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Jean-Pierre Torrell / James-Athanasius Weisheipl - La plupart des écrits de Thomas est due à sa charité fraternelle

 James Athanasius Weisheipl

Bien des écrits de Thomas, et peut-être la plupart, sont dûs (...) à sa charité fraternelle et à son zèle apostolique pour le bien des autres.  (Frère Thomas d'Aquin, James Athanasius Weisheipl, p. 95, 1/2/-3)

La plupart des écrits de Thomas ont été des réponses à des besoins ou à des demandes d'autrui. L'ensemble de son oeuvre devrait sans doute être vu comme un service apostolique répondant aux exigences intellectuelles de l'Eglise et des hommes cherchant la vérité. (id. p. 164 / 1)

Jean-Pierre Torrell

Malgré un lourd travail d’enseignant et d’auteur, Thomas ne s’est jamais dérobé à ces devoirs de charité intellectuelle et c’est là un des éléments de sa sainteté. Pour qui chercherait les moyens qu’il a pu mettre en œuvre pour y parvenir, le secret ne s’en trouve pas dans des austérités ou des dévotions particulières, extérieures à son existence d’intellectuel, mais bien dans le concret de son exercice. (Initiation, Jean-Pierre Torrell, 2015, p. 80)

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Thomas d'Aquin - La dissonance est cause de la haine, la convenance est cause de l'amour

Le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier.

Quant à l'être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c'est la dissonance qui est cause de la haine tandis que la convenance est cause de l'amour ; et, d'autre part, l'être et le vrai sont communs à toutes choses. 

Mais, en particulier, rien n'empêche qu'on haïsse tel être ou certaine vérité...

(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 5, c.)

Bonum, sub ratione boni, non potest odio haberi, nec in universali nec in particulari.

Ens autem et verum in universali quidem odio haberi non possunt, quia dissonantia est causa odii, et convenientia causa amoris; ens autem et verum sunt communia omnibus. 

Sed in particulari nihil prohibet quoddam ens et quoddam verum odio haberi...

 

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Thomas d'Aquin - Consonnance - Convenance - Amour / Dissonance - Répugnance - Haine

Dans l'appétit naturel ceci apparaît manifeste :

  • de même que tout être possède une consonance naturelle ou aptitude avec ce qui lui convient (ce qui est l'amour naturel),
  • de même, à l'égard de ce qui lui répugne et le corrompt, tout être possède une dissonance naturelle, qui est la haine naturelle. 

 

In appetitu autem naturali hoc manifeste apparet, quod

  • sicut unumquodque habet naturalem consonantiam vel aptitudinem ad id quod sibi convenit, quae est amor naturalis;
  • ita ad id quod est ei repugnans et corruptivum, habet dissonantiam naturalem, quae est odium naturale.

De même, il apparaît [manifeste que], dans l'appétit animal ou dans l'appétit intellectuel,

  • l'amour est une consonance de l'appétit avec ce qui est appréhendé comme lui convenant ;
  • la haine, au contraire, est une sorte de dissonance de l'appétit à ce qui est appréhendé comme répugnant [= repoussant] et nuisible.

Sic igitur et in appetitu animali, seu in intellectivo,

  • amor est consonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut conveniens,
  • odium vero est dissonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut repugnans et nocivum.

 

  • Or tout ce qui convient, en tant que tel, a raison de bien ;
  • pareillement, tout ce qui répugne, en tant que tel, a raison de mal.

Par conséquent, de même que le bien est l'objet de l'amour, ainsi le mal est-il l'objet de la haine. (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 1, c.)

  • Sicut autem omne conveniens, inquantum huiusmodi, habet rationem boni; 
  • ita omne repugnans, inquantum huiusmodi, habet rationem mali.

Et ideo, sicut bonum est obiectum amoris, ita malum est obiectum odii.

Notes :

1. Au Moyen-Âge, lorsqu'on dit que quelque chose est perçu sous la raison de bien ne signifie que ce quelque chose soit un bien, mais seulement qu'il est considéré sous cet aspect. 

2. Certains mots se comprennent mieux considérés en regard avec leur opposé : convenance / répugnance, consonnance / dissonance,...

Commentaire :

Thomas analyse ce qui se passe manifestement du point de vue de l'amour naturel, dans toute réalité confondue (la pierre, l'animal, etc.), puis ce qui se passe manifestement du côté de l'amour impliquant une connaissance, appréhension (monde sensible de l'animal, monde spirituel de l'être spirituel).

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Thomas d'Aquin - Quand l'excellence des autres est perçue comme un obstacle à sa propre excellence ! - I-II28a4

L'amour, et ici l'amour de convoitise se porte contre tout obstacle l'empêchant de profiter de ce qu'on aime. L'exemple de la concurrence entre gens amateurs d'excellence est particulièrement savoureuse.

Ceux qui recherchent l'excellence s'élèvent contre ceux qui semblent exceller, comme s'ils entravaient leur excellence. (Somme, I-II28a4)

Similiter etiam qui quaerunt excellentiam, moventur contra eos qui excellere videntur, quasi impedientes excellentiam eorum.

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Voir dans la réponse 2 aux objections dans lequel TH. mentionne le zèle envieux de l'excellence des autres.

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Thomas d'Aquin - Quatre effets immédiats de la passion amour - I-II.q28a5ad1

On peut attribuer à l'amour quatre effets immédiats (proximi), à savoir la liquéfaction, la jouissance, la langueur et la ferveur. Amori attribui possunt quatuor effectus proximi, scilicet liquefactio, fruitio, languor et fervor. 

1) Parmi lesquelles la première est la liquéfaction, qui s'oppose à la congélation. Car ces choses qui sont congelées sont resserrées en elles-mêmes, de sorte qu'elles ne peuvent pâtir l'entrée intérieure (subintrationem) facile d'une autre [chose]. Or c'est à l'amour de relever d'un appétit co-apté à une certaine réception du bien aimé [l'amour est une sorte d'adaptateur qui met en relation l'appétit et le bien], selon que ce qui est aimé est dans celui qui aime comme il a déjà été dit plus haut.

C'est pourquoi la congélation ou l'endurcissement du cœur est une disposition qui répugne à l'amour. Mais la liquéfaction relève d'une sorte de ramollissement du cœur, par lequel le cœur se présente apte (habile) à laisser ce qui est aimé entrer en lui (in ipsum subintret)[le latin répète deux fois l'intériorité : "in" puis "sub-in"].

Inter quae primum est liquefactio, quae opponitur congelationi. Ea enim quae sunt congelata, in seipsis constricta sunt, ut non possint de facili subintrationem alterius pati. Ad amorem autem pertinet quod appetitus coaptetur ad quandam receptionem boni amati, prout amatum est in amante, sicut iam supra dictum est.

Unde cordis congelatio vel duritia est dispositio repugnans amori. Sed liquefactio importat quandam mollificationem cordis, qua exhibet se cor habile ut amatum in ipsum subintret.

2) Si donc ce qui est aimé est présent et possédé, il y a plaisir ou fruition.

Si ergo amatum fuerit praesens et habitum, causatur delectatio sive fruitio. 

Si toutefois il était absent, cela a pour conséquence deux passions, à savoir

  • 3) la tristesse [provenant] de l'absence, qui est signifiée par la langueur (d'où Cicéron mentionne la tristesse surtout comme maladie) ;
  • 4) et un désir intense d'obtenir le bien-aimé, qui est signifié par la ferveur.

Si autem fuerit absens, consequuntur duae passiones,

  • scilicet tristitia de absentia, quae significatur per languorem (unde et Tullius, in III de Tusculanis quaest., maxime tristitiam aegritudinem nominat);
  • et intensum desiderium de consecutione amati, quod significatur per fervorem.

Et ce sont bien là les effets de l'amour considéré formellement, selon le rapport de la puissance appétitive à l'objet. Mais dans la passion amour, certains effets se produisent en proportion de [ces quatre premiers effets], selon [qu'il survient] une modification organique. (Somme, I-II.q28a5ad1)

 Et isti quidem sunt effectus amoris formaliter accepti, secundum habitudinem appetitivae virtutis ad obiectum. Sed in passione amoris, consequuntur aliqui effectus his proportionati, secundum immutationem organi.

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1. Qu'est ce que la co-aptitude ? Deux réalités sont aptes l'une envers l'autre : le bien vis à vis de l'appétit, et l'appétit vis à vis de du bien.

2. Qu'est ce que des effets proximi ?

3. Les quatre effets : 

La liquéfaction : Celui qui aime attendri son coeur de manière à se disposer à laisser son intérieur envahi par ce qu'il aime.

La plaisir ou fruition : Ce qui est aimé est entré, il est donc présent en soi et possédé dans celui qui aime (on notera que la possession se comprend ici comme une réception, le sujet n'est pas d'abord celui qui est actif).

La langueur : Tant que le bien aimé n'est pas entré ou entièrement entré (càd entièrement reçu/possédé), se produit une blessure, une blessure d'amour, une tristesse spécifique appelée langueur.

La ferveur : plus l'amour est grand, plus l'intensité du désir est grande et quand elle est grande jusqu'à dépasser une mesure ordinaire, on l'appelle ferveur --> cf. l'église d'Ephèse dans l'Apocalypse.

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Thomas d'Aquin - °°° L'union affective se fait formellement et l'union effective se fait réellement - I-II.q28a1

Double est l'union de l'aimant à ce qui est aimé.

  • La première se fait dans la réalité, lorsque ce qui est aimé est présent à l'aimant.
  • L'autre est une union affective, qui doit être considérée à partir d'une appréhension qui a précédé, car tout mouvement de l'appétit fait suite à une appréhension. 

Les deux amours, celui de concupiscence et celui d'amitié, procèdent l'un et l'autre d'une certaine appréhension de l'unité entre l'aimant et l'aimé.

  • En effet, lorsque quelqu'un aime quelque chose comme objet de concupiscence, il l'appréhende comme tendant (pertinens) à son propre bien être.
  • Et de même, lorsque quelqu'un aime quelqu'un d'un amour d'amitié, il veut pour lui le bien comme il le veut pour soi ; c'est donc qu'il l'appréhende comme un autre soi-même, en tant qu'il veut pour lui le bien comme pour soi. C'est pourquoi on appelle l'ami "un autre soi-même". Et S. Augustin écrit : "Il a bien parlé de son ami, celui qui l'a appelé la moitié de son âme." 

 

  • La première union, l'amour la fait effective, car il meut à désirer et à rechercher la présence de l'aimé comme lui convenant et tendant à lui (ad se pertinentis).
  • La seconde union l'amour la fait formellement, car l'amour lui-même est 
    • une telle union
    • ou un [tel] lien.

Ce qui fait dire à S. Augustin que l'amour est 

    1. "comme une sorte de vie joignant deux êtres
    2. ou tendant à les joindre : l'aimant et celui qui est aimé".
    1. Le mot "joignant" se réfère à l'union affective, sans laquelle il n'est point d'amour,
    2. et ces mots : "cherchant à les joindre" visent (pertinet) l'union réelle.

(Somme, I-II.q28a1)

Duplex est unio amantis ad amatum.

  • Una quidem secundum rem, puta cum amatum praesentialiter adest amanti.
  • Alia vero secundum affectum. Quae quidem unio consideranda est ex apprehensione praecedente, nam motus appetitivus sequitur apprehensionem.

Cum autem sit duplex amor, scilicet concupiscentiae et amicitiae, uterque procedit ex quadam apprehensione unitatis amati ad amantem.

  • Cum enim aliquis amat aliquid quasi concupiscens illud, apprehendit illud quasi pertinens ad suum bene esse.
  • Similiter cum aliquis amat aliquem amore amicitiae, vult ei bonum sicut et sibi vult bonum, unde apprehendit eum ut alterum se, inquantum scilicet vult ei bonum sicut et sibi ipsi. Et inde est quod amicus dicitur esse alter ipse, et Augustinus dicit, in IV Confess., bene quidam dixit de amico suo, dimidium animae suae.

 

  • Primam ergo unionem amor facit effective, quia movet ad desiderandum et quaerendum praesentiam amati, quasi sibi convenientis et ad se pertinentis.
  • Secundam autem unionem facit formaliter, quia ipse amor est talis unio vel nexus.

Unde Augustinus dicit, in VIII de Trin., quod amor est

    1. quasi vita quaedam duo aliqua copulans,
    2. vel copulare appetens, amantem scilicet et quod amatur.
    1. Quod enim dicit copulans, refertur ad unionem affectus, sine qua non est amor,
    2. quod vero dicit copulare intendens, pertinet ad unionem realem.

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1. "vult ei bonum" : non pas il lui veut du bien, il lui veut le bien. Faire du bien et vouloir le bien pour quuelqu'un diffèrent.

2. Pertinere : le fait de tendre vers quelque chose jusqu'à sa possession.

3. Nexus : lien, noeud, étreinte, entrelacement.

4. "amor facit effective" : l'amour rend effectif ; trad. 1984 : "La première espèce d'union, l'amour la produit par manière de cause efficiente"...

°°° Commentaire : il y a quelque chose de remarquable à noter, l'amour est à la fois cause de l'union et est lui-même "une telle union ou un nexus". Si on suit bien le propos l'amour serait tout simplement cause de lui-même. Comment ? L'amour naît lorsque l'appétit et le bien sont présentés l'un à l'autre, il y a convenance mutuelle, connaturralité, les deux s'entendent, entrent en consonnance. L'amour actue  l'appétit et immédiatement se fait désir et cherche la présence réelle du bien.

  • Il y a un premier moment de l'amour, celui qui aime porte le bien aimé en soi suite à une certaine connaissance qu'il en a d'abord eu ; il s'agit d'un amour bien réel de ce qui est aimé, mais à travers une forme : je porte en moi ce que j'aime, je suis touché, je suis affecté, il s'agit d'un amour affectif ;  
  • puis, l'amour meut en tant qu'il ne peut rester seulement selon la forme, il se fait désir, et, en tant que désir, il devient cause de l'union ; tout en restant un amour affectif, il devient aussi effectif, réel, grâce à la présence ou possession de ce qui est aimé. Je continue d'être touché par l'autre, mais l'être aimé que je porte en moi "fusionne" avec l'être aimé présent, le bien touché à travers la forme laisse palce au bien touché dans sa présence. °°°
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Thomas d'Aquin - Celui qui aime n'a pas besoin de connaître en détail ce qu'il aime - I-II.q27a2ad2

Il faut davantage pour la perfection de la connaissance que pour celle de l'amour.

Quelque chose est requis pour la perfection de la connaissance qui n'est pas requis pour la perfection de l'amour.

En effet, la connaissance relève de la raison, dont [le rôle] est de distinguer ce qui ne fait qu'un dans la chose (rem), et de rapprocher (componere) les éléments divers en les comparant. C'est pourquoi il est requis pour une connaissance parfaite (ad perfectionem cognitionis) que l'homme connaisse dans le détail tout ce qui est dans une chose (re) : comme ses parties, ses puissances, ses propriétés.

Mais l'amour est, dans la puissance appétitive, ce qui regarde la chose (rem) selon qu'elle est en elle-même. De sorte qu'il suffit pour la perfection de l'amour (ad perfectionem amoris) que la chose soit aimée selon qu'elle est appréhendée en elle-même. Il arrive alors qu'une chose soit aimée plus qu'elle n'est connue : en cela que quelque chose peut être aimé parfaitement (perfecte amari) même si elle n'est pas parfaitement connue (perfecte cognoscatur).

C'est ce qu'on voit nettement pour les sciences que certains aiment, bien qu'ils n'en aient qu'une connaissance sommaire : ils savent, par exemple, que la rhétorique est la science qui permet à l'homme de persuader, et c'est cela qu'ils aiment en elle.

Et cela peut être dit de manière similaire à propos de l'amour de Dieu.

(Somme, I-II.q27a2ad2)

Aliquid requiritur ad perfectionem cognitionis, quod non requiritur ad perfectionem amoris.

