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Thomas d'Aquin - La dissonance est cause de la haine, la convenance est cause de l'amour

Le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier.

Quant à l'être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c'est la dissonance qui est cause de la haine tandis que la convenance est cause de l'amour ; et, d'autre part, l'être et le vrai sont communs à toutes choses. 

Mais, en particulier, rien n'empêche qu'on haïsse tel être ou certaine vérité...

(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 5, c.)

Bonum, sub ratione boni, non potest odio haberi, nec in universali nec in particulari.

Ens autem et verum in universali quidem odio haberi non possunt, quia dissonantia est causa odii, et convenientia causa amoris; ens autem et verum sunt communia omnibus. 

Sed in particulari nihil prohibet quoddam ens et quoddam verum odio haberi...

 

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Thomas d'Aquin - °°° A passions diverses, vertus diverses - I-II.q60a4

Les différentes passions du concupiscible ne se rapportent pas à des vertus morales différentes, parce que leurs mouvements s'enchaînent les uns aux autres suivant un certain ordre, du fait qu'ils sont ordonnés au même but, c'est-à-dire à la poursuite du bien ou à la fuite du mal ;

  • ainsi de l'amour découle la convoitise, et de la convoitise on en vient à la délectation.
  • Et l'enchaînement est le même pour les mouvements opposés ; la haine est suivie d'éloignement ou de répulsion, qui conduit à la tristesse.

Mais les passions de l'irascible ne font pas partie d'un ordre unique. Elles sont ordonnées à des buts différents ;

  • la crainte et l'audace à un grand danger ;
  • l'espoir et le désespoir à un bien ardu ;
  • la colère à surmonter quelque chose de contraire qui nous a nui.

Et c'est pourquoi ce sont des vertus diverses qui mettent de l'ordre dans ces passions :

  • la tempérance aux passions du concupiscible ;
  • la force aux craintes et aux audaces ;
  • la magnanimité à l'espoir et au désespoir ;
  • la douceur aux colères.

(Somme, I-II.q60a4)

Et ideo diversae passiones concupiscibilis non pertinent ad diversas virtutes morales, quia earum motus secundum quendam ordinem se invicem consequuntur, utpote ad idem ordinati, scilicet ad consequendum bonum, vel ad fugiendum malum;

  • sicut ex amore procedit concupiscentia, et ex concupiscentia pervenitur ad delectationem.
  • Et eadem ratio est de oppositis, quia ex odio sequitur fuga vel abominatio, quae perducit ad tristitiam.

Sed passiones irascibilis non sunt unius ordinis, sed ad diversa ordinantur,

  • nam audacia et timor ordinantur ad aliquod magnum periculum;
  • spes et desperatio ad aliquod bonum arduum;
  • ira autem ad superandum aliquod contrarium quod nocumentum

intulit. Et ideo circa has passiones diversae virtutes ordinantur, utpote

  • temperantia circa passiones concupiscibilis;
  • fortitudo circa timores et audacias;
  • magnanimitas circa spem et desperationem;
  • mansuetudo circa iras.

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Thomas d'Aquin - DeMalo.q10a1- EN COURS - Pourquoi l'envie est-elle une faute ?

Tout acte

  • qui relève de la fuite
  • et dont l'objet est un bien,

n'est convenable

  • ni quant à sa matière
  • ni quant à son objet,

et c'est pourquoi tout acte de cette sorte est un péché par son genre, ainsi

  • haïr le bien, le repousser et s'en attrister,
  • parce que dans l'intelligence, c'est aussi un vice de nier le vrai.

Il ne suffit cependant pas, pour qu'un acte soit bon,

  • qu'il implique la poursuite du bien ou la fuite du mal,
  • si ce n'est la poursuite du bien convenable, et la fuite du mal qui lui est opposé :

pour le bien, dont la perfection tient à la plénitude et à l'intégrité de la chose, sont requis plus d'éléments que pour le mal, qui résulte de chaque déficience singulière, comme le dit Denys dans Les Noms Divins (IV, 30).

Or l'envie implique une tristesse qui vient du bien ; aussi est-il patent qu'elle est de par son genre un péché.

(DeMalo.q10a1)

Omnis actus

  • ad fugam pertinens
  • cuius obiectum est bonum,

est non conveniens

  • suae materiae
  • vel obiecto;

omnis talis actus ex suo genere est peccatum; sicut

  • odire bonum et abominari bonum et de ipso tristari;
  • quia etiam in intellectu vitium est negare verum.

Non tamen sufficit ad hoc quod actus sit bonus,

  • quod importet prosecutionem boni vel fugam mali
  • nisi sit prosecutio boni convenientis, et fuga mali quod ei opponitur;

quia plura requiruntur ad bonum, quod perficitur ex tota et integra causa, quam ad malum, quod relinquitur ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit V cap. de Divin. nominibus;

invidia autem importat tristitiam ex bono. Unde patet quod ex suo genere est peccatum. 

 


 

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Thomas d'Aquin - DeMalo.q11a3ad1 - La sensibilité, même chez les parfaits, reste dans une certaine lutte contre le bien spirituel

L'acédie est-elle un péché mortel ?

Chez les hommes parfaits, il peut y avoir un mouvement imparfait d'acédie, du moins (saltem) dans la sensualité, en raison de ce que nul n'est si parfait qu'il ne reste en lui quelque opposition de la chair envers l'esprit. (DeMalo.q11a3ad1)

Utrum accidia sit peccatum mortale

In viris perfectis potest esse imperfectus motus accidiae saltem in sensualitate, propter hoc quod nullus est ita perfectus in quo non remaneat aliqua contrarietas carnis ad spiritum.

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1. Dans sa réponse Thomas dit : oui, en tant que telle, l'acédie est un péché mortel puisqu'elle est "une certaine tristesse qui vient de la répugnance de l'affect humain (affectus humanis) pour le bien spirituel divin". --- Mais pour qu'elle soit vraiment un péché mortel, il faut que l'acte d'acédie soit principal, dominant. C'est pourquoi Thomas ajoute dans les réponses aux objections qu'il reste toujours, même chez les parfaits (entendre : chez les gens qui sont principalement parfaits) une trace, une rémanence (remaneat) de contrariété (contrarietas) dans la sensibilité qui reste indocile à ce que choisit l'esprit, comme un cheval qui manifesterait de temps à autre un léger mécontentement dans le fait d'être dirigé. La sensibilité met beaucoup de temps à être "convertie" entièrement au bien spirituel parce que ce n'est pas son bien propre immédiat, son bien naturel. C'est pourquoi, il faut faire en sorte d'imbiber nos activités sensibles dans l'orientation (l'ordre) profonde de notre esprit au bien spirituel.

2. "Un mouvement imparfait d'acédie" : si le mouvement d'acédie est parfait (entendre : dominant jusqu'à ce que la volonté y adhère), alors il est un péché mortel.

3. Sensualité : voir I.q81a1

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Thomas d'Aquin - DeVer.q16a2 - La syndérèse murmure contre le mal et incline au bien

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

... il faut qu’il y ait un principe permanent qui ait une rectitude immuable, par rapport auquel toutes les opérations humaines soient examinées, en sorte que ce principe permanent

  • résiste à tout mal
  • et donne son assentiment à tout bien.

Et ce principe est la syndérèse, dont l'office est

  • de murmurer contre le mal
  • et d’incliner au bien ;

voilà pourquoi nous accordons qu’il ne peut y avoir de péché en elle.

(DeVer.q16a2)

... oportet esse aliquod principium permanens, quod rectitudinem immutabilem habeat, ad quod omnia humana opera examinentur ; ita quod illud principium permanens

  • omni malo resistat,
  • et omni bono assentiat.

Et haec est synderesis, cuius officium est

  • remurmurare malo,
  • et inclinare ad bonum ;

et ideo concedimus quod in ea peccatum esse non potest.

 


1. -- Rare passage dans lequel Thomas use d'une expression métaphorique.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q1a1 - L'ens - sa convenance avec l'appétit - sa convenance avec l'intellect

  • La convenance de l’étant avec l’appétit est donc exprimée par le nom de « bien »
    • (ainsi est‑il dit au début de l’Éthique que « le bien est ce que toute chose recherche »).
  • La convenance avec l’intellect est exprimée, quant à elle, par le nom de « vrai ».
(DeVer.q1a1)
  • Convenientiam ergo entis ad appetitum exprimit hoc nomen bonum,
    • ut in principio Ethic. [I, 1 (1094 a 3)] dicitur quod bonum est quod omnia appetunt.
  • Convenientiam vero entis ad intellectum exprimit hoc nomen verum.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q21a6 - EN COURS - La ratio boni (La raison de bien)

DIFFICILE, UN TEMPS EST NECESSAIRE AVANT D'ASSIMILER - IL EST NECESSAIRE DE POSSEDER UN CERTAIN NIVEAU DE METAPHYSIQUE ET DE CRITIQUE/LOGIQUE POUR SAISIR, puisqu'on fait appel ici à un grand nombre de notions : forme, substance, acte, fin, qualité, relation, mode, espèce, ordre, bien, être (esse), etc.

Le bien de la créature consiste‑t‑il en (1) un mode, (2) une espèce et (3) un ordre, comme dit saint Augustin ? Utrum bonum creaturae consistat in modo, specie et ordine, sicut Augustinus dicit [cf.De nat. boni,cap. 3].
La raison de bien consiste dans les trois choses en question, selon ce que dit saint Augustin. Ratio boni in tribus praedictis consistit, secundum quod Augustinus dicit.

[Un nom implique deux relations possibles]

Et pour l'évidence de cela, il faut savoir qu'un nom donné (aliquod nomen) peut impliquer une relation de deux manières. [respectum : on traduit par relation et non par rapport qui convient aussi]

[a. La relation elle-même]

D'une première manière, en sorte que le nom soit donné pour signifier la relation elle‑même,

  • comme le nom de père, ou de fils, ou la paternité elle‑même.

