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Intellect / Volonté - Vision béatifique / Charité - (Quelle priorité ?)

  • CG, III, 25, 2-3 ; 25, 8. (Primat de l'intellect)
  • CG, III, 26 (Béatitude - En général)
  • CG, III, 26, 4 - (différence acte de la volonté / acte de l'intellect quant à la béatitude)
  • CG, III, 26, 5 - (tout est dit avec un réalisme implacable)
  • CG, III, 50, 9 - ("Le bonheur ultime ne doit être cherché que dans l'opération de l'intellect")
  • CG, III, 115 - (La fin de la créature humaine est d'adhérer à Dieu, puisque c'est en cela que consiste son bonheur, comme on l'a montré [chap. 37]
  • CG, III, 116 - (Primat de l'adhésion à Dieu par l'amour (amor) - Notamment, 2 et 3)
  • CG, IV, 19, 4 - (... ce qui est aimé n'est pas seulement dans l'intellect de celui qui aime, mais aussi dans sa volonté... etc.)
  • --- Un commentaire de GEMINI ---

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De Veritate, q. 22, a. 11 - (En cette vie)

Or la perfection et la dignité de l’intelligence consiste en ce que l’espèce de la réalité pensée réside dans l’intelligence elle-même, puisque par là elle pense actuellement, et qu’en cela apparaît toute sa dignité. La noblesse de la volonté et de son acte, quant à elle, réside en ce que l’âme est ordonnée à quelque réalité noble suivant l’être que cette réalité a en elle-même. Or il est plus parfait, simplement et absolument (simpliciter et absolute) parlant, d’avoir en soi la noblesse d’une autre réalité, que d’être en rapport avec une réalité noble existant hors de soi. Par conséquent la volonté et l’intelligence, si on les considère dans l’absolu (absolute), sans les comparer à cette réalité ou à cette autre, sont ainsi ordonnées entre elles : l’intelligence, purement et simplement (simpliciter), est plus éminente que la volonté. Perfectio autem et dignitas intellectus in hoc consistit quod species rei intellectae in ipso intellectu consistit; cum secundum hoc intelligat actu, in quo eius dignitas tota consideratur. Nobilitas autem voluntatis et actus eius consistit ex hoc quod anima ordinatur ad rem aliquam nobilem, secundum esse quod res illa habet in seipsa. Perfectius autem est, simpliciter et absolute loquendo, habere in se nobilitatem alterius rei, quam ad rem nobilem comparari extra se existentem. Unde voluntas et intellectus, si absolute considerentur, non comparando ad hanc vel illam rem, hunc ordinem habent, quod intellectus simpliciter eminentior est voluntate.
Mais il arrive qu’il soit plus éminent d’être en quelque façon en rapport avec une réalité noble, que d’en avoir en soi la noblesse : à savoir, quand on possède la noblesse de cette réalité d’une façon bien inférieure à la façon dont cette réalité la possède en elle‑même. En revanche, si la noblesse de cette réalité est dans une autre aussi noblement ou plus noblement qu’en elle, alors, sans aucun doute, il sera plus noble pour l’autre d’avoir en soi la noblesse de cette réalité, que de lui être ordonnée en quelque façon que ce soit. Or, les formes des réalités qui sont supérieures à l’âme, l’intelligence les perçoit sur un mode inférieur à celui qu’elles ont dans les réalités mêmes : en effet, une chose est reçue dans l’intelligence suivant le mode d’être de l’intelligence, comme il est dit au livre des Causes. Et pour la même raison, les formes des réalités qui sont inférieures à l’âme, telles les formes corporelles, sont plus nobles dans l’âme que dans les réalités mêmes. Sed contingit eminentius esse comparari ad rem aliquam nobilem per aliquem modum, quam eius nobilitatem in seipso habere; quando scilicet illius rei nobilitas habetur multo inferiori modo quam eam habeat res illa in seipsa. Si autem nobilitas illius rei insit alii rei vel aeque nobiliter, vel nobilius quam in re cuius est, tunc, absque omni dubitatione, nobilius erit quod in se nobilitatem alterius rei habebit, quam quod ad ipsam rem nobilem qualitercumque ordinatur. Rerum autem quae sunt anima superiores, formas percipit intellectus inferiori modo quam sint in ipsis rebus: recipitur enim aliquid in intellectu per modum sui, ut dicitur in libro De causis. Et eadem ratione earum rerum quae sunt anima inferiores, sicut sunt res corporales, formae sunt nobiliores in anima quam in ipsis rebus.

