Celui qui aime(amat), en cela qu'il aime, sort à l'extérieur de lui, en tant qu'il veut le bien pour son ami et qu'il y travaille.
Non cependant qu'il veuille le bien pour son ami plus qu'il ne le veuille pour lui-même. De là, il ne s'ensuit pas qu'on aime de dilection (diligat) l'autre plus que soi-même.
(Somme, I-II.q28a3ad3)
Ille qui amat, intantum extra se exit, inquantum vult bona amici et operatur.
Non tamen vult bona amici magis quam sua. Unde non sequitur quod alterum plus quam se diligat..
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1. Une seule réalité mérite d'être aimé plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu. Voir Commentaires des Noms Divins :
Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles de sorte qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ; tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles. (4.10.432)
Ainsi Jésus recommande d'aimer son prochain comme soi-même, non pas plus que soi-même. Il y a ici beaucoup à dire. Voir le sacrifice de Maximilien Kolbe.
2. Le fait que l'amour spirituel est de soi extatique ne signifie pas le fait de quitter quelque chose qu'on aimerait moins (soi) pour sortir aimer quelque chose d'autre plus digne d'être aimé (l'ami). Non, en aimant l'autre et en demeurant en lui et en s'attachant à oeuvre pour son bien, on ne cesse pas de s'aimer tout autant qu'on aime l'autre.
... non à cause d'une de ses qualités accidentelles dont nous retirons un bien
Quelqu'un est aimé de deux manières :
d'une première manière, sous la raison de bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée,
non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.
(Commentaire des Noms Divins, 4.9.404)
Dupliciter aliquid amatur :
uno modo, sub ratione subsistentis boni
et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
non inquantum volumus quod ei bonum sit,
sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.
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1. Bien noter : TH. atteste que plusieurs auteurs ou enseignants utilisent déjà l'expression "amour d'amitié" ; il la reprend ici à son compte.
2. Benevolentia : disposition à vouloir du bien ; amor benevolentiae : amour par lequel nous voulons à l'autre le bien. Dans d'autres passages TH. ajoute que cet amour nous pousse à opérer le bien pour la personne qu'on aime d'amitié, c'est à dire nous pousse à travailler pour le bien de l'autre.
Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.
Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif : dans sans mouvement] de sorte
qu’à soi seul il ne tende pas mais aux autres [aussi] ;
tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.
(Commentaire des Noms Divins, 4.10.432)
Aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.
Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat