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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1- Les hommes peuvent agir librement à cause de leur capacité à confronter

  • ... et du fait qu'ils ont la notion de fin et celle de moyen, ainsi que l'ordre entre elles
  • A partir d'un jugement de la raison (ex iudicio rationis) les hommes agissent et sont mus,
    • car ils confrontent1 les choses à faire dans le domaine de l'action (conferunt enim de agendis),
  • mais à partir d'un jugement naturel (ex iudicio naturali) agissent et se meuvent toutes les bêtes.

Et cela ressort clairement,

  • d’une part, de ce que toutes celles qui sont de la même espèce opèrent semblablement
    • ainsi, toutes les hirondelles font leur nid de manière similaire,
  • et d’autre part de ce qu’elles ont un jugement pour une œuvre déterminée et non pour toute œuvre ;
    • ainsi, les abeilles n’ont pas d’industrie pour fabriquer autre chose que des rayons de miel (...).
  • [Les bêtes] ne sont pas la cause de leur arbitre, et n’ont pas la liberté de l’arbitre (libertatem arbitrii habent).
  • L’homme, en revanche, jugeant par la puissance (virtutem) de la raison sur les choses à faire dans le domaine de l'action, peut juger depuis son arbitre (de suo arbitrio), en tant qu’il connaît la raison [= la notion analogique] de la fin et du moyen, ainsi que la relation et l’ordre entre l’un et l’autre ;

voilà pourquoi il n’est pas seulement la cause de soi‑même

  • dans le mouvement,
  • mais [aussi] dans le jugement ;

et c’est pourquoi il est [doué] de libre arbitre, on peut quasiment dire de libre jugement pour agir ou ne pas agir.

(DeVer.q24a1)

  • Ex iudicio rationis homines agunt et moventur ; conferunt enim de agendis;
  • sed ex iudicio naturali agunt et moventur omnia bruta.

Quod quidem patet

  • tum ex hoc quod omnia quae sunt eiusdem speciei, similiter operantur,
    • sicut omnes hirundines similiter faciunt nidum :
  • tum ex hoc quod habent iudicium ad aliquod opus determinatum et non ad omnia ;
    • sicut apes non habent industriam ad faciendum aliquod aliud opus nisi favos mellis (...). 
  • Et sic non sunt causa sui arbitrii, nec libertatem arbitrii habent.
  • Homo vero per virtutem rationis iudicans de agendis, potest de suo arbitrio iudicare, in quantum cognoscit rationem finis et eius quod est ad finem, et habitudinem et ordinem unius ad alterum :

et ideo non est solum causa sui ipsius

  • in movendo,
  • sed in iudicando ;

et ideo est liberi arbitrii, ac si [Gaffiot : quasi] diceretur liberi iudicii de agendo vel non agendo.

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1.

  • De "confero" : comparer, mettre en parallèle.
  • Le verbe confero met bien en valeur l'analogie intelligence / raison, volonté / libre arbitre. Le mot est utilisé aussi en DeVer.q24a6
  • Plus tard, Thomas utilise l'expression ex collatione(Somme, I.q83a1 et I.q83a4), la collation étant l'acte de conférer avec quelqu'un. Collatio vient de Collatus participe passé de Confero.
  • En ce sens on pourait aussi traduire par : "les hommes tiennent en eux-mêmes conférence afin de juger" ou encore "les hommes discutent en eux-mêmes afin de juger", ou "s'entretiennent en eux-mêmes".
  • Voir l'éclairant article du CNRTL.
  • Voir la réponse de GPT4 : Quelles sont les différentes traductions possibles du verbe confero ? Le verbe latin “confero” peut être traduit en français de plusieurs manières selon le contexte. Les traductions les plus courantes sont “comparer”, “rassembler”, “réunir”, “apporter”, “contribuer” et “conférer”.
  • Une autre bonne traduction serait d'utiliser le verbe colliger mais demeure d'un usage trop rare...

2. -- "[Les bêtes] ne sont pas la cause de leur arbitre, et n’ont pas la liberté de l’arbitre" : très intéressant, cela montre que les bêtes ont bien un arbitre, c'est à dire une capacité de juger, mais cet arbitrage n'est pas libre, leur jugement est naturel.

