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Thomas d'Aquin - DePerf.11 - L'amour divin sort celui qui l'aime de son propre être pour être celui qu'il aime

Pour atteindre la perfection de la charité, il n’est pas seulement nécessaire

  • que l’homme écarte les réalités extérieures,
  • mais aussi que, en quelque manière, il s’abandonne complètement lui-même.

Denys dit en effet dans Les noms divins,chap. IV, que l’amour divin est faiseur d’extase [= provoque l'extase], c’est-à-dire qu’il met l’homme à l'extérieur de lui-même, en ne laissant pas l’homme être lui-même [= être à lui-même son propre être], mais [être] celui qui est aimé.

L’exemple en a été donné en lui-même par Paul, qui dit, en Ga 2, 20 : Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis : c’est plutôt le Christ qui vit en moi, comme s’il estimait que ce n’était pas sa [propre] vie, mais celle du Christ, car, en méprisant ce qui était proprement sien, il existe [litt. : adhère] totalement dans le Christ.

(DePerf.chap. 11)

Non solum autem necessarium est ad perfectionem caritatis consequendam quod

  • homo exteriora abiciat,
  • sed etiam quodammodo se ipsum derelinquat. 

Dicit enim Dionysius, 4 cap. De divinis nominibus, quod divinus amor est extasim faciens, id est hominem extra se ipsum ponens, non sinens hominem sui ipsius esse, sed eius quod amatur.

Cuius rei exemplum in se ipso demonstravit Apostolus dicens ad Gal. II, 20 Vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus, quasi suam vitam non suam aestimans, sed Christi; quia quod proprium sibi erat contemnens, totus Christo inhaerebat.

 


1. -- Celui qui aime vraiment, c'est à dire spirituellement et et d'une manière très forte, devient en quelque sorte celui qu'il aime. A plus forte raison quand celui qui est aimé est "celui qui est", celui de qui tout autre être dépend.

2. -- Extraordinaire de voir comment, dans un premier temps, on écarte les réalités extérieures, puis, dans un second, on est sorti de son propre être pour exister en une autre réalité. Il y a donc une bonne manière d'exister à l'extérieur !

3. -- "inhaerebat" : haereo signifie déjà "être attaché à", "adhérer à", le préfixe "in" ajoute une indication sur la manière dont se fait cet attachement. Il se fait à l'intérieur. Il faut rappeler que Thomas reprend à Denys l'un des effets de l'amour qui est l'inhésion en la personne aimée. On existe en l'autre lorsqu'on l'aime, cf. I.q28a2.

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Thomas d'Aquin - L'amour spirituel extatique n'implique pas d'aimer l'autre plus que soi-même - I-II.q28a3ad3

  • Celui qui aime(amat), en cela qu'il aime, sort à l'extérieur de lui, en tant qu'il veut le bien pour son ami et qu'il y travaille.
  • Non cependant qu'il veuille le bien pour son ami plus qu'il ne le veuille pour lui-même. De là, il ne s'ensuit pas qu'on aime de dilection (diligat) l'autre plus que soi-même.

(Somme, I-II.q28a3ad3)

  • Ille qui amat, intantum extra se exit, inquantum vult bona amici et operatur.
  • Non tamen vult bona amici magis quam sua. Unde non sequitur quod alterum plus quam se diligat..

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 1. Une seule réalité mérite d'être aimé plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu. Voir Commentaires des Noms Divins

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles de sorte qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ; tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles. (4.10.432)

Ainsi Jésus recommande d'aimer son prochain comme soi-même, non pas plus que soi-même. Il y a ici beaucoup à dire. Voir le sacrifice de Maximilien Kolbe.

2. Le fait que l'amour spirituel est de soi extatique ne signifie pas le fait de quitter quelque chose qu'on aimerait moins (soi) pour sortir aimer quelque chose d'autre plus digne d'être aimé (l'ami). Non, en aimant l'autre et en demeurant en lui et en s'attachant à oeuvre pour son bien, on ne cesse pas de s'aimer tout autant qu'on aime l'autre.

