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Céline Cochin - Distinction Habitus / Habitudo / Habilitas / Consuetudo

"Après avoir regardé attentivement tous les usages qu’il fait de ces différents termes, nous retirons les conclusions suivantes à propos des habitus :
    1. Habitude en français est un terme qui traduit plusieurs vocables la-tins (habitudo, consuetudo, mos, assuefactio), auxquels Thomas d’Aquin donne un usage déterminé, distinct de celui d’habitus.
    2. A la différence de l’habitudo qui est plutôt un état, une manière d’être, Thomas attribue à l’habitus, en plus d’une qualité de l’être, surajoutée à l’essence de l’âme ou à ses puissances, le fait d’être un principe actif d’action. La santé par exemple pourrait être un état du corps au sens d’habitudo, pour cela Thomas ne dit pas qu’elle est un habitus au sens strict ; à plus forte raison qu’elle est facilement changeable.
    3. L’habileté est un fruit et un signe de la possession d’un habitus. Thomas comprend l’habilitas par rapport à l’habitus comme la puissance par rapport à l’acte. A la différence de l’habitus, on ne peut pas se servir quand on veut de l’habilitas, ce serait plutôt une puissance passive (comme dans le cas de la prophétie).
    4. L’habitus a une ressemblance avec l’habitude (au sens de consuetudo). Extérieurement ils peuvent donner les mêmes apparences, les mêmes comportements. Les deux sont produits par une répétition d’actes, une certaine fréquence ; et les deux mêmes deviennent une seconde nature. Ce qui les différentie est le caractère volontaire et libre de l’habitus."

Céline Cochin, Distinguer les habitus et les vertus, pour une meilleure compréhension de la formation intégrale, in Alpha Omega, XVIII, n. 2, 2015, pp. 195-196

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - La vertu est un choix prédéterminé qui améliore la rapidité dans l'action

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

Pour faciliter la lecture, on pourra remplacer élection par choix et élire par choisir.

Comme dit le Philosophe au troisième livre de l’Éthique, « on fait preuve de plus de courage quand on se montre sans peur et sans trouble devant un péril surgi à l’improviste que devant un péril attendu ». En effet, l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation :

  • car les choses attendues, c’est‑à‑dire connues d’avance, on les élira par la raison et la réflexion (ex ratione et cogitatione)
    • sans habitus ;
  • mais ce qui surgit à l’improviste est élu
    • par un habitus.

Et il ne faut pas comprendre (intelligendum)

  • que l’opération par l’habitus de vertu pourrait être tout à fait sans délibération, puisque la vertu est un habitus électif,
  • mais que, pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection ;

par conséquent, chaque fois qu’une chose (aliquid) se présente comme convenant à cette fin,

  • elle est aussitôt élue,
  • à moins qu’elle ne soit empêchée par une délibération plus attentive et plus longue.

(DeVer.q24a12)

Ut enim philosophus dicit in III Ethicorum [cap. 11 (1117 a 17)], fortioris est in repentinis timoribus impavidum et imperturbatum esse, quam in praemanifestis. Ab habitu enim est magis operatio, quanto minus est ex praemeditatione :

  • praemanifesta enim, id est praecognita, aliquis praeeliget ex ratione et cogitatione sine habitu ;
  • sed repentina sunt secundum habitum.

Nec hoc est intelligendum

  • quod operatio secundum habitum virtutis possit esse omnino absque deliberatione, cum virtus sit habitus electivus ;
  • sed quia habenti habitum iam est in eius electione finis determinatus ;

unde quandocumque aliquid occurrit ut conveniens illi fini,

  • statim eligitur,
  • nisi ex aliqua attentiori et maiori deliberatione impediatur.

 


... l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation...

... puisque la vertu est un habitus électif...

... pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection...

1. -- Bien noter que l'habitus n'est pas un réflexe, le choix demeure, même s'il a été antérieurement et volontairement automatisé afin de ne pas avoir à rechoisir le moindre des petits actes dans le détail. Si les circonstances l'exigent, on pourra réactiver un choix plus conscient par l'attention et le temps qu'on y passera. Mais s'il n'y a pas lieu, c'est justement sur le plan de la rapidité à l'action et du temps gagné que l'homme prudent tablera. En dernier lieu, s'il s'agit de gagner du temps, c'est pour se consacrer aux tâches les plus nobles, et parmi elles la plus noble, celle d'aimer ("il est meilleur d’aimer Dieu que de le connaître", SommeI.q82a3). Noter que le mot "opérations" ou le mot "activités" est plus adapté ici que le mots "tâches".