[b. Ce qui suit la relation : une qualité]

En revanche, on dit de certains noms qu’ils impliquent une relation, parce qu’ils signifient une réalité d’un certain genre, qu’accompagne la relation, quoique le nom ne soit pas donné pour signifier la relation elle‑même ;

  • par exemple, le nom de science est donné pour signifier une certaine qualité, que suit une certaine relation, mais non pour signifier la relation elle‑même.

[Commentaire : dans la connaissance est établie une relation entre ce qui est connu et celui qui connaît, cette relation produit la science qui est une qualité qui perfectionne l'âme de celui qui connaît.]

[c. Ce que fait comprendre l'analogie nom / bien]

Et c’est de cette façon que la raison de bien implique une relation :

  • non parce que le nom même de bien signifie la seule relation elle‑même,
  • mais parce qu'il signifie [aussi la relation de] ce qui suit la relation, avec la relation elle‑même.

[Commentaire : ]

Or (3) la relation impliquée dans le nom de bien est la relation de cause de perfection, en ce sens qu’une chose (aliquid) est de nature à perfectionner

  • (2) non seulement selon la nature de l’espèce, [forme, ce qu'est une chose]
  • (1) mais aussi selon l’être (esse) qu’elle a dans la chose réelle (rebus) [le mode, la manière d'exister, l'existence  concrète] ;

de fait, c’est de cette manière que la fin perfectionne les moyens.

Mais

  • puisque les créatures ne sont pas leur être (esse) [ce qu'est une chose n'est pas identique à l'exister de cette chose],
  • il est nécessaire qu’elles aient un être reçu (esse receptum) ;

et par conséquent, leur être est

  • fini
  • et terminé [= déterminé] par la mesure de ce en quoi il est reçu.

 

Ad huius autem evidentiam sciendum est, quod aliquod nomen potest respectum importare dupliciter.

[1.]

Uno modo sic quod nomen imponatur ad significandum ipsum respectum,

  • sicut hoc nomen pater, vel filius, aut paternitas ipsa.

[2.]

Quaedam vero nomina dicuntur importare respectum, quia significant rem alicuius generis, quam comitatur respectus, quamvis nomen non sit impositum ad ipsum respectum significandum ;

  • sicut hoc nomen scientia est impositum ad significandum qualitatem quamdam, quam sequitur quidam respectus, non autem ad significandum respectum ipsum.

 

 

[c.]

Et per hunc modum ratio boni respectum implicat :

  • non quia ipsum nomen boni significet ipsum respectum solum,
  • sed quia significat id ad quod sequitur respectus, cum respectu ipso.

 

Respectus autem importatus in nomine boni, est habitudo perfectivi, secundum quod aliquid natum est perficere

  • non solum secundum rationem speciei,
  • sed etiam secundum esse quod habet in rebus ;

hoc enim modo finis perficit ea quae sunt ad finem.

Cum autem

  • creaturae non sint suum esse,
  • oportet quod habeant esse receptum ;

et per hoc earum esse est

  • finitum
  • et terminatum secundum mensuram eius in quo recipitur.

Ainsi donc, parmi les trois choses qu’énumère saint Augustin,

  • (3) la dernière, à savoir l’ordre,
    • est la relation qu’implique le nom de bien,
  • (2 et 1) et les deux autres, à savoir l’espèce et le mode,
    • causent cette relation.

En effet,

  • (2) l’espèce relève de la raison même (ipsam rationem) de l’espèce [trad. orig. = nature même de l'e.],
  • (1) qui, parce qu’elle a l’être en quelque chose [d'individuel] (aliquo),
    • est reçue avec un certain mode déterminé,
    • puisque tout ce qui est en quelque chose y est suivant le mode d’être de ce qui reçoit.

Ainsi donc,

  • chaque bien,
  • (3) en tant qu’il est cause de perfection

selon

  • (2) la raison de l’espèce [trad. orig. : la nature de l'espèce]
  • (1) et l’être (esse) en même temps,

a

  • (1) un mode,
  • (2) une espèce
  • (3) et un ordre.
  • (2) Une espèce quant à la nature même de l’espèce ;
  • (1) un mode quant à l’être (esse) ;
  • (3) un ordre quant à la relation même de cause de perfection.

Sic igitur inter ista tria quae Augustinus ponit,

  • ultimum, scilicet ordo,
    • est respectus quem nomen boni importat ;
  • sed alia duo, scilicet species, et modus,
    • causant illum respectum.

Species enim pertinet ad ipsam rationem speciei,

  • quae quidem secundum quod in aliquo esse habet,
  • recipitur per aliquem modum determinatum,
  • cum omne quod est in aliquo, sit in eo per modum recipientis.

Ita igitur

  • unumquodque bonum,
  • in quantum est perfectivum

secundum

  • rationem speciei
  • et esse simul,

habet

  • modum,
  • speciem
  • et ordinem.
  • Speciem quidem quantum ad ipsam rationem speciei;
  • modum quantum ad esse;
  • ordinem quantum ad ipsam habitudinem perfectivi.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad11 - Quelque chose du bien demeure dans l'action volontairement fautive - LUMINEUX

Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait. 

(DeVer.q24a10ad11)

 

Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.

 

Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".

A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.

La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement (specie) comme un bien.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4ad9 - La raison veut naturellement le bien sans mettre en oeuvre un habitus

  • Seule suffit la connaissance d'un bien

[Les puissances appétitives inférieures]

Les puissances appétitives inférieures, c’est‑à‑dire l’irascible et le concupiscible, ont besoin d’habitus pour être perfectionnées par les vertus morales.

En effet, que leurs actes soient modérés,

  • cela n'excède pas la nature humaine,
  • mais cela excède la force des puissances susdites.

Il est donc nécessaire que ce qui appartient à la puissance supérieure, c’est‑à‑dire à la raison, soit imprimé en elles ; et cette empreinte même de la raison dans les puissances inférieures accomplit formellement (formaliter) les vertus morales. 

[La puissance affective supérieure]

Mais la puissance affective supérieure

  • n’a pas de cette manière besoin d’un habitus particulier,
  • car elle tend naturellement vers le bien qui lui est connaturel, comme vers son objet propre.

D'où aussi est‑il seulement requis, pour qu’elle veuille le bien, qu’il lui soit montré par la puissance cognitive. 

(DeVer.q24a4ad9)

[ ]

Appetitivae inferiores, scilicet irascibilis et concupiscibilis, habitibus indigent, unde perficiuntur virtutibus moralibus.

Quod enim actus eorum moderati sint,

  • non excedit naturam humanam,
  • sed excedit vim dictarum potentiarum.

Unde oportet quod id quod est superioris potentiae, scilicet rationis, eis imprimatur ; et ipsa sigillatio rationis in inferioribus viribus formaliter perficit virtutes morales. 

[ ]

Affectiva autem superior

  • non indiget hoc modo aliquo habitu,
  • quia naturaliter tendit in bonum sibi connaturale sicut in proprium obiectum.

Unde ad hoc quod velit bonum, non requiritur nisi quod ostendatur sibi per vim cognitivam.

 


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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7 - La volonté est ordonnée au bien en général, elle est donc laissée dans une certaine indifférence quant aux actions particulières

Dans l’agir, la nature rationnelle pourvue de libre arbitre est différente de toute autre nature.

  • En effet, une autre nature
    • est ordonnée à un certain (aliquod) bien particulier,
    • et ses actions sont déterminées relativement à ce bien,
  • au lieu que la nature raisonnable est simplement (simpliciter) ordonnée au bien.

Car,

  • de même que le vrai dans l’absolu (absolute) est l’objet de l'intellect (intellectus),
  • de même le bien dans l’absolu (absolute) [est l’objet de] la volonté ;

d’où vient que la volonté s’étend

  • au principe universel même des biens,
  • auquel nul autre appétit ne peut parvenir.

Et c’est pourquoi la créature rationnelle

  • n’a pas des actions déterminées (determinatas actiones),
  • mais se comporte avec une certaine indifférence (indifferentia) envers les actions matérielles

(DeVer.q24a7)

Differt autem in agendo natura rationalis praedita libero arbitrio ab omni alia natura.

  • Alia enim natura
    • ordinatur ad aliquod particulare bonum,
    • et actiones eius sunt determinatae respectu illius boni ;
  • natura vero rationalis ordinatur ad bonum simpliciter.

 

  • Sicut enim verum absolute obiectum est intellectus,
  • ita et bonum absolute voluntatis ;

et inde est quod

  • ad ipsum universale bonorum principium voluntas se extendit,
  • ad quod nullus alius appetitus pertingere potest.

Et propter hoc creatura rationalis

  • non habet determinatas actiones,
  • sed se habet sub quadam indifferentia respectu materialium actionum. 

 


1. -- "actions matérielles" : on doit pouvoir prendre ici le mot "matérielles" comme synonymes de "particulières".

2. -- "une certaine indifférence" : le mot "certaine" souligne que l'indifférence ne l'est que sous un certain aspectet n'est pas absolue.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a8 - Le mal est involontaire

La volonté

  • tend naturellement vers le bien comme vers son objet ;
  • et si elle tend parfois vers le mal, cela n’arrive pas si ce n'est que parce que le mal lui est présenté sous l'espèce du bien.

En effet, le mal est involontaire, comme dit Denys au quatrième chapitre des Noms divins.

Le péché 

  • ne peut donc exister dans le mouvement de la volonté (c'est à dire : [ne peut exister] que [la volonté] appète [= désire] le mal), 
  • que si dans la puissance appréhensive préexiste un défaut (defectus) à cause duquel le mal lui est proposé comme un bien.

Or ce défaut (defectus) dans la raison peut survenir de deux façons, etc.... 

