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Thomas d'Aquin - Deux manières d'être similaires donnent deux manières d'aimer : amour d'amitié / amour de concupiscence - I-II.q27a3

La similitude est à proprement parler cause de l'amour. Mais il faut remarquer que la similitude peut tendre à une double [acception]. Similitudo, proprie loquendo, est causa amoris. Sed considerandum est quod similitudo inter aliqua potest attendi dupliciter.
  1. D'une première manière du fait que chacun d'eux a en acte une même [réalité], comme deux [choses] ayant la blancheur sont dit similaires.
  2. D'une autre manière du fait que l'un a en acte ce que l'autre a en puissance et [ceci] par une certaine inclination ;
    • comme lorsque nous disons que un corps lourd existant hors de son lieu a une similtude avec un corps grave qui existe en son lieu. 
    • Ou encore selon que la puissance a une similitude avec l'acte lui-même ; car dans la puissance elle-même existe d'une certaine façon l'acte
  1. Uno modo, ex hoc quod utrumque habet idem in actu, sicut duo habentes albedinem, dicuntur similes.
  2. Alio modo, ex hoc quod unum habet in potentia et in quadam inclinatione, illud quod aliud habet in actu,
    • sicut si dicamus quod corpus grave existens extra suum locum, habet similitudinem cum corpore gravi in suo loco existenti.
    • Vel etiam secundum quod potentia habet similitudinem ad actum ipsum, nam in ipsa potentia quodammodo est actus.
  1. Le premier genre de ressemblance est cause de l'amour d'amitié ou de la volonté de se faire mutuellement du bien (benevolentiae). De ce fait, deux êtres étant similaires, et n'ayant pour ainsi dire qu'une seule forme, ils sont, en quelque manière, un dans cette forme ;
    • deux hommes ne font qu'un dans l'espèce humaine,
    • et deux êtres blancs dans la même blancheur.

De sorte que l'affect de l'un tend vers l'autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu'à soi.

  1. Mais le deuxième genre de similitude est cause de l'amour de concupiscence ou de l'amitié utile et délectable. Car tout être en puissance, en tant que tel, a l'appétit de son acte, et, lorsqu'il l'a obtenu, il s'en réjouit, s'il est sensible et doué de connaissance. Or dans l'amour de concupiscence, avons-nous dit, c'est lui-même, à proprement parler, que l'aimant aime, quand il veut ce bien qu'il convoite. 

 

  1. Primus ergo similitudinis modus causat amorem amicitiae, seu benevolentiae. Ex hoc enim quod aliqui duo sunt similes, quasi habentes unam formam, sunt quodammodo unum in forma illa,
    • sicut duo homines sunt unum in specie humanitatis,
    • et duo albi in albedine.

Et ideo affectus unius tendit in alterum, sicut in unum sibi; et vult ei bonum sicut et sibi.

  1. Sed secundus modus similitudinis causat amorem concupiscentiae, vel amicitiam utilis seu delectabilis. Quia unicuique existenti in potentia, inquantum huiusmodi, inest appetitus sui actus, et in eius consecutione delectatur, si sit sentiens et cognoscens. Dictum est autem supra quod in amore concupiscentiae amans proprie amat seipsum, cum vult illud bonum quod concupiscit.

Mais chacun s'aime plus que les autres, parce que l'un,

  • avec soi, est dans la substance [= on ne fait qu'un avec notre propre être],
  • tandis qu'avec un autre, est dans la similitude de quelque forme.

Et c'est pourquoi si de (ex) ce qui est similaire à lui-même dans la participation de la forme, il est lui-même empêché d'atteindre le bien qu'il aime, [ce qui lui est similaire] lui devient odieux,

  • non en tant qu'il lui est similaire,
  • mais en tant qu'il est un empêchement à son propre bien.

Magis autem unusquisque seipsum amat quam alium, quia

  • sibi unus est in substantia,
  • alteri vero in similitudine alicuius formae.

Et ideo si ex eo quod est sibi similis in participatione formae, impediatur ipsemet a consecutione boni quod amat; efficitur ei odiosus,

  • non inquantum est similis,
  • sed inquantum est proprii boni impeditivus.

Et pour cela

  • "les potiers se disputent les uns les autres" ; parce qu'ils s'empêchent les uns les autres dans leurs propres profits ;
  • et "les orgueilleux se querellent" parce qu'ils s'empêchent  les uns les autres dans l'excellence propre qu'ils convoitent (concupiscunt).

(Somme, I-II.q27a3)

Et propter hoc

  • figuli corrixantur ad invicem, quia se invicem impediunt in proprio lucro,
  • et inter superbos sunt iurgia, quia se invicem impediunt in propria excellentia, quam concupiscunt.

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1.

Quand les deux sont en acte d'une forme similaire --> amour d'amitié.

Quand l'un n'a qu'en puissance ce qu'a l'autre en acte --> amour de concupiscence.

On aime l'aimable en acte, le véritable amour se fait quand l'un aime la bonté en acte de l'autre, c'est pourquoi il y a réciprocité dans l'amitié.

Quand il nous manque quelque chose que l'autre a,

  • nous ne regardons pas l'autre pour lui-même,
  • et l'autre n'a pas de raison de nous regarder du tout.

2.

Benevolentiae : la traduction habituelle par bienveilance ne semble pas ici adéquate. Un ami est quelqu'un a qui on veut du bien dit ailleurs Thomas.

3.

Noter la parenthèse métaphysique à partir de laquelle Thomas montre pourquoi, sous un certain aspect, l'amour de soi est plus grand que l'amour des autres. L'unité avec soi est substantielle tandis que l'unité avec l'autre se fait par la qualité.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad11 - Quelque chose du bien demeure dans l'action volontairement fautive - LUMINEUX

Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait. 

(DeVer.q24a10ad11)

 

Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.

 

Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".

A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.

La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement (specie) comme un bien.

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