3. -- "L’homme jugeant par la puissance de la raison sur les choses à faire, peut juger depuis son arbitre, en tant qu’il connaît la raison de la fin et du moyen, ainsi que la relation et l’ordre entre l’un et l’autre": la "raison" est la saisie dans telle chose puis dans telle autre, etc., d'un élément commun qui lui permet d'abstraire ; on découvre ainsi ce qu'est une fin en général et on peut ensuite juger à propos de certaines choses qu'elles sont des fins. Même chose pour la ratio de moyen. A PRECISER : La ratio fait appel à l'analogie et à l'abstraction.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le libre arbitre est la volonté elle‑même dans son acte d'élection

  • Le libre arbitre ne recouvre pas tout ce qu'est la volonté mais seulement en tant qu'elle élit.
  • ... de même que le délectable et l’honnête,
      • qui incluent la raison de fin,
    • sont objets de la puissance appétitive,
  • de même le bien utile, qui est proprement élu
      • (et cela est patent à partir du nom : car le libre arbitre, comme on l’a dit, est la puissance par laquelle l’homme peut juger librement).

Or, si une chose est dîte principe de ce qu’un acte est fait d’une certaine façon (aliqualiter),

  • il n’est pas nécessaire qu’elle soit purement et simplement (simpliciter) le principe de cet acte,
  • mais il est signifié qu’elle en est le principe d’une certaine façon (aliquiliter) ;
  • de même, en disant que la grammaire est la science du parler correct,
    • on ne dit pas qu’elle est purement et simplement le principe de la parole,
      • car l’homme peut parler sans la grammaire,
    • mais qu’elle est le principe de la correction dans la parole.
  • La puissance qui [fait] que nous jugeons librement ne s’intellige pas
    • de celle qui fait que nous jugeons purement et simplement,
      • ce qui appartient à la raison,
    • mais de celle qui fait (facit) la liberté quand nous jugeons,
      • ce qui appartient à la volonté.

C’est pourquoi le libre arbitre est la volonté elle‑même.

Il ne la dénomme pas

  • absolument,
  • mais dans l'ordre à un acte d’elle,
    • celui d’élire.

(DeVer.q24a6)

  • ... sicut bonum delectabile et honestum,
      • quae habent rationem finis,
    • sunt obiectum appetitivae virtutis,
  • ita et bonum utile, quod proprie eligitur) ;
    • et patet ex nomine : nam liberum arbitrium, ut dictum est, art. 4 huius quaest., est potentia qua homo libere iudicare potest.

Quod autem dicitur esse principium alicuius actus aliqualiter fiendi,

  • non oportet quod sit principium illius actus simpliciter,
  • sed aliqualiter significatur esse principium illius ;
  • sicut grammatica per hoc quod dicitur esse scientia recte loquendi,
    • non dicitur quod sit principium locutionis simpliciter,
      • quia sine grammatica potest homo loqui,
    • sed quod sit principium rectitudinis in locutione.
  • Ita et potentia qua libere iudicamus,
    • non intelligitur illa qua iudicamus simpliciter,
      • quod est rationis ;
    • sed quae facit libertatem in iudicando,
      • quod est voluntatis.

Unde liberum arbitrium est ipsa voluntas.

Nominat autem eam non

  • absolute,
  • sed in ordine ad aliquem actum eius,
    • qui est eligere. 

 

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Thomas d'Aquin - I.q83a1 - Le libre jugement provient de la confrontation de la raison

  • Ex collatione

L’homme agit à partir d'un jugement1, car, par la puissance cognitive, il juge

  • s’il faut fuir quelque chose
  • ou le poursuivre.

Mais parce que ce jugement

  • ne pro­vient pas d’un instinct naturel (naturali instinctu) portant sur un opérable particulier (in particulari operabili) [= une action particulière],
  • mais provient de quelque confrontation (ex collatione quadam -ablatif) de la raison,

il agit alors à partir d'un libre jugement (agit libero iudicio), pouvant se porter sur des objets divers (in diversa).

(Somme, I.q83a1) 

Homo agit iudicio, quia per vim cognoscitivam iudicat aliquid esse

  • fugiendum
  • vel prosequendum.

Sed quia iudicium istud

  • non est ex naturali instinctu in particulari operabili,
  • sed ex collatione quadam rationis,

ideo agit libero iudicio, potens in diversa ferri.

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1. agit libero iudicio : ablatif, il peut exprimer ici  le point de départ ou/et le moyen.

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