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Com. Romains 147 (Chap.I,Leç.8) - Dans certain cas, la passion peut être dite péché

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II dit donc d’abord : C’est pourquoi, c’est-à-dire parce qu'ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge, Dieu les a livrés,

  • non pas en les poussant au mal,
  • mais en les abandonnant eux-mêmes "à des passions d’ignominie," 

c’est-à-dire à des péchés contre nature, qui sont dits passions, selon que la passion est proprement dîte du fait que quelque chose est tirée en dehors de l'ordre de sa nature, par exemple

  • avec l'eau chauffée et 
  • avec l'homme affaibli.

D'où, parce que par des péchés de cette sorte l'homme s'écarte de l'ordre naturel, ils sont convenablement dits "passions" ; ainsi plus bas en Rom. VII, 5 : "Les passions des péchés [(...) opéraient dans nos membres]".

Ils sont dits des passions "d’ignominie," parce qu’elles ne sont pas dignes d'avoir un nom, selon ce passage de l’Ép. Aux Éphésiens (V, 12) : "Ce que ces hommes font dans le secret est honteux à dire." 

  • Si en effet les péchés de la chair sont ordinairement blâmable parce que par eux l’homme est abaissé à ce qui en lui est animal,
  • combien plus à propos du péché contre nature, par lequel l’homme déchoît en plus de la nature animale.

Osée, IV, 7 : "Je changerai leur gloire en ignominie." 

Dicit ergo primo propterea, scilicet quia Dei veritatem in mendacium mutaverunt, tradidit illos Deus,

  • non quidem impellendo in malum
  • sed deserendo, in passiones ignominiae,

id est peccata contra naturam, quae dicuntur passiones, secundum quod proprie passio dicitur ex eo quod aliquid trahitur extra ordinem suae naturae, puta

  • cum aqua calefit aut
  • cum homo infirmatur.

Unde quia per huiusmodi peccata homo recedit ab ordine naturali, convenienter dicuntur passiones, infra VII, 5: passiones peccatorum.

Dicuntur autem passiones ignominiae quia non sunt nomine digna, secundum illud Eph. c. V, 15: quae aguntur in occulto ab eis turpe est dicere. Si enim peccata carnis 

  • communiter exprobrabilia sunt quia per ea homo deducitur ad id quod est bestiale in homine,
  • multo magis peccatum contra naturam, per quod etiam homo a natura bestiali decidit. 

Os. IV, 7: gloriam eorum in ignominiam commutabo.

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1. "La passion est proprement dîte du fait que quelque chose est tirée en dehors de l'ordre de sa nature" : Thomas est fidèle à sa compréhension de  la passion comme quelque chose de neutre moralement. Ici, le péché tire l'homme de son ordre naturel au bien, en cela il se laisse modifier par une chose dont il ne devrait pas accepter l'attraction.

  • En cela qu'il est atteint, l'homme est affecté d'une passion,
  • en cela qu'il se laisse atteindre par quelque chose dont il devrait s'écarter, l'homme pêche.

C'est pourquoi Thomas précise : "parce que telle chose, alors il convient, dans ce cas, que le péché soit dit passion" (nous paraphrasons).

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Thomas d'Aquin - De Ver. q24a9 - Par la grâce, l’homme peut être si attaché au bien qu’il ne puisse que très difficilement pécher

[Dans l'état de voie, l'exercice de la raison ne peut être continu]

  • Or, bien qu’il puisse être accordé à un viateur que la raison ne se trompe aucunement 
      • à propos de la fin du bien
      • et à propos des [biens] utiles dans en particulier,
    • grâce aux dons de sagesse et de conseil,
  • cependant, que le jugement de la raison ne puisse être interrompu, cela excède l’état de voie, pour deux raisons.
    • D’abord et principalement parce qu’il est impossible à la raison d’exercer toujours l’acte de droite contemplation dans l’état de voie, en sorte que la raison de toutes les opérations [= actions] soit Dieu.
    • Ensuite, parce qu’il n'arrive pas, dans l’état de voie, que les puissances inférieures soient tellement soumises à la raison, que son acte ne soit nullement empêché à cause d’elles, sauf dans le Seigneur Jésus‑Christ, qui fut simultanément viateur et compréhenseur.

