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Thomas d'Aquin - I-II.q91a2 - °°° Loi naturelle et appétit naturel

En nous, toute opération de la raison et de la volonté dérivent de ce qui est selon notre nature, comme cela a été dit plus haut ;

  • toute acte de raisonnement dérive des principes connus naturellement,
  • et tout appétit portant sur les moyens qui sont en vue d'une fin, dérive de l’appétit naturel pour cette fin ultime.

Ainsi il est nécessaire que l’orientation première de nos actes vers la fin se fasse par la loi naturelle.

(I-II.q90a2ad2)

Omnis operatio, rationis et voluntatis derivatur in nobis ab eo quod est secundum naturam, ut supra habitum est, nam

  • omnis ratiocinatio derivatur a principiis naturaliter notis,
  • et omnis appetitus eorum quae sunt ad finem, derivatur a naturali appetitu ultimi finis.

Et sic etiam oportet quod prima directio actuum nostrorum ad finem, fiat per legem naturalem.

 


 

Nature, Raison, Volonté, Fin, Principes (premiers), Moyens, Syndérèse, Loi naturelle, Axiomes

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Thomas d'Aquin - I-II.q46a1 °°° La passion amour est la racine première de toutes les passions

Donc, de la première manière, la colère n'est pas une passion générale, mais est condivisée avec les autres passions, nous l'avons dit plus haut

De manière similaire elle ne l'est pas non plus de la seconde manière, car elle n'est pas cause des autres passions mais de cette manière l'amour qui peut être dite passion générale, comme cela est patent chez S. Augustin. L'amour est la racine première de toutes les passions, comme on l'a dit plus haut.

(I-II.q46a1)

Primo ergo modo, ira non est passio generalis, sed condivisa aliis passionibus, ut supra dictum est.

Similiter autem nec secundo modo. Non est enim causa aliarum passionum, sed per hunc modum potest dici generalis passio amor, ut patet per Augustinum, in XIV libro de Civ. Dei; amor enim est prima radix omnium passionum, ut supra dictum est.

 


 

Amour, Passions, Colère

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Thomas d'Aquin - Agir ou subir pour un ami est délectable, car l'amour est cause principale du plaisir - I-II.q32a6

Tout ce que nous faisons ou pâtissons pour un ami nous est délectable, car l'amour est la cause principale de la délectation.

(Somme, I-II.q32a6)

Omnia enim quae facimus vel patimur propter amicum, delectabilia sunt, quia amor praecipua causa delectationis est.

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Amour, Plaisir, Souffrance, Délectation, Amour d'amitié, Bienfaisance

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Thomas d'Aquin - Où Thomas mentionne la distinction de quatre modes d'amour chez Denys - I-II.q28a6ad1

... Nous parlons ici de l'amour tel qu'il est communément accepté, selon qu'il comprend sous lui l'amour

  • intellectuel,
  • rationnel,
  • animal,
  • naturel,

c'est ainsi que Denys parle de l'amour.

... Nos autem loquimur nunc de amore communiter accepto, prout comprehendit sub se amorem

  • intellectualem,
  • rationalem,
  • animalem,
  • naturalem,

sic enim Dionysius loquitur de amore in IV cap. de Div. Nom.

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1. Quelle différence TH. fait-il entre amour intellectuel et amour rationnel ?

Amour, Amour naturel, Amour animal, Amour intellectuel, Amour rationnel

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Thomas d'Aquin - Le bien aimé [intensément] peut excéder les possibilités du corps et le blesser - I-II.q28a5

  • ... mais en tant que bien, un bien ne peut blesser, puisqu'un bien n'est bien que s'il convient à celui pour qui il est un bien

Nous l'avons dit, l'amour signifie une certaine co-aptation de la puissance affective à un certain bien. 

[A. Réponse du côté de la forme]

[a. Quand il y a co-aptation à un vrai bien]

  • Or rien de ce qui a été co-apté à quelque chose qui lui convient ne s'en trouve blessé,
  • mais bien plutôt, si cela est possible, 
    • il progresse,
    • et s'améliore.

[b. Quand il y a co-aptation à un bien qui ne con-vient pas]

Au contraire, ce qui veut s'adapter à ce qui ne lui convient pas en est blessé et détérioré.

  • Donc, l'amour du bien qui convient perfectionne et améliore celui qui aime ;
  • l'amour du bien qui ne convient pas blesse et détériore. 
  • C'est pour cela que l'homme est perfectionné et rendu meilleur surtout par l'amour de Dieu,
  • tandis qu'il est blessé et détérioré par l'amour du péché, selon ces mots d'Osée (9, 10) : "Ils sont devenus abominables comme l'objet de leur amour." 

Cela doit s'entendre de l'amour au point de vue de ce qu'il y a de formel en lui, c'est-à-dire de l'appétit.

[B. Réponse du côté de la matière]

[a. Néanmoins, l'amour peut blesser à cause du lien âme/corps]

Quant à l'aspect matériel de la passion amour, à savoir une certaine modification corporelle,

  • il arrive que l'amour blesse, à cause d'un certain excès,
  • comme cela arrive
    • dans l'activité sensorielle,
    • et en tout acte d'une puissance de l'âme qui s'exerce avec modification de l'organe corporel.

Sicut supra dictum est, amor significat coaptationem quandam appetitivae virtutis ad aliquod bonum.

A.

  • Nihil autem quod coaptatur ad aliquid quod est sibi conveniens, ex hoc ipso laeditur,
  • sed magis, si sit possibile,
    • proficit
    • et melioratur.

B.

Quod vero coaptatur ad aliquid quod non est sibi conveniens, ex hoc ipso laeditur et deterioratur.

  • Amor ergo boni convenientis est perfectivus et meliorativus amantis,
  • amor autem boni quod non est conveniens amanti, est laesivus et deteriorativus amantis.
  • Unde maxime homo perficitur et melioratur per amorem Dei,
  • laeditur autem et deterioratur per amorem peccati, secundum illud Osee IX, facti sunt abominabiles, sicut ea quae dilexerunt.

Et hoc quidem dictum sit de amore, quantum ad id quod est formale in ipso, quod est scilicet ex parte appetitus.

C.

Quantum vero ad id quod est materiale in passione amoris, quod est immutatio aliqua corporalis,

  • accidit quod amor sit laesivus propter excessum immutationis,
  • sicut accidit
    • in sensu,
    • et in omni actu virtutis animae qui exercetur per aliquam immutationem organi corporalis.

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1. Le bien en tant que bien, lorsqu'il convient à un être, le rend meilleur. Un ami me rend meilleur, et je rends meilleur l'ami.

Amour, Progrès, Blessure, Amélioration, Détérioration, Croissance

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Thomas d'Aquin - Le zèle causé par l'amour intense du bien rend odieux tout ce qui empêche ce bien de se communiquer - I-II.q28a4ad2

  • ... on n'est pas envieux du bien que tous peuvent posséder (comme Dieu ou la vérité), mais on peut l'être de la manière excellente de le posséder

Le bien est aimé en tant qu'il peut se communiquer à celui qui aime. C'est pourquoi tout ce qui empêche la perfection de cette communication, devient odieux [= devient objet de haine]. Et ainsi le zèle est causé par l'amour du bien. Mais il arrive que, par défaut de bonté, certains biens de peu de valeur (parva) ne peuvent être possédés simultanément et intégralement par plusieurs. C'est de l'amour de tels biens qu'est causée le zèle envieux.

Il n'en va pas de même, à proprement parler, quand il s'agit de ces biens que plusieurs peuvent posséder intégralement (integre), nul n'est envieux d'autrui pour la connaissance de la vérité, que plusieurs peuvent acquérir intégralement ; mais on peut peut-être l'être de l'excellence de cette connaissance.

(Somme, I-II.q28a4ad2)

Bonum amatur inquantum est communicabile amanti. Unde omne illud quod perfectionem huius communicationis impedit, efficitur odiosum. Et sic ex amore boni zelus causatur. Ex defectu autem bonitatis contingit quod quaedam parva bona non possunt integre simul possideri a multis. Et ex amore talium causatur zelus invidiae.

Non autem proprie ex his quae integre possunt a multis possideri, nullus enim invidet alteri de cognitione veritatis, quae a multis integre cognosci potest; sed forte de excellentia circa cognitionem huius.

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1. Le bien spirituel n'est pas limité par l'aspect quantitatif qui limite le bien sensible. Mais il peut être limité par la manière dont on cherche à l'atteindre, aussi certains peuvent être envieux même des choses spirituelles.

En creux, TH. nous invite à ne pas se contenter de simplement aimer le bien spirituel, mais à l'aimer intensément.

Et s'il y a amour intense, il y aura aussi un zèle

  • à atteindre le bien spirituel de la meilleure manière possible
  • et à le défendre.
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Vérité, Connaissance, Communication, Jalousie, Haine, Zèle, Obstacle

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Thomas d'Aquin - L'amour, quel qu'il soit, lorsqu'il est intense, défend son bien - I-II.q28a4

  • ... et dans l'amour d'amitié, s'il est intense, on défend l'ami coûte que coûte

Note : Le terme zelus peut ici être traduit presque exactement par jalousie.

Le zèle, en quelque mode qu'on la prenne, vient de l'intensité de l'amour. Il est manifeste en effet que

  • plus une puissance se porte intensément vers quelque chose,
  • plus elle repousse avec force tout ce qui lui est contraire ou ce qui lui répugne.

Or l'amour, dit S. Augustin, est "une sorte de mouvement qui tend vers l'aimé" : un amour intense cherchera donc à exclure tout ce qui s'oppose à lui. 

Mais cela arrive autrement dans l'amour de convoitise et autrement dans l'amour d'amitié. [Autre, autre : le signe de l'analogie, l'amour se dit de plusieurs manières.]

[A. Le zèle dans l'amour de convoitise]

Car dans l'amour de convoitise, celui qui désire intensément quelque chose est mû contre tout ce qui l'empêche d'obtenir ce qu'il aime ou d'en jouir tranquillement (quietae).

  • C'est de cette manière qu'il est dit du zèle des maris pour leurs femmes : ils ne veulent pas que ce qu'ils cherchent d'unique auprès d'elles soit empêché par la compagnie des autres.
  • Et de même, ceux qui recherchent l'excellence sont mûs contre ceux qui sont vus exceller, comme s'ils empêchaient leur propre excellence : c'est le zèle envieux, dont il est écrit (Ps 37, 1): "N'imite pas ceux qui sont dans l'intention mauvaise ; ne jalouse pas ceux qui font l'iniquité." 

[B. Le zèle dans l'amour d'amitié]

Tandis que dans l'amour d'amitié,

  • on cherche le bien de l'ami
  • de là, quand l'amour est intense, il se fait que l'homme est mû contre tout ce qui répugne au bien de l'ami.

Et selon cela, quelqu'un est dit avoir du zèle pour l'ami quand, si sont dits ou faits des choses contre le bien de l'ami, l'homme s'applique à les repousser.

C'est aussi de cette manière qu'on est dit être zélé pour Dieu, quand ...

(Somme, I-II.q28a4)

Zelus, quocumque modo sumatur, ex intensione amoris provenit. Manifestum est enim quod

  • quanto aliqua virtus intensius tendit in aliquid,
  • fortius etiam repellit omne contrarium vel repugnans.

Cum igitur amor sit quidam motus in amatum, ut Augustinus dicit in libro octoginta trium quaest., intensus amor quaerit excludere omne quod sibi repugnat.

Aliter tamen hoc contingit in amore concupiscentiae, et aliter in amore amicitiae.

A.

Nam in amore concupiscentiae, qui intense aliquid concupiscit, movetur contra omne illud quod repugnat consecutioni vel fruitioni quietae eius quod amatur.

  • Et hoc modo viri dicuntur zelare uxores, ne per consortium aliorum impediatur singularitas quam in uxore quaerunt.
  • Similiter etiam qui quaerunt excellentiam, moventur contra eos qui excellere videntur, quasi impedientes excellentiam eorum. Et iste est zelus invidiae, de quo dicitur in Psalmo XXXVI, noli aemulari in malignantibus, neque zelaveris facientes iniquitatem.

B.

