L'acte bon et l'acte mauvais sont par leur genre des opposés qui ont un intermédiaire, et il existe un acte qui, considéré selon une espèce, est indifférent ; mais le bien et le mal qui viennent des circonstances sont sans intermédiaire, parce qu'ils se distinguent selon une opposition d'affirmation et de négation, c'est-à-dire le fait d'être ou de ne pas être comme il faut selon toutes les circonstances.
Or ce bien et ce mal sont le propre de l'acte particulier, et c'est pourquoi aucun acte humain particulier n'est indifférent (nullus actus humanus singularis, est indifferens). Et je dis un acte humain celui qui est issu d'une volonté délibérée(dico actum humanum qui est a voluntate deliberata), car si on prend un acte sans délibération procédant de la seule imagination, comme se frotter la barbe ou quelque chose du même genre, cet acte-là est en dehors du genre moral (extra genus moris) ; aussi ne participe t-il pas à la bonté ou à la malice morale.
(DeMalo.q10a5)
Sic ergo bonus actus et malus actus ex genere sunt opposita mediata; et est aliquis actus qui in specie consideratus est indifferens. Bonum autem et malum ex circumstantia sunt immediata, qui distinguuntur secundum oppositionem affirmationis et negationis, scilicet per hoc quod est secundum quod oportet et non secundum quod oportet secundum omnes circumstantias.
Hoc autem bonum et malum est proprium actus singularis; et ideo nullus actus humanus singularis, est indifferens; et dico actum humanum qui est a voluntate deliberata. Si enim sit aliquis actus sine deliberatione procedens ex sola imaginatione, sicut confricatio barbae, aut aliquid huiusmodi, huiusmodi actus est extra genus moris; unde non participat bonitatem vel malitiam moralem.
et c'est pourquoi tout acte de cette sorte est un péché par son genre, ainsi
haïr le bien, le repousser et s'en attrister,
parce que dans l'intelligence, c'est aussi un vice de nier le vrai.
Il ne suffit cependant pas, pour qu'un acte soit bon,
qu'il implique la poursuite du bien ou la fuite du mal,
si ce n'est la poursuite du bien convenable, et la fuite du mal qui lui est opposé :
pour le bien, dont la perfection tient à la plénitude et à l'intégrité de la chose, sont requis plus d'éléments que pour le mal, qui résulte de chaque déficience singulière, comme le dit Denys dans Les Noms Divins (IV, 30).
Or l'envie implique une tristesse qui vient du bien ; aussi est-il patent qu'elle est de par son genre un péché.
(DeMalo.q10a1)
Omnis actus
ad fugam pertinens
cuius obiectum est bonum,
est non conveniens
suae materiae
vel obiecto;
omnis talis actus ex suo genere est peccatum; sicut
odire bonum et abominari bonum et de ipso tristari;
quia etiam in intellectu vitium est negare verum.
Non tamen sufficit ad hoc quod actus sit bonus,
quod importet prosecutionem boni vel fugam mali
nisi sit prosecutio boni convenientis, et fuga mali quod ei opponitur;
quia plura requiruntur ad bonum, quod perficitur ex tota et integra causa, quam ad malum, quod relinquitur ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit V cap. de Divin. nominibus;
invidia autem importat tristitiam ex bono. Unde patet quod ex suo genere est peccatum.
De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !
... il faut qu’il y ait un principe permanent qui ait une rectitude immuable, par rapport auquel toutes les opérations humaines soient examinées, en sorte que ce principe permanent
résiste à tout mal
et donne son assentiment à tout bien.
Et ce principe est la syndérèse, dont l'office est
de murmurer contre le mal
et d’incliner au bien ;
voilà pourquoi nous accordons qu’il ne peut y avoir de péché en elle.
(DeVer.q16a2)
... oportet esse aliquod principium permanens, quod rectitudinem immutabilem habeat, ad quod omnia humana opera examinentur ; ita quod illud principium permanens
omni malo resistat,
et omni bono assentiat.
Et haec est synderesis, cuius officium est
remurmurare malo,
et inclinare ad bonum ;
et ideo concedimus quod in ea peccatum esse non potest.
1. -- Rare passage dans lequel Thomas use d'une expression métaphorique.
Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait.
(DeVer.q24a10ad11)
Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.
Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".
A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.
La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement(specie) comme un bien.
