Skip to main content

Thomas d'Aquin - Concupiscence selon la nature et concupiscence selon la connaissance - Ia-IIae.q30a3

La concupiscence, avons-nous dit, est l'appétit du bien délectable. Or une chose peut être délectable à un double titre.

  • D'abord parce qu'elle est convient à la nature de l'animal, comme manger, boire, etc. Cette concupiscence du délectable est dite naturelle.
  • Ou bien la chose est délectable parce qu'elle convient à l'animal selon la connaissance qu'il en a ; ainsi une chose est appréhendée comme bonne et adaptée et par conséquence on s'y délecte. La concupiscence de ces derniers objets est dite non naturelle, et, couramment, est plutôt appelée cupidité.

Concupiscentia est appetitus boni delectabilis. Dupliciter autem aliquid est delectabile.

  • Uno modo, quia est conveniens naturae animalis, sicut cibus, potus, et alia huiusmodi. Et huiusmodi concupiscentia delectabilis dicitur naturalis.
  • Alio modo aliquid est delectabile, quia est conveniens animali secundum apprehensionem, sicut cum aliquis apprehendit aliquid ut bonum et conveniens, et per consequens delectatur in ipso. Et huiusmodi delectabilis concupiscentia dicitur non naturalis, et solet magis dici cupiditas.

Les premières de ces convoitises, celles qui sont naturelles, sont communes aux hommes et aux animaux ; aux uns et aux autres certaines choses conviennent et sont délectables au point de vue naturel.

Et tous les hommes en sont d'accord. Aussi le Philosophe appelle-t-il ces convoitises communes et nécessaires.

Primae ergo concupiscentiae, naturales, communes sunt et hominibus et aliis animalibus, quia utrisque est aliquid conveniens et delectabile secundum naturam. Et in his etiam omnes homines conveniunt, unde et philosophus, in III Ethic., vocat eas communes et necessarias.

Quant aux autres convoitises, elles sont propres à l'homme, à qui il appartient de se représenter que telle chose lui est bonne et lui convient, en dehors de ce que la nature requiert.

C'est pourquoi le même Philosophe dit que les premières convoitises sont "irrationnelles", et les secondes "accompagnées de raison". Et parce que tous raisonnent de façon diverses, ces dernières sont appelées par Aristote: "propres et surajoutées", par rapport aux convoitises naturelles.

(Somme, Ia-IIae.q30a3)

Sed secundae concupiscentiae sunt propriae hominum, quorum proprium est excogitare aliquid ut bonum et conveniens, praeter id quod natura requirit.

Unde et in I Rhetoric., philosophus dicit primas concupiscentias esse irrationales, secundas vero cum ratione. Et quia diversi diversimode ratiocinantur, ideo etiam secundae dicuntur, in III Ethic., propriae et appositae, scilicet supra naturales.

-----

1. Le terme naturel est utilisé ici par Thomas pour désigner ce qui est intimement lié à cette chose sans faire appel à quelque chose d'extérieur à cette chose. Cela ne signifie pas qu'on se cantonne ici au plan matériel, il y a par exemple un appétit naturel au vrai.

2. Thomas laisse entendre ici que, chez l'homme, dès qu'il y a connaissance sensible, la raison s'attache à cette connaissance. L'homme ne peut connaître sensiblement sans connaître en même temps selon la raison. Si ce bougeoire m'est connu par les sens, il m'est alors aussi connu selon la raison. Je ne peux isoler dans le sensible mon appétit pour le chocolat car, du fait que je possède la raison, ma raison participera à cet appétit. Il n'est pas nécessaire que le bien désiré soit un bien spirituel pour que je le désire selon la raison.

La distinction de l'appétit naturel de l'appétit non naturel se voit clairement sur le plan de la nourriture : nous désirons nécesairement nous nourrir (appétit naturel), mais nous ne désirons pas nécessairement que cette nourriture soit telle nourriture (appétit non naturel -- de fait, certaines personnes n'aiment pas le chocolat). 