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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Passions et jugement de la raison

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans la Somme

Lorsque [les passions de l'âme] suivent la volonté, elles ne diminuent pas

  • la qualité
  • ou la bonté de l’acte,

car

  • elles seront modérées selon le jugement de la raison,
  • à partir duquel s’ensuit la volonté.

Mais elles ajoutent plutôt à la bonté de l’acte, à deux points de vue.

Secundum vero quod consequuntur ad voluntatem, sic non diminuunt

  • laudem actus
  • vel bonitatem :

quia

  • erunt moderatae secundum iudicium rationis,
  • ex quo voluntas sequitur.

Sed magis addunt ad bonitatem actus, duplici ratione.

Premièrement, par mode de signe :

car la passion même qui s’ensuit dans l’appétit inférieur est le signe que le mouvement de la volonté est intense. Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté se meuve fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. 

C’est pourquoi saint Augustin dit au quatorzième livre de la Cité de Dieu: « Tant que nous portons l’infirmité de cette vie, nous ne vivrions pas selon la justice si nous n’éprouvions absolument aucune de ces passions. » Et peu après, il ajoute la cause en disant : « N’éprouver en effet aucune douleur, tant que nous sommes en ce séjour de misère, cela s’obtient, très chèrement, au prix de la cruauté de l’âme et de l’insensibilité du corps. »

Primo per modum signi :

quia passio ipsa consequens in inferiori appetitu est signum quod sit motus voluntatis intensus. Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.

Unde dicit Augustinus, XIV de Civitate Dei [cap. 9] :dum huius vitae infirmitatem gerimus, si passiones nullas habeamus, non recte vivimus.Et post pauca subiungit causam, dicens : nam omnino non dolere dum sumus in hoc loco miseriae, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, et stuporis in corpore.

Ensuite à la façon d’une aide :

car lorsque la volonté élit quelque chose par le jugement de la raison, elle passe à l'action plus promptement et plus facilement si, avec cela, la passion est excitée dans la partie inférieure, l’appétitive inférieure étant proche du mouvement du corps.

Aussi saint Augustin dit‑il au neuvième livre de la Cité de Dieu: « Or ce mouvement de miséricorde sert la raison quand la miséricorde se manifeste sans compromettre la justice. »

Et c’est ce que le Philosophe dit au troisième livre de l’Éthique, citant le vers d’Homère : « éveille ta force et ton irritation » ; en effet, lorsqu’on est vertueux quant à la vertu de force, la passion de colère qui suit l’élection de la vertu contribue à la plus grande promptitude de l’acte ; mais si elle la précédait, elle perturberait le mode de la vertu

(DeVer.q26a7)

Secundo per modum adiutorii :

quia quando voluntas iudicio rationis aliquid eligit, promptius et facilius id agit, si cum hoc passio in inferiori parte excitetur ; eo quod appetitiva inferior est propinqua ad corporis motum.

Unde dicit Augustinus, IX de Civitate Dei [cap. 5] :servit autem motus misericordiae rationi, quando ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur. Et hoc est quod philosophus dicit in libro III Ethicorum [cap. 11 (1116b 28)] inducens versum Homeri :virtutem et furorem erige; quia videlicet, cum aliquis est virtuosus virtute fortitudinis, passio irae electionem virtutis sequens facit ad maiorem promptitudinem actus ; si autem praecederet, virtutis mo‑ dum perturbaret.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q85a2 - Le péché ne détruit pas la nature

Comme nous venons de le dire, le bien de la nature qui peut être diminué par le péché, c'est l'inclination naturelle à la vertu. Cette inclination convient à l'homme du fait qu'il est un être rationnel : c'est cela en effet qui lui permet d'agir selon la raison, ce qui est agir selon la vertu. Or, le péché ne peut pas complètement enlever à l'homme cette qualité d'être rationnel, puisque ce serait le rendre incapable de péché. Il n'est pas possible par conséquent que ce bien de nature soit totalement enlevé.