[Par la grâce, la continuité de l'attachement au bien peut être presque entier]

Mais cependant, par la grâce de la voie, l’homme peut être attaché au bien de telle façon qu’il ne puisse que très difficilement pécher : ainsi, en effet,

  • les puissances inférieures
    • sont réfrénées par les vertus infuses,
  • et la volonté
    • est inclinée plus fortement vers Dieu,
  • et la raison
    • est perfectionnée dans la contemplation de la vérité divine, et [cette] continuation [de la contemplation] provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire [l’homme] du péché.

Et tout ce qui manque pour la confirmation est complété par la garde de la divine providence, en ceux que l’on dit confirmés ; c’est‑à‑dire que chaque fois qu’il s’introduit une occasion de pécher, leur esprit est divinement stimulé pour résister. 

(De Ver. q24a9)

[ ]

  • Quamvis autem alicui viatori concedi possit ut ratio nullatenus erret
      • circa finem boni,
      • et circa utilia in particulari,
    • per dona sapientiae et consilii,
  • tamen non posse intercipi iudicium rationis, excedit statum viae, propter duo.
    • Primo et principaliter, quia rationem esse semper in actu rectae contemplationis in statu viae, ita quod omnium operum ratio sit Deus, est impossibile.
    • Secundo, quia in statu viae non contingit inferiores vires ita rationi esse subditas, ut actus rationis nullatenus propter eas impediatur, nisi in domino Iesu Christo, qui simul viator et comprehensor fuit.

[ ]

Sed tamen per gratiam viae ita potest homo bono astringi, quod non nisi valde de difficili peccare possit, per hoc quod

  • ex virtutibus infusis inferiores vires refrenantur,
  • et voluntas
    • in Deum fortius inclinatur,
  • et ratio
    • perficitur in contemplatione veritatis divinae, cuius continuatio ex fervore amoris proveniens hominem retrahit a peccato.

Sed totum quod deficit ad confirmationem, completur per custodiam divinae providentiae in illis qui confirmati dicuntur ; ut scilicet quandocumque occasio peccati se ingerit, eorum mens divinitus excitetur ad resistendum.

 

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  1. Cette citation plus longue est d'abord d'ordre théologique. Dans notre condition actuelle (in statu viae), la perfection de nos actions est impossible sans la grâce.
  2. A propos du vocabulaire, viateur signifie celui qui voyage en cette vie, ce voyageur est in statu viae, c'est à dire en transition, sur la voie qui le mène à la fin dernière, la vision béatifique.
  3. Compréhenseur signifie celui qui peut embrasser la totalité d'un ensemble, être capable de prendre ensemble. C'est le cas du Christ, voyageur en tant qu'homme et compréhenseur en tant que Dieu.
  4. "La raison est rendue parfaite dans la contemplation de la vérité divine, dont la continuation provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire l’homme du péché"... La continuité de la contemplation provient de la ferveur de l'amour. 
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Thomas d'Aquin - DeMalo.q11a3ad1 - La sensibilité, même chez les parfaits, reste dans une certaine lutte contre le bien spirituel

L'acédie est-elle un péché mortel ?

Chez les hommes parfaits, il peut y avoir un mouvement imparfait d'acédie, du moins (saltem) dans la sensualité, en raison de ce que nul n'est si parfait qu'il ne reste en lui quelque opposition de la chair envers l'esprit. (DeMalo.q11a3ad1)

Utrum accidia sit peccatum mortale

In viris perfectis potest esse imperfectus motus accidiae saltem in sensualitate, propter hoc quod nullus est ita perfectus in quo non remaneat aliqua contrarietas carnis ad spiritum.