Amor autem amicitiae

  • quaerit bonum amici,
  • unde quando est intensus, facit hominem moveri contra omne illud quod repugnat bono amici.

Et secundum hoc, aliquis dicitur zelare pro amico, quando, si qua dicuntur vel fiunt contra bonum amici, homo repellere studet.

Et per hunc etiam modum aliquis dicitur zelare pro Deo, quando ...

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 1. Dans le cas d'un amour spirituel (i.e. un amour d'amitié) ne peut-on pas dire que le zèle sera soutenu par la vertu de force de manière spéciale et par la vertu de prudence d'une manière générale ?

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Jalousie, Amour d'amitié, Amour de concupiscence, Zèle, Intensité, Amour intense, Obstacle, Défense

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Thomas d'Aquin - L'amour spirituel extatique n'implique pas d'aimer l'autre plus que soi-même - I-II.q28a3ad3

  • Celui qui aime(amat), en cela qu'il aime, sort à l'extérieur de lui, en tant qu'il veut le bien pour son ami et qu'il y travaille.
  • Non cependant qu'il veuille le bien pour son ami plus qu'il ne le veuille pour lui-même. De là, il ne s'ensuit pas qu'on aime de dilection (diligat) l'autre plus que soi-même.

(Somme, I-II.q28a3ad3)

  • Ille qui amat, intantum extra se exit, inquantum vult bona amici et operatur.
  • Non tamen vult bona amici magis quam sua. Unde non sequitur quod alterum plus quam se diligat..

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 1. Une seule réalité mérite d'être aimé plus que soi-même ou plus que les autres : Dieu. Voir Commentaires des Noms Divins

Quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles de sorte qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ; tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles. (4.10.432)

Ainsi Jésus recommande d'aimer son prochain comme soi-même, non pas plus que soi-même. Il y a ici beaucoup à dire. Voir le sacrifice de Maximilien Kolbe.

2. Le fait que l'amour spirituel est de soi extatique ne signifie pas le fait de quitter quelque chose qu'on aimerait moins (soi) pour sortir aimer quelque chose d'autre plus digne d'être aimé (l'ami). Non, en aimant l'autre et en demeurant en lui et en s'attachant à oeuvre pour son bien, on ne cesse pas de s'aimer tout autant qu'on aime l'autre.

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Amour d'amitié, Extase, Amour de Dieu, Amour de l'autre

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Thomas d'Aquin - Seul l'amour spirituel d'amour d'amitié sort réellement de lui-même - I-II.q28a3

[La première extase est celle qui se fait par l'intermédiaire de la connaissance qui médite intensément sur l'objet aimé, elle nous abstrait (abstrahit) des autres choses.]  

... Quant à la seconde extase, l'amour la fait directement : 

  • purement et simplement (simpliciter) dans l'amour d'amitié ;
  • non purement et simplement dans l'amour de concupiscence, mais seulement relativement (secundum quid).

De fait,

  • dans l'amour de convoitise,
    • l'aimant se porte d'une certaine manière hors de soi-même, en tant que, 
      • non content de jouir du bien qu'il possède,
      • il cherche à jouir de quelque chose en dehors de lui-même.
    • Mais parce que ce bien extérieur, il cherche à l'avoir pour soi,
      • il ne sort pas purement et simplement de soi ;
      • mais une telle affection, in fine, se conclut en-dessous de lui [= se ramène sous le pouvoir de sa convoitise].
  • Mais dans l'amour d'amitié, l'affection sort purement et simplement d'elle-même,
    • parce qu'on veut le bien à son ami et on opère [à cela],
    • comme si on lui portait soins et providence
      • à cause de l'ami lui-même.

(Somme, I-II.q28a3)

Sed secundam extasim facit amor directe,

  • simpliciter quidem amor amicitiae;
  • amor autem concupiscentiae non simpliciter, sed secundum quid.

Nam

  • in amore concupiscentiae,
    • quodammodo fertur amans extra seipsum, inquantum scilicet,
      • non contentus gaudere de bono quod habet,
      • quaerit frui aliquo extra se.
    • Sed quia illud extrinsecum bonum quaerit sibi habere,
      • non exit simpliciter extra se,
      • sed talis affectio in fine infra ipsum concluditur.
  • Sed in amore amicitiae, affectus alicuius simpliciter exit extra se,
    • quia vult amico bonum, et operatur,
    • quasi gerens curam et providentiam ipsius,
      • propter ipsum amicum.

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Bien, Amour d'amitié, Extase, Amour de concupiscence, Soin, Providence

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Thomas d'Aquin - L'inhésion en soi et l'inhésion en l'autre comme effet de l'amour - I-II.q28a2ad1

LIRE D'ABORD LA REPONSE PRINCIPALE DE L'ARTICLE

  • L'aimé est contenu dans celui qui aime, en tant qu'il est imprimé dans son affectif par une certaine complaisance.
  • Réciproquement, l'aimant est contenu dans l'aimé, en ce sens qu'il rejoint en quelque sorte l'intimité de son ami. 

Rien n'empêche en effet que l'on contienne et que l'on soit contenu à des titres divers ; c'est ainsi que le genre est contenu dans l'espèce, et réciproquement.

(Somme, I-II.q28a2ad1)

  • Amatum continetur in amante, inquantum est impressum in affectu eius per quandam complacentiam.
  • E converso vero amans continetur in amato, inquantum amans sequitur aliquo modo illud quod est intimum amati.

Nihil enim prohibet diverso modo esse aliquid continens et contentum, sicut genus continetur in specie et e converso.

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1. "in affectu" : ablatif de lieu, indique le lieu où l'on est (par opposition à l'accusatif, qui désigne le lieu où l'on va).

Bien, Complaisance, Inhérence, Inhésion, Inhabitation, Intériorité, Intimité

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Thomas d'Aquin - I-II.q28a2 - L'inhésion affective comme effet de l'amour

Inhaesio : traduit tantôt par "existence mutuelle en autrui", tantôt par "inhabitation" ; il s'agit à la fois d'une présence de l'être aimé en soi et d'une présence de soi dans l'être aimé. On a pris le parti de le traduire ici par inhésion, mot maintenant inusité mais fidèle au texte. Voir ici et ici. Pas de solution idéale.

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L'inhésion mutuelle est-elle un effet de l'amour ?

Cet effet d'inhésion mutuelle, peut être compris (intelligi) quant à la puissance appréhensive et quant à la puissance appétitive.

[Quant à de la puissance appétitive]

En effet, quant à de la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il demeure (immoratur) dans l'appréhension de l'aimant ; selon ces mots de l'Apôtre (Ph 1, 17) : " je vous porte dans mon coeur."

[Quant à de la puissance appréhensive (la connaissance)]

Mais l'aimant est dit dans l'aimé selo l'appréhension en tant qu'il

  • ne se satisfait pas d'une connaissance superficielle de l'aimé
  • mais s'efforce
    • d’examiner en profondeur chaque aspect qui concerne l’aimé,
    • et ainsi il pénètre à l’intérieur de celui-ci.

C'est le sens de ces mots appliqués à l'Esprit Saint, qui est l'Amour de Dieu: "Il scrute même les profondeurs de Dieu" (1 Co 2, 10).

*     *     *

Utrum mutua inhaesio sit effectus amoris ?

Iste effectus mutuae inhaesionis potest intelligi et quantum ad vim apprehensivam, et quantum ad vim appetitivam.

[]

Nam quantum ad vim apprehensivam amatum dicitur esse in amante, inquantum amatum immoratur in apprehensione amantis; secundum illud Philipp. I, eo quod habeam vos in corde.

[]

Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans

  • non est contentus superficiali apprehensione amati,
  • sed nititur
    • singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere,
    • et sic ad interiora eius ingreditur.

Sicut de spiritu sancto, qui est amor Dei, dicitur, I ad Cor. II, quod scrutatur etiam profunda Dei.

*     *     *

[1. L'aimé est dans l'aimant]

Mais quant à la puissance appétitive, l'aimé est dit dans l'aimant en tant qu'il est par une certaine complaisance dans son affect [~ son coeur],

  • si bien qu'il se délecte de l'aimé ou de ses biens, quand ils sont présents ;
  • s'ils sont absents, son désir se porte
    • vers l'aimé lui-même par l'amour de concupiscence,
    • ou vers les biens qu'il lui veut par l'amour d'amitié.

Et

  • ce n'est pas en raison de quelque cause d'extrinsèque, comme 
    • lorsqu'on désire une chose à cause d'une autre,
    • ou que l'on veut du bien à quelqu'un en vue d'autre chose,
  • mais à cause de la complaisance pour l'aimé la plus intérieurement enracinée (interius radicatam). C'est pour cela que l'amour est dit ce qui est le plus au-dedans (intimus) et que l'on parle des "entrailles de la charité".

*     *     *

Sed quantum ad vim appetitivam, amatum dicitur esse in amante, prout est per quandam complacentiam in eius affectu,

  • ut vel delectetur in eo, aut in bonis eius, apud praesentiam;
  • vel in absentia, per desiderium tendat
    • in ipsum amatum per amorem concupiscentiae;
    • vel in bona quae vult amato, per amorem amicitiae;
  • non quidem ex aliqua extrinseca causa, sicut
    • cum aliquis desiderat aliquid propter alterum,
    • vel cum aliquis vult bonum alteri propter aliquid aliud;
  • sed propter complacentiam amati interius radicatam. Unde et amor dicitur intimus; et dicuntur viscera caritatis.

*     *     *

[2. L'aimant est dans l'aimé]

Réciproquement, l'aimant est dans l'aimé, mais différemment selon qu'il y a amour de concupiscence ou amour d'amitié.

  • En effet, l'amour de concupiscence
    • ne se repose dans aucune possession ou jouissance extérieure et superficielle de l'aimé,
    • mais cherche à le posséder parfaitement et à le joindre, pour ainsi dire, en son plus intime.
  • Dans l'amour d'amitié, au contraire, l'aimant est dans l'aimé en ce sens qu'il considère les biens ou les maux de son ami comme les siens, et la volonté de son ami comme la sienne propre, de sorte que lui-même, en son ami, semble
    • pâtir les biens et les maux
    • et être affecté des biens et des maux.

C'est pour cela que, d'après Aristote, il est propre aux amis

  • de "vouloir les mêmes choses,
  • et de s'attrister et de se réjouir dans les mêmes choses".

*

E converso autem amans est in amato aliter quidem per amorem concupiscentiae, aliter per amorem amicitiae.

  • Amor namque concupiscentiae
    • non requiescit in quacumque extrinseca aut superficiali adeptione vel fruitione amati,
    • sed quaerit amatum perfecte habere, quasi ad intima illius perveniens.
  • In amore vero amicitiae, amans est in amato, inquantum reputat bona vel mala amici sicut sua, et voluntatem amici sicut suam, ut quasi ipse in suo amico videatur
    • bona vel mala pati,
    • et affici.

Et propter hoc, proprium est amicorum

  • eadem velle,
  • et in eodem tristari et gaudere

secundum philosophum, in IX Ethic. et in II Rhetoric.

*

Ainsi donc,

  • en tant qu'il considère comme sien ce qui est à son ami, l'aimant semble exister en celui qu'il aime et être comme identifié à lui.
  • Au contraire, en tant qu'il veut et agit pour son ami comme (sicut) pour soi-même, le considérant comme (quasi) un (idem) avec soi, c'est l'aimé qui est dans l'aimant.

*     *     *

Ut sic,

  • inquantum quae sunt amici aestimat sua, amans videatur esse in amato, quasi idem factus amato.
  • Inquantum autem e converso vult et agit propter amicum sicut propter seipsum, quasi reputans amicum idem sibi, sic amatum est in amante.

*     *     *

[3ème manière]

Il y a une troisième manière d'entendre cette mutuelle inhésion par l'amour d'amitié, c'est celle de l'amour qui répond à l'amour, en tant que

  • mutuellement les amis s'aiment (mutuo),
  • et l'un à l'autre (invicem) 
    • se veulent (volunt) de bonnes choses
    • et font (operantur) de bonnes choses.

(Somme, I-II.q28a2)

Potest autem et tertio modo mutua inhaesio intelligi in amore amicitiae, secundum viam redamationis, inquantum

  • mutuo se amant amici,
  • et sibi invicem bona
    • volunt
    • et operantur.