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Thomas d'Aquin - L'extase dans le Commentaire des Noms Divins (4.10.426-441)

Bien noter : 

  • l'induction du fait que l'amour est extatique qui montre que dès qu'il y a amour, il y a dans le même temps extase, sortie de soi

426. Après que Denys ait déterminé à propos de l’amour, ici, il détermine à propos de l’extase qui est un effet de l’amour et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre que l’extase est un effet de l’amour ;
  • deuxièmement, il manifeste cela dans les créatures, là où il dit (169) : Et elles montrent… ;
  • troisièmement, il manifeste cela en Dieu, là où il dit (171) : Osons dire…

426. Postquam Dionysius determinavit de amore, hic determinat de extasi quae est effectus amoris et circa hoc, tria facit :

  • primo, proponit extasim esse amoris effectum ;
  • secundo, manifestat hoc in creaturis ; ibi : et monstrant et cetera ;
  • tertio, manifestat hoc in Deo ; ibi : audendum et cetera.
[1. L'EXTASE EFFET DE L'AMOUR]  

427. Concernant le premier point, il faut considérer là une différence entre les puissances

  • cognitives
  • et appétitives,

à savoir que

  • car l'acte de la puissance cognitive se fait selon que ce qui est connu est dans le connaisasnt,
  • alors que l'acte de la puissance appétitive se fait selon l'inclination que l'appétit a envers ce qui est appété [désiré].

Mais la première opération de l’appétit est l’amour ainsi il a été dit plus haut (401), d’où il suit que l’amour porte en lui la première inclination de l’appétit dans la chose (rem) selon que cette dernière a raison de bien, lequel est l’objet de l’appétit.

427. Circa primum, considerandum est quod haec est differentia inter vim

  • cognoscitivam
  • et appetitivam,

quia

  • actus virtutis cognoscitivae est secundum quod cognita sunt in cognoscente,
  • actus autem virtutis appetitivae est secundum inclinationem quam habet appetens ad rem quae appetitur.

Prima autem operatio appetitus est amor, ut supra dictum est, unde amor importat primam inclinationem appetitus in rem secundum quod habet rationem boni, quod est obiectum appetitus.

428. Mais ainsi que l’être est dit de deux manières, c’est-à-dire

  • de ce qui subsiste par soi
  • et de ce qui existe dans un autre,

de même le bien se dit de deux manières :

  • d'une première manière, il est dit de la réalité subsistante qui a en elle un bien,
    • comme l’homme qui est dit bon ;
  • d'une autre manière, il est dit de ce qui existe en quelqu'un et qui le fait bon,
    • comme la vertu qui est dite bien de l’homme, par laquelle il est bon ;

de même le blanc est dite être (ens),

  • non parce que elle-même serait [une chose] subsistante dans son être,
  • mais ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc de deux manières que l’amour tend vers quelque chose :

  • d'une première manière, comme vers un bien substantiel,
    • ce qui en effet arrive comme lorsque (dum sic) nous aimons quelque chose de telle sorte (ut) que nous lui voulons du bien,
      • comme quand nous aimons un homme en lui voulant du bien ;
  • d'une autre manière, lorsque l’amour tend vers quelque chose, comme vers un bien accidentel,
    • par exemple nous aimons la vertu
      • non pas certes pour cette raison que nous voulons qu’elle soit bonne,
      • mais plutôt pour que grâce à elle nous soyons bons.
  • La première sorte d’amour, certains la nomment amour d’amitié
  • tandis qu’ils réservent pour la seconde le nom d’amour de concupiscence.

428. Sicut autem ens dupliciter dicitur, scilicet

  • de eo quod per se subsistit
  • et de eo quod alteri inest,

ita et bonum :

  • uno modo, dicitur de re subsistente quae habet bonitatem,
    • sicut homo dicitur bonus ;
  • alio modo, de eo quod inest alicui, faciens ipsum bonum,
    • sicut virtus dicitur bonum hominis, quia ea homo est bonus ;

similiter enim albedo dicitur ens,

  • non quia ipsa sit subsistens in suo esse,
  • sed quia ea aliquid est album.