Qu'un homme, en l'état de voie [= en ce monde terrestre], ne peut être si obstiné dans le mal qu’il ne puisse coopérer à sa libération, la raison en est patente d'après ce qui a été dit : parce que,
et une passion [peut être] dissoute ou réprimée,
et l’habitus ne corrompt pas totalement l’âme,
et la raison n’adhère pas au faux avec une opiniâtreté telle qu’elle ne puisse en être détournée par une raison contraire.
(DeVer.q24a11)
Quod aliquis homo in statu viae non possit esse ita obstinatus in malo quin ad suam liberationem cooperari possit, ratio patet ex dictis : quia
et passio solvitur et reprimitur,
et habitus non totaliter animam corrumpit,
et ratio non ita pertinaciter falso adhaeret quin per contrariam rationem possit abduci.
1. -- Dans la dernière ligne, le mot raison ne signifie pas la même chose dans les deux cas.
Ce que nous avons dit des actes, il semble qu'on pourrait le dire des passions, en cela que l'espèce des actes ou des passions peut être considérée de deux manières. (...)
Dicendum quod sicut de actibus dictum est, ita et de passionibus dicendum videtur, quod scilicet species actus vel passionis dupliciter considerari potest.
D'une premier manière, (...)
Uno modo (...)
D'une autre manière elles relèvent du genre moral, c'est-à-dire qu'elles participent à quelque chose du volontaire et du jugement de la raison. Et selon cette manière, le bien et le mal moral peuvent peuvent concerner l'espèce de la passion, en cela que quelque chose de l'objet de la passion, de soi1,
convient (conveniens) à la raison
ou dissone (dissonum) avec la raison ;
on le voit clairement pour la honte, qui est la crainte d'une chose laide, et pour l'envie, qui est la tristesse du bien d'autrui.
C'est en ce sens que le bien et le mal moral sont en relation avec l'espèce des actes extérieurs.
(I-II.q24a4)
Alio modo, secundum quod pertinent ad genus moris, prout scilicet participant aliquid de voluntario et de iudicio rationis. Et hoc modo bonum et malum morale possunt pertinere ad speciem passionis, secundum quod accipitur ut obiectum passionis aliquid de se
conveniens rationi,
vel dissonum a ratione,
sicut patet de verecundia, quae est timor turpis; et de invidia, quae est tristitia de bono alterius.
Sic enim pertinent ad speciem exterioris actus.
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1. de se : manquant dans les traductions françaises !!!
Inhaesio : traduit tantôt par "existence mutuelle en autrui", tantôt par "inhabitation" ; il s'agit à la fois d'une présence de l'être aimé en soi et d'une présence de soi dans l'être aimé. On a pris le parti de le traduire ici par inhésion, mot maintenant inusité mais fidèle au texte. Voir ici et ici. Pas de solution idéale.
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L'inhésion mutuelle est-elle un effet de l'amour ?
Cet effet d'inhésion mutuelle, peut être compris (intelligi) quant à la puissance appréhensive et quant à la puissance appétitive.
[Quant à de la puissance appétitive]
En effet, quant à de la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il demeure (immoratur) dans l'appréhension de l'aimant ; selon ces mots de l'Apôtre (Ph 1, 17) : " je vous porte dans mon coeur."
[Quant à de la puissance appréhensive (la connaissance)]
Mais l'aimant est dit dans l'aimé selo l'appréhension en tant qu'il
ne se satisfait pas d'une connaissance superficielle de l'aimé
mais s'efforce
d’examiner en profondeur chaque aspect qui concerne l’aimé,
et ainsi il pénètre à l’intérieur de celui-ci.
C'est le sens de ces mots appliqués à l'Esprit Saint, qui est l'Amour de Dieu: "Il scrute même les profondeurs de Dieu" (1 Co 2, 10).
* * *
Utrum mutua inhaesio sit effectus amoris ?
Iste effectus mutuae inhaesionis potest intelligi et quantum ad vim apprehensivam, et quantum ad vim appetitivam.
[]
Nam quantum ad vim apprehensivam amatum dicitur esse in amante, inquantum amatum immoratur in apprehensione amantis; secundum illud Philipp. I, eo quod habeam vos in corde.
[]
Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans
non est contentus superficiali apprehensione amati,
sed nititur
singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere,
et sic ad interiora eius ingreditur.
Sicut de spiritu sancto, qui est amor Dei, dicitur, I ad Cor. II, quod scrutatur etiam profunda Dei.
