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Thomas d'Aquin - DeVer.q16a2 - La syndérèse murmure contre le mal et incline au bien

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

... il faut qu’il y ait un principe permanent qui ait une rectitude immuable, par rapport auquel toutes les opérations humaines soient examinées, en sorte que ce principe permanent

  • résiste à tout mal
  • et donne son assentiment à tout bien.

Et ce principe est la syndérèse, dont l'office est

  • de murmurer contre le mal
  • et d’incliner au bien ;

voilà pourquoi nous accordons qu’il ne peut y avoir de péché en elle.

(DeVer.q16a2)

... oportet esse aliquod principium permanens, quod rectitudinem immutabilem habeat, ad quod omnia humana opera examinentur ; ita quod illud principium permanens

  • omni malo resistat,
  • et omni bono assentiat.

Et haec est synderesis, cuius officium est

  • remurmurare malo,
  • et inclinare ad bonum ;

et ideo concedimus quod in ea peccatum esse non potest.

 


1. -- Rare passage dans lequel Thomas use d'une expression métaphorique.

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Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad2 - L'homme qui agit par lui-même sans le conseil d'un autre atteint vraiment le bien vivre

Quand un homme opère le bien

  • non selon sa propre raison,
  • mais d'après la motion du conseil d'un autre, 

son opération n'est pas encore en tout parfaite,

  • quant à la raison qui dirige,
  • et quant à l'appétit qui meut.

D'où, si le bien est opéré, [= le bien est réellement fait, mais reste en partie extérieur]

  • ce n'est pas le bien simplement ; [= il reste encore une division, il faut que la personne accomplisse le bien entièrement d'elle-même sans que le conseil d'un autre soit nécessaire]
  • [car c'est opérer le bien simplement] qui est le bien vivre. [=bien vivre, ce sera alors savoir par soi-même et uniquement par soi-même quel bien il faut accomplir, alors l'acte sera simple et parfait]

(Somme, I-II.q57a5ad2)

 

Cum homo bonum operatur

  • non secundum propriam rationem,
  • sed motus ex consilio alterius;

nondum est omnino perfecta operatio ipsius,

  • quantum ad rationem dirigentem,
  • et quantum ad appetitum moventem.

Unde si bonum operetur,

  • non tamen simpliciter bene;
  • quod est bene vivere.

 


1. -- Le mot "parfaite" n'est pas à entendre ici comme quelque chose qui épuise totalement la capacité de bien opérer. On souligne simplement que agir par soi-même atteint une perfection que celui qui agit par un autre n'atteint pas.

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Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad3 - Le vrai de l'intellect pratique (conformité du contingent avec l'appétit droit)

Le vrai de l'intellect spéculatif (...).

Mais le vrai de l'intellect pratique se prend par conformité à l'appétit rendu droit.

  • [De sorte] qu'une telle conformité dans les [choses] nécessaires n'a pas lieu ici,
    • [une conformité à ces choses nécessaires] que la volonté humaine ne fait pas,
  • mais [elle a lieu] seulement dans les [choses] contingentes
    • qui peuvent être faites par nous [= que la volonté humaine peut faire]
      • ou qu'elles soient des actions intérieures (agibilia interiora)
      • ou qu'elles soient des choses fabricables extérieures (factibilia exteriora).

Et c'est pourquoi à propos des seules [choses] contingentes est posée une vertu de l'intellect pratique,

  • à propos des [choses] fabricables, l'art ; [dans le domaine du faire]
  • à propos des actions, la prudence. [dans le domaine éthique de l'agir]

(Somme, I-II.q57a5ad3)

Nam verum intellectus speculativi (...).

Verum autem intellectus practici accipitur per conformitatem ad appetitum rectum.

  • Quae quidem conformitas in necessariis locum non habet,
    • quae voluntate humana non fiunt,
  • sed solum in contingentibus
    • quae possunt a nobis fieri,
      • sive sint agibilia interiora, 
      • sive factibilia exteriora.

Et ideo circa sola contingentia ponitur virtus intellectus practici,

  • circa factibilia quidem, ars;
  • circa agibilia vero prudentia.

 


1. -- agibilia interiora : seule occurence de cette expresson chez TH., le mot interiora qualifie l'action de l'homme sur le plan éthique. Sur ce plan, la fin est le bien agir, et l'action n'est pas séparée de celui qui la pose (elle reste en ce sens intérieure) ; contrairement à l'oeuvre d'art, fin séparée de l'artiste qui la produit (l'oeuvre est alors manifestement extérieure). Le mot "intérieures" ne désigne pas ici l'intériorité spirituelle de l'homme. Voir I-II.q57a4 où cela est clairement dit.