(DeVer.q24a8)

Voluntas enim

  • naturaliter tendit in bonum sicut in suum obiectum ;
  • quod autem aliquando in malum tendat, hoc non contingit nisi quia malum sibi sub specie boni proponitur.

Malum enim est involuntarium, ut Dionysius dicit IV cap. de Divin. Nom. [§ 32].

 

  • Unde non potest esse peccatum in motu voluntatis, scilicet quod malum appetat,
  • nisi in apprehensiva virtute defectus praeexistat, per quem sibi malum ut bonum proponatur.

Hic autem defectus in ratione potest dupliciter accidere etc. ...


 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a9ad1 - La volonté parvient AUSSI à la fin lorsqu'elle la désire intensément, bien qu'elle ne la possède pas encore parfaitement

L'affect [volontaire] (affectus) parvient à la fin,

  • non seulement quand elle possède parfaitement la fin,
  • mais aussi, d’une certaine façon (quodammodo), quand elle la désire intensément (intense desiderat) ;

et par cette façon (hunc modum), d'une certaine manière (aliquo modo), quelqu'un (aliquis) peut être confirmé dans le bien en l’état de voie. 

(DeVer.q24a9ad1)

Affectus pervenit ad finem,

  • non solum quando finem perfecte possidet,
  • sed etiam quodammodo quando ipsum intense desiderat ;

et per hunc modum aliquo modo in statu viae aliquis potest confirmari in bono.

 


  1. La fin étant entendue ici comme fin spirituelle, il est réjouissant de pouvoir lui lier le mot intensément alors qu'il est de nos jours plus guère utilisé que dans le marketing pour qualifié le goût des aliments ou dans l'industrie des loisirs à propos des expériences qu'elle est sensée proposer. Ici, avec Thomas, l'intensité est d'abord dans le désir spirituel de la fin (en dernier lieu, la vision béatifique), désir si intense que les fruits sont déjà comme donnés par avance. Le terme "intensité" est un terme technique largement utilisé au Moyen-Âge.
  2. La dimension affective chez Thomas est à mettre en parallèle avec la dimension effective. Le moment "affect", c'est le moment passif de quelque chose qui touche une personne dans son appétit, qu'il soit sensible ou spirituel. Le moment "effectif" est le moment où la personne atteint réellement ce qui l'a touché. Voir union affective / union effective.
  3. Bien rapprocher le mot intensément du mot intention.
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Thomas d'Aquin - I-II.q24a4 - Les passions peuvent relever du genre moral

Ce que nous avons dit des actes, il semble qu'on pourrait le dire des passions, en cela que l'espèce des actes ou des passions peut être considérée de deux manières. (...)

Dicendum quod sicut de actibus dictum est, ita et de passionibus dicendum videtur, quod scilicet species actus vel passionis dupliciter considerari potest.

D'une premier manière, (...) Uno modo (...)

D'une autre manière elles relèvent du genre moral, c'est-à-dire qu'elles participent à quelque chose du volontaire et du jugement de la raison. Et selon cette manière, le bien et le mal moral peuvent peuvent concerner l'espèce de la passion, en cela que quelque chose de l'objet de la passion, de soi1

  • convient (conveniens) à la raison
  • ou dissone (dissonum) avec la raison ;

on le voit clairement pour la honte, qui est la crainte d'une chose laide, et pour l'envie, qui est la tristesse du bien d'autrui.

C'est en ce sens que le bien et le mal moral sont en relation avec l'espèce des actes extérieurs.

(I-II.q24a4)

Alio modo, secundum quod pertinent ad genus moris, prout scilicet participant aliquid de voluntario et de iudicio rationis. Et hoc modo bonum et malum morale possunt pertinere ad speciem passionis, secundum quod accipitur ut obiectum passionis aliquid de se

  • conveniens rationi,
  • vel dissonum a ratione,

sicut patet de verecundia, quae est timor turpis; et de invidia, quae est tristitia de bono alterius.

Sic enim pertinent ad speciem exterioris actus.

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1. de se : manquant dans les traductions françaises !!!

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Thomas d'Aquin - I-II.q27a1ad3 - Le beau est identique au bien

Le beau est identique au bien ; seule la raison diffèrre1(sola ratione differens)

Le bien étant ce que « tous appètent [= désirent] »,

  • il [relève] à la ratio boni que d'être un repos pour l'appétit, 
  • tandis qu’il relève de la ratio pulchri que d'être un repos pour l'appétit quant à sa vue ou quant à sa connaissance [= la vue et la connaissance du bien].

C’est pourquoi les sens les plus intéressés par la beauté sont ceux qui procurent le plus de connaissances, comme la vue et l’ouïe mises entièrement au service (deservientes) de la raison ; nous parlons, en effet, de beaux spectacles et de belles musiques. Les objets des autres sens n’évoquent pas l’idée de beauté : nous ne disons pas belles les saveurs ou belles les odeurs.

Cela montre bien que le beau ajoute (addit) au bien un certain ordre à la puissance connaissante ; 

  • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter) ;
  • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension

(Somme, I-II.q27a1ad3)

Pulchrum est idem bono, sola ratione differens. Cum enim bonum sit quod omnia appetunt, 

  • de ratione boni est quod in eo quietetur appetitus,
  • sed ad rationem pulchri pertinet quod in eius aspectu seu cognitione quietetur appetitus.

Unde et illi sensus praecipue respiciunt pulchrum, qui maxime cognoscitivi sunt, scilicet visus et auditus rationi deservientes, dicimus enim pulchra visibilia et pulchros sonos. In sensibilibus autem aliorum sensuum, non utimur nomine pulchritudinis, non enim dicimus pulchros sapores aut odores.

Et sic patet quod pulchrum addit supra bonum, quendam ordinem ad vim cognoscitivam,

  • ita quod bonum dicatur id quod simpliciter complacet appetitui;
  • pulchrum autem dicatur id cuius ipsa apprehensio placet.

1 Au lieu de : « leur seule différence procède d’une vue de la raison ».

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1. -- A noter cette question de vocabulaire chez Thomas : le bien complaît à l'appétit, le beau plaît à l'appréhension. On voit ailleurs que la complaisance est au niveau de l'amour affectif, c'est à dire le tout premier moment de l'amour. A distinguer du terme quand l'amour devient effectif.

2. -- Le bien est donc davantage objet de l'appétit (sensible - vue - ; ou spirituel - connaissance -) ; le beau, davantage objet de l'appréhension, c'est à dire de l'intellect, de l'intelligence.

3. -- Il y a donc dans le bien une dimension qui satisfait, qui vonvient, à la connaissance. Lorsqu'il s'agit d'un acte moralement mauvais, c'est cependant sous un aspect secondairement bon que l'intelligence y trouvera quelque chose de beau. Chez Arsène Lupin, rompu à l'art du vol, son vol pourra être trouvé beau dans l'exercice, dans la réalisation de son vol, pas quant au vol lui-même. C'est ce en quoi le vol comporte une part de bien qu'on trouvera le vol beau.

4. -- On se rappelle qu'il y a trois dimensions du bien dans la ratio boni, reprises d'Augustin, l'espèce, l'ordre, le mode. Ici Thomas évoque une dimension d'ordre qui établit une relation entre le bien et la puissance connaissante.

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad1 - Le corps lui-même peut se mettre entièrement au service des réalités spirituelles - SUBLIME

 

  • L'appétit de la sagesse
  • ou des autres biens spirituels

est appelé parfois concupiscence (concupiscentia),

  • soit à cause d'une certaine ressemblance (similitudinem) entre appétit supérieur et appétit inférieur ;
  • soit à cause de l'intensité (intensionem) de l'appétit supérieur qui rejaillit sur l'inférieur ;

de sorte que

  • celui-ci tend à sa manière (suo modo tendat) vers le bien spirituel à la suite de l'appétit supérieur,
  • et le corps (corpus) lui-même se met entièrement au service des [biens] spirituels. Comme il est écrit dans le Psaume (84, 3) : "Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant." 

(I-II.q30a1ad1)

Appetitus sapientiae,

  • vel aliorum spiritualium bonorum,
  • interdum concupiscentia nominatur,
  • vel propter similitudinem quandam,
  • vel propter intensionem appetitus superioris partis, ex quo fit redundantia in inferiorem appetitum,

ut simul

  • etiam ipse inferior appetitus suo modo tendat in spirituale bonum consequens appetitum superiorem,
  • et etiam ipsum corpus spiritualibus deserviat; sicut in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum. 

1. -- Gaffiot : dēservĭō, īre, intr., servir avec zèle, se dévouer à, se consacrer à : alicui Cic. Fam. 16, 18, 1, servir qqn avec dévouement ; vigiliæ deserviunt amicis Cic. Sulla 26, mes veilles sont entièrement consacrées au service de mes amis ; corpori Cic. Leg. 1, 39, être l’esclave de son corps || [fig.] être destiné à, consacré à : nec unius oculis flumina, fontes, maria deserviunt Plin. Min. Pan. 50, 1, les fleuves, les fontaines, les mers ne sont pas faits pour les yeux d’un seul.

2. -- De la part de Thomas, cette vision du corps est extraordinairement positive, comparée à la vue manichéenne souvent invoquée dans la distinction corps/esprit. Pour Thomas, la création a été faite entièrement bonne, et il s'agit de retrouver l'entièreté de l'orientation au bien de tous les éléments qui composent cette création. Comme les éléctrons d'un objet métallique peuvent être tous "orientés" de manière à le rendre mlagnétique, comme l'intégralité des tournesols dans un champs sont orientés vers le Soleil... "Un Bien pour les gouverner tous", pour paraphraser Tolkien... Comme le mat du chapiteau donne tout son sens aux parties du chapiteau. Une fois entré dans cette perspective, il est difficile d'entendre les opinions selon lesquelles l'homme est fondamentalement mauvais, etc... 

