Intellect / Volonté - Vision béatifique / Charité - (Quelle priorité ?)
- De Veritate, q. 22, a. 11
- Questions sur l'âme : ST, I, q 82, a 3
- Questions sur la béatitude : ST, I-II, q. 3, a. 4; q 3, 8 ; q 4, a 2 -- Voir aussi l'appendice du p. Sertillanges, pp. 294-303.
- Questions sur la grâce : ST, I-II, q. 114, a. 4 -- (Primat de la charité)
- Questions sur la charité : ST, II-II, q. 23, a. 6 -- (Primat de la charité - IMPORTANT)
- Questions sur la charité : ST, II-II, q. 44, a. 1 -- (Primat de la charité)
- La perfection de la vie spirituelle, chap. II -- (Primat de la charité)
- La perfection de la vie spirituelle, chap. V, 3 -- (Primat de la fruitio)
- De Virtutibus, q. 2, a. 3, ad. 12-13 (date : 1271-1272)
- De Virtutibus, q. 2, a. 3, ad. 17 - ("La vision même, en tant qu’elle est la fin comme un bien, est l’objet de la charité.")
- CG, III, 25, 2-3 ; 25, 8. (Primat de l'intellect)
- CG, III, 26 (Béatitude - En général)
- CG, III, 26, 4 - (différence acte de la volonté / acte de l'intellect quant à la béatitude)
- CG, III, 26, 5 - (tout est dit avec un réalisme implacable)
- CG, III, 50, 9 - ("Le bonheur ultime ne doit être cherché que dans l'opération de l'intellect")
- CG, III, 115 - (La fin de la créature humaine est d'adhérer à Dieu, puisque c'est en cela que consiste son bonheur, comme on l'a montré [chap. 37]
- CG, III, 116 - (Primat de l'adhésion à Dieu par l'amour (amor) - Notamment, 2 et 3)
- CG, IV, 19, 4 - (... ce qui est aimé n'est pas seulement dans l'intellect de celui qui aime, mais aussi dans sa volonté... etc.)
- --- Un commentaire de GEMINI ---
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De Veritate, q. 22, a. 11 - (En cette vie)
| Or la perfection et la dignité de l’intelligence consiste en ce que l’espèce de la réalité pensée réside dans l’intelligence elle-même, puisque par là elle pense actuellement, et qu’en cela apparaît toute sa dignité. La noblesse de la volonté et de son acte, quant à elle, réside en ce que l’âme est ordonnée à quelque réalité noble suivant l’être que cette réalité a en elle-même. Or il est plus parfait, simplement et absolument (simpliciter et absolute) parlant, d’avoir en soi la noblesse d’une autre réalité, que d’être en rapport avec une réalité noble existant hors de soi. Par conséquent la volonté et l’intelligence, si on les considère dans l’absolu (absolute), sans les comparer à cette réalité ou à cette autre, sont ainsi ordonnées entre elles : l’intelligence, purement et simplement (simpliciter), est plus éminente que la volonté. | Perfectio autem et dignitas intellectus in hoc consistit quod species rei intellectae in ipso intellectu consistit; cum secundum hoc intelligat actu, in quo eius dignitas tota consideratur. Nobilitas autem voluntatis et actus eius consistit ex hoc quod anima ordinatur ad rem aliquam nobilem, secundum esse quod res illa habet in seipsa. Perfectius autem est, simpliciter et absolute loquendo, habere in se nobilitatem alterius rei, quam ad rem nobilem comparari extra se existentem. Unde voluntas et intellectus, si absolute considerentur, non comparando ad hanc vel illam rem, hunc ordinem habent, quod intellectus simpliciter eminentior est voluntate. |
| Mais il arrive qu’il soit plus éminent d’être en quelque façon en rapport avec une réalité noble, que d’en avoir en soi la noblesse : à savoir, quand on possède la noblesse de cette réalité d’une façon bien inférieure à la façon dont cette réalité la possède en elle‑même. En revanche, si la noblesse de cette réalité est dans une autre aussi noblement ou plus noblement qu’en elle, alors, sans aucun doute, il sera plus noble pour l’autre d’avoir en soi la noblesse de cette réalité, que de lui être ordonnée en quelque façon que ce soit. Or, les formes des réalités qui sont supérieures à l’âme, l’intelligence les perçoit sur un mode inférieur à celui qu’elles ont dans les réalités mêmes : en effet, une chose est reçue dans l’intelligence suivant le mode d’être de l’intelligence, comme il est dit au livre des Causes. Et pour la même raison, les formes des réalités qui sont inférieures à l’âme, telles les formes corporelles, sont plus nobles dans l’âme que dans les réalités mêmes. | Sed contingit eminentius esse comparari ad rem aliquam nobilem per aliquem modum, quam eius nobilitatem