 

ST, I-II, q 3, a 4 - (La béatitude)

3. À la troisième (objection), il faut dire que l'intellect appréhende la fin avant la volonté, cependant le mouvement vers la fin commence dans la volonté. Et c'est pourquoi est dû à la volonté ce qui finalement suit la possession de la fin, à savoir la délectation (delectatio) ou la jouissance (fruitio).

Ad tertium dicendum quod finem primo apprehendit intellectus quam voluntas, tamen motus ad finem incipit in voluntate. Et ideo voluntati debetur id quod ultimo consequitur consecutionem finis, scilicet delectatio vel fruitio.

 

ST, I-II, q 114, a 4 (La grâce)

Cependant : 

  • Le Seigneur déclare, d'après saint Jean (14, 21) : "Si quelqu'un m'aime, il sera aimé de mon Père ; je l'aimerai, et je me manifesterai à lui."
  • Mais la vie éternelle consiste dans la connaissance manifeste de Dieu, selon cette autre parole du Seigneur en saint Jean (17, 3) : "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le Dieu véritable et vivant, etc."
  • Le mérite de la vie éternelle réside donc principalement dans la charité.

Sed contra est quod

  • dominus, Ioan. XIV, dicit, si quis diligit me, diligetur a patre meo, et ego diligam eum, et manifestabo ei meipsum.
  • Sed in manifesta Dei cognitione consistit vita aeterna; secundum illud Ioan. XVII, haec est vita aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum et vivum.
  • Ergo meritum vitae aeternae maxime residet penes caritatem.

Conclusion : Comme nous l'avons dit, il y a deux raisons qui font qu'un acte humain mérite.

  1. Cela vient d'abord et principalement de l'ordination divine, en vertu de laquelle l'acte est dit méritoire du bien auquel l'homme est ordonné par Dieu ;
  2. en second lieu cela découle du libre arbitre, l'homme se différenciant des autres créatures en ceci qu'il agit par lui-même, qu'il est un agent volontaire.

Or, à ces deux points de vue, le mérite consiste principalement dans la charité.

  • D'abord, en effet, il faut considérer que la vie éternelle consiste dans la jouissance de Dieu. Or le mouvement de l'âme humaine vers la fruition du bien divin est l'acte propre de la charité, et par lui les actes des autres vertus sont ordonnés à cette fin pour autant qu'elles sont soumises à l'impulsion de la charité. C'est pourquoi le mérite de la vie éternelle appartient premièrement à la charité, et secondairement aux autres vertus pour autant que leurs actes se font sous l'impulsion de la charité. 
  • De même ce que nous faisons par amour il est manifeste que nous le faisons le plus volontiers et donc le plus volontairement. C'est pourquoi, même sous ce rapport où il est requis que l'acte soit volontaire pour être méritoire, c'est principalement à la charité que le mérite est attribué. 

Respondeo dicendum quod, sicut ex dictis accipi potest, humanus actus habet rationem merendi ex duobus,

  • primo quidem et principaliter, ex divina ordinatione, secundum quod actus dicitur esse meritorius illius boni ad quod homo divinitus ordinatur;
  • secundo vero, ex parte liberi arbitrii, inquantum scilicet homo habet prae ceteris creaturis ut per se agat, voluntarie agens.

Et quantum ad utrumque, principalitas meriti penes caritatem consistit. 

  • Primo enim considerandum est quod vita aeterna in Dei fruitione consistit. Motus autem humanae mentis ad fruitionem divini boni, est proprius actus caritatis, per quem omnes actus aliarum virtutum ordinantur in hunc finem, secundum quod aliae virtutes imperantur a caritate. Et ideo meritum vitae aeternae primo pertinet ad caritatem, ad alias autem virtutes secundario, secundum quod eorum actus a caritate imperantur. 
  • Similiter etiam manifestum est quod id quod ex amore facimus, maxime voluntarie facimus. Unde etiam secundum quod ad rationem meriti requiritur quod sit voluntarium, principaliter meritum caritati attribuitur.
Solutions : 1. Parce que la charité a pour objet la fin dernière, elle meut les autres vertus à l'action. Car l'habitus qui a pour objet la fin commande toujours les habitus qui regardent les moyens, nous l'avons montré.

