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Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin.

D'où il est impossible que rechercher la fin relève d’une autre puissance que rechercher le moyen. Et cette différence entre

  • la fin,
    • qui est désirée (appetitur) dans l’absolu,
  • et le moyen,
    • qui est [désiré] dans l'ordre à autre [chose],

ne peut induire une distinction des puissances appétitives.

Car l’ordination de l’un à l’autre

  • n’est point par soi dans l’appétit,
  • mais par autre chose,

c’est‑à‑dire par la raison, à laquelle il appartient d’ordonner et de confronter ;

d'où elle ne peut être une différence spécifique constituant une espèce de l’appétit.

(DeVer.q24a6)

Tota autem ratio appetibilitatis eius quod est ad finem, in quantum huiusmodi, est finis. 

Unde non potest esse quod ad aliam potentiam pertineat appetere finem et id quod est ad finem. Nec haec differentia,

  • qua finis
    • appetitur absolute,
  • id autem quod est ad finem,
    • in ordine ad alterum,

potest appetitivarum potentiarum distinctionem inducere.

Nam ordinatio unius ad alterum inest appetitui

  • non per se,
  • sed per aliud,

scilicet per rationem, cuius est ordinare et conferre :

unde non potest esse differentia specifica constituens speciem appetitus.

 


 1.-- On ne désire un moyen que parcequ'on désire une fin. Il n'y a pas moyen de désirer un moyen pour lui-même, à moins d'entrer dans une erreur morale. Cela permettra ensuite à TH. de montrer que, puisqu'il traite des moyens, le libre arbitre est lié par eux à la fin. Or la fin est objet de la volonté, donc le libre arbitre est davantage du côté de la volonté. Lire la suite de l'article pour le raisonnement détaillé de TH.

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Thomas d'Aquin - Concupiscence selon la nature et concupiscence selon la connaissance - Ia-IIae.q30a3

La concupiscence, avons-nous dit, est l'appétit du bien délectable. Or une chose peut être délectable à un double titre.

  • D'abord parce qu'elle est convient à la nature de l'animal, comme manger, boire, etc. Cette concupiscence du délectable est dite naturelle.
  • Ou bien la chose est délectable parce qu'elle convient à l'animal selon la connaissance qu'il en a ; ainsi une chose est appréhendée comme bonne et adaptée et par conséquence on s'y délecte. La concupiscence de ces derniers objets est dite non naturelle, et, couramment, est plutôt appelée cupidité.

Concupiscentia est appetitus boni delectabilis. Dupliciter autem aliquid est delectabile.

  • Uno modo, quia est conveniens naturae animalis, sicut cibus, potus, et alia huiusmodi. Et huiusmodi concupiscentia delectabilis dicitur naturalis.
  • Alio modo aliquid est delectabile, quia est conveniens animali secundum apprehensionem, sicut cum aliquis apprehendit aliquid ut bonum et conveniens, et per consequens delectatur in ipso. Et huiusmodi delectabilis concupiscentia dicitur non naturalis, et solet magis dici cupiditas.

Les premières de ces convoitises, celles qui sont naturelles, sont communes aux hommes et aux animaux ; aux uns et aux autres certaines choses conviennent et sont délectables au point de vue naturel.

Et tous les hommes en sont d'accord. Aussi le Philosophe appelle-t-il ces convoitises communes et nécessaires.

Primae ergo concupiscentiae, naturales, communes sunt et hominibus et aliis animalibus, quia utrisque est aliquid conveniens et delectabile secundum naturam. Et in his etiam omnes homines conveniunt, unde et philosophus, in III Ethic., vocat eas communes et necessarias.

Quant aux autres convoitises, elles sont propres à l'homme, à qui il appartient de se représenter que telle chose lui est bonne et lui convient, en dehors de ce que la nature requiert.

C'est pourquoi le même Philosophe dit que les premières convoitises sont "irrationnelles", et les secondes "accompagnées de raison". Et parce que tous raisonnent de façon diverses, ces dernières sont appelées par Aristote: "propres et surajoutées", par rapport aux convoitises naturelles.

(Somme, Ia-IIae.q30a3)

Sed secundae concupiscentiae sunt propriae hominum, quorum proprium est excogitare aliquid ut bonum et conveniens, praeter id quod natura requirit.

Unde et in I Rhetoric., philosophus dicit primas concupiscentias esse irrationales, secundas vero cum ratione. Et quia diversi diversimode ratiocinantur, ideo etiam secundae dicuntur, in III Ethic., propriae et appositae, scilicet supra naturales.

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1. Le terme naturel est utilisé ici par Thomas pour désigner ce qui est intimement lié à cette chose sans faire appel à quelque chose d'extérieur à cette chose. Cela ne signifie pas qu'on se cantonne ici au plan matériel, il y a par exemple un appétit naturel au vrai.

2. Thomas laisse entendre ici que, chez l'homme, dès qu'il y a connaissance sensible, la raison s'attache à cette connaissance. L'homme ne peut connaître sensiblement sans connaître en même temps selon la raison. Si ce bougeoire m'est connu par les sens, il m'est alors aussi connu selon la raison. Je ne peux isoler dans le sensible mon appétit pour le chocolat car, du fait que je possède la raison, ma raison participera à cet appétit. Il n'est pas nécessaire que le bien désiré soit un bien spirituel pour que je le désire selon la raison.

La distinction de l'appétit naturel de l'appétit non naturel se voit clairement sur le plan de la nourriture : nous désirons nécesairement nous nourrir (appétit naturel), mais nous ne désirons pas nécessairement que cette nourriture soit telle nourriture (appétit non naturel -- de fait, certaines personnes n'aiment pas le chocolat). 

3. Lorsqu'on dépasse l'appétit naturel dans l'appétit sensible nous accédons à un premier niveau d'altérité par la connaissance d'une chose extérieure alors que le plan naturel d'une chose ressort uniquement de sa "programmation" interne.

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Thomas d'Aquin - De Malo, q4a5ad4 - Les vertus cardinales sont respectivement dans la raison, la volonté, le concupiscible, l'irascible

La justice

  • ne regarde pas les passions,
  • mais les opérations,

comme il est dit dans l'Éthique V, 1.

C'est pourquoi la justice

  • n'est pas dans les appétits irascible et concupiscible,
  • mais dans la volonté.

Et ainsi les quatre vertus principales sont dans les quatre puissances qui peuvent être le siège d'une vertu :

  • la prudence dans la raison,
  • la justice dans la volonté,
  • la tempérance dans le concupiscible
  • et la force dans l'irascible.

(De Malo, q4a5ad4)

Iustitia autem

  • non est circa passiones,
  • sed circa operationes,

ut dicitur in V Ethic.;

unde iustitia

  • non est in irascibili et concupiscibili,
  • sed in voluntate.

Et sic quatuor virtutes principales sunt in quatuor potentiis quae sunt susceptivae virtutis:

  • prudentia quidem in ratione,
  • iustitia in voluntate,
  • temperantia in concupiscibili,
  • fortitudo in irascibili.

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Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a4 - EN COURS - Quatre actes de la raison et deux de l'affect à l'égard des actes humains

L'intérêt ici est de distinguer les différents actes humains, au-delà du contexte de la luxure dans lequel Thomas l'évoque, notamment à propos de l'ordre de ces actes.

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Et c'est pourquoi lorsque, dans l'acte de luxure, toute l'intention de l'âme est entraînée par la véhémence du plaisir vers les forces inférieures, c'est-à-dire le concupiscible et le sens du toucher, il est nécessaire que les puissances supérieures, à savoir la raison et la volonté, en souffrent un dommage. Et ideo quando in actu luxuriae propter vehementiam delectationis tota intentio animae attrahitur ad inferiores vires, idest ad concupiscibilem et ad sensum tactus, necesse est quod superiores, scilicet ratio et voluntas, defectum patiantur.

Or il y a quatre actes de la raison pour diriger (dirigit) les actes humains :

[1. Le bien fin :]

  • le premier est une certaine intellection par laquelle quelqu'un juge droitement de la fin, qui est comme le principe dans les opérations, comme le dit le Philosophe dans les Physiques (II, 15) ;

et dans la mesure où cet acte est empêché, on compte comme fille de la luxure l'aveuglement de l'esprit, selon cette parole de Daniel (13, 56) : "La beauté t'a égaré, et le désir a perverti ton coeur."

 

[2. Le conseil/délibération à propos des moyens :]

  • Le second acte est le conseil [~délibération] sur ce qu'il faut faire,

que le désir supprime ; Térence dit en effet dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 12) : "La chose n'admet en soi nulle conseil et nulle mesure, tu ne peux la régler par la réflexion", et il parle de l'amour sensuel (libidinoso) ; à ce point de vue, on a l'irréflexion.

 

[3. Le jugement auquel parvient le conseil : un moyen est choisi :]

  • Le troisième acte est le jugement sur les actions [qu'on doit poser] ;

et la luxure y met aussi obstacle. Il est dit en effet en Daniel (13, 9) : "Ils ont perverti leur esprit pour ne pas se souvenir des justes jugements" ; et à ce point de vue, on a la précipitation, lorsque l'homme est porté au consentement de façon précipitée (consensum praecipitanter), sans avoir attendu le jugement de la raison.

 

[4. Le moyen choisi doit être mis en oeuvre, commandement à l'exécution :]

  • Le quatrième acte est l'ordre d'agir (praeceptum de agendo),

qui est aussi empêché par la luxure en ce que l'homme ne persiste pas dans ce qu'il a décidé, comme Térence le dit aussi dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 23) : "Ces paroles", selon lesquelles tu dis que tu vas te séparer de ton amie, "une fausse petite larme en restreindra la portée", et à ce point de vue, on a l'inconstance.

Sunt autem quatuor actus rationis, secundum quod dirigit humanos actus:

  • quorum primus est intellectus quidam, quo aliquis recte existimat de fine, qui est sicut principium in operativis, ut philosophus dicit in II Physic.;

et in quantum hoc impeditur, ponitur filia luxuriae caecitas mentis, secundum illud Daniel., XIII, 56: species decepit te, et concupiscentia subvertit cor tuum.

  • Secundus actus est consilium de agendis,

quod per concupiscentiam tollitur; dicit enim Terentius in eunucho: quae res in se neque consilium, neque modum habet ullum, eam consilio regere non potes; et loquitur in amore libidinoso; et quantum ad hoc ponitur inconsideratio.

  • Tertius actus est iudicium de agendis;

et hoc etiam impeditur per luxuriam: dicitur enim Daniel., XIII, 9, quod averterunt sensum suum (...) ut non recordarentur iudiciorum iustorum; et quantum ad hoc ponitur praecipitatio, dum scilicet homo inclinatur ad consensum praecipitanter, non expectato iudicio rationis.