Tendit ergo amor dupliciter in aliquid :

  • uno modo, ut in bonum substantiale,
    • quod quidem fit dum sic amamus aliquid ut ei velimus bonum,
      • sicut amamus hominem volentes bonum eius ;
  • alio modo, amor tendit in aliquid, tamquam in bonum accidentale,
    • sicut amamus virtutem,
      • non quidem ea ratione quod volumus eam esse bonam,
      • sed ratione ut per eam boni simus.
  • Primum autem amoris modum, quidam nominant amorem amicitiae ;
  • secundum autem, amorem concupiscentiae.

429. Il arrive (contingit) cependant parfois que nous aimions même certains biens subsistants d’un amour de concupiscence

  • parce que nous ne les aimons pas pour elles-mêmes,
  • mais pour ce qu’elles possèdent ;

c’est ainsi

  • que nous aimons le vin lorsque nous voulons, en le buvant, jouir de sa douceur ;
  • ou de manière similaire, avec un homme qui est aimé
    • à cause du plaisir
    • ou de l’utilité 
    • non pour lui-même
    • mais par accident,  (405).

429. Contingit autem, quandoque, quod etiam aliqua bona subsistentia amamus hoc secundo modo amoris,

  • quia non amamus ipsa secundum se,
  • sed secundum aliquod eorum accidens ;

sicut

  • amamus vinum, volentes potiri dulcedine eius ;
  • et similiter, cum homo
    • propter delectationem
    • vel utilitatem amatur,
    • non ipse secundum se amatur,
    • sed per accidens.

[Après un préambule, on commence ici à répondre à la question]

430. Ainsi donc, dans l'un et l'autre mode d’amour, l’affect de l’amant, par une certaine inclination, est attiré vers la chose aimée, mais selon divers modes :

  • car dans le deuxième mode d'amour [l'amour de concupiscence], l’affect de l’amant est attiré vers la chose aimée par un acte de la volonté, mais par [= à cause de] son intention, l’affect revient rapidement (recurrit)1 en lui-même (in seipsum) :

en effet, lorsque j'appète [= je désire] la justice ou le vin,

    • mon affect est incliné vers l’un de ces autres,
    • mais cependant il retourne rapidement (recurrit) en lui-même

parce qu’il se porte vers les choses susdîtes de telle manière que par elles il lui arrive (sit) un bien  ;

c’est pourquoi un tel amour ne place pas l’amant à l'extérieur de lui-même (extra se), quant à [= en raison de] la fin de l'intention.

  • Mais avec le premier mode d'amour, l'affect de l'amant est porté vers la réalité aimée de telle manière qu’il n'y ait pas ce retour rapide (recurrit) sur lui-même,
    • parce que c’est à la réalité aimée elle-même qu’il veut du bien
    • et non pour cette raison qu’il voudrait qu’au moyen d’elle il lui arrive (accidit) ensuite quelque chose [= un bien].

Ainsi donc c’est un tel amour qui fait l’extase parce qu'il place l’amant à l'extérieur de lui-même (extra seipsum).

430. In utroque igitur modo amoris, affectus amantis per quamdam inclinationem trahitur ad rem amatam, sed diversimode : 

  • nam in secundo modo amoris, affectus amantis trahitur ad rem amatam per actum voluntatis, sed per intentionem, affectus recurrit in seipsum ;

dum enim appeto iustitiam vel vinum,

    • affectus quidem meus inclinatur in alterum horum,
    • sed tamen recurrit in seipsum,

quia sic fertur in praedicta ut per ea bonum sit ei ;

unde talis amor non ponit amantem extra se, quantum ad finem intentionis.

  • Sed cum aliquid amatur primo modo amoris, sic affectus fertur in rem amatam, quod non recurrit in seipsum,
    • quia ipsi rei amatae vult bonum,
    • non ex ea ratione quia ei exinde aliquid accidat.

Sic igitur talis amor extasim facit, quia ponit amantem extra seipsum.

431. Mais cet [amour d'amitié] se produit de trois manières ; en effet, ce bien substantiel peut se porter de trois manières à l’affect :

  • d'une première manière, selon que le bien est plus parfait que l’amant lui-même
    • et par cela l’amant se compare au bien comme la partie au tout,
    • car ce qui existe en totalité dans ce qui est parfait n'existe qu'en partie dans ce qui est imparfait ;
    • par conséquent, selon cela, l’amant est quelque chose de l’aimé.
  • Deuxièmement, selon que le bien aimé est du même ordre que l’amant.
  • Troisièmement, selon que l’amant est plus parfait que ce qui est aimé et ainsi l’amour de l’amant se porte vers l'aimé comme vers quelque chose qui lui appartient [litt. : de sien].