in seipso habere; quando scilicet illius rei nobilitas habetur multo inferiori modo quam eam habeat res illa in seipsa. Si autem nobilitas illius rei insit alii rei vel aeque nobiliter, vel nobilius quam in re cuius est, tunc, absque omni dubitatione, nobilius erit quod in se nobilitatem alterius rei habebit, quam quod ad ipsam rem nobilem qualitercumque ordinatur. Rerum autem quae sunt anima superiores, formas percipit intellectus inferiori modo quam sint in ipsis rebus: recipitur enim aliquid in intellectu per modum sui, ut dicitur in libro De causis. Et eadem ratione earum rerum quae sunt anima inferiores, sicut sunt res corporales, formae sunt nobiliores in anima quam in ipsis rebus. |
ST, I-II, q 3, a 4 - (La béatitude)
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3. À la troisième (objection), il faut dire que l'intellect appréhende la fin avant la volonté, cependant le mouvement vers la fin commence dans la volonté. Et c'est pourquoi est dû à la volonté ce qui finalement suit la possession de la fin, à savoir la délectation (delectatio) ou la jouissance (fruitio). |
ST, I-II, q 114, a 4 (La grâce)
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Cependant :
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Conclusion : Comme nous l'avons dit, il y a deux raisons qui font qu'un acte humain mérite.
Or, à ces deux points de vue, le mérite consiste principalement dans la charité.
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Et quantum ad utrumque, principalitas meriti penes caritatem consistit.
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| Solutions : 1. Parce que la charité a pour objet la fin dernière, elle meut les autres vertus à l'action. Car l'habitus qui a pour objet la fin commande toujours les habitus qui regardent les moyens, nous l'avons montré. |
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2. Une oeuvre peut être laborieuse et difficile d'une double façon.
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| 3. L'acte de foi n'est méritoire que s'il s'agit d'une foi "opérant par la charité", comme dit l'épître aux Galates (5, 6). Il en est de même des actes de patience et de force : ils ne sont méritoires que s'ils sont accomplis par charité, selon cette parole de l'Apôtre (1 Co 13, 3) : "Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien." |
ST, II-II, q 44, a 1 - (La Charité)
| La fin de la vie spirituelle, c'est que l'homme soit uni à Dieu, ce qui se fait par la charité, et à cela s'ordonne, comme à leur fin, tout ce qui appartient à la vie spirituelle. | Finis autem spiritualis vitae est ut homo uniatur Deo, quod fit per caritatem, et ad hoc ordinantur, sicut ad finem, omnia quae pertinent ad spiritualem vitam. |
De perfectione spiritualis vitae, chap. V, 3
| Dans cette béatitude céleste, l’intellect et la volonté de la créature rationnelle se portent vers Dieu en acte et constamment, puisque la béatitude consiste justement en cette fruitio de Dieu. Car la béatitude n'est pas dans une possession habituelle (in habitu), mais dans un acte (in actu). | In illa enim caelesti beatitudine semper actualiter intellectus et voluntas creaturae rationalis in Deum fertur, cum in divina fruitione illa beatitudo consistat. Beatitudo autem non est in habitu, sed in actu. |
De Virtutibus, q. 2, a. 3, ad. 12-13 - (En cette vie -- La volonté meut l'intellect, mais pas à se mouvoir vers telle chose en particulier, sinon après avoir connue cette chose)
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12. L’intellect est, purement et simplement (simpliciter), avant la volonté, parce que le bien intellectuel est l’objet de la volonté. Mais cependant pour opérer et mettre en mouvement, la volonté est avant. Car l’intellect ne pense et ne meut que par une volonté qui s’y ajoute ; c'est pourquoi aussi la volonté meut l’intellect lui-même en tant qu’il est opératif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons. C'est pourquoi, comme croire est pensé par la volonté qui est mue (car nous croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en découle que la charité donne plus la forme à la foi qu’à l’inverse. |