Ad primum ergo dicendum quod caritas, inquantum habet ultimum finem pro obiecto, movet alias virtutes ad operandum. Semper enim habitus ad quem pertinet finis, imperat habitibus ad quos pertinent ea quae sunt ad finem; ut ex supradictis patet.

2. Une oeuvre peut être laborieuse et difficile d'une double façon. 

  • d'une première manière, cela provient de la grandeur de l'oeuvre. Ainsi, la grandeur du labeur concourt à l'augmentation du mérite. Ainsi, la charité ne diminue pas le labeur : elle fait au contraire entreprendre de plus grandes oeuvres. Comme le remarque saint Grégoire dans une homélie : "Si elle existe, elle entreprend de grandes choses."
  • d'une autre manière, la difficulté peut provenir d'un défaut chez celui qui accomplit l'oeuvre ; ce que l'on ne fait pas avec une prompte volonté (non prompta voluntate) est laborieux et difficile. Cette peine-là (talis labor) diminue le mérite, et la charité la supprime.

Ad secundum dicendum quod opus aliquod potest esse laboriosum et difficile dupliciter.

  • Uno modo, ex magnitudine operis. Et sic magnitudo laboris pertinet ad augmentum meriti. Et sic caritas non diminuit laborem, immo facit aggredi opera maxima; magna enim operatur, si est, ut Gregorius dicit in quadam homilia.
  • Alio modo ex defectu ipsius operantis, unicuique enim est laboriosum et difficile quod non prompta voluntate facit. Et talis labor diminuit meritum, et a caritate tollitur.
3. L'acte de foi n'est méritoire que s'il s'agit d'une foi "opérant par la charité", comme dit l'épître aux Galates (5, 6). Il en est de même des actes de patience et de force : ils ne sont méritoires que s'ils sont accomplis par charité, selon cette parole de l'Apôtre (1 Co 13, 3) : "Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien."  Ad tertium dicendum quod fidei actus non est meritorius nisi fides per dilectionem operetur, ut dicitur ad Gal. V. Similiter etiam actus patientiae et fortitudinis non est meritorius nisi aliquis ex caritate haec operetur; secundum illud I ad Cor. XIII, si tradidero corpus meum ita ut ardeam, caritatem autem non habuero, nihil mihi prodest.

 

ST, II-II, q 44, a 1 - (La Charité)

La fin de la vie spirituelle, c'est que l'homme soit uni à Dieu, ce qui se fait par la charité, et à cela s'ordonne, comme à leur fin, tout ce qui appartient à la vie spirituelle.  Finis autem spiritualis vitae est ut homo uniatur Deo, quod fit per caritatem, et ad hoc ordinantur, sicut ad finem, omnia quae pertinent ad spiritualem vitam.

 

De perfectione spiritualis vitae, chap. V, 3

Dans cette béatitude céleste, l’intellect et la volonté de la créature rationnelle se portent vers Dieu en acte et constamment, puisque la béatitude consiste justement en cette fruitio de Dieu. Car la béatitude n'est pas dans une possession habituelle (in habitu), mais dans un acte (in actu). In illa enim caelesti beatitudine semper actualiter intellectus et voluntas creaturae rationalis in Deum fertur, cum in divina fruitione illa beatitudo consistat. Beatitudo autem non est in habitu, sed in actu.

 

De Virtutibus, q. 2, a. 3, ad. 12-13 - (En cette vie -- La volonté meut l'intellect, mais pas à se mouvoir vers telle chose en particulier, sinon après avoir connue cette chose)

12. L’intellect est, purement et simplement (simpliciter), avant la volonté, parce que le bien intellectuel est l’objet de la volonté. Mais cependant pour opérer et mettre en mouvement, la volonté est avant. Car l’intellect ne pense et ne meut que par une volonté qui s’y ajoute ; c'est pourquoi aussi la volonté meut l’intellect lui-même en tant qu’il est opératif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons. C'est pourquoi, comme croire est pensé par la volonté qui est mue (car nous croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en découle que la charité donne plus la forme à la foi qu’à l’inverse.

