Thomas d'Aquin - I-II.q85a2 - Le péché ne détruit pas la nature
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Comme nous venons de le dire, le bien de la nature qui peut être diminué par le péché, c'est l'inclination naturelle à la vertu. Cette inclination convient à l'homme du fait qu'il est un être rationnel : c'est cela en effet qui lui permet d'agir selon la raison, ce qui est agir selon la vertu. Or, le péché ne peut pas complètement enlever à l'homme cette qualité d'être rationnel, puisque ce serait le rendre incapable de péché. Il n'est pas possible par conséquent que ce bien de nature soit totalement enlevé. [Argument contre] Comme il arrive pourtant que cette sorte de bien est continûment diminué par le péché, certains ont voulu l'expliquer au moyen d'un exemple où l'on trouve qu'une chose finie diminue à l'infini sans pourtant jamais s'épuiser entièrement. Le Philosophe dit en effet que
[Réponse à l'argument] Mais ceci n'a pas lieu dans le cas qui nous occupe ; car le péché suivant ne diminue pas le bien de la nature moins que ne faisait le péché précédent ; peut-être même, s'il est plus grave, le diminue-t-il davantage. [Précision] Il faut donc parler autrement : l'inclination dont nous parlions se conçoit comme un milieu entre deux extrêmes ; elle a un fondement, une sorte de racine, dans la nature rationnelle, et elle tend au bien de la vertu comme à un terme et à une fin. Par conséquent, la diminution peut se concevoir de deux façons : du côté de la racine, et du côté du terme.
On a un exemple de cela dans le corps diaphane qui, du fait même qu'il est diaphane, a une inclination à recevoir la lumière ; cette inclination ou aptitude est diminuée par les nuages qui surviennent, bien qu'elle subsiste toujours à la racine de la nature. (Somme, I-II.q85a2) |
Respondeo dicendum quod, sicut dictum est, bonum naturae quod per peccatum diminuitur, est naturalis inclinatio ad virtutem. Quae quidem convenit homini ex hoc ipso quod rationalis est, ex hoc enim habet quod secundum rationem operetur, quod est agere secundum virtutem. Per peccatum autem non potest totaliter ab homine tolli quod sit rationalis, quia iam non esset capax peccati. Unde non est possibile quod praedictum naturae bonum totaliter tollatur. [------] Cum autem inveniatur huiusmodi bonum continue diminui per peccatum, quidam ad huius manifestationem usi sunt quodam exemplo, in quo invenitur aliquod finitum in infinitum diminui, nunquam tamen totaliter consumi. Dicit enim philosophus, in III Physic., quod
[------] Sed hoc in proposito non habet locum, non enim sequens peccatum minus diminuit bonum naturae quam praecedens, sed forte magis, si sit gravius. [------] Et ideo aliter est dicendum quod praedicta inclinatio intelligitur ut media inter duo, fundatur enim sicut in radice in natura rationali, et tendit in bonum virtutis sicut in terminum et finem. Dupliciter igitur potest intelligi eius diminutio, uno modo, ex parte radicis; alio modo, ex parte termini.
Sicut patet in diaphano corpore, quod quidem habet inclinationem ad susceptionem lucis ex hoc ipso quod est diaphanum, diminuitur autem haec inclinatio vel habilitas ex parte nebularum supervenientium, cum tamen semper maneat in radice naturae.
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Ci-dessous, le commentaire de Cajetan, parce qu'il mentionne la syndérèse. I. Dans le second article de cette quatre-vingt-cinquième question, en laissant de côté les arguments de Scot exposés dans la trente-cinquième distinction du Second Livre, puisque ceux-ci visent à prouver qu’il n’est rien ôté à la nature — ce que l’Auteur concède —, et puisque Scot lui-même, en ce même endroit, traitant des blessures du péché, admet que la capacité au bon usage (de la raison) est diminuée par le péché ; seules se présentent les objections de Durand, dans cette même distinction trente-cinquième du Second Livre, qui combat directement cette doctrine, au motif que la capacité d’un sujet ne peut être accrue ou diminuée par rien qui ne lui inhère : dès lors, elle ne saurait non plus être diminuée. La prémisse se démontre de deux manières. Premièrement, parce qu’une capacité s’accroît par l’intensification de quelque chose en elle. Deuxièmement, pour en venir à la question qui nous occupe : l’inclination au bon acte est double. Il y a d’abord une inclination éloignée, qui réside dans les premiers principes — celle-ci n’est ni supprimée ni diminuée ; et une inclination prochaine, qui se trouve dans les habitudes : celle-ci peut être supprimée, accrue ou diminuée selon l’intensité ou la rémission. II. À cela, on répond très facilement que cet homme a voulu rester aveugle. En effet, l’Auteur a expressément distingué la capacité selon le sujet et selon le terme, et il a dit que, du côté du sujet, elle n’est pas diminuée, mais seulement du côté du terme. Or les objections de cet adversaire portent du côté du sujet : sous ce rapport, il est vrai qu’on ne peut intensifier ce qui n’est pas en lui. Mais la relation au terme, elle, se trouve diminuée par l’adjonction d’obstacles extérieurs, et accrue par leur suppression. C’est en ce sens que sert parfaitement l’exemple du corps diaphane et des obstacles qui s’y opposent. Et de la même manière, la capacité de l’âme procédant de la syndérèse se trouve diminuée à l’infini, tandis que la syndérèse elle-même n’est ni supprimée ni diminuée. (Léonine, VII, p. 112) |
In articulo secundo eiusdem quaestionis octogesimaequinta, praetermissis argumentis Scoti, in xxxv distinctione Secundi, quia afferuntur ad probandum quod nihil subtrahatur naturae, quod Auctor concedit; et ipse Scotus ibidem, tractans vulnera peccati, concedit habilitatem ad rectum usum minui per peccatum : solius Durandi, in xxxv distinctione Secundi, objectiones occurrunt, directe impugnantis hanc doctrinam, quia per nihil non inhaerens subjecto augetur habilitas subjecti, ergo nec minuitur. Antecedens dupliciter declaratur. Primo, quia augetur per intensionem alicuius in eo. Secundo, ad propositum, quia inclinatio ad bonum opus est duplex : remota, quae est in primis principiis, et haec nec tollitur nec minuitur; et propinqua, quae est in habitibus, et haec tollitur, et augetur et minuitur intensione et remissione. II. Ad hoc facillime dicitur quod iste voluit esse caecus. Expresse namque Auctor distinxit habilitatem ex parte subjecti, et ex parte termini; et dixit quod ex parte subjecti non minuitur, sed ex parte termini. Objectiones autem istius sunt ex parte subjecti : ex hac enim parte verum est non intendi aliquid quod non est in eo. Sed attingentiam ad terminum constat minui ex appositione impedimentorum extra, et augeri ex remotione eorundem. Et ad hoc optime deservit exemplum de diaphano et de obstaculis appositis. Et hoc modo habilitas animae ex synderesi diminuitur in infinitum, et tamen ipsa synderesis nec tollitur nec minuitur. |
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