  • Quartus actus est praeceptum de agendo,

quod etiam impeditur per luxuriam, in quantum homo non persistit in eo quod diiudicavit, sicut etiam Terentius dicit eunucho: haec verba, quae scilicet dicis, te recessurum ab amica, una falsa lacrymula restinguet; et quantum ad hoc ponitur inconstantia.

Par contre, du côté des affects désordonnés, deux choses sont à considérer. °°°

  1. La première est l'appétit du plaisir, vers lequel la volonté se porte comme à une fin ;
    • et quant à cela, on a l'amour de soi, quand on appète (appetit) pour soi de façon in-ordonnée (inordinate) le plaisir,
    • et par opposition, la haine de Dieu, dans la mesure où il défend le plaisir que l'on convoite (concupitam).

 

  1. L'autre chose à considérer, c'est l'appétit des choses grâce auxquelles on obtient cette fin-là ;
    • et quant à cela, on a les affects au monde présent,
      • c'est-à-dire à tout ce par quoi on parvient à la fin visée (intentum), qui appartient à ce monde présent ;
    • et par opposition, on a le désespoir du monde futur, parce que quand on s'attache trop aux plaisirs charnels, on a davantage de mépris pour les spirituels.

 

(DeMalo.q15a4)

Ex parte vero inordinationis affectus duo sunt consideranda,

  1. quorum unum est appetitus delectationis, in quem fertur voluntas ut finem;
    • et quantum ad hoc ponitur amor sui, dum scilicet inordinate sibi appetit delectationem;
    • et per oppositum odium Dei, in quantum scilicet prohibet delectationem concupitam.

 

  1. Aliud vero est appetitus eorum per quae consequitur quis hunc finem;
    • et quantum ad hoc ponitur affectus praesentis saeculi,
      • id est omnium eorum per quae ad finem intentum pervenit, quae ad saeculum istud pertinent;
    • et per oppositum ponitur desperatio futuri saeculi, quia dum nimis affectat carnales delectationes magis despicit spirituales.

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1. Ordre concret des six actes mentionnés dans ce passage

  1. L'amour du bien (appétit du bien)
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
  4. La délibération sur les moyens
  5. Le choix d'un moyen
  6. Le commandement

2. Ordre général à travers l'oeuvre

  1. L'amour du bien
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Les actes concernant les moyens
    1. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
    2. Le conseil / délibération sur les moyens
    3. Le jugement issu de la délibération
  4. Le commandement
  5. L'exécution
  6. La jouissance (plaisir/joie)

3. Correspondance des vices engendrés par la luxure avec les actes humains :  

Raison
1. une intellection par laquelle on juge droitement de la fin aveuglement de l'esprit (caecitas mentis)
2. délibération à propos des moyens irréflexion (inconsideratio)
3. jugement final à propos d'un moyen consécutif de la délibération précipitation
4. commandement inconstance (manque de persévérance dans ce qui a été préalablement jugé)
Volonté / Affect
1. amour du bien amour désordonné de soi (quand on appète pour soi de manière in-ordonnée)
2. amour des moyens deséspoir du monde futur (par opposition à l'affect aux moyens de ce monde au service d'un mauvais bien)

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q15a1 - EN COURS

Cependant la perfection d'une nature spirituelle consiste dans la connaissance de la vérité.

+ mettre la suite

(DeVer.q15a1)

Perfectio autem spiritualis naturae in cognitione veritatis consistit. 

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q15a1 - EN COURS - Différence intellect / raison

  • En effet, "intellect" semble désigner une connaissance simple et absolue ;
    • car on dit que quelqu’un intellige parce que, à l'intérieur, il lit en quelque sorte la vérité dans l’essence même de la chose (rei).
  • Quant à "raison", il désigne une certaine discursion
    • par laquelle l’âme humaine atteint ou parvient à la connaissance d’une chose à partir d’une autre.
  • Intellectus enim simplicem et absolutam cognitionem designare videtur;
    • ex hoc enim aliquis intelligere dicitur quod intus in ipsa rei essentia veritatem quodammodo legit.
  • Ratio vero discursum quemdam designat,
    • quo ex uno in aliud cognoscendum anima humana pertingit vel pervenit. (...)

 

  • Mais tout mouvement procède de l’immobile, comme dit saint Augustin au huitième livre Sur la Genèse au sens littéral;
  • en outre, la fin du mouvement est le repos, comme il est dit en Physique V,

et ainsi, le mouvement se rapporte au repos 

  • et comme à un principe
  • et comme à un terme.

De même aussi la raison se rapporte à l’intelligence

  • comme le mouvement au repos,
  • et comme la génération à l’être,

comme cela est patent à partir de l'autorité de Boèce citée plus haut ; elle se rapporte à l’intelligence

  • comme à un principe
  • et comme à un terme.

°°° Comme à un principe, car l’esprit humain ne pourrait pas procéder discursivement d’une chose à l’autre si son processus discursif ne commençait par quelque simple réception d’une vérité, réception qui relève de l’intelligence des principes.

Semblablement, le processus discursif de la raison ne parviendrait pas à quelque chose de certain, si ce qui est trouvé par ce processus n’était confronté aux principes premiers auxquels réduit analytiquement la raison.

Si bien que l’intelligence se trouve être le principe de la raison quant à la voie d’invention, et son terme quant à la voie de jugement.

(DeVer.q15a1)

  • Motus autem omnis ab immobili procedit, ut dicit Augustinus, VIII super Genes. ad litteram;
  • motus etiam finis est quies, ut in V Physic. dicitur.

Et sic motus comparatur ad quietem

  • et ut ad principium
  • et ut ad terminum,

ita etiam et ratio comparatur ad intellectum

  • ut motus ad quietem,
  • et ut generatio ad esse;

ut patet ex auctoritate Boetii supra inducta. Comparatur ad intellectum

  • ut ad principium
  • et ut ad terminum.

Ut ad principium quidem, quia non posset mens humana ex uno in aliud discurrere, nisi eius discursus ab aliqua simplici acceptione veritatis inciperet, quae quidem acceptio est intellectus principiorum. Similiter etiam nec rationis discursus ad aliquid certum perveniret, nisi fieret examinatio eius quod per discursum invenitur, ad principia prima, in quae ratio resolvit.

Ut sic intellectus inveniatur rationis principium quantum ad viam inveniendi, terminus vero quantum ad viam iudicandi.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10 - Les anges n'ont pas de raison

Parce qu'en fait [les anges] n'ont pas une raison mais un intellect, tout ce qu'ils estiment, ils le reçoivent sous un mode intelligible. (DeVer.q24a10) Quia vero rationem non habent, sed intellectum, quidquid aestimant, per modum intelligibilem accipiunt.


 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a11 - On peut toujours être libéré de son obstination au mal et coopérer à cette libération

Qu'un homme, en l'état de voie [= en ce monde terrestre], ne peut être si obstiné dans le mal qu’il ne puisse coopérer à sa libération, la raison en est patente d'après ce qui a été dit : parce que,

  • et une passion [peut être] dissoute ou réprimée,
  • et l’habitus ne corrompt pas totalement l’âme,
  • et la raison n’adhère pas au faux avec une opiniâtreté telle qu’elle ne puisse en être détournée par une raison contraire. 

(DeVer.q24a11)

Quod aliquis homo in statu viae non possit esse ita obstinatus in malo quin ad suam liberationem cooperari possit, ratio patet ex dictis : quia

  • et passio solvitur et reprimitur,
  • et habitus non totaliter animam corrumpit,
  • et ratio non ita pertinaciter falso adhaeret quin per contrariam rationem possit abduci.

 


 1. -- Dans la dernière ligne, le mot raison ne signifie pas la même chose dans les deux cas.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - La vertu est un choix prédéterminé qui améliore la rapidité dans l'action

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

Pour faciliter la lecture, on pourra remplacer élection par choix et élire par choisir.

Comme dit le Philosophe au troisième livre de l’Éthique, « on fait preuve de plus de courage quand on se montre sans peur et sans trouble devant un péril surgi à l’improviste que devant un péril attendu ». En effet, l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation :

  • car les choses attendues, c’est‑à‑dire connues d’avance, on les élira par la raison et la réflexion (ex ratione et cogitatione)
    • sans habitus ;
  • mais ce qui surgit à l’improviste est élu
    • par un habitus.

Et il ne faut pas comprendre (intelligendum)

  • que l’opération par l’habitus de vertu pourrait être tout à fait sans délibération, puisque la vertu est un habitus électif,
  • mais que, pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection ;

par conséquent, chaque fois qu’une chose (aliquid) se présente comme convenant à cette fin,

  • elle est aussitôt élue,
  • à moins qu’elle ne soit empêchée par une délibération plus attentive et plus longue.

(DeVer.q24a12)

Ut enim philosophus dicit in III Ethicorum [cap. 11 (1117 a 17)], fortioris est in repentinis timoribus impavidum et imperturbatum esse, quam in praemanifestis. Ab habitu enim est magis operatio, quanto minus est ex praemeditatione :

  • praemanifesta enim, id est praecognita, aliquis praeeliget ex ratione et cogitatione sine habitu ;
  • sed repentina sunt secundum habitum.

Nec hoc est intelligendum

  • quod operatio secundum habitum virtutis possit esse omnino absque deliberatione, cum virtus sit habitus electivus ;
  • sed quia habenti habitum iam est in eius electione finis determinatus ;

unde quandocumque aliquid occurrit ut conveniens illi fini,

  • statim eligitur,
  • nisi ex aliqua attentiori et maiori deliberatione impediatur.

 


... l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation...

... puisque la vertu est un habitus électif...

... pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection...

1. -- Bien noter que l'habitus n'est pas un réflexe, le choix demeure, même s'il a été antérieurement et volontairement automatisé afin de ne pas avoir à rechoisir le moindre des petits actes dans le détail. Si les circonstances l'exigent, on pourra réactiver un choix plus conscient par l'attention et le temps qu'on y passera. Mais s'il n'y a pas lieu, c'est justement sur le plan de la rapidité à l'action et du temps gagné que l'homme prudent tablera. En dernier lieu, s'il s'agit de gagner du temps, c'est pour se consacrer aux tâches les plus nobles, et parmi elles la plus noble, celle d'aimer ("il est meilleur d’aimer Dieu que de le connaître", SommeI.q82a3). Noter que le mot "opérations" ou le mot "activités" est plus adapté ici que le mots "tâches".

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - Où Thomas éclaire la relation entre le conseil et la délibération

En effet, puisque l’acte du libre arbitre 

  • est l’élection,
  • qui suit le conseil, 
  • c’est-à-dire la délibération de la raison, 
le libre arbitre ne peut s’étendre à ce qui échappe à la délibération de la raison, comme c’est le cas des choses qui se présentent de façon non préméditée.

(DeVer.q24a12)

Cum enim actus liberi arbitrii

  • sit electio,
  • quae consilium,
  • id est deliberationem rationis,

sequitur, ad illud se liberum arbitrium extendere non potest quod deliberationem rationis subterfugit, sicut sunt ea quae impraemeditate occurrunt.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4 - Ni juger, ni juger librement n'est un habitus

Passage dans lequel les mots 

  • vis,
  • potentiae,
  • potestate

sont à distinués.