 

VOIR AUSSI LA REPONSE TRES SYNTETIQUE A L'ARGUMENT 1 DU MÊME ARTICLE

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

2. Complacentiam : de complaceo, "plaire en même temps, concurremment" (Gaffiot). Que signififie le préfixe "com" dans le mot complaisance ? A quoi se rapporte le "en-même temps" ? Pourquoi dit-on se complaire dans l'ami en tant qu'il affecte notre appétit plutôt que se plaire en l'ami en tant qu'il affecte notre appétit ? Se complaire en quelque chose, se plaire en quelque chose, quelle différence ?

Voir I-II.q27a1ad3

"Le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante (vim cognoscitivam)

    • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter)
    • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension"

Premier élément de réponse : on doit pouvoir dire que l'amour affectif est source de complaisance alors que l'amour effectif est source de plaisir/joie. La complaisance serait alors le plaisir intentionnel, la chose nous a affecté et nous aimons ce en quoi elle nous affecte et cela à pour effet une complaisance. Nous aimons la chose ou la personne aimée en tant qu'elle réside en nous, en tant qu'elle a donné lieu à une modification (affect-ion) en nous, et nous aimons cette modification. La chose a fait quelque chose en nous (adficio --> ad-facio, d'où vient le mot affection). Cette chose qui s'est faite en nous, l'affect, est liée à la chose qui affecte, le lien n'est pas rompu, mais l'affect est dans le ressenti de la chose aimée.

C'est pour cette raison que la complaisance, dans la signification dans laquelle elle nous est parvenue, comporte un aspect péjoratif en cela qu'elle porte en elle une possibilité d'en rester à ce "ressenti" en relativisant la chose qui est à la source de ce sentir intérieur. C'est pourquoi un véritable amour n'en reste pas au stade affectif mais naturellement se porte par le désir au bien réel, à la chose aimée en tant qu'elle existe indépendamment de moi et que je veux rejoindre réellement.

Et lorsque la chose aimée ou la personne aimée est aimée dans sa réalité, alors il y a plaisir/joie. On ajoute alors à l'unité intérieure dans laquelle l'aimé est en soi, une unité qui découle d'une sortie de nous-même pour demeurer en l'autre, l'autre réel. L'autre réel continuant de nous toucher intérieurement, mais en raison même de ce toucher intérieur nous projette vers lui pour y demeurer, d'où le mot d'Aristote rapporté par Thomas : l'amour est circulaire. L'analyse de Thomas est d'un très grand réalisme, car c'est en effet de cette manière que nous expérimentons et que nous vivons l'amour.

La complaisance a une cause immédiate intérieure ; le plaisir/joie a une cause extérieure ; les deux se vivant de fait de manière mêlée, à cause du cercle.

°°° ~ ~ La chose belle en tant qu'elle est belle plaît car elle reste extérieure du fait que la connaissance nécessite la présence de la chose connue. ~ ~

 

Amour, Volonté, Mal, Amitié, Plaisir, Appétit, Appréhension, Inhérence, Concupiscence, Délectation, Affection, Amour d'amitié, Opérations, Inhésion, Inhabitation, Intimité

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Thomas d'Aquin - °°° L'union affective se fait formellement et l'union effective se fait réellement - I-II.q28a1

Double est l'union de l'aimant à ce qui est aimé.

  • La première se fait dans la réalité, lorsque ce qui est aimé est présent à l'aimant.
  • L'autre est une union affective, qui doit être considérée à partir d'une appréhension qui a précédé, car tout mouvement de l'appétit fait suite à une appréhension. 

Les deux amours, celui de concupiscence et celui d'amitié, procèdent l'un et l'autre d'une certaine appréhension de l'unité entre l'aimant et l'aimé.

  • En effet, lorsque quelqu'un aime quelque chose comme objet de concupiscence, il l'appréhende comme tendant (pertinens) à son propre bien être.
  • Et de même, lorsque quelqu'un aime quelqu'un d'un amour d'amitié, il veut pour lui le bien comme il le veut pour soi ; c'est donc qu'il l'appréhende comme un autre soi-même, en tant qu'il veut pour lui le bien comme pour soi. C'est pourquoi on appelle l'ami "un autre soi-même". Et S. Augustin écrit : "Il a bien parlé de son ami, celui qui l'a appelé la moitié de son âme." 

 

  • La première union, l'amour la fait effective, car il meut à désirer et à rechercher la présence de l'aimé comme lui convenant et tendant à lui (ad se pertinentis).
  • La seconde union l'amour la fait formellement, car l'amour lui-même est 
    • une telle union
    • ou un [tel] lien.

Ce qui fait dire à S. Augustin que l'amour est 

    1. "comme une sorte de vie joignant deux êtres
    2. ou tendant à les joindre : l'aimant et celui qui est aimé".
    1. Le mot "joignant" se réfère à l'union affective, sans laquelle il n'est point d'amour,
    2. et ces mots : "cherchant à les joindre" visent (pertinet) l'union réelle.

(Somme, I-II.q28a1)

Duplex est unio amantis ad amatum.

  • Una quidem secundum rem, puta cum amatum praesentialiter adest amanti.
  • Alia vero secundum affectum. Quae quidem unio consideranda est ex apprehensione praecedente, nam motus appetitivus sequitur apprehensionem.

Cum autem sit duplex amor, scilicet concupiscentiae et amicitiae, uterque procedit ex quadam apprehensione unitatis amati ad amantem.

  • Cum enim aliquis amat aliquid quasi concupiscens illud, apprehendit illud quasi pertinens ad suum bene esse.
  • Similiter cum aliquis amat aliquem amore amicitiae, vult ei bonum sicut et sibi vult bonum, unde apprehendit eum ut alterum se, inquantum scilicet vult ei bonum sicut et sibi ipsi. Et inde est quod amicus dicitur esse alter ipse, et Augustinus dicit, in IV Confess., bene quidam dixit de amico suo, dimidium animae suae.

 

  • Primam ergo unionem amor facit effective, quia movet ad desiderandum et quaerendum praesentiam amati, quasi sibi convenientis et ad se pertinentis.
  • Secundam autem unionem facit formaliter, quia ipse amor est talis unio vel nexus.

Unde Augustinus dicit, in VIII de Trin., quod amor est

    1. quasi vita quaedam duo aliqua copulans,
    2. vel copulare appetens, amantem scilicet et quod amatur.
    1. Quod enim dicit copulans, refertur ad unionem affectus, sine qua non est amor,
    2. quod vero dicit copulare intendens, pertinet ad unionem realem.

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1. "vult ei bonum" : non pas il lui veut du bien, il lui veut le bien. Faire du bien et vouloir le bien pour quuelqu'un diffèrent.

2. Pertinere : le fait de tendre vers quelque chose jusqu'à sa possession.

3. Nexus : lien, noeud, étreinte, entrelacement.

4. "amor facit effective" : l'amour rend effectif ; trad. 1984 : "La première espèce d'union, l'amour la produit par manière de cause efficiente" ...

°°° Commentaire : il y a quelque chose de remarquable à noter, l'amour est à la fois cause de l'union et est lui-même "une telle union ou un nexus". Si on suit bien le propos l'amour serait tout simplement cause de lui-même. Comment ? L'amour naît lorsque l'appétit et le bien sont présentés l'un à l'autre, il y a convenance mutuelle, connaturralité, les deux s'entendent, entrent en consonnance. L'amour actue  l'appétit et immédiatement se fait désir et cherche la présence réelle du bien.

  • Il y a un premier moment de l'amour, celui qui aime porte le bien aimé en soi suite à une certaine connaissance qu'il en a d'abord eu ; il s'agit d'un amour bien réel de ce qui est aimé, mais à travers une forme : je porte en moi ce que j'aime, je suis touché, je suis affecté, il s'agit d'un amour affectif ;  
  • puis, l'amour meut en tant qu'il ne peut rester seulement selon la forme, il se fait désir, et, en tant que désir, il devient cause de l'union ; tout en restant un amour affectif, il devient aussi effectif, réel, grâce à la présence ou possession de ce qui est aimé. Je continue d'être touché par l'autre, mais l'être aimé que je porte en moi "fusionne" avec l'être aimé présent, le bien touché à travers la forme laisse palce au bien touché dans sa présence. °°°

Amour, Appréhension, Union, Union formelle, Union réelle, Union affective, Union effective

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Thomas d'Aquin - Le bien, surtout corporel, consiste en une certaine commensuration - I-II.q32a7

Que le similaire corrompe le bien propre, cela arrive d'une double manière.

D'une manière, parce que le similaire corrompt par un certain excès la mesure du bien propre ; le bien, et surtout [le bien] corporel, comme la santé, consiste en une certaine commensuration. Et pour cela, la surabondance de nourriture, ou de tout autre plaisir corporel, engendre le dégoût.

D'une autre manière ... [Thomas donne l'exemple des potiers qui ont un bien propre similaire par lequel se fait l'unité (le profit), ce bien propre devennant un mal par concurrence, ce qui se comprend puisqu'on est dans le divisible.]

(Somme, I-II.q32a7)

Quod autem aliquid simile corrumpat proprium bonum, contingit dupliciter.

Uno modo, quia corrumpit mensuram proprii boni per quendam excessum, bonum enim, praecipue corporale, ut sanitas, in quadam commensuratione consistit. Et propter hoc, superabundantes cibi, vel quaelibet delectationes corporales, fastidiuntur.

Alio modo ...

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1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q33a2.

2. Là où, pour les biens coporels, Thomas parle de commensuration, ailleurs, d'une manière plus générale, Thomas parle de convenance ou de connaturalité. La mesure, donc la quantité, est pèse davantage pour les biens du corps.

%MCEPASTEBIN%

Bien, Mesure, Bien corporel, Commensuration, Excès, Surabondance, Dégoût, Faste

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Thomas d'Aquin - Deux manières d'être similaires donnent deux manières d'aimer : amour d'amitié / amour de concupiscence - I-II.q27a3

La similitude est à proprement parler cause de l'amour. Mais il faut remarquer que la similitude peut tendre à une double [acception]. Similitudo, proprie loquendo, est causa amoris. Sed considerandum est quod similitudo inter aliqua potest attendi dupliciter.
  1. D'une première manière du fait que chacun d'eux a en acte une même [réalité], comme deux [choses] ayant la blancheur sont dit similaires.
  2. D'une autre manière du fait que l'un a en acte ce que l'autre a en puissance et [ceci] par une certaine inclination ;
    • comme lorsque nous disons que un corps lourd existant hors de son lieu a une similtude avec un corps grave qui existe en son lieu. 
    • Ou encore selon que la puissance a une similitude avec l'acte lui-même ; car dans la puissance elle-même existe d'une certaine façon l'acte
  1. Uno modo, ex hoc quod utrumque habet idem in actu, sicut duo habentes albedinem, dicuntur similes.
  2. Alio modo, ex hoc quod unum habet in potentia et in quadam inclinatione, illud quod aliud habet in actu,
    • sicut si dicamus quod corpus grave existens extra suum locum, habet similitudinem cum corpore gravi in suo loco existenti.
    • Vel etiam secundum quod potentia habet similitudinem ad actum ipsum, nam in ipsa potentia quodammodo est actus.
  1. Le premier genre de ressemblance est cause de l'amour d'amitié ou de la volonté de se faire mutuellement du bien (benevolentiae). De ce fait, deux êtres étant similaires, et n'ayant pour ainsi dire qu'une seule forme, ils sont, en quelque manière, un dans cette forme ;
    • deux hommes ne font qu'un dans l'espèce humaine,
    • et deux êtres blancs dans la même blancheur.

De sorte que l'affect de l'un tend vers l'autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu'à soi.

  1. Mais le deuxième genre de similitude est cause de l'amour de concupiscence ou de l'amitié utile et délectable. Car tout être en puissance, en tant que tel, a l'appétit de son acte, et, lorsqu'il l'a obtenu, il s'en réjouit, s'il est sensible et doué de connaissance. Or dans l'amour de concupiscence, avons-nous dit, c'est lui-même, à proprement parler, que l'aimant aime, quand il veut ce bien qu'il convoite. 

