Skip to main content

Thomas d'Aquin - I-II.q57a4 - EN COURS - Différence entre l'agere et le facere ; l'agir et le faire ; l'art et la prudence

Où sont trouvées diverses raisons de vertus, là il faut distinguer les vertus. Mais il a été dit plus haut que

  • un certain habitus a raison de vertu à partir de cela seul qu'il fait la faculté pour des oeuvres bonnes ;
  • mais qu'un certain [autre a raison de vertu] à partir de cela que non seulement il fait la faculté 
    • pour des oeuvres bonnes,
    • mais aussi l'usage [bon].
  • Mais l'art fait seulement la faculté pour des oeuvres bonnes, parce que qu'il ne regarde pas l'appétit.
  • Mais la prudence ne fait pas seulement la faculté pour des oeuvres bonnes, mais aussi l'usage, qui regarde l'appétit, en tant qu'elle présuppose la rectitude de l'appétit.

La raison de cette différence, c'est que

  • l'art est la règle droite dans les choses qu'on peut fabriquer (factibilium),
  • tandis que la prudence est la droite règle dans les actions qu'on peut poser (agibilium).

Faire et agir diffère parce que (comme il est dit au chap. IX des Métaphysiques)

  • faire est un acte qui fait aller dans une matière extérieure,
    • comme édifier, tailler, etc.
  • mais agir est un acte qui demeure (permanens) dans l'agent même,
    • comme voir, vouloir, etc.

Ainsi donc,

  • sur ce mode la prudence se rapporte aux actes humains de ce genre
    • ([c'est à dire ces actes humains] que sont l'usage des puissances et des habitus),
  • comme l'art se rapporte aux fabrications extérieures ;

parce que chacune d'elles est la raison parfaite au regard de ces [choses] auxquelles elle est appliquée (comparatur, trad. difficile).

[A propos de la raison droite, analogie domaine pratique / domaine spéculatif]

Or

  • la perfection et rectitude de la raison dans les choses spéculatives
    • dépend des principes à partir desquels la raison syllogise [= atteint des conclusions par raisonnement] ;
  • comme il a été dit que la science
    • dépend de l'intellect
      • qu'est l'habitus des principes,
      • et le présuppose.

Mais dans les actes humains les fins se prennent comme les principes dans les choses spéculatives, comme il est dit dans l'Ethique [à Nicomaque].

Et c'est pourquoi pour la prudence, qui est la droite règle des actions qu'on peut poser, il est requis que l'homme soi bien disposé à propos des fins, ce qui se fait par un appétit rendu droit.

Et c'est pourquoi pour la prudence est requise la vertu morale, par laquelle l'appétit devient (fit) droit.

(...)

(Somme, I-II.q57a4)

Ubi invenitur diversa ratio virtutis, ibi oportet virtutes distingui. Dictum est autem supra quod

  • aliquis habitus habet rationem virtutis ex hoc solum quod facit facultatem boni operis, 
  • aliquis autem ex hoc quod facit non solum facultatem 
    • boni operis,
    • sed etiam usum.
  • Ars autem facit solum facultatem boni operis, quia non respicit appetitum.
  • Prudentia autem non solum facit boni operis facultatem, sed etiam usum, respicit enim appetitum, tanquam praesupponens rectitudinem appetitus.

Cuius differentiae ratio est, quia

  • ars est recta ratio factibilium;
  • prudentia vero est recta ratio agibilium.

Differt autem facere et agere quia, ut dicitur in IX Metaphys.,

  • factio est actus transiens in exteriorem materiam, sicut aedificare, secare, et huiusmodi;
  • agere autem est actus permanens in ipso agente, sicut videre, velle, et huiusmodi.

Sic igitur

  • hoc modo se habet prudentia ad huiusmodi actus humanos, 
    • qui sunt usus potentiarum et habituum,
  • sicut se habet ars ad exteriores factiones,

quia utraque est perfecta ratio respectu illorum ad quae comparatur.

[ ]

  • Perfectio autem et rectitudo rationis in speculativis,
    • dependet ex principiis, ex quibus ratio syllogizat,
  • sicut dictum est quod scientia
    • dependet ab intellectu,
      • qui est habitus principiorum,
      • et praesupponit ipsum.

In humanis autem actibus se habent fines sicut principia in speculativis, ut dicitur in VII Ethic.

Et ideo ad prudentiam, quae est recta ratio agibilium, requiritur quod homo sit bene dispositus circa fines, quod quidem est per appetitum rectum.

Et ideo ad prudentiam requiritur moralis virtus, per quam fit appetitus rectus.

 (...)