431. Sed hoc contingit tripliciter ; potest enim illud substantiale bonum, in quod affectus fertur, tripliciter se habere :

  • uno modo sic, quod illud bonum sit perfectius quam ipse amans
    • et per hoc amans comparetur ad ipsum ut pars ad totum,
    • quia quae totaliter sunt in perfectis partialiter sunt in imperfectis ;
    • unde secundum hoc, amans est aliquid amati.
  • Alio modo sic, quod bonum amatum sit eiusdem ordinis cum amante.
  • Tertio modo, quod amans sit perfectius re amata et sic amor amantis fertur in amatum, sicut in aliquid suum.

432. Ainsi donc,

A. quand l’appétit de l’amant se porte vers l’aimé comme vers un [être] supérieur dont un quelque chose [une partie] est l’amant lui-même, alors l’amant ordonne son propre bien vers l’aimé ;

    • par exemple, si la main aimait l’homme, elle ordonnerait cela-même qu’elle est vers le tout [le tout qu'est l'homme],
    • d’où elle se placerait totalement à l'extérieur d’elle-même
    • car en aucune manière il lui resterait quelque chose d'elle
    • mais elle ordonnerait tout vers l'aimé, [c'est-à-dire à l’homme].

B. Il n’en est pas ainsi quand un être en aime un autre de même rang ou qui lui est inférieur :

    • en effet, si une main en aimait une autre, elle ne s'ordonnerait pas totalement vers l’autre ;
    • et un homme qui aime sa main n'ordonne pas tout son bien vers le bien de la main.

Ainsi donc

A. quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

B. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif, donc : dans sans mouvement] de sorte 

    • qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ;
    • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

432.

A. Sic igitur cum affectus amantis fertur in amatum superius, cuius aliquid est ipse amans, ipsum suum bonum amans ordinat in amatum ;

  • sicut si manus amaret hominem, hoc ipsum quod ipsa est in totum ordinaret,
  • unde totaliter extra se poneretur,
  • quia nullo modo aliquid sui sibi relinqueretur,
  • sed totum in amatum ordinaret.

B. Non autem ita est, cum aliquid amat sibi aequale vel id quod infra se est :

  • non enim una manus, si aliam amaret, totam se in aliam ordinaret,
  • neque homo amans suam manum, totum bonum suum in bonum manus ordinat.

A. Sic ergo aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

B. Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.

433. Ainsi donc l’amour divin peut ici s’accepter de deux manières :

  • d'une première manière, de l’amour par lequel Dieu est aimé

et c’est ainsi qu’il faut expliquer cette parole qui dit que l’amour divin fait l’extase,

    • c’est-à-dire qu’il place l’amant hors de lui,
    • c’est-à-dire qu’il l’ordonne à Dieu de telle sorte qu’il ne permet pas aux amants d’exister pour eux-mêmes
    • mais pour les réalités divines qu’ils aiment, car il ne leur reste rien qui ne soit ordonné à Dieu.

 

  • D'une autre manière, l’amour divin peut s’entendre de l’amour qui vient de Dieu,
    • non seulement de celui qui est en Lui,
    • mais aussi de celui qui est dans les autres, c’est-à-dire les égaux et les inférieurs

et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui suit :

n'abandonnant pas tant (tantum) les amantsà ce qui leur est propre,
mais à ceux qui sont aimés,

c’est-à-dire à ceux qui sont aimés, car c’est l’amour qui fait

    • qu’ils ne se contentent pas seulement de se replier sur eux-mêmes,
    • qu'ils ne tendent pas seulement vers eux-même, 
    • mais aussi vers les autres.

433. Sic igitur amor divinus dupliciter potest hic accipi :

  • uno modo, amor quo Deus amatur

et sic exponenda est haec littera quod amor divinus facit extasim,

    • idest ponit amantem extra se,
    • idest ordinat ipsum in Deum ita quod non permittit ipsos amatores esse sui ipsorum,
    • sed rerum divinarum quae amantur, quia nihil sui sibi relinquunt quin in Deum ordinent.

