D'où, si le bien est opéré, [= le bien est réellement fait, mais reste en partie extérieur]
ce n'est pas le bien simplement ; [= il reste encore une division, il faut que la personne accomplisse le bien entièrement d'elle-même sans que le conseil d'un autre soit nécessaire]
[car c'est opérer le bien simplement] qui est le bien vivre. [=bien vivre, ce sera alors savoir par soi-même et uniquement par soi-même quel bien il faut accomplir, alors l'acte sera simple et parfait]
(Somme, I-II.q57a5ad2)
Cum homo bonum operatur
non secundum propriam rationem,
sed motus ex consilio alterius;
nondum est omnino perfecta operatio ipsius,
quantum ad rationem dirigentem,
et quantum ad appetitum moventem.
Unde si bonum operetur,
non tamen simpliciter bene;
quod est bene vivere.
1. -- Le mot "parfaite" n'est pas à entendre ici comme quelque chose qui épuise totalement la capacité de bien opérer. On souligne simplement que agir par soi-même atteint une perfection que celui qui agit par un autre n'atteint pas.
Tous ces actes que le Damascène énumère sont une seule puissance, c'est à dire la [puissance] intellectuelle.
Premièrement elle appréhende simplement quelque chose, et cet acte est dit intelligence.
Deuxièmement, ce qu’elle a appréhendé, elle l'ordonne à quelque chose d'autre à connaître ou à opérer [= agir], et cela est appelé intention.
Alors qu'elle persiste à chercher ce vers quoi elle tend, cela est appelé découverte par la réflexion.
Alors qu'elle examine ce qui a été découvert par la réflexion pour [parvenir] à quelque chose de certain, cela est dit connaître ou faire oeuvre de sagesse (scire ver sapere) ; ce qu'est la phronèsis ou la sagesse, car "la sagesse c'est juger ", comme il est dit en Métaphysique I.
Alors qu'elle tient quelque chose pour certain, comme quelque chose qui a été examiné, elle pense à comment manifester [= communiquer] cela aux autres, et cela est la disposition de la parole intérieure (intrioris sermonis) ;
de quoi procède la parole extérieure (exterior locutio).
Et en effet toute différence dans les actes ne se diversifie pas en puissances ; mais celle-là seulement qui ne peut être réduite au même principe, comme il a été dit plus haut.
(Somme, I.q79a10ad3)
Omnes illi actus quos Damascenus enumerat, sunt unius potentiae, scilicet intellectivae.
Quae primo quidem simpliciter aliquid apprehendit, et hic actus dicitur intelligentia.
Secundo vero, id quod apprehendit, ordinat ad aliquid aliud cognoscendum vel operandum, et hic vocatur intentio.
Dum vero persistit in inquisitione illius quod intendit, vocatur excogitatio.
Dum vero id quod est excogitatum examinat ad aliqua certa, dicitur scire vel sapere; quod est phronesis, vel sapientiae, nam sapientiae est iudicare, ut dicitur in I Metaphys.
Ex quo autem habet aliquid pro certo, quasi examinatum, cogitat quomodo possit illud aliis manifestare, et haec est dispositio interioris sermonis;
ex qua procedit exterior locutio.
Non enim omnis differentia actuum potentias diversificat; sed solum illa quae non potest reduci in idem principium, ut supra dictum est.
2. -- Appréhension --> Intention --> Réflexion --> Jugement (oeuvre de sagesse) --> Parole intérieure --> Parole extérieure
3. -- On notera que l'appréhension est ici appelée intelligence, c'est à dire acte de l'intellect. Mais l'appréhension n'est pas le seul acte de l'intellect, celui-ci peut aussi juger, (même si, pour se faire, il est souvent besoin de faire appel aux raisonnements de la raison). Voir DeVer.q15a1ad4.
... D'où il est manifeste que la prudence est sagesse
dans les choses humaines,
mais non pas sagesse absolument,
car elle ne porte pas sur la cause la plus élevée absolument ;
en effet
la prudence porte sur le bien humain,
et l'homme n'est pas ce qu'il y a de meilleur entre toutes [les choses] qui sont.
Aussi est-il dit expressément (signanter) que la prudence est "sagesse pour l'homme", et non pas sagesse absolument.
(Somme, II-II.q47a2ad1)
Unde manifestum est quod prudentia est sapientia
in rebus humanis,
non autem sapientia simpliciter,
quia non est circa causam altissimam simpliciter;
est enim circa bonum humanum,
homo autem non est optimum eorum quae sunt.
Et ideo signanter dicitur quod prudentia est sapientia viro, non autem sapientia simpliciter.
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1. "prudentia est sapientia viro" : mieux vaut ne pas traduire littéralement ! viro est le datif de vir qui signifie l'homme mâle. Dans la perspective de Thomas, c'est peut-être l'une de ses rares faiblesses, la femme est plus ou moins empétrée dans ses passions et ne peut réellement faire oeuvre de sagesse.
Il faudrait détailler ici pour être plus juste.
Il serait intéressant de savoir si TH. a entendu parler d'Hildegarde Von Bingen (1098-1179), ou s'il l'a laissé volontairement de côté.