[Argument contre]

Comme il arrive pourtant que cette sorte de bien est continûment diminué par le péché, certains ont voulu l'expliquer au moyen d'un exemple où l'on trouve qu'une chose finie diminue à l'infini sans pourtant jamais s'épuiser entièrement. Le Philosophe dit en effet que

  • si d'une grandeur finie on ôte constamment quelque chose selon la même quantité, au bout du compte elle sera réduite à rien ; par exemple, lorsque j'aurai constamment retranché d'une longueur quelconque la valeur d'une palme ;
  • tandis que si la soustraction se fait, non pas selon la même quantité, mais selon la même proportion, elle pourra continuer indéfiniment ; par exemple, si une quantité est partagée en deux et que de la moitié on retranche la moitié, on pourra ainsi avancer indéfiniment, de manière cependant que ce qui est retranché la seconde fois sera toujours moindre que ce qui l'était la première.

[Réponse à l'argument]

Mais ceci n'a pas lieu dans le cas qui nous occupe ; car le péché suivant ne diminue pas le bien de la nature moins que ne faisait le péché précédent ; peut-être même, s'il est plus grave, le diminue-t-il davantage. 

[Précision]

Il faut donc parler autrement : l'inclination dont nous parlions se conçoit comme un milieu entre deux extrêmes ; elle a un fondement, une sorte de racine, dans la nature rationnelle, et elle tend au bien de la vertu comme à un terme et à une fin. Par conséquent, la diminution peut se concevoir de deux façons : du côté de la racine, et du côté du terme.

  • Du côté de la racine, le péché ne produit aucune diminution puisque, nous l'avons dit, il ne diminue pas la nature elle-même.
  • Mais, de la seconde manière, il y a une diminution, c'est-à-dire qu'il y a empêchement d'aboutir au terme.
  • S'il y a diminution par la racine, nécessairement l'inclination à la vertu serait parfois totalement consumée, la nature rationnelle ayant été totalement consumée elle-même.
  • Mais, puisqu'il y a diminution du côté de l'obstacle posé pour empêcher d'atteindre le terme, il est évident que cela peut aller à l'infini, car on peut mettre indéfiniment des obstacles, en ce sens que l'homme peut ajouter indéfiniment péché sur péché ;
  • cependant l'inclination ne peut pas être complètement consumée puisqu'il reste toujours la racine d'une telle inclination.

On a un exemple de cela dans le corps diaphane qui, du fait même qu'il est diaphane, a une inclination à recevoir la lumière ; cette inclination ou aptitude est diminuée par les nuages qui surviennent, bien qu'elle subsiste toujours à la racine de la nature.

(Somme, I-II.q85a2)

Respondeo dicendum quod, sicut dictum est, bonum naturae quod per peccatum diminuitur, est naturalis inclinatio ad virtutem. Quae quidem convenit homini ex hoc ipso quod rationalis est, ex hoc enim habet quod secundum rationem operetur, quod est agere secundum virtutem. Per peccatum autem non potest totaliter ab homine tolli quod sit rationalis, quia iam non esset capax peccati. Unde non est possibile quod praedictum naturae bonum totaliter tollatur.

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Cum autem inveniatur huiusmodi bonum continue diminui per peccatum, quidam ad huius manifestationem usi sunt quodam exemplo, in quo invenitur aliquod finitum in infinitum diminui, nunquam tamen totaliter consumi. Dicit enim philosophus, in III Physic., quod

  • si ab aliqua magnitudine finita continue auferatur aliquid secundum eandem quantitatem, totaliter tandem consumetur, puta si a quacumque quantitate finita semper subtraxero mensuram palmi.
  • Si vero fiat subtractio semper secundum eandem proportionem, et non secundum eandem quantitatem, poterit in infinitum subtrahi, puta, si quantitas dividatur in duas partes, et a dimidio subtrahatur dimidium, ita in infinitum poterit procedi; ita tamen quod semper quod posterius subtrahitur, erit minus eo quod prius subtrahebatur.

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Sed hoc in proposito non habet locum, non enim sequens peccatum minus diminuit bonum naturae quam praecedens, sed forte magis, si sit gravius.