3. Lorsqu'on dépasse l'appétit naturel dans l'appétit sensible nous accédons à un premier niveau d'altérité par la connaissance d'une chose extérieure alors que le plan naturel d'une chose ressort uniquement de sa "programmation" interne.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - De Pot. q10a2ad6 - Dieu aime sa bonté naturellement et par nécessité mais il produit les créatures gratuitement sans nécessité

 

La créature ne procède de la volonté divine

  • ni naturellement
  • ni de nécessité ;
  • car bien que Dieu aime sa bonté naturellement par sa volonté et de nécessité, et qu’un tel amour qui procède soit l’Esprit saint,
  • cependant il ne veut pas produire les créatures naturellement ou de nécessité mais gratuitement (sed gratis).

Car

  • les créatures ne sont pas la fin ultime de la volonté divine,
  • et sa bonté, qui est la fin ultime, ne dépend pas d’elles, puisque les créatures n’ajoutent rien à sa bonté ;

ainsi l’homme

  • veut le bonheur de nécessité,
  • non cependant ce qui est ordonné au bonheur.

(De Pot. q10a2ad6)

Creatura non procedit a voluntate divina

  • naturaliter
  • neque ex necessitate ;
  • licet enim Deus sua voluntate naturaliter et ex necessitate amet suam bonitatem, et talis amor procedens sit Spiritus sanctus ;
  • non tamen naturaliter aut ex necessitate vult creaturas produci, sed gratis.
  • Non enim creaturae sunt ultimus finis voluntatis divinae,
  • neque ab eis dependet bonitas Dei, qui est ultimus finis, cum ex creaturis divinae bonitati nihil accrescat ;

sicut etiam homo

  • ex necessitate vult felicitatem,
  • non tamen ea quae ad felicitatem ordinantur.

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DePot.q1a5 - Toute volonté, en tant que volonté, veut naturellement et nécessairement une certaine fin

  • Cette même volonté voudra les nécessairement les moyens sans lesquels cette fin ne peut être atteinte

Il faut que n’importe quelle volonté ait une certaine fin

  • qu’elle veut naturellement,
  • et qu’elle ne puisse pas vouloir le contraire ;

ainsi l’homme naturellement et par nécessité veut le bonheur et il ne peut pas vouloir le malheur.

Cependant,

  • avec le fait que la volonté veut nécessairement sa fin naturelle,
  • elle veut aussi nécessairement les choses sans lesquelles elle ne peut pas atteindre sa fin,
    • si elle les connaît ;

et ce sont les choses qui sont proportionnées à la fin ; par exemple, si je veux la vie, je veux de la nourriture.

(DePot.q1a5)

Oportet enim quod quaelibet voluntas habeat aliquem finem

  • quem naturaliter velit,
  • et cuius contrarium velle non possit ;

sicut homo naturaliter et de necessitate vult beatitudinem, et miseriam velle non potest.

 

  • Cum hoc autem quod voluntas velit necessario finem suum naturalem,
  • vult etiam de necessitate ea sine quibus finem habere non potest,
    • si hoc cognoscat ;

et haec sunt quae sunt commensurata fini ; sicut si volo vitam, volo cibum.

 


 1. -- Voilà une manière de penser qui est totalement à l'opposé de ce qui est proposé par l'air ambiant depuis quelques siècles déjà chez les intellectuels mais maintenant aussi très répandue chez tous. Ce que dit Thomas est effrayant pour l'homme moderne, il pense que Thomas soutient que l'homme n'est pas libre, qu'il est totalement déterminé. Bien sûr rien n'est plus faux. Thomas souligne simplement ce qu'il constate exprimentalement, et ce avec quoi tout un chacun ne peut qu'être d'accord : il existe quantités de choses vis à vis desquelles nous ne sommes pas libres. A commencer par notre rapport au bonheur et notre rapport à une personne aimée.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4 - La nécessité naturelle en Dieu ne s'oppose pas à la [raison de] liberté

La volonté divine a une nécessité, non de contrainte, mais d'ordre naturel, qui ne répugne pas [= ne s'oppose pas] à la liberté.

(DeVer.q23a4)

Voluntas divina necessitatem habet, non quidem coactionis, sed naturalis ordinis, qui libertati non repugnat.

