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Thomas d'Aquin - I-II.q37a2 - La tristesse est un poids qui peut à ce point atterrer qu'elle peut aller jusqu'à l'inertie totale (stupidus)

  • La métaphore de la pesanteur qui immobilise le corps physique au sol

Les effets des passions de l’âme sont parfois nommées métaphoriquement, selon une similitude avec les corps sensibles, en cela que les mouvements de l’appétit animal sont similaires (similes) aux inclinations de l’appétit naturel [= celui existant même dans les objets physiques].

Et sur ce mode

  • la ferveur (fervor) est attribuée à l’amour,
  • la dilatation (dilatatio) au plaisir,
  • et l’appesentissement (aggravatio) à la tristesse.

On dit en effet qu’un homme est appesanti (aggravari) lorsqu’un poids empêche son mouvement propre.

[Avec le poids croissant de la tristesse, augmente l'impossibilité d'échapper à l'inertie]

Or il est manifeste, d’après ce qui a été dit précédement, que la tristesse arrive à partir d’un mal présent. Celui-ci, de ce fait même qu’il répugne au mouvement de la volonté, appesentit l'âme (aggravat animum), en tant qu'il l'empêche d'avoir la fruition (fruatur)[= jouir] de ce qu’elle veut.

S'il n'y a pas une telle force (vis) de tristesse qu'elle ôte l'espoir d'échapper (spem evadendi)

  • bien que l’âme soit appesentie par cela que, présentement, elle ne peut obtenir (potitur) ce qu’elle veut ;
  • il reste cependant un mouvement pour repousser la [chose] nocive qui l’attriste.

Mais si la force (vis) du mal super-accroît (superexcrescat) à un point tel qu'il exclut l'espoir d’y échapper (spem evasionis excludat),

  • alors, même le mouvement intérieur (interior motus) de l’âme angoissée (animi angustiatilitt. : rétrécie) est absolument empêché (simpliciter impeditur),
  • ainsi il ne peut se détourner ni d'un côté ni de l'autre.

Et parfois est empêché le mouvement extérieur du corps (exterior motus corporis), de telle sorte que l'homme reste figé en lui-même (stupidus in seipso).

(Somme, I-II.q37a2)

Effectus passionum animae quandoque metaphorice nominantur, secundum similitudinem sensibilium corporum, eo quod motus appetitus animalis sunt similes inclinationibus appetitus naturalis.

Et per hunc modum

  • fervor attribuitur amori,
  • dilatatio delectationi,
  • et aggravatio tristitiae.

Dicitur enim homo aggravari, ex eo quod aliquo pondere impeditur a proprio motu.

[ ]

Manifestum est autem ex praedictis quod tristitia contingit ex aliquo malo praesenti. Quod quidem, ex hoc ipso quod repugnat motui voluntatis, aggravat animum, inquantum impedit ipsum ne fruatur eo quod vult.

Et si quidem non sit tanta vis mali contristantis ut auferat spem evadendi,

  • licet animus aggravetur quantum ad hoc, quod in praesenti non potitur eo quod vult;
  • remanet tamen motus ad repellendum nocivum contristans.

Si vero superexcrescat vis mali intantum ut spem evasionis excludat,

  • tunc simpliciter impeditur etiam interior motus animi angustiati,
  • ut neque hac neque illac divertere valeat.

Et quandoque etiam impeditur exterior motus corporis, ita quod remaneat homo stupidus in seipso.

 


1. -- On notera l'extraordinaire précision de cette analyse qui n'a rien perdue de sa justesse, bien au contraire.

2. -- C'est ainsi que dans le langage courant on dit être atterré par telle nouvelle ou par telle situation, on est semblable à la pierre ramenée au sol.

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Thomas d'Aquin - I-II.q38a2 - Extérioriser le mal intérieur par les larmes adoucie la douleur

  • Comme si on la diffusait à l'extérieur

Les larmes et les gémissements atténuent naturellement la tristesse. Et cela pour une double raison.

  1. Premièrement, 
    • parce que tout élément nocif enfermé à l'intérieur (interius) afflige davantage (parce que davantage est démultipliée (magis multiplicatur) l’attention (intentio) de l’âme à propos de lui ) ;
    • mais quand à l'extérieur (exteriora) il est dispersé, alors l’attention (intentio) de l’âme se trouve en quelque sorte désagrégée (disgregatur) à l'extérieur et ainsi la douleur intérieure est diminuée.

Et pour cela, quand des hommes qui sont dans la tristesse,

    • manifestent leur tristesse à l'extérieur
        • ou par des pleurs
        • ou par des gémissements
        • ou même par des paroles,
  • [alors] la tristesse est atténuée.

  1. Deuxièmement...

(Somme, I-II.q38a2)

Lacrimae et gemitus naturaliter mitigant tristitiam. Et hoc duplici ratione.

  1. Primo quidem,
    • quia omne nocivum interius clausum magis affligit, quia magis multiplicatur intentio animae circa ipsum,
    • sed quando ad exteriora diffunditur, tunc animae intentio ad exteriora quodammodo disgregatur, et sic interior dolor minuitur.

Et propter hoc, quando homines qui sunt in tristitiis,

    • exterius suam tristitiam manifestant
        • vel fletu
        • aut gemitu,
        • vel etiam verbo,
  • mitigatur tristitia.

  1. Secundo,...

 1. -- mitigant : on a hésité avec adoucir et apaiser. Nousa vons finalement gardé la traduction d'origine : "atténuée". Le terme mitigo, en effet, implique un mélange, quelque chose dont on diminue la réalité en mélengeant avec autre chose. La douleur reste, mais son intensité est alors moindre.

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Thomas d'Aquin - III.q85a1ad3 - Vouloir l'impossible est stupide

Avoir la douleur de ce qui a d'abord été fait, avec l'intention de tenter que ce qui a été fait n'ait pas existé, serait sot.

Somme, III.q85a1ad3

Dolere de eo quod prius factum est cum hac intentione conandi ad hoc quod factum non fuerit, esset stultum.

 


1. -- Dolere : d'autres ont traduit par "Regretter".

2. -- Autrement dit, pour Thomas, vouloir l'impossible est stupide. Ce ne sera pas le cas pour Duns Scot qui cherchera à montrer, à l'occasion de propos sur la chute du diable, qu'il est possible de vouloir l'impossible ; et pour le diable, de vouloir être Dieu alors qu'il sait ne pas être Dieu et qu'il est impossible de le devenir.

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