[------]

Et ideo aliter est dicendum quod praedicta inclinatio intelligitur ut media inter duo, fundatur enim sicut in radice in natura rationali, et tendit in bonum virtutis sicut in terminum et finem. Dupliciter igitur potest intelligi eius diminutio, uno modo, ex parte radicis; alio modo, ex parte termini.

  • Primo quidem modo non diminuitur per peccatum, eo quod peccatum non diminuit ipsam naturam, ut supra dictum est.
  • Sed diminuitur secundo modo, inquantum scilicet ponitur impedimentum pertingendi ad terminum.
  • Si autem primo modo diminueretur, oporteret quod quandoque totaliter consumeretur, natura rationali totaliter consumpta.
  • Sed quia diminuitur ex parte impedimenti quod apponitur ne pertingat ad terminum, manifestum est quod diminui quidem potest in infinitum, quia in infinitum possunt impedimenta apponi, secundum quod homo potest in infinitum addere peccatum peccato,
  • non tamen potest totaliter consumi, quia semper manet radix talis inclinationis.

Sicut patet in diaphano corpore, quod quidem habet inclinationem ad susceptionem lucis ex hoc ipso quod est diaphanum, diminuitur autem haec inclinatio vel habilitas ex parte nebularum supervenientium, cum tamen semper maneat in radice naturae.

 

 

Ci-dessous, le commentaire de Cajetan, parce qu'il mentionne la syndérèse.

I. Dans le second article de cette quatre-vingt-cinquième question, en laissant de côté les arguments de Scot exposés dans la trente-cinquième distinction du Second Livre, puisque ceux-ci visent à prouver qu’il n’est rien ôté à la nature — ce que l’Auteur concède —, et puisque Scot lui-même, en ce même endroit, traitant des blessures du péché, admet que la capacité au bon usage (de la raison) est diminuée par le péché ; seules se présentent les objections de Durand, dans cette même distinction trente-cinquième du Second Livre, qui combat directement cette doctrine, au motif que la capacité d’un sujet ne peut être accrue ou diminuée par rien qui ne lui inhère : dès lors, elle ne saurait non plus être diminuée. 

La prémisse se démontre de deux manières. Premièrement, parce qu’une capacité s’accroît par l’intensification de quelque chose en elle. Deuxièmement, pour en venir à la question qui nous occupe : l’inclination au bon acte est double. Il y a d’abord une inclination éloignée, qui réside dans les premiers principes — celle-ci n’est ni supprimée ni diminuée ; et une inclination prochaine, qui se trouve dans les habitudes : celle-ci peut être supprimée, accrue ou diminuée selon l’intensité ou la rémission.

II. À cela, on répond très facilement que cet homme a voulu rester aveugle. En effet, l’Auteur a expressément distingué la capacité selon le sujet et selon le terme, et il a dit que, du côté du sujet, elle n’est pas diminuée, mais seulement du côté du terme. Or les objections de cet adversaire portent du côté du sujet : sous ce rapport, il est vrai qu’on ne peut intensifier ce qui n’est pas en lui. Mais la relation au terme, elle, se trouve diminuée par l’adjonction d’obstacles extérieurs, et accrue par leur suppression. C’est en ce sens que sert parfaitement l’exemple du corps diaphane et des obstacles qui s’y opposent. Et de la même manière, la capacité de l’âme procédant de la syndérèse se trouve diminuée à l’infini, tandis que la syndérèse elle-même n’est ni supprimée ni diminuée. (Léonine, VII, p. 112)

In articulo secundo eiusdem quaestionis octogesimaequinta, praetermissis argumentis Scoti, in xxxv distinctione Secundi, quia afferuntur ad probandum quod nihil subtrahatur naturae, quod Auctor concedit; et ipse Scotus ibidem, tractans vulnera peccati, concedit habilitatem ad rectum usum minui per peccatum : solius Durandi, in xxxv distinctione Secundi, objectiones occurrunt, directe impugnantis hanc doctrinam, quia per nihil non inhaerens subjecto augetur habilitas subjecti, ergo nec minuitur. 