Cognitio enim ad rationem pertinet, cuius est distinguere inter ea quae secundum rem sunt coniuncta, et componere quodammodo ea quae sunt diversa, unum alteri comparando. Et ideo ad perfectionem cognitionis requiritur quod homo cognoscat singillatim quidquid est in re, sicut partes et virtutes et proprietates.

Sed amor est in vi appetitiva, quae respicit rem secundum quod in se est. Unde ad perfectionem amoris sufficit quod res prout in se apprehenditur, ametur. Ob hoc ergo contingit quod aliquid plus amatur quam cognoscatur, quia potest perfecte amari, etiam si non perfecte cognoscatur.

Sicut maxime patet in scientiis, quas aliqui amant propter aliquam summariam cognitionem quam de eis habent, puta quod sciunt rhetoricam esse scientiam per quam homo potest persuadere, et hoc in rhetorica amant. Et similiter est dicendum circa amorem Dei..

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1. La traduction originale de la première phrase a été laissée pour montrer son approximation.

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Thomas d'Aquin - Celui qui aime veut tout savoir de ce qu'il aime

 

Mais l'amant est aussi dit être dans l'aimé selon l'appréhension, dans la mesure où l'amant ne se contente pas de l'appréhension superficielle de l'aimé, mais s'efforce d'enquêter avec soin sur les détails qui relève profondément (intrinsecus) de l'aimé, et entre ainsi dans son intérieur. (Somme, Ia-IIae, q. 28, a. 2, c.)

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans non est contentus superficiali apprehensione amati, sed nititur singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere, et sic ad interiora eius ingreditur.

 

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Thomas d'Aquin - Comme le bien lui-même, la connaissance du bien est principe de l'amour de ce bien

Comme nous l'avons dit, Le bien est cause de l'amour par mode d'objet. Or le bien n'est objet de l'appétit que selon qu'il est appréhendé. C'est pourquoi l'amour requiert une certaine appréhension du bien que l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe que "la vision corporelle est le principe de l'amour sensitif". Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe de l'amour spirituel. Ainsi donc la connaissance est cause de l'amour au même titre que le bien, qui ne peut être aimé que s'il est connu. (Somme, Ia-IIae, q. 27, a. 2, c.)

Sicut dictum est, bonum est causa amoris per modum obiecti. Bonum autem non est obiectum appetitus, nisi prout est apprehensum. Et ideo amor requirit aliquam apprehensionem boni quod amatur. Et propter hoc philosophus dicit, IX Ethic., quod visio corporalis est principium amoris sensitivi. Et similiter contemplatio spiritualis pulchritudinis vel bonitatis, est principium amoris spiritualis. Sic igitur cognitio est causa amoris, ea ratione qua et bonum, quod non potest amari nisi cognitum.

Il faut bien comprendre que lorsque Thomas dit que la connaissance du bien est tout autant cause de l'amour du bien que le bien lui-même, il ordonne néanmoins les deux réalités : le bien et la connaissance du bien. Les deux ne sont pas au même plan. Il est manifeste qu'il ne peut y avoir connaissance du bien si le bien n'existe pas. La connaissance est donc relative au bien qu'elle connaît.

Dans le déroulement du processus au cours duquel il y a amour de quelque chose, il faut à la fois que 

  • ce quelque chose existe
  • ET qu'il soit connu.

Les propriétés du bien aimé ne dépendent pas de la connaissance que j'en ai.

Aimer quelque chose, c'est aimer la chose elle-même, pas la connaissance que j'en ai. La réponse à l'objection n°2 montre d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de connaître parfaitement dans le détail ce qu'on aime pour l'aimer. Ici, la connaissance est donc relativisée de deux manières : 

  • en tant qu'elle est dépendante du bien connu,
  • et en tant qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit exhaustive.
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Thomas d'Aquin - De Ver. q24a9 - Par la grâce, l’homme peut être si attaché au bien qu’il ne puisse que très difficilement pécher

[Dans l'état de voie, l'exercice de la raison ne peut être continu]

  • Or, bien qu’il puisse être accordé à un viateur que la raison ne se trompe aucunement 
      • à propos de la fin du bien
      • et à propos des [biens] utiles dans en particulier,
    • grâce aux dons de sagesse et de conseil,
  • cependant, que le jugement de la raison ne puisse être interrompu, cela excède l’état de voie, pour deux raisons.
    • D’abord et principalement parce qu’il est impossible à la raison d’exercer toujours l’acte de droite contemplation dans l’état de voie, en sorte que la raison de toutes les opérations [= actions] soit Dieu.
    • Ensuite, parce qu’il n'arrive pas, dans l’état de voie, que les puissances inférieures soient tellement soumises à la raison, que son acte ne soit nullement empêché à cause d’elles, sauf dans le Seigneur Jésus‑Christ, qui fut simultanément viateur et compréhenseur.

[Par la grâce, la continuité de l'attachement au bien peut être presque entier]

Mais cependant, par la grâce de la voie, l’homme peut être attaché au bien de telle façon qu’il ne puisse que très difficilement pécher : ainsi, en effet,

  • les puissances inférieures
    • sont réfrénées par les vertus infuses,
  • et la volonté
    • est inclinée plus fortement vers Dieu,
  • et la raison
    • est perfectionnée dans la contemplation de la vérité divine, et [cette] continuation [de la contemplation] provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire [l’homme] du péché.

Et tout ce qui manque pour la confirmation est complété par la garde de la divine providence, en ceux que l’on dit confirmés ; c’est‑à‑dire que chaque fois qu’il s’introduit une occasion de pécher, leur esprit est divinement stimulé pour résister. 

(De Ver. q24a9)

[ ]

  • Quamvis autem alicui viatori concedi possit ut ratio nullatenus erret
      • circa finem boni,
      • et circa utilia in particulari,
    • per dona sapientiae et consilii,
  • tamen non posse intercipi iudicium rationis, excedit statum viae, propter duo.
    • Primo et principaliter, quia rationem esse semper in actu rectae contemplationis in statu viae, ita quod omnium operum ratio sit Deus, est impossibile.
    • Secundo, quia in statu viae non contingit inferiores vires ita rationi esse subditas, ut actus rationis nullatenus propter eas impediatur, nisi in domino Iesu Christo, qui simul viator et comprehensor fuit.

[ ]

Sed tamen per gratiam viae ita potest homo bono astringi, quod non nisi valde de difficili peccare possit, per hoc quod

  • ex virtutibus infusis inferiores vires refrenantur,
  • et voluntas
    • in Deum fortius inclinatur,
  • et ratio
    • perficitur in contemplatione veritatis divinae, cuius continuatio ex fervore amoris proveniens hominem retrahit a peccato.

Sed totum quod deficit ad confirmationem, completur per custodiam divinae providentiae in illis qui confirmati dicuntur ; ut scilicet quandocumque occasio peccati se ingerit, eorum mens divinitus excitetur ad resistendum.

 

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  1. Cette citation plus longue est d'abord d'ordre théologique. Dans notre condition actuelle (in statu viae), la perfection de nos actions est impossible sans la grâce.
  2. A propos du vocabulaire, viateur signifie celui qui voyage en cette vie, ce voyageur est in statu viae, c'est à dire en transition, sur la voie qui le mène à la fin dernière, la vision béatifique.
  3. Compréhenseur signifie celui qui peut embrasser la totalité d'un ensemble, être capable de prendre ensemble. C'est le cas du Christ, voyageur en tant qu'homme et compréhenseur en tant que Dieu.
  4. "La raison est rendue parfaite dans la contemplation de la vérité divine, dont la continuation provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire l’homme du péché"... La continuité de la contemplation provient de la ferveur de l'amour. 
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Thomas d'Aquin - DePerf.11 - L'amour divin sort celui qui l'aime de son propre être pour être celui qu'il aime

Pour atteindre la perfection de la charité, il n’est pas seulement nécessaire

  • que l’homme écarte les réalités extérieures,
  • mais aussi que, en quelque manière, il s’abandonne complètement lui-même.

Denys dit en effet dans Les noms divins,chap. IV, que l’amour divin est faiseur d’extase [= provoque l'extase], c’est-à-dire qu’il met l’homme à l'extérieur de lui-même, en ne laissant pas l’homme être lui-même [= être à lui-même son propre être], mais [être] celui qui est aimé.

L’exemple en a été donné en lui-même par Paul, qui dit, en Ga 2, 20 : Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis : c’est plutôt le Christ qui vit en moi, comme s’il estimait que ce n’était pas sa [propre] vie, mais celle du Christ, car, en méprisant ce qui était proprement sien, il existe [litt. : adhère] totalement dans le Christ.

(DePerf.chap. 11)

Non solum autem necessarium est ad perfectionem caritatis consequendam quod

  • homo exteriora abiciat,
  • sed etiam quodammodo se ipsum derelinquat. 

Dicit enim Dionysius, 4 cap. De divinis nominibus, quod divinus amor est extasim faciens, id est hominem extra se ipsum ponens, non sinens hominem sui ipsius esse, sed eius quod amatur.

Cuius rei exemplum in se ipso demonstravit Apostolus dicens ad Gal. II, 20 Vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus, quasi suam vitam non suam aestimans, sed Christi; quia quod proprium sibi erat contemnens, totus Christo inhaerebat.

 


1. -- Celui qui aime vraiment, c'est à dire spirituellement et et d'une manière très forte, devient en quelque sorte celui qu'il aime. A plus forte raison quand celui qui est aimé est "celui qui est", celui de qui tout autre être dépend.

2. -- Extraordinaire de voir comment, dans un premier temps, on écarte les réalités extérieures, puis, dans un second, on est sorti de son propre être pour exister en une autre réalité. Il y a donc une bonne manière d'exister à l'extérieur !

3. -- "inhaerebat" : haereo signifie déjà "être attaché à", "adhérer à", le préfixe "in" ajoute une indication sur la manière dont se fait cet attachement. Il se fait à l'intérieur. Il faut rappeler que Thomas reprend à Denys l'un des effets de l'amour qui est l'inhésion en la personne aimée. On existe en l'autre lorsqu'on l'aime, cf. I.q28a2.

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Thomas d'Aquin - DePot.q3a15ad14 - Dieu agit agit non par appétit de la fin, mais par amour de la fin - SUBLIME

  • La communication de la bonté n'est pas la fin ultime, 
  • mais la bonté divine elle-même, c'est à partir de l'amour de [cette bonté] que Dieu veut la communiquer ; 

car

  • il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il avait l'appétit (appetens) de ce qu'il n'a pas,
  • mais comme voulant communiquer ce qu'il a ; parce qu'il agit
    • non par appétit de la fin (ex appetitu finis),
    • mais par amour de la fin (ex amore finis).

(DePot.q3a15ad14)

  • Communicatio bonitatis non est ultimus finis,
  • sed ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult;
  • non enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet,
  • sed quasi volens communicare quod habet: quia agit
    • non ex appetitu finis,
    • sed ex amore finis.

 

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L'appétit et l'amour concerne tous les deux un bien. Mais l'appétit, dans son exercice, tend vers un bien qui n'est pas encore présent (ou totalement présent) tandis que l'amour jouit du bien présent.

Le conditionnement de notre existence humaine nous permet d'atteindre quelque chose de l'amour de l'autre mais reste dans un certain appétit dans la mesure où il est possible d'ajouter quelque chose à la perfection de cet amour. C'est pourquoi, pour nous, l'amour est à la fois une tension et un repos, un désir et une joie. Ajoutons qu'il nous est toutefois possible d'atteindre une certaine perfection dans l'amour par le moyen de l'intention. (J'ai l'heureuse surprise de découvrir quelques jours après avoir écrit cela que Thomas le dit exactement ainsi, voir ici.)

Dans le cas de ce passage, Thomas souligne que Dieu n'agit pas par désir, ce qui supposerait qu'il lui manque quelque chose, mais par amour - comme à partir d'un sommet sur lequel il est déjà et non vers un sommet qu'il souhaite atteindre. Celui qui, en quelque manière, a atteint quelque chose du bonheur n'est plus en quête mais agit à partir de lui, en surabondance.

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Thomas d'Aquin - Deux manières d'être similaires donnent deux manières d'aimer : amour d'amitié / amour de concupiscence - I-II.q27a3

La similitude est à proprement parler cause de l'amour. Mais il faut remarquer que la similitude peut tendre à une double [acception]. Similitudo, proprie loquendo, est causa amoris. Sed considerandum est quod similitudo inter aliqua potest attendi dupliciter.
  1. D'une première manière du fait que chacun d'eux a en acte une même [réalité], comme deux [choses] ayant la blancheur sont dit similaires.
  2. D'une autre manière du fait que l'un a en acte ce que l'autre a en puissance et [ceci] par une certaine inclination ;
    • comme lorsque nous disons que un corps lourd existant hors de son lieu a une similtude avec un corps grave qui existe en son lieu. 
    • Ou encore selon que la puissance a une similitude avec l'acte lui-même ; car dans la puissance elle-même existe d'une certaine façon l'acte
  1. Uno modo, ex hoc quod utrumque habet idem in actu, sicut duo habentes albedinem, dicuntur similes.
  2. Alio modo, ex hoc quod unum habet in potentia et in quadam inclinatione, illud quod aliud habet in actu,
    • sicut si dicamus quod corpus grave existens extra suum locum, habet similitudinem cum corpore gravi in suo loco existenti.
    • Vel etiam secundum quod potentia habet similitudinem ad actum ipsum, nam in ipsa potentia quodammodo est actus.
  1. Le premier genre de ressemblance est cause de l'amour d'amitié ou de la volonté de se faire mutuellement du bien (benevolentiae). De ce fait, deux êtres étant similaires, et n'ayant pour ainsi dire qu'une seule forme, ils sont, en quelque manière, un dans cette forme ;
    • deux hommes ne font qu'un dans l'espèce humaine,
    • et deux êtres blancs dans la même blancheur.

De sorte que l'affect de l'un tend vers l'autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu'à soi.

  1. Mais le deuxième genre de similitude est cause de l'amour de concupiscence ou de l'amitié utile et délectable. Car tout être en puissance, en tant que tel, a l'appétit de son acte, et, lorsqu'il l'a obtenu, il s'en réjouit, s'il est sensible et doué de connaissance. Or dans l'amour de concupiscence, avons-nous dit, c'est lui-même, à proprement parler, que l'aimant aime, quand il veut ce bien qu'il convoite. 

 

  1. Primus ergo similitudinis modus causat amorem amicitiae, seu benevolentiae. Ex hoc enim quod aliqui duo sunt similes, quasi habentes unam formam, sunt quodammodo unum in forma illa,
    • sicut duo homines sunt unum in specie humanitatis,
    • et duo albi in albedine.

Et ideo affectus unius tendit in alterum, sicut in unum sibi; et vult ei bonum sicut et sibi.

  1. Sed secundus modus similitudinis causat amorem concupiscentiae, vel amicitiam utilis seu delectabilis. Quia unicuique existenti in potentia, inquantum huiusmodi, inest appetitus sui actus, et in eius consecutione delectatur, si sit sentiens et cognoscens. Dictum est autem supra quod in amore concupiscentiae amans proprie amat seipsum, cum vult illud bonum quod concupiscit.

Mais chacun s'aime plus que les autres, parce que l'un,

  • avec soi, est dans la substance [= on ne fait qu'un avec notre propre être],
  • tandis qu'avec un autre, est dans la similitude de quelque forme.

Et c'est pourquoi si de (ex) ce qui est similaire à lui-même dans la participation de la forme, il est lui-même empêché d'atteindre le bien qu'il aime, [ce qui lui est similaire] lui devient odieux,

  • non en tant qu'il lui est similaire,
  • mais en tant qu'il est un empêchement à son propre bien.

Magis autem unusquisque seipsum amat quam alium, quia

  • sibi unus est in substantia,
  • alteri vero in similitudine alicuius formae.