[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior voluntate, quia bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in operando et movendo prior est voluntas. Non enim intellectus intelligit et movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum intellectum movet voluntas, in quantum est operativus : utimur enim intellectu quando volumus. Unde, cum credere sit intellectus a voluntate moti (credimus enim aliquid quia volumus); sequitur quod magis caritas det formam fidei quam e converso. |
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13. L’acte de la volonté dépend de l’ordre de celui qui veut aller aux choses mêmes, en tant qu’elles sont en elles-mêmes. Mais l’acte de l’intellect dépend du fait que ce qui est pensé est en celui qui pense ;
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[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem volentis ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum quod res intellectae sunt in intelligente :
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De Virtutibus, q. 2, a. 3, ad. 17
| 17. La mise en forme réception de la forme dans le domaine moral provient de sa fin. Or toutes les vertus sont ordonnées comme à leur fin ultime à la vision de Dieu, qui est la récompense totale, comme Augustin le dit, et qui succède à la foi. Donc toutes les autres vertus reçoivent une forme de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi soit la forme de la charité plus que le contraire. | Arg. 17 Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes ordinantur, sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut Augustinus dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam recipiunt ex fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis quam e converso. |
| 17. La vision même, en tant qu’elle est la fin comme un bien, est l’objet de la charité. |
Ad 17. Dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut bonum quoddam, est obiectum caritatis. |
Saint Augustin
Pour l'allusion de saint Thomas : "La contemplation, en effet, est la récompense de la foi -- Contemplatio quippe merces est fidei" (De Trinitate, I, 8, 17).
Pour la contemplation comme fin : "Car cette contemplation nous est promise comme la fin de toutes nos actions et la perfection éternelle des joies. -- Haec enim nobis contemplatio promittitur actionum omnium finis atque aeterna perfectio gaudiorum" (De Trinitate, I, 8, 17).
CG, III, 25, 2-3 - Perspective naturelle
| 2. En effet la fin ultime de toute chose est Dieu, comme on l'a montré [chap. 17]. Donc chaque chose vise comme une fin ultime la plus grande union (coniungi) à Dieu qui lui est possible. Or une chose est plus étroitement unie (coniungitur) à Dieu en atteignant en quelque manière sa substance même – ce qui arrive quand on connaît quelque chose de la substance divine – qu'en obtenant une ressemblance (similitudinem) avec lui. Donc la substance intellectuelle tend vers la connaissance de Dieu comme une fin ultime. | 2. Ultimus enim finis cuiuslibet rei est Deus, ut ostensum est. Intendit igitur unumquodque sicut ultimo fini Deo coniungi quanto magis sibi possibile est. Vicinius autem coniungitur aliquid Deo per hoc quod ad ipsam substantiam eius aliquo modo pertingit, quod fit dum aliquid quis cognoscit de divina substantia, quam dum consequitur eius aliquam similitudinem. Substantia igitur intellectualis tendit in divinam cognitionem sicut in ultimum finem. |
| 3. De même. L’opération propre d’une chose est sa fin : elle est en effet sa perfection seconde ; c’est pourquoi ce qui se rapporte correctement (bene) à son opération propre est dit vertueux et bon. Or, intelliger est l’opération propre de la substance intellectuelle. C’est donc sa fin. Donc ce qu’il y a de plus parfait dans cette opération, cela est la fin ultime – surtout dans les opérations qui ne sont pas orientées à des œuvres <extérieures>, comme penser et sentir. Or puisque ces opérations sont spécifiées par leurs objets, qui permettent aussi de les connaître, une opération comme celle-là doit être d’autant plus parfaite qu’est plus parfait son objet. C’est ainsi qu'intelliger l’intelligible le plus parfait, qui est Dieu, est ce qu’il y a de plus parfait dans ce genre d’opération qu’est intelliger. Connaître Dieu en l'intelligeant est donc la fin ultime de toute substance intellectuelle. | Item. Propria operatio cuiuslibet rei est finis eius: est enim secunda perfectio ipsius; unde