[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior voluntate, quia bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in operando et movendo prior est voluntas. Non enim intellectus intelligit et movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum intellectum movet voluntas, in quantum est operativus : utimur enim intellectu quando volumus. Unde, cum credere sit intellectus a voluntate moti (credimus enim aliquid quia volumus); sequitur quod magis caritas det formam fidei quam e converso.

13. L’acte de la volonté dépend de l’ordre de celui qui veut aller aux choses mêmes, en tant qu’elles sont en elles-mêmes. Mais l’acte de l’intellect dépend du fait que ce qui est pensé est en celui qui pense ;

  • c'est pourquoi quand les choses sont sous (infra) celui qui pense, leur conception est plus digne que la volonté ; parce qu’alors les choses sont dans l’intellect d’une manière plus haute qu’en elles-mêmes, puisque tout ce qui est dans un autre est en lui par le mode de celui en qui il est ;
  • mais quand les choses sont plus hautes (altiores) que celui qui pense, alors la volonté monte plus haut (altius ascendit) que ce que l’intellect pourrait atteindre.
  • Et de là vient que dans les [actes] moraux qui sont sous l’homme (quae sunt infra hominem), la vertu cognitive informe les vertus appétitives comme la prudence les autres vertus morales ;
  • mais dans les vertus théologales qui concernent Dieu (quae sunt circa Deum), la vertu de la volonté, à savoir la charité, met en forme la vertu de l’intellect, c'est-à-dire la foi.

[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem volentis ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum quod res intellectae sunt in intelligente :

  • unde quando res sunt infra intelligentem, intellectus illarum est dignior voluntate : quia tunc altiori modo sunt in intellectu res quam in seipsis, cum omne quod est in altero, sit in eo per modum eius in quo est;
  • sed quando res sunt altiores intelligente, tunc voluntas altius ascendit quam possit pertingere intellectus.
  • Et inde est quod in moralibus quae sunt infra hominem, virtus cognoscitiva informat virtutes appetitivas, sicut prudentia alias virtutes morales;
  • in virtutibus autem theologicis, quae sunt circa Deum, virtus voluntatis, scilicet caritas, informat virtutem intellectus scilicet fidem.

 

De Virtutibus, q. 2, a. 3, ad. 17

17. La mise en forme réception de la forme dans le domaine moral provient de sa fin. Or toutes les vertus sont ordonnées comme à leur fin ultime à la vision de Dieu, qui est la récompense totale, comme Augustin le dit, et qui succède à la foi. Donc toutes les autres vertus reçoivent une forme de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi soit la forme de la charité plus que le contraire. Arg. 17 Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes ordinantur, sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut Augustinus dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam recipiunt ex fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis quam e converso.
17. La vision même, en tant qu’elle est la fin comme un bien, est l’objet de la charité.

Ad 17. Dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut bonum quoddam, est obiectum caritatis.

Saint Augustin

Pour l'allusion de saint Thomas : "La contemplation, en effet, est la récompense de la foi -- Contemplatio quippe merces est fidei" (De Trinitate, I, 8, 17).

Pour la contemplation comme fin : "Car cette contemplation nous est promise comme la fin de toutes nos actions et la perfection éternelle des joies. -- Haec enim nobis contemplatio promittitur actionum omnium finis atque aeterna perfectio gaudiorum" (De Trinitate, I, 8, 17).

 