* * *
[1. L'aimé est dans l'aimant]
Mais quant à la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il est par une certaine complaisance dans son affect [~ son coeur],
si bien qu'il se délecte de l'aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ;
s'ils sont absents, son désir se porte
vers l'aimé lui-même par l'amour de concupiscence,
ou vers les biens qu'il lui veut par l'amour d'amitié.
Et
ce n'est pas en raison de quelque cause d'extrinsèque, comme
lorsqu'on désire une chose à cause d'une autre,
ou que l'on veut du bien à quelqu'un en vue d'autre chose,
mais à cause de la complaisance pour l'aimé la plus intérieurement enracinée (interius radicatam). C'est pour cela que l'amour est dit ce qui est le plus au-dedans (intimus) et que l'on parle des "entrailles de la charité".
* * *
Sed quantum ad vim appetitivam, amatum dicitur esse in amante, prout est per quandam complacentiam in eius affectu,
ut vel delectetur in eo, aut in bonis eius, apud praesentiam;
vel in absentia, per desiderium tendat
in ipsum amatum per amorem concupiscentiae;
vel in bona quae vult amato, per amorem amicitiae;
non quidem ex aliqua extrinseca causa, sicut
cum aliquis desiderat aliquid propter alterum,
vel cum aliquis vult bonum alteri propter aliquid aliud;
sed propter complacentiam amati interius radicatam. Unde et amor dicitur intimus; et dicuntur viscera caritatis.
* * *
[2. L'aimant est dans l'aimé]
Réciproquement, l'aimant est dans l'aimé, mais différemment selon qu'il y a amour de concupiscence ou amour d'amitié.
En effet, l'amour de concupiscence
ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l'aimé,
mais cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime.
Dans l'amour d'amitié, au contraire, l'aimant est dans l'aimé en ce sens qu'il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de sorte que lui-même, en son ami, semble
pâtir les biens et les maux
et être affecté des biens et des maux.
C'est pour cela que, d'après Aristote, il est propre aux amis
de "vouloir les mêmes choses,
et de s'attrister et de se réjouir dans les mêmes choses".
*
E converso autem amans est in amato aliter quidem per amorem concupiscentiae, aliter per amorem amicitiae.
Amor namque concupiscentiae
non requiescit in quacumque extrinseca aut superficiali adeptione vel fruitione amati,
sed quaerit amatum perfecte habere, quasi ad intima illius perveniens.
In amore vero amicitiae, amans est in amato, inquantum reputat bona vel mala amici sicut sua, et voluntatem amici sicut suam, ut quasi ipse in suo amico videatur
bona vel mala pati,
et affici.
Et propter hoc, proprium est amicorum
eadem velle,
et in eodem tristari et gaudere
secundum philosophum, in IX Ethic. et in II Rhetoric.
*
Ainsi donc,
en tant qu'il considère comme sien ce qui est à son ami, l'aimant semble exister en celui qu'il aime et être comme identifié à lui.
Au contraire, en tant qu'il veut et agit pour son ami comme (sicut) pour soi-même, le considérant comme (quasi) un (idem) avec soi, c'est l'aimé qui est dans l'aimant.
* * *
Ut sic,
inquantum quae sunt amici aestimat sua, amans videatur esse in amato, quasi idem factus amato.
Inquantum autem e converso vult et agit propter amicum sicut propter seipsum, quasi reputans amicum idem sibi, sic amatum est in amante.
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[3ème manière]
Il y a une troisième manière d'entendre cette mutuelle inhésion par l'amour d'amitié, c'est celle de l'amour qui répond à l'amour, en tant que
mutuellement les amis s'aiment (mutuo),
et l'un à l'autre (invicem)
se veulent (volunt) de bonnes choses
et font (operantur) de bonnes choses.
(Somme, I-II.q28a2)
Potest autem et tertio modo mutua inhaesio intelligi in amore amicitiae, secundum viam redamationis, inquantum
1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").
2. Complacentiam : de complaceo, "plaire en même temps, concurremment" (Gaffiot). Que signififie le préfixe "com" dans le mot complaisance ? A quoi se rapporte le "en-même temps" ? Pourquoi dit-on se complaire dans l'ami en tant qu'il affecte notre appétit plutôt que se plaire en l'ami en tant qu'il affecte notre appétit ? Se complaire en quelque chose, se plaire en quelque chose, quelle différence ?
