous-mêmes par l'expérience.
5. -- Il peut aussi en aller dans l'autre sens, une oeuvre d'art peut, par les sens, dégager un objet spirituel et réveiller ainsi un appétit spirituel. C'est ce que Thomas, à la suite d'Augustin, affirme à propos des chants cf. II-II.q91a2)
La métaphore de la pesanteur qui immobilise le corps physique au sol
Les effets des passions de l’âme sont parfois nommées métaphoriquement, selon une similitude avec les corps sensibles, en cela que les mouvements de l’appétit animal sont similaires (similes) aux inclinations de l’appétit naturel [= celui existant même dans les objets physiques].
Et sur ce mode
la ferveur (fervor) est attribuée à l’amour,
la dilatation (dilatatio) au plaisir,
et l’appesentissement (aggravatio) à la tristesse.
On dit en effet qu’un homme est appesanti (aggravari) lorsqu’un poids empêche son mouvement propre.
[Avec le poids croissant de la tristesse, augmente l'impossibilité d'échapper à l'inertie]
Or il est manifeste, d’après ce qui a été dit précédement, que la tristesse arrive à partir d’un mal présent. Celui-ci, de ce fait même qu’il répugne au mouvement de la volonté, appesentit l'âme (aggravat animum), en tant qu'il l'empêche d'avoir la fruition (fruatur)[= jouir] de ce qu’elle veut.
S'il n'y a pas une telle force (vis) de tristesse qu'elle ôte l'espoir d'échapper (spem evadendi),
bien que l’âme soit appesentie par cela que, présentement, elle ne peut obtenir (potitur) ce qu’elle veut ;
il reste cependant un mouvement pour repousser la [chose] nocive qui l’attriste.
Mais si la force (vis) du mal super-accroît (superexcrescat) à un point tel qu'il exclut l'espoir d’y échapper (spem evasionis excludat),
alors, même le mouvement intérieur (interior motus) de l’âme angoissée (animi angustiati, litt. : rétrécie) est absolument empêché (simpliciter impeditur),
ainsi il ne peut se détourner ni d'un côté ni de l'autre.
Et parfois est empêché le mouvement extérieur du corps (exterior motus corporis), de telle sorte que l'homme reste figé en lui-même (stupidus in seipso).
(Somme, I-II.q37a2)
Effectus passionum animae quandoque metaphorice nominantur, secundum similitudinem sensibilium corporum, eo quod motus appetitus animalis sunt similes inclinationibus appetitus naturalis.
Et per hunc modum
fervor attribuitur amori,
dilatatio delectationi,
et aggravatio tristitiae.
Dicitur enim homo aggravari, ex eo quod aliquo pondere impeditur a proprio motu.
[ ]
Manifestum est autem ex praedictis quod tristitia contingit ex aliquo malo praesenti. Quod quidem, ex hoc ipso quod repugnat motui voluntatis, aggravat animum, inquantum impedit ipsum ne fruatur eo quod vult.
Et si quidem non sit tanta vis mali contristantis ut auferat spem evadendi,
licet animus aggravetur quantum ad hoc, quod in praesenti non potitur eo quod vult;
remanet tamen motus ad repellendum nocivum contristans.
Si vero superexcrescat vis mali intantum ut spem evasionis excludat,
tunc simpliciter impeditur etiam interior motus animi angustiati,
ut neque hac neque illac divertere valeat.
Et quandoque etiam impeditur exterior motus corporis, ita quod remaneat homo stupidus in seipso.
1. -- On notera l'extraordinaire précision de cette analyse qui n'a rien perdue de sa justesse, bien au contraire.
2. -- C'est ainsi que dans le langage courant on dit être atterré par telle nouvelle ou par telle situation, on est semblable à la pierre ramenée au sol.
si l'homme, selon une certaine de ses dispositions, pose une action délectable pour lui,
cette délectation est hors de sa nature pour l'homme selon une autre de ses dispositions.
Ainsi,
contempler est naturel à l'homme en raison de l'intellect,
mais hors de sa nature en raison des organes de l'imagination, qui travaillent tandis qu'il contemple.
C'est pourquoi la contemplation n'est pas toujours délectable à l'homme. Et cela est similaire pour la consommation de nourriture, qui est naturelle au corps qui a faim, mais hors de sa nature pour le corps déjà repu.
(Commentaire Ethique à Nicomaque, n°1534)
Et ideo,
si homo secundum aliquam sui dispositionem agat aliquam actionem sibi delectabilem,
haec delectatio est praeternaturalis homini secundum alteram eius dispositionem.
Sicut
contemplari est naturale homini ratione intellectus,
sed est praeternaturale homini ratione organorum imaginationis, quae laborant in contemplando.
Et ideo contemplatio non est semper homini delectabilis. Et est simile de sumptione cibi quae est naturalis corpori indigenti, praeter naturam autem corpori iam repleto.
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1. C'est pourquoi celui qui a un désir intense de contempler verra son corps moins rapidement à la traine de la partie spirituelle même après une longue période de contemplation. Mais arrivera un moment où le corps ne pourra plus suivre.
2. Noter combien Thomas est réaliste puisqu'il n'isole pas du corps l'activité de l'intellect. Thomas parle ici davantage de la contemplation naturelle, philosophique. Il faudrait comparer avec ce qu'il dit dans le cas de la contemplation dont le contenu vient de la foi.
Selon l'état naturel qui existe entre l'âme et le corps, c'est de la gloire de l'âme que déborde la gloire sur le corps.
Mais cet état naturel chez le Christ était soumis à la volonté divine elle-même d'où tenait le fait que la béatitude restait dans l'âme et n'a pas été reconduite vers le corps,
mais la chair a pâti ce qui convenaient à une nature passible, dit le Damascène : "La volonté divine permettait à la chair de pâtir et d'agir conformément à ses propriétés naturelles."
(Somme, III.q14a1ad2)
Secundum naturalem habitudinem quae est inter animam et corpus, ex gloria animae redundat gloria ad corpus,
sed haec naturalis habitudo in Christo subiacebat voluntati divinitatis ipsius, ex qua factum est ut beatitudo remaneret in anima et non derivaretur ad corpus,
sed caro pateretur quae conveniunt naturae passibili; secundum illud quod dicit Damascenus, quod beneplacito divinae voluntatis permittebatur carni pati et operari quae propria.