[L’acte de juger simple ne nécessite pas d'habitus]

Juger,

  • si rien n'est ajouté,
  • n'excède pas la capacité de la puissance (vim potentiae),
    • attendu que c’est l’acte d’une puissance,
      • c'est à dire la raison,
    • par [sa] nature propre,
    • sans cela qu'un certain habitus surajouté soit requis.

[L’acte de juger librement ne change rien]

  • Et si l’on y ajoute « librement » (libere),
  • de manière similaire [juger] n'excède [toujours] pas la capacité de la puissance (vim potentiae).

Car une chose est dîte se faire librement (libere) lorsqu’elle est au pouvoir (potestate) de celui qui fait.

Or, qu’une chose soit en notre pouvoir, cela est en nous

  • par une certaine puissance,
    • c'est à dire la volonté,
  • et non par un habitus.

Voilà pourquoi l’expression de libre arbitre ne désigne pas un habitus, mais

  • la puissance de volonté
  • ou de raison,
  • l’une en relation (ordinem) à l’autre.

En effet, l’acte d’élection est produit ainsi, c’est‑à‑dire de l’une d’elles en relation (ordinem) à l’autre (...).

De ce qui précède ressort aussi le motif pour lequel certains ont prétendu que le libre arbitre était un habitus. En effet, certains ont affirmé cela à cause de ce qui est ajouté par le libre arbitre à la volonté et à la raison, c’est‑à‑dire la relation (ordinem) de l’une à l’autre. Mais cela... 

(DeVer.q24a4)

[ ]

Iudicare,

  • si nihil addatur,
  • non excedit vim potentiae,
    • eo quod est alicuius potentiae actus,
      • scilicet rationis,
    • per propriam naturam,
    • sine hoc quod aliquis habitus superadditus requiratur.

[ ]

  • Hoc autem quod additur libere,
  • similiter vim potentiae non excedit. 

Nam secundum hoc aliquid libere fieri dicitur quod est in potestate facientis.

Esse autem aliquid in potestate nostra inest nobis

  • secundum aliquam potentiam,
  • non autem per aliquem habitum,
    • scilicet per voluntatem.

Et ideo liberum arbitrium habitum non nominat, sed

  • potentiam voluntatis
  • vel rationis,
  • unam siquidem per ordinem ad alteram.

Sic enim actus electionis progreditur, ab una scilicet earum per ordinem ad aliam (...).

Patet etiam ex dictis, unde quidam moti sunt ad ponendum liberum arbitrium esse habitum. Quidam enim hoc posuerunt propter id quod superaddit liberum arbitrium super voluntatem et rationem, scilicet ordinem unius ad alteram. Sed hoc...

 


1. -- Bien comprendre cette ordre entre volonté et raison...

2. --

  • Nous n'acquérons pas le jugement comme nous acquérons le courage. Juger que cette table-ci existe ne demande pas d'entraînement, alors que le courage, comme tous les habitus, demande à être exercé pour être acquis. C'est à force d'actes courageux que les actes courageux deviennent faciles à poser, comme une seconde nature ajoutée. Pour celui qui en fait usage, juger ou juger librement sont des puissances naturelles à disposition, et ce non par une seconde nature ajoutée.
  • On note que Thomas glisse du terme de libre arbitre au terme d'élection, ce qui montre bien la force du lien qui les lie, le second étant l'acte propre du premier.
  • Préciser ceci : Le libre arbitre est issu d'une puissance de la volonté ou de la raison, d'un ordre de l'une avec l'autre. L'élection est produite dans un ordre entre la volonté et la raison. Plus loin Thomas dit que le libre arbitre ajoute un ordre entre volonté et raison." Ce passage dans lequel Thomas semble hésiter à la suite d'Aristote trouve une réponse très claire en q24a6 et les rép. - Voir aussi Somme, I.q83a3).
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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4ad4 - Juger librement relève directement de la puissance même de la raison

 

Connaître immatériellement convient à l’intelligence par la nature même de cette puissance.

Ainsi, le mode impliqué en cela que je dis « juger librement » (libere iudicare),

  • ne relève pas d’un habitus surajouté
  • mais relève de la puissance même de la raison (ipsam potentiae rationem)

(DeVer.q24a4ad4)

Cognoscere immaterialiter convenit intellectui ex ipsa natura potentiae.

Modus igitur importatus in hoc quod dico libere iudicare,

  • non pertinet ad aliquem habitum superadditum,
  • sed ad ipsam potentiae rationem pertinet.

 


 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le libre arbitre est la volonté elle‑même dans son acte d'élection

  • Le libre arbitre ne recouvre pas tout ce qu'est la volonté mais seulement en tant qu'elle élit.
  • ... de même que le délectable et l’honnête,
      • qui incluent la raison de fin,
    • sont objets de la puissance appétitive,
  • de même le bien utile, qui est proprement élu
      • (et cela est patent à partir du nom : car le libre arbitre, comme on l’a dit, est la puissance par laquelle l’homme peut juger librement).

Or, si une chose est dîte principe de ce qu’un acte est fait d’une certaine façon (aliqualiter),

  • il n’est pas nécessaire qu’elle soit purement et simplement (simpliciter) le principe de cet acte,
  • mais il est signifié qu’elle en est le principe d’une certaine façon (aliquiliter) ;
  • de même, en disant que la grammaire est la science du parler correct,
    • on ne dit pas qu’elle est purement et simplement le principe de la parole,
      • car l’homme peut parler sans la grammaire,
    • mais qu’elle est le principe de la correction dans la parole.
  • La puissance qui [fait] que nous jugeons librement ne s’intellige pas
    • de celle qui fait que nous jugeons purement et simplement,
      • ce qui appartient à la raison,
    • mais de celle qui fait (facit) la liberté quand nous jugeons,
      • ce qui appartient à la volonté.

C’est pourquoi le libre arbitre est la volonté elle‑même.

Il ne la dénomme pas

  • absolument,
  • mais dans l'ordre à un acte d’elle,
    • celui d’élire.

(DeVer.q24a6)

  • ... sicut bonum delectabile et honestum,
      • quae habent rationem finis,
    • sunt obiectum appetitivae virtutis,
  • ita et bonum utile, quod proprie eligitur) ;
    • et patet ex nomine : nam liberum arbitrium, ut dictum est, art. 4 huius quaest., est potentia qua homo libere iudicare potest.

Quod autem dicitur esse principium alicuius actus aliqualiter fiendi,

  • non oportet quod sit principium illius actus simpliciter,
  • sed aliqualiter significatur esse principium illius ;
  • sicut grammatica per hoc quod dicitur esse scientia recte loquendi,
    • non dicitur quod sit principium locutionis simpliciter,
      • quia sine grammatica potest homo loqui,
    • sed quod sit principium rectitudinis in locutione.
  • Ita et potentia qua libere iudicamus,
    • non intelligitur illa qua iudicamus simpliciter,
      • quod est rationis ;
    • sed quae facit libertatem in iudicando,
      • quod est voluntatis.

Unde liberum arbitrium est ipsa voluntas.

Nominat autem eam non

  • absolute,
  • sed in ordine ad aliquem actum eius,
    • qui est eligere. 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Les deux dimensions du libre arbitre : la liberté et le jugement, la liberté provient de la volonté, le jugement de la raison

 

Extrêmement clair. C'est un point sur lequel Thomas précise les écrits d'Aristote.

[L’expression de] "Libre arbitre" ne désigne pas la volonté de manière absolu mais dans son ordre à la raison ; c’est pourquoi, pour signifier cela, la volonté et la raison sont mis obliquement (oblique) dans la définition du libre arbitre. 

(DeVer.q24a6ad1)

Liberum arbitrium non nominat voluntatem absolute, sed in ordine ad rationem, inde est quod ad hoc significandum voluntas et ratio in definitione liberi arbitrii oblique ponuntur.

 

La raison confronte les possibles, cette confrontation permet l'élection, acte propre du libre arbitre. La volonté ne peut confronter toute seule, elle "sous-traite" donc cette partie à la raison mais "reste aux commandes", car c'est un bien qu'on choisit et le bien relève de la volonté, non de la raison. 

---

 Encore plus clair : 

Bien que le jugement appartienne à la raison, cependant la liberté dans le jugement appartient immédiatement (immediate) à la volonté.

(DeVer.q24a6ad3)

Quamvis iudicium sit rationis, tamen libertas iudicandi est voluntatis immediate.

 

---

 Nous sommes appelés rationnels et par la puissance de la raison et par la puissance de la volonté.

Nous sommes appelés rationnels non seulement

  • d’après la puissance de la raison,
  • mais aussi d’après l’âme rationnelle,
    • dont la volonté est une puissance ;

et ainsi,

  • selon que nous sommes rationnels
  • nous sommes dits être [doués] de libre arbitre.

Cependant, si le terme « rationnels » était pris de la puissance de la raison [uniquement], la citation des autorités sus-dites [Jean Damascène et Grégoire de Nysse] signifierait que

  • la raison est l’origine première du libre arbitre, [= ce qui est faux]
  • et non le principe immédiat de l’élection. [= comme cela doit être affirmé]

(DeVer.q24a6ad4)

Rationales dicimur non solum

  • a potentia rationis,
  • sed ab anima rationali,
    • cuius potentia est voluntas ;

et sic

  • secundum quod rationales sumus,
  • dicimur esse liberi arbitrii.

Si tamen rationale a rationis potentia sumeretur, praedicta auctoritas significaret

  • rationem esse primam liberi arbitrii originem,
  • non autem immediatum electionis principium.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin

Toute la raison de l’appétibilité du moyen, en tant que tel, est la fin.

D'où il est impossible que rechercher la fin relève d’une autre puissance que rechercher le moyen. Et cette différence entre

  • la fin,
    • qui est désirée (appetitur) dans l’absolu,
  • et le moyen,
    • qui est [désiré] dans l'ordre à autre [chose],

ne peut induire une distinction des puissances appétitives.

Car l’ordination de l’un à l’autre

  • n’est point par soi dans l’appétit,
  • mais par autre chose,

c’est‑à‑dire par la raison, à laquelle il appartient d’ordonner et de confronter ;

d'où elle ne peut être une différence spécifique constituant une espèce de l’appétit.

(DeVer.q24a6)

Tota autem ratio appetibilitatis eius quod est ad finem, in quantum huiusmodi, est finis. 

Unde non potest esse quod ad aliam potentiam pertineat appetere finem et id quod est ad finem. Nec haec differentia,

  • qua finis
    • appetitur absolute,
  • id autem quod est ad finem,
    • in ordine ad alterum,

potest appetitivarum potentiarum distinctionem inducere.