"Le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante (vim cognoscitivam) ;
le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter) ;
et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension"
Premier élément de réponse : on doit pouvoir dire que l'amour affectif est source de complaisance alors que l'amour effectif est source de plaisir/joie. La complaisance serait alors le plaisir intentionnel, la chose nous a affecté et nous aimons ce en quoi elle nous affecte et cela à pour effet une complaisance. Nous aimons la chose ou la personne aimée en tant qu'elle réside en nous, en tant qu'elle a donné lieu à une modification (affect-ion) en nous, et nous aimons cette modification. La chose a fait quelque chose en nous (adficio --> ad-facio, d'où vient le mot affection). Cette chose qui s'est faite en nous, l'affect, est liée à la chose qui affecte, le lien n'est pas rompu, mais l'affect est dans le ressenti de la chose aimée.
C'est pour cette raison que la complaisance, dans la signification dans laquelle elle nous est parvenue, comporte un aspect péjoratif en cela qu'elle porte en elle une possibilité d'en rester à ce "ressenti" en relativisant la chose qui est à la source de ce sentir intérieur. C'est pourquoi un véritable amour n'en reste pas au stade affectif mais naturellement se porte par le désir au bien réel, à la chose aimée en tant qu'elle existe indépendamment de moi et que je veux rejoindre réellement.
Et lorsque la chose aimée ou la personne aimée est aimée dans sa réalité, alors il y a plaisir/joie. On ajoute alors à l'unité intérieure dans laquelle l'aimé est en soi, une unité qui découle d'une sortie de nous-même pour demeurer en l'autre, l'autre réel. L'autre réel continuant de nous toucher intérieurement, mais en raison même de ce toucher intérieur nous projette vers lui pour y demeurer, d'où le mot d'Aristote rapporté par Thomas : l'amour est circulaire. L'analyse de Thomas est d'un très grand réalisme, car c'est en effet de cette manière que nous expérimentons et que nous vivons l'amour.
La complaisance a une cause immédiate intérieure ; le plaisir/joie a une cause extérieure ; les deux se vivant de fait de manière mêlée, à cause du cercle.
°°° ~ ~ La chose belle en tant qu'elle est belle plaît car elle reste extérieure du fait que la connaissance nécessite la présence de la chose connue. ~ ~
La métaphore de la pesanteur qui immobilise le corps physique au sol
Les effets des passions de l’âme sont parfois nommées métaphoriquement, selon une similitude avec les corps sensibles, en cela que les mouvements de l’appétit animal sont similaires (similes) aux inclinations de l’appétit naturel [= celui existant même dans les objets physiques].
Et sur ce mode
la ferveur (fervor) est attribuée à l’amour,
la dilatation (dilatatio) au plaisir,
et l’appesentissement (aggravatio) à la tristesse.
On dit en effet qu’un homme est appesanti (aggravari) lorsqu’un poids empêche son mouvement propre.
[Avec le poids croissant de la tristesse, augmente l'impossibilité d'échapper à l'inertie]
Or il est manifeste, d’après ce qui a été dit précédement, que la tristesse arrive à partir d’un mal présent. Celui-ci, de ce fait même qu’il répugne au mouvement de la volonté, appesentit l'âme (aggravat animum), en tant qu'il l'empêche d'avoir la fruition (fruatur)[= jouir] de ce qu’elle veut.
S'il n'y a pas une telle force (vis) de tristesse qu'elle ôte l'espoir d'échapper (spem evadendi),
bien que l’âme soit appesentie par cela que, présentement, elle ne peut obtenir (potitur) ce qu’elle veut ;
il reste cependant un mouvement pour repousser la [chose] nocive qui l’attriste.
Mais si la force (vis) du mal super-accroît (superexcrescat) à un point tel qu'il exclut l'espoir d’y échapper (spem evasionis excludat),
alors, même le mouvement intérieur (interior motus) de l’âme angoissée (animi angustiati, litt. : rétrécie) est absolument empêché (simpliciter impeditur),
ainsi il ne peut se détourner ni d'un côté ni de l'autre.
Et parfois est empêché le mouvement extérieur du corps (exterior motus corporis), de telle sorte que l'homme reste figé en lui-même (stupidus in seipso).
(Somme, I-II.q37a2)
Effectus passionum animae quandoque metaphorice nominantur, secundum similitudinem sensibilium corporum, eo quod motus appetitus animalis sunt similes inclinationibus appetitus naturalis.