Et ideo si ex eo quod est sibi similis in participatione formae, impediatur ipsemet a consecutione boni quod amat; efficitur ei odiosus,

  • non inquantum est similis,
  • sed inquantum est proprii boni impeditivus.

Et pour cela

  • "les potiers se disputent les uns les autres" ; parce qu'ils s'empêchent les uns les autres dans leurs propres profits ;
  • et "les orgueilleux se querellent" parce qu'ils s'empêchent  les uns les autres dans l'excellence propre qu'ils convoitent (concupiscunt).

(Somme, I-II.q27a3)

Et propter hoc

  • figuli corrixantur ad invicem, quia se invicem impediunt in proprio lucro,
  • et inter superbos sunt iurgia, quia se invicem impediunt in propria excellentia, quam concupiscunt.

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1.

Quand les deux sont en acte d'une forme similaire --> amour d'amitié.

Quand l'un n'a qu'en puissance ce qu'a l'autre en acte --> amour de concupiscence.

On aime l'aimable en acte, le véritable amour se fait quand l'un aime la bonté en acte de l'autre, c'est pourquoi il y a réciprocité dans l'amitié.

Quand il nous manque quelque chose que l'autre a,

  • nous ne regardons pas l'autre pour lui-même,
  • et l'autre n'a pas de raison de nous regarder du tout.

2.

Benevolentiae : la traduction habituelle par bienveilance ne semble pas ici adéquate. Un ami est quelqu'un a qui on veut du bien dit ailleurs Thomas.

3.

Noter la parenthèse métaphysique à partir de laquelle Thomas montre pourquoi, sous un certain aspect, l'amour de soi est plus grand que l'amour des autres. L'unité avec soi est substantielle tandis que l'unité avec l'autre se fait par la qualité.

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Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

- La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

  • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

 

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

------- [Dans le monde physique] -------

Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

  • premièrement, il lui donne une forme ;
  • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

  • la pesanteur,
  • et le mouvement que celle-ci entraîne.

Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

  • nam primo quidem dat formam,
  • secundo autem dat motum consequentem formam;

sicut generans dat corpori

  • gravitatem,
  • et motum consequentem ipsam.

Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

------- [Dans le monde des passions] -------

De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

  • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
  • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

  • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
  • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
  • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

  • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
  • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
  • et enfin le repos, qui est joie.

Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

  • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
  • ex qua sequitur motus ad appetibile.

Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

  • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
  • et appetitus tendit in appetibile
  • realiter consequendum,

ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

  • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
  • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
  • et ultimo quies, quae est gaudium.
Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

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1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens sea été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif... voir l'explication donnée ici.

4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q28a2 - L'inhésion affective comme effet de l'amour

Inhaesio : traduit tantôt par "existence mutuelle en autrui", tantôt par "inhabitation" ; il s'agit à la fois d'une présence de l'être aimé en soi et d'une présence de soi dans l'être aimé. On a pris le parti de le traduire ici par inhésion, mot maintenant inusité mais fidèle au texte. Voir ici et ici. Pas de solution idéale.

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L'inhésion mutuelle est-elle un effet de l'amour ?

Cet effet d'inhésion mutuelle, peut être compris (intelligi) quant à la puissance appréhensive et quant à la puissance appétitive.

[Quant à de la puissance appétitive]

En effet, quant à de la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il demeure (immoratur) dans l'appréhension de l'aimant ; selon ces mots de l'Apôtre (Ph 1, 17) : " je vous porte dans mon coeur."

[Quant à de la puissance appréhensive (la connaissance)]

Mais l'aimant est dit dans l'aimé selo l'appréhension en tant qu'il

  • ne se satisfait pas d'une connaissance superficielle de l'aimé
  • mais s'efforce
    • d’examiner en profondeur chaque aspect qui concerne l’aimé,
    • et ainsi il pénètre à l’intérieur de celui-ci.

C'est le sens de ces mots appliqués à l'Esprit Saint, qui est l'Amour de Dieu: "Il scrute même les profondeurs de Dieu" (1 Co 2, 10).

*     *     *

Utrum mutua inhaesio sit effectus amoris ?

Iste effectus mutuae inhaesionis potest intelligi et quantum ad vim apprehensivam, et quantum ad vim appetitivam.

[]

Nam quantum ad vim apprehensivam amatum dicitur esse in amante, inquantum amatum immoratur in apprehensione amantis; secundum illud Philipp. I, eo quod habeam vos in corde.

[]

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans

  • non est contentus superficiali apprehensione amati,
  • sed nititur
    • singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere,
    • et sic ad interiora eius ingreditur.

Sicut de spiritu sancto, qui est amor Dei, dicitur, I ad Cor. II, quod scrutatur etiam profunda Dei.

*     *     *

[1. L'aimé est dans l'aimant]

Mais quant à la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il est par une certaine complaisance dans son affect [~ son coeur],

  • si bien qu'il se délecte de l'aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ;
  • s'ils sont absents, son désir se porte
    • vers l'aimé lui-même par l'amour de concupiscence,
    • ou vers les biens qu'il lui veut par l'amour d'amitié.

Et

  • ce n'est pas en raison de quelque cause d'extrinsèque, comme 
    • lorsqu'on désire une chose à cause d'une autre,
    • ou que l'on veut du bien à quelqu'un en vue d'autre chose,
  • mais à cause de la complaisance pour l'aimé la plus intérieurement enracinée (interius radicatam). C'est pour cela que l'amour est dit ce qui est le plus au-dedans (intimus) et que l'on parle des "entrailles de la charité".

*     *     *

Sed quantum ad vim appetitivam, amatum dicitur esse in amante, prout est per quandam complacentiam in eius affectu,

  • ut vel delectetur in eo, aut in bonis eius, apud praesentiam;
  • vel in absentia, per desiderium tendat
    • in ipsum amatum per amorem concupiscentiae;
    • vel in bona quae vult amato, per amorem amicitiae;
  • non quidem ex aliqua extrinseca causa, sicut
    • cum aliquis desiderat aliquid propter alterum,
    • vel cum aliquis vult bonum alteri propter aliquid aliud;
  • sed propter complacentiam amati interius radicatam. Unde et amor dicitur intimus; et dicuntur viscera caritatis.

*     *     *

[2. L'aimant est dans l'aimé]

Réciproquement, l'aimant est dans l'aimé, mais différemment selon qu'il y a amour de concupiscence ou amour d'amitié.

  • En effet, l'amour de concupiscence
    • ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l'aimé,
    • mais cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime.
  • Dans l'amour d'amitié, au contraire, l'aimant est dans l'aimé en ce sens qu'il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de sorte que lui-même, en son ami, semble
    • pâtir les biens et les maux
    • et être affecté des biens et des maux.

C'est pour cela que, d'après Aristote, il est propre aux amis

  • de "vouloir les mêmes choses,
  • et de s'attrister et de se réjouir dans les mêmes choses".

*

E converso autem amans est in amato aliter quidem per amorem concupiscentiae, aliter per amorem amicitiae.

  • Amor namque concupiscentiae
    • non requiescit in quacumque extrinseca aut superficiali adeptione vel fruitione amati,
    • sed quaerit amatum perfecte habere, quasi ad intima illius perveniens.
  • In amore vero amicitiae, amans est in amato, inquantum reputat bona vel mala amici sicut sua, et voluntatem amici sicut suam, ut quasi ipse in suo amico videatur
    • bona vel mala pati,
    • et affici.

Et propter hoc, proprium est amicorum

  • eadem velle,
  • et in eodem tristari et gaudere

secundum philosophum, in IX Ethic. et in II Rhetoric.

*

Ainsi donc,

  • en tant qu'il considère comme sien ce qui est à son ami, l'aimant semble exister en celui qu'il aime et être comme identifié à lui.
  • Au contraire, en tant qu'il veut et agit pour son ami comme (sicut) pour soi-même, le considérant comme (quasi) un (idem) avec soi, c'est l'aimé qui est dans l'aimant.

*     *     *

Ut sic,

  • inquantum quae sunt amici aestimat sua, amans videatur esse in amato, quasi idem factus amato.
  • Inquantum autem e converso vult et agit propter amicum sicut propter seipsum, quasi reputans amicum idem sibi, sic amatum est in amante.

*     *     *

[3ème manière]

Il y a une troisième manière d'entendre cette mutuelle inhésion par l'amour d'amitié, c'est celle de l'amour qui répond à l'amour, en tant que

  • mutuellement les amis s'aiment (mutuo),
  • et l'un à l'autre (invicem) 
    • se veulent (volunt) de bonnes choses
    • et font (operantur) de bonnes choses.

(Somme, I-II.q28a2)

Potest autem et tertio modo mutua inhaesio intelligi in amore amicitiae, secundum viam redamationis, inquantum

  • mutuo se amant amici,
  • et sibi invicem bona
    • volunt
    • et operantur.

 

VOIR AUSSI LA REPONSE TRES SYNTETIQUE A L'ARGUMENT 1 DU MÊME ARTICLE

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

2. Complacentiam : de complaceo, "plaire en même temps, concurremment" (Gaffiot). Que signififie le préfixe "com" dans le mot complaisance ? A quoi se rapporte le "en-même temps" ? Pourquoi dit-on se complaire dans l'ami en tant qu'il affecte notre appétit plutôt que se plaire en l'ami en tant qu'il affecte notre appétit ? Se complaire en quelque chose, se plaire en quelque chose, quelle différence ?

Voir I-II.q27a1ad3

"Le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante (vim cognoscitivam)

    • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter)
    • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension"

Premier élément de réponse : on doit pouvoir dire que l'amour affectif est source de complaisance alors que l'amour effectif est source de plaisir/joie. La complaisance serait alors le plaisir intentionnel, la chose nous a affecté et nous aimons ce en quoi elle nous affecte et cela à pour effet une complaisance. Nous aimons la chose ou la personne aimée en tant qu'elle réside en nous, en tant qu'elle a donné lieu à une modification (affect-ion) en nous, et nous aimons cette modification. La chose a fait quelque chose en nous (adficio --> ad-facio, d'où vient le mot affection). Cette chose qui s'est faite en nous, l'affect, est liée à la chose qui affecte, le lien n'est pas rompu, mais l'affect est dans le ressenti de la chose aimée.

C'est pour cette raison que la complaisance, dans la signification dans laquelle elle nous est parvenue, comporte un aspect péjoratif en cela qu'elle porte en elle une possibilité d'en rester à ce "ressenti" en relativisant la chose qui est à la source de ce sentir intérieur. C'est pourquoi un véritable amour n'en reste pas au stade affectif mais naturellement se porte par le désir au bien réel, à la chose aimée en tant qu'elle existe indépendamment de moi et que je veux rejoindre réellement.

Et lorsque la chose aimée ou la personne aimée est aimée dans sa réalité, alors il y a plaisir/joie. On ajoute alors à l'unité intérieure dans laquelle l'aimé est en soi, une unité qui découle d'une sortie de nous-même pour demeurer en l'autre, l'autre réel. L'autre réel continuant de nous toucher intérieurement, mais en raison même de ce toucher intérieur nous projette vers lui pour y demeurer, d'où le mot d'Aristote rapporté par Thomas : l'amour est circulaire. L'analyse de Thomas est d'un très grand réalisme, car c'est en effet de cette manière que nous expérimentons et que nous vivons l'amour.

La complaisance a une cause immédiate intérieure ; le plaisir/joie a une cause extérieure ; les deux se vivant de fait de manière mêlée, à cause du cercle.

°°° ~ ~ La chose belle en tant qu'elle est belle plaît car elle reste extérieure du fait que la connaissance nécessite la présence de la chose connue. ~ ~

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q36a4 - L'appétit naturel d'unité est cause de souffrance, tout comme l'appétit du bien

  • Tout être désire naturellement l’unité

 

 
  • Le bien en n'importe quelle chose (rei) consiste en une certaine unité, selon que chaque chose (res) tient unis en soi les [éléments] de sa perfection ;
    • d'où les platoniciens posaient que l’un était principe, tout comme le bien.
  • D'où, chaque [chose] appète [= désire] naturellement l'unité, tout comme la bonté.
  • Et c’est pour cela que, comme l'amour ou l'appétit du bien est cause de douleur, de même l'amour ou l'appétit de l'unité.

(Somme, I-II.q36a4)

  • Bonum enim uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit, prout scilicet unaquaeque res habet in se unita illa ex quibus consistit eius perfectio,
    • unde et platonici posuerunt unum esse principium, sicut et bonum.
  • Unde naturaliter unumquodque appetit unitatem, sicut et bonitatem.
  • Et propter hoc, sicut amor vel appetitus boni est causa doloris, ita etiam amor vel appetitus unitatis. 

 

 

 

 

D'où la douleur n’est pas causée par l'appétit de n’importe quelle unité, mais de celle en laquelle constitue la perfection de la nature.

 (Somme, I-II.q36a4ad1)

Unde dolor non causatur ex appetitu cuiuslibet unitatis, sed eius in qua consistit perfectio naturae.

 

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q46a1 °°° La passion amour est la racine première de toutes les passions

Donc, de la première manière, la colère n'est pas une passion générale, mais est condivisée avec les autres passions, nous l'avons dit plus haut

De manière similaire elle ne l'est pas non plus de la seconde manière, car elle n'est pas cause des autres passions mais de cette manière l'amour qui peut être dite passion générale, comme cela est patent chez S. Augustin. L'amour est la racine première de toutes les passions, comme on l'a dit plus haut.

(I-II.q46a1)

Primo ergo modo, ira non est passio generalis, sed condivisa aliis passionibus, ut supra dictum est.

Similiter autem nec secundo modo. Non est enim causa aliarum passionum, sed per hunc modum potest dici generalis passio amor, ut patet per Augustinum, in XIV libro de Civ. Dei; amor enim est prima radix omnium passionum, ut supra dictum est.

 


 

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Thomas d'Aquin - I.q59a4ad2 - Ce que sont l'amour et la joie au plan spirituel (et non au plan du sensible, commun avec les animaux)

L'amour et la joie,

  • selon qu'elles sont des passions, sont dans le concupiscible ;
  • mais selon qu'ils nomment un acte simple de la volonté, il sont alors dans la partie intellective [= spirituelle] ;

ainsi

  • aimer, c'est vouloir le bien à quelqu'un,
  • et être en joie, c'est le repos de la volonté en un certain bien possédé.

(Somme,I.q59a4ad2)

Amor et gaudium,

  • secundum quod sunt passiones, sunt in concupiscibili,
  • sed secundum quod nominant simplicem voluntatis actum, sic sunt in intellectiva parte;

prout

  • amare est velle bonum alicui,
  • et gaudere est quiescere voluntatem in aliquo bono habito.

 


1. -- Dans le traité des passions, la joie sera plus précisément vue comme le plaisir spirituel ; tandis que la plaisir proprement dit sera plutôt réeservé au plan sensible. Thomas, même s'il est habituellement d'une grande précision quant à l'utilisation des termes, montre qu'il est possible d'utiliser le vocabulaire du monde sensible sur le plan spirituel et vis versa. Thomas expliquera par exemple que le mot concupiscible, par extension, peut être utilisé au niveau spirituel.

2. -- "amare est velle bonum alicui" : attention à ne pas traduire "vouloir du bien", ici on ne cherche pas à "se faire du bien" l'un envers lautre, on veut bien plus profondément que l'autre atteigne le bien, son bien, on fait tout pour que l'autre puisse l'atteindre, quitte à ce que ce bien soit envers lui le don de nous-même dans l'amitié, la charité (sans que cela s'y restreigne). Dans une réflexion voisine, on encouragera à ne pas traduire benevolentia par bienveillance, mais par un mot qu'il aurait fallu reproduire en français par quelque chose comme "bienvoulance", il s'agit de vouloir le bien pour l'autre. Avec le terme bienveillance, on est loin du compte.