 


Sinon Dieu serait obligé de nier tout ce qu'il est pour pouvoir être libre d'être ce qu'il veut.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q23a4adsc - La nécessité naturelle ne s'oppose pas à la liberté

La nécessité de l'ordre naturel ne répugne pas [= ne s'oppose pas] à la liberté, mais seulement la nécessité de contrainte.

(DeVer.q23a4adsc - Toute fin de la question)

 Necessitas naturalis ordinis libertati non repugnat, sed sola necessitas coactionis.

 


Important au plus haut point, sinon nous serions obligé de nier préalablement tout ce que nous sommes pour pouvoir être libre de tout ce que nous sommes.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad18 - Comment la volonté est doublement non contrainte

  • De même qu'un certain vrai, du fait qu'il est non mélangé de faux, est reçu de nécessité par l'intellect,
    • comme le sont les premiers principes de la démonstration,
  • de même un certain bien, du fait qu'il est non mélangé de mal, est de nécessité désiré (appetitur) par la volonté,
    • à savoir, la félicité elle-même.

[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 1er point - Du côté de la fin]

Cependant, il ne s’ensuit pas que la volonté soit contrainte par cet objet ; car « contrainte »

  • dit quelque chose de contraire à la volonté
    • (qui est proprement inclination de celui qui veut)
  • et ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect
    • (qui ne dit pas inclination en celui qui intellige).

[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 2ème point- Du côté des moyens]

  • A partir de la nécessité de ce bien
    • n'est pas induit la nécessité de la volonté à vouloir d'autres choses, 
  • comme à partir de la nécessité des premiers principes
    • est induit la nécessité à l'assentiment des conclusions ;
  • les autres choses voulues n'ont pas un rapport nécessaire à ce premier voulu (ou selon la vérité ou selon l'apparence) 
    • [qui ferait en] sorte que sans eux ce premier voulu ne soit pas possible ;
  • alors que les conclusions démonstratives ont un rapport nécessaire aux principes à partir desquels elles sont démontrées, 
    • si bien que, les conclusions n'étant pas vraies, il est nécessaire que les principes ne soient pas vrais.

(DeVer.q24a1ad18)

  • Sicut aliquod verum est quod propter impermixtionem falsi de necessitate ab intellectu recipitur,
    • sicut prima principia demonstrationis;
  • ita est aliquod bonum quod propter malitiae impermixtionem de necessitate a voluntate appetitur,
    • scilicet ipsa felicitas.

[ ]

Non tamen sequitur quod ab illo obiecto voluntas cogatur; quia coactio 

  • dicit aliquid contrarium voluntati,
    • quae est proprie inclinatio volentis ;
  • non autem dicit aliquid contrarium intellectui,
    • qui non dicit inclinationem intelligentis.

[ ]

  • Nec ex necessitate illius boni
    • inducitur necessitas voluntatis respectu aliorum volendorum,
  • sicut ex necessitate primorum principiorum
    • inducitur intellectui necessitas ad assentiendum conclusionibus ;
  • eo quod alia volita non habent necessariam habitudinem ad illud primum volitum vel secundum veritatem vel secundum apparentiam,
    • ut scilicet absque illis primum volitum haberi non possit;
  • sicut conclusiones demonstrativae habent necessariam habitudinem ad principia ex quibus demonstrantur,
    • ita quod, conclusionibus non existentibus veris, necesse est principia non esse vera.

 

 


1. -- Extraordinaire : du fait que le bonheur est un bien dans lequel on ne trouve aucun mal, il en peut qu'être nécessairement désiré.

2. -- Sur l'argument du côté de la fin : Le bonheur ne contraint pas la volonté à le vouloir, parce que la volonté est faite pour cela. Non seulement il n'y a pas contrainte, mais désirer le bonheur accomplit la volonté puisqu'elle a en elle-même une inclination au bonheur (elle tend naturellement à cela, elle ne peut faire autrement, comme voir n'est pas une contrainte pour l'oeil). C'est opurquoi, en d'autres lieux, TH. dira que la nécessité n'est pas contraire à la liberté mais seulement la contrainte.