2. -- appetitum rectum : rectum = participe passé passif, qui a été rectifié, rendu droit, "droitifié"

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Thomas d'Aquin - I.q62a8 - On ne veut et n'agit toujours qu'en vue du bien

 

Il est impossible que

  • quelqu'un veuille ou opère [= agisse] quoi que ce soit, si ce n'est pour tendre au bien ;
  • ou qu'il veuille se détourner du bien, en tant que tel (inquantum huiusmodi).

(Somme, I.q62a8)

Impossibile est autem

  • quod aliquis quidquam velit vel operetur, nisi attendens ad bonum;
  • vel quod velit divertere a bono, inquantum huiusmodi.

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q19a4 - L'amour ne se réalise pas sur un mode servile - COMM. PRESQ. VALIDé

La servitude s'oppose à la liberté. (...) L'esclave est [quelqu'un] qui n'est pas la cause de sa propre opération, mais [quelqu'un qui est] pour ainsi dire (quasi) mû par [quelquechose] d'extrinsèque. Or celui qui fait quelque chose à partir de l'amour, opère pour ainsi dire (quasi) à partir de lui-même, parce que à partir d'une inclination propre il est mû à l'opération.

C'est pourquoi il est contre la raison de servilité que quelqu'un opère à partir de l'amour.

(Somme, II-II.q19a4)

Servitus enim libertati opponitur. (...) Servus est qui non causa sui operatur, sed quasi ab extrinseco motus. Quicumque autem ex amore aliquid facit, quasi ex seipso operatur, quia ex propria inclinatione movetur ad operandum. 

Et ideo contra rationem servilitatis est quod aliquis ex amore operetur.

 


1. 

Ex seipso (à partir de lui-même) ne signifie pas que celui qui agit par amour agit complètement à partir de lui-même, mais seulement sous un certain point de vue, TH. ajoute d'ailleurs l'adverbe quasi, "pour ainsi dire, comme", parce que l'existence de l'amour suppose un amant et un aimé entre lesquels il y a convenance et coaptatio, l'un est apte à aimer telle chose et cette chose est apte à être aimée ; d'un côté le sujet est incliné naturellement vers tel bien, et de l'autre le bien a naturellement en lui-même une bonté propre capable de donner son objet à l'inclination du sujet. L'amour ne se fait pas ex nihilo à partir de soi-même. Pour qu'il y ait amour, il faut qu'il y ait deux réalités. De même que l'esclave est comme déterminé de l'extérieur, de même celui qui aime n'est que comme entièrement déterminé de l'intérieur. (Même dans le cas de l'amour naturel, celui qui n'a pas besoin de la connaissance d'un objet extérieur pour exister, TH. maintient qu'il y a convenance entre l'inclination naturelle de l'objet et l'intention du Créateur.) Il faut simplement rappeler ici que aimer, c'est aimer quelquechose (ou quelqu'un).

Ce que TH. souhaite souligner ici, c'est que l'homme fait sienne l'inclination, ce que l'animal ne peut faire. L'homme peut refuser le sens vers lequel une inclination le fait tendre.

Le fait qu'on aime un autre à partir d'une inclination faite sienne implique que l'on adhère à cet amour. C'est cette adhésion qui fait en sorte que nous n'aimons pas comme l'esclave obéit, c'est ce qui fait la liberté de notre amour.

2. -- Ce passage est bien éclairé par les différents types d'inclination mentionnés en DeVer.q22a4q22a4 lorsqu'est abordée l'inclination rationnelle.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a16 - Commander, c'est l'application d'une connaissance à l'appétit et à l'opération ...

  • ... et c'est l'acte principal de la prudence

(...)

La prudence ne consiste pas

  • dans la seule raison,
  • mais aussi dans l'appétit,

parce que, nous l'avons dit, son acte principal

  • est de commander,
  • ce qui revient à appliquer une connaissance à l'appétit et à l'opération.

(...)

(Somme, II-II.q47a16)

(...)

Sed prudentia non consistit

  • in sola cognitione,
  • sed etiam in appetitu,

quia ut dictum est, principalis eius actus

  • est praecipere,
  • quod est applicare cognitionem habitam ad appetendum et operandum.

(...)

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a16ad3 - On n'oublie la prudence qu'indirectement

La prudence consiste principalement

  • non dans la connaissance des [principes] universels
  • mais dans leur application aux actes, on vient de le dire.

Et c'est pourquoi l'oubli de la connaissance universelle

  • ne corrompt pas ce qu'il y a de principal dans la prudence,
  • mais lui porte quelque empêchement, on vient de le dire.

(Somme, II-II.q47a16ad3)

Prudentia principaliter consistit

  • non in cognitione universalium,
  • sed in applicatione ad opera, ut dictum est.

Et ideo oblivio universalis cognitionis

  • non corrumpit id quod est principale in prudentia,
  • sed aliquid impedimentum ei affert, ut dictum est.

 


1.