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q19a4 - L'amour ne se réalise pas sur un mode servile - COMM. PRESQ. VALIDé

La servitude s'oppose à la liberté. (...) L'esclave est [quelqu'un] qui n'est pas la cause de sa propre opération, mais [quelqu'un qui est] pour ainsi dire (quasi) mû par [quelquechose] d'extrinsèque. Or celui qui fait quelque chose à partir de l'amour, opère pour ainsi dire (quasi) à partir de lui-même, parce que à partir d'une inclination propre il est mû à l'opération.

C'est pourquoi il est contre la raison de servilité que quelqu'un opère à partir de l'amour.

(Somme, II-II.q19a4)

Servitus enim libertati opponitur. (...) Servus est qui non causa sui operatur, sed quasi ab extrinseco motus. Quicumque autem ex amore aliquid facit, quasi ex seipso operatur, quia ex propria inclinatione movetur ad operandum. 

Et ideo contra rationem servilitatis est quod aliquis ex amore operetur.

 


1. 

Ex seipso (à partir de lui-même) ne signifie pas que celui qui agit par amour agit complètement à partir de lui-même, mais seulement sous un certain point de vue, TH. ajoute d'ailleurs l'adverbe quasi, "pour ainsi dire, comme", parce que l'existence de l'amour suppose un amant et un aimé entre lesquels il y a convenance et coaptatio, l'un est apte à aimer telle chose et cette chose est apte à être aimée ; d'un côté le sujet est incliné naturellement vers tel bien, et de l'autre le bien a naturellement en lui-même une bonté propre capable de donner son objet à l'inclination du sujet. L'amour ne se fait pas ex nihilo à partir de soi-même. Pour qu'il y ait amour, il faut qu'il y ait deux réalités. De même que l'esclave est comme déterminé de l'extérieur, de même celui qui aime n'est que comme entièrement déterminé de l'intérieur. (Même dans le cas de l'amour naturel, celui qui n'a pas besoin de la connaissance d'un objet extérieur pour exister, TH. maintient qu'il y a convenance entre l'inclination naturelle de l'objet et l'intention du Créateur.) Il faut simplement rappeler ici que aimer, c'est aimer quelquechose (ou quelqu'un).

Ce que TH. souhaite souligner ici, c'est que l'homme fait sienne l'inclination, ce que l'animal ne peut faire. L'homme peut refuser le sens vers lequel une inclination le fait tendre.

Le fait qu'on aime un autre à partir d'une inclination faite sienne implique que l'on adhère à cet amour. C'est cette adhésion qui fait en sorte que nous n'aimons pas comme l'esclave obéit, c'est ce qui fait la liberté de notre amour.

2. -- Ce passage est bien éclairé par les différents types d'inclination mentionnés en DeVer.q22a4q22a4 lorsqu'est abordée l'inclination rationnelle.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a1ad1 - Quel lien entre amour et prudence ?

  • L'amour se sert de la raison en la mouvant au discernement

La volonté meut toutes les puissances à leurs actes. Or, le premier acte de la  puissance appétitive est l'amour, comme on l'a dit plus haut. Ainsi donc la prudence est dite amour,

  • non pas essentiellement,
  • mais en tant que l'amour meut à l'acte la prudence. 

Aussi S. Augustin ajoute-t-il à la suite que "la prudence est un amour discernant bien (bene discernens)

  • ce qui l'aide à tendre vers Dieu
  • de ce qui peut l'en empêcher".

Et l'amour est dit discerner, en tant qu'il meut la raison au discernement.

(Somme, II-II.q47a1ad1)

Voluntas movet omnes potentias ad suos actus. Primus autem actus appetitivae virtutis est amor, ut supra dictum est. Sic igitur prudentia dicitur esse amor

  • non quidem essentialiter,
  • sed inquantum amor movet ad actum prudentiae.

Unde et postea subdit Augustinus quod prudentia est amor bene discernens ea

  • quibus adiuvetur ad tendendum in Deum
  • ab his quibus impediri potest.

Dicitur autem amor discernere, inquantum movet rationem ad discernendum.

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1. En dernier lieu, bien noter la relation entre la prudence et la tension amoureuse vers Dieu.

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Thomas d'Aquin - L'amour dans le Commentaire des Noms Divins - Ce que dit Hiérothée au sujet de l’amour - (4.12.451 et ss)

Points forts : 

455. : "l’amour en effet est une union selon que l’amant et l’aimé conviennent en quelque chose d'un"


 

 

 

 

 
  Leçon 12 (22a) : Ce que dit Hiérothée au sujet de l’amour.
451.-453. 451.-453.
 

454. En premier lieu, il distingue cinq amour :

  1. le premier est l’amour divin ;
  2. le second, l’amour angélique ;
  3. le troisième est l’amour intellectuel, à savoir celui par lequel les hommes aiment selon leur puissance intellectuelle ;
  4. le quatrième est l’amour animal qui se rapporte à la partie sensitive et que l’on retrouve
    • chez les hommes
    • et chez les animaux ;
  5. le cinquième est l’amour naturel, qui se rapporte à l’appétit naturel et que l’on retrouve
    • soit chez les animaux quant à leur puissance végétative,
    • soit chez les plantes,
    • soit même chez les êtres inanimés.

En effet, puisque nous avons dit que l’amour renvoie au premier mouvement de la volonté et de l’appétit, là où l’on retrouvera la volonté et l’appétit, on retrouvera nécessairement l’amour.

454. Distinguit, primo, quinque amores :

  1. quorum primus est amor divinus ;
  2. secundus amor angelicus ;
  3. tertius amor intellectualis, quo scilicet homines amant secundum intellectivam partem ;
  4. quartus est amor animalis qui pertinet ad sensitivam partem sive in hominibus sive in animalibus ;
  5. quintus est naturalis qui pertinet ad appetitum naturalem,
    • sive in animalibus quantum ad nutritivam partem
    • sive in plantis
    • sive etiam in rebus inanimatis.

Cum enim dictum sit quod amor importet primum motum voluntatis et appetitus, in quibuscumque contingit esse voluntatem et appetitum, contingit esse amorem.

Commentaire sur ce qui suit : TH. pointe ici un abus de langage de la part de Denys, l'amour n'est pas une puissance, mais une relation de convenance entre deux réalités.

L'amour n'est alors pas une puissance d'union ou de rapprochement mais est lui-même une union efficace et un rapprochement efficace ; efficace, c'est à dire qui produit un effet.

Et dans la Somme, TH. comptera l'union comme le premier des effets de l'amour.

455. Mais la notion commune d’amour convient à toutes les sortes d’amour qui précèdent. C’est pourquoi Denys ajoute que [ce qui suit procède de induction :]

  • quelle que soit la sorte d’amour que nous nommions,
  • nous intelligeons par le nom ‘amour’ une puissance d’union et de rapprochement.

Mais le mot puissance (virtus) ne s’entend ici

  • ni au sens d’une passion
  • ni au sens d’une disposition,

puisque l’amour n’est

  • ni une passion
  • ni un acte,

mais en un sens plus large

  • tout ce qui possède une efficacité de produire quelque chose, peut être dit
    • puissance (virtus)
    • ou puissant (virtuosum)
  • et c’est pourquoi il aurait été plus clair de dire de l’amour qu’il est une union et un rapprochement puissants
  • mais il préféra, parlant avec emphase (emphatice loquens) pour manifester l'efficace de l’amour, le nommer puissance.

Mais l’union diffère du rapprochement :

[L'union]

l’amour en effet est une union selon que l’amant et l’aimé conviennent en quelque chose d'un (in aliquo uno), qu’il s’agisse

  • ou d’une substance commune aux deux, comme lorsqu’un être s’aime lui-même (amat seipsum) ;
  • oud’une même espèce, lorsque deux animaux de même espèce s’aiment réciproquement (se  invicem diligunt) ;
  • ou d’une même patrie, comme lorsque deux compatriotes s’aiment (se diligunt) ;
  • ou encore d'un autre [convenance].

[Rapprochement (Concretio)]

Mais le rapprochement se rapporte à l’amour selon que les réalités unies demeurent distinctes sous un autre rapport, à savoir quant à la distinction qu’il y a entre l’amant et l’aimé.

 

455. Communis autem quaedam notificatio amoris, omnibus praedictis amoribus conveniens est ; unde subiungit quod,

  • quemcumque praedictorum amorum nominemus,
  • intelligimus per nomen amoris, quamdam virtutem unitivam et concretivam.

Sed virtus hic non accipitur

  • nec pro passione
  • nec pro habitu,

cum amor non sit

  • passio
  • vel actus,

sed accipitur communiter

  • prout omne illud quod habet efficaciam ad aliquid producendum, potest dici
    • virtus
    • vel virtuosum,
  • unde planius esset si diceretur unitio et concretio virtuosa,
  • sed maluit dicere virtutem, emphatice loquens, ad ostendendum efficaciam amoris.

Unitio autem a concretione differt ;

[Unitio]

est enim amor unitio secundum quod amans et amatum conveniunt in aliquo uno

  • sive illud sit substantia utriusque, sicut cum aliquis amat seipsum ;
  • sive sit species, sicut animalia quae sunt eiusdem speciei se invicem diligunt ;
  • sive sit patria, sicut compatriotae se diligunt ;
  • sive sit quodcumque aliud.

[Concretio]

Concretio autem ad amorem pertinet, secundum quod ea quae sic uniuntur quantum ad aliquid distincta remanent, scilicet quantum ad divisionem amantis et amati.

456. Cependant, cette union et ce rapprochement ne se retrouvent pas de la même manière dans toutes les sortes d’amour.... 456.Haec autem unitio vel concretio diversimode in diversis amoribus inveniuntur....

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Thomas d'Aquin - L'amour dans le Commentaire des Noms Divins (4.9.394-425)

Bien noter / best of : 

  • Le n° 401 est de toute première importance
  • induction du bien comme principe
  • "personne ne s’attriste d’une chose, si ce n’est parce qu’elle est contraire à ce qu’il aime" (401) --> la tristesse est relative au bien en tant que son acquisition est contrariée.
  • "une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ; et cet amour est nommé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié ;" (404)
  • "Tout ce qui est par accident se ramène à ce qui est par soi. Ainsi donc, cela même que nous aimons parce que c’est ce grâce à quoi un bien arrive à un autre, cela est compris dans l’amour de celui que nous aimons comme étant celui à qui nous voulons du bien." (405)

 

 394

 

[84852] In De divinis nominibus, cap. 4 l. 9

PLAN
 

395

  • Après avoir déterminé du beau et du bien qui poussent à l’amour,
  • Denys traite ici le l’amour en lui-même ;
    • et en premier, en ses propres mots ;
    • deuxièmement, au moyen des paroles de Hiérothée, lorsqu’il dit (179) : Et ces choses, notre noble… (leçon 12a).

Au sujet du premier point, il fait deux choses :

  • d’abord, il traite de l’amour divin ;
  • deuxièmement, il montre comment on dit de Dieu qu’Il est
    • à la fois amour
    • et aimable lorsqu’il dit (173) : Cependant, qu'est-ce que… (leçon 11a)
 

395.

  • Postquam Dionysius determinavit de pulchro et bono quae incitant ad amandum,
  • hic determinat de ipso amore ;
    • et primo, per verba propria ;
    • secundo, per verba Hierothei, ibi : haec et nobilis et cetera ;

circa primum, duo facit :

  • primo, determinat de amore divino ;
  • secundo, ostendit quomodo Deus
    • et amor
    • et amabilis dicatur ; ibi : quid autem et cetera.

396. Au sujet de l’amour divin, il fait trois choses :

  • premièrement, il détermine [ce qu'est] l’amour lui-même ;
    [ce qui suit sera l'objet de la leçon n° 10]
  • deuxièmement, de l’extase, qui est un effet de l’amour, là où il dit (168) : Il est cependant…, (leçon 10a) ;
  • troisièmement, il traite du zèle, qui est une certaine espèce d’amour, là où il dit (172) : C’est pourquoi…à la même leçon.

396. Circa primum, tria facit :

  • primo, determinat de ipso amore ;
  • secundo, de extasi, quae est effectus amoris ; ibi : est autem et cetera ;
  • tertio, de zelo, qui est quaedam amoris species ; ibi : propter quod et cetera.

397. Au sujet de l’amour, il fait deux choses :

  • premièrement, il traite de l’amour ;
  • deuxièmement, il écarte une objection là où il dit (170) : Et quelqu’un ne
 

397. Circa primum, duo facit :

  • primo, determinat de amore ;
  • secundo, excludit quamdam obiectionem ; ibi : et non aliquis et cetera.

398. Au sujet du premier point, il fait deux choses :

  • d’abord, il montre comment Dieu est objet d’amour ;
  • deuxièmement, comment Dieu aime, là où il dit (159) : Ce discours compte

398. Circa primum, duo facit :

  • primo, ostendit quomodo Deus est obiectum amoris ;
  • secundo, quomodo Deus amat ; ibi : confidit et cetera.

399. Au sujet du premier point, il fait trois choses :

  • d’abord, il montre quel est l’objet de l’Amour ;
  • deuxièmement, il montre comment l’amour est unique par rapport à chacun, là où il dit (157) : et c'est à cause de Lui… ;
  • troisièmement, il montre ce que produit l’amour chez les amants, là où il dit (158) : et toutes

399. Circa primum, tria facit :

  • primo, ostendit quid sit obiectum amoris ;
  • secundo quomodo singulis est amor respectu singulorum ; ibi : et propter ipsum et cetera ;
    • tertio, quid facit amor in amantibus ; ibi : et omnia et cetera.

PLAN DE LA LECON 9

CE QUE THOMAS ANNONCE :

  1. De l'amour en lui-même (determinat)
    1. Comment (quomodo) Dieu est objet d'amour
      1. Quel est (quid sit) l'objet de l'amour (400)
      2. Comment (quomodo) l'amour est singulier pour le singulier (403)
      3. Ce que fait (quid facit) l'amour chez les amants (408)
    2. Comment (quomodo) Dieu aime (409)

COMMENT THOMAS LE FAIT : 

  1. De l'amour en lui-même
    1. Comment Dieu est objet d'amour
      1. Quel est l'objet de l'amour (400)
        • Induction du bien comme principe propre des opérations - L'amour du bien est racine (401)
        • Toutes les affections dépendent du bien
        • Amour étant relatif à l'appétit, de quel appétit s'agit-il ici ? (402)
      2. Comment l'amour est singulier pour le singulier (403)
        • L'amour de concupiscence et l'amour de bienveillance ou d'amitié (404)
        • Aimer qqun pour lui-même comme réalité entière (subsistante) ou l'aimer pour un de ses accidents (l'une de ses perfections) pour nous-mêmes (405)
        • Un bien est un bien pour une chose selon 4 variations : (406)
          1. une chose est son propre bien (un homme à l'égard delui-même)
          2. une chose est un bien pour une chose qui lui est similaire (un homme envers un autre homme)
          3. la partie est un bien pour le tout : une chose est un bien pour une chose parcequ'elle lui appartient (la main qui appartient à l'homme)
          4. le tout est un bien pour la partie : à tel point que la partie peut se sacrifier pour le tout
        • En conséq. l'amour est ici exposé sous 4 modes : (407)
          1. l'inférieur aime son supérieur
          2. la chose égale aime une autre chose égale
          3. les supérieurs aiment les inférieurs
          4. une chose s'aime elle-même
      3. Ce que fait l'amour chez celui qui aime (408)
        • TOUTE action est causée par l'amour - QUOI qu'on fasse ou qu'on veuille, cela est causé ex amore -L'amour du bien est principe, racine (408)
    2. Comment Dieu aime (409)
      1. agathos agathou dia ton agathon (409)
      2. la défense de l'utilisation du terme "amour" (l'éros grec) au lieu de "dilection" (l'agathos grec) (410-424)
        • annonce que cette défense sera faite par un raisonnement puis par voie d'autorité (410)
        • il faut regarder l'intention de celui qui utilise le terme "amour" (411-414)
        • il faut utiliser les termes les plus manifestes [même si ce ne sont pas les plus adaptés] (415)

FIN DU PLAN

puis

COMMENTAIRE DU PASSAGE DANS LEQUEL DENYS TRAITE DE

L'AMOUR EN LUI-MËME

400. Il dit donc en premier que, de ce que le Beau et le Bien est la finalité de toute chose, il suit de là que le Beau, qui est aussi le Bien, est aimable par tous, désirable et préférable, parce que l’objet du désir et de l’amour est le Beau et le Bien.