CG, III, 25, 2-3 - Perspective naturelle

2. En effet la fin ultime de toute chose est Dieu, comme on l'a montré [chap. 17]. Donc chaque chose vise comme une fin ultime la plus grande union (coniungi) à Dieu qui lui est possible. Or une chose est plus étroitement unie (coniungitur) à Dieu en atteignant en quelque manière sa substance même – ce qui arrive quand on connaît quelque chose de la substance divine – qu'en obtenant une ressemblance (similitudinem) avec lui. Donc la substance intellectuelle tend vers la connaissance de Dieu comme une fin ultime. 2. Ultimus enim finis cuiuslibet rei est Deus, ut ostensum est. Intendit igitur unumquodque sicut ultimo fini Deo coniungi quanto magis sibi possibile est. Vicinius autem coniungitur aliquid Deo per hoc quod ad ipsam substantiam eius aliquo modo pertingit, quod fit dum aliquid quis cognoscit de divina substantia, quam dum consequitur eius aliquam similitudinem. Substantia igitur intellectualis tendit in divinam cognitionem sicut in ultimum finem.
3. De même. L’opération propre d’une chose est sa fin : elle est en effet sa perfection seconde ; c’est pourquoi ce qui se rapporte correctement (bene) à son opération propre est dit vertueux et bon. Or, intelliger est l’opération propre de la substance intellectuelle. C’est donc sa fin. Donc ce qu’il y a de plus parfait dans cette opération, cela est la fin ultime – surtout dans les opérations qui ne sont pas orientées à des œuvres <extérieures>, comme penser et sentir. Or puisque ces opérations sont spécifiées par leurs objets, qui permettent aussi de les connaître, une opération comme celle-là doit être d’autant plus parfaite qu’est plus parfait son objet. C’est ainsi qu'intelliger l’intelligible le plus parfait, qui est Dieu, est ce qu’il y a de plus parfait dans ce genre d’opération qu’est intelliger. Connaître Dieu en l'intelligeant est donc la fin ultime de toute substance intellectuelle. Item. Propria operatio cuiuslibet rei est finis eius: est enim secunda perfectio ipsius; unde quod ad propriam operationem bene se habet, dicitur virtuosum et bonum. Intelligere autem est propria operatio substantiae intellectualis. Ipsa igitur est finis eius. Quod igitur est perfectissimum in hac operatione, hoc est ultimus finis: et praecipue in operationibus quae non ordinantur ad aliqua operata, sicut est intelligere et sentire. Cum autem huiusmodi operationes ex obiectis speciem recipiant, per quae etiam cognoscuntur, oportet quod tanto sit perfectior aliqua istarum operationum, quanto eius obiectum est perfectius. Et sic intelligere perfectissimum intelligibile, quod Deus est, est perfectissimum in genere huius operationis quae est intelligere. Cognoscere igitur Deum intelligendo est ultimus finis cuiuslibet intellectualis substantiae.

 

CG, III, 25, 8 - Perspective naturelle

8. De plus. Chaque chose tend comme à sa fin propre vers la ressemblance (similitudinem) divine. C’est donc ce qui fait le plus ressembler (assimilatur) une chose à Dieu qui est sa fin ultime. Or, ce par quoi une créature intellectuelle ressemble (assimilatur) le plus à Dieu, c’est qu’elle est intellectuelle : cette ressemblance (similitudinem), en effet, la distingue de toutes les autres créatures, et elle inclut toutes les autres. Or, dans le genre de cette ressemblance (similitudinem), elle ressemble (assimilatur) davantage à Dieu en tant qu’elle pense en acte, qu’en tant qu’elle a l’habitus ou la puissance de penser : car Dieu pense toujours en acte, comme on l’a montré au livre I [chap. 56]. Et quand elle pense en acte, elle ressemble (assimilatur) le plus à Dieu en pensant Dieu lui-même, car Dieu lui-même en se pensant pense tout le reste, comme il a été prouvé au livre I [chap. 49]. Penser Dieu est donc la fin ultime de toute substance intellectuelle.  8. Adhuc. Unumquodque tendit in divinam similitudinem sicut in proprium finem. Illud igitur per quod unumquodque maxime Deo assimilatur, est ultimus finis eius. Deo autem assimilatur maxime creatura intellectualis per hoc quod intellectualis est: hanc enim similitudinem habet prae ceteris creaturis, et haec includit omnes alias. In genere autem huius similitudinis magis assimilatur Deo secundum quod intelligit actu, quam secundum quod intelligit in habitu vel potentia: quia Deus semper actu intelligens est, ut in primo probatum est. Et in hoc quod intelligit actu, maxime assimilatur Deo secundum quod intelligit ipsum Deum: nam ipse Deus intelligendo se intelligit omnia alia, ut in primo probatum est. Intelligere igitur Deum est ultimus finis omnis intellectualis substantiae.