3. -- Sur l'argument du côté des moyens : Le premier vrai et le premier bien servent de premier appui, l'un dans le domaine spéculatif l'autre dans le domaine pratique. Mais alors que ce qui en découle est nécessaire sur le plan spéculatif, cela n'est pas le cas sur le plan pratique. Ainsi, si les conclusions s'imposent d'elles-mêmes à partir des premiers principes (le premier vrai) sur le plan spéculatif, les moyens, eux, ne s'imposent pas à partir du premier bien (le premier bien, désir du bonheur) sur le plan pratique.

4. -- Remarque sur "« contrainte » (...) ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect, qui ne dit pas inclination en celui qui intellige". En effet, car l'intellect n'est pas déterminé à intelliger quelque chose en particulier, alors que la volonté en elle-même est "programmée" à vouloir le bonheur.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad19 - Le libre arbitre, le conditionnement et les différentes causes efficientes et matérielles (les corps extérieurs, le corps, l'habitus acquis, l'habitus infus)

[Ce que l'on ne tient pas de notre naissance]

Les hommes ne tiennent de leur naissance aucune disposition immédiatement dans l’âme intellective, par laquelle ils sont de nécessité inclinés à élire une certaine fin : [aliquem => une fin seconde, un moyen, par laquelle on atteint la fin ultime]

  • ni du corps céleste,
  • ni d’aucune autre chose ;

si ce n’est que de leur nature même (ex ipsa sui natura) ils ont en eux un appétit nécessaire de la fin ultime, c’est‑à‑dire de la béatitude, 

  • ce qui n’empêche pas la liberté de l’arbitre,
  • puisque diverses voies demeurent éligibles pour suivre cette fin ;

et ce, parce que les corps célestes ne laissent pas une impression immédiate dans l’âme raisonnable.

[Ce que l'on tient de notre naissance]

[Le corps apporte en nous un certain conditionnement... ]

Mais de la naissance résulte une disposition dans le corps du nouveau-né,

  • tant par la puissance des corps célestes [= conditionnement naturel extérieur à nous]
  • que par les causes inférieures, que sont
    • la semence
    • et la matière du fœtus, [= conditionnement naturel intérieur à nous]
    • par quoi l'âme est en quelque manière penchée de manière efficiente (efficitur) [donc pas par une cause finale] à une certaine élection,
    • selon laquelle l'élection de l'âme rationnelle est inclinée à partir des passions,
      • qui sont dans l'appétit sensible,
      • qui est une puissance du corps qui suit les dispositions corporelles.

[... mais qui ne supprime pas le libre arbitre pour autant]

Mais de cela nulle nécessité n'est induite en lui quant à l’élection, puisqu’il est au pouvoir de l’âme raisonnable

  • de recevoir,
  • ou de repousser les passions naissantes.

Par la suite, l’homme devient de manière efficiente (efficitur) tel ou tel

  • par un habitus acquis,
    • dont nous sommes la cause,
  • ou par un habitus infus,
    • qui n’est pas donné sans notre consentement, quoique nous n’en soyons pas la cause.

Et cet habitus a pour effet (efficitur) que l’homme désire (appetat) efficacement la fin en consonnance avec cet habitus. Et un tel habitus

  • n’induit pas de nécessité,
  • ni ne lève la liberté de l’élection.

(DeVer.q24a1ad19)

[ ]

Homines ex nativitate non consequuntur aliquam dispositionem immediate in anima intellectiva, per quam de necessitate inclinentur ad aliquem finem eligendum,

  • nec a corpore caelesti,
  • nec ab aliquo alio ;

nisi quod ex ipsa sui natura inest eis necessarius appetitus ultimi finis, scilicet beatitudinis,

  • quod non impedit arbitrii libertatem,
  • cum diversae viae remaneant eligibiles ad consecutionem illius finis.

Et hoc ideo quia corpora caelestia non habent immediatam impressionem in animam rationalem.

[ ]

[ ]

Ex nativitate autem consequitur in corpore nati aliqua dispositio

  • tum ex virtute corporum caelestium,
  • tum ex causis inferioribus, quae sunt
    • semen
    • et materia concepti,

per quam anima quodammodo ad aliquid eligendum prona efficitur,

secundum quod electio animae rationalis inclinatur ex passionibus, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est potentia corporalis consequens corporis dispositiones.