 

  1. Primus ergo similitudinis modus causat amorem amicitiae, seu benevolentiae. Ex hoc enim quod aliqui duo sunt similes, quasi habentes unam formam, sunt quodammodo unum in forma illa,
    • sicut duo homines sunt unum in specie humanitatis,
    • et duo albi in albedine.

Et ideo affectus unius tendit in alterum, sicut in unum sibi; et vult ei bonum sicut et sibi.

  1. Sed secundus modus similitudinis causat amorem concupiscentiae, vel amicitiam utilis seu delectabilis. Quia unicuique existenti in potentia, inquantum huiusmodi, inest appetitus sui actus, et in eius consecutione delectatur, si sit sentiens et cognoscens. Dictum est autem supra quod in amore concupiscentiae amans proprie amat seipsum, cum vult illud bonum quod concupiscit.

Mais chacun s'aime plus que les autres, parce que l'un,

  • avec soi, est dans la substance [= on ne fait qu'un avec notre propre être],
  • tandis qu'avec un autre, est dans la similitude de quelque forme.

Et c'est pourquoi si de (ex) ce qui est similaire à lui-même dans la participation de la forme, il est lui-même empêché d'atteindre le bien qu'il aime, [ce qui lui est similaire] lui devient odieux,

  • non en tant qu'il lui est similaire,
  • mais en tant qu'il est un empêchement à son propre bien.

Magis autem unusquisque seipsum amat quam alium, quia

  • sibi unus est in substantia,
  • alteri vero in similitudine alicuius formae.

Et ideo si ex eo quod est sibi similis in participatione formae, impediatur ipsemet a consecutione boni quod amat; efficitur ei odiosus,

  • non inquantum est similis,
  • sed inquantum est proprii boni impeditivus.

Et pour cela

  • "les potiers se disputent les uns les autres" ; parce qu'ils s'empêchent les uns les autres dans leurs propres profits ;
  • et "les orgueilleux se querellent" parce qu'ils s'empêchent  les uns les autres dans l'excellence propre qu'ils convoitent (concupiscunt).

(Somme, I-II.q27a3)

Et propter hoc

  • figuli corrixantur ad invicem, quia se invicem impediunt in proprio lucro,
  • et inter superbos sunt iurgia, quia se invicem impediunt in propria excellentia, quam concupiscunt.

-----

1.

Quand les deux sont en acte d'une forme similaire --> amour d'amitié.

Quand l'un n'a qu'en puissance ce qu'a l'autre en acte --> amour de concupiscence.

On aime l'aimable en acte, le véritable amour se fait quand l'un aime la bonté en acte de l'autre, c'est pourquoi il y a réciprocité dans l'amitié.

Quand il nous manque quelque chose que l'autre a,

  • nous ne regardons pas l'autre pour lui-même,
  • et l'autre n'a pas de raison de nous regarder du tout.

2.

Benevolentiae : la traduction habituelle par bienveilance ne semble pas ici adéquate. Un ami est quelqu'un a qui on veut du bien dit ailleurs Thomas.

3.

Noter la parenthèse métaphysique à partir de laquelle Thomas montre pourquoi, sous un certain aspect, l'amour de soi est plus grand que l'amour des autres. L'unité avec soi est substantielle tandis que l'unité avec l'autre se fait par la qualité.

Amour, Un, Inclination, Amitié, Concupiscence, Substance, Forme, Similitude, Amour d'amitié, Amour de soi

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Thomas d'Aquin - Il y a déjà un certain plaisir dans le désir, mais plus encore dans l'espoir - I-II.q32a3ad3

L'amour et la concupiscence [= désir sensible] causent du plaisir. Car tout ce qui est aimé est délectable pour celui qui aime, du fait que l'amour est une sorte d'union ou de connaturalité de l'aimant et de l'aimé.

De même, tout objet de concupiscence est délectable à celui qui convoite (concupiscenti), la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation.

Cependant l'espoir, parce qu'il comporte une certaine certitude de la présence réelle [à venir] du bien délectable qu'on ne trouve ni dans l'amour ni dans la concupiscence, est dit cause de délectation plus que celle-ci.

Et même, plus que le souvenir (memoria), tourné vers ce qui a déjà passé.

(Somme,  I-II.q2a3ad3)

Etiam amor et concupiscentia delectationem causant. Omne enim amatum fit delectabile amanti, eo quod amor est quaedam unio vel connaturalitas amantis ad amatum.

Similiter etiam omne concupitum est delectabile concupiscenti, cum concupiscentia sit praecipue appetitus delectationis.

Sed tamen spes, inquantum importat quandam certitudinem realis praesentiae boni delectantis, quam non importat nec amor nec concupiscentia, magis ponitur causa delectationis quam illa.

Et similiter magis quam memoria, quae est de eo quod iam transiit.

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1. Noter la remarque "la concupiscence étant surtout l'appétit de la délectation" : sur le plan sensible passionnel, on désire surtout le plaisir procuré par le bien, alors que sur le plan spirituel, on désire surtout le bien qui nous procure du plaisir. Si l'amour instinctif est essentiellement interne (cela vient de l'intérieur du vivant), l'amour passionnel s'ouvre à un premier niveau d'extériorité à travers le bien sensible. Mais c'est avec le bien spirituel qu'est atteint une véritable sortie de soi, un véritable détournement de l'égo. On se détourne de soi pour être intièrement tourné vers l'autre.

Bien, Plaisir, Appétit, Désir, Présence, Concupiscence, Délectation, Espoir

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Thomas d'Aquin - L'espoir est à la fois cause de plaisir et cause de tristesse - I-II.q32a3ad2

Rien n'empêche qu'une même [chose], selon [des aspects] divers, soit cause d'[effets] contraires. Ainsi  

  • en tant que l'on est actuellement persuadé de pouvoir atteindre un bien futur, l'espoir cause la délectation ;
  • en tant que privé de la présence de ce bien, l'espoir cause l'affliction.

(Somme,  I-II.q2a3ad2)

Nihil prohibet idem, secundum diversa, esse causam contrariorum. Sic igitur spes,

  • inquantum habet praesentem aestimationem boni futuri, delectationem causat,
  • inquantum autem caret praesentia eius, causat afflictionem.

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Bien, Plaisir, Tristesse, Absence, Présence, Délectation, Espoir, Affliction

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Thomas d'Aquin - Le mouvement vers la possession du bien commence à faire entrer en délectation - I-II.q32a2ad1

 

A. Ce qui est mû, bien qu'il ne possède pas encore parfaitement ce vers quoi il est mû, commence cependant de posséder déjà quelque chose de ce vers quoi il est mû ; et, selon cela, le mouvement lui-même possède une certaine délectation.

Il manque cependant à la délectation la perfection car les délectations les plus parfaites sont dans les réalités immuables.

B. Le mouvement devient aussi délectable en tant qu'il se fait par lui quelque chose qui convient qui auparavant ne convenait pas ou qui avait cessé d'exister.

(Somme, I-II.q32a2ad1)

A. Id quod movetur, etsi nondum habeat perfecte id ad quod movetur, incipit tamen iam aliquid habere eius ad quod movetur, et secundum hoc, ipse motus habet aliquid delectationis.

Deficit tamen a delectationis perfectione, nam perfectiores delectationes sunt in rebus immobilibus.

B. Motus etiam efficitur delectabilis, inquantum per ipsum fit aliquid conveniens quod prius conveniens non erat, vel desinit esse.

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Voir aussi ici : 

 

1. "Ce qui se meut" --> C'est un passif, pas un actif, on doit donc traduire : "Ce qui est mû".

2. La convenance : deux choses qui s'assemblent naturellement, comme l'appétit et l'appétible : il convient à l'appétit de tendre vers l'appétible, il convient l'appétible d'être objet de l'appétit. Il n'y a pas de dissonance entre eux. Quand l'appétible n'est pas porté à la connaissance ou à la présence de l'appétit, il ne peut se produire de convenance.

Perfection, Mouvement, Plaisir, Immuabilité, Convenance, Délectation

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Thomas d'Aquin - Dans la passion plaisir, un certain mouvement survit à la possession de la fin - I-II.q31a1ad2)

Dans l'animal on peut considérer un double mouvement :

  • l'un concerne l'intention de la fin et appartient à l'appétit ;
  • l'autre, regarde l'exécution et se rapporte à l'opération extérieure.

Donc, bien que chez celui qui a déjà obtenu le bien dans lequel il se délecte,

  • cesse le mouvement d'exécution par lequel il tend vers  la fin ;
  • le mouvement de la partie appétitive, lui, ne cesse pas pour autant.
  • Elle désirait (desiderabat) auparavant le bien qu'elle n'avait pas ;
  • elle s'en délecte maintenant qu'elle le possède.
  • Assurément la délectation est une sorte de repos de l'appétit, si l'on considère la présence du bien agréable qui le satisfait ;
  • cependant le changement intérieur (immutatio) de l'appétit sous l'action de l'appétible demeure, raison pour laquelle la délectation est un certain mouvement.

(Somme, Ia-IIae, q31.a1.ad2)

In animali duplex motus considerari potest,

  • unus secundum intentionem finis, qui pertinet ad appetitum,
  • alius secundum executionem, qui pertinet ad exteriorem operationem

licet ergo

  • in eo qui iam consecutus est bonum in quo delectatur, cesset motus executionis, quo tenditur ad finem;
  • non tamen cessat motus appetitivae partis, quae, sicut
  • prius desiderabat non habitum,
  • ita postea delectatur in habito.
  • Licet enim delectatio sit quies quaedam appetitus, considerata praesentia boni delectantis, quod appetitui satisfacit;
  • tamen adhuc remanet immutatio appetitus ab appetibili, ratione cuius delectatio motus quidam est.

Commentaire : 

1. La réponse se place sur plan de la partie animale, on parle donc ici du plaisir sensible sans dire si ce qu'on dit ici pour l'être à propos de la joie qui est un plaisir spirituel.

2. Deux mouvements, 

  • du côté de la fin : celui de l'appétit qui se produit à l'intérieur de l'animal, il y a en lui une "tension vers" (en fait, une double "tension vers", la naturelle, et celle amenée par la connaissance d'un bien concret - de la même manière il y a une double intention, celle inscrite dans la nature de l'animal et celle de l'objet à l'état de réalité intentionnelle amenée par la connaissance du dit objet) ;
  • du côté de l'exécution : il faut bien se mouvoir vers le chocolat pour qu'il devienne nôtre.

3. Lorsque le bien est possédé, la fin est atteinte, l'objet n'est plus intentionnel mais bien réel. L'appétit ne se nourrit plus de l'objet intentionnel mais de l'objet réel, c'est toujours l'objet, il est toujours là, sa possession amène l'appétit à une certaine perfection, mais une perfection qui dure dans le temps, tant qu'on qu'on savoure le chocolat. D'où la question suivante que posera Thomas pour préciser le rapport plaisir / temps.

4. Il est très intéressant de voir que dans le domaine passionnel la fin possédée réclame néanmoins de rester dans le temps, un écoulement, une succession... En sera-t-il de même dans le domaine de l'amour spirituel ?

5. Immutatio, même mot employé en q26.a2 : "Le premier changement intérieur de l’appétit par l'appétible est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible."

Mouvement, Fin, Plaisir, Intention, Cause efficiente, Désir, Délectation, Cause finale, Exécution

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Thomas d'Aquin - Le plaisir est-il une passion - Analyse de I-II.q31.a1

Un mouvement de l'appétit sensible s'appelle proprement passion, nous l'avons vu. Et toute affection qui procède d'une appréhension sensible est un mouvement de l'appétit sensible. Or cela s'applique nécessairement au plaisir. Comme le dit le Philosophe, en effet :

"Le plaisir est 

  • un certain mouvement de l'âme 
  • et la constitution simultanée d'un tout sensible dans la nature existante."

Motus appetitus sensitivi proprie passio nominatur, sicut supra dictum est. Affectio autem quaecumque ex apprehensione sensitiva procedens, est motus appetitus sensitivi. Hoc autem necesse est competere delectationi. Nam, sicut philosophus dicit in I Rhetoric.,

delectatio est

  • quidam motus animae,
  • et constitutio simul tota et sensibilis in naturam existentem.