 

CG, III, 26, 4 - Perspective naturelle

4. Qui plus est. Chaque chose a la vérité de sa propre nature selon ce qui constitue sa substance : en effet, le vrai homme diffère de l'homme peint par ce qui constitue la substance de l'homme. Or la vraie béatitude ne diffère pas de la fausse selon l'acte de volonté, car la volonté se comporte de la même manière en tout désir, amour ou plaisir, quel que soit ce qui lui est proposé comme bien suprême, à tord ou à raison ; en revanche, que ce qui lui est proposé comme bien suprême soit vraiment tel ou non, cela fait une différence du point de vue de l'intellect. La béatitude ou bonheur consiste donc essentiellement dans l'intellect plus que dans un acte de volonté. 4. Amplius. Unumquodque secundum ea quae constituunt substantiam eius, habet naturae suae veritatem: differt enim verus homo a picto per ea quae substantiam hominis constituunt. Vera autem beatitudo non differt a falsa secundum actum voluntatis: nam eodem modo se habet voluntas in desiderando vel amando vel delectando, quicquid sit illud quod sibi proponitur ut summum bonum, sive vere sive falso; utrum autem vere sit summum bonum quod ut tale proponitur vel falso, hoc differt ex parte intellectus. Beatitudo igitur, sive felicitas, in intellectu essentialiter magis quam in actu voluntatis consistit.

 

CG, III, 26, 5 - Perspective naturelle

5. De même. Si un acte de volonté était le bonheur lui-même, cet acte serait ou de désirer, ou d’aimer, ou de se plaire.

  • Or il est impossible que désirer soit la fin ultime. Il y a en effet du désir en tant que la volonté tend vers quelque chose qu’elle ne possède pas encore, ce qui est contraire à la définition (ratio) de la fin ultime.
  • Aimer non plus ne peut être la fin ultime. Le bien est aimé, en effet, non seulement quand il est possédé, mais aussi quand il ne l’est pas, puisque c’est l’amour qui fait que l’on cherche par le désir ce que l’on ne possède pas ; et si l’amour de ce que l’on possède déjà est plus parfait, cela est causé de ce que l’on possède le bien aimé. Autre chose, donc, est la possession du bien qui est la fin, et autre chose l’amour de ce bien, amour qui est imparfait quand le bien n’est pas encore possédé, et parfait quand il est possédé.
  • Pareillement, le plaisir n’est pas non plus la fin ultime. C’est en effet la possession du bien qui est la cause du plaisir, soit que nous expérimentions le bien actuellement possédé, soit que nous nous rappelions le bien autrefois possédé, soit que nous espérions le bien que nous posséderons un jour. Le plaisir n’est donc pas la fin ultime.

Aucun acte de volonté ne peut donc être substantiellement le bonheur lui-même.

Item. Si aliquis actus voluntatis esset ipsa felicitas, hic actus esset aut desiderare, aut amare, aut delectari.

  • Impossibile est autem quod desiderare sit ultimus finis. Est enim desiderium secundum quod voluntas tendit in id quod nondum habet: hoc autem contrariatur rationi ultimi finis.
  • Amare etiam non potest esse ultimus finis. Amatur enim bonum non solum quando habetur, sed etiam quando non habetur, ex amore enim est quod non habitum desiderio quaeratur: et si amor iam habiti perfectior sit, hoc causatur ex hoc quod bonum amatum habetur. Aliud igitur est habere bonum quod est finis, quam amare, quod ante habere est imperfectum, post habere vero perfectum.
  • Similiter autem nec delectatio est ultimus finis. Ipsum enim habere bonum causa est delectationis: vel dum bonum nunc habitum sentimus; vel dum prius habitum memoramur; vel dum in futuro habendum speramus. Non est igitur delectatio ultimus finis.

Nullus ergo actus voluntatis potest esse substantialiter ipsa felicitas.

 

CG III, 50, 9

9. Cela montre en outre assez clairement que le bonheur ultime ne doit être cherché que dans l’opération de l’intellect, puisque nul désir ne porte si haut que le désir de penser la vérité.