Nam ordinatio unius ad alterum inest appetitui

  • non per se,
  • sed per aliud,

scilicet per rationem, cuius est ordinare et conferre :

unde non potest esse differentia specifica constituens speciem appetitus.

 


 1.-- On ne désire un moyen que parcequ'on désire une fin. Il n'y a pas moyen de désirer un moyen pour lui-même, à moins d'entrer dans une erreur morale. Cela permettra ensuite à TH. de montrer que, puisqu'il traite des moyens, le libre arbitre est lié par eux à la fin. Or la fin est objet de la volonté, donc le libre arbitre est davantage du côté de la volonté. Lire la suite de l'article pour le raisonnement détaillé de TH.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Passions et jugement de la raison

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans la Somme

Lorsque [les passions de l'âme] suivent la volonté, elles ne diminuent pas

  • la qualité
  • ou la bonté de l’acte,

car

  • elles seront modérées selon le jugement de la raison,
  • à partir duquel s’ensuit la volonté.

Mais elles ajoutent plutôt à la bonté de l’acte, à deux points de vue.

Secundum vero quod consequuntur ad voluntatem, sic non diminuunt

  • laudem actus
  • vel bonitatem :

quia

  • erunt moderatae secundum iudicium rationis,
  • ex quo voluntas sequitur.

Sed magis addunt ad bonitatem actus, duplici ratione.

Premièrement, par mode de signe :

car la passion même qui s’ensuit dans l’appétit inférieur est le signe que le mouvement de la volonté est intense. Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté se meuve fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. 

C’est pourquoi saint Augustin dit au quatorzième livre de la Cité de Dieu: « Tant que nous portons l’infirmité de cette vie, nous ne vivrions pas selon la justice si nous n’éprouvions absolument aucune de ces passions. » Et peu après, il ajoute la cause en disant : « N’éprouver en effet aucune douleur, tant que nous sommes en ce séjour de misère, cela s’obtient, très chèrement, au prix de la cruauté de l’âme et de l’insensibilité du corps. »

Primo per modum signi :

quia passio ipsa consequens in inferiori appetitu est signum quod sit motus voluntatis intensus. Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.

Unde dicit Augustinus, XIV de Civitate Dei [cap. 9] :dum huius vitae infirmitatem gerimus, si passiones nullas habeamus, non recte vivimus.Et post pauca subiungit causam, dicens : nam omnino non dolere dum sumus in hoc loco miseriae, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, et stuporis in corpore.

Ensuite à la façon d’une aide :

car lorsque la volonté élit quelque chose par le jugement de la raison, elle passe à l'action plus promptement et plus facilement si, avec cela, la passion est excitée dans la partie inférieure, l’appétitive inférieure étant proche du mouvement du corps.

Aussi saint Augustin dit‑il au neuvième livre de la Cité de Dieu: « Or ce mouvement de miséricorde sert la raison quand la miséricorde se manifeste sans compromettre la justice. »

Et c’est ce que le Philosophe dit au troisième livre de l’Éthique, citant le vers d’Homère : « éveille ta force et ton irritation » ; en effet, lorsqu’on est vertueux quant à la vertu de force, la passion de colère qui suit l’élection de la vertu contribue à la plus grande promptitude de l’acte ; mais si elle la précédait, elle perturberait le mode de la vertu

(DeVer.q26a7)

Secundo per modum adiutorii :

quia quando voluntas iudicio rationis aliquid eligit, promptius et facilius id agit, si cum hoc passio in inferiori parte excitetur ; eo quod appetitiva inferior est propinqua ad corporis motum.

Unde dicit Augustinus, IX de Civitate Dei [cap. 5] :servit autem motus misericordiae rationi, quando ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur. Et hoc est quod philosophus dicit in libro III Ethicorum [cap. 11 (1116b 28)] inducens versum Homeri :virtutem et furorem erige; quia videlicet, cum aliquis est virtuosus virtute fortitudinis, passio irae electionem virtutis sequens facit ad maiorem promptitudinem actus ; si autem praecederet, virtutis mo‑ dum perturbaret.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - L'intellect peut "percevoir" la raison ou comme simplement nature ou comme proprement raison

La distinction par laquelle est distinguée raison comme raison et raison comme nature peut être intelligée (intelligi) de deux manières. [= intelligi, "être compris" ne rend pas l'acte simple de l'intellect lorsqu'il une chose est par lui intelligée, mieux vaudrait traduire par "être saisie" ou "être touchée", ~ le tugein d'Aristote. Concrètement, "comprendre" fait davantage référence à l'expérience du raisonnement.]

[A. Première manière de distinguer - du point de vue de l'être]

De la première manière,

  1. la raison « comme nature » est dîte raison
    • selon qu’elle est la nature de la créature rationnelle,
      • c’est‑à‑dire que, fondée dans l’essence de l’âme, elle donne au corps l’être naturel (esse naturale) ; [= ~ une chose est ce qu'elle est par sa partie la meilleure, mais cette partie est liée indirectement à des éléments qui ne lui sont pas propres du fait qu'elle appartient à un être qui ne réduit pas à elle]
  2. mais on parle de la raison « comme raison »
    • selon ce qui est le propre de la raison en tant qu’elle est raison,
      • et cela est son acte, parceque les puissances se définissent par les actes.

Ainsi, parce que la douleur

  • n’est pas dans la raison supérieure en tant qu’elle se rapporte à son objet par son acte propre
  • mais en tant qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme,

on dit que la raison supérieure subissait la douleur comme nature, et non comme raison.

(Et il en va de même pour la vue, qui est fondée sur le toucher en tant que l’organe de la vue est un organe du toucher ; la vue peut donc subir une blessure (laesionem) de deux façons : d’abord par son acte propre, comme lorsque la vue est émoussée par une lumière très forte, et c’est la souffrance de la vue comme vue ; ensuite en tant qu’elle est fondée dans le toucher, comme lorsque l’œil est piqué ou qu’il est dissous par quelque chaleur ; et cela n’est pas la souffrance (passio) de la vue comme vue, mais en tant qu’elle est un certain toucher.)

Distinctio illa qua distinguitur ratio ut ratio, et ratio ut natura, dupliciter potest intelligi.

 

[A.]

Uno modo ita quod

  1. ratio ut natura dicatur ratio
    • secundum quod est naturae creaturae rationalis,
    • prout scilicet fundata in essentia animae dat esse naturale corpori :
  2. ratio vero ut ratio dicatur
    • secundum id quod est proprium rationis in quantum est ratio ;
    • et hoc est actus eius, quia potentiae definiuntur per actus.

 

Quia igitur dolor

  • non est in superiori ratione prout secundum actum proprium comparatur ad obiectum,
  • sed secundum quod in essentia animae radicatur ;

ideo dicitur quod superior ratio patiebatur dolorem ut natura, non autem ut ratio.

Et est simile de visu qui fundatur super tactum, in quantum organum visus est organum tactus. Unde dupliciter visus potest pati laesionem : uno modo per actum proprium, sicut cum ab excellenti luce visio obtunditur : et haec est passio visus ut visus ; alio modo prout fundatur in tactu, ut cum oculus pungitur, vel aliquo calore dissolvitur : et hoc non est passio visus ut est visus, sed ut est quidam tactus.

[B. Première manière de distinguer - du point de vue de la connaissance et de l'appétit]

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison comprise (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

Or il est certaines [choses] qui,

  • selon qu'elles sont considérées en elles-mêmes, sont à éviter,
  • mais appétées [désirées] selon qu'elles sont ordonnées à autre chose :

par exemple, la faim et la soif, considérées en elles-mêmes, sont à éviter, mais, si on les considère comme utiles au salut de l’âme ou du corps, alors on les recherche. Et ainsi, la raison comme raison se réjouit à leur sujet, au lieu que la raison comme nature s’attriste à cause d’elles. De même, la passion corporelle du Christ considérée en soi était à éviter : c’est pourquoi la raison comme nature s’en attristait et ne la voulait pas (nolebat) ; mais en tant qu’elle était ordonnée au salut du genre humain, alors elle était bonne et objet d’appétit (appetibilis) ; et ainsi, la raison comme raison la voulait (volebat) et en retirait une joie.

(DeVer.q26a9ad7)

[B.]

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

Sunt enim quaedam quae

  • secundum se considerata sunt fugienda,
  • appetuntur vero secundum ordinem ad aliud :

sicut fames et sitis secundum se considerata sunt fugienda ; prout autem considerantur ut utilia ad salutem animae vel corporis, sic appetuntur. Et sic ratio ut ratio de eis gaudet, ratio vero ut natura de eis tristatur. Ita etiam passio corporalis Christi in se considerata fugienda erat : unde ratio ut natura de ea contristabatur et eam nolebat ; prout vero ordinabatur ad salutem humani generis, sic bona erat et appetibilis ; et sic ratio ut ratio eam volebat, et inde gaudebat.

 


 

1. -- Dans la 2ème manière de distinguer on met la raison face à son objet ou en disant comparatur ou en disantordinatur. Voir ce que cela implique : 

Raison comme nature
(point de vue immédiat, matériel)

Raison comme raison
(point de vue de la fin)

comparatur ordinatur
naturellement per collationem
la raison s'attriste de la faim et de la soif, car avoir faim ou soif n'est pas agréable la raison se réjouit de la faim et de la soif, car la faim et la soif sont ordonnées à me nourrir, sans quoi je mourrais
   

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a9ad7 - Le propre de la raison est de confronter (confere)

Version longue ici.

D'une autre manière peut être intelligée (intelligi) la distinction susdite, ainsi nous disons que la raison intelligée (intelligi),

  • comme nature
    • selon que la raison se rapporte à ce que naturellement elle 
        • connaît
        • ou appète [= désire spirituellement, i.e : veut] ;
  • comme raison
    • selon que, par une certaine confrontation, elle est ordonnée à quelque chose (aliquid)
          • à connaître 
          • ou à appéter [= désirer],
        • attendu que le propre de la raison est de confronter.

(DeVer.q26a9ad7)

Alio modo potest intelligi praedicta distinctio, ut dicamus

  • rationem ut naturam intelligi
    • secundum quod ratio comparatur ad ea quae naturaliter
      • cognoscit
      • vel appetit ;
  • rationem vero ut rationem,
    • secundum quod per quamdam collationem ordinatur ad aliquid
        • cognoscendum
        • vel appetendum,
      • eo quod rationis est proprium conferre.

 


 1. -- La raison est en mouvement, l'intellect saisit.

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Thomas d'Aquin - I-II.q24a1 - Lorsqu'elle est sous le commandement de la volonté les passions deviennent morales

  • Mais les passions en elles-mêmes ne sont pas morales

Les passions de l'âme peuvent être considérées de manière double :

  • d'une manière, selon elles-mêmes
  • d'une autre manière, selon qu'elles sont sous le commandement de la raison et de la volonté.

