La communication de la bonté n'est pas la fin ultime,
mais la bonté divine elle-même, c'est à partir de l'amour de [cette bonté] que Dieu veut la communiquer ;
car
il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il avait l'appétit (appetens) de ce qu'il n'a pas,
mais comme voulant communiquer ce qu'il a ; parce qu'il agit
non par appétit de la fin (ex appetitu finis),
mais par amour de la fin (ex amore finis).
(DePot.q3a15ad14)
Communicatio bonitatis non est ultimus finis,
sed ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult;
non enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet,
sed quasi volens communicare quod habet: quia agit
non ex appetitu finis,
sed ex amore finis.
-----
L'appétit et l'amour concerne tous les deux un bien. Mais l'appétit, dans son exercice, tend vers un bien qui n'est pas encore présent (ou totalement présent) tandis que l'amour jouit du bien présent.
Le conditionnement de notre existence humaine nous permet d'atteindre quelque chose de l'amour de l'autre mais reste dans un certain appétit dans la mesure où il est possible d'ajouter quelque chose à la perfection de cet amour. C'est pourquoi, pour nous, l'amour est à la fois une tension et un repos, un désir et une joie. Ajoutons qu'il nous est toutefois possible d'atteindre une certaine perfection dans l'amour par le moyen de l'intention. (J'ai l'heureuse surprise de découvrir quelques jours après avoir écrit cela que Thomas le dit exactement ainsi, voir ici.)
Dans le cas de ce passage, Thomas souligne que Dieu n'agit pas par désir, ce qui supposerait qu'il lui manque quelque chose, mais par amour - comme à partir d'un sommet sur lequel il est déjà et non vers un sommet qu'il souhaite atteindre. Celui qui, en quelque manière, a atteint quelque chose du bonheur n'est plus en quête mais agit à partir de lui, en surabondance.
Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté
L'inclination vers quelque chose d'extrinsèque (extrinsecum) se fait par quelque chose de surajouté à l'essence ;
ainsi l'inclination au lieu se fait par gravité ou par légèreté (per gravitatem vel levitatem) ;
l'inclination à produire un être semblable à soi se fait par le moyen de qualités actives.
Or la volonté a naturellement une inclination au bien.
Il n'y aura donc identité entre essence et volonté que
dans le cas ou la totalité du bien est contenue dans l'essence de celui qui veut,
comme en Dieu, qui ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté. [= Il ne veut rien d'autre que sa propre bonté]
Cela ne peut être dit d'aucune créature, car le bien infini est en dehors (extra) de l'essence de tout être créé.
(Somme, I.q59a2)
Sed inclinatio ad aliquid extrinsecum, est per aliquid essentiae superadditum,
sicut inclinatio ad locum est per gravitatem vel levitatem,
inclinatio autem ad faciendum sibi simile est per qualitates activas.
Voluntas autem habet inclinationem in bonum naturaliter.
Unde ibi solum est idem essentia et voluntas,
ubi totaliter bonum continetur in essentia volentis;
scilicet in Deo, qui nihil vult extra se nisi ratione suae bonitatis.
Quod de nulla creatura potest dici; cum bonum infinitum sit extra essentiam cuiuslibet creati.
A noter :
- "Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté." S'il faut comprendre que Dieu ne veut rien d'autre que sa propre bonté, par extension, lorsqu'il nous veut et nous crée, cela ne se fait pas pour autre chose qu'en voulant sa propre bonté. Il faudrait détailler ici pour voir en quoi cela peut être vrai. Car nous ne sommes pas créés par nécessité, Dieu n'ayant pas besoin de nous. Mais Dieu en nous créant ne peut pas créer autre chose que des êtres dont la volonté est appelée à être entièrement tournée vers Lui. Volonté = appétit d'amour. Acte volontaire = acte d'amour, aimer. La volonté n'est volonté, au sens "avoir de la volonté", qu'à propos des moyens, le volontarisme se contente du moyen et se termine (à tord) au moyen en oubliant la fin, c'est à dire le bien, l'être aimable et donc aimé.
Tout ce que "fait" Dieu en dehors de lui-même est fait par amour gratuit comme une expression de sa bonté (surabondance, débordement, surplus).
- Il n'y a pas de tension en Dieu vers quelque chose qu'il n'aurait pas, c'est pourquoi il n'y a pas d'inclination en lui. Voir aussi ici. Il y a bien un amour mais pas d'appétit.
- Noter le cas de Dieu et les autres cas : pour nous, la volonté vient comme quelque chose d'extrinsèque à notre essence dans ce sens que nous ne sommes pas réductible à notre puissance volontaire. Tandis que Dieu est identique à son intellect, identique à sa volonté.