quod ad propriam operationem bene se habet, dicitur virtuosum et bonum. Intelligere autem est propria operatio substantiae intellectualis. Ipsa igitur est finis eius. Quod igitur est perfectissimum in hac operatione, hoc est ultimus finis: et praecipue in operationibus quae non ordinantur ad aliqua operata, sicut est intelligere et sentire. Cum autem huiusmodi operationes ex obiectis speciem recipiant, per quae etiam cognoscuntur, oportet quod tanto sit perfectior aliqua istarum operationum, quanto eius obiectum est perfectius. Et sic intelligere perfectissimum intelligibile, quod Deus est, est perfectissimum in genere huius operationis quae est intelligere. Cognoscere igitur Deum intelligendo est ultimus finis cuiuslibet intellectualis substantiae. |
CG, III, 25, 8 - Perspective naturelle
| 8. De plus. Chaque chose tend comme à sa fin propre vers la ressemblance (similitudinem) divine. C’est donc ce qui fait le plus ressembler (assimilatur) une chose à Dieu qui est sa fin ultime. Or, ce par quoi une créature intellectuelle ressemble (assimilatur) le plus à Dieu, c’est qu’elle est intellectuelle : cette ressemblance (similitudinem), en effet, la distingue de toutes les autres créatures, et elle inclut toutes les autres. Or, dans le genre de cette ressemblance (similitudinem), elle ressemble (assimilatur) davantage à Dieu en tant qu’elle pense en acte, qu’en tant qu’elle a l’habitus ou la puissance de penser : car Dieu pense toujours en acte, comme on l’a montré au livre I [chap. 56]. Et quand elle pense en acte, elle ressemble (assimilatur) le plus à Dieu en pensant Dieu lui-même, car Dieu lui-même en se pensant pense tout le reste, comme il a été prouvé au livre I [chap. 49]. Penser Dieu est donc la fin ultime de toute substance intellectuelle. | 8. Adhuc. Unumquodque tendit in divinam similitudinem sicut in proprium finem. Illud igitur per quod unumquodque maxime Deo assimilatur, est ultimus finis eius. Deo autem assimilatur maxime creatura intellectualis per hoc quod intellectualis est: hanc enim similitudinem habet prae ceteris creaturis, et haec includit omnes alias. In genere autem huius similitudinis magis assimilatur Deo secundum quod intelligit actu, quam secundum quod intelligit in habitu vel potentia: quia Deus semper actu intelligens est, ut in primo probatum est. Et in hoc quod intelligit actu, maxime assimilatur Deo secundum quod intelligit ipsum Deum: nam ipse Deus intelligendo se intelligit omnia alia, ut in primo probatum est. Intelligere igitur Deum est ultimus finis omnis intellectualis substantiae. |
CG, III, 26, 4 - Perspective naturelle
| 4. Qui plus est. Chaque chose a la vérité de sa propre nature selon ce qui constitue sa substance : en effet, le vrai homme diffère de l'homme peint par ce qui constitue la substance de l'homme. Or la vraie béatitude ne diffère pas de la fausse selon l'acte de volonté, car la volonté se comporte de la même manière en tout désir, amour ou plaisir, quel que soit ce qui lui est proposé comme bien suprême, à tord ou à raison ; en revanche, que ce qui lui est proposé comme bien suprême soit vraiment tel ou non, cela fait une différence du point de vue de l'intellect. La béatitude ou bonheur consiste donc essentiellement dans l'intellect plus que dans un acte de volonté. | 4. Amplius. Unumquodque secundum ea quae constituunt substantiam eius, habet naturae suae veritatem: differt enim verus homo a picto per ea quae substantiam hominis constituunt. Vera autem beatitudo non differt a falsa secundum actum voluntatis: nam eodem modo se habet voluntas in desiderando vel amando vel delectando, quicquid sit illud quod sibi proponitur ut summum bonum, sive vere sive falso; utrum autem vere sit summum bonum quod ut tale proponitur vel falso, hoc differt ex parte intellectus. Beatitudo igitur, sive felicitas, in intellectu essentialiter magis quam in actu voluntatis consistit. |
CG, III, 26, 5 - Perspective naturelle
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5. De même. Si un acte de volonté était le bonheur lui-même, cet acte serait ou de désirer, ou d’aimer, ou de se plaire.
Aucun acte de volonté ne peut donc être substantiellement le bonheur lui-même. |
Item. Si aliquis actus voluntatis esset ipsa felicitas, hic actus esset aut desiderare, aut amare, aut delectari.