 

  • Alio modo, potest intelligi amor divinus qui est a Deo derivatus,
    • non solum in Deum,
    • sed etiam in alia, scilicet aequalia vel inferiora

et sic intelligendum est : 

non dimittens amatores esse sui ipsorum tantum, 
sed amatorum,

idest eorum quae amantur, quia amor facit

    • quod non solum sibi intendant,
    • sed etiam aliis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET DANS LES CREATURES]  

434. Ensuite, lorsqu’il dit (169) : Et ils montrent…il manifeste dans les créatures ce qu’il vient de dire ;

  • et d’abord, par mode d’induction ;
  • deuxièmement par un recours à l’autorité lorsqu’il ajoute (170) : C’est à cause de cela

434. Deinde, cum dicit : et monstrant et cetera, manifestat quod dixerat, in creaturis ;

  • et primo, per inductionem ;
  • secundo, per auctoritatem ; ibi : propter quod et cetera.
[a. Manifestation par voie d'induction]  

435. Il dit donc en premier que cet effet de l’amour, à savoir l’extase,

  • les réalités supérieures en font la preuve (demonstrant) au moyen de la providence qu’elles exercent (faciunt) à l’égard des réalités inférieures ;

c’est en cela en effet qu’elles sont placées d’une certaine manière hors d’elles-mêmes puisqu'alors elles se tournent vers les autres ;

  • et de même, celles qui sont co-ordonnées, à savoir les égales, manifestent la même chose par le support qu'elles exercent les unes à l'égard des autres, c’est-à-dire pour autant qu’elles s’entraident et s’entretiennent mutuellement ;
  • et les réalités inférieures le montrent par le fait qu'elles sont plus divinement convertis en les réalités qui leur sont supérieures, comme vers celles en qui leur bien existe.

Dans tous ces cas [n.b. : = le signe de l'induction] en effet il apparaît qu’une réalité sort d’elle-même aussitôt [dum = pendant que, indique ici la concommitance] qu’elle se tourne vers une autre.

On se sert ici du génitif au lieu de l’ablatif car la langue grecque en est dépourvue.

435. Dicit ergo primo quod praedictum effectum amoris,

  • demonstrant superiora per providentiam quam faciunt de inferioribus ;

in hoc enim quodammodo extra se ponuntur, quod aliis intendunt ;

  • et similiter, monstrant coordinata, idest aequalia, per continentiam qua se invicem continent, prout scilicet, unum ab altero iuvatur et fovetur ;
  • et monstrant etiam inferiora per hoc quod divinius convertuntur in sua superiora, ut in quibus eorum bonum existit.

In omnibus enim his apparet quod aliquid extra se exit, dum ad alterum convertitur.

Utitur autem hic genitivis pro ablativis, quia Graeci ablativis carent.

[b. Manifestation par voie d'autorité]  
 

436. Ensuite, lorsqu’il dit (170) : C’est à cause de cela… il montre la même chose, mais par voie d’autorité ;

et il dit que c’est à cause de cela que

  • l’amour ne permet pas à l’amant d'exister pour lui-même, [l'amour de type amour d'amitié en tant que tel implique une sortie et ne peut se contenter de rester en soi]
  • mais [le pousse à exister] pour l’aimé,

comme on le voit chez le grand Paul qui fut établi dans l’amour divin

  • comme dans une étreinte
  • et par une puissance de l’amour divin qui le fit sortir totalement de lui-même

lorsqu’il dit, en parlant comme par la bouche de Dieu, au deuxième chapitre de l’épître aux Galates (2, 20) : ¨Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi¨,

c'est à dire qu’il était sorti de lui-même, se projetant totalement en Dieu (totum se in Deum proiecerat),

ne cherchant pas

  • ce qui est à lui [litt. "est sien" ; = son bien propre]
  • mais ce qui est à Dieu [= le bien de Dieu, dans l'amour d'amitié, on recherche le bien de l'autre,... il appartient à Dieu d'être aimé...],

comme un vrai amant transporté dans l’extase,

  • vivant de Dieu
  • et ne vivant pas de sa propre vie
  • mais de celle du Christ, son Amour, laquelle lui paraissait de loin préférable.
 