3. -- Voir toutes les conséquences dans l'unité de l'humanité du Christ. Et voir comment dans le vrai Dieu et vrai homme tout cela était tenu en un même être.

4. -- Comme dans d'autres passages (DeVer.q24a9ad1 ; DeVer.q26a7 ; I-II.q24a3 I-II.q24a3ad1), on sent toute la vie de Thomas tendue vers le spirituel. On sent qu'il a expérimenté ce qu'il écrit là. Dans son travail intelletcuel notamment, lorsqu'il réduisait son temps de sommeil, l'intensité du désir de sagesse faisait en quelque sorte se mouvoir le corps de Thomas. Un peut comme un "lève-toi et march"... La simplicité du désir spirituel qui inonde jusqu'à la complexité du corps. Thomas est très ferme sur ce point, le spirituel emmène avec lui le corps, la personne humaine est une, on ne peut laisser aller son esprit sans que le corps ne le suive. Notons bien que dans ce passage, ce n'est pas le corps qui de lui-même apporte à l'esprit mais bien l'inverse. Le corps peut être réjoui à cause de l'appétit des biens spirituels comme par capilarité. Autant de points que l'on peut vérifier nous-mêmes par l'expérience.

5. -- Il peut aussi en aller dans l'autre sens, une oeuvre d'art peut, par les sens, dégager un objet spirituel et réveiller ainsi un appétit spirituel. C'est ce que Thomas, à la suite d'Augustin, affirme à propos des chants cf. II-II.q91a2)

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad2 - Qu'est-ce que le désir à proprement parler ?

Le désir (desiderium) peut davantage relever (magis pertinere), à proprement parler, non seulement de l'appétit inférieur mais aussi du supérieur. En effet, il n'implique pas, comme la concupiscence (concupiscentia), une certaine multiplicité associée dans le fait de convoiter (aliquam consociationem cupiendo) mais un mouvement simple vers la chose désirée (desideratam).

(Somme, I-II.q30a1ad2)

Desiderium magis pertinere potest, proprie loquendo, non solum ad inferiorem appetitum, sed etiam ad superiorem. Non enim importat aliquam consociationem in cupiendo, sicut concupiscentia; sed simplicem motum in rem desideratam.

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Très intéressant car la notion d'association autour du désir sensible explique le préfixe "con" de concupiscence. C'est une expérience sensible au cours de laquelle un faisceau d'éléments distincts trouvés dans un certain bien sensible suscite en nous une attraction sensible. Il y a donc quelque chose d'aveugle dans le désir sensible (concupiscence) qu'on ne fait en partie que constater, les raisons pour lesquelles nous sommes attirés sensiblement par une réalité sensible ne sont pas toujours très claires. Alors que dans le désir (lorsque le terme est proprement employé, c'est à dire comme appétit spirituel), l'attraction est exercée par un objet simple. L'objet étant d'autant plus facile à discerner qu'il est simple, il en découle un désir plus simple, plus pur (pas au sens moral), plus limpide. Ce n'est pas seulement à cause de ce qu'est la chose spirituelle désirée, mais parce qu'une chose, en tant qu'elle est spirituelle, est simple. La concupiscence hérite de la complexité des éléments matériels dont est fait le corps. C'est une des causes pour lesquelles la concupiscence s'exerce souvent dans un certain chaos. Une autre cause se trouve lorsque le désir sensible persévère malgré le jugement de la raison. 

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Thomas d'Aquin - I-II.q30a2ad1 - Il n'y a désir que de choses absentes

 

Le bien délectable (delectabile) n’est pas absolument objet de concupiscence [= désir sensible], mais [seulement] sous la raison du fait d'être absent (sub ratione absentis).

(Somme, I-II.q30a2ad1)

Bonum delectabile non est absolute obiectum concupiscentiae, sed sub ratione absentis.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q36a4 - L'appétit naturel d'unité est cause de souffrance, tout comme l'appétit du bien

  • Tout être désire naturellement l’unité

 

 
  • Le bien en n'importe quelle chose (rei) consiste en une certaine unité, selon que chaque chose (res) tient unis en soi les [éléments] de sa perfection ;
    • d'où les platoniciens posaient que l’un était principe, tout comme le bien.
  • D'où, chaque [chose] appète [= désire] naturellement l'unité, tout comme la bonté.
  • Et c’est pour cela que, comme l'amour ou l'appétit du bien est cause de douleur, de même l'amour ou l'appétit de l'unité.

(Somme, I-II.q36a4)

  • Bonum enim uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit, prout scilicet unaquaeque res habet in se unita illa ex quibus consistit eius perfectio,
    • unde et platonici posuerunt unum esse principium, sicut et bonum.
  • Unde naturaliter unumquodque appetit unitatem, sicut et bonitatem.
  • Et propter hoc, sicut amor vel appetitus boni est causa doloris, ita etiam amor vel appetitus unitatis. 

 

 

 

 

D'où la douleur n’est pas causée par l'appétit de n’importe quelle unité, mais de celle en laquelle constitue la perfection de la nature.

 (Somme, I-II.q36a4ad1)

Unde dolor non causatur ex appetitu cuiuslibet unitatis, sed eius in qua consistit perfectio naturae.

 

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q85a4 - La ratio boni (La raison de bien) révélée à travers quatre biens

Contexte : nous nous intéressons à la ratio boni dont TH. se sert ici à propos du péché. Il va terminer en distinguant quatre sortes de bien et en montrant que chacun d'eux répond à ce qui caractérise n'importe quel bien, c'est à dire ce qui caractérise la ratio boni.

Comme cela a été dit dans la première partie,

  • (1) le mode, [cause matérielle et efficiente]
  • (2) l'espèce [cause formelle]
  • (3) et l'ordre [cause finale]

sont conséquents

  • à tout bien créé, en tant que tel,
  • et aussi à tout être (ens).

(2) Car

  • tout être
  • et tout bien

sont considérés par une certaine forme dont est tirée l'espèce.

(1) D'autre part, la forme de chaque chose (rei), de quelque qualité qu'elle soit,

  • ou substantielle
  • ou accidentelle,

est selon une certaine mesure (aliquam mesuram),

d'où est indiqué dans Metaph. VIII, que les formes des choses (rerum) sont comme les nombres. En sorte qu'une forme a un certain mode en relation à une mesure.

(3) Enfin, par sa forme, chaque chose est ordonnée à autre chose.

Sicut in primo dictum est,

  • modus,
  • species
  • et ordo

consequuntur

  • unumquodque bonum creatum inquantum huiusmodi,
  • et etiam unumquodque ens.

Omne enim

  • esse
  • et bonum

consideratur per aliquam formam, secundum quam sumitur species.

Forma autem uniuscuiusque rei, qualiscumque sit,

  • sive substantialis
  • sive accidentalis,

est secundum aliquam mensuram,

unde et in VIII Metaphys. dicitur quod formae rerum sunt sicut numeri. Et ex hoc habet modum quendam, qui mensuram respicit.

Ex forma vero sua unumquodque ordinatur ad aliud.

 Ainsi,

  • selon divers degrés de biens
  • sont divers degrés
    • de mode, 
    • d'espèce
    • et d'ordre.

[a. le bien substance]

Il y a donc un bien qui relève de la substance [trad. orig. : le fond (!!)] même de la nature, qui a son mode, espèce, ordre ;

  • celui-là n'est ni privé ni diminué par le péché.

[b. le bien inclination]

Il y a encore un certain bien, celui de l'inclination de la nature, et ce bien a aussi son mode, espèce, ordre,

  • et celui-là est diminué par le péché, comme nous l'avons dit, mais non totalement supprimé.

[c. le bien vertu]

Il y a encore un certain bien, celui de la vertu et de la grâce, qui a aussi son mode, son espèce et son ordre;

  • et celui-là est totalement supprimé par le péché mortel.

[d. le bien acte]

Il y a encore un certain bien qui est l'acte ordonné lui-même, qui a aussi son mode, son espèce, son ordre ;

  • et cette privation est essentiellement le péché lui-même.

[Conclusion]

De sorte qu'on voit de manière patente comment le péché

  • et est une privation de mode, d'espèce et d'ordre,
  • et prive ou diminue le mode, l'espèce et l'ordre [eux-mêmes].

 Sic igitur

  • secundum diversos gradus bonorum,
  • sunt diversi gradus
    • modi,
    • speciei
    • et ordinis.

[a.]

Est ergo quoddam bonum pertinens ad ipsam substantiam naturae, quod habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et illud nec privatur nec diminuitur per peccatum.

[b.]

Est etiam quoddam bonum naturalis inclinationis, et hoc etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc diminuitur per peccatum, ut dictum est, sed non totaliter tollitur.

[c.]

Est etiam quoddam bonum virtutis et gratiae, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc totaliter tollitur per peccatum mortale.

[d.]

Est etiam quoddam bonum quod est ipse actus ordinatus, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et huius privatio est essentialiter ipsum peccatum.

[Conclusion]

Et sic patet qualiter peccatum

  • et est privatio modi, speciei et ordinis;
  • et privat vel diminuit modum, speciem et ordinem.

 1. -- Analogie avec la mesure : si une chose mesure tant, et si on modifie cette chose en gangeant ses mesures, alors elle n'est plus la même chose. Quelque chose qui est mesurée d'une certaine manière fait que cette chose est unique et ce qu'elle est. Voir la référence au numérique dans le Commentaire du De Trinitate de Boèce lorsqu'est traitée l'individuation qui se fait, chez TH., par la matière, avec donc l'aspect de la quantité.

2. -- Bien noter que TH. corrige l'ordre donné par Augustin : de mode, espèce, ordre, on passe a espèce, mode, ordre. 

3. -- Dans l'ordre de l'être, espèce, mode, ordre, donneront la substance, l'individu, l'acte ; ou encore l'être selon la forme, tel être concret, l'être en acte.

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Les quatre biens évoqués par TH. :

[a.] -- Le bien-substance n'est pas touché par le péché, un homme reste un homme qu'il soit pécheur ou non.

[b.] -- L'inclination naturelle n'est pas touchée en elle-même puisqu'elle dépend de ce qu'est une chose (le bien substance) mais elle peut être diminuée dans son exercice réel, comme recouverte.

[c.] -- La vertu morale est acquise, elle peut donc se perdre totalement. La grâce est donnée à la nature, elle peut donc se perdre également.

[d.] -- Le bien moral doit aller jusqu'à l'accomplissement, l'application concrète, d'un acte et celui-ci peut très bien ne pas l'être ou remplacé par un autre qui ne convient pas (et ce d'autant plus que la vertu et la grâce auront été perdues).

Dans ces différents biens, que sont le mode, l'espèce, l'ordre ?

[a.] -- Le mode du bien substance c'est l'existence concrète d'un être (ex. : tel homme, Jean, l'individu) ; l'espèce d'un bien-substance, c'est ce qu'il est (ex. : un homme) ; l'ordre d'un bien substance, c'est qu'il existe en acte.

[b.] -- Le mode de l'inclination naturelle c'est son existence concrète et unique dans tel être individué ; l'espèce, ce qu'est cette inclination (ex. : l'inclination de la volonté au bien) ; l'ordre, l'accomplissement de cette inclination (ex. : l'inclination en acte de la volonté au bien, l'ami qui veut le bien de son ami et qui agit pour que cela arrive).

[c.] -- Idem que b. mais pour ce qui est acquis, ajouté à la nature.

[d.] -- Tel acte ; ce qu'est cet acte ; jusqu'à quel point cet acte pousse jusqu'à sa perfection (ex. l'action héroïque ; cf. la différence entre une oeuvre accomplie par un artisan ordinaire et celle accomplie par un maître artisan).

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Thomas d'Aquin - I.59a1 - On ne peut aimer spirituellement qu'à travers l'aide de l'intellect qui permet de saisir la ratio boni et de juger ce qu'on aime pour l'aimer pour ce qu'il est - UN SOMMET

On ne peut comprendre immédiatement ce passage. Bien lire le commentaire.

[1. L'appétit naturel]

Certains [êtres] sont inclinés au bien par la seule disposition (habitudinem) de la nature, sans connaissance, comme les plantes et les corps inanimés.

Et une telle inclination au bien est appelée appétit naturel.

[2. L'appétit sensible]

Certains [êtres] sont inclinés au bien avec une certaine connaissance,

  • non qu’elles connaissent la ratio boni elle-même [= la raison de bien, la notion universelle de bien],
  • mais connaissent un certain bien particulier ;
    • comme le sens, qui connaît le doux, le blanc, etc.

L'inclination qui suit cette connaissance est dîte appétit sensitif.

[3. L'appétit intellectuel ; entendre "appétit volontaire"]

Certains autres [êtres] sont inclinés au bien avec une connaissance par laquelle ils connaissent la ratio boni elle-même, ce qui est le propre de l'intellect. [ --> rien d'autre que l'intellect ne peut saisir une ratio, par abstraction chez les hommes, par saisie directe chez les anges]

Et ceux-là sont inclinés vers le bien de la façon la plus parfaite (perfectissime) ;

  • car ils ne sont pas, comme (quasi) par un autre, seulement [inclinés] directement au bien,
    • comme il arrive aux êtres à qui manque la connaissance ; [= appétit naturel]
  • ni au bien de manière particulière seulement
    • comme les êtres doués de connaissance sensible ;
  • mais ils sont comme (quasi) inclinés vers le bien universel lui-même.
    • Et cette inclination est dite « volonté ».

C’est pourquoi, puisque les anges appréhendent par leur intelligence la raison universelle de bien, il est manifeste qu’il y a en eux une volonté.

(Somme, I.59a1)

[1.]

Quaedam enim inclinantur in bonum, per solam naturalem habitudinem, absque cognitione, sicut plantae et corpora inanimata.

Et talis inclinatio ad bonum vocatur appetitus naturalis.

[2.]

Quaedam vero ad bonum inclinantur cum aliqua cognitione;

  • non quidem sic quod cognoscant ipsam rationem boni,
  • sed cognoscunt aliquod bonum particulare;
    • sicut sensus, qui cognoscit dulce et album et aliquid huiusmodi.

Inclinatio autem hanc cognitionem sequens, dicitur appetitus sensitivus.

[3.]

Quaedam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem; quod est proprium intellectus. 

Et haec perfectissime inclinantur in bonum;

  • non quidem quasi ab alio solummodo directa in bonum,
    • sicut ea quae cognitione carent; 
  • neque in bonum particulariter tantum,
    • sicut ea in quibus est sola sensitiva cognitio;
  • sed quasi inclinata in ipsum universale bonum.
    • Et haec inclinatio dicitur voluntas.

Unde cum angeli per intellectum cognoscant ipsam universalem rationem boni, manifestum est quod in eis sit voluntas.

 

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Voir aussi ici.


1. -- Bien faire attention a chaque fois que TH. parle de ratio boni, le sujet est delicat. Car on n'aime en effet pas un universel, une notion, mais toujours tel bien existant. Toutefois on ne l'aime pas uniquement comme on aime particulièrement un être particulier ! - Cela demande un peu de finesse ici, mais c'est tès grisant intellectuellement à comprendre. - Sans la ratio boni je ne peux voir les divers plans de biens, le plan du bien naturel, le plan du bien sensible, le plan du bien spirituel. A chaque fois on touche le bien, ce qui me permet, bien que les plans soient différents, d'abstraire la notion commune de bien, ce qu'au Moyen-Âge on appelle ratio boni. Ayant la capacité de voir le bien partout où il se trouve, je peux les ordonner entre eux, je peux voir qu'un bien spirituel est supérieur à un bien sensible. Aimer spirituellement une personne n'est pas la même chose que l'aimer pour ses qualités sensibles, physiques, etc. Et cela se fait nécessairement avec le concours de l'intellect. La volonté, comme volonté, ne peut abstraire ; mais, dans l'expérience volontaire, c'est à dire dans l'expérience de mon appétit spirituel pour le bien spirituel, je fais appelle à mon intellect pour distinguer mon attraction au bien spirituel de mon attraction au bien sensible. En jugeant qu'un bien sensible et un bien spirituel sont tous les deux des biens, je vois par la même occasion ce qui les différencie l'un de l'autre. Grâce au commun saisi par la ratio boni, je distingue comme par soustraction ce qui reste : leur différence, qualités sensibles d'un côté, qualité spirituelle de l'autre. Et c'est alors en le connaissant et en le jugeant pour ce qu'il est, que j'aime spirituellement un bien en ce qu'il a de spirituel. - Ce qui n'exclue pas les autres plans, comme le souligne TH. au moment où il parle des passions qui peuvent/doivent être assumées, "emmenées", dans l'acte d'amour spirituel.

2. -- Quand Thomas parle d'inclination vers le bien universel lui-même, il faut bien notre le quasi. : "quasi inclinata in ipsum universale bonum". Il ne faut pas entendre que l'appétit volontaire se porte vers l'idée en soi du bien mais que dans tel bien elle discerne que c'est un bien. Elle est capable de juger que ce bien est un bien et un bien spirituel aimable spirituellement. Thomas n'est pas ici platonicien, il ne dit pas qu'il faut aimer la ratio boni.

3. -- A distinguer de la quête universelle du bonheur, voir par exemple ici.

4. -- A noter : ce qu'est le propre de l'intellect : appréhender la ratio d'une chose, ce qu'est une chose... "Ceci est un bien".

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Thomas d'Aquin - I.q59a4ad2 - Ce que sont l'amour et la joie au plan spirituel (et non au plan du sensible, commun avec les animaux)

L'amour et la joie,

  • selon qu'elles sont des passions, sont dans le concupiscible ;
  • mais selon qu'ils nomment un acte simple de la volonté, il sont alors dans la partie intellective [= spirituelle] ;

ainsi

  • aimer, c'est vouloir le bien à quelqu'un,
  • et être en joie, c'est le repos de la volonté en un certain bien possédé.

(Somme,I.q59a4ad2)

Amor et gaudium,

  • secundum quod sunt passiones, sunt in concupiscibili,
  • sed secundum quod nominant simplicem voluntatis actum, sic sunt in intellectiva parte;

prout

  • amare est velle bonum alicui,
  • et gaudere est quiescere voluntatem in aliquo bono habito.

 


1. -- Dans le traité des passions, la joie sera plus précisément vue comme le plaisir spirituel ; tandis que la plaisir proprement dit sera plutôt réeservé au plan sensible. Thomas, même s'il est habituellement d'une grande précision quant à l'utilisation des termes, montre qu'il est possible d'utiliser le vocabulaire du monde sensible sur le plan spirituel et vis versa. Thomas expliquera par exemple que le mot concupiscible, par extension, peut être utilisé au niveau spirituel.

2. -- "amare est velle bonum alicui" : attention à ne pas traduire "vouloir du bien", ici on ne cherche pas à "se faire du bien" l'un envers lautre, on veut bien plus profondément que l'autre atteigne le bien, son bien, on fait tout pour que l'autre puisse l'atteindre, quitte à ce que ce bien soit envers lui le don de nous-même dans l'amitié, la charité (sans que cela s'y restreigne). Dans une réflexion voisine, on encouragera à ne pas traduire benevolentia par bienveillance, mais par un mot qu'il aurait fallu reproduire en français par quelque chose comme "bienvoulance", il s'agit de vouloir le bien pour l'autre. Avec le terme bienveillance, on est loin du compte.

 

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Thomas d'Aquin - I.q5a5 - La ratio boni (la raison de bien)

  • La raison de bien est ce qui existe dans un individu donné (mode) selon une forme (espèce) qui le "pousse" à tel acte comme à sa fin (ordre).

Article très difficile.

Lieu paralèlle important :

  • DeVer.q21a6 où l'on rappelle l'origine augustinienne de la distincion mode, espèce, ordre

Voir aussi :

  • I.85a4 (traduction délirante de 1931 dans Revue des jeunes)
  • DeVer.q1a1
La raison de bien consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? Utrum ratio boni consistat in modo, specie et ordine

Chaque chose est dite bonne en tant qu'elle est parfaite, c'est ainsi qu'elle est appétible, comme on l’a dit plus haut.

Et le parfait est dit ce qui ne manque de rien selon le mode de sa perfection.

  • (1) Cependant chaque chose est ce qu’elle est par sa forme ;
  • (2) et la forme présuppose certaines [choses]
  • (3) et certaines [choses], de nécessité, sont conséquentes de la [forme] ;

pour que quelque chose (aliquid)a soit parfait et bon, il est nécessaire qu’il ait

  • (1) à la fois une forme, [= sa détermination]
  • (2) et les choses qui sont prérequises pour elle,
  • (3) et les choses qui sont conséquentes pour elle-même.

Unumquodque dicitur bonum, inquantum est perfectum, sic enim est appetibile, ut supra dictum est.

Perfectum autem dicitur, cui nihil deest secundum modum suae perfectionis.

  • Cum autem unumquodque sit id quod est, per suam formam;
  • forma autem praesupponit quaedam,
  • et quaedam ad ipsam ex necessitate consequuntur;

ad hoc quod aliquid sit perfectum et bonum, necesse est quod

  • formam habeat,
  • et ea quae praeexiguntur ad eam,
  • et ea quae consequuntur ad ipsam.

[LE MODE - (2)Le prérequis à l'existence concrète d'une chose selon une forme - Cause matérielle et cause efficiente]

Or, ce qui est pré-exigé à la forme, c’est la détermination ou commensuration proportionnalité de ses principes,

  • soit matériels,
  • soit efficients

et c’est ce qui est signifié par le mode ; d'où il est dit, [d’après S. Augustin] que la mesure pré-fixe [= prédétermine ??] ce que doit être le mode.

 [Modo]

Praeexigitur autem ad formam determinatio sive commensuratio principiorum,

  • seu materialium,
  • seu efficientium ipsam,

et hoc significatur per modum, unde dicitur quod mensura modum praefigit.

[L'ESPECE - (1) La forme actuelle de la chose - On semble être ici au niveau de la logique avec la différence spécifique - Cause formelle]

Et la forme elle-même est signifiée par l’espèce, car chaque chose est constituée dans l'espèce par la forme. Et c’est pourquoi il est dit que le nombre expose l’espèce.

Car, d’après le Philosophe, les définitions qui expriment l’espèce sont comme les nombres. En effet, comme l’unité ajoutée ou soustraite au nombre en fait varier l’espèce, de même, dans les définitions, une différence ajoutée ou soustraite.

[Specie]

Ipsa autem forma significatur per speciem, quia per formam unumquodque in specie constituitur. Et propter hoc dicitur quod numerus speciem praebet, quia definitiones significantes speciem sunt sicut numeri,

secundum Philosophum in VIII Metaphys.; sicut enim unitas addita vel subtracta variat speciem numeri, ita in definitionibus differentia apposita vel subtracta.

[L'ORDRE - (3) L'acte-fin réclamé par ce qu'est une chose selon sa forme - Cause finale ]

Enfin ce qui est consécutif à la forme, c’est l’inclination

  • à la fin,
  • à l’action
  • ou à quelque chose de semblable ;

car chaque chose, en tant qu'acte, 

  • agit,
  • et tend,

en ce qui lui convientb selon sa forme. Et cela relève du poids et de l'ordre. 

[Ordine]

Ad formam autem consequitur inclinatio

  • ad finem,
  • aut ad actionem,
  • aut ad aliquid huiusmodi,

quia unumquodque, inquantum est actu,

  • agit,
  • et tendit

in id quod sibi convenit secundum suam formam. Et hoc pertinet ad pondus et ordinem.

[Conclusion]

D'où la raison de bien, selon qu'elle

  • consiste dans la perfection, 
  • consiste dans 
    • le mode,
    • l'espèce, 
    • et l'ordre. 

[Conclusion]

Unde ratio boni, secundum quod

  • consistit in perfectione,
  • consistit etiam in
    • modo,
    • specie,
    • et ordine.

 


Rappel du sous-titre qui résume tout le passage : La raison de bien est ce qui existe dans un individu donné (mode) selon une forme (espèce) qui le "pousse" à tel acte comme à sa fin (ordre). Les quatre causes sont ici utilisées.

a. -- TH. fait l'étymologie du mot aliquid, toujours dans DeVer.q1a1 : 

C’est ce qu’exprime le nom « quelque chose », car il se dit [en latin] aliquid, comme si l’on disait aliud quid (quelque autre chose) ; donc, de même que l’ens [ce qui est] est appelé « un » en tant qu’il est indivis en soi, de même il est appelé « quelque chose » en tant qu’on le distingue des autres.

b. -- La référence à la convenance est importante et apparaît aussi dans DeVer.q1a1.

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Thomas d'Aquin - I.q62a8 - On ne veut et n'agit toujours qu'en vue du bien

 

Il est impossible que

  • quelqu'un veuille ou opère [= agisse] quoi que ce soit, si ce n'est pour tendre au bien ;
  • ou qu'il veuille se détourner du bien, en tant que tel (inquantum huiusmodi).

(Somme, I.q62a8)

Impossibile est autem

  • quod aliquis quidquam velit vel operetur, nisi attendens ad bonum;
  • vel quod velit divertere a bono, inquantum huiusmodi.

 

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Thomas d'Aquin - I.q62a8ad2 - La volonté peut se porter sur des opposés SI ils ne sont pas ordonnés naturellement

  • Les puissances rationnelles peuvent se porter sur des opposés dans ces [choses] auxquelles elles ne sont pas ordonnées naturellement (non ordinantur naturaliter) ;
  • mais quant à ces [choses] auxquelles elles sont ordonnées naurellement, elles ne peuvent se porter sur des opposés.
  • L'intellect, en effet, ne peut pas ne pas assentir (assentire) aux principes naturellement connus ;
  • et de même la volonté ne peut pas ne pas adhérer (adhaerere) au bien en tant qu'il est un bien,
    • parce qu'elle est naturellement ordonnée au bien comme à son objet.

(Somme, I.q62a8ad2)

 
  • Virtutes rationales se habent ad opposita in illis ad quae non ordinantur naturaliter,
  • sed quantum ad illa ad quae naturaliter ordinantur, non se habent ad opposita.
  • Intellectus enim non potest non assentire principiis naturaliter notis,
  • et similiter voluntas non potest non adhaerere bono inquantum est bonum,
    • quia in bonum naturaliter ordinatur sicut in suum obiectum.

Mettre cette déclaration "les facultés rationnelles (...) ne peuvent être ordonnées par nature à des objets opposés" en regard des propositions de Duns Scot sur les opposés objets de la volonté.

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Thomas d'Aquin - I.q82a2ad1 - La volonté veut toujours quelque chose comme un bien mais n'est pas déterminée à vouloir tel bien.

  • Vouloir nécessairement le bien n'est pas vouloir nécessairement tel bien

La volonté ne peut tendre à rien sinon sous la raison de bien (ratio boni).

Mais parce que le bien est multiple, à cause de cela, elle n'est pas de nécessité déterminée à un seul [de ces biens].

(Somme, I.q82a2ad1)

Voluntas in nihil potest tendere nisi sub ratione boni.

Sed quia bonum est multiplex, propter hoc non ex necessitate determinatur ad unum.

 


 1. -- Rien ne peut être voulu s'il n'est pas voulu sous l'apparence de bien, sous la notion de bien. Ce qui ne signifie pas que ce qui est voulu soit un bien, mais seulement qu'il est voulu comme un bien.

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Thomas d'Aquin - I.q82a2ad2 - La volonté n'est pas totalement soumise à vouloir un bien particulier...

  • ...alors qu'elle ne peut vouloir autrement (comme volonté) que sous la ratio boni

Ce qui meut cause de nécessité le mouvement dans le mobile, quand le pouvoir de ce qui meut excède le mobile, de telle sorte que toute sa possibilité de mouvement est soumise à ce qui meut.

Avec le fait que la possibilité de la volonté regarde le bien universel et parfait, toute sa possibilité ne peut être soumise en tout à quelque bien particulier.

C’est pourquoi elle n’est pas de nécessité mise en mouvement par lui.

(Somme, I.q82a2ad2)

Movens tunc ex necessitate causat motum in mobili, quando potestas moventis excedit mobile, ita quod tota eius possibilitas moventi subdatur.

Cum autem possibilitas voluntatis sit respectu boni universalis et perfecti, non subiicitur eius possibilitas tota alicui particulari bono.

Et ideo non ex necessitate movetur ab illo.


1. -- C'est la raison de bien (ratio boni) qui est nommée ici bien universel et parfait. En tant que ratio elle ne peut pas être incomplète, d'où le mot parfait ici. 

2. -- La volonté n'est pas soumise en tout à tel bien particulier mais seulement dans la mesure où la volonté veut toujours sous la raison de bien, c'est à dire que la volonté ne veut que ce qui lui apparaît comme bien. Si un bien particulier lui apparaît comme un bien, alors elle veut ce bien particulier, mais à travers la ratio boni, et donc elle n'est pas liée en tout au bien particulier. L'animal juge d'un jugement naturel (qui lui vient d'un autre comme dit Thomas, c'est à dire de son créateur), alors que l'homme a la capacité de juger de lui-même si telle chose est un bien.