Pour comprendre cela, il faut prendre garde à ce fait :

  • si l'on voit dans les choses naturelles certaines réaliser leur perfection naturelle, 
  • cela se rencontre aussi chez les animaux.

Et

  • bien que être mû à la perfection ne soit pas un tout simultané,
  • cependant la réalisation même d'une perfection naturelle est un tout simultané.

Il y a cependant une différence entre les animaux et les autres choses de la nature

  • que ceux-ci, quand ils sont établis dans ce qui leur convient (convenit) selon la nature, ne le sentent pas,
  • tandis que les animaux le sentent.

De cette sensation est causé un certain mouvement de l'âme dans l'appétit sensible ; et ce mouvement, c'est le plaisir.

Ad cuius intellectum, considerandum est quod,

  • sicut contingit in rebus naturalibus aliqua consequi suas perfectiones naturales,
  • ita hoc contingit in animalibus.

Et

  • quamvis moveri ad perfectionem non sit totum simul,
  • tamen consequi naturalem perfectionem est totum simul.

Haec autem est differentia inter animalia et alias res naturales, quod aliae res naturales,

  • quando constituuntur in id quod convenit eis secundum naturam, hoc non sentiunt,
  • sed animalia hoc sentiunt.

Et ex isto sensu causatur quidam motus animae in appetitu sensitivo, et iste motus est delectatio.

  1. En disant donc que le plaisir est "un mouvement de l'âme",

--> on lui assigne son genre.

  1. En disant d'autre part qu'il est "une constitution dans la nature existante", c'est-à-dire dans ce qui existe dans la nature des choses,

--> on marque la cause du plaisir : la présence du bien connaturel.

  1. En disant d'autre part "un tout simultané", on met en avant que cette constitution ne doit pas s'entendre 
    • selon quelque chose en train de se constituer,
    • mais selon une chose déjà constituée,
    • comme (quasi) dans le terme du mouvement ;
      • [en effet] le plaisir n'est pas une génération, comme le posait Platon,
      • mais plutôt une chose faite, au dire d'Aristote.
    1. Enfin le mot "sensible" exclut les perfections des êtres privés de connaissance qui sont incapables de plaisir. 

    On voit donc ainsi que le plaisir parce qu'il est un mouvement de l'appétit animal consécutif à une appréhension sensible, est bien une passion de l'âme.

    (Somme, I-II.q31.a1)

    1. Per hoc ergo quod dicitur quod delectatio est motus animae,

    --> ponitur in genere.

    1. Per hoc autem quod dicitur constitutio in existentem naturam, idest in id quod existit in natura rei,

    --> ponitur causa delectationis, scilicet praesentia connaturalis boni.

    1. Per hoc autem quod dicitur simul tota, ostendit quod constitutio non debet accipi
      • prout est in constitui,
      • sed prout est in constitutum esse,
      • quasi in termino motus,
      • non enim delectatio est generatio, ut Plato posuit,
      • sed magis consistit in factum esse, ut dicitur in VII Ethic.
    1. Per hoc autem quod dicitur sensibilis, excluduntur perfectiones rerum insensibilium, in quibus non est delectatio.

    Sic ergo patet quod, cum delectatio sit motus in appetitu animali consequens apprehensionem sensus, delectatio est passio animae.

    -----

    Commentaire

    1. La compréhension demande ici beaucoup de finesse : il faut distinguer

    • le mouvement qui a lieu dans toute passion
    • du mouvement spécial qui a lieu dans le plaisir,

    car ce mouvement là est à prendre comme un terminus, comme si un mouvement pouvait être une fin. Il faut tenir compte du fait qu'on parle ici d'un plaisir sensible, non d'un plaisir spirituel. Il sera intéressant de voir ce que dit Thomas à propos de la joie dans l'article 3 : est-elle, elle aussi, un mouvement en même temps qu'un terme ?

    2. Le plaisir vient du fait que l'animal est capable de sentir la convenance du bien qui perfectionne lorsqu'il est acquis, 

    3. A noter que la réponse à l'arg. 2 traite explicitement de l'apparente contradiction mouvement/repos-fin.

    Appréhension

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    Thomas d'Aquin - !!!! COMM. A VéRIFIER !!! La concupiscence est -elle infinie ? - q30.a4

    • La concupiscence non naturelle est tout à fait infinie

    Nous l'avons dit à l'Article précédent, il y a deux sortes de concupiscences : l'une est naturelle, et l'autre non.

    Sicut dictum est, duplex est concupiscentia, una naturalis, et alia non naturalis. 

    [La convoitise naturelle en acte]

    La concupiscence naturelle ne peut être infinie en acte, car elle porte sur ce que la nature requiert. Or la nature tend toujours vers ce qui est fini et déterminé (certum). Aussi bien ne voit-on jamais l'homme convoiter (concupiscit) un mets infini, ou une boisson infinie.

     

     

    Naturalis quidem igitur concupiscentia non potest esse infinita in actu. Est enim eius quod natura requirit, natura vero semper intendit in aliquid finitum et certum. Unde nunquam homo concupiscit infinitum cibum, vel infinitum potum.

     

     

    [La convoitise naturelle en puissance]

    Mais, de même que l'infini en puissance se trouve dans la nature de manière successive, ainsi arrive-t-il que cette concupiscence soit infinie d'une manière successive : après avoir mangé, on veut un autre mets ou tout autre chose dont la nature a besoin ; car ces biens corporels, quand ils nous adviennent, ne demeurent pas toujours, mais disparaissent. Ce qui fait dire au Seigneur, s'adressant à la Samaritaine (Jn 4, 13): "Celui qui boira de cette eau aura encore soif."

     

    Sed sicut in natura contingit esse infinitum in potentia per successionem, ita huiusmodi concupiscentiam contingit infinitam esse per successionem; ut scilicet, post adeptum cibum iterum alia vice desideret cibum, vel quodcumque aliud quod natura requirit, quia huiusmodi corporalia bona, cum adveniunt, non perpetuo manent, sed deficiunt. Unde dixit dominus Samaritanae, Ioan. IV, qui biberit ex hac aqua, sitiet iterum.

    [La convoitise non naturelle est infinie, 1ère raison]

    Quant à la concupiscence non naturelle, elle est tout à fait infinie. En effet, elle est conséquente de la raison, comme nous l'avons dit, et il appartient à la raison de procéder à l'infini. De sorte que celui qui convoite (concupiscit) les richesses, peut les convoiter (concupiscere) non pas jusqu'à telle limite déterminée, mais pour être riche de façon absolue (simpliciter) autant qu'il est en son pouvoir.

     

    Sed concupiscentia non naturalis omnino est infinita. Sequitur enim rationem, ut dictum est, rationi autem competit in infinitum procedere. Unde qui concupiscit divitias, potest eas concupiscere, non ad aliquem certum terminum, sed simpliciter se divitem esse, quantumcumque potest.

    [La convoitise non naturelle est infinie, 2ème raison]

    On peut, d'après le Philosophe, assigner une autre raison pour laquelle une certaine concupiscence est finie, et telle autre infinie.

    Potest et alia ratio assignari, secundum philosophum in I Polit., quare quaedam concupiscentia sit finita, et quaedam infinita.

    La concupiscence de la fin est toujours infinie ; car la fin - la santé, par exemple - est convoitée (concupiscitur) pour elle-même ; ce qui fait qu'une santé meilleure est convoitée (concupiscitur) davantage, et ainsi à l'infini ; de même, puisque le blanc a pour propriété de dilater la pupille, plus il y a de blancheur, plus la dilatation est grande.  Semper enim concupiscentia finis est infinita, finis enim per se concupiscitur, ut sanitas; unde maior sanitas magis concupiscitur, et sic in infinitum; sicut, si album per se disgregat, magis album magis disgregat.

    [La convoitise portant sur les moyens]

    Au contraire, la concupiscence portant sur les moyens n'est pas infinie, mais quelque chose est désiré (appetitur : litt. "appété") dans la mesure où cela convient à la fin. Ainsi ceux qui mettent leur fin dans les richesses les convoitent (habent concupiscentiam) à l'infini ; mais ceux qui les désirent (appetunt) pour subvenir aux nécessités de la vie ne désirent (concupiscunt) que des richesses limitées, dit le Philosophe au même endroit. Et il en va de même pour la convoitise de tout le reste.

    (Somme, Ia-IIae, q. 30, a. 4, c.)

     Concupiscentia vero eius quod est ad finem, non est infinita, sed secundum illam mensuram appetitur qua convenit fini. Unde qui finem ponunt in divitiis, habent concupiscentiam divitiarum in infinitum, qui autem divitias appetunt propter necessitatem vitae, concupiscunt divitias finitas, sufficientes ad necessitatem vitae, ut philosophus dicit ibidem. Et eadem est ratio de concupiscentia, quarumcumque aliarum rerum.

    Lire l'AVERTISSEMENT à la trad. de q26.a2 pour comprendre la nécessité de bien distinguer désir et appétit.

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    Thomas s'exprime selon deux niveaux de distinction. Le premier se fait selon trois plans : le plan physique, le plan sensible, le plan rationnel :

    • appétit naturel (concupiscence "tout court" --> issue de la convenance d'un bien de par la nature de tel vivant)
    • appétit sensible (concupiscence selon la connaissance sensible, à proprement parlé : cupidité --> issue de la convenance d'un bien par la connaissance )
    • appétit rationnel (concupiscence selon la connaissance rationnelle, à proprement parlé : désir --> idem)

    Le second niveau de distinction se fait selon qu'il y a ou non appréhension (connaissance). Ici, appétit sensible et appétit rationnel, bien que distincts, sont placés ensemble, comme il a été traité dans l'article précédent, du fait qu'ils tiennent tous deux leur exercice de la connaissance du bien. 

    En quoi le désir non naturel peut-il être infini ?

    1ère raison : le désir non naturel est conséquent de la raison "et il appartient à la raison de procéder à l'infini" par le biais de l'universel, on peut poursuivre la richesse en général, la richesse en elle-même qui ne comporte en soi pas de limite, je peux toujours ajouter une pièce à ma richesse. Le désir devient infini parce qu'il a pour objet quelque chose qui contient en puissance une infinité d'éléments additionables. Bien noter que la dimension infinie provient de la puissance et non de l'acte. Ainsi quelqu'un qui a pour fin les richesses vit en partie dans l'imaginaire de la richesse infinie qu'il ne possédera jamais. Bien voir la vanité et la déconnexion du réel que cela implique.

    2ème raison : la fin est désirée pour elle-même : rien ne la relativise, elle ne se finit donc jamais, elle est désirée de manière continue, infinie. Rien ne vient lui mettre un terme puisqu'elle est au bout de la "chaîne".

     

    Fin, Infini, Concupiscence, Moyens, Finitude

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    Thomas d'Aquin - I-II.q30a3ad1 - Appétit naturel et appétit animal

    Cela même qui est désirée (appetitur) par l'appétit naturel peut être désirée (appeti) par l'appétit animal lorsqu'il a été appréhendé. Et selon cela, nourriture et boisson et autres choses semblables que nous désirons  naturellement (appetuntur naturaliter), peuvent être [désirés] d'un désir animal.

    (Somme, I-II.q30a3ad1)

    Illud idem quod appetitur appetitu naturali, potest appeti appetitu animali cum fuerit apprehensum. Et secundum hoc cibi et potus et huiusmodi, quae appetuntur naturaliter, potest esse concupiscentia animalis (Leonine : naturalis).

    Pas d'opposition  entre appétit naturel et appétit animal (c'est à dire sensitif). Le premier n'ayant pas besoin que le bien désiré soit porté à notre connaissance. J'ai faim parce que cela fait un moment que je n'ai pas mangé --> appétit naturel ; j'ai envie de manger à cause de la connaissance sensible (la bonne odeur et la vue de la nourriture, chez le boulanger) --> appétit animal.

    Appréhension, Appétit sensible, Concupiscence, Appétit naturel

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    Thomas d'Aquin - La fatigue des opérations corporelles empêchent le plaisir de la contemplation de les perfectionner - I-II.q33a2

    Les délectations du corps, par leur augmentation ou leur seule continuité, super-excèdent la disposition naturelle et engendrent le dégoût (fastidiosae), comme on le voit pour la délectation de manger. C'est pourquoi, lorsqu'on est parvenu à la perfection dans les plaisirs corporels, ils nous dégoûtent et, parfois, on a l'appétit de quelques autres [délectations].

    Mais les déléctations spirituelles ne super-excèdent jamais la disposition naturelle (naturalem habitudinem) ; mais ils perfectionnent la nature. Aussi, lorsqu'on parvient à l'accomplisement en eux, c'est alors qu'ils sont le plus agréables (delectabiles) ; sauf peut-être par accident, du fait qu'à l'activité contemplative sont unies (adiunguntur) quelques opérations des puissances corporelles qui sont fatiguées (lassantur) par la prolongation de leur activité.

    (Somme, Ia-IIae, q33a2)

    Delectationes enim corporales, quia augmentatae, vel etiam continuatae, faciunt superexcrescentiam naturalis habitudinis, efficiuntur fastidiosae; ut patet in delectatione ciborum. Et propter hoc, quando aliquis iam pervenit ad perfectum in delectationibus corporalibus, fastidit eas, et quandoque appetit aliquas alias.

    Sed delectationes spirituales non superexcrescunt naturalem habitudinem, sed perficiunt naturam. Unde cum pervenitur ad consummationem in ipsis, tunc sunt magis delectabiles, nisi forte per accidens, inquantum operationi contemplativae adiunguntur aliquae operationes virtutum corporalium, quae per assiduitatem operandi lassantur.

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    1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q32a7.

    Nature, Perfection, Plaisir, Mesure, Corps, Joie, Fatigue, Délectation, Lassitude, Achèvement, Accomplissement, Commensuration, Excès, Dégoût, Faste

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    Thomas d'Aquin - Concupiscence selon la nature et concupiscence selon la connaissance - Ia-IIae.q30a3

    La concupiscence, avons-nous dit, est l'appétit du bien délectable. Or une chose peut être délectable à un double titre.

    • D'abord parce qu'elle est convient à la nature de l'animal, comme manger, boire, etc. Cette concupiscence du délectable est dite naturelle.
    • Ou bien la chose est délectable parce qu'elle convient à l'animal selon la connaissance qu'il en a ; ainsi une chose est appréhendée comme bonne et adaptée et par conséquence on s'y délecte. La concupiscence de ces derniers objets est dite non naturelle, et, couramment, est plutôt appelée cupidité.

    Concupiscentia est appetitus boni delectabilis. Dupliciter autem aliquid est delectabile.

    • Uno modo, quia est conveniens naturae animalis, sicut cibus, potus, et alia huiusmodi. Et huiusmodi concupiscentia delectabilis dicitur naturalis.
    • Alio modo aliquid est delectabile, quia est conveniens animali secundum apprehensionem, sicut cum aliquis apprehendit aliquid ut bonum et conveniens, et per consequens delectatur in ipso. Et huiusmodi delectabilis concupiscentia dicitur non naturalis, et solet magis dici cupiditas.

    Les premières de ces convoitises, celles qui sont naturelles, sont communes aux hommes et aux animaux ; aux uns et aux autres certaines choses conviennent et sont délectables au point de vue naturel.

    Et tous les hommes en sont d'accord. Aussi le Philosophe appelle-t-il ces convoitises communes et nécessaires.

    Primae ergo concupiscentiae, naturales, communes sunt et hominibus et aliis animalibus, quia utrisque est aliquid conveniens et delectabile secundum naturam. Et in his etiam omnes homines conveniunt, unde et philosophus, in III Ethic., vocat eas communes et necessarias.

    Quant aux autres convoitises, elles sont propres à l'homme, à qui il appartient de se représenter que telle chose lui est bonne et lui convient, en dehors de ce que la nature requiert.

    C'est pourquoi le même Philosophe dit que les premières convoitises sont "irrationnelles", et les secondes "accompagnées de raison". Et parce que tous raisonnent de façon diverses, ces dernières sont appelées par Aristote: "propres et surajoutées", par rapport aux convoitises naturelles.

    (Somme, Ia-IIae.q30a3)

    Sed secundae concupiscentiae sunt propriae hominum, quorum proprium est excogitare aliquid ut bonum et conveniens, praeter id quod natura requirit.

    Unde et in I Rhetoric., philosophus dicit primas concupiscentias esse irrationales, secundas vero cum ratione. Et quia diversi diversimode ratiocinantur, ideo etiam secundae dicuntur, in III Ethic., propriae et appositae, scilicet supra naturales.

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    1. Le terme naturel est utilisé ici par Thomas pour désigner ce qui est intimement lié à cette chose sans faire appel à quelque chose d'extérieur à cette chose. Cela ne signifie pas qu'on se cantonne ici au plan matériel, il y a par exemple un appétit naturel au vrai.

    2. Thomas laisse entendre ici que, chez l'homme, dès qu'il y a connaissance sensible, la raison s'attache à cette connaissance. L'homme ne peut connaître sensiblement sans connaître en même temps selon la raison. Si ce bougeoire m'est connu par les sens, il m'est alors aussi connu selon la raison. Je ne peux isoler dans le sensible mon appétit pour le chocolat car, du fait que je possède la raison, ma raison participera à cet appétit. Il n'est pas nécessaire que le bien désiré soit un bien spirituel pour que je le désire selon la raison.

    La distinction de l'appétit naturel de l'appétit non naturel se voit clairement sur le plan de la nourriture : nous désirons nécesairement nous nourrir (appétit naturel), mais nous ne désirons pas nécessairement que cette nourriture soit telle nourriture (appétit non naturel -- de fait, certaines personnes n'aiment pas le chocolat). 

    3. Lorsqu'on dépasse l'appétit naturel dans l'appétit sensible nous accédons à un premier niveau d'altérité par la connaissance d'une chose extérieure alors que le plan naturel d'une chose ressort uniquement de sa "programmation" interne.

    Raison, Nécessité, Plaisir, Appétit naturel, Appétits non naturels

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    Thomas d'Aquin - La dissonance est cause de la haine, la convenance est cause de l'amour

    Le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier.

    Quant à l'être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c'est la dissonance qui est cause de la haine tandis que la convenance est cause de l'amour ; et, d'autre part, l'être et le vrai sont communs à toutes choses. 

    Mais, en particulier, rien n'empêche qu'on haïsse tel être ou certaine vérité ...

    (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 5, c.)

    Bonum, sub ratione boni, non potest odio haberi, nec in universali nec in particulari.

    Ens autem et verum in universali quidem odio haberi non possunt, quia dissonantia est causa odii, et convenientia causa amoris; ens autem et verum sunt communia omnibus. 

    Sed in particulari nihil prohibet quoddam ens et quoddam verum odio haberi ...

     

    Amour, Bien, Haine, Dissonance, Convenance

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    Thomas d'Aquin - Les mouvements de l'appétit relèvent plutôt de l'ordre intentionnel

    Les mouvements de l'appétit relèvent plutôt de l'ordre intentionnel que de l'ordre d'exécution.
    (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 3, ad. 3)

    Motus autem appetitivus magis pertinet ad intentionem quam ad executionem.

    Ce propos est tenu lors de la réponse à la question : La haine est-elle causée par l'amour ?

    Concrètement, lorsque nous nous éloignons maintenant d'un mal c'est pour nous approcher ensuite d'un bien. Si l'on s'éloigne des vices en cultivant les vertus, c'est pour nous approcher d'un bien qu'on sait ne pas pouvoir obtenir sans une activité vertueuse.

    Donc ce qui arrive concrètement en premier, à tel moment, c'est l'exécution de l'éloignement du vice (par exemple, la paresse).

    Mais nous ne le faisons que parce que avant cet ordre concret d'exécution, nous aimions déjà intentionnellement un certain bien (par exemple la science que nous aimons sans pour autant la posséder et qui nécessite un effort opposé à la paresse).

    Pourquoi l'appétit est-il plutôt dans l'ordre intentionnel ? Parce que la tension vers quelque chose, qui est la signification étymologique du mot appétit, n'existe que parce que l'individu a connaissance d'un bien qui exerce une attraction sur lui, mais comme ce bien n'est pas d'abord présent (possédé), on peut dire que l'appétit, du fait même qu'il tend vers, est dans l'ordre de l'intention. C'est dans un second temps que l'appétit va susciter chez l'individu une action qui vise à posséder.

    Notons que dans le monde des passions, le bien n'est jamais réellement totalement possédé, ce qui laisse toujours une grande part d'intentionnalité, l'amour passionnel n'étant jamais totalement satisfait.

    Notons également qu'il en est de même du point de vue spirituel, notre connaissance du bien spirituel aimé n'étant jamais totale, il reste toujours une "tension vers". De même dans la vie mystique à l'égard de Dieu.

    C'est ainsi que même regardant la joie, passion accompagnant le bien présent, reste en partie intentionnelle car nous nous représentons la joie qui découlera du bien possédé pleinement dans la vision béatifique. Ou à un niveau plus philosophique, nous nous représentons la joie qui accompagnera une meilleure union au bien aimé (lorsque les époux ou les amis se connaissent mieux avec le temps, leur amour grandit et donc leur joie. Même si la connaissance n'augmente pas sensiblement, la qualité de l'amour, lui, peut augmenter, et donc la joie.

    Amour, Plaisir, Absence, Désir, Présence

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    Thomas d'Aquin - Consonnance - Convenance - Amour / Dissonance - Répugnance - Haine

    Dans l'appétit naturel ceci apparaît manifeste :

    • de même que tout être possède une consonance naturelle ou aptitude avec ce qui lui convient (ce qui est l'amour naturel),
    • de même, à l'égard de ce qui lui répugne et le corrompt, tout être possède une dissonance naturelle, qui est la haine naturelle. 

     

    In appetitu autem naturali hoc manifeste apparet, quod

    • sicut unumquodque habet naturalem consonantiam vel aptitudinem ad id quod sibi convenit, quae est amor naturalis;
    • ita ad id quod est ei repugnans et corruptivum, habet dissonantiam naturalem, quae est odium naturale.

    De même, il apparaît [manifeste que], dans l'appétit animal ou dans l'appétit intellectuel,

    • l'amour est une consonance de l'appétit avec ce qui est appréhendé comme lui convenant ;
    • la haine, au contraire, est une sorte de dissonance de l'appétit à ce qui est appréhendé comme répugnant [= repoussant] et nuisible.

    Sic igitur et in appetitu animali, seu in intellectivo,

    • amor est consonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut conveniens,
    • odium vero est dissonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut repugnans et nocivum.

     

    • Or tout ce qui convient, en tant que tel, a raison de bien ;
    • pareillement, tout ce qui répugne, en tant que tel, a raison de mal.

    Par conséquent, de même que le bien est l'objet de l'amour, ainsi le mal est-il l'objet de la haine. (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 1, c.)

    • Sicut autem omne conveniens, inquantum huiusmodi, habet rationem boni; 
    • ita omne repugnans, inquantum huiusmodi, habet rationem mali.

    Et ideo, sicut bonum est obiectum amoris, ita malum est obiectum odii.

    Notes :

    1. Au Moyen-Âge, lorsqu'on dit que quelque chose est perçu sous la raison de bien ne signifie que ce quelque chose soit un bien, mais seulement qu'il est considéré sous cet aspect. 

    2. Certains mots se comprennent mieux considérés en regard avec leur opposé : convenance / répugnance, consonnance / dissonance, ...

    Commentaire :

    Thomas analyse ce qui se passe manifestement du point de vue de l'amour naturel, dans toute réalité confondue (la pierre, l'animal, etc.), puis ce qui se passe manifestement du côté de l'amour impliquant une connaissance, appréhension (monde sensible de l'animal, monde spirituel de l'être spirituel).

    Amour, Répugnance, Haine, Consonnance, Aptitude, Dissonance, Convenance

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    Thomas d'Aquin - Quatre effets immédiats de la passion amour - I-II.q28a5ad1

    On peut attribuer à l'amour quatre effets immédiats (proximi), à savoir la liquéfaction, la jouissance, la langueur et la ferveur. Amori attribui possunt quatuor effectus proximi, scilicet liquefactio, fruitio, languor et fervor. 