[ ]

Sed ex hoc nulla necessitas inducitur ei ad eligendum ; cum in potestate animae rationalis sit

  • accipere,
  • vel etiam refutare passiones subortas.

Postmodum vero homo efficitur aliqualis

  • per aliquem habitum acquisitum
    • cuius nos causa sumus,
  • vel infusum,
    • qui sine nostro consensu non datur, quamvis eius causa non simus.

Et ex hoc habitu efficitur quod homo efficaciter appetat finem consonum illi habitui. Et tamen ille habitus

  • necessitatem non inducit,
  • nec libertatem electionis tollit.

1. -- consonum : cf. la haine qui exprime une relation de dissonance entre un sujet et un objet qui ne lui convient pas (voir traité des passions).

2. -- efficaciter appetat finem : formule concise qui résume tout : il y a le désir naturel de la fin, et il y a le fait de se diriger vers elle de manière efficiente à travers des moyens, c'est à dire par une opération, une action concrète. Dans le domaine moral, ces actions seront déterminées par la prudence (habitus acquis) ou par un don gratuit de Dieu (habitus infus).

3. -- Nécessité de prendre le contrôle de la partie efficiente, sans quoi on la laisse au conditionnement.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2 - L'homme peut accepter les passions ou les repousser, ce qui montre son libre arbitre

L’homme n’est pas nécessairement mû

  • par les choses qui se présentent à lui,
  • ou par les passions qui surgissent du dedans (insurgentibus),

parce qu’il peut

  • les accepter
  • ou les repousser ;

voilà pourquoi l’homme est [doué] de libre arbitre, mais non la bête. 

(DeVer.q24a2)

Homo non necessario movetur

  • ab his quae sibi occurrunt,
  • vel a passionibus insurgentibus

quia potest ea

  • accipere
  • vel refugere ;

et ideo homo est liberi arbitrii, non autem bruta.

 


 1. -- insurgentibus : alt. : qui s'élève du dedans.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad3 - Le vrai de l'intellect pratique (conformité du contingent avec l'appétit droit)

Le vrai de l'intellect spéculatif (...).

Mais le vrai de l'intellect pratique se prend par conformité à l'appétit rendu droit.

  • [De sorte] qu'une telle conformité dans les [choses] nécessaires n'a pas lieu ici,
    • [une conformité à ces choses nécessaires] que la volonté humaine ne fait pas,
  • mais [elle a lieu] seulement dans les [choses] contingentes
    • qui peuvent être faites par nous [= que la volonté humaine peut faire]
      • ou qu'elles soient des actions intérieures (agibilia interiora)
      • ou qu'elles soient des choses fabricables extérieures (factibilia exteriora).

Et c'est pourquoi à propos des seules [choses] contingentes est posée une vertu de l'intellect pratique,

  • à propos des [choses] fabricables, l'art ; [dans le domaine du faire]
  • à propos des actions, la prudence. [dans le domaine éthique de l'agir]

(Somme, I-II.q57a5ad3)

Nam verum intellectus speculativi (...).

Verum autem intellectus practici accipitur per conformitatem ad appetitum rectum.

  • Quae quidem conformitas in necessariis locum non habet,
    • quae voluntate humana non fiunt,
  • sed solum in contingentibus
    • quae possunt a nobis fieri,
      • sive sint agibilia interiora, 
      • sive factibilia exteriora.

Et ideo circa sola contingentia ponitur virtus intellectus practici,

  • circa factibilia quidem, ars;
  • circa agibilia vero prudentia.

 


1. -- agibilia interiora : seule occurence de cette expresson chez TH., le mot interiora qualifie l'action de l'homme sur le plan éthique. Sur ce plan, la fin est le bien agir, et l'action n'est pas séparée de celui qui la pose (elle reste en ce sens intérieure) ; contrairement à l'oeuvre d'art, fin séparée de l'artiste qui la produit (l'oeuvre est alors manifestement extérieure). Le mot "intérieures" ne désigne pas ici l'intériorité spirituelle de l'homme. Voir I-II.q57a4 où cela est clairement dit.