[Les passions en elle-mêmes]

Donc, si on les considère selon elles-mêmes, c'est-à-dire comme mouvements de l'appétit irrationnel, il n'y a en elles ni bien ni mal moral, car cela dépend de la raison, comme nous l'avons vu plus haut.

[Les passions sous le commandement de la raison et de la volonté]

Mais si elles sont considérées selon qu'elles sont sous le commandement (imperio) de la raison et de la volonté, ainsi il y a en elles bien ou mal moral.

  • En effet, l’appétit sensitif est plus proche de la raison elle-même et de la volonté que nos membres extérieurs, dont cependant les mouvements et les actes sont bons ou mauvais moralement (moraliter) selon qu’ils sont volontaires [voluntarii = adj. génitif].
  • Donc, bien plus encore, les passions elles-mêmes en tant qu'elles sont volontaires [voluntariae = adj. génitif], peuvent être dites bonnes ou mauvaises moralement (moraliter).

Et on les dit volontaires,

  • ou parce qu’elles sont commandées (imperantur) par la volonté,
  • ou parce que la volonté n’y fait pas obstacle (non prohibentur).

(I-II.q24a1)

Passiones animae dupliciter possunt considerari,

  • uno modo, secundum se;
  • alio modo, secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis.

Si igitur secundum se considerentur, prout scilicet sunt motus quidam irrationalis appetitus, sic non est in eis bonum vel malum morale, quod dependet a ratione, ut supra dictum est.

Si autem considerentur secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis, sic est in eis bonum et malum morale.

  • Propinquior enim est appetitus sensitivus ipsi rationi et voluntati, quam membra exteriora; quorum tamen motus et actus sunt boni vel mali moraliter, secundum quod sunt voluntarii.
  • Unde multo magis et ipsae passiones, secundum quod sunt voluntariae, possunt dici bonae vel malae moraliter.

Dicuntur autem voluntariae

  • vel ex eo quod a voluntate imperantur,
  • vel ex eo quod a voluntate non prohibentur.

 

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1. Les passions ne sont pas en elles-mêmes morales, comme un bras ou une jambe ne le sont également pas, mais, en tant qu'elle sont sous le commandement de la raison et de la volonté, etc....

2. Noter que la passion chez l'homme semble toujours avoir une dimension morale puisque, laissée à elle-même, elle fait sortir l'homme de la moralité en le ramenant à l'ordre sensible. Or l'ordre sensible, chez l'homme, devrait toutjours être ou commandé ou agréé par la volonté. Mais est-ce bien vrai  ? Comme certains mouvements de nos membres extérieurs sont indifférents (comme se gratter la barbe), de la même manière le mouvement d'une passion ne pourrait-il pas lui aussi être indifférent ? Il semble néanmoins qu'il faille toujours au moins assumer nos passions pour les garder sur un plan moral, ainsi nos passions ne devraient pas être laissées à elle-même dans l'indifférence.

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Thomas d'Aquin - I-II.q24a2 - Les passions sont bonnes si mesurées par la raison

 Les Péripatéticiens donnent le nom de passion à tous les mouvements de l'appétit sensitif. 
  • Ils les estiment bonnes quand elles sont modérées (moderatae) par la raison,
  • et mauvaises quand elles sont au-delà de la modération de la raison. (...) 

Les passions ne sont pas dîtes maladies (morbi) ou profonds troubles (perturbationes) de l'âme, si ce n'est quand elles manquent de la modération (moderatione) de la raison.

(Somme, I-II.q24a2)

Peripatetici vero omnes motus appetitus sensitivi passiones vocant.

  • Unde eas bonas aestimant, cum sunt a ratione moderatae;
  • malas autem, cum sunt praeter moderationem rationis. (...)

Non enim passiones dicuntur morbi vel perturbationes animae, nisi cum carent moderatione rationis.

 


1. -- Le mot perturbationes a un sens plus fort qu'un simpe trouble, il s'agit d'un bouleversement profond qui change radicalement la donne.

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Thomas d'Aquin - I-II.q91a2 - °°° Loi naturelle et appétit naturel

En nous, toute opération de la raison et de la volonté dérivent de ce qui est selon notre nature, comme cela a été dit plus haut ;

  • toute acte de raisonnement dérive des principes connus naturellement,
  • et tout appétit portant sur les moyens qui sont en vue d'une fin, dérive de l’appétit naturel pour cette fin ultime.

Ainsi il est nécessaire que l’orientation première de nos actes vers la fin se fasse par la loi naturelle.

(I-II.q90a2ad2)

Omnis operatio, rationis et voluntatis derivatur in nobis ab eo quod est secundum naturam, ut supra habitum est, nam

  • omnis ratiocinatio derivatur a principiis naturaliter notis,
  • et omnis appetitus eorum quae sunt ad finem, derivatur a naturali appetitu ultimi finis.

Et sic etiam oportet quod prima directio actuum nostrorum ad finem, fiat per legem naturalem.

 


 

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Thomas d'Aquin - I.q59a1ad1 (complet) - L'intellect connaît simplement, la raison par discursion, ainsi l'intellect surpasse la raison

  •  Autrement la raison transcende [= surpasse] le sens,
  • et autrement l'intellect la raisona.

La raison transcende le sens selon la diversité de ce qui est connu ; car

  • le sens concernent (est) les choses particulières,
  • tandis que la raison [concerne] les choses universelles.

C'est pourquoi il faut 

  • qu'il y ait un autre appétit qui tende vers le bien universel, qui est dû à la raison ;
  • et un autre qui tende vers le bien particulier, qui est dû au sens.

Mais l'intellect et la raison diffèrent seulement par leur mode de connaissance ;

  • l'intellect connaît par simple intuition (simplici intuiti) ; [= ATTENTION à bien comprendre ce mot chez TH.]
  • la raison connaît par discursion d'une chose à l'autre (discurrendo de uno in aliud).

Mais

  • la raison parvient à connaître par la discursion,
  • ce que l'intellect connaît sans la discursion,

à savoir l'universel.

C’est donc le même objet qui est proposé à la [puissance] appétitive,

  • et du côté de la raison,
  • et du côté de l'intellect.

De là, chez les anges (qui sont des [êtres] uniquement intellectuels [= i.e. : purement spirituels]), le fait qu'il n'y ait pas d'appétit supérieur à la volonté.

(Somme,I.q59a1ad1)

  •  Aliter ratio transcendit sensum,
  • et aliter intellectus rationem.

Ratio enim transcendit sensum, secundum diversitatem cognitorum,

  • nam sensus est particularium,
  • ratio vero universalium.

Et ideo oportet 

  • quod sit alius appetitus tendens in bonum universale, qui debetur rationi;
  • et alius tendens in bonum particulare, qui debetur sensui.

Sed intellectus et ratio differunt quantum ad modum cognoscendi,

  • quia scilicet intellectus cognoscit simplici intuitu,
  • ratio vero discurrendo de uno in aliud.

Sed tamen

  • ratio per discursum pervenit ad cognoscendum illud,
  • quod intellectus sine discursu cognoscit,

scilicet universale. 

Idem est ergo obiectum quod appetitivae proponitur

  • et ex parte rationis,
  • et ex parte intellectus.

Unde in angelis, qui sunt intellectuales tantum, non est appetitus superior voluntate.

 


a. Au lieu de "Ce n'est pas de la même manière que la raison est supérieure au sens, et l'intelligence à la raison."

1. -- "simplici intuiti" : attention, le mot intuiti (participe parfait passif, masculin) désigne
- ou un acte dans lequel l'image d'une réalité est réfléchie par un miroir (Gaffiot)
- ou un acte de considération attentive (Gaffiot, Deferrari), possiblement accompagnée d'étonnement ou d'admiration (Cassel's) .
Ces deux dimensions sont à reprendre dans ce qui se passe dans l'appréhension, où l'intellect produit un concept universel abstrait à partir de l'image de la réalité laissée dans l'imagination. Il ne s'agit en aucun cas de comprendre ce mot comme nous comprenons l'intuition artistique aujourd'hui.

2. -- A l'appréhension suit le jugement. Ce qui a été appréhendé est ensuite jugé dans la réalité. On abstrait le concept arbre à partir des expérience de tel et tel arbre, puis, on retourne au réel (en vérifiant alors que l'abstraction s'est bien faite) en jugeant : "ceci est un arbre", "ceci est bien un arbre".

3. -- Le raisonnement se terminera lui aussi dans un jugement, mais de manière médiate, à travers la discursion.

4. -- La finale du texte s'explique ainsi : si la raison et l'intellect touchait une réalité différente, ils proposeraient tout deux une réalité différente à la partie appétitive, il faudrait alors deux puissances appétitives différentes, et donc une en plus de la puissance volontaire.

5. -- Soulignons encore une fois que la volonté ne peux faire sans l'intellect (ou la raison) pour pouvoir aimer spirituellement un bien spirituel, car il faut qu'elle puisse d'abord en juger, et le jugement passe par l'universel.

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Thomas d'Aquin - I.q59a1ad1 (extrait) - L'intellect connaît simplement, la raison par discursion, ainsi l'intellect surpasse la raison

  • Autrement la raison transcende [= surpasse] le sens,
  • et autrement l'intellect la raisona. (...)

Mais l'intellect et la raison diffèrent seulement par leur mode de connaissance ;

  • l'intellect connaît par simple intuition (simplici intuiti) ; [= ATTENTION à bien comprendre ce mot chez TH.]
  • la raison connaît par discursion d'une chose à l'autre (discurrendo de uno in aliud).

Ce qui n'empêche pas la raison de parvenir à connaître par la discursion, ce que l'intellect connaît sans la discursion, à savoir l'universel [--> par l'appréhension].

(Somme,I.q59a1ad1)

  • Aliter ratio transcendit sensum,
  • et aliter intellectus rationem. (...)

Sed intellectus et ratio differunt quantum ad modum cognoscendi,

  • quia scilicet intellectus cognoscit simplici intuitu,
  • ratio vero discurrendo de uno in aliud.

Sed tamen ratio per discursum pervenit ad cognoscendum illud, quod intellectus sine discursu cognoscit, scilicet universale. 


a. Au lieu de "Ce n'est pas de la même manière que la raison est supérieure au sens, et l'intelligence à la raison."

1. -- "simplici intuiti" : attention, le mot intuiti (participe parfait passif, masculin) désigne
- ou un acte dans lequel l'image d'une réalité est réfléchie par un miroir (Gaffiot)
- ou un acte de considération attentive (Gaffiot, Deferrari), possiblement accompagnée d'étonnement ou d'admiration (Cassel's) .
Ces deux dimensions sont à reprendre dans ce qui se passe dans l'appréhension, où l'intellect produit un concept universel abstrait à partir de l'image de la réalité laissée dans l'imagination. Il ne s'agit en aucun cas de comprendre ce mot comme nous comprenons l'intuition artistique aujourd'hui.