    1) Parmi lesquelles la première est la liquéfaction, qui s'oppose à la congélation. Car ces choses qui sont congelées sont resserrées en elles-mêmes, de sorte qu'elles ne peuvent pâtir l'entrée intérieure (subintrationem) facile d'une autre [chose]. Or c'est à l'amour de relever d'un appétit co-apté à une certaine réception du bien aimé [l'amour est une sorte d'adaptateur qui met en relation l'appétit et le bien], selon que ce qui est aimé est dans celui qui aime comme il a déjà été dit plus haut.

    C'est pourquoi la congélation ou l'endurcissement du cœur est une disposition qui répugne à l'amour. Mais la liquéfaction relève d'une sorte de ramollissement du cœur, par lequel le cœur se présente apte (habile) à laisser ce qui est aimé entrer en lui (in ipsum subintret) [le latin répète deux fois l'intériorité : "in" puis "sub-in"].

    Inter quae primum est liquefactio, quae opponitur congelationi. Ea enim quae sunt congelata, in seipsis constricta sunt, ut non possint de facili subintrationem alterius pati. Ad amorem autem pertinet quod appetitus coaptetur ad quandam receptionem boni amati, prout amatum est in amante, sicut iam supra dictum est.

    Unde cordis congelatio vel duritia est dispositio repugnans amori. Sed liquefactio importat quandam mollificationem cordis, qua exhibet se cor habile ut amatum in ipsum subintret.

    2) Si donc ce qui est aimé est présent et possédé, il y a plaisir ou fruition.

    Si ergo amatum fuerit praesens et habitum, causatur delectatio sive fruitio. 

    Si toutefois il était absent, cela a pour conséquence deux passions, à savoir

    • 3) la tristesse [provenant] de l'absence, qui est signifiée par la langueur (d'où Cicéron mentionne la tristesse surtout comme maladie) ;
    • 4) et un désir intense d'obtenir le bien-aimé, qui est signifié par la ferveur.

    Si autem fuerit absens, consequuntur duae passiones,

    • scilicet tristitia de absentia, quae significatur per languorem (unde et Tullius, in III de Tusculanis quaest., maxime tristitiam aegritudinem nominat);
    • et intensum desiderium de consecutione amati, quod significatur per fervorem.

    Et ce sont bien là les effets de l'amour considéré formellement, selon le rapport de la puissance appétitive à l'objet. Mais dans la passion amour, certains effets se produisent en proportion de [ces quatre premiers effets], selon [qu'il survient] une modification organique. (Somme, I-II.q28a5ad1)

     Et isti quidem sunt effectus amoris formaliter accepti, secundum habitudinem appetitivae virtutis ad obiectum. Sed in passione amoris, consequuntur aliqui effectus his proportionati, secundum immutationem organi.

    -----

    1. Qu'est ce que la co-aptitude ? Deux réalités sont aptes l'une envers l'autre : le bien vis à vis de l'appétit, et l'appétit vis à vis de du bien.

    2. Qu'est ce que des effets proximi ?

    3. Les quatre effets : 

    La liquéfaction : Celui qui aime attendri son coeur de manière à se disposer à laisser son intérieur envahi par ce qu'il aime.

    La plaisir ou fruition : Ce qui est aimé est entré, il est donc présent en soi et possédé dans celui qui aime (on notera que la possession se comprend ici comme une réception, le sujet n'est pas d'abord celui qui est actif).

    La langueur : Tant que le bien aimé n'est pas entré ou entièrement entré (càd entièrement reçu/possédé), se produit une blessure, une blessure d'amour, une tristesse spécifique appelée langueur.

    La ferveur : plus l'amour est grand, plus l'intensité du désir est grande et quand elle est grande jusqu'à dépasser une mesure ordinaire, on l'appelle ferveur --> cf. l'église d'Ephèse dans l'Apocalypse.

    Amour, Plaisir, Ferveur, Blessure, Liquéfaction, Ramolissement, Attendrissement, Fruition, Langueur, Désir intense

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    Thomas d'Aquin - Quand l'excellence des autres est perçue comme un obstacle à sa propre excellence ! - I-II28a4

    L'amour, et ici l'amour de convoitise se porte contre tout obstacle l'empêchant de profiter de ce qu'on aime. L'exemple de la concurrence entre gens amateurs d'excellence est particulièrement savoureuse.

    Ceux qui recherchent l'excellence s'élèvent contre ceux qui semblent exceller, comme s'ils entravaient leur excellence. (Somme, I-II28a4)

    Similiter etiam qui quaerunt excellentiam, moventur contra eos qui excellere videntur, quasi impedientes excellentiam eorum.

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    Voir dans la réponse 2 aux objections dans lequel TH. mentionne le zèle envieux de l'excellence des autres.

    Amour, Excellence, Jalousie

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    Thomas d'Aquin - Celui qui aime veut tout savoir de ce qu'il aime

     

    Mais l'amant est aussi dit être dans l'aimé selon l'appréhension, dans la mesure où l'amant ne se contente pas de l'appréhension superficielle de l'aimé, mais s'efforce d'enquêter avec soin sur les détails qui relève profondément (intrinsecus) de l'aimé, et entre ainsi dans son intérieur. (Somme, Ia-IIae, q. 28, a. 2, c.)

    Amans vero dicitur esse in amato secundum apprehensionem inquantum amans non est contentus superficiali apprehensione amati, sed nititur singula quae ad amatum pertinent intrinsecus disquirere, et sic ad interiora eius ingreditur.

     

    Amour, Connaissance, Amitié

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    Thomas d'Aquin - L'amour est dans dans la présence ET dans l'absence, le plaisir uniquement dans la présence (union)

     

    Le plaisir requiert l'union réelle comme cause. Mais le désir est dans la réalité aimée absente, tandis que l'amour est dans l'absence et dans la présence. (Somme, Ia-IIae, q. 28, a. 1, ad.1.)

    Obiectio illa procedit de unione reali. Quam quidem requirit delectatio sicut causam, desiderium vero est in reali absentia amati, amor vero et in absentia et in praesentia..

     

    Amour, Plaisir, Absence, Désir, Présence

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    Thomas d'Aquin - L'amour unit plus que la connaissance - I-II.q28a1ad3

    La connaissance est perfectionnée (perficitur) par ce qui est connu uni à celui qui connaît selon sa similitude. Mais l'amour fait que la chose aimée elle-même (ipsa res) est unie en quelque manière à celui qui aime. D'où l'amour est plus unifiant que la connaissance. (Somme, I-II.q28a1ad3)

    Cognitio perficitur per hoc quod cognitum unitur cognoscenti secundum suam similitudinem. Sed amor facit quod ipsa res quae amatur, amanti aliquo modo uniatur, ut dictum est. Unde amor est magis unitivus quam cognitio.

    Commentaire : La connaissance s’achève (perficitur) lorsque la réalité connue est unie à celui qui la connaît par similitude ; alors que l’amour s’achève lorsque la réalité aimée elle-même est unie à celui qui l’aime (28/1/3). L’amour unit plus que la connaissance.

    Distinction

    • union substantielle (avec soi-même) /
    • union affective (assimilée à l’union substantielle en tant qu’on considère la personne aimée comme un autre soi-même) /
    • union effective ou réelle (vie en commun, conversation, activités communes).

    L’amour n’est pas seulement intentionnel, il donne naissance à un mouvement (le désir) qui tend à rejoindre la réalité aimée (on aime pas le chocolat seulement intentionnellement), l’amour est alors perfectionné lorsque l’aimé et l’aimant son unis réellement.

    [A MEDITER POUR PRECISER :] Remarque à propos de la connaissance par similitude. Thomas répond ici d'abord à une objection concernant la connaissance sensible. Lorsque l'animal connaît une réalité, il reçoit par ses sens une similitude du réel, cette réception est une union. L'animal connaissant est uni à la similitude de la chose, pas à la chose elle-même. 

    Amour, Connaissance, Passions, Union

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    Thomas d'Aquin - Celui qui aime n'a pas besoin de connaître en détail ce qu'il aime - I-II.q27a2ad2

    Il faut davantage pour la perfection de la connaissance que pour celle de l'amour.

    Quelque chose est requis pour la perfection de la connaissance qui n'est pas requis pour la perfection de l'amour.

    En effet, la connaissance relève de la raison, dont [le rôle] est de distinguer ce qui ne fait qu'un dans la chose (rem), et de rapprocher (componere) les éléments divers en les comparant. C'est pourquoi il est requis pour une connaissance parfaite (ad perfectionem cognitionis) que l'homme connaisse dans le détail tout ce qui est dans une chose (re) : comme ses parties, ses puissances, ses propriétés.

    Mais l'amour est, dans la puissance appétitive, ce qui regarde la chose (rem) selon qu'elle est en elle-même. De sorte qu'il suffit pour la perfection de l'amour (ad perfectionem amoris) que la chose soit aimée selon qu'elle est appréhendée en elle-même. Il arrive alors qu'une chose soit aimée plus qu'elle n'est connue : en cela que quelque chose peut être aimé parfaitement (perfecte amari) même si elle n'est pas parfaitement connue (perfecte cognoscatur).

    C'est ce qu'on voit nettement pour les sciences que certains aiment, bien qu'ils n'en aient qu'une connaissance sommaire : ils savent, par exemple, que la rhétorique est la science qui permet à l'homme de persuader, et c'est cela qu'ils aiment en elle.

    Et cela peut être dit de manière similaire à propos de l'amour de Dieu.

    (Somme, I-II.q27a2ad2)

    Aliquid requiritur ad perfectionem cognitionis, quod non requiritur ad perfectionem amoris.

    Cognitio enim ad rationem pertinet, cuius est distinguere inter ea quae secundum rem sunt coniuncta, et componere quodammodo ea quae sunt diversa, unum alteri comparando. Et ideo ad perfectionem cognitionis requiritur quod homo cognoscat singillatim quidquid est in re, sicut partes et virtutes et proprietates.

    Sed amor est in vi appetitiva, quae respicit rem secundum quod in se est. Unde ad perfectionem amoris sufficit quod res prout in se apprehenditur, ametur. Ob hoc ergo contingit quod aliquid plus amatur quam cognoscatur, quia potest perfecte amari, etiam si non perfecte cognoscatur.

    Sicut maxime patet in scientiis, quas aliqui amant propter aliquam summariam cognitionem quam de eis habent, puta quod sciunt rhetoricam esse scientiam per quam homo potest persuadere, et hoc in rhetorica amant. Et similiter est dicendum circa amorem Dei..

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    1. La traduction originale de la première phrase a été laissée pour montrer son approximation.

    Amour, Connaissance, Passions, Appétit, Appréhension, Exhaustivité, Chose elle-même, Distinction

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    Thomas d'Aquin - Comme le bien lui-même, la connaissance du bien est principe de l'amour de ce bien

    Comme nous l'avons dit, Le bien est cause de l'amour par mode d'objet. Or le bien n'est objet de l'appétit que selon qu'il est appréhendé. C'est pourquoi l'amour requiert une certaine appréhension du bien que l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe que "la vision corporelle est le principe de l'amour sensitif". Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe de l'amour spirituel. Ainsi donc la connaissance est cause de l'amour au même titre que le bien, qui ne peut être aimé que s'il est connu. (Somme, Ia-IIae, q. 27, a. 2, c.)

    Sicut dictum est, bonum est causa amoris per modum obiecti. Bonum autem non est obiectum appetitus, nisi prout est apprehensum. Et ideo amor requirit aliquam apprehensionem boni quod amatur. Et propter hoc philosophus dicit, IX Ethic., quod visio corporalis est principium amoris sensitivi. Et similiter contemplatio spiritualis pulchritudinis vel bonitatis, est principium amoris spiritualis. Sic igitur cognitio est causa amoris, ea ratione qua et bonum, quod non potest amari nisi cognitum.

    Il faut bien comprendre que lorsque Thomas dit que la connaissance du bien est tout autant cause de l'amour du bien que le bien lui-même, il ordonne néanmoins les deux réalités : le bien et la connaissance du bien. Les deux ne sont pas au même plan. Il est manifeste qu'il ne peut y avoir connaissance du bien si le bien n'existe pas. La connaissance est donc relative au bien qu'elle connaît.