Et per hunc modum
fervor attribuitur amori,
dilatatio delectationi,
et aggravatio tristitiae.
Dicitur enim homo aggravari, ex eo quod aliquo pondere impeditur a proprio motu.
[ ]
Manifestum est autem ex praedictis quod tristitia contingit ex aliquo malo praesenti. Quod quidem, ex hoc ipso quod repugnat motui voluntatis, aggravat animum, inquantum impedit ipsum ne fruatur eo quod vult.
Et si quidem non sit tanta vis mali contristantis ut auferat spem evadendi,
licet animus aggravetur quantum ad hoc, quod in praesenti non potitur eo quod vult;
remanet tamen motus ad repellendum nocivum contristans.
Si vero superexcrescat vis mali intantum ut spem evasionis excludat,
tunc simpliciter impeditur etiam interior motus animi angustiati,
ut neque hac neque illac divertere valeat.
Et quandoque etiam impeditur exterior motus corporis, ita quod remaneat homo stupidus in seipso.
1. -- On notera l'extraordinaire précision de cette analyse qui n'a rien perdue de sa justesse, bien au contraire.
2. -- C'est ainsi que dans le langage courant on dit être atterré par telle nouvelle ou par telle situation, on est semblable à la pierre ramenée au sol.
La crainte ajoute à la fuite (...) une certaine dépression de l'âme à cause d'un mal difficile [à repousser].
(Somme, Ia-IIae, q. 25, a. 1, c.)
Timor addit supra fugam (...), quandam depressionem animi, propter difficultatem mali.
Chez Thomas le mal suscite en nous une passion de haine (ne pas aimer), nous n'aimons pas le mal. En conséquence nous fuyons le mal (la fuite étant une autre passion). Si le mal ne peut être évité, nous le subissons et en ressentons douleur ou tristesse.
Qu'en est-il de la peur ? La peur se greffe sur la fuite du mal lorsque cette fuite se révèle difficile et qu'elle pourrait ne pas aboutir de sorte que le mal finisse par nous atteindre. L'effet de la peur, ici, est de ralentir la fuite, voire même de la rendre impossible tant le mal nous paraît grand, indiscernable, difficile à éviter.
Au contraire, elle peut aussi nous amener à être happé dans la fuite, dans un mouvement irrépressible.
C'est ainsi que Thomas utilise le mot dépression qui signifie en latin un mouvement de pression du haut vers le bas, le fait de rabaisser quelqu'un et, plus généralement, tout mouvement d'abaissement. On retrouve aujourd'hui encore cet usage lorsqu'on parle de la dépression d'un terrain pour désigner un endroit enfoncé. De même en météorologie.
L'image fonctionne alors ainsi : ou bien nous restons piégés dans cet enfoncement, ou bien nous dévalons la pente d'autant plus vite que la pente est raide.
Nous sommes sans doute ici face à l'un des premiers usages du mot pour qualifier la vie sensible de l'âme, lorsqu'elle est prise par un mouvement de descente face à un mal.
et il se rapporte au mal sur le mode du défaut et hors de la nature
Le libre arbitre ne se rapporte pas au bien et au mal de la même manière,
car il se rapporte au bien
par lui-même
et naturellement ;
mais il se rapporte au mal
sur le mode du défaut
et hors de la nature.
Mais comme le dit le Philosophe, dans De Caelo II, 3, ce qui est au-delà de la nature est postérieur à ce qui est selon la nature, parce que ce qui est au-delà de la nature est une sorte de coupure (excisio) de ce qui est selon la nature.
Et donc le libre arbitre d'une créature au premier instant de sa création
peut être mû vers le bien en méritant,
mais non vers le mal en péchant,
du moins si la nature est encore intacte.
(Somme, III.q14a1ad2)
Liberum arbitrium non eodem modo se habet ad bonum et ad malum,
nam ad bonum se habet
per se
et naturaliter;
ad malum autem se habet
per modum defectus,
et praeter naturam.
Sicut autem philosophus dicit, in II de caelo, posterius est quod est praeter naturam, eo quod est secundum naturam, quia id quod est praeter naturam, est quaedam excisio ab eo quod est secundum naturam.
Et ideo liberum arbitrium creaturae in primo instanti creationis
"D'autre part ce qui est contre la nature est postérieur à ce qui est selon la nature et ce qui est contre nature dans la génération est une sorte de déviation au regard de ce qui est selon la nature."