2. -- A l'appréhension suit le jugement. Ce qui a été appréhendé est ensuite jugé dans la réalité. On abstrait le concept arbre à partir des expérience de tel et tel arbre, puis, on retourne au réel (en vérifiant alors que l'abstraction s'est bien faite) en jugeant : "ceci est un arbre", "ceci est bien un arbre".

3. -- Le raisonnement se terminera lui aussi dans un jugement, mais de manière médiate, à travers la discursion.

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Thomas d'Aquin - I.q59a3 - Un arbitre n'est pas nécessairement libre

Il y a des êtres

  • qui n’agissent pas à partir d'un arbitre,
  • mais qui sont comme agis et mus par d’autres,
    • telle la flèche lancée vers un but une fin par l’archer.

D’autres êtres agissent

  • par un certain arbitre (quodam arbitrio),
  • mais qui n’est pas libre, tels les animaux sans raison (irrationalia) ;

ainsi la brebis fuit le loup à partir d'un certain jugement (quodam iudicio) qui estime que le loup lui est nuisible ;

  • mais ce jugement n’est pas lui-même libre,
  • mais il lui est inné par implanté par nature (a natura inditum).

(I.q59a3)

Quaedam sunt

  • quae non agunt ex aliquo arbitrio,
  • sed quasi ab aliis acta et mota,
    • sicut sagitta a sagittante movetur ad finem.

Quaedam vero agunt

  • quodam arbitrio,
  • sed non libero, sicut animalia irrationalia,

ovis enim fugit lupum ex quodam iudicio, quo existimat eum sibi noxium;

  • sed hoc iudicium non est sibi liberum,
  • sed a natura inditum.

 

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(suite et fin de l'article ici)


 1. -- Notre la relative équivalence arbitre / jugement.

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Thomas d'Aquin - I.q60a2 - (1) Différence connaissance / amour : l’acte de l'appétit volontaire met en rapport celui qui désire avec la chose-même - (2) Le bien ultime est désiré et choisi par soi, le moyen à cause du bien-fin-ultime

S'il y a dans l'ange la dilection élective [= amour de choix] Utrum in angelis sit dilectio elective

[Chez les anges]

Chez les anges existe

  • une certaine dilection naturelle
  • et une certaine dilection élective ;

et la dilection naturelle, en eux, est principe de [la dilection] élective,

  • parce que, toujours, ce qui relève du premier a raison de principe (ratio principii) ; 
    • de sorte que, puisque la nature est première en chaque [être], il faut que ce qui relève de la nature soit principe en ces [êtres].

[Chez les hommes]

Et cela apparaît chez les hommes

  • et quant à son intellect
  • et quant à sa volonté.
  • L’intellect, en effet, connaît les principes naturellement, et, à partir de cette connaissance est causée en l'homme la science des conclusions,
    • lesquelles ne sont pas connues naturellement par l'homme,
      • mais [seulement] par la recherche ou par l’enseignement (doctrinam).
  • Pareillement (similiter) dans la volonté, la fin se prend sur ce mode, comme le principe pour l'intellect, comme il est dit dans Physiques, II.

C’est pourquoi la volonté tend naturellement vers sa fin ultime, car tout homme veut naturellement la béatitude. De cette volonté naturelle dérivent tous les autres volontés ; car tout ce que veut l’homme, il le veut en vue de la fin.

  • La dilection du bien que l’homme veut naturellement comme fin, est une dilection naturelle.
  • La dilection qui en est dérivée, qui est un bien aimé (diligitur) en vue de la fin, est une dilection élective.

In angelis est

  • quaedam dilectio naturalis
  • et quaedam electiva.

Et naturalis dilectio in eis est principium electivae,

  • quia semper id quod pertinet ad prius, habet rationem principii;
    • unde, cum natura sit primum quod est in unoquoque, oportet quod id quod ad naturam pertinet, sit principium in quolibet.

Et hoc apparet in homine

  • et quantum ad intellectum,
  • et quantum ad voluntatem.
  • Intellectus enim cognoscit principia naturaliter, et ex hac cognitione causatur in homine scientia conclusionum,
    • quae non cognoscuntur naturaliter ab homine, sed per inventionem vel doctrinam.
  • Similiter in voluntate finis hoc modo se habet, sicut principium in intellectu, ut dicitur in II physic..

Unde voluntas naturaliter tendit in suum finem ultimum, omnis enim homo naturaliter vult beatitudinem. Et ex hac naturali voluntate causantur omnes aliae voluntates, cum quidquid homo vult, velit propter finem.

  • Dilectio igitur boni quod homo naturaliter vult sicut finem, est dilectio naturalis,
  • dilectio autem ab hac derivata, quae est boni quod diligitur propter finem, est dilectio electiva.

Cela, cependant, se prend différemment de la partie de l'intellect, et [de la partie de] la volonté.

  • Parce que, comme il a été dit plus haut, la connaissance de l'intellect se fait selon que les choses connues (res cognitae) sont dans celui qui connaît.
    • Or, du fait de l’imperfection de la nature intellectuelle dans l'homme,
      • que, de manière non immédiate, son intellect a naturellement [connaissance] de tous les intelligibles,
      • mais quelques-uns [seulement], à partir desquels il est mû vers certains autres.
  • Mais l’acte de la puissance (virtutis) appétitive est [= se réalise], au contraire (e converso), selon l'ordre de l'appétit vers la chose (res).
    • Or, certaines de ces [choses]
      • sont bonnes en elles-mêmes (secundum se bona)
      • et donc appétibles [= désirables] en elles-mêmes (secundum se appetibilia) ;
    • et il y a certaines [choses]
      • dont la ratio boni [= ~ la bonté] tient à leur ordre à autre chose,
      • et qui sont appétibles à cause de cette autre chose.

[Peu importe qui désire, c'est naturellement qu'on désire la fin et électivement qu'on désire les moyens]

D'où, ce n'est pas du fait de l'imperfection de celui qui appète  

  • que quelqu'un (aliquid) appète naturellement [une réalité] comme fin, 
  • et que quelqu'un (aliquid) appète par élection [une réalité] comme ordonnée à la fin.

Hoc tamen differenter se habet ex parte intellectus, et voluntatis.

  • Quia, sicut supra dictum est, cognitio intellectus fit secundum quod res cognitae sunt in cognoscente.
    • Est autem ex imperfectione intellectualis naturae in homine,
      • quod non statim eius intellectus naturaliter habet omnia intelligibilia,
      • sed quaedam, a quibus in alia quodammodo movetur.
  • Sed actus appetitivae virtutis est, e converso, secundum ordinem appetentis ad res.
    • Quarum quaedam
      • sunt secundum se bona,
      • et ideo secundum se appetibilia,
    • quaedam vero 
      • habent rationem bonitatis ex ordine ad aliud,
      • et sunt appetibilia propter aliud.

[ ]

Unde non est ex imperfectione appetentis, quod

  • aliquid appetat naturaliter ut finem,
  • et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.

[Retour au cas de l'ange, ce qui se passe au plan de la connaissance ne se retrouve pas au plan de l'amour]

Donc, puisque la nature de l’ange est parfaite,

  1. on trouve en lui
    • seulement la connaissance naturelle,
    • non la connaissance ratiocinante (ratiocinativa) [= raisonnante].
  1. Mais on trouve en lui la dilection
    • et naturelle
    • et élective.

[Tout cela a été dit au plan simplement naturel, qui est d'ailleurs insuffisant]

Mais ces [choses] ont été dites en laissant de côté celles qui sont au-dessus de la nature (supra naturam), car la nature de celles-ci n'est pas un principe suffisant. De cela, il sera dit plus bas.

(Somme, I.q60a2)

[ ]

Quia igitur natura intellectualis in angelis perfecta est,

  1. invenitur in eis
    • sola cognitio naturalis,
    • non autem ratiocinativa,
  1. sed invenitur in eis dilectio
    • et naturalis
    • et electiva.

[ ]

Haec autem dicta sunt, praetermissis his quae supra naturam sunt, horum enim natura non est principium sufficiens. De his autem infra dicetur.

 

 -----

0. --  Dilection = amour spirituel impliquant un choix conscient, à la différence de l'amour instinctif et de l'amour passionnel et même de l'amour spirituel dans son tout premier moment, avant que l'intention de se porter vers l'objet aimé n'entre en jeu. Ici, Thomas ne parle que de dilection, ce qui signifie qu'il parle d'un amour du bonheur et d'un amour des moyens dans lesquels réside déjà un choix conscient, un certain jugement. On n'est pas au moment tout à fait premier de la naissance de ces amours.

1. --  Dans l'étude des passions Thomas parlera de l'amour naturel distingué de l'amour sensitif et de la dilection. Ici, il parle de dilection naturelle. Il serait intéressant de bien distinguer amour naturel et dilection naturelle. Le mot nature n'est pas utilisé exactement dans le même sens... A creuser. La dilection naturelle serait l'amour conscient qu'on est amené à élire suite à l'amour naturel du bonheur. Choisir ce qui pourtant s'impose. Il est assez amusant de relever chez Thomas l'expression "dilection élective" puisque l'élection fait déjà partie de ce qu'est la dilection. Il y a une double élection qui se fait en cascade : la dilection simple dans laquelle on aime d'un amour choisi la fin (qualifiée de naturelle par TH.) puis la dilection de ce qui, propement, est objet d'élection : le moyen. C'est très subtil, mais pas étonnant de la part de Thomas qui expérimente ce dont il parle, cette expérience qui révèle la complexité de la vie humaine lorsqu'on l'analyse (elle est bien plus simple lorsqu'on la vit, comme la voiture apparaît complexe quand elle est entièrement démontée, mais simple quand elle roule). On se demande comme ce manuel pour débutants qu'est la Somme peut être compris par les dits débutants !

2. -- Le principe est à l'intellect ce que la fin est à la volonté.

  • En s'appuyant sur un principe, l'intellect parvient à des conclusions par le raisonnement, ces conclusions n'étant pas évidentes au point de départ.
  • En s'appuyant sur la fin (la dilection du bonheur), la volonté parvient par délibération à vouloir des biens intermédiaires, des moyens en vue de la fin, qui n'étaient pas évidents dans la dilection naturelle initiale du bonheur.

La conclusion issue du raisonnement est analogue au choix issu de la délibération.

---
 
A. -- On notera ce que nous prenons comme une grossière erreur de traduction :
 
Unde non est ex imperfectione appetentis, quod aliquid appetat naturaliter ut finem, et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.
qui a été rendu par : 
 
Ce n’est donc pas du fait de son imperfection que le sujet désirant veut ceci naturellement comme sa fin, et cela électivement, en l’ordonnant à sa fin. 
 
"et aliquid" est traduit par "et ceci", ce qui ne répond pas des deux choses désirées : le bien ultime comme fin, et les moyens ordonnés à cette fin.
 
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Thomas d'Aquin - I.q82a2ad3 - La puissance collative (la capacité de confronter) appartient la raison, non à la puissance sensitive et cela fonde le libre arbitre

La puissance sensitive

  • n’est pas une puissance collative à propos d'une diversité [de choses] (vis collativa diversorum), comme [l'est] la raison,
  • mais elle appréhende simplement une [seule chose].