3. -- Sur la ratio boni, voir ici.

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a4 - La prudence est d'abord une vertu intellectuelle mais elle est aussi une vertu morale

  • La prudence ne doit pas en rester à la connaissance des moyens mais elle doit les mettre en oeuvre

 

ARTICLE DIFFICILE - BIEN L'ASSIMILER - ET Y REVENIR

 

La prudence est-elle une vertu ?  

Comme il a été dit lorsqu'on traitait des vertus en général, "la vertu rend bon celui qui la possède, et bonne l'oeuvre qu'il accomplit". Or, le bien peut se dire en deux sens :

  • d'une manière, matériellement, pour [désigner] ce qui est bon ;
  • d'une autre manière, formellement, selon la raison de bien (rationem boni).
    • Et le bien, en tant que [regardé sous] ce mode, est objet de la puissance appétitive.

[A. Habitus qui rectifient l'acte rationnel de la connaissance]

Et c'est pourquoi, s'il y a des habitus qui font droite la considération de la raison sans égard à la rectitude de l'appétit, [ces habitus] ont moins la raison de vertu en tant qu'ils n'ordonnent au bien que matériellement, 

  • c'est-à-dire ce qui est bon,
  • non [considéré] sous la raison de bien,

Sicut supra dictum est cum de virtutibus in communi ageretur, virtus est quae bonum facit habentem et opus eius bonum reddit. Bonum autem potest dici dupliciter,

  • uno modo, materialiter, pro eo quod est bonum;
  • alio modo, formaliter, secundum rationem boni.
    • Bonum autem, inquantum huiusmodi, est obiectum appetitivae virtutis.

A.

Et ideo si qui habitus sunt qui faciant rectam considerationem rationis non habito respectu ad rectitudinem appetitus, minus habent de ratione virtutis,tanquam ordinantes ad bonum materialiter,

  • idest ad id quod est bonum
  • non sub ratione boni,
 

[B. Habitus qui regardent la rectitude de l'appétit]

tandis que les habitus qui regardent la rectitude de l'appétit vérifient davantage la raison de vertu, car ils regardent le bien

  • non seulement matériellement
  • mais encore formellement,
    • c'est-à-dire ce qui est bon sous la raison de bien.

B.

plus autem habent de ratione virtutis habitus illi qui respiciunt rectitudinem appetitus, quia respiciunt bonum

  • non solum materialiter,
  • sed etiam formaliter,
    • idest id quod est bonum sub ratione boni

[C. L'habitus de prudence]

Or, il revient à la prudence, nous l'avons dit,

  • d'appliquer la raison droite à l'oeuvre, [= exécution dans une action = dernier des trois actes de la prudence]
  • ce qui ne se fait pas sans un appétit droit. [= ce qui ne peut se faire qu'en ordonnant les biens selon leur bonté]

C'est pourquoi la prudence

  • n'a pas seulement la raison de vertu que possèdent les autres vertus intellectuelles,
  • mais elle a en outre la raison de vertu que possèdent les vertus morales, au nombre desquelles elle figure aussi.

(Somme, II-II.q47a4)

C.

Ad prudentiam autem pertinet, sicut dictum est,

  • applicatio rectae rationis ad opus,
  • quod non fit sine appetitu recto.

Et ideo prudentia

  • non solum habet rationem virtutis quam habent aliae virtutes intellectuales;
  • sed etiam habet rationem virtutis quam habent virtutes morales, quibus etiam connumeratur.

 

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Thomas d'Aquin - II-II.q47a4 - Le bien se dit en deux sens

  • Le bien concret (tel bien) et la ratio de bien

Le bien peut se dire en deux sens :

  • d'une manière, matériellement, pour [désigner] ce qui est bon ; [tel bien]
  • d'une autre manière, formellement, selon la raison de bien. [la notion analogique de bien]

(Somme, II-II.q47a4)

Sicut supra dictum est cum de virtutibus in communi ageretur, virtus est quae bonum facit habentem et opus eius bonum reddit. Bonum autem potest dici dupliciter,

  • uno modo, materialiter, pro eo quod est bonum;
  • alio modo, formaliter, secundum rationem boni. 

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Thomas d'Aquin - Il y a déjà un certain plaisir dans le désir, mais plus encore dans l'espoir - I-II.q32a3ad3

L'amour et la concupiscence [= désir sensible] causent du plaisir. Car tout ce qui est aimé est délectable pour celui qui aime, du fait que l'amour est une sorte d'union ou de connaturalité de l'aimant et de l'aimé.

De même, tout objet de concupiscence est délectable à celui qui convoite (concupiscenti), la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation.

Cependant l'espoir, parce qu'il comporte une certaine certitude de la présence réelle [à venir] du bien délectable qu'on ne trouve ni dans l'amour ni dans la concupiscence, est dit cause de délectation plus que celle-ci.

Et même, plus que le souvenir (memoria), tourné vers ce qui a déjà passé.

(Somme,  I-II.q2a3ad3)

Etiam amor et concupiscentia delectationem causant. Omne enim amatum fit delectabile amanti, eo quod amor est quaedam unio vel connaturalitas amantis ad amatum.

Similiter etiam omne concupitum est delectabile concupiscenti, cum concupiscentia sit praecipue appetitus delectationis.

Sed tamen spes, inquantum importat quandam certitudinem realis praesentiae boni delectantis, quam non importat nec amor nec concupiscentia, magis ponitur causa delectationis quam illa.

Et similiter magis quam memoria, quae est de eo quod iam transiit.

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1. Noter la remarque "la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation" : sur le plan sensible passionnel, on désire surtout le plaisir procuré par le bien, alors que sur le plan spirituel, on désire surtout le bien qui nous procure du plaisir. Si l'amour instinctif est essentiellement interne (cela vient de l'intérieur du vivant), l'amour passionnel s'ouvre à un premier niveau d'extériorité à travers le bien sensible. Mais c'est avec le bien spirituel qu'est atteint une véritable sortie de soi, un véritable détournement de l'égo. On se détourne de soi pour être intièrement tourné vers l'autre.

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Thomas d'Aquin - Iq59a2 - Notre volonté n'est pas notre essence, contrairement à Dieu

  • Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté

L'inclination vers quelque chose d'extrinsèque (extrinsecum) se fait par quelque chose de surajouté à l'essence ;

  • ainsi l'inclination au lieu se fait par gravité ou par légèreté (per gravitatem vel levitatem) ;
  • l'inclination à produire un être semblable à soi se fait par le moyen de qualités actives.

Or la volonté a naturellement une inclination au bien.

Il n'y aura donc identité entre essence et volonté que

  • dans le cas ou la totalité du bien est contenue dans l'essence de celui qui veut,
    • comme en Dieu, qui ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté. [= Il ne veut rien d'autre que sa propre bonté]

Cela ne peut être dit d'aucune créature, car le bien infini est en dehors (extra) de l'essence de tout être créé.

(Somme, I.q59a2)

Sed inclinatio ad aliquid extrinsecum, est per aliquid essentiae superadditum,

  • sicut inclinatio ad locum est per gravitatem vel levitatem,
  • inclinatio autem ad faciendum sibi simile est per qualitates activas.

Voluntas autem habet inclinationem in bonum naturaliter.

Unde ibi solum est idem essentia et voluntas,

  • ubi totaliter bonum continetur in essentia volentis;
    • scilicet in Deo, qui nihil vult extra se nisi ratione suae bonitatis.

Quod de nulla creatura potest dici; cum bonum infinitum sit extra essentiam cuiuslibet creati.

 


A noter : 

- "Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté." S'il faut comprendre que Dieu ne veut rien d'autre que sa propre bonté, par extension, lorsqu'il nous veut et nous crée, cela ne se fait pas pour autre chose qu'en voulant sa propre bonté. Il faudrait détailler ici pour voir en quoi cela peut être vrai. Car nous ne sommes pas créés par nécessité, Dieu n'ayant pas besoin de nous. Mais Dieu en nous créant ne peut pas créer autre chose que des êtres dont la volonté est appelée à être entièrement tournée vers Lui. Volonté = appétit d'amour. Acte volontaire = acte d'amour, aimer. La volonté n'est volonté, au sens "avoir de la volonté", qu'à propos des moyens, le volontarisme se contente du moyen et se termine (à tord) au moyen en oubliant la fin, c'est à dire le bien, l'être aimable et donc aimé.

Tout ce que "fait" Dieu en dehors de lui-même est fait par amour gratuit comme une expression de sa bonté (surabondance, débordement, surplus).

- Il n'y a pas de tension en Dieu vers quelque chose qu'il n'aurait pas, c'est pourquoi il n'y a pas d'inclination en lui. Voir aussi ici. Il y a bien un amour mais pas d'appétit.

- Noter le cas de Dieu et les autres cas : pour nous, la volonté vient comme quelque chose d'extrinsèque à notre essence dans ce sens que nous ne sommes pas réductible à notre puissance volontaire. Tandis que Dieu est identique à son intellect, identique à sa volonté.

 

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Thomas d'Aquin - L'espoir est à la fois cause de plaisir et cause de tristesse - I-II.q32a3ad2

Rien n'empêche qu'une même [chose], selon [des aspects] divers, soit cause d'[effets] contraires. Ainsi  

  • en tant que l'on est actuellement persuadé de pouvoir atteindre un bien futur, l'espoir cause la délectation ;
  • en tant que privé de la présence de ce bien, l'espoir cause l'affliction.

(Somme,  I-II.q2a3ad2)

Nihil prohibet idem, secundum diversa, esse causam contrariorum. Sic igitur spes,

  • inquantum habet praesentem aestimationem boni futuri, delectationem causat,
  • inquantum autem caret praesentia eius, causat afflictionem.