2. -- appetitum rectum : rectum = participe passé passif, qui a été rectifié, rendu droit, "droitifié"

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q82a1 - EN COURS - Quelque chose de nécessaire peut être voulu ou comme moyen relatif à une fin ou selon sa propre nature

  • nécessité de la fin vs nécessité de contrainte, vs nécessité naturelle

La nécessité de la fin ne répugne pas à la volonté quand on ne peut parvenir à la fin sinon d'une seule manière ; par exemple si on a la volonté de traverser la mer, il est nécessaire pour la volonté qu’elle veuille le bateau.

Pareillement la nécessité naturelle ne répugne pas à la volonté. Bien au contraire, il doit en être ainsi :

  • de même que l’intellect adhère1(inhaereat) par nécessité aux premiers principes,
  • ainsi la volonté adhère (inhaereat) par nécessité à la fin dernière, qu’est la béatitude.
  • De fait, la fin est dans le domaine des actions (operativis)
  • comme le principe dans le domaine des [actes] spéculatifs,

comme il est  dit le en Physique, II.

Il faut donc que ce qui convient naturellement et immuablement (immobiliter) à quelque chose, soit fondement et principe de tous les autres, parce que

  • la nature de la chose (rei) est première en chacune de [ces choses],
  • et tout mouvement procède à partir d'un principe immobile.

(Somme, I.q82a1)

Necessitas autem finis non repugnat voluntati, quando ad finem non potest perveniri nisi uno modo, sicut ex voluntate transeundi mare, fit necessitas in voluntate ut velit navem.

Similiter etiam nec necessitas naturalis repugnat voluntati. Quinimmo necesse est quod,

  • sicut intellectus ex necessitate inhaeret primis principiis,
  • ita voluntas ex necessitate inhaereat ultimo fini, qui est beatitudo ;
  • finis enim se habet in operativis
  • sicut principium in speculativis,

ut dicitur in II Physic.

Oportet enim quod illud quod naturaliter alicui convenit et immobiliter, sit fundamentum et principium omnium aliorum, quia

  • natura rei est primum in unoquoque,
  • et omnis motus procedit ab aliquo immobili.

 

QUESTION ENTIERE

"Nécessité" se dit de plusieurs manière. Le nécessaire est "ce qui ne peut pas ne pas être".

  1. D'une première manière, cela peut convenir à quelque chose à partir d’un principe intrinsèque ;
    • soit d’un principe matériel, comme lorsque l’on dit que tout composé de contraires doit nécessairement se corrompre ;
    • soit d’un principe formel, comme lorsque l’on dit nécessaire que les trois angles d’un triangle soient égaux à deux droits. Et cela est la nécessité naturelle et absolue.
  2. Il peut ensuite convenir à un être de ne pouvoir pas ne pas être en raison d’un principe extrinsèque, cause finale ou efficiente.
    • (a) [Du côté de la nécessité à partir de] la fin, cela arrive quand un être ne peut atteindre sa fin, ou l’atteindre convenablement sans ce principe ; par exemple, la nourriture est nécessaire à la vie, le cheval au voyage. Cela s’appelle nécessité de la fin, ou parfois encore l’utilité.
    • (b)Tandis que [du côté de la nécessité] à partir de l'agent, la nécessité se rencontre quand un être se trouve contraint par un agent de telle sorte qu’il ne puisse pas faire le contraire. C’est la nécessité de contrainte.
    • (b) Cette dernière nécessité répugne tout à fait à la volonté. Car nous appelons violent ce qui est contraire à l’inclination naturelle d’une chose (rei). Or, le mouvement volontaire est une certaine inclination vers quelque chose (aliquid). Par suite, comme on appelle naturel ce qui est conforme à l’inclination de la nature, ainsi appelle-t-on volontaire ce qui est conforme à l’inclination de la volonté. Or, il est impossible qu’un acte soit à la fois violent et naturel ; il est donc également impossible qu’un acte soit absolument contraint ou violent, et en même temps volontaire.
    • (a) Mais la nécessité venue de la fin ne répugne pas à la volonté, lorsqu’elle ne peut atteindre cette fin que par un seul moyen ; ainsi lorsqu’on a la volonté de traverser la mer, il est nécessaire à la volonté qu’elle veuille prendre le bateau.
      • De même pour la nécessité de nature. Il faut même dire qu’il doit en être ainsi ; de même que l’intelligence adhère nécessairement aux premiers principes, de même la volonté adhère nécessairement à la fin dernière, qui est le bonheur. Car la fin a le même rôle dans l’ordre pratique que le principe dans l’ordre spéculatifs. Il faut en effet que ce qui convient naturellement et immuablement à quelque chose soit le fondement et le principe de tout ce qui en dérive ; car la nature est le premier principe en tout être, et tout mouvement procède de quelque chose d’immuable.