400. Dicit ergo, primo, quod, ex quo pulchrum et bonum est finis omnium, consequens est quod pulchrum et bonumsit amabileab omnibus, desiderabileet diligibile, quia obiectum desiderii et amoris est pulchrum et bonum.

401. Mais pour l'évidence ce qui est dit ici, il faut considérer que l’amour se rapporte à la partie appétitive de l’âme.

Cependant, l’amour est la racine première et commune (prima et communis radix) à toutes les opérations de la partie appétitive ; c’est ce qui devient patent lorsqu'on examine les cas particuliers [l'autorité de l'expérience] :

[Ici, Thomas semble procèder à une induction du bien comme principe des opérations sur le plan appétitif (qu'il soit sensible ou spirituel) - A la racine du désir : le bien aimé ; à la racine de la joie : le bien aimé ;  - Voir ensuite, juste après, le rapport essentiel au bien - ne faut-il pas dire que c'est la co-aptatio qui est principe ? - Voir un peu plus loin.]

  • rien n’est désiré s’il n’est d’abord aimé ; [= l'expérience de l'amour lorsque le bien est absent]
  • et rien ne se réjouit de la chose qu’il possède si ce n’est parce qu’il l’aime ; [= l'expérience de l'amour lorsque le bien est présent]
  • et personne ne s’attriste d’une chose, si ce n’est parce qu’elle est contraire à ce qu’il aime. [l'expérience de l'amour lorsque se présente, à la place du bien, un objet contraire à ce qui est aimé - la mort de la personne aimée par ex.]

Et c’est pour cela qu’il faut que la ratio amoris reçoive son acception à partir de ce qui est l’objet commun de l’appétit.

Et cet objet est le bien.

 

De cela donc est dit que quelque chose est aimé,

  • parce que l'appétit de l'amant est en rapport(se habet) 
    • à ce [quelque chose qui est aimé]
  • comme
    • à son bien.

Donc

  • le rapport (habitudo)
  • ou l’adaptation (coaptatio)

de l’appétit à une chose comme à son bien est appelé amour.

 

Or tout ce qui est ordonné à quelque chose comme à son bien

  • a d'une certaine manière cette chose présente à soi
  • et unie selon une certaine similitude,
  • au moins [selon une similitude] de proportion,

de même que la forme est d'une certaine manière dans la matière

  • en tant qu'elle a une aptitude
  • et un ordre à elle.

 

[Comment les autres passions dépendent de la passion amour]

  • Cependant il arrive que le bien aimé soit totalement absent de l’amant
    • et c’est ainsi qu’est causé dans l’amant le désir de l’objet aimé ;
  • parfois cependant cet objet lui est totalement présent
    • et c’est ainsi qu’apparaît la délectation ou la joie chez celui qui aime ;
  • et au contraire, de son absence
    • naissent chez lui la crainte et la tristesse
    • et par conséquent toutes les autres affections qui en découlent.

401. Ad evidentiam autem eorum quae hic dicuntur, considerandum est quod amor ad appetitum pertinet.

Est autem amor prima et communis radix omnium appetitivarum operationum ; quod patet inspicienti per singula :

  • nihil enim desideratur nisi quod est amatum ;
  • neque aliquis gaudet de re habita, nisi quia amat eam ;
  • nec aliquis tristatur de aliquo, nisi quia est contrarium amato.

Et ideo oportet quod ratio amoris accipiatur ex eo quod est commune obiectum appetitus.

--> Hoc autem est bonum.

 

Ex hoc igitur aliquid dicitur amari,

  • quod appetitus amantis se habet
    • ad illud
  • sicut
    • ad suum bonum.

Ipsa igitur

  • habitudo
  • vel coaptatio

appetitus ad aliquid velut ad suum bonum amor vocatur.

 

Omne autem quod ordinatur ad aliquid sicut ad suum bonum,

  • habet quodammodo illud sibi praesens
  • et unitum secundum quamdam similitudinem,
  • saltem proportionis,

sicut forma quodammodo est in materia

  • inquantum habet aptitudinem
  • et ordinem ad ipsam.

 

  • Sed tamen contingit quod bonum amatum totaliter est absens amanti et sic causatur in amante desiderium amati ;
  • quandoque autem est totaliter praesens ei et sic causatur in eo delectatio vel gaudium de amato ;
    • et per contrarium, de eius absentia causatur timor et tristitia de ipso et per consequens aliae affectiones quae ab his derivantur.

402. Ainsi donc est patent ce en quoi diffèrent les mots qu'emprunte Denys, à savoir

  • désirable
  • et aimable ;

car le désir est un certain effet de l’amour.

Cependant en disant préférable, il détermine un certain mode de l'amour [= l'amour volontaire, spirituel] :

  • puisque en effet l’amour relève de l’appétit,
  • [alors] de (secundum) l'ordre des appétits découle (est) l'ordre des amours [= ses différents modes].

[Trois modes de l'appétit]

[1. L'appétit naturel]

Mais l’appétit le plus imparfait qui existe est l’appétit naturel, qui est dépourvu de toute connaissance et qui n’implique rien d’autre que la seule inclination naturelle.

[2. L'appétit sensible]

Au-dessus de lui se retrouve l’appétit sensible qui suit la connaissance sensible, mais qui est dépourvu de libre élection [= choix libre].

[3. L'appétit volontaire libre]

Mais l’appétit le plus élevé est celui qui comporte à la fois

  • connaissance
  • et libre élection :

d’une certaine manière (quodammodo) en effet cet appétit se meut lui-même, ce qui fait que l’amour qui lui correspond est le plus parfait et se nomme préférence, selon que l’amant discerne par son libre arbitre ce qui doit être aimé en tant que ce qui est aimé est discerné par la libre élection [TH ne fait pas référence à ce qui doit être aimé (pas d'introduction ici d'une autorité de commandement) --> confirmer auprès d'un bon latiniste].

[Important de bien lire ici : TH commente Denys, et Denys utilise le terme diligibile, c'est sous l'aspect de préférence que Thomas regarde l'appétit spirituel en tant que, sous un certain aspect (quodammodo), cet appétit là se meut lui-même en raison du jugement sur ce qu'on pense devoir être aimé ; mais le fait qu'il y a élection, choix préférentiel, n'enlève pas le fait que l'appétit spirituel, lui aussi, est déterminé par un bien, ce bien étant indépendant de la volonté du sujet. --> Ce passage pourrait être utlisé par les scotistes pour rapprocher en force Duns Scot de Thomas.]

402. Sic igitur patet in quo differt quod dicit :

  • desiderabile
  • et amabile ;

nam desiderium est quidam effectus amoris.

Quod autem dicit : diligibile, determinat quemdam modum amoris :

  • cum enim amor ad appetitum pertineat,
  • secundum ordinem appetituum est ordo amorum.

[1.]

Est autem imperfectissimus appetituum, naturalis appetitus absque cognitione, quod nihil aliud importat quam inclinationem naturalem.

[2.]

Supra hunc autem est appetitus sensibilis, qui sequitur cognitionem, sed est absque libera electione.

[3.]

Supremus autem appetitus est qui est cum cognitione et libera electione : hic enim appetitus quodammodo movet seipsum, unde et amor ad hunc pertinens est perfectissimus et vocatur dilectio, inquantum libera electione discernitur quid sit amandum.

 

403. Ensuite, lorsqu’il dit (157) : et c'est à cause de Lui…, il montre comment l’amour convient aux [cas] singuliers, et regarde [= concerne] les [cas] singuliers.

 

403. Deinde, cum dicit : et propter ipsum et cetera, ostendit quomodo amor conveniat singulis, respectu singulorum.

404. D’où il faut considérer que puisque l’amour implique un rapport (habitudinem) entre

  • l’appétit de l’amant
  • et le bien,
  • il y a autant de modalités pour une chose d’être aimée
  • qu’il y a de modalités pour une chose de se présenter à une autre comme un bien.

Ce qui, en vérité,

  • se produit de deux manières ;
  • car le bien, tout comme l’être, se dit de deux manières :
  • d’une manière en effet, l’être se dit d’abord, au sens propre et strict, de ce qui subsiste comme par exemple la pierre et l’homme ;
  • en un autre sens, l’être se dit de ce qui ne subsiste pas en soi, mais de ce par quoi quelque chose existe,
    • comme la blancheur
      • qui ne subsiste pas en elle-même
      • mais qui est ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc ainsi que le bien se dit de deux manières :

  • premièrement, comme quelque chose qui subsiste dans la bonté ;
  • deuxièmement, comme la bonté que possède un autre [être], et par lequel quelqu’un y trouve un bien. [TH. pense à la créature qui reçoit son bien de Dieu qui est bon en lui-même.]

Ainsi donc quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous le rapport d’un bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

404. Unde considerandum est quod, cum amor importet habitudinem appetitus ad bonum amantis,

  • tot modis contingit aliquid amari,
  • quot modis contingit aliquid esse bonum alterius.

Quod quidem, primo, 

  • contingit dupliciter ;
  • nam bonum dupliciter dicitur, sicut et ens : dicitur enim,
  • uno modo ens proprie et vere, quod subsistit ut lapis et homo;
  • alio modo quod non subsistit, sed eo aliquid est,
    • sicut albedo
      • non subsistit,
      • sed ea aliquid album est.

Sic igitur bonum dupliciter dicitur :

  • uno modo, quasi aliquid in bonitate subsistens ;
  • alio modo, quasi bonitas alterius, quo scilicet alicui bene sit.

Sic igitur dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

405. Et rien ne s’oppose à ce que nous aimions aussi de cette manière les réalités qui subsistent par elles-mêmes,

  • non pas en tant que réalités subsistantes,
  • mais parce que nous poursuivons à travers elles une perfection ;

tout comme nous disons aimer le vin

  • non pour lui-même en tant que substance, pour qu’il lui arrive un bien,
  • mais pour que par lui un bien nous arrive,
    • soit que nous nous délections de sa saveur,
    • soit que nous nous nourrissions de ses humeurs.

Mais

  • tout ce qui est par accident
  • se ramène à ce qui est par soi.

Ainsi donc,

  • cela même que nous aimons parce que c’est ce grâce à quoi un bien arrive à un autre,
  • cela est compris dans l’amour de celui que nous aimons comme étant celui à qui nous voulons du bien.

De fait, quelqu'un n'est pas aimé de dilection par quelqu'un

  • par ce par quoi il est par accident,
  • mais par ce par quoi il est par soi ;

il faut donc certes accepter [= recevoir une acception, un sens] la diversité des amours d'après les choses que nous aimons, °°° de manière à leur vouloir le bien°°°.

405. Nec est inconveniens si hoc etiam modo amemus aliqua quae per se subsistunt,

  • non quidem ratione substantiae eorum,
  • sed ratione alicuius perfectionis quam ex eis consequimur ;

sicut dicimus amare vinum,

  • non propter substantiam vini ut bene sit ei,
  • sed ut per vinum bene sit nobis
    • vel inquantum delectamur eius sapore
    • vel inquantum sustentamur eius humore.
  • Omne autem quod est per accidens
  • reducitur ad id quod est per se.

Sic igitur

  • hoc ipsum quod aliquid amamus, ut eo alicui bene sit,
  • includitur in amore illius quod amamus, ut ei bene sit.

Non est enim alicui [datif] aliquid diligendum

  • per id quod est per accidens,
  • sed per id quod est per se ;

et ideo oportet quidem diversitatem amorum accipere secundum ea quae sic amamus ut eis velimus bonum.

406. Et parce que nous aimons une chose dans la mesure où elle est un bien pour nous, il faut que l’amour varie d’autant de manières qu’il y a de manière pour une chose d’être un bien pour une autre. Ce qui se produit de quatre manières :

  1. premièrement, selon qu’une chose est son propre bien et ainsi une chose s’aime elle-même ;
  2. deuxièmement, selon qu’une chose fait un avec une autre par manière de similitude et ainsi une chose aime ce qui lui correspond dans un même ordre de choses, comme lorsqu’un homme aime un autre homme, les deux étant de même espèce, comme un citoyen aime son concitoyen ou comme un frère aime son frère ;
  3. troisièmement, une chose est le bien d’une autre parce qu’elle lui appartient comme la main appartient à l’homme ou plus universellement comme la partie appartient au tout ;
  4. enfin, selon qu’au contraire le tout est le bien de la partie : la partie en effet n’est parfaite que dans le tout et c’est pourquoi la partie aime naturellement le tout et est prête à se sacrifier spontanément pour le salut du tout. En effet, ce qui est supérieur dans les êtres se compare à l’inférieur comme le tout à la partie dans la mesure où cela même que le supérieur possède à la perfection et totalement n’est possédé par l’inférieur qu’imparfaitement et en partie et dans la mesure aussi où le supérieur contient en lui de nombreux inférieurs.
 

406. Et quia unumquodque amamus inquantum est bonum nostrum, oportet tot modis variare amorem, quot modis contingit aliquid esse bonum alicuius. Quod quidem contingit quadrupliciter :

  1. uno modo, secundum quod aliquid est bonum suipsius et sic aliquid amat seipsum ;
  2. alio modo, secundum quod aliquid per quamdam similitudinem est quasi unum alicui et sic aliquid amat id quod est sibi aequaliter coordinatum in aliquo ordine, sicut homo amat hominem alium eiusdem speciei et sicut civis amat concivem et sicut consanguineus, consanguineum ;
  3. alio modo, aliquid est bonum alterius quia est aliquid eius, sicut manus est aliquid hominis et universaliter pars est aliquid totius ;
  4. alio vero modo, secundum quod, e converso, totum est bonum partis : non enim est pars perfecta nisi in toto, unde naturaliter pars amat totum et exponitur pars sponte pro salute totius. Quod enim est superius in entibus, comparatur ad inferius sicut totum ad partem, inquantum superius, perfecte et totaliter, habet quod ab inferiori, imperfecte et particulariter habetur et inquantum supremum continet in se, inferiora multa.

407. C’est pourquoi Denys expose ici quatre modes d’amour :

  1. le premier, selon lequel l’inférieur aime son supérieur ;
    • et c’est ce qu’il signifie en disant qu’à cause du Bien et du Beau et grâce à Lui, les moindres, c’est-à-dire les inférieurs, aiment les meilleurs, à savoir les supérieurs, en se tournant vers eux, car c’est en eux qu’ils trouvent leur perfection ;
  2. deuxièmement, il présente le mode d'amour par laquelle les choses aiment celles qui leur sont égales ;
    • et il dit que les choses qui sont ordonnées,
      • c’est-à-dire disposées selon un même ordre, aiment celles qui leur correspondent,
      • c'est à dire celles qui appartiennent à une même communauté, dans la mesure où elles communiquent avec elles
        • soit selon l’espèce,
        • soit selon un autre rapport ;
  3. troisièmement, il présente le mode d'amour par laquelle les réalités supérieures aiment les inférieures ;
    • et il dit alors que les meilleures, c'est à dire les supérieures, aiment les moindres, c'est à dire les inférieures, d’une manière providentielle en pourvoyant au bien des réalités qui sont contenues sous elles ;
  4. quatrièmement, il présente la sorte d'amour par laquelle certaines réalités (aliqua) s’aiment eux-mêmes
    • et il dit que les individus s’aiment eux-mêmes comme en se con-tenant [= sans sortir de soi, dans un acte intérieur de soi vers soi ; cf. contention : contenir à l'intérieur],
    • c'est à dire dans la mesure où chacun est con-tenu en soi-même.

