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Thomas d'Aquin - Le plaisir est-il une passion - Analyse de I-II.q31.a1

Un mouvement de l'appétit sensible s'appelle proprement passion, nous l'avons vu. Et toute affection qui procède d'une appréhension sensible est un mouvement de l'appétit sensible. Or cela s'applique nécessairement au plaisir. Comme le dit le Philosophe, en effet :

"Le plaisir est 

  • un certain mouvement de l'âme 
  • et la constitution simultanée d'un tout sensible dans la nature existante."

Motus appetitus sensitivi proprie passio nominatur, sicut supra dictum est. Affectio autem quaecumque ex apprehensione sensitiva procedens, est motus appetitus sensitivi. Hoc autem necesse est competere delectationi. Nam, sicut philosophus dicit in I Rhetoric.,

delectatio est

  • quidam motus animae,
  • et constitutio simul tota et sensibilis in naturam existentem.

Pour comprendre cela, il faut prendre garde à ce fait :

  • si l'on voit dans les choses naturelles certaines réaliser leur perfection naturelle, 
  • cela se rencontre aussi chez les animaux.

Et

  • bien que être mû à la perfection ne soit pas un tout simultané,
  • cependant la réalisation même d'une perfection naturelle est un tout simultané.

Il y a cependant une différence entre les animaux et les autres choses de la nature

  • que ceux-ci, quand ils sont établis dans ce qui leur convient (convenit) selon la nature, ne le sentent pas,
  • tandis que les animaux le sentent.

De cette sensation est causé un certain mouvement de l'âme dans l'appétit sensible ; et ce mouvement, c'est le plaisir.

Ad cuius intellectum, considerandum est quod,

  • sicut contingit in rebus naturalibus aliqua consequi suas perfectiones naturales,
  • ita hoc contingit in animalibus.

Et

  • quamvis moveri ad perfectionem non sit totum simul,
  • tamen consequi naturalem perfectionem est totum simul.

Haec autem est differentia inter animalia et alias res naturales, quod aliae res naturales,

  • quando constituuntur in id quod convenit eis secundum naturam, hoc non sentiunt,
  • sed animalia hoc sentiunt.

Et ex isto sensu causatur quidam motus animae in appetitu sensitivo, et iste motus est delectatio.

  1. En disant donc que le plaisir est "un mouvement de l'âme",

--> on lui assigne son genre.

  1. En disant d'autre part qu'il est "une constitution dans la nature existante", c'est-à-dire dans ce qui existe dans la nature des choses,

--> on marque la cause du plaisir : la présence du bien connaturel.

  1. En disant d'autre part "un tout simultané", on met en avant que cette constitution ne doit pas s'entendre 
    • selon quelque chose en train de se constituer,
    • mais selon une chose déjà constituée,
    • comme (quasi) dans le terme du mouvement ;
      • [en effet] le plaisir n'est pas une génération, comme le posait Platon,
      • mais plutôt une chose faite, au dire d'Aristote.
    1. Enfin le mot "sensible" exclut les perfections des êtres privés de connaissance qui sont incapables de plaisir. 

    On voit donc ainsi que le plaisir parce qu'il est un mouvement de l'appétit animal consécutif à une appréhension sensible, est bien une passion de l'âme.

    (Somme, I-II.q31.a1)

    1. Per hoc ergo quod dicitur quod delectatio est motus animae,

    --> ponitur in genere.

    1. Per hoc autem quod dicitur constitutio in existentem naturam, idest in id quod existit in natura rei,

    --> ponitur causa delectationis, scilicet praesentia connaturalis boni.

    1. Per hoc autem quod dicitur simul tota, ostendit quod constitutio non debet accipi
      • prout est in constitui,
      • sed prout est in constitutum esse,
      • quasi in termino motus,
      • non enim delectatio est generatio, ut Plato posuit,
      • sed magis consistit in factum esse, ut dicitur in VII Ethic.
    1. Per hoc autem quod dicitur sensibilis, excluduntur perfectiones rerum insensibilium, in quibus non est delectatio.

    Sic ergo patet quod, cum delectatio sit motus in appetitu animali consequens apprehensionem sensus, delectatio est passio animae.

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    Commentaire

    1. La compréhension demande ici beaucoup de finesse : il faut distinguer

    • le mouvement qui a lieu dans toute passion
    • du mouvement spécial qui a lieu dans le plaisir,

    car ce mouvement là est à prendre comme un terminus, comme si un mouvement pouvait être une fin. Il faut tenir compte du fait qu'on parle ici d'un plaisir sensible, non d'un plaisir spirituel. Il sera intéressant de voir ce que dit Thomas à propos de la joie dans l'article 3 : est-elle, elle aussi, un mouvement en même temps qu'un terme ?

    2. Le plaisir vient du fait que l'animal est capable de sentir la convenance du bien qui perfectionne lorsqu'il est acquis, 

    3. A noter que la réponse à l'arg. 2 traite explicitement de l'apparente contradiction mouvement/repos-fin.

    Appréhension

    • Dernière mise à jour le .