Et

  • c'est pourquoi selon cette unique [chose] déterminée elle meut l'appétit sensitif.
  • Mais la raison est confrontation de plusieurs [choses] ; c’est pourquoi,
    • à partir de cette pluralité (ex pluribus), elle peut mettre en mouvement l’appétit intellectif, à savoir la volonté,
    • et non à partir d'une seule [chose] par nécessité (non ex uno ex necessitate).

(Somme, I.q82a2ad3)

Vis sensitiva

  • non est vis collativa diversorum, sicut ratio,
  • sed simpliciter aliquid unum apprehendit.

Et 

  • ideo secundum illud unum determinate movet appetitum sensitivum.
  • Sed ratio est collativa plurium, et ideo 
    • ex pluribus moveri potest appetitus intellectivus, scilicet voluntas,
    • et non ex uno ex necessitate.

 

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1. -- Pas de mouvement volontaire sans la capacité à confronter de la raison, donc pas d'acte libre.

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  • Vis (nominatif)
  • sensitiva (pluriel neutre - nominatif, accusatif, vocatif)
  • non est
  • vis (genitif)
  • collativa (vocatif ou ablatif)
  • diversorum (accusatif - Participe parfait passif - Masculin)

 

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Thomas d'Aquin - I.q83a1 - Le libre jugement provient de la confrontation de la raison

  • Ex collatione

L’homme agit à partir d'un jugement1, car, par la puissance cognitive, il juge

  • s’il faut fuir quelque chose
  • ou le poursuivre.

Mais parce que ce jugement

  • ne pro­vient pas d’un instinct naturel (naturali instinctu) portant sur un opérable particulier (in particulari operabili) [= une action particulière],
  • mais provient de quelque confrontation (ex collatione quadam -ablatif) de la raison,

il agit alors à partir d'un libre jugement (agit libero iudicio), pouvant se porter sur des objets divers (in diversa).

(Somme, I.q83a1) 

Homo agit iudicio, quia per vim cognoscitivam iudicat aliquid esse

  • fugiendum
  • vel prosequendum.

Sed quia iudicium istud

  • non est ex naturali instinctu in particulari operabili,
  • sed ex collatione quadam rationis,

ideo agit libero iudicio, potens in diversa ferri.

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1. agit libero iudicio : ablatif, il peut exprimer ici  le point de départ ou/et le moyen.

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Thomas d'Aquin - I.q83a4 - Analogie intelligence / raison / conclusion -- volonté / libre arbitre / moyens

 

Si le libre arbitre est une puissance appétitive, est-elle la même puissance que la volonté, ou une autre ?

 

 

Si est appetitiva, utrum sit eadem potentia cum voluntate, vel alia.

 

Les puissances appétitives être proportionnées aux puissances cognitives, comme on l'a dit plus haut.

  • De même que de la partie appréhension intellectuelle se prennent l'intellect et la raison, 
  • ainsi de la partie appétit intellectif se prennent la volonté et le libre arbitre,
    • qui n’est rien d’autre que la puissance élective (vis electiva).

Et cela est patent à partir du rapport entre objets et actes [de ces puissances].

Potentias appetitivas oportet esse proportionatas potentiis apprehensivis, ut supra dictum est.

  • Sicut autem ex parte apprehensionis intellectivae se habent intellectus et ratio,
  • ita ex parte appetitus intellectivi se habent voluntas et liberum arbitrium,
    • quod nihil aliud est quam vis electiva.

Et hoc patet ex habitudine obiectorum et actuum.

[Du côté de l'appréhension intellective]  
  • Intelliger (intelligere) implique une simple saisie de quelque réalité (alicuius rei).
    • d'où être intelligé est proprement dit des principes,
      • [principes qui] sont connus par eux-mêmes sans confrontation.
  • Raisonner (Ratiocinari), c’est passer d’une connaissance à une autre,
    • d'où, proprement, c'est sur les conlusions que nous raisonnons,
      • [conclusions] qui deviennent connues à partir des principes.
  • Nam intelligere importat simplicem acceptionem alicuius rei,
    • unde intelligi dicuntur proprie principia,
      • quae sine collatione per seipsa cognoscuntur.
  • Ratiocinari autem proprie est devenire ex uno in cognitionem alterius, 
    • unde proprie de conclusionibus ratiocinamur,
      • quae ex principiis innotescunt.
[Du côté de l'appétit intellectif, (= spirituel)]  

Il en va de même dans l’appétit :

  • vouloir (velle) implique un simple appétit (simplicem appetitum) de quelque réalité,
    • d'où, la volonté est dîte [volonté] de la fin, laquelle est par elle-même objet de l'appétit.
  • Elire, c’est appéter [= désirer] une chose pour en obtenir une autre, 
    • d'où [élire] est proprement à propos de ce qui est en vue de la fin [= les moyens].

Similiter ex parte appetitus,

  • velle importat simplicem appetitum alicuius rei,
    • unde voluntas dicitur esse de fine, qui propter se appetitur.
  • Eligere autem est appetere aliquid propter alterum consequendum,
    • unde proprie est eorum quae sunt ad finem.
[Les premiers principes sont aux conclusions ce que la fin est aux moyens]  

Mais, 

  • de même qu''il y a un rapport dans l’ordre de la connaissance du principe à la conclusion,
    • [conclusion] à laquelle nous donnons notre assentiment à cause des principes,
  • ainsi, dans l’ordre appétitif il y a un rapport de la fin aux moyens,
    • [moyens] qui sont appétés [= désirés] à cause de la fin.

D'où est manifeste que

  • de même qu'il y a un rapport de l'intellect à la raison,
  • ainsi il y a un rapport de la volonté à la puissance élective, ce qui est la même chose que le libre arbitre.

Mais a été montré (ostensum) plus haut 

  • qu'intelliger et raisonner est une même puissance (potentiae),
  • comme reposer et mouvoir est une même capacité (virtutis),

D'où aussi vouloir et élire est une même puissance.

Et à cause de cela volonté et libre arbitre ne sont pas deux puissances, mais une [seule].

(Somme, I.q83a4)

  • Sicut autem se habet in cognitivis principium ad conclusionem,
    • cui propter principia assentimus ;
  • ita in appetitivis se habet finis ad ea quae sunt ad finem,
    • quae propter finem appetuntur.

Unde manifestum est quod sicut se habet intellectus ad rationem, ita se habet voluntas ad vim electivam, idest ad liberum arbitrium.

Ostensum est autem supra

  • quod eiusdem potentiae est intelligere et ratiocinari,
  • sicut eiusdem virtutis est quiescere et moveri.

Unde etiam eiusdem potentiae est velle et eligere.

Et propter hoc voluntas et liberum arbitrium non sunt duae potentiae, sed una.


1. --

L'analogie est donc la suivante : 

  • comme les premiers principes s'imposent dans l'ordre de la connaissance,
  • ainsi s'imposent la connaissance simple de la fin dans l'ordre de l'agir ;

puis

  • comme le raisonnement, à partir des premiers principes, amène à la connaissance d'autres choses,
  • ainsi l'élection, à partir de la connaissance de la fin, amène à la connaissance des moyens.

Voici les rapports de proportions à souligner :

(1) premiers principes, (2) raisonnement, (3) conclusion ;

(1) fins, (2) élection (qui implique la recherche par le conseil), (3) moyens.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1 - La prudence c'est voir au loin les incertitudes et confronter les possibles en vue de l'action à poser

Comme dit Isidore : "Le prudent est ainsi appelé comme voyant loin (porro videns) ;

  • il est perspicace en effet
  • et voit les cas incertains."

Or, la vision n'est pas une puissance appétitive mais une puissance cognitive. D'où Il est manifeste que la prudence relève directement d'une puissance cognitive.

  • Non toutefois d'une puissance [cognitive] sensitive :
    • parce que par elle en effet sont connues seulement les choses présentes et offertes aux sens.
  • Tandis que connaître le futur à partir du présent et du passé, ce qui est le fait de la prudence, est propre à la raison ;
    • parce que cette action est posée par une certaine collation [= confrontation].

D'où il reste que la prudence est proprement dans la raison.

(Somme, II-II.q47a1)

Sicut Isidorus dicit, in libro Etymol., prudens dicitur quasi porro videns,

  • perspicax enim est,
  • et incertorum videt casus.

Visio autem non est virtutis appetitivae, sed cognoscitivae. Unde manifestum est quod prudentia directe pertinet ad vim cognoscitivam.

  • Non autem ad vim sensitivam,
  • quia per eam cognoscuntur solum ea quae praesto sunt et sensibus offeruntur.
  • Cognoscere autem futura ex praesentibus vel praeteritis, quod pertinet ad prudentiam, proprie rationis est, quia hoc per quandam collationem agitur.

Unde relinquitur quod prudentia proprie sit in ratione.

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 1. Bien noter la référence à la collation, utiliser par ailleurs par TH. pour parler de l'oeuvre du libre arbitre.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a16 - Commander, c'est l'application d'une connaissance à l'appétit et à l'opération ...

  • ... et c'est l'acte principal de la prudence

(...)

La prudence ne consiste pas

  • dans la seule raison,
  • mais aussi dans l'appétit,

parce que, nous l'avons dit, son acte principal

  • est de commander,
  • ce qui revient à appliquer une connaissance à l'appétit et à l'opération.

(...)

(Somme, II-II.q47a16)

(...)

Sed prudentia non consistit

  • in sola cognitione,
  • sed etiam in appetitu,

quia ut dictum est, principalis eius actus

  • est praecipere,
  • quod est applicare cognitionem habitam ad appetendum et operandum.

(...)

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a16ad3 - On n'oublie la prudence qu'indirectement

La prudence consiste principalement

  • non dans la connaissance des [principes] universels
  • mais dans leur application aux actes, on vient de le dire.

Et c'est pourquoi l'oubli de la connaissance universelle

  • ne corrompt pas ce qu'il y a de principal dans la prudence,
  • mais lui porte quelque empêchement, on vient de le dire.

(Somme, II-II.q47a16ad3)

Prudentia principaliter consistit

  • non in cognitione universalium,
  • sed in applicatione ad opera, ut dictum est.

Et ideo oblivio universalis cognitionis

  • non corrumpit id quod est principale in prudentia,
  • sed aliquid impedimentum ei affert, ut dictum est.

 


1.

Objection :les premiers principes pratiques s'imposent à nous, comment pourraient-ils s'oublier ?