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1. Dans sa réponse Thomas dit : oui, en tant que telle, l'acédie est un péché mortel puisqu'elle est "une certaine tristesse qui vient de la répugnance de l'affect humain (affectus humanis) pour le bien spirituel divin". --- Mais pour qu'elle soit vraiment un péché mortel, il faut que l'acte d'acédie soit principal, dominant. C'est pourquoi Thomas ajoute dans les réponses aux objections qu'il reste toujours, même chez les parfaits (entendre : chez les gens qui sont principalement parfaits) une trace, une rémanence (remaneat) de contrariété (contrarietas) dans la sensibilité qui reste indocile à ce que choisit l'esprit, comme un cheval qui manifesterait de temps à autre un léger mécontentement dans le fait d'être dirigé. La sensibilité met beaucoup de temps à être "convertie" entièrement au bien spirituel parce que ce n'est pas son bien propre immédiat, son bien naturel. C'est pourquoi, il faut faire en sorte d'imbiber nos activités sensibles dans l'orientation (l'ordre) profonde de notre esprit au bien spirituel.

2. "Un mouvement imparfait d'acédie" : si le mouvement d'acédie est parfait (entendre : dominant jusqu'à ce que la volonté y adhère), alors il est un péché mortel.

3. Sensualité : voir I.q81a1

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Thomas d'Aquin - DeVer.q16a2 - La syndérèse murmure contre le mal et incline au bien

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

... il faut qu’il y ait un principe permanent qui ait une rectitude immuable, par rapport auquel toutes les opérations humaines soient examinées, en sorte que ce principe permanent

  • résiste à tout mal
  • et donne son assentiment à tout bien.

Et ce principe est la syndérèse, dont l'office est

  • de murmurer contre le mal
  • et d’incliner au bien ;

voilà pourquoi nous accordons qu’il ne peut y avoir de péché en elle.

(DeVer.q16a2)

... oportet esse aliquod principium permanens, quod rectitudinem immutabilem habeat, ad quod omnia humana opera examinentur ; ita quod illud principium permanens

  • omni malo resistat,
  • et omni bono assentiat.

Et haec est synderesis, cuius officium est

  • remurmurare malo,
  • et inclinare ad bonum ;

et ideo concedimus quod in ea peccatum esse non potest.

 


1. -- Rare passage dans lequel Thomas use d'une expression métaphorique.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad11 - Quelque chose du bien demeure dans l'action volontairement fautive - LUMINEUX

Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait. 

(DeVer.q24a10ad11)

 

Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.

 

Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".

A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.

La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement (specie) comme un bien.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad7 - Le libre arbitre ne reçoit pas le plus et le moins

Le libre arbitre,

  • en tant qu’il est dit libre de contrainte (coactione), ne reçoit pas le plus et le moins ;
  • mais s'il on considère par rapport au péché et au malheur (miseria), il est dit dans un état plus libre que dans l'autre.

(DeVer.q24a10ad7)

Liberum arbitrium,

  • secundum quod dicitur liberum a coactione, non suscipit magis et minus ;
  • sed considerata libertate a peccato et amiseria, dicitur in uno statu esse magis liberum quam inalio.

 


 1. -- En principe, le libre arbitre, comme puissance spirituelle, n'est ni limité par ce qu'il choisit, ni quantifiée par la matière. Mais du point de vue ou d'un choix antérieur qui a conduit au péché ou du conditionnement matériel de la vie concrète d'un individu, le libre arbitre peut se trouver dans un état qui ne lui permet plus d'être ce pour quoi il est fait : vouloir le bien en le choisissant. Voir le rapport inégal du libre arbitre à l'égard du bien et à l'égard du mal (III.q34a3ad1).

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7 - Le péché est une action (au sens large) séparée de son ordre propre ET dans le domaine naturel ET dans le domaine artistique ET dans le domaine moral

  • Ce dés-ordre est une dette

Le péché n’est rien d’autre, dit

  • ou dans les choses naturelles,
  • ou dans les choses artificielles,
  • ou dans les choses volontaires,

que

  • le défaut
  • ou le dés-ordre

de l’action propre, quand quelque chose est fait (agitur) non selon ce qui est dû (debitum), ainsi qu’on le voit clairement au deuxième livre de la Physique. 