Objection :les premiers principes pratiques s'imposent à nous, comment pourraient-ils s'oublier ?

Essai de réponse : Ce ne sont pas les premiers principes que nous oublions mais la science acquise à partir d'eux. Aussi bien le traducteur qui s'est permis d'ajouter le terme "principes" semble conduire à une incompréhension. Dans le corps de l'article, TH. parle explicitement de l'oubli d'un art ou d'une science, ce qui amène à penser qu'il aurait mieux valu ajouter, s'il fallait ajouter, le terme "conclusions" plutôt que le terme "principes". -- Pour ce qui concerne la prudence, on aurait ici l'oubli de la pratique du conseil. Si l'habitus de conseil est perdu, la prudence sera empêchée dans son acte principal de commandement et d'application.

Voir : 

L’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis)(DeVer.q24a1ad17)

 

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Thomas d'Aquin - On entend par mouvement sensuel l'opération de la puissance appétitive - I.q81a1 et I.q81a2

  • La sensualité n'est pas directement morale mais dit simplement l'appétit sensitif en général

AVERTISSEMENT : Nous nous permettons ici ce que nous ne pourrions nous permettre dans une traduction grand public : "sensualitas" est ici traduit littéralement "sensualité". Ce terme n'est pas à comprendre dans son sens moral actuel mais dans un sens neutre plus proche du terme "sensibilité" dans son versant affectif (par distinction de son versant cognitif). Une bonne traduction pourrait être "affectivité sensible"1.

---

Le mouvement sensuel (sensualis) est un appétit consécutif à une appréhension sensible (sensitivam)

Car

  • l'acte de la puissance appréhensive n'est pas aussi proprement dit un mouvement,
  • comme [peut l'être] l'action de l'appétit, 

car

  • l'opération de la puissance appréhensive est perfectionnée en cela que les choses appréhendées sont dans celui qui appréhende,
  • tandis que l’opération de la puissance appétitive est perfectionnée en ce que l’être qui appète [= désire] est incliné dans la chose appétible [= désirable]2.

Et c’est pourquoi

  • l’opération de la puissance appréhensive est assimilée au repos,
  • tandis l’opération de la puissance appétitive est davantage assimilée au mouvement.

Aussi par mouvement sensuel (sensualem) est intelligé [= est entendu] l’opération de la puissance appétitive. Ainsi la sensualité est le nom de l'appétit sensitif.

(Somme, I.q81a1)

Motus autem sensualis est appetitus apprehensionem sensitivam consequens.

  • Actus enim apprehensivae virtutis non ita proprie dicitur motus, 
  • sicut actio appetitus,
  • nam operatio virtutis apprehensivae perficitur in hoc, quod res apprehensae sunt in apprehendente;
  • operatio autem virtutis appetitivae perficitur in hoc, quod appetens inclinatur in rem appetibilem.

Et ideo

  • operatio apprehensivae virtutis assimilatur quieti,
  • operatio autem virtutis appetitivae magis assimilatur motui.

Unde per sensualem motum intelligitur operatio appetitivae virtutis. Et sic sensualitas est nomen appetitus sensitivi.

 *     *     *

L’appétit sensitif est une faculté qu’on appelle en général sensualité, mais il se divise en deux puissances qui sont ses espèces : l’irascible et le concupiscible.

(Somme, I.q81a2)

Appetitus sensitivus est una vis in genere, quae sensualitas dicitur; sed dividitur in duas potentias, quae sunt species appetitus sensitivi, scilicet in irascibilem et concupiscibilem.

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1. Voir la note de F.-X. Putallaz :

Le mot « sensualitas » est d’ordinaire traduit par « sensibilité ». Mais ce dernier terme recouvre à la fois les facultés cognitives et les facultés appétitives ; or il s’agit ici seulement des deux facultés appétitives d’ordre sensible ; le terme « sensibilité » est donc trop large. En conservant le mot proche du latin « sensualité », on tombe dans le travers inverse, en raison de sa connotation de désir qu’il comporte, et même de désir imprégné de sexualité ; le terme est donc trop étroit. Je propose « affectivité sensible », au sens de la tendance qui porte l’appétit vers les réalités corporelles, afin de les atteindre, de les fuir ou de les combattre. Cette « affectivité sensible » est le siège des « sentiments », des émotions et des passions. Elle a un rôle vital.

in : Thomas d'Aquin, L'âme humaine, Cerf, 2018, p. 547.

2. Thomas préfère réserver le terme désir à l'appétit volontaire. Le terme appétit est plus générique, il peut refléter une tendance vers un bien sensible (concupiscence) comme spirituel (désir).

3. On comprend ici ce que Thomas dira plus loin, la sensualité (c'est à dire l'appétit sensitif, c'est à dire les passions) n'est pas en lui-même moral, cf. I-II.q24a1 : les passions en elles-mêmes ne sont pas morales.

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