407. Unde et Dionysius hic quatuor modos amoris ponit :

  1. et primus est secundum quod inferius amat suum superius ; et hoc est quod dicit quia propter bonum et pulchrum et ipsius gratia, minora, idest inferiora, amant meliora, idest superiora, convertendo se ad ea, quia in eis habent suam perfectionem ;
  2. secundo, ponit modum, quo aequalia amant aequalia ; et dicit quod ordinata, idest ea quae sunt unius ordinis, amant coordinata, idest aequalia communicative, idest inquantum communicant cum eis vel in specie vel in quocumque ordine ;
  3. tertio, ponit modum quo superiora amant inferiora ; et dicit quod meliora, idest superiora amant minora, idest inferiora provisive, idest inquantum provident eis ut sub se contentis ;
  4. quarto, ponit modum quo aliqua amant seipsa
    • et dicit quod ipsa singula amant seipsa contentive,
      • idest inquantum unumquodque in seipso continetur.
CE QUE FAIT L'AMOUR CHEZ CELUI QUI AIME
( : PAR MODE D'EXCES DE BONTE, PAR SURABONDANCE DE BONTE)

408. Ensuite, lorsqu’il dit (158) : et le beau rend toute chose…, il montre ce que fait l’amour chez celui qui aime. En effet,

  • parce que l’amour est la racine commune de toute la partie appétitive,
  • il faut que toute opération de la partie appétitive soit causée par l’amour, ainsi que nous l’avons dit (401).

Et

  • parce que toute opération d’une chose est causée par l’appétit,
  • il s'ensuit que toute action d'une chose quelle qu'elle soit (rei cuiuscumque) est causée par l'amour (ex amore causetur),
  • et c’est ce qu’il dit, à savoir que c’est à partir du désir (ex desiderio) du Beau et du Bien que toute chose
    • fait
    • ou veut quelque chose,
    • quoiqu’elle fasse
    • ou qu'elle veuille.

Et il prend ici le désir pour l’amour, car il en est un effet, ainsi que nous l’avons vu (402).

408. Deinde, cum dicit : et omnia pulchrum et cetera, ostendit quid facit amor in amante.

  • Quia enim amor est communis radix appetitus,
  • oportet quod omnis operatio appetitus ex amore causetur, ut dictum est.

Et

  • quia omnis operatio uniuscuiusque rei ex appetitu causatur,
  • sequitur quod omnis actio cuiuscumque rei ex amore causetur ;
  • et hoc est quod dicit quod omnia ex desiderio pulchri et boni
  • faciunt et
  • volunt
  • quaecumque faciunt
  • et volunt.

Et sumit hic desiderium pro amore, quia est effectus eius, ut dictum est.

COMMENT DIEU AIME

A.

409. Ensuite, lorsqu’il dit (159) : Ce discours compte…,

il montre comment Dieu aime ; et il dit que nous pouvons dire avec confiance que Dieu,

  1. qui de toutes choses est cause,
    • à cause de l'excès de sa bonté,
  2. aime toute chose
  3. et à partir de [cet] amour
    • il fait toutes les choses en leur donnant l’être,
    • il les perfectionne en les comblant des perfections qui leur sont propres,
    • il les contient toutes en les conservant dans l’être
    • il les convertit toutes,
      • c'est-à-dire qu'Il les ordonne toutes en Lui comme en leur fin ;

et ainsi nous disons que l’amour divin

  1. est Bien [l'amour divin est le Bien]
  2. et est du Bien, [qui est issu du Bien,]
    • c’est-à-dire [que l'amour divin est issu] de Dieu
    • comme de celui qui aime
  3. et est cause du bien
    • comme cause de l'objet ; 

Dieu en effet n'aime rien si ce n'est à cause de sa bonté.

A.

409. Deinde, cum dicit : confidit et cetera, ostendit quomodo Deus amat ; et dicit quod confidenter dicere possumus quod Deus

  1. qui est omnium causa,
    • propter excessum (uperbolèn) suae bonitatis,
  2. omnia amat ;
  3. et ex amore
    • facit omnia dans eis esse ;
    • et omnia perficit, implendo singula propriis perfectionibus ;
    • et omnia continet, conservando ea in esse ;
    • et cuncta convertit,
      • idest in se ordinat sicut in finem ;

et sic dicimus : amor divinus

  1. est bonus [nominatif]
  2. et est boni [génitif],
    • idest Dei [genitif]
    • quasi amantis [genitif]
  3. et est propter bonum [accusatif]
    • sicut propter obiectum [accusatif] ;

Deus enim nihil amat nisi propter suam bonitatem [accusatif].

 

... ainsi nous disons que l’amour divin est Bien et est du Bien, c’est-à-dire de Dieu comme de celui qui aime et est cause du bien comme cause de l'objet ; Dieu en effet n'aime rien si ce n'est à cause de sa bonté.

[le grec dit : bien du bien, par le bien - (a) agathos (b) agathou (c) dia to agathon - nominatif, genitif, accusatif]

B.

Et pour expliquer ce qu’il vient de dire, il ajoute

  • que l’amour
  • par lequel Dieu aime les choses existantes
  • est celui qui opère la bonté en elles ;

et c’est à cause de cela qu’il dit : 

  • [comme] le bien lui-même,
    • préexiste causalement dans LE bien,
      • c'est à dire en Dieu,
      • selon un excès [= avant même la création effective Dieu possède en lui-même toutes les virtualités d'être bons possibles en raison de l'illimitation de sa bonté],
  • ainsi, 
    • toutes [choses] qui relèvent de la perfection et qui sont dans les créatures,
    • sont en Dieu plus excellentes encore ;

c’est à cause de cela qu’il avait dit que l’amour divin est [l'amour ??] du bien ;

 

ici, dit-il, l’amour divin ne se permit pas de demeurer en lui-même sans progéniture(germine),

c’est-à-dire sans produire les créatures,

mais son amour au contraire le mut à agir selon le mode d’action le plus excellent

en amenant toute chose à exister.

Par amour pour sa propre bonté, il continua de telle sorte qu’il voulut

  • étendre
  • et communiquer sa bonté aux autres [que lui-même]
    • selon que cela était possible,
    • c’est-à-dire [que cela était possible] par mode de similitude,
  • de telle sorte que sa bonté
    • ne demeure pas seulement en lui
    • mais s’écoule aussi dans les autres [que lui-même].

B. 

Et ad exponendum hoc quod dixerat, subdit

  • quod amor,
  • quo Deus amat existentia
  • est operativus bonitatis in ipsis ;

et propter hoc dicit

  • ipsum bonum, 
  • quia causaliter praeexistit in bono, idest Deo,
  • secundum excessum,
  • sicut
    • omnia ad perfectionem pertinentia
      • quae sunt in creaturis,
    • excellentius
      • sunt in Deo

et ideo dixerat divinum amorem esse boni ;

 

hic, inquam, divinus amor nonpermisit manere ipsum in seipso sine germine,

idest sine productione creaturarum,

sed amor movit ipsum ad operandum, secundumexcellentissimum modum operationis

inquantum produxit omnia in esse.

Ex amore enim bonitatis suae processit quod bonitatem suam voluit

  • diffundere
  • et communicare aliis,
    • secundum quod fuit possibile,
    • scilicet per modum similitudinis
  • et quod eius bonitas
    • non tantum in ipso maneret,
      • sed ad alia efflueret.

LONG PASSAGE OU L'ON DEFEND
L'UTILISATION DU MOT AMOUR FACE A CELUI DE DILECTION

410. Et lorsqu’il dit (160) : Et qu'on ne…, il écarte ici une objection : en effet il pourrait sembler à quelqu’un que le nom ‘amour’ signifie toujours une passion naturelle et que pour cela on ne devrait pas l’utiliser pour l’appliquer aux réalités divines. Il écarte cependant cette objection

  • d’abord certes au moyen d’un raisonnement ;
  • deuxièmement, au moyen d’un argument d’autorité,

là où il dit (163) : Mais afin que nous ne

410. Et non aliquis et cetera. Hic excludit quamdam objectionem : posset enim alicui videri quod nomen amoris semper naturalem passionem significaret et ideo non esset eo utendum in divinis. Hanc autem obiectionem

  • primo quidem excludit per rationem ;
  • secundo, per auctoritatem,

ibi : sed ut non ista et cetera.

411. Au sujet du premier point, il fait deux choses ;

  • premièrement, il dit que l’objection est irraisonnable absurde ;
  • deuxièmement, il apporte un raisonnement, là où il dit (161) : Il faut cependant

411. Circa primum, duo facit :

  • primo, dicit obiectionem esse irrationabilem ;
  • secundo, adhibet rationem ; ibi : oportet autem et cetera.
L'argument qui défend le contraire est irrationnel

412. Il dit donc en premier que nul ne doit penser que nous attribuions à Dieu le nom ‘amour’ en allant à l’encontre de la coutume et en désaccord avec les saintes Écritures.

Il est irrationnel et tortu (pravum : de travers, déficient, vicieux, tortu = vieux mot inusité) comme je le pense [= avec notion de "juger de", "de donner son appréciation"], qu'un homme 

  • ne prête pas attention à la vertu d'intention, c'est-à-dire à ce qu'on à l'intention de signifier par un nom, 
  • mais [ne prête attention qu'] aux dires eux-mêmes ;

et

  • cela ne s'adresse pas à ceux qui veulent intelliger les choses divines,
  • mais à ceux
    1. qui regardent
        • les dires-mêmes
        • ou les sons-mêmes,
      • à la légère, sans en peser la signification,
    2. et qui de plus gardent les sons 
        • seulement à l'extérieur,
        • c'est-à-dire [seulement] jusqu'aux oreilles,
      • afin qu'ils ne parviennent pas plus loin, jusqu'à l'intellect;
    3. qui ne veulent pas voir
      • ce que tel dire signifie,
      • et comment il arrive d'expliquer [exponere = le fait de révéler le sens de] un dire par d'autres dires plus manifestes, signifiant la même chose.

*

Car ceux-là ne sont atteints que

  • par
    • les éléments eux-mêmes,
    • c’est-à-dire par les lettres, les syllabes et les lignes,
    • à savoir par les figures sensibles écrites
  • et non par ce qui est intelligible,

A.

car dans ce cas les sons des dires

  • ne parviennet pas jusqu’à la partie intellectuelle de l’âme,
  • mais s’arrêtent à proximité des lèvres de ceux qui parlent et des oreilles de ceux qui entendent,

de sorte qu’il n’est pas possible à leurs yeux

  • que le nombre quatre soit signifié par deux fois deux,
  • qu'avoir des lignes droitesle soit par rectiligne
  • ou que terre maternelle puisse l'être par patrie.

B.

Et cela est similaire pour certaines autres [locutions] dans lesquelles il arrive qu’une même intention soit signifiée par diverses parties du discours des termes différents.

Ceux-là, en recevant les paroles sont touchés,

  • par les lettres et les dires vocaux
  • et non par l’intention de l'intellect, qui accepte d'autres dires,

car

  • ils ne sont affectés que par les choses vocales mêmes
  • sans prêter attention à leur sens.
 

412. Dicit ergo primo quod nullus debet opinari quod nos commendemus in Deo nomen amoris praeter consuetudinem et convenientiam sacrarum Scripturarum.

Irrationabile enim est et pravum, sicut arbitror, quod homo non attendat ad virtutem intentionis, idest ad id quod aliquis intendit significare per nomen, sed ad ipsas dictiones ;

et hoc

  • non pertinet ad eos qui volunt intelligere divina,
  • sed ad eos
    1. qui respiciunt
        • ad ipsas dictiones
        • vel ipsos sonos
      • leviter non ponderando significationem eorum
    2. et qui etiam continent sonos
        • extra tantum,
        • scilicet usque ad aures,
      • ita quod non transeant ultra usque ad intellectum ;
    3. qui non voluntvidere
      • quid talis dictio significet
      • etquomodo contingit unam dictionem exponereper alias dictiones manifestiores, idem significantes.

*

Sed tales patiuntur aliquid

  • ab
    • ipsis elementis,
    • idest litteris, syllabis et lineis,
    • idest figuris scriptis sensibilibus
  • et non intelligibilibus,

quia ipsi soni dictionum

  • non transeunt usque ad intelligibilem partem animae,
  • sed morantur circa labialoquentium et circa auditusaudientium,

sicut non sit possibile

  • quod quaternarius numerus significetur per bis duo
  • aut hoc quod dico rectilineum significetur per habens rectas lineas
  • aut maternum solum significetur per patriam.

Et simile est de quibuscumque aliis in quibus contingit unam intentionem significari diversis partibus orationis.

Illi autem dicuntur compati

  • litteris et dictionibus vocalibus
  • et non intellectualibus, qui acceptant aliquas dictiones,

quia

  • afficiuntur ad ipsa voces
  • et non attendunt ad sensus eorum.

 

Argument pour l'utilisation du mot amour

413. Ensuite, lorsqu’il dit (161) : Il faut cependant…, il donne la raison de ce qu’il vient de dire ;

  • et premièrement qu’il ne faut pas s’attacher aux sons de voix quand les significations apparaissent clairement ;
  • deuxièmement, qu’il faut se servir des sons de voix les plus évidents, là (162) où il dit : Quand cependant

413. Deinde, cum dicit : oportet autem et cetera, assignat rationem praemissorum ;

  • et primo, quod non oportet attendere ad voces, quando constat de sensibus ;
  • secundo, quod utendum sit vocibus planioribus ; ibi : quando autem et cetera.

414. Il dit donc en premier qu’il faut voir, conformément à la raison droite, que nous nous servons des éléments, à savoir

  • des sons de voix,
  • des syllabes,
  • des mots
  • et des discours, qu’ils soient écrits ou parlés,
  • à cause des sens eux-mêmes,
  • c’est-à-dire à cause de l’ouïe et de la vue.

[Puisque nou sommes dotés de certains sens, nous usons d'eux pour signifier notre pensée]

Mais

  • quand notre âme s’est élevée à la participation des réalités intelligibles au moyen de l’opération intellectuelle,
  • alors la contribution des sens à la perception des réalités sensibles devient inutile
  • car celle-ci n’est qu’une préparation à la saisie des réalités intelligibles ;

alors

  • quand nous parvenons au terme, nous nous écartons du chemin qui y conduit
  • et ainsi quand l’intention poursuivie par l’intelligence au moyen des sons de voix devient évidente, c’est alors que cesse ce rôle joué par ces sons de voix au moyen desquels cette intention est signifiée.

Et donc il n'y a pas lieu de débattre à ce sujet. 

Et il donne un exemple du fait que les puissances intellectuelles de notre raison naturelle sont aussi superflues lorsque notre âme, conformée à Dieu (Deo conformata), s'élance (immittit) dans les choses divines,

  • non par un élan (immissione) des yeux du corps,
  • mais par un élan (immissione) de la foi,
  • c'est-à-dire, par le fait que la lumière divine, inconnue et inaccessible, s'unit à nous et se communique à nous.

En effet, [où l'analogie est explicitement exposée]

  • alors que nous considérons les réalités qui sont [de l’ordre] de la foi,
    • nous n’en jugeons pas par la raison naturelle ;
  • de même, lorsque nous voulons intelliger quelque chose,
    • il ne faut pas en juger par des sons de voix.

414. Dicit ergo primo quod oportet videre, secundum rectam rationem, quod elementis, scilicet

  • vocibus
  • et syllabis
  • et lineis
  • et orationibus, scriptis vel dictis,
  • utimur propter sensus ipsos,
  • scilicet propter auditum et visum.

Sed

  • quando anima nostra movetur intelligibili operatione ad intelligibilia participanda,
  • tunc sensus exteriorum sensibilium superfluunt
  • quia sensibilia sunt praeambula ad intelligibilia ;
  • quando autem pervenimus ad terminum, recedimus a via
  • et ita quando iam constat de intentione intellecta per voces cessat officium vocum quibus significantur.