Necessitas dicitur multipliciter. Necesse est enim quod non potest non esse.

  1. Quod quidem convenit alicui, uno modo ex principio intrinseco,
    • sive materiali, sicut cum dicimus quod omne compositum ex contrariis necesse est corrumpi;
    • sive formali, sicut cum dicimus quod necesse est triangulum habere tres angulos aequales duobus rectis. Et haec est necessitas naturalis et absoluta.
  2. Alio modo convenit alicui quod non possit non esse, ex aliquo extrinseco, vel fine vel agente.
    • Fine quidem, sicut cum aliquis non potest sine hoc consequi, aut bene consequi finem aliquem, ut cibus dicitur necessarius ad vitam, et equus ad iter. Et haec vocatur necessitas finis; quae interdum etiam utilitas dicitur.
    • Ex agente autem hoc alicui convenit, sicut cum aliquis cogitur ab aliquo agente, ita quod non possit contrarium agere. Et haec vocatur necessitas coactionis.
    • Haec igitur coactionis necessitas omnino repugnat voluntati. Nam hoc dicimus esse violentum, quod est contra inclinationem rei. Ipse autem motus voluntatis est inclinatio quaedam in aliquid. Et ideo sicut dicitur aliquid naturale quia est secundum inclinationem naturae, ita dicitur aliquid voluntarium quia est secundum inclinationem voluntatis. Sicut ergo impossibile est quod aliquid simul sit violentum et naturale; ita impossibile est quod aliquid simpliciter sit coactum sive violentum, et voluntarium.
    • Necessitas autem finis non repugnat voluntati, quando ad finem non potest perveniri nisi uno modo, sicut ex voluntate transeundi mare, fit necessitas in voluntate ut velit navem.
      • Similiter etiam nec necessitas naturalis repugnat voluntati. Quinimmo necesse est quod, sicut intellectus ex necessitate inhaeret primis principiis, ita voluntas ex necessitate inhaereat ultimo fini, qui est beatitudo, finis enim se habet in operativis sicut principium in speculativis, ut dicitur in II Physic. Oportet enim quod illud quod naturaliter alicui convenit et immobiliter, sit fundamentum et principium omnium aliorum, quia natura rei est primum in unoquoque, et omnis motus procedit ab aliquo immobili.

1. inhaereat : adhère de manière inhérente. Thomas aurait-il pu utiliser le verbe adhærĕō, adhérer, se tenir attaché... ??

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q82a2 - Nous voulons nécessairement être heureux

  • Il y a de la nécessité dans la volonté
  • La volonté de celui qui voit Dieu par essence, de nécessité, adhère à Dieu,
  • comme maintenant de nécessité nous voulons être heureux.

(Somme, I.q82a2)

  • Sed voluntas videntis Deum per essentiam, de necessitate inhaeret Deo,
  • sicut nunc ex necessitate volumus esse beati.

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q82a2ad1 - La volonté veut toujours quelque chose comme un bien mais n'est pas déterminée à vouloir tel bien.

  • Vouloir nécessairement le bien n'est pas vouloir nécessairement tel bien

La volonté ne peut tendre à rien sinon sous la raison de bien (ratio boni).

Mais parce que le bien est multiple, à cause de cela, elle n'est pas de nécessité déterminée à un seul [de ces biens].

(Somme, I.q82a2ad1)

Voluntas in nihil potest tendere nisi sub ratione boni.

Sed quia bonum est multiplex, propter hoc non ex necessitate determinatur ad unum.

 


 1. -- Rien ne peut être voulu s'il n'est pas voulu sous l'apparence de bien, sous la notion de bien. Ce qui ne signifie pas que ce qui est voulu soit un bien, mais seulement qu'il est voulu comme un bien.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q82a2ad2 - La volonté n'est pas totalement soumise à vouloir un bien particulier...