Nullus ergo actus voluntatis potest esse substantialiter ipsa felicitas. |
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9. Cela montre en outre assez clairement que le bonheur ultime ne doit être cherché que dans l’opération de l’intellect, puisque nul désir ne porte si haut que le désir de penser la vérité. En effet, tous nos désirs,
peuvent trouver leur repos dans d’autres choses ; mais ce désir-là ne se repose que s’il parvient à Dieu, soutien et producteur suprême des choses. C’est pourquoi la Sagesse dit à juste titre, dans l'Ecclésiastique, 24 [v. 7] : J’ai habité dans les lieux très hauts, et mon trône est dans une colonne de nuée. Et dans les Proverbes, 9 [v. 3] : La sagesse envoie ses servantes appeler à la forteresse. Qu’ils rougissent donc, ceux qui cherchent le bonheur de l’homme, établi si haut, dans les choses les plus inférieures. |
In quo etiam satis apparet quod in nullo alio quaerenda est ultima felicitas quam in operatione intellectus: cum nullum desiderium tam in sublime ferat sicut desiderium intelligendae veritatis. Omnia namque nostra desideria
in aliis rebus quiescere possunt: desiderium autem praedictum non quiescit nisi ad summum rerum cardinem et factorem Deum pervenerit. Propter quod convenienter sapientia dicit, Eccli. 24:4: ego in altissimis habitavi, et thronus meus in columna nubis. Et Proverb. 9:3 dicitur quod sapientia per ancillas suas vocat ad arcem. Erubescant igitur qui felicitatem hominis, tam altissime sitam, in infimis rebus quaerunt. |
Dès qu'on se met à désirer la vérité – bien de l'intelligence –, on ne peut se reposer que s'il on parvient à Dieu. Dans tout autre désir, on peut s'arrêter en chemin et se reposer en des biens relatifs. Les autres biens étant les biens du côté affectif. Objection : on peut aussi s'arrêter en chemin lorsqu'on atteint certaines vérités intermédiaires.
La "Récupération" de la Volonté et de l'Amour dans la Somme Théologique
Dans la Somme Théologique (notamment I-II, Question 3, Article 4, et Question 4, Articles 1-4), Saint Thomas clarifie le rôle de la volonté en distinguant ses fonctions par rapport à la béatitude :
1. La Volonté comme Condition Préalable : La Rectitude
Pour Thomas, l'acte principal de la béatitude est la vision de Dieu, mais cette vision ne peut être atteinte que si l'âme est en état de grâce, c'est-à-dire si elle possède la rectitude de la volonté (rectitudo voluntatis).
- Rôle de l'Amour avant la Vision : C'est la Charité (l'amour surnaturel de Dieu) qui est l'acte principal de la volonté droite. Sans la Charité, l'homme ne peut mériter ni désirer effectivement la béatitude. La Charité purifie et ordonne l'âme.
- ST, I-II, Q. 4, a. 4 : Thomas demande si la rectitude de la volonté est nécessaire pour la béatitude. Il répond qu'elle est nécessaire non comme une partie essentielle de l'acte (qui est l'intellect), mais comme une condition indispensable (conditio sine qua non) pour y parvenir.
2. La Volonté comme Conséquence Parfaite : La Jouissance
Une fois que l'intellect voit Dieu, la volonté entre en jeu pour consommer le bonheur, non plus dans l'acte de désirer (qui impliquerait un manque, exclu par CG III, 26, 5), mais dans l'acte de jouir ou de se délecter (fruitio ou gaudium).
- La Délectation (Plaisir) : Le plaisir ou la joie n'est pas l'essence de la béatitude, mais son accident propre et consécutif (ST, I-II, Q. 3, a. 4). Il est impossible de voir le Bien Infini (Dieu) sans que la volonté y adhère parfaitement par la joie et l'amour.
- L'Union Parfaite : Dans la béatitude, l'acte de l'intellect qui voit Dieu engendre simultanément et nécessairement l'acte de la volonté qui aime et jouit de ce qu'elle voit. La vision est l'acte par lequel nous possédons Dieu, et la joie est le repos parfait de la volonté dans cette possession.
En conclusion, en passant de la Contra Gentiles à la Somme Théologique, Thomas ne contredit pas son « intellectualisme » de base (l'essence du bonheur est la connaissance), mais il l'enrichit profondément par une perspective chrétienne qui met en lumière la Charité comme moyen nécessaire pour atteindre Dieu et la Joie comme la perfection consécutive de la volonté dans l'éternité. L'amour est ainsi récupéré et joue un rôle complet et irremplaçable dans le chemin et l'achèvement du salut.