Et ideo de hoc non est disceptandum.

Et ponit exemplum de hoc quod intellectuales virtutes nostrae naturalis rationis etiam superfluunt quando anima nostra Deo conformata immittit se rebus divinis,

  • non immissione oculorum corporalium,
  • sed immissione fidei,
  • scilicet per hoc quod divinum lumen ignotum et inaccessibile, seipsum nobis unit et communicat.
  • Dum enim consideramus ea quae fidei sunt,
    • non diiudicamus ea per rationem naturalem ;
  • et similiter cum volumus aliquid intelligere,
    • non oportet hoc diiudicare per voces.

415. Ensuite, lorsqu’il dit (162) : Quand cependant…, il montre qu’il faut davantage utiliser les noms qui sont les plus manifestes ; et il dit que

A.

  • quand notre esprit s’applique à s’élever à la contemplation intellectuelle au moyen des [signes] sensibles,
    • alors elles sont
      • plus précieuses,
      • c'est-à-dire plus utiles,
    • ces espèces sensibles qui, plus manifestement, 
      •  portent
      • ou mettent à portée 
    • des intentions intellectuelles,
    • tels que des discours plus clairs [le font] pour [les réalités sensibles] les plus manifestement visibles.

B.

Mais

  • quand cela même qui [devraient] être représenté par les sens dans le monde sensible n'est pas manifeste,
  • alors les sens eux-mêmes ne peuvent pas bien représenter les [réalités] sensibles à l’esprit,
  • de sorte que ce qui est intelligible ne peut être saisi à partir du sensible.

C. [Conclusion]

Et alors, puisque le nom ‘amour’ est plus clair et plus communément répandu que le nom ‘dilection’, on doit l’utiliser de préférence pour signifier l’intention intelligible visée par notre propos. [Thomas donnera en I-II.q26a3 une analyse beaucoup plus profonde de la distinction amour / dilection, notamment à l'ad. 4]

415. Deinde, cum dicit : quando autem et cetera, ostendit quod vocibus manifestioribus est magis utendum ; et dicit quod

  • quando mens nostra studet moveri ad contemplationem intellectivam per sensibilia,
    • tunc sunt
      • pretiosiores
      • idest utiliores
    • illae sensibiles species quae
      • manifestius portant
      • vel deferunt
    • intellectuales intentiones,
  • ut planiores orationes, manifestiora visibilia.

Sed

  • quando ea quae non sunt manifesta in sensibilibus repraesentantur sensibus,
  • tunc nec ipsi sensus possunt bene repraesentare sensibilia menti,
  • ita scilicet quod ex ipsis sensibilibus intelligibilia capiantur.

Et ideo, quia nomen amoris planius et communius, quam nomen dilectionis est, magis eo utendum ad intellectualem intentionem significandam.

416. Ensuite, lorsqu’il dit 163) : Mais afin que nous ne…, il manifeste la même conclusion par l’autorité des Écritures ; et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre comment les saintes Écritures se servent du nom ‘amour’ pour parler des réalités divines (417) ;
  • deuxièmement, comment certains estimaient plus convenable d’utiliser le nom ‘amour’ que le nom ‘dilection’, là où il dit (164) : Bien que(418) ;
  • troisièmement, il montre qu’il faut se servir indifféremment de l’un et de l’autre, là où il dit (167) : Par tous ceux qui entendent(419)

416. Deinde, cum dicit : sed ut non ista et cetera, manifestat idem per auctoritates Scripturae ; et circa hoc, tria facit :

  • primo, ostendit quomodo nomine amoris sacra Scriptura utitur in divinis rebus ;
  • secundo, quomodo quidam reputant convenientius uti nomine amoris, quam nomine dilectionis ; ibi : quamvis et cetera ;
  • tertio, ostendit quod indifferenter utroque est utendum ; ibi : ab audientibus et cetera.
Argument tiré de l'Ecriture

417. Il dit donc en premier que,

  • afin qu'il ne paraisse pas présenter les raisons précédentes comme s'il voulait aller à l’encontre des saintes Écritures,
  • il présente ces arguments d’autorité tirés des Écritures contre ceux qui condamnent l’usage du nom ‘Amour’ pour traiter des choses divines, dont celui-ci :
    • ¨Aime-la et elle te servira¨, selon une traduction qui n’est pas de nous ;
    • la nôtre cependant dit, par rapport à ce passage du livre des Proverbes (4, 6) : ¨Honore-la, à savoir la sagesse, et elle te serviraétreins-la et elle te réjouira, et tu seras glorifié par elle quand tu l’auras embrassée¨.
    • Et l’on retrouve de nombreux autres passages dans les Écritures qui ont été écrits à la louange de l’amour chez les théologiens de l’amour (amatoriis theologiis) dans le Cantique des Cantiques.

417. Dicit ergo primo quod, ut non videatur praedictas rationes inducere tamquam volens pervertere sacras Scripturas, contra istos qui nomen amoris in divinis accusant, inducit has auctoritates :

  • ama eam et servabit te, secundum aliam translationem ;
  • nostra autem translatio habet, Prov. 4 : dilige illam, idest sapientiam et servabit te (...) arripe illam et exaltabit te, et glorificaberis ab ea, cum eam fueris amplexatus.
  • Et multa alia dicuntur ad laudem amoris in Scripturis, ut patet in amatoriis theologiis, idest in canticis canticorum.

Argument d'autorité

Note sur le passage suivant : TH. commente alors la phrase de Denys qui lui est parvenue ainsi traduite : "quibusdam Sanctorum visum est divinius esse nomen amoris quam nomen dilectionis" : "certains Saints pensaient que le nom d'amour était plus divin que le nom de dilection". L'original grec met en confrontation non pas amour et dilection mais éros et agapè, le mot éros n'étant pas à prendre dans son sens basic mais dans son sens élevé par le néoplatonisme, ainsi que Denys lui-même le remarque : "Ainsi le divin Ignace [d'Antioche] écrit aussi : « Mon amour (o emos erôs) a été crucifié » et il ajoute une autre autorité... Les éditeur ajoute quant à eux la mention d'Origène (Sources Chrétiennes, n° 578, p. 471, nn. 1 et 2).

418. Ensuite, lorsqu’il dit (164) : Bien que…, il montre que plusieurs ont estimé devoir préférer le nom ‘amour’ dans le domaine du divin ; et à ce sujet il fait trois choses :

  • d’abord, il présente l’opinion des autres ;
  • deuxièmement, il dit ce qu’il lui en semble lorsqu’il dit (165) : à moi en effet… ;
  • troisièmement, il présente l’argument supportant l’opinion des autres quand il ajoute (166) : à cause de cela cependant

418. Deinde, cum dicit : quamvis et cetera, ostendit quod quidam magis utendum hoc nomine amoris in divinis censebant ; et circa hoc, tria facit :

  • primo, ponit sententiam aliorum ;
  • secundo, ostendit quid sibi super hoc videtur ; ibi : mihi enim et cetera ;
  • tertio, assignat rationem sententiae aliorum ; ibi : propter hoc autem et cetera.

419. Il dit donc qu’aux yeux de certains des docteurs qui traitèrent des livres sacrés, bien qu’ils ne composèrent pas les Livres canoniques, le nomamour’ convenait davantage aux choses divines que le nom ‘dilection’.

  • D’où Ignace le Martyre, en écrivant au sujet du Christ, a dit : ‘mon amour’, à savoir le Christ dans lequel je mets tout mon amour, ¨fut crucifié¨.
  • Philon, dans le livre qu’il fit pour introduire aux livres saints, intitulé De la Sagesse divine,dit : ¨Je suis devenu amoureux de sa beauté¨, ainsi qu'on le lit au livre De la Sagesse (8, 2.).
  • D’où il est évident que le livre de la Sagesse ne fait pas encore partie des Livres canoniques.
  • D’où on conclut que nous ne devons pas craindre de nous servir du nom ‘amour’ et qu’une objection qui chercherait à jeter un doute à ce sujet ne doit pas nous en détourner.

419.Dicit ergo primo quod quibusdam doctorum qui sanctos sermones tractaverunt, licet canonicas Scripturas non conderent, visum est quod nomen amoris convenientius esset rebus divinis quam nomen dilectionis.

  • Unde Ignatius martyr scribit de Christo dicens : meus amor, idest Christus in quo totus meus amor est, crucifixus est.
  • Philo dicit in libro quem fecit introducentem ad sacra eloquia, de divina sapientia : amator factus sum, pulchritudinis eius, Sapient. 8.
  • Ex quo patet quod liber sapientiae nondum habebatur inter canonicas Scripturas.
  • Unde concluditur quod non debemus timere uti nomine amoris nec ab hoc debet nos revocare aliqua obiectio, super hoc dubitationem ingerere intendens.

420. Ensuite, lorsqu’il dit (165) : à moi en effet…il montre ce qui lui en semble ; et il dit qu’il lui apparaît que ceux qui composèrent les saintes Écritures se servirent

  • communément
  • et indifféremment

du nom ‘dilection’ et du nom ‘amour’.

420. Deinde, cum dicit : mihi enim et cetera, ostendit quid sibi super hoc videatur ; et dicit quod sibi videtur quod conditores sacrae Scripturae

  • communiter
  • et indifferenter

utuntur nomine dilectionis et amoris.

421. Ensuite, lorsqu’il dit (166) : à cause de cela…il présente la raison pour laquelle certains disent devoir se servir davantage du nom ‘amour’ dans les écrits divins ;

et il dit que si le nom ‘amour’ est appliqué aux choses divines, il semble que ce soit pour cette raison, à savoir pour écarter l’interprétation de ceux qui se servent de ce mot d’une manière grossière ;

[Le véritable amour mène à l'unité]

  • car tandis que le véritable amour est loué comme convenant à Dieu,
    • non seulement par nous qui présentons les Saintes Écritures,
    • mais aussi par ces Écritures elles-mêmes,

[L'amour corporel mène à la multiplicité]

  • le grand nombre des hommes sots (multitudines hominum insipientium)
    • qui ne peuvent saisir la forme-une (uniformitatem = ou "simplicité") signifiée par le nom d’amour divin,
    • se laisse aller selon sa conformité intime [à sa nature] [consuetudinem : cf. 4ème sens du Gaffiot, et en accord avec texte Denys grec : oikeôs] vers l’amour que l’on retrouve dans les réalités corporelles, [cet amour] est
      • dissimilaire [= l'amour divin rend un avec Dieu, aussi dans l'amour spirituel d'amitié]
      • et divisé :
    • car un tel amour ne trouve pas un tout qui lui soit suffisant,
    • et se divise donc en différentes parties ;
    • et si
      • pendant un certain temps il trouve satisfaction en une [chose],
      • cependant il n’y persévère pas
      • mais il cherche naturellement ce qui lui plaît dans diverses [choses].

Et c'est ce qui arrive dans les choses corporelles car elles sont

  • dissimilaires
  • et divisées.
  • Cette sorte d’amour,
  • tout comme le bien divisé,

n’est cependant pas le véritable amour,

  • tout comme non plus le bien divisé,
  • car le bien divisible n'est pas
    • le véritable
    • et le parfait bien,
  • contrairement au bien indivisible qui est au maximum un ;

en effet, le bien et l’un se rencontrent, (concurrunt, litt. : courrent ensemble, vont de pair), ainsi que Boèce le prouve au troisième livre de son traité De la Consolation.

421. Deinde, cum dicit : propter hoc et cetera, assignat rationem quare quidam in divinis magis dicunt utendum nomine amoris ;

et dicit quod propter hoc videtur quod nomen amoris apponatur rebus divinis, ut excludatur acceptio illorum qui inconvenienter nomine amoris utuntur ;

  • quia cum in Deo, ut ipsum decet, laudetur verus amor
    • non solum a nobis qui sacras Scripturas exponimus
    • sed et ab ipsis Scripturis,
  • multitudines hominum insipientium qui non possunt capere uniformitatem quam signat nomen amoris divini, prolapsae sunt secundum suam consuetudinem ad amorem qui invenitur in rebus corporalibus, qui est
    • dissimilis
    • et divisus :
    • quia talis amor non invenit in uno totum quod ei sufficiat
    • et ideo dividitur per diversa ;
    • et
      • si per aliquod tempus sibi satisfiat in uno,
      • tamen in hoc non durat,
      • sed natus est quaerere in diversis quod sibi placet.

Et hoc contingit rebus corporalibus quia sunt

  • dissimilia
  • et divisa.

Hic autem amor non est verus amor,

  • sicut nec bonum divisum,
  • cum divisibile non sit
    • verum
    • et perfectum bonum,
  • sed bonum indivisibile, quod est maxime unum ;

bonum enim et unum in idem concurrunt, ut Boetius probat in libro de consolatione.

422. Et cet amour corporel est

  • une certaine idole,
  • c’est-à-dire une similitude du véritable amour
  • ou même une caricature ou une détérioration du véritable amour.

A.

Et les multitudes s’abandonnent à cet amour parce qu’elles ne peuvent saisir la forme-une (uniformitatem = ou "simplicité") de l’amour divin ;

et c’est pour cela que ce nom, apparaissant

  • pour ainsi dire fâcheux à plusieurs,
  • c’est-à-dire inconvenant,

fut néanmoins attribué à la Sagesse divine afin que,

  • de leur affaissement dans les réalités inférieurs, ces derniers soient
      • élevés
      • et excités 
    • vers la connaissance du véritable amour
  • et qu’ils se libèrent de la difficulté dont il pâtissait à propos de ce nom ;

B.

il en est de même aussi pour d’autres noms de Dieu, auxquels des réalités corporelles encore plus humbles sont fréquemment attribuées afin que l’esprit soit poussé

  • à ne pas demeurer en elles,
  • mais de comprendre Dieu par-dessus toutes [ces] choses.

ainsi qu’on l’a déjà dit au deuxième chapitre de la Hiérarchie des Anges.

C.

Et c’est pourquoi les Écritures saintes attribuent à Dieu le nom ‘amour’, à savoir parce que nous nous en servons davantage pour désigner l’amour bas et charnel.

422. Hic autem amor corporalis

  • est quoddam idolum (eidôlon),
  • idest similitudo veri amoris
  • vel magis quidam defectus sive casus a vero amore.

A.

Ideo autem prolabuntur multitudines ad hunc amorem, quia non possunt capere uniformitatem divini amoris ;

et ideo hoc nomen dispositum est in divina sapientia,

  • sicut apparens multis molestius,
  • idest inconvenientius,
  • ad hoc quod sursum
      • eleventur
      • et excitentur,
    • quasi in inferioribus recumbentes, ad cognitionem veri amoris
  • et ut etiam liberentur a difficultate quam patiuntur circa hoc nomen ;

B.

sicut etiam et in aliis Dei nominationibus, frequenter attribuuntur corporalia magis infima, ut mens cogatur in eis

  • non remanere,
  • sed super omnia Deum intelligere,

 

comme aussi dans les autres rendez-vous de Dieu, des choses corporelles plus inférieures sont fréquemment attribuées, de sorte que l'esprit est forcé de ne pas rester en elles, mais de comprendre Dieu par-dessus toutes choses.

 

ut in II cap. angelicae hierarchiae dictum est.

C.

Et ideo nomine amoris utitur Scriptura in divinis, quia hoc nomine magis utimur pro infimo et carnali amore.

IL Y A DES ABUS DE LANGAGES DANS UN SENS MAIS AUSSI DANS L'AUTRE : 
L'AMOUR EST PRIS POUR LA DILECTION ET VIS VERSA

423. En revanche, dit-il, il serait inconvenant de croire, selon ce qui apparaît clairement dans les Écritures, qu’il existe

  • des zèles terrestres
  • c'est à dire des amours [terrestres]

dans les réalités divines qu'on voit être nommées par le terme dilection.