436. Deinde, cum dicit : propter quod et cetera, ostendit idem per auctoritatem ;

et dicit quod propter hoc quod 

  • amor non permittit amatorem esse sui ipsius,
  • sed amati, 

magnus Paulus constitutus in divino amore

  • sicut in quodam continente 
  • et virtute divini amoris faciente ipsum totaliter extra se exire,

quasi divino ore loquens dicit, Galat. 2 : vivo ego, iam non ego, vivit autem in me Christus 

scilicet quia a se exiens totum se in Deum proiecerat,

non quaerens

  • quod sui est,
  • sed quod Dei, 

sicut verus amator et passus extasim,

  • Deo vivens 
  • et non vivens vita sui ipsius,
  • sed vita Christi ut amati, quae vita erat sibi valde diligibilis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET EN DIEU]  

437. Ensuite, lorsqu’il dit (171) : Osons dire

  • il dit qu’il faut affirmer que l’opération de l’amour dont nous venons de parler se retrouve aussi en Dieu, en disant que 
  • ceci est dit audacieusement comme une vérité,
    • c'est à dire établir (faciente) cette vérité audacieusement ;
  • ou, comme une vérité,
    • c'est-à-dire qu’il faut affirmer comme vrai

que Lui-même,

qui est la cause de toute chose par son amour beau et bon par lequel Il aime tout,
selon l’abondance de sa bonté par laquelle il aime les choses,

sort de Lui-même

    • en tant qu'Il pourvoit aux besoins de tout ce qui existe par
      • sa bonté,
      • son amour
      • et sa charité,
    • et d'une certaine manière il est attiré et mis à terre (deponitur)
    • de manière relative à sa propre excellence,
      • selon le fait qu'il existe au-dessus de toutes choses
      • et qu'il est séparé de toutes choses,
    • de sorte qu'il est en toutes choses,
    • par les effets de sa bonté,
    • selon une certaine extase
    • qui le fait cependant exister dans tous les inférieurs,
    • de telle sorte que sa puissance supersubstantielle ne sorte pas de Lui (non egrediatur ab ipso).
    • En effet il comble toutes les choses sans que sa puissance ne soit épuisée dans aucune d’elles.

C’est ce que Denys ajoute certes pour montrer que par le mot ‘mis à terre(deponitur),

    • il ne faut pas comprendre que Dieu soit diminué,
    • mais seulement qu'il se communique à ceux qui participent de sa bonté.

437. Deinde, cum dicit : 

  • audendum et cetera, dicit quod praedicta operatio amoris etiam in Deo invenitur, dicens quod 
    • hoc audacter dicendum est pro veritate,
      • idest veritatem hanc audacter faciente ;
    • vel pro veritate,
      • idest pro vero hoc asserendo, 

quod ipse 

qui est omnium causa per suum pulchrum et bonum amorem quo omnia amat,
secundum abundantiam suae bonitatis qua amat res, 

fit extra seipsum,

    • inquantum providet omnibus existentibus per
      • suam bonitatem
      • et amorem
      • vel dilectionem
    • et quodammodo trahitur et deponitur 
    • quodammodo a sua excellentia, 
      • secundum quod supra omnia existit 
      • et ab omnibus segregatur,
    • ad hoc quod sit in omnibus,
    • per effectus suae bonitatis,
    • secundum quamdam extasim,
    • quae tamen sic ipsum facit in omnibus inferioribus esse,
    • ut supersubstantialis eius virtus non egrediatur ab ipso.
    • Sic enim implet omnia quod ipse in nullo evacuetur sua virtute.

Quod quidem addit, ut per hoc quod dixerat : deponitur,

  • non intelligatur aliqua minoratio,
  • sed hoc solum quod se inferioribus ingerit propter suae bonitatis participationem.
   

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0. Vérifier que la traduction de "in" par "vers" est toujours correcte (il faut l'accusatif).

1. Recurrit : courrir en arrière, revenir en courant, revenir vite, revenir

2. Dans l'amour de conupiscence, il y a un premier temps où l'on sort de soi mais c'est pour un bref instant, le temps de prendre ce qui nous intéresse à l'extérieur pour le ramener en soi. Donc, l'extase est ici certes dans un premier stade, contrairement à l'amour naturel de soi qui ne nécessite pas de sortir de soi, mais elle ne demeure pas dans cet état. Seul l'amour d'amitié restera tendu vers l'autre et demeurera dans cet "état de sortie".