Essai de réponse : Ce ne sont pas les premiers principes que nous oublions mais la science acquise à partir d'eux. Aussi bien le traducteur qui s'est permis d'ajouter le terme "principes" semble conduire à une incompréhension. Dans le corps de l'article, TH. parle explicitement de l'oubli d'un art ou d'une science, ce qui amène à penser qu'il aurait mieux valu ajouter, s'il fallait ajouter, le terme "conclusions" plutôt que le terme "principes". -- Pour ce qui concerne la prudence, on aurait ici l'oubli de la pratique du conseil. Si l'habitus de conseil est perdu, la prudence sera empêchée dans son acte principal de commandement et d'application.

Voir : 

L’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis)(DeVer.q24a1ad17)

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad1 - Quel lien entre amour et prudence ?

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

La volonté meut toutes les puissances à leurs actes. Or, le premier acte de la  puissance appétitive est l'amour, comme on l'a dit plus haut. Ainsi donc la prudence est dite amour,

  • non pas essentiellement,
  • mais en tant que l'amour meut à l'acte la prudence. 

Aussi S. Augustin ajoute-t-il à la suite que "la prudence est un amour discernant bien (bene discernens)

  • ce qui l'aide à tendre vers Dieu
  • de ce qui peut l'en empêcher".

Et l'amour est dit discerner, en tant qu'il meut la raison au discernement.

(Somme, II-II.q47a1ad1)

Voluntas movet omnes potentias ad suos actus. Primus autem actus appetitivae virtutis est amor, ut supra dictum est. Sic igitur prudentia dicitur esse amor

  • non quidem essentialiter,
  • sed inquantum amor movet ad actum prudentiae.

Unde et postea subdit Augustinus quod prudentia est amor bene discernens ea

  • quibus adiuvetur ad tendendum in Deum
  • ab his quibus impediri potest.

Dicitur autem amor discernere, inquantum movet rationem ad discernendum.

 -----

1. En dernier lieu, bien noter la relation entre la prudence et la tension amoureuse vers Dieu.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad2 - La prudence regarde les moyens (les "ce en vue de la fin")

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

Le prudent considère

  • ce qui est loin en tant qu'ordonné
    • à une aide
    • ou à un empechement
  • envers ce qui est présentement amené dans l'action.

D'où il est patent que

  • ce qui est considérée par la prudence
  • est ordonné à une autre [chose] comme à sa fin.

Or, pour les [choses] qui sont en vue d'une fin [= les moyens]

  • il y a le conseil dans la raison,
  • et l'élection dans l'appétit.

De ces deux [actes],

  • le conseil relève plus proprement de la prudence :
    • le Philosophe dit en effet que le prudent "délibère bien".
  • Mais parce que l'élection présuppose le conseil
    • elle est en effet "l'appétit de ce qui a été préalablement délibéré (praeconsiliati)", selon Aristote,

l'acte d'élire peut encore (etiam) être attribué de façon logique (!!) conséquemment à la prudence, en ce sens que par le conseil elle dirige l'élection.

(Somme, II-II.q47a1ad2)

Prudens considerat

  • ea quae sunt procul inquantum ordinantur
    • ad adiuvandum
    • vel impediendum
  • ea quae sunt praesentialiter agenda.

Unde patet quod

  • ea quae considerat prudentia
  • ordinantur ad alia sicut ad finem.

Eorum autem quae sunt ad finem est

  • consilium in ratione
  • et electio in appetitu.

Quorum duorum

  • consilium magis proprie pertinet ad prudentiam,
    • dicit enim philosophus, in VI Ethic., quod prudens est bene consiliativus.
  • Sed quia electio praesupponit consilium,
    • est enim appetitus praeconsiliati, ut dicitur in III Ethic.;

ideo etiam eligere potest attribui prudentiae consequenter, inquantum scilicet electionem per consilium dirigit.

 -----

1.

La prudence s'enquiert des choses futures en vue des actions présentes à poser. Donc d'un côté un relatif et de l'autre une fin. La prudence s'occupe d'une chose médiate, les moyens.

Or, dans l'activité humaine, lorsqu'on en arrive à l'étape des moyens, deux actes entrent en jeu : le conseil (quel moyen ?) et l'élection (le moyen retenu). C'est un moment dans lequel l'appétit volontaire sous-traite à la raison la phase qui va permettre de retirer à la personne sa liberté face à la diversité des moyens : après le conseil on n'est plus libre d'opter pour tel ou tel moyen (d'où dé-libération). Au moment où il y a choix, la phase libre arbitre est derrière soi. Ce qui est intéressant puisqu'on voit d'habitude la liberté dans le choix alors qu'elle est plutôt dans le conseil [REFLECHIR ENCORE LA-DESSUS]. Quand il n'y a plus qu'un moyen, on le considère comme un bien, donc est davantage objet de l'appétit. Mais, dit TH., comme la raison a dû apporter son aide lors de la phase de conseil et que cet acte est maintenu dans la phase du choix, on peut aussi attribuer à la raison l'acte du choix. Ainsi l'acte d'élection est posé dans un acte appétitif soutenu par un acte de la raison.

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Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

  • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
  • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

(Somme. I-II.q59a4)

Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

  • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
  • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

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Thomas d'Aquin - Le bavardage (multiloquium) - DeMalo.q14a4

... comme conséquence de la gourmandise...

... un désordre dans la parole, et c'est le bavardage (multiloquium) : car si la raison ne pèse pas les mots, la conséquence est que l'homme se répand en mots superflus...

(DeMalo.q14a4)

Tertio sequitur inordinatio locutionis; et sic est multiloquium: quia dum ratio verba non ponderat, consequens est ut homo ad verba superflua dilabatur.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - Les actions humaines sont celles qui sont posées par une volonté délibérée à cause d'une fin - I-II.q1a1

  • ... les autres sont seulement des actions de l'homme

Convient-il à l’homme d'agir à cause d'une fin ?

Des actions posées par l'homme, celles-là seules sont proprement dites "humaines" celles qui sont propres à l'homme en tant qu'homme.

Et l'homme diffère des autres créatures, [celles qui sont] irrationnelles, en cela qu'il est seigneur (dominus) de ses actes. D'où il suit que sont appelées proprement humaines les seules actions dont l'homme est seigneur (dominus).

C'est cependant par sa raison et sa volonté que l'homme est le seigneur de ses actes, d'où il suit que le libre arbitre est dit "une faculté de la volonté et de la raison".

  • Sont donc dites proprement humaines ces actions qui procèdent d'une volonté délibérée.
  • S'il est cependant d'autres actions qui conviennent à l'homme, elles peuvent être seulement dites (dici quidem) des actions de l'homme, mais non pas des actions  proprement humaines, puisqu'elles ne sont pas de l'homme en tant qu'il est homme.

Or, il est manifeste que toute action qui procéde d'une puissance quelconque est causée selon la raison (rationem) de son objet [= la nature de son objet]. Or l'objet de la volonté c'est la fin et le bien.

Il est donc nécessaire que toutes les actions humaines soient à cause d'une fin.

(Somme. I-II.q1a1)

Utrum hominis sit agere propter finem ?

Actionum quae ab homine aguntur, illae solae proprie dicuntur humanae, quae sunt propriae hominis inquantum est homo.

Differt autem homo ab aliis irrationalibus creaturis in hoc, quod est suorum actuum dominus. Unde illae solae actiones vocantur proprie humanae, quarum homo est dominus.

Est autem homo dominus suorum actuum per rationem et voluntatem, unde et liberum arbitrium esse dicitur facultas voluntatis et rationis.

  • Illae ergo actiones proprie humanae dicuntur, quae ex voluntate deliberata procedunt.
  • Si quae autem aliae actiones homini conveniant, possunt dici quidem hominis actiones; sed non proprie humanae, cum non sint hominis inquantum est homo.

Manifestum est autem quod omnes actiones quae procedunt ab aliqua potentia, causantur ab ea secundum rationem sui obiecti. Obiectum autem voluntatis est finis et bonum.

Unde oportet quod omnes actiones humanae propter finem sint.

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

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Thomas d'Aquin - On peut utiliser la passion par choix pour aller plus vite ! - I-II.q24a3ad1

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans De Veritate

Les passions peuvent avoir un double rapport avec le jugement de la raison. Dicendum quod passiones animae dupliciter se possunt habere ad iudicium rationis. 
1. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent (obnubilent) le jugement, duquel dépend la bonté de l'acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d'accomplir une oeuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié (misericordiae). Uno modo, antecedenter. Et sic, cum obnubilent iudicium rationis, ex quo dependet bonitas moralis actus, diminuunt actus bonitatem, laudabilius enim est quod ex iudicio rationis aliquis faciat opus caritatis, quam ex sola passione misericordiae.
2. D'autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d'une double manière : Alio modo se habent consequenter. Et hoc dupliciter.
  • a) Par manière de rejaillissement (redundantiae) lorsque, la partie supérieure de l'âme est mue intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Et ainsi la passion qui existe consécutivement [au jugement] dans l'appétit sensitif est un signe de l'intensité de la volonté. Et ainsi elle indique une bonté morale plus grande.
  • Uno modo, per modum redundantiae, quia scilicet, cum superior pars animae intense movetur in aliquid, sequitur motum eius etiam pars inferior. Et sic passio existens consequenter in appetitu sensitivo, est signum intensionis voluntatis. Et sic indicat bonitatem moralem maiorem. 
  • b) Par manière de choix : quand l'homme, par un jugement rationnel, choisit d'être affecté de telle passion afin d'agir plus vite (promptius), avec la coopération de l'appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l'acte.
Somme, I-II.q24a3ad1)
  • Alio modo, per modum electionis, quando scilicet homo ex iudicio rationis eligit affici aliqua passione, ut promptius operetur, cooperante appetitu sensitivo. Et sic passio animae addit ad bonitatem actionis.

 

Commentaires : 

  1. Redundantiae traduit par rejaillissement pourrait être aussi traduit par "surabondance", "excès" ou "débordement".
  2. A vérifier mais, a priori, grave erreur de traduction ("l'âme se portant intensément vers une chose") : pars animae intense movetur in aliquid: ici l'âme est mûe et non se meut, movetur est au présent passif, non actif, l'objet prime sur la possibilité volontariste de la raison. Ici, l'âme répond à une attraction. On n'est pas chez Duns Scot ! Même problème ici.
  3. La dernière partie est extraordinaire, le choix de se servir de la passion comme d'une monture pour aller plus vite. Quelle liberté ! On imagine très bien Thomas utilisant son amour passionné de la vérité pour donner plus d'allant à sa recherche concrète malgré la fatigue et autres obstacles.
  4. Promptius : ne veut pas dire immmédiatement "plus vite" mais davantage "plus facilement", en cela que la passion peut de nouveau rendre nos facultés spirituelles prêtes à être utilisées. Mais la traduction reste bonne, la passion habilement utilisée peut maintenir nos facultés éveillées, plus en acte. On est prêt à dégainer, on peut maintenir l'activité spirituelle plus longtemps. De même que Thomas reconnaîtra dans l'autre sens que la fatigue des faultés sensibles adjointes à l'activité contemplative ne permet pas de maintenir la contemplation indéfiniment.
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