En effet, tous nos désirs, 

  • soit de délectation,
  • soit de quelque autre chose qui est désirée par l’homme,

peuvent trouver leur repos dans d’autres choses ; mais ce désir-là ne se repose que s’il parvient à Dieu, soutien et producteur suprême des choses. C’est pourquoi la Sagesse dit à juste titre, dans l'Ecclésiastique, 24 [v. 7] : J’ai habité dans les lieux très hauts, et mon trône est dans une colonne de nuée. Et dans les Proverbes, 9 [v. 3] : La sagesse envoie ses servantes appeler à la forteresse. Qu’ils rougissent donc, ceux qui cherchent le bonheur de l’homme, établi si haut, dans les choses les plus inférieures.

In quo etiam satis apparet quod in nullo alio quaerenda est ultima felicitas quam in operatione intellectus: cum nullum desiderium tam in sublime ferat sicut desiderium intelligendae veritatis. Omnia namque nostra desideria

  • vel delectationis,
  • vel cuiuscumque alterius quod ab homine desideratur,

in aliis rebus quiescere possunt: desiderium autem praedictum non quiescit nisi ad summum rerum cardinem et factorem Deum pervenerit. Propter quod convenienter sapientia dicit, Eccli. 24:4: ego in altissimis habitavi, et thronus meus in columna nubis. Et Proverb. 9:3 dicitur quod sapientia per ancillas suas vocat ad arcem. Erubescant igitur qui felicitatem hominis, tam altissime sitam, in infimis rebus quaerunt.

Dès qu'on se met à désirer la vérité – bien de l'intelligence –, on ne peut se reposer que s'il on parvient à Dieu. Dans tout autre désir, on peut s'arrêter en chemin et se reposer en des biens relatifs. Les autres biens étant les biens du côté affectif. Objection : on peut aussi s'arrêter en chemin lorsqu'on atteint certaines vérités intermédiaires.

 

Un commentaire de Gemini

La "Récupération" de la Volonté et de l'Amour dans la Somme Théologique

Dans la Somme Théologique (notamment I-II, Question 3, Article 4, et Question 4, Articles 1-4), Saint Thomas clarifie le rôle de la volonté en distinguant ses fonctions par rapport à la béatitude :

1. La Volonté comme Condition Préalable : La Rectitude

Pour Thomas, l'acte principal de la béatitude est la vision de Dieu, mais cette vision ne peut être atteinte que si l'âme est en état de grâce, c'est-à-dire si elle possède la rectitude de la volonté (rectitudo voluntatis).

  • Rôle de l'Amour avant la Vision : C'est la Charité (l'amour surnaturel de Dieu) qui est l'acte principal de la volonté droite. Sans la Charité, l'homme ne peut mériter ni désirer effectivement la béatitude. La Charité purifie et ordonne l'âme.
  • ST, I-II, Q. 4, a. 4 : Thomas demande si la rectitude de la volonté est nécessaire pour la béatitude. Il répond qu'elle est nécessaire non comme une partie essentielle de l'acte (qui est l'intellect), mais comme une condition indispensable (conditio sine qua non) pour y parvenir.

2. La Volonté comme Conséquence Parfaite : La Jouissance

Une fois que l'intellect voit Dieu, la volonté entre en jeu pour consommer le bonheur, non plus dans l'acte de désirer (qui impliquerait un manque, exclu par CG III, 26, 5), mais dans l'acte de jouir ou de se délecter (fruitio ou gaudium).

  • La Délectation (Plaisir) : Le plaisir ou la joie n'est pas l'essence de la béatitude, mais son accident propre et consécutif (ST, I-II, Q. 3, a. 4). Il est impossible de voir le Bien Infini (Dieu) sans que la volonté y adhère parfaitement par la joie et l'amour.
  • L'Union Parfaite : Dans la béatitude, l'acte de l'intellect qui voit Dieu engendre simultanément et nécessairement l'acte de la volonté qui aime et jouit de ce qu'elle voit. La vision est l'acte par lequel nous possédons Dieu, et la joie est le repos parfait de la volonté dans cette possession.

En conclusion, en passant de la Contra Gentiles à la Somme Théologique, Thomas ne contredit pas son « intellectualisme » de base (l'essence du bonheur est la connaissance), mais il l'enrichit profondément par une perspective chrétienne qui met en lumière la Charité comme moyen nécessaire pour atteindre Dieu et la Joie comme la perfection consécutive de la volonté dans l'éternité. L'amour est ainsi récupéré et joue un rôle complet et irremplaçable dans le chemin et l'achèvement du salut.