  • ...alors qu'elle ne peut vouloir autrement (comme volonté) que sous la ratio boni

Ce qui meut cause de nécessité le mouvement dans le mobile, quand le pouvoir de ce qui meut excède le mobile, de telle sorte que toute sa possibilité de mouvement est soumise à ce qui meut.

Avec le fait que la possibilité de la volonté regarde le bien universel et parfait, toute sa possibilité ne peut être soumise en tout à quelque bien particulier.

C’est pourquoi elle n’est pas de nécessité mise en mouvement par lui.

(Somme, I.q82a2ad2)

Movens tunc ex necessitate causat motum in mobili, quando potestas moventis excedit mobile, ita quod tota eius possibilitas moventi subdatur.

Cum autem possibilitas voluntatis sit respectu boni universalis et perfecti, non subiicitur eius possibilitas tota alicui particulari bono.

Et ideo non ex necessitate movetur ab illo.


1. -- C'est la raison de bien (ratio boni) qui est nommée ici bien universel et parfait. En tant que ratio elle ne peut pas être incomplète, d'où le mot parfait ici. 

2. -- La volonté n'est pas soumise en tout à tel bien particulier mais seulement dans la mesure où la volonté veut toujours sous la raison de bien, c'est à dire que la volonté ne veut que ce qui lui apparaît comme bien. Si un bien particulier lui apparaît comme un bien, alors elle veut ce bien particulier, mais à travers la ratio boni, et donc elle n'est pas liée en tout au bien particulier. L'animal juge d'un jugement naturel (qui lui vient d'un autre comme dit Thomas, c'est à dire de son créateur), alors que l'homme a la capacité de juger de lui-même si telle chose est un bien.

3. -- Sur la ratio boni, voir ici.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q82a2ad3 - La puissance collative (la capacité de confronter) appartient la raison, non à la puissance sensitive et cela fonde le libre arbitre

La puissance sensitive

  • n’est pas une puissance collative à propos d'une diversité [de choses] (vis collativa diversorum), comme [l'est] la raison,
  • mais elle appréhende simplement une [seule chose].

Et

  • c'est pourquoi selon cette unique [chose] déterminée elle meut l'appétit sensitif.
  • Mais la raison est confrontation de plusieurs [choses] ; c’est pourquoi,
    • à partir de cette pluralité (ex pluribus), elle peut mettre en mouvement l’appétit intellectif, à savoir la volonté,
    • et non à partir d'une seule [chose] par nécessité (non ex uno ex necessitate).

(Somme, I.q82a2ad3)

Vis sensitiva

  • non est vis collativa diversorum, sicut ratio,
  • sed simpliciter aliquid unum apprehendit.

Et 

  • ideo secundum illud unum determinate movet appetitum sensitivum.
  • Sed ratio est collativa plurium, et ideo 
    • ex pluribus moveri potest appetitus intellectivus, scilicet voluntas,
    • et non ex uno ex necessitate.

 

-----

1. -- Pas de mouvement volontaire sans la capacité à confronter de la raison, donc pas d'acte libre.

---

  • Vis (nominatif)
  • sensitiva (pluriel neutre - nominatif, accusatif, vocatif)
  • non est
  • vis (genitif)
  • collativa (vocatif ou ablatif)
  • diversorum (accusatif - Participe parfait passif - Masculin)

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - II-II.q47a2ad2 - En lui-même, l'acte spéculatif ne relève ni du conseil ni de la prudence

  • Où Thomas montre qu'il est tout sauf un intellectualiste de salon, c'est un homme fermement enraciné dans la réalité pratique de la vie

L'acte de la raison spéculative lui-même, (...) dans la mesure où il est mis en relation avec [son] objet, qui est le vrai nécessaire, ne tombe ni sous le conseil ni sous la prudence.

(Somme, II-II.q47a2ad2)

Ipse actus speculativae rationis, (...) prout comparatur ad obiectum, quod est verum necessarium, non cadit sub consilio nec sub prudentia.

 -----

 

%MCEPASTEBIN%
  • Dernière mise à jour le .