1. -- transiens : trans-ire, aller d'un point à un autre

2. -- "comme voir, vouloir, etc." : intéressant de voir combien l'agere pris au sens basic n'est pas nécessairement un acte moral, puisque "voir" est un exemple que TH. donne, alors que l'exempel suivant "vouloir" lui est bien du domaine moral.

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad1 - EN COURS - Quel est le bien en art ? Quel est le bien en éthique ?

!!! Dernier commentaire intra texte à finaliser.

[Le bien de l'art]

Le bien de l'art n'est pas considéré

  • dans l'artisan, [= celui qui possède un art]
  • mais plutôt dans l'oeuvre d'art (artificiato),

puisque l'art est la droite règle (ratio recta) des [choses] qu'on peut fabriquer. En effet la fabrication, qui se réalise (transiens) dans une matière extérieure,

  • n'est pas la perfection de celui qui fait
  • mais de ce qui est fait,

comme le mouvement est l'acte du mobile ; 

en effet, l'art regarde les [choses] qu'on peut fabriquer.

[Le bien de la prudence]

Mais le bien de la prudence est

  • celui qui est atteint en celui qui agit
  • et dont la perfection est son agir même,

en effet, la prudence est la droite règle au sujet des actions posables, comme on l'a dit.

 

[L'artisan n'a pas besoin d'être bon moralement pour être un bon artiste]

  • C'est pourquoi, pour l'art, il n'est pas requis que l'ouvrier opère bien [= agisse bien], mais qu'il fasse une oeuvre bonne.
  • Il serait plutôt requis que l'oeuvre d'art elle-même opère bien, 
    • comme le couteau coupe bien 
    • ou à la scie scie bien, s'il leur appartenait en propre d'agir et non plutôt d'être "agis", du fait qu'ils n'ont pas la maîtrise  (dominium) de leurs actes.

 

[Son art n'apporte spécifiquement rien à l'artisan à propos de son bene vivere]

Voilà pourquoi

  • l'art n'est pas nécessaire à l'artisan lui-même pour bien vivre,
  • mais seulement pour faire une oeuvre bonne et pour la conserver [= intéressant, il faut maintenir la bonté de oeuvre par l'entretien ; // avec la vertu ??].

Mais la prudence est nécessaire à l'homme

  • pour bien vivre
  • et pas seulement pour devenir bon. [Dans l'agir, le bien n'est pas un produit, mais un acte de celui qui agit. L'artisan peut mourrir, l'oeuvre d'art bonne reste.]

(Somme, I-II.q57a5)

[Bonum artis]

Bonum artis consideratur

  • non in ipso artifice,
  • sed magis in ipso artificiato,

cum ars sit ratio recta factibilium, factio enim, in exteriorem materiam transiens,

  • non est perfectio facientis,
  • sed facti,

sicut motus est actus mobilis;

ars autem circa factibilia est.

[Prudentiae bonum]

Sed prudentiae bonum

  • attenditur in ipso agente,
  • cuius perfectio est ipsum agere,

est enim prudentia recta ratio agibilium, ut dictum est.

[ ] 

Et ideo ad artem 

  • non requiritur quod artifex bene operetur, sed quod bonum opus faciat.
  • Requireretur autem magis quod ipsum artificiatum bene operaretur,
    • sicut quod cultellus bene incideret,
    • vel serra bene secaret;

si proprie horum esset agere, et non magis agi, quia non habent dominium sui actus.

[ ]

Et ideo

  • ars non est necessaria ad bene vivendum ipsi artificis;
  • sed solum ad faciendum artificiatum bonum, et ad conservandum ipsum.

Prudentia autem est necessaria homini

  • ad bene vivendum,
  • non solum ad hoc quod fiat bonus. 

 


1. -- " la fabrication, qui se réalise dans une matière extérieure, n'est pas la perfection du fabricant mais de l'objet fabriqué" : on peut néanmoins dire qu'en perfectionnant l'oeuvre, l'artiste se perfectionne lui-même.

2. -- Son art n'apporte spécifiquement rien à l'artisan/artiste à propos de son bene vivere, c'est à dire dans les actions qu'il pose dans le domaine moral et non dans son domaine propre d'artisan/artiste. Cependant si, en tant qu'artiste, l'artiste travaille mal et produit de mauvaises oeuvres, cela atténuera son bonheur d'homme moral puisqu'il ne parvient pas à s'accomplir en tant qu'artisan/artiste. TH. distingue bien les différents domaines dans l'analyse mais, concrètement, c'est un homme tout un qui existe, c'est le même homme qui est à la fois moral et artiste, et donc ce qui touche un plan a une influence sur l'autre. Bien distinguer l'analyse qui saucissone et la réalité qui est une.

  • Dernière mise à jour le .