C'est ainsi que David dit, dans ce passage du deuxième Livre de Samuel (1, 26), selon cette traduction qui n’est pas de nous :¨Ton amour est tombé sur moi comme l’amour des femmes¨, mais que nous avons en vérité traduit ainsi : ¨ Je suis affligé pour toi, mon frère Jonathan, tu m'étais délicieusement cher ; ton amitié m'était plus merveilleuse que l’amour des femmes

423. Rursus, inquam, inconveniens esset quod a nobis opinaretur esse

  • terrenos zelos,
  • idest amores

in rebus divinis, qui videntur exprimi per nomen dilectionis, secundum quod apparet ex plano modo Scripturae.

Dixit enim quidam, scilicet David, II Reg. 1 secundum aliam translationem : cecidit dilectio tua super me, sicut dilectio mulierum ; nostra vero translatio habet : doleo super te, frater mi Ionatha, decore nimis, et amabilis super amorem mulierum.

424. Ensuite, lorsqu’il dit (167) : Par ceux qui entendent…il montre comment sont reçus selon les Écritures les noms

  • de dilection
  • et d’amour ;

et il dit qu’auprès de ceux qui s’y entendent correctement au sujet de Dieu, il est entendu que les saints théologiens qui produisirent les Livres canoniques accordent la même portée et la même signification aux noms

  • ‘dilection’
  • et ‘amour’,
  • soit d'après ce que Dieu leur manifesta,
  • soit d'après ce qu’ils manifestèrent de Dieu.

En effet l’un et l’autre nom

  1. sont significatifs d'une certaine puissance unitive,
    • en tant que [cette puissance signifiée par ces noms] unit l'amant à l'aimé,
    • dans la mesure où tous deux désirent la même chose.
  2. et ils renvoient aussi à une puissance conjonctive,
    • dans la mesure où chacun est conjoints à la convenance de l'autre,
      • selon une inclination,
      • selon laquelle les deux amants sont dans une relation de l'un à l'égard de l'autre (se habent ad invicem) ;
  3. et à celle d’un assemblage des différences (differenter concretivae),
    • selon que dans une telle conjonction sont sauvegardées les différences [propres] à chacun des amants, dont parfois l’un est supérieur et l’autre inférieur ;
  4. et cette puissance préexiste dans le Beau et le Bien,
    • à savoir en Dieu qui aime
      • et Lui-même
      • et les autres
        à cause de sa beauté et de sa bonté.

424. Deinde, cum dicit : ab audientibus et cetera, ostendit quomodo accipitur secundum Scripturas nomen

  • dilectionis
  • et amoris ;

et dicit quod ab illis qui recte audiunt divina hoc sancitur, quod in eadem virtute et significatione accipitur a sanctis theologis qui canonicas Scripturas ediderunt, nomen

  • dilectionis
  • et amoris,
  • secundum ea quae eis a Deo manifestata sunt
  • vel quae ipsi de Deo manifestaverunt.

Utrumque enim nomen

  • est significativum cuiusdam virtutis unitivae,
    • inquantum unit amantem amato,
    • prout utrumque idem desiderant ;
  • et coniunctivae,
    • prout utrumque coniungitur convenientiae alterius
      • secundum inclinationem,
      • secundum quam duo amantia se habent ad invicem ;
  • et differenter concretivae,
    • secundum quod in tali coniunctione salvatur differentia utriusque amantium, quorum quandoque unum est superius aliud inferius ;
  • et haec quidem virtus praeexistit in pulchro et bono,
    • scilicet in Deo qui amat
      • et se
      • et alia
        propter suam pulchritudinem et bonitatem.

425. Et encore une fois cette puissance est attribuée aux choses créées par Dieu, qui est le Beau et le Bien, à cause du Beau et du Bien qui est l’objet propre de l’amour.

  • En effet, rien n’est aimé s’il ne se rapporte au beau et au bien.
  • Et cette puissance embrasse certes les réalités qui sont du même ordre,
    • à savoir celles qui sont égales selon qu’elles sont dans une relation (se habent ad invicem)
    • telle qu’elles se communiquent les unes aux autres alternativement.
  • De plus la puissance de l’amour meut les réalités supérieures à pourvoir aux besoins des inférieures et elle établit dans les réalités supérieures celles qui ont moins,
    • c’est-à-dire les réalités inférieures, selon qu’elle tourne celles-ci vers celles-là dans lesquelles elles trouvent leur bien propre, ce que nous avons déjà expliqué plus haut (404-407).

425. Et iterum haec virtus attribuitur rebus creatis a Deo, qui est pulcher et bonus, propter pulchrum et bonum, quod est proprium obiectum amoris.

  • Nihil enim amatur, nisi secundum quod habet rationem pulchri et boni.
  • Et haec quidem virtus continet coordinata,
    • idest aequalia secundum quod sic se habent ad invicem
    • quod alternatim sibi invicem communicant sua.
  • Movet etiam virtus amoris superiora ad providendum inferioribus et collocat minus habentia,
    • idest inferiora in superioribus inquantum convertit haec ad illa sicut ad proprium bonum quod habent in illis. Et haec supra exposita sunt.

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Thomas d'Aquin - L'amour est dans dans la présence ET dans l'absence, le plaisir uniquement dans la présence (union)

 

Le plaisir requiert l'union réelle comme cause. Mais le désir est dans la réalité aimée absente, tandis que l'amour est dans l'absence et dans la présence. (Somme, Ia-IIae, q. 28, a. 1, ad.1.)

Obiectio illa procedit de unione reali. Quam quidem requirit delectatio sicut causam, desiderium vero est in reali absentia amati, amor vero et in absentia et in praesentia..

 

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Thomas d'Aquin - L'amour unit plus que la connaissance - I-II.q28a1ad3

La connaissance est perfectionnée (perficitur) par ce qui est connu uni à celui qui connaît selon sa similitude. Mais l'amour fait que la chose aimée elle-même (ipsa res) est unie en quelque manière à celui qui aime. D'où l'amour est plus unifiant que la connaissance. (Somme, I-II.q28a1ad3)

Cognitio perficitur per hoc quod cognitum unitur cognoscenti secundum suam similitudinem. Sed amor facit quod ipsa res quae amatur, amanti aliquo modo uniatur, ut dictum est. Unde amor est magis unitivus quam cognitio.

Commentaire : La connaissance s’achève (perficitur) lorsque la réalité connue est unie à celui qui la connaît par similitude ; alors que l’amour s’achève lorsque la réalité aimée elle-même est unie à celui qui l’aime (28/1/3). L’amour unit plus que la connaissance.

Distinction

  • union substantielle (avec soi-même) /
  • union affective (assimilée à l’union substantielle en tant qu’on considère la personne aimée comme un autre soi-même) /
  • union effective ou réelle (vie en commun, conversation, activités communes).

L’amour n’est pas seulement intentionnel, il donne naissance à un mouvement (le désir) qui tend à rejoindre la réalité aimée (on aime pas le chocolat seulement intentionnellement), l’amour est alors perfectionné lorsque l’aimé et l’aimant son unis réellement.

[A MEDITER POUR PRECISER :] Remarque à propos de la connaissance par similitude. Thomas répond ici d'abord à une objection concernant la connaissance sensible. Lorsque l'animal connaît une réalité, il reçoit par ses sens une similitude du réel, cette réception est une union. L'animal connaissant est uni à la similitude de la chose, pas à la chose elle-même. 

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Thomas d'Aquin - L'homme peut tendre à Dieu plus en subissant son attraction que par le jugement de sa raison - I-II.q26a3ad4

Certains ont posé, jusque dans la volonté même, que le nom d'amour est plus divin que le nom de dilection,

  • parce que l'amour implique une certaine passion, d'autant plus qu'il l'est dans l'appétit sensitif ;
  • tandis que la dilection présuppose le jugement de la raison.

Mais l'homme peut tendre à Dieu

  • plus par amour, passivement attiré (attractus) d'une certaine manière par Dieu lui-même,
  • que sa propre raison ne peut l'y conduire, ce qui relève de la raison de dilection, comme cela a été dit.

Et à cause de cela, l'amour est plus divin que la dilection. 

(Somme, I-II.q26a3ad4)

Aliqui posuerunt, etiam in ipsa voluntate, nomen amoris esse divinius nomine dilectionis,

  • quia amor importat quandam passionem, praecipue secundum quod est in appetitu sensitivo;
  • dilectio autem praesupponit iudicium rationis.

 

  • Magis autem homo in Deum tendere potest per amorem, passive quodammodo ab ipso Deo attractus,
  • quam ad hoc eum propria ratio ducere possit, quod pertinet ad rationem dilectionis, ut dictum est.

Et propter hoc, divinius est amor quam dilectio.

Ce passage est de première importance pour montrer tout ce qui oppose Duns Scot à Thomas !

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Thomas d'Aquin - Le bien aimé [intensément] peut excéder les possibilités du corps et le blesser - I-II.q28a5

  • ... mais en tant que bien, un bien ne peut blesser, puisqu'un bien n'est bien que s'il convient à celui pour qui il est un bien

Nous l'avons dit, l'amour signifie une certaine co-aptation de la puissance affective à un certain bien. 

[A. Réponse du côté de la forme]

[a. Quand il y a co-aptation à un vrai bien]

  • Or rien de ce qui a été co-apté à quelque chose qui lui convient ne s'en trouve blessé,
  • mais bien plutôt, si cela est possible, 
    • il progresse,
    • et s'améliore.

[b. Quand il y a co-aptation à un bien qui ne con-vient pas]

Au contraire, ce qui veut s'adapter à ce qui ne lui convient pas en est blessé et détérioré.

  • Donc, l'amour du bien qui convient perfectionne et améliore celui qui aime ;
  • l'amour du bien qui ne convient pas blesse et détériore. 
  • C'est pour cela que l'homme est perfectionné et rendu meilleur surtout par l'amour de Dieu,
  • tandis qu'il est blessé et détérioré par l'amour du péché, selon ces mots d'Osée (9, 10) : "Ils sont devenus abominables comme l'objet de leur amour." 

Cela doit s'entendre de l'amour au point de vue de ce qu'il y a de formel en lui, c'est-à-dire de l'appétit.

[B. Réponse du côté de la matière]

[a. Néanmoins, l'amour peut blesser à cause du lien âme/corps]

Quant à l'aspect matériel de la passion amour, à savoir une certaine modification corporelle,

  • il arrive que l'amour blesse, à cause d'un certain excès,
  • comme cela arrive
    • dans l'activité sensorielle,
    • et en tout acte d'une puissance de l'âme qui s'exerce avec modification de l'organe corporel.

Sicut supra dictum est, amor significat coaptationem quandam appetitivae virtutis ad aliquod bonum.

A.

  • Nihil autem quod coaptatur ad aliquid quod est sibi conveniens, ex hoc ipso laeditur,
  • sed magis, si sit possibile,
    • proficit
    • et melioratur.

B.

Quod vero coaptatur ad aliquid quod non est sibi conveniens, ex hoc ipso laeditur et deterioratur.

  • Amor ergo boni convenientis est perfectivus et meliorativus amantis,
  • amor autem boni quod non est conveniens amanti, est laesivus et deteriorativus amantis.
  • Unde maxime homo perficitur et melioratur per amorem Dei,
  • laeditur autem et deterioratur per amorem peccati, secundum illud Osee IX, facti sunt abominabiles, sicut ea quae dilexerunt.

Et hoc quidem dictum sit de amore, quantum ad id quod est formale in ipso, quod est scilicet ex parte appetitus.

C.

Quantum vero ad id quod est materiale in passione amoris, quod est immutatio aliqua corporalis,

  • accidit quod amor sit laesivus propter excessum immutationis,
  • sicut accidit
    • in sensu,
    • et in omni actu virtutis animae qui exercetur per aliquam immutationem organi corporalis.

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1. Le bien en tant que bien, lorsqu'il convient à un être, le rend meilleur. Un ami me rend meilleur, et je rends meilleur l'ami.

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Thomas d'Aquin - Les mouvements de l'appétit relèvent plutôt de l'ordre intentionnel

Les mouvements de l'appétit relèvent plutôt de l'ordre intentionnel que de l'ordre d'exécution.
(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 3, ad. 3)

Motus autem appetitivus magis pertinet ad intentionem quam ad executionem.

Ce propos est tenu lors de la réponse à la question : La haine est-elle causée par l'amour ?

Concrètement, lorsque nous nous éloignons maintenant d'un mal c'est pour nous approcher ensuite d'un bien. Si l'on s'éloigne des vices en cultivant les vertus, c'est pour nous approcher d'un bien qu'on sait ne pas pouvoir obtenir sans une activité vertueuse.

Donc ce qui arrive concrètement en premier, à tel moment, c'est l'exécution de l'éloignement du vice (par exemple, la paresse).

Mais nous ne le faisons que parce que avant cet ordre concret d'exécution, nous aimions déjà intentionnellement un certain bien (par exemple la science que nous aimons sans pour autant la posséder et qui nécessite un effort opposé à la paresse).

Pourquoi l'appétit est-il plutôt dans l'ordre intentionnel ? Parce que la tension vers quelque chose, qui est la signification étymologique du mot appétit, n'existe que parce que l'individu a connaissance d'un bien qui exerce une attraction sur lui, mais comme ce bien n'est pas d'abord présent (possédé), on peut dire que l'appétit, du fait même qu'il tend vers, est dans l'ordre de l'intention. C'est dans un second temps que l'appétit va susciter chez l'individu une action qui vise à posséder.

Notons que dans le monde des passions, le bien n'est jamais réellement totalement possédé, ce qui laisse toujours une grande part d'intentionnalité, l'amour passionnel n'étant jamais totalement satisfait.

Notons également qu'il en est de même du point de vue spirituel, notre connaissance du bien spirituel aimé n'étant jamais totale, il reste toujours une "tension vers". De même dans la vie mystique à l'égard de Dieu.

C'est ainsi que même regardant la joie, passion accompagnant le bien présent, reste en partie intentionnelle car nous nous représentons la joie qui découlera du bien possédé pleinement dans la vision béatifique. Ou à un niveau plus philosophique, nous nous représentons la joie qui accompagnera une meilleure union au bien aimé (lorsque les époux ou les amis se connaissent mieux avec le temps, leur amour grandit et donc leur joie. Même si la connaissance n'augmente pas sensiblement, la qualité de l'amour, lui, peut augmenter, et donc la joie.

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Thomas d'Aquin - Nous aimons quelqu'un d'amitié lorsque nous l'aimons pour son être même - Comm.Noms.Divins.4.9.404

  • ... non à cause d'une de ses qualités accidentelles dont nous retirons un bien

Quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous la raison de bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

(Commentaire des Noms Divins, 4.9.404)

Dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

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1. Bien noter : TH. atteste que plusieurs auteurs ou enseignants utilisent déjà l'expression "amour d'amitié" ; il la reprend ici à son compte.

2. Benevolentia : disposition à vouloir du bien ; amor benevolentiae : amour par lequel nous voulons à l'autre le bien. Dans d'autres passages TH. ajoute que cet amour nous pousse à opérer le bien pour la personne qu'on aime d'amitié, c'est à dire nous pousse à travailler pour le bien de l'autre.

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Thomas d'Aquin - Où Thomas mentionne la distinction de quatre modes d'amour chez Denys - I-II.q28a6ad1

... Nous parlons ici de l'amour tel qu'il est communément accepté, selon qu'il comprend sous lui l'amour

  • intellectuel,
  • rationnel,
  • animal,
  • naturel,

c'est ainsi que Denys parle de l'amour.

... Nos autem loquimur nunc de amore communiter accepto, prout comprehendit sub se amorem

  • intellectualem,
  • rationalem,
  • animalem,
  • naturalem,

sic enim Dionysius loquitur de amore in IV cap. de Div. Nom.

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1. Quelle différence TH. fait-il entre amour intellectuel et amour rationnel ?

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