Antecedens dupliciter declaratur. Primo, quia augetur per intensionem alicuius in eo. Secundo, ad propositum, quia inclinatio ad bonum opus est duplex : remota, quae est in primis principiis, et haec nec tollitur nec minuitur; et propinqua, quae est in habitibus, et haec tollitur, et augetur et minuitur intensione et remissione.

II. Ad hoc facillime dicitur quod iste voluit esse caecus. Expresse namque Auctor distinxit habilitatem ex parte subjecti, et ex parte termini; et dixit quod ex parte subjecti non minuitur, sed ex parte termini. Objectiones autem istius sunt ex parte subjecti : ex hac enim parte verum est non intendi aliquid quod non est in eo. Sed attingentiam ad terminum constat minui ex appositione impedimentorum extra, et augeri ex remotione eorundem. Et ad hoc optime deservit exemplum de diaphano et de obstaculis appositis. Et hoc modo habilitas animae ex synderesi diminuitur in infinitum, et tamen ipsa synderesis nec tollitur nec minuitur.


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Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

  • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
  • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

(Somme. I-II.q59a4)

Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

  • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
  • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

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Thomas d'Aquin - On peut utiliser la passion par choix pour aller plus vite ! - I-II.q24a3ad1

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans De Veritate

Les passions peuvent avoir un double rapport avec le jugement de la raison. Dicendum quod passiones animae dupliciter se possunt habere ad iudicium rationis. 
1. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent (obnubilent) le jugement, duquel dépend la bonté de l'acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d'accomplir une oeuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié (misericordiae). Uno modo, antecedenter. Et sic, cum obnubilent iudicium rationis, ex quo dependet bonitas moralis actus, diminuunt actus bonitatem, laudabilius enim est quod ex iudicio rationis aliquis faciat opus caritatis, quam ex sola passione misericordiae.
2. D'autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d'une double manière : Alio modo se habent consequenter. Et hoc dupliciter.
  • a) Par manière de rejaillissement (redundantiae) lorsque, la partie supérieure de l'âme est mue intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Et ainsi la passion qui existe consécutivement [au jugement] dans l'appétit sensitif est un signe de l'intensité de la volonté. Et ainsi elle indique une bonté morale plus grande.
  • Uno modo, per modum redundantiae, quia scilicet, cum superior pars animae intense movetur in aliquid, sequitur motum eius etiam pars inferior. Et sic passio existens consequenter in appetitu sensitivo, est signum intensionis voluntatis. Et sic indicat bonitatem moralem maiorem. 
  • b) Par manière de choix : quand l'homme, par un jugement rationnel, choisit d'être affecté de telle passion afin d'agir plus vite (promptius), avec la coopération de l'appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l'acte.
Somme, I-II.q24a3ad1)
  • Alio modo, per modum electionis, quando scilicet homo ex iudicio rationis eligit affici aliqua passione, ut promptius operetur, cooperante appetitu sensitivo. Et sic passio animae addit ad bonitatem actionis.

 

Commentaires : 

  1. Redundantiae traduit par rejaillissement pourrait être aussi traduit par "surabondance", "excès" ou "débordement".
  2. A vérifier mais, a priori, grave erreur de traduction ("l'âme se portant intensément vers une chose") : pars animae intense movetur in aliquid: ici l'âme est mûe et non se meut, movetur est au présent passif, non actif, l'objet prime sur la possibilité volontariste de la raison. Ici, l'âme répond à une attraction. On n'est pas chez Duns Scot ! Même problème ici.
  3. La dernière partie est extraordinaire, le choix de se servir de la passion comme d'une monture pour aller plus vite. Quelle liberté ! On imagine très bien Thomas utilisant son amour passionné de la vérité pour donner plus d'allant à sa recherche concrète malgré la fatigue et autres obstacles.
  4. Promptius : ne veut pas dire immmédiatement "plus vite" mais davantage "plus facilement", en cela que la passion peut de nouveau rendre nos facultés spirituelles prêtes à être utilisées. Mais la traduction reste bonne, la passion habilement utilisée peut maintenir nos facultés éveillées, plus en acte. On est prêt à dégainer, on peut maintenir l'activité spirituelle plus longtemps. De même que Thomas reconnaîtra dans l'autre sens que la fatigue des faultés sensibles adjointes à l'activité contemplative ne permet pas de maintenir la contemplation indéfiniment.
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