3. Traduction originale du n° 437 : "... et que d’une certaine manière il se prolonge et s’abandonne, mais  à cause de son excellence conformément à Son existence qui demeure au-dessus et séparée de tout dans l’existence de tous les êtres, selon une certaine extase..."

4. n° 437 : "deponitur" :

  • trad. originale : "s'abandonne".
  • Traduction du grec par Sources Chrétiennes 478 : "et, pour ainsi dire, se laisse séduire par la bonté, la dilection et l'amour" ;
  • traduction de Georges Darboy : "et daigne bien se laisser vaincre aux charmes de la bonté, de la dilection et de l’amour".

5. n° 437 : "supersubstantialis eius" : trad. originale : "sa substance qui est au-dessus de toute substance"

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - Nous aimons quelqu'un d'amitié lorsque nous l'aimons pour son être même - Comm.Noms.Divins.4.9.404

  • ... non à cause d'une de ses qualités accidentelles dont nous retirons un bien

Quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous la raison de bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

(Commentaire des Noms Divins, 4.9.404)

Dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

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1. Bien noter : TH. atteste que plusieurs auteurs ou enseignants utilisent déjà l'expression "amour d'amitié" ; il la reprend ici à son compte.

2. Benevolentia : disposition à vouloir du bien ; amor benevolentiae : amour par lequel nous voulons à l'autre le bien. Dans d'autres passages TH. ajoute que cet amour nous pousse à opérer le bien pour la personne qu'on aime d'amitié, c'est à dire nous pousse à travailler pour le bien de l'autre.

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Thomas d'Aquin - Seul l'amour spirituel d'amour d'amitié sort réellement de lui-même - I-II.q28a3

[La première extase est celle qui se fait par l'intermédiaire de la connaissance qui médite intensément sur l'objet aimé, elle nous abstrait (abstrahit) des autres choses.]  

... Quant à la seconde extase, l'amour la fait directement : 

  • purement et simplement (simpliciter) dans l'amour d'amitié ;
  • non purement et simplement dans l'amour de concupiscence, mais seulement relativement (secundum quid).

De fait,

  • dans l'amour de convoitise,
    • l'aimant se porte d'une certaine manière hors de soi-même, en tant que, 
      • non content de jouir du bien qu'il possède,
      • il cherche à jouir de quelque chose en dehors de lui-même.
    • Mais parce que ce bien extérieur, il cherche à l'avoir pour soi,
      • il ne sort pas purement et simplement de soi ;
      • mais une telle affection, in fine, se conclut en-dessous de lui [= se ramène sous le pouvoir de sa convoitise].
  • Mais dans l'amour d'amitié, l'affection sort purement et simplement d'elle-même,
    • parce qu'on veut le bien à son ami et on opère [à cela],
    • comme si on lui portait soins et providence
      • à cause de l'ami lui-même.

(Somme, I-II.q28a3)

Sed secundam extasim facit amor directe,

  • simpliciter quidem amor amicitiae;
  • amor autem concupiscentiae non simpliciter, sed secundum quid.

Nam

  • in amore concupiscentiae,
    • quodammodo fertur amans extra seipsum, inquantum scilicet,
      • non contentus gaudere de bono quod habet,
      • quaerit frui aliquo extra se.
    • Sed quia illud extrinsecum bonum quaerit sibi habere,
      • non exit simpliciter extra se,
      • sed talis affectio in fine infra ipsum concluditur.
  • Sed in amore amicitiae, affectus alicuius simpliciter exit extra se,
    • quia vult amico bonum, et operatur,
    • quasi gerens curam et providentiam ipsius,
      • propter ipsum amicum.

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Thomas d'Aquin - Une seule réalité mérite d'être aimée plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu - Comm.Noms.Divins.4.10.432

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif : dans sans mouvement] de sorte 

  • qu’à soi seul il ne tende pas mais aux autres [aussi] ;
  • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

(Commentaire des Noms Divins, 4.10.432)

Aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.
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