(DeVer.q24a7)

Nihil enim est aliud peccatum,

  • sive in rebus naturalibus
  • sive artificialibus
  • sive voluntariis dicatur,

quam

  • defectus
  • vel inordinatio

propriae actionis, cum aliquid agitur non secundum quod debitum est agi, ut patet II Phys. [l. 14 (199 a 33)]. 

 


Où l'ont voit bien ici que le sens du mot péché est plus large pour Thomas que dans notre acception actuelle seulement limitée au domaine moral. Pour Thomas, le péché est simplement, d'une manière ou d'une autre, une chose qui fait défaut à son ordre propre. Pour rendre  une partie de la signification de ce mot telle qu'elle est pensée par Thomas, on pourrait traduire par "défaillance", "défectuosité", ce qui serait particulièrement adapté aux "réalités artificielles" dont parle Thomas, une mécanique construite par l'homme peut défaillir. En suivant Thomas, on peut dire qu'un moulin dont la mécanique défaille est un moulin qui pêche. Le péché est vu ici dans un sens large comme un bug.

Sur le mot debitum, il est significatif que le péché soit vu comme une soustraction à ce qui est, le monde créé est débiteur d'un ordre qui lui est intrinsèque. Mais on pourrait dire la même chose de Dieu, il est lui aussi, en quelque sorte, débiteur de ce qu'il est, Dieu est dépendant de sa propre nature. La différence réside dans le fait que le monde créé peut faillir alors que Dieu agit à l'égard de lui-même de manière nécessairement ordonnée.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a8 - Le mal est involontaire

La volonté

  • tend naturellement vers le bien comme vers son objet ;
  • et si elle tend parfois vers le mal, cela n’arrive pas si ce n'est que parce que le mal lui est présenté sous l'espèce du bien.

En effet, le mal est involontaire, comme dit Denys au quatrième chapitre des Noms divins.

Le péché 

  • ne peut donc exister dans le mouvement de la volonté (c'est à dire : [ne peut exister] que [la volonté] appète [= désire] le mal), 
  • que si dans la puissance appréhensive préexiste un défaut (defectus) à cause duquel le mal lui est proposé comme un bien.

Or ce défaut (defectus) dans la raison peut survenir de deux façons, etc.... 

(DeVer.q24a8)

Voluntas enim

  • naturaliter tendit in bonum sicut in suum obiectum ;
  • quod autem aliquando in malum tendat, hoc non contingit nisi quia malum sibi sub specie boni proponitur.

Malum enim est involuntarium, ut Dionysius dicit IV cap. de Divin. Nom. [§ 32].

 

  • Unde non potest esse peccatum in motu voluntatis, scilicet quod malum appetat,
  • nisi in apprehensiva virtute defectus praeexistat, per quem sibi malum ut bonum proponatur.

Hic autem defectus in ratione potest dupliciter accidere etc. ...


 

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Thomas d'Aquin - I-II.q85a2 - Le péché ne détruit pas la nature

Comme nous venons de le dire, le bien de la nature qui peut être diminué par le péché, c'est l'inclination naturelle à la vertu. Cette inclination convient à l'homme du fait qu'il est un être rationnel : c'est cela en effet qui lui permet d'agir selon la raison, ce qui est agir selon la vertu. Or, le péché ne peut pas complètement enlever à l'homme cette qualité d'être rationnel, puisque ce serait le rendre incapable de péché. Il n'est pas possible par conséquent que ce bien de nature soit totalement enlevé.

[Argument contre]

Comme il arrive pourtant que cette sorte de bien est continûment diminué par le péché, certains ont voulu l'expliquer au moyen d'un exemple où l'on trouve qu'une chose finie diminue à l'infini sans pourtant jamais s'épuiser entièrement. Le Philosophe dit en effet que

  • si d'une grandeur finie on ôte constamment quelque chose selon la même quantité, au bout du compte elle sera réduite à rien ; par exemple, lorsque j'aurai constamment retranché d'une longueur quelconque la valeur d'une palme ;
  • tandis que si la soustraction se fait, non pas selon la même quantité, mais selon la même proportion, elle pourra continuer indéfiniment ; par exemple, si une quantité est partagée en deux et que de la moitié on retranche la moitié, on pourra ainsi avancer indéfiniment, de manière cependant que ce qui est retranché la seconde fois sera toujours moindre que ce qui l'était la première.

[Réponse à l'argument]

Mais ceci n'a pas lieu dans le cas qui nous occupe ; car le péché suivant ne diminue pas le bien de la nature moins que ne faisait le péché précédent ; peut-être même, s'il est plus grave, le diminue-t-il davantage. 

[Précision]

Il faut donc parler autrement : l'inclination dont nous parlions se conçoit comme un milieu entre deux extrêmes ; elle a un fondement, une sorte de racine, dans la nature rationnelle, et elle tend au bien de la vertu comme à un terme et à une fin. Par conséquent, la diminution peut se concevoir de deux façons : du côté de la racine, et du côté du terme.

  • Du côté de la racine, le péché ne produit aucune diminution puisque, nous l'avons dit, il ne diminue pas la nature elle-même.
  • Mais, de la seconde manière, il y a une diminution, c'est-à-dire qu'il y a empêchement d'aboutir au terme.
  • S'il y a diminution par la racine, nécessairement l'inclination à la vertu serait parfois totalement consumée, la nature rationnelle ayant été totalement consumée elle-même.
  • Mais, puisqu'il y a diminution du côté de l'obstacle posé pour empêcher d'atteindre le terme, il est évident que cela peut aller à l'infini, car on peut mettre indéfiniment des obstacles, en ce sens que l'homme peut ajouter indéfiniment péché sur péché ;
  • cependant l'inclination ne peut pas être complètement consumée puisqu'il reste toujours la racine d'une telle inclination.

On a un exemple de cela dans le corps diaphane qui, du fait même qu'il est diaphane, a une inclination à recevoir la lumière ; cette inclination ou aptitude est diminuée par les nuages qui surviennent, bien qu'elle subsiste toujours à la racine de la nature.

(Somme, I-II.q85a2)

Respondeo dicendum quod, sicut dictum est, bonum naturae quod per peccatum diminuitur, est naturalis inclinatio ad virtutem. Quae quidem convenit homini ex hoc ipso quod rationalis est, ex hoc enim habet quod secundum rationem operetur, quod est agere secundum virtutem. Per peccatum autem non potest totaliter ab homine tolli quod sit rationalis, quia iam non esset capax peccati. Unde non est possibile quod praedictum naturae bonum totaliter tollatur.

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Cum autem inveniatur huiusmodi bonum continue diminui per peccatum, quidam ad huius manifestationem usi sunt quodam exemplo, in quo invenitur aliquod finitum in infinitum diminui, nunquam tamen totaliter consumi. Dicit enim philosophus, in III Physic., quod

  • si ab aliqua magnitudine finita continue auferatur aliquid secundum eandem quantitatem, totaliter tandem consumetur, puta si a quacumque quantitate finita semper subtraxero mensuram palmi.
  • Si vero fiat subtractio semper secundum eandem proportionem, et non secundum eandem quantitatem, poterit in infinitum subtrahi, puta, si quantitas dividatur in duas partes, et a dimidio subtrahatur dimidium, ita in infinitum poterit procedi; ita tamen quod semper quod posterius subtrahitur, erit minus eo quod prius subtrahebatur.

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Sed hoc in proposito non habet locum, non enim sequens peccatum minus diminuit bonum naturae quam praecedens, sed forte magis, si sit gravius.

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Et ideo aliter est dicendum quod praedicta inclinatio intelligitur ut media inter duo, fundatur enim sicut in radice in natura rationali, et tendit in bonum virtutis sicut in terminum et finem. Dupliciter igitur potest intelligi eius diminutio, uno modo, ex parte radicis; alio modo, ex parte termini.