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Thomas d'Aquin - L'inhésion en soi et l'inhésion en l'autre comme effet de l'amour - I-II.q28a2ad1

LIRE D'ABORD LA REPONSE PRINCIPALE DE L'ARTICLE

  • L'aimé est contenu dans celui qui aime, en tant qu'il est imprimé dans son affectif par une certaine complaisance.
  • Réciproquement, l'aimant est contenu dans l'aimé, en ce sens qu'il rejoint en quelque sorte l'intimité de son ami. 

Rien n'empêche en effet que l'on contienne et que l'on soit contenu à des titres divers ; c'est ainsi que le genre est contenu dans l'espèce, et réciproquement.

(Somme, I-II.q28a2ad1)

  • Amatum continetur in amante, inquantum est impressum in affectu eius per quandam complacentiam.
  • E converso vero amans continetur in amato, inquantum amans sequitur aliquo modo illud quod est intimum amati.

Nihil enim prohibet diverso modo esse aliquid continens et contentum, sicut genus continetur in specie et e converso.

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1. "in affectu" : ablatif de lieu, indique le lieu où l'on est (par opposition à l'accusatif, qui désigne le lieu où l'on va).

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Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

  • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
  • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

(Somme. I-II.q59a4)

Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

  • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
  • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

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Thomas d'Aquin - Le bien, surtout corporel, consiste en une certaine commensuration - I-II.q32a7

Que le similaire corrompe le bien propre, cela arrive d'une double manière.

D'une manière, parce que le similaire corrompt par un certain excès la mesure du bien propre ; le bien, et surtout [le bien] corporel, comme la santé, consiste en une certaine commensuration. Et pour cela, la surabondance de nourriture, ou de tout autre plaisir corporel, engendre le dégoût.

D'une autre manière... [Thomas donne l'exemple des potiers qui ont un bien propre similaire par lequel se fait l'unité (le profit), ce bien propre devennant un mal par concurrence, ce qui se comprend puisqu'on est dans le divisible.]

(Somme, I-II.q32a7)

Quod autem aliquid simile corrumpat proprium bonum, contingit dupliciter.

Uno modo, quia corrumpit mensuram proprii boni per quendam excessum, bonum enim, praecipue corporale, ut sanitas, in quadam commensuratione consistit. Et propter hoc, superabundantes cibi, vel quaelibet delectationes corporales, fastidiuntur.

Alio modo...

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1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q33a2.

2. Là où, pour les biens coporels, Thomas parle de commensuration, ailleurs, d'une manière plus générale, Thomas parle de convenance ou de connaturalité. La mesure, donc la quantité, est pèse davantage pour les biens du corps.

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Thomas d'Aquin - Le libre arbitre se rapporte par lui-même et naturellement au bien - III.q34a3ad1

  • et il se rapporte au mal sur le mode du défaut et hors de la nature

Le libre arbitre ne se rapporte pas au bien et au mal de la même manière,

  • car il se rapporte au bien
    • par lui-même
    • et naturellement ;
  • mais il se rapporte au mal
    • sur le mode du défaut
    • et hors de la nature.

Mais comme le dit le Philosophe, dans De Caelo II, 3, ce qui est au-delà de la nature est postérieur à ce qui est selon la nature, parce que ce qui est au-delà de la nature est une sorte de coupure (excisio) de ce qui est selon la nature.

Et donc le libre arbitre d'une créature au premier instant de sa création

  • peut être mû vers le bien en méritant,
  • mais non vers le mal en péchant,

du moins si la nature est encore intacte.

(Somme, III.q14a1ad2)

Liberum arbitrium non eodem modo se habet ad bonum et ad malum,

  • nam ad bonum se habet
    • per se
    • et naturaliter;
  • ad malum autem se habet
    • per modum defectus,
    • et praeter naturam.

Sicut autem philosophus dicit, in II de caelo, posterius est quod est praeter naturam, eo quod est secundum naturam, quia id quod est praeter naturam, est quaedam excisio ab eo quod est secundum naturam.

Et ideo liberum arbitrium creaturae in primo instanti creationis

  • potest moveri ad bonum merendo,
  • non autem ad malum peccando,

si tamen natura sit integra.

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 1. Citation du De Caelo, 286a 18 : 

ὕστερον δὲ τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν,
καὶ ἔκστασίς τίς ἐστιν ἐν τῇ γενέσει
τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν

"D'autre part ce qui est contre la nature est postérieur à ce qui est selon la nature
et ce qui est contre nature dans la génération est une sorte de déviation au regard de ce qui est selon la nature."

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Thomas d'Aquin - Les actions humaines sont celles qui sont posées par une volonté délibérée à cause d'une fin - I-II.q1a1

  • ... les autres sont seulement des actions de l'homme

Convient-il à l’homme d'agir à cause d'une fin ?

Des actions posées par l'homme, celles-là seules sont proprement dites "humaines" celles qui sont propres à l'homme en tant qu'homme.

Et l'homme diffère des autres créatures, [celles qui sont] irrationnelles, en cela qu'il est seigneur (dominus) de ses actes. D'où il suit que sont appelées proprement humaines les seules actions dont l'homme est seigneur (dominus).

C'est cependant par sa raison et sa volonté que l'homme est le seigneur de ses actes, d'où il suit que le libre arbitre est dit "une faculté de la volonté et de la raison".

  • Sont donc dites proprement humaines ces actions qui procèdent d'une volonté délibérée.
  • S'il est cependant d'autres actions qui conviennent à l'homme, elles peuvent être seulement dites (dici quidem) des actions de l'homme, mais non pas des actions  proprement humaines, puisqu'elles ne sont pas de l'homme en tant qu'il est homme.

Or, il est manifeste que toute action qui procéde d'une puissance quelconque est causée selon la raison (rationem) de son objet [= la nature de son objet]. Or l'objet de la volonté c'est la fin et le bien.

Il est donc nécessaire que toutes les actions humaines soient à cause d'une fin.

(Somme. I-II.q1a1)

Utrum hominis sit agere propter finem ?

Actionum quae ab homine aguntur, illae solae proprie dicuntur humanae, quae sunt propriae hominis inquantum est homo.

Differt autem homo ab aliis irrationalibus creaturis in hoc, quod est suorum actuum dominus. Unde illae solae actiones vocantur proprie humanae, quarum homo est dominus.

Est autem homo dominus suorum actuum per rationem et voluntatem, unde et liberum arbitrium esse dicitur facultas voluntatis et rationis.

  • Illae ergo actiones proprie humanae dicuntur, quae ex voluntate deliberata procedunt.
  • Si quae autem aliae actiones homini conveniant, possunt dici quidem hominis actiones; sed non proprie humanae, cum non sint hominis inquantum est homo.

Manifestum est autem quod omnes actiones quae procedunt ab aliqua potentia, causantur ab ea secundum rationem sui obiecti. Obiectum autem voluntatis est finis et bonum.

Unde oportet quod omnes actiones humanae propter finem sint.

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

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Thomas d'Aquin - Seul l'amour spirituel d'amour d'amitié sort réellement de lui-même - I-II.q28a3

[La première extase est celle qui se fait par l'intermédiaire de la connaissance qui médite intensément sur l'objet aimé, elle nous abstrait (abstrahit) des autres choses.]  

... Quant à la seconde extase, l'amour la fait directement : 

  • purement et simplement (simpliciter) dans l'amour d'amitié ;
  • non purement et simplement dans l'amour de concupiscence, mais seulement relativement (secundum quid).

De fait,

  • dans l'amour de convoitise,
    • l'aimant se porte d'une certaine manière hors de soi-même, en tant que, 
      • non content de jouir du bien qu'il possède,
      • il cherche à jouir de quelque chose en dehors de lui-même.
    • Mais parce que ce bien extérieur, il cherche à l'avoir pour soi,
      • il ne sort pas purement et simplement de soi ;
      • mais une telle affection, in fine, se conclut en-dessous de lui [= se ramène sous le pouvoir de sa convoitise].
  • Mais dans l'amour d'amitié, l'affection sort purement et simplement d'elle-même,
    • parce qu'on veut le bien à son ami et on opère [à cela],
    • comme si on lui portait soins et providence
      • à cause de l'ami lui-même.

(Somme, I-II.q28a3)

Sed secundam extasim facit amor directe,

  • simpliciter quidem amor amicitiae;
  • amor autem concupiscentiae non simpliciter, sed secundum quid.

Nam

  • in amore concupiscentiae,
    • quodammodo fertur amans extra seipsum, inquantum scilicet,
      • non contentus gaudere de bono quod habet,
      • quaerit frui aliquo extra se.
    • Sed quia illud extrinsecum bonum quaerit sibi habere,
      • non exit simpliciter extra se,
      • sed talis affectio in fine infra ipsum concluditur.
  • Sed in amore amicitiae, affectus alicuius simpliciter exit extra se,
    • quia vult amico bonum, et operatur,
    • quasi gerens curam et providentiam ipsius,
      • propter ipsum amicum.

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Thomas d'Aquin - Une même chose peut être considérée comme vrai et comme bien

Le bien et le vrai sont convertibles dans la réalité (secundum rem), et c'est pourquoi le bien peut être appréhendé intelligé par l'intelligence intellect sous la raison de vrai, et le vrai est désiré (appetitur) sous la raison de bien par la volonté. Cette distinction des raisons suffit à distinguer les deux puissances.1 (Somme,I, q. 59, a. 2, r. 3)

Bonum et verum convertuntur secundum rem, inde est quod et bonum ab intellectu intelligitur sub ratione veri, et verum a voluntate appetitur sub ratione boni. Sed tamen diversitas rationum ad diversificandum potentias sufficit, ut dictum est.

1. Traduction corrigée.

secundum rem, litt. : "selon la chose" ; implicitement : "selon qu'ils sont dans la chose concrète réelle".

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