  • Primo quidem modo non diminuitur per peccatum, eo quod peccatum non diminuit ipsam naturam, ut supra dictum est.
  • Sed diminuitur secundo modo, inquantum scilicet ponitur impedimentum pertingendi ad terminum.
  • Si autem primo modo diminueretur, oporteret quod quandoque totaliter consumeretur, natura rationali totaliter consumpta.
  • Sed quia diminuitur ex parte impedimenti quod apponitur ne pertingat ad terminum, manifestum est quod diminui quidem potest in infinitum, quia in infinitum possunt impedimenta apponi, secundum quod homo potest in infinitum addere peccatum peccato,
  • non tamen potest totaliter consumi, quia semper manet radix talis inclinationis.

Sicut patet in diaphano corpore, quod quidem habet inclinationem ad susceptionem lucis ex hoc ipso quod est diaphanum, diminuitur autem haec inclinatio vel habilitas ex parte nebularum supervenientium, cum tamen semper maneat in radice naturae.

 

 

Ci-dessous, le commentaire de Cajetan, parce qu'il mentionne la syndérèse.

I. Dans le second article de cette quatre-vingt-cinquième question, en laissant de côté les arguments de Scot exposés dans la trente-cinquième distinction du Second Livre, puisque ceux-ci visent à prouver qu’il n’est rien ôté à la nature — ce que l’Auteur concède —, et puisque Scot lui-même, en ce même endroit, traitant des blessures du péché, admet que la capacité au bon usage (de la raison) est diminuée par le péché ; seules se présentent les objections de Durand, dans cette même distinction trente-cinquième du Second Livre, qui combat directement cette doctrine, au motif que la capacité d’un sujet ne peut être accrue ou diminuée par rien qui ne lui inhère : dès lors, elle ne saurait non plus être diminuée. 

La prémisse se démontre de deux manières. Premièrement, parce qu’une capacité s’accroît par l’intensification de quelque chose en elle. Deuxièmement, pour en venir à la question qui nous occupe : l’inclination au bon acte est double. Il y a d’abord une inclination éloignée, qui réside dans les premiers principes — celle-ci n’est ni supprimée ni diminuée ; et une inclination prochaine, qui se trouve dans les habitudes : celle-ci peut être supprimée, accrue ou diminuée selon l’intensité ou la rémission.

II. À cela, on répond très facilement que cet homme a voulu rester aveugle. En effet, l’Auteur a expressément distingué la capacité selon le sujet et selon le terme, et il a dit que, du côté du sujet, elle n’est pas diminuée, mais seulement du côté du terme. Or les objections de cet adversaire portent du côté du sujet : sous ce rapport, il est vrai qu’on ne peut intensifier ce qui n’est pas en lui. Mais la relation au terme, elle, se trouve diminuée par l’adjonction d’obstacles extérieurs, et accrue par leur suppression. C’est en ce sens que sert parfaitement l’exemple du corps diaphane et des obstacles qui s’y opposent. Et de la même manière, la capacité de l’âme procédant de la syndérèse se trouve diminuée à l’infini, tandis que la syndérèse elle-même n’est ni supprimée ni diminuée. (Léonine, VII, p. 112)

In articulo secundo eiusdem quaestionis octogesimaequinta, praetermissis argumentis Scoti, in xxxv distinctione Secundi, quia afferuntur ad probandum quod nihil subtrahatur naturae, quod Auctor concedit; et ipse Scotus ibidem, tractans vulnera peccati, concedit habilitatem ad rectum usum minui per peccatum : solius Durandi, in xxxv distinctione Secundi, objectiones occurrunt, directe impugnantis hanc doctrinam, quia per nihil non inhaerens subjecto augetur habilitas subjecti, ergo nec minuitur. 

Antecedens dupliciter declaratur. Primo, quia augetur per intensionem alicuius in eo. Secundo, ad propositum, quia inclinatio ad bonum opus est duplex : remota, quae est in primis principiis, et haec nec tollitur nec minuitur; et propinqua, quae est in habitibus, et haec tollitur, et augetur et minuitur intensione et remissione.

II. Ad hoc facillime dicitur quod iste voluit esse caecus. Expresse namque Auctor distinxit habilitatem ex parte subjecti, et ex parte termini; et dixit quod ex parte subjecti non minuitur, sed ex parte termini. Objectiones autem istius sunt ex parte subjecti : ex hac enim parte verum est non intendi aliquid quod non est in eo. Sed attingentiam ad terminum constat minui ex appositione impedimentorum extra, et augeri ex remotione eorundem. Et ad hoc optime deservit exemplum de diaphano et de obstaculis appositis. Et hoc modo habilitas animae ex synderesi diminuitur in infinitum, et tamen ipsa synderesis nec tollitur nec minuitur.


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Thomas d'Aquin - Le Christ assuma nos défauts corporels par dispense [= par ?? miséricorde ??] - III.q14a4ad2

La plénitude de toute grâce et de toute science était due à l'âme du Christ, du fait même qu'elle était assumée par le Verbe de Dieu. C'est pourquoi le Christ possédait (assumpsit) absolument toute plénitude de sagesse et de grâce.

Mais il assuma (assumpsit) nos déficiences de manière dispensationnelle par miséricorde (dispensative)

  • afin de satisfaire pour notre péché,
  • et non parce qu'elles coïncidaient avec lui (se competerent) ;

aussi ne devait-il pas les assumer toutes, mais seulement celles qui suffisaient à satisfaire pour le péché de toute la nature humaine.

(Somme, III.q14a4ad2)

Plenitudo omnis gratiae et scientiae animae Christi secundum se debebatur, ex hoc ipso quod erat a verbo Dei assumpta. Et ideo absolute omnem plenitudinem sapientiae et gratiae Christus assumpsit.

Sed defectus nostros dispensative assumpsit,

  • ut pro peccato nostro satisfaceret,
  • non quia ei secundum se competerent.

Et ideo non oportuit quod omnes assumeret, sed solum illos qui sufficiebant ad satisfaciendum pro peccato totius humanae naturae.

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1.  Cette dispense vient de la volonté divine, voir : III.q14a1ad2.

2. Les relations du Christ avec, d'un côté, la sagesse et la grâce, et, de l'autre, les déficiences corporelles, sont qualifiées par le même verbe : assumere / adsumo...

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Thomas d'Aquin - Le libre arbitre se rapporte par lui-même et naturellement au bien - III.q34a3ad1

  • et il se rapporte au mal sur le mode du défaut et hors de la nature

Le libre arbitre ne se rapporte pas au bien et au mal de la même manière,

  • car il se rapporte au bien
    • par lui-même
    • et naturellement ;
  • mais il se rapporte au mal
    • sur le mode du défaut
    • et hors de la nature.

Mais comme le dit le Philosophe, dans De Caelo II, 3, ce qui est au-delà de la nature est postérieur à ce qui est selon la nature, parce que ce qui est au-delà de la nature est une sorte de coupure (excisio) de ce qui est selon la nature.

Et donc le libre arbitre d'une créature au premier instant de sa création

  • peut être mû vers le bien en méritant,
  • mais non vers le mal en péchant,

du moins si la nature est encore intacte.

(Somme, III.q14a1ad2)

Liberum arbitrium non eodem modo se habet ad bonum et ad malum,

  • nam ad bonum se habet
    • per se
    • et naturaliter;
  • ad malum autem se habet
    • per modum defectus,
    • et praeter naturam.

Sicut autem philosophus dicit, in II de caelo, posterius est quod est praeter naturam, eo quod est secundum naturam, quia id quod est praeter naturam, est quaedam excisio ab eo quod est secundum naturam.

Et ideo liberum arbitrium creaturae in primo instanti creationis

  • potest moveri ad bonum merendo,
  • non autem ad malum peccando,

si tamen natura sit integra.

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 1. Citation du De Caelo, 286a 18 : 

ὕστερον δὲ τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν,
καὶ ἔκστασίς τίς ἐστιν ἐν τῇ γενέσει
τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν

"D'autre part ce qui est contre la nature est postérieur à ce qui est selon la nature
et ce qui est contre nature dans la génération est une sorte de déviation au regard de ce qui est selon la nature."

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