    Dans le déroulement du processus au cours duquel il y a amour de quelque chose, il faut à la fois que 

    • ce quelque chose existe
    • ET qu'il soit connu.

    Les propriétés du bien aimé ne dépendent pas de la connaissance que j'en ai.

    Aimer quelque chose, c'est aimer la chose elle-même, pas la connaissance que j'en ai. La réponse à l'objection n°2 montre d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de connaître parfaitement dans le détail ce qu'on aime pour l'aimer. Ici, la connaissance est donc relativisée de deux manières : 

    • en tant qu'elle est dépendante du bien connu,
    • et en tant qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit exhaustive.

    Amour, Connaissance, Principe, Appétit sensible, Cause, Vision

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    Thomas d'Aquin - L'homme peut tendre à Dieu plus en subissant son attraction que par le jugement de sa raison - I-II.q26a3ad4

    Certains ont posé, jusque dans la volonté même, que le nom d'amour est plus divin que le nom de dilection,

    • parce que l'amour implique une certaine passion, d'autant plus qu'il l'est dans l'appétit sensitif ;
    • tandis que la dilection présuppose le jugement de la raison.

    Mais l'homme peut tendre à Dieu

    • plus par amour, passivement attiré (attractus) d'une certaine manière par Dieu lui-même,
    • que sa propre raison ne peut l'y conduire, ce qui relève de la raison de dilection, comme cela a été dit.

    Et à cause de cela, l'amour est plus divin que la dilection. 

    (Somme, I-II.q26a3ad4)

    Aliqui posuerunt, etiam in ipsa voluntate, nomen amoris esse divinius nomine dilectionis,

    • quia amor importat quandam passionem, praecipue secundum quod est in appetitu sensitivo;
    • dilectio autem praesupponit iudicium rationis.

     

    • Magis autem homo in Deum tendere potest per amorem, passive quodammodo ab ipso Deo attractus,
    • quam ad hoc eum propria ratio ducere possit, quod pertinet ad rationem dilectionis, ut dictum est.

    Et propter hoc, divinius est amor quam dilectio.

    Ce passage est de première importance pour montrer tout ce qui oppose Duns Scot à Thomas !

    Amour, Duns Scot, Passions, Volontarisme, Appétit sensible, Dilection, Attraction

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    Thomas d'Aquin - Les passions de l'irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent en elles

    Les passions de l'irascible sont intermédiaires (mediae) entre les passions du concupiscible qui portent sur mouvement vers le bien ou vers le mal, et celles qui portent sur un repos dans le bien ou dans le mal. On voit donc que les passions de l'irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent en elles. (Somme, Ia-IIae, q. 25, a. 1, c.)

    Passiones irascibilis mediae sunt inter passiones concupiscibilis quae important motum in bonum vel in malum; et inter passiones concupiscibilis quae important quietem in bono vel in malo. Et sic patet quod passiones irascibilis et principium habent a passionibus concupiscibilis, et in passiones concupiscibilis terminantur.

     

    Passions, Irascible, Concupiscible

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    Thomas d'Aquin - La peur provoque une dépression de l'âme

    La crainte ajoute à la fuite (...) une certaine dépression de l'âme à cause d'un mal difficile [à repousser].

    (Somme, Ia-IIae, q. 25, a. 1, c.)

    Timor addit supra fugam (...), quandam depressionem animi, propter difficultatem mali.

     

    Chez Thomas le mal suscite en nous une passion de haine (ne pas aimer), nous n'aimons pas le mal. En conséquence nous fuyons le mal (la fuite étant une autre passion). Si le mal ne peut être évité, nous le subissons et en ressentons douleur ou tristesse.

    Qu'en est-il de la peur ? La peur se greffe sur la fuite du mal lorsque cette fuite se révèle difficile et qu'elle pourrait ne pas aboutir de sorte que le mal finisse par nous atteindre. L'effet de la peur, ici, est de ralentir la fuite, voire même de la rendre impossible tant le mal nous paraît grand, indiscernable, difficile à éviter. 

    Au contraire, elle peut aussi nous amener à être happé dans la fuite, dans un mouvement irrépressible.

    C'est ainsi que Thomas utilise le mot dépression qui signifie en latin un mouvement de pression du haut vers le bas, le fait de rabaisser quelqu'un et, plus généralement, tout mouvement d'abaissement. On  retrouve aujourd'hui encore cet usage lorsqu'on parle de la dépression d'un terrain pour désigner un endroit enfoncé. De même en météorologie.

    L'image fonctionne alors ainsi : ou bien nous restons piégés dans cet enfoncement, ou bien nous dévalons la pente d'autant plus vite que la pente est raide.

    Nous sommes sans doute ici face à l'un des premiers usages du mot pour qualifier la vie sensible de l'âme, lorsqu'elle est prise par un mouvement de descente face à un mal.

    Autre part, Thomas parle d'angoisse, évoquant alors le sentiment de rétrécissement.

     

    Mal, Passions, Peur, Fuite, Dépression

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    Thomas d'Aquin - I-II.q24a4 - Les passions peuvent relever du genre moral

    Ce que nous avons dit des actes, il semble qu'on pourrait le dire des passions, en cela que l'espèce des actes ou des passions peut être considérée de deux manières. (...)

    Dicendum quod sicut de actibus dictum est, ita et de passionibus dicendum videtur, quod scilicet species actus vel passionis dupliciter considerari potest.

    D'une premier manière, (...) Uno modo (...)

    D'une autre manière elles relèvent du genre moral, c'est-à-dire qu'elles participent à quelque chose du volontaire et du jugement de la raison. Et selon cette manière, le bien et le mal moral peuvent peuvent concerner l'espèce de la passion, en cela que quelque chose de l'objet de la passion, de soi1

    • convient (conveniens) à la raison
    • ou dissone (dissonum) avec la raison ;

    on le voit clairement pour la honte, qui est la crainte d'une chose laide, et pour l'envie, qui est la tristesse du bien d'autrui.

    C'est en ce sens que le bien et le mal moral sont en relation avec l'espèce des actes extérieurs.

    (I-II.q24a4)

    Alio modo, secundum quod pertinent ad genus moris, prout scilicet participant aliquid de voluntario et de iudicio rationis. Et hoc modo bonum et malum morale possunt pertinere ad speciem passionis, secundum quod accipitur ut obiectum passionis aliquid de se

    • conveniens rationi,
    • vel dissonum a ratione,

    sicut patet de verecundia, quae est timor turpis; et de invidia, quae est tristitia de bono alterius.

    Sic enim pertinent ad speciem exterioris actus.

     -----

    1. de se : manquant dans les traductions françaises !!!

    Bien, Mal, Passions, Moralité

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    Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Passions et jugement de la raison

    • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

    Voir passage équivalent dans la Somme

    Lorsque [les passions de l'âme] suivent la volonté, elles ne diminuent pas

    • la qualité
    • ou la bonté de l’acte,

    car

    • elles seront modérées selon le jugement de la raison,
    • à partir duquel s’ensuit la volonté.

    Mais elles ajoutent plutôt à la bonté de l’acte, à deux points de vue.

    Secundum vero quod consequuntur ad voluntatem, sic non diminuunt

    • laudem actus
    • vel bonitatem :

    quia

    • erunt moderatae secundum iudicium rationis,
    • ex quo voluntas sequitur.

    Sed magis addunt ad bonitatem actus, duplici ratione.

    Premièrement, par mode de signe :

    car la passion même qui s’ensuit dans l’appétit inférieur est le signe que le mouvement de la volonté est intense. Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté se meuve fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. 

    C’est pourquoi saint Augustin dit au quatorzième livre de la Cité de Dieu: « Tant que nous portons l’infirmité de cette vie, nous ne vivrions pas selon la justice si nous n’éprouvions absolument aucune de ces passions. » Et peu après, il ajoute la cause en disant : « N’éprouver en effet aucune douleur, tant que nous sommes en ce séjour de misère, cela s’obtient, très chèrement, au prix de la cruauté de l’âme et de l’insensibilité du corps. »

    Primo per modum signi :

    quia passio ipsa consequens in inferiori appetitu est signum quod sit motus voluntatis intensus. Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.

    Unde dicit Augustinus, XIV de Civitate Dei [cap. 9] :dum huius vitae infirmitatem gerimus, si passiones nullas habeamus, non recte vivimus.Et post pauca subiungit causam, dicens : nam omnino non dolere dum sumus in hoc loco miseriae, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, et stuporis in corpore.

    Ensuite à la façon d’une aide :

    car lorsque la volonté élit quelque chose par le jugement de la raison, elle passe à l'action plus promptement et plus facilement si, avec cela, la passion est excitée dans la partie inférieure, l’appétitive inférieure étant proche du mouvement du corps.

    Aussi saint Augustin dit‑il au neuvième livre de la Cité de Dieu: « Or ce mouvement de miséricorde sert la raison quand la miséricorde se manifeste sans compromettre la justice. »

    Et c’est ce que le Philosophe dit au troisième livre de l’Éthique, citant le vers d’Homère : « éveille ta force et ton irritation » ; en effet, lorsqu’on est vertueux quant à la vertu de force, la passion de colère qui suit l’élection de la vertu contribue à la plus grande promptitude de l’acte ; mais si elle la précédait, elle perturberait le mode de la vertu

    (DeVer.q26a7)

    Secundo per modum adiutorii :

    quia quando voluntas iudicio rationis aliquid eligit, promptius et facilius id agit, si cum hoc passio in inferiori parte excitetur ; eo quod appetitiva inferior est propinqua ad corporis motum.

    Unde dicit Augustinus, IX de Civitate Dei [cap. 5] : servit autem motus misericordiae rationi, quando ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur. Et hoc est quod philosophus dicit in libro III Ethicorum [cap. 11 (1116b 28)] inducens versum Homeri : virtutem et furorem erige; quia videlicet, cum aliquis est virtuosus virtute fortitudinis, passio irae electionem virtutis sequens facit ad maiorem promptitudinem actus ; si autem praecederet, virtutis mo‑ dum perturbaret.

     

     

     

    Raison, Choix (Election), Volonté, Jugement, Passions, Vertu, Bonté, Courage, Moralité, Morale / éthique, Appétit sensible, Hâte

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    Thomas d'Aquin - On peut utiliser la passion par choix pour aller plus vite ! - I-II.q24a3ad1

    • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

    Voir passage équivalent dans De Veritate

    Les passions peuvent avoir un double rapport avec le jugement de la raison. Dicendum quod passiones animae dupliciter se possunt habere ad iudicium rationis. 
    1. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent (obnubilent) le jugement, duquel dépend la bonté de l'acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d'accomplir une oeuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié (misericordiae). Uno modo, antecedenter. Et sic, cum obnubilent iudicium rationis, ex quo dependet bonitas moralis actus, diminuunt actus bonitatem, laudabilius enim est quod ex iudicio rationis aliquis faciat opus caritatis, quam ex sola passione misericordiae.
    2. D'autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d'une double manière : Alio modo se habent consequenter. Et hoc dupliciter.
    • a) Par manière de rejaillissement (redundantiae) lorsque, la partie supérieure de l'âme est mue intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Et ainsi la passion qui existe consécutivement [au jugement] dans l'appétit sensitif est un signe de l'intensité de la volonté. Et ainsi elle indique une bonté morale plus grande.
    • Uno modo, per modum redundantiae, quia scilicet, cum superior pars animae intense movetur in aliquid, sequitur motum eius etiam pars inferior. Et sic passio existens consequenter in appetitu sensitivo, est signum intensionis voluntatis. Et sic indicat bonitatem moralem maiorem. 
    • b) Par manière de choix : quand l'homme, par un jugement rationnel, choisit d'être affecté de telle passion afin d'agir plus vite (promptius), avec la coopération de l'appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l'acte.
    Somme, I-II.q24a3ad1)
    • Alio modo, per modum electionis, quando scilicet homo ex iudicio rationis eligit affici aliqua passione, ut promptius operetur, cooperante appetitu sensitivo. Et sic passio animae addit ad bonitatem actionis.

     

    Commentaires : 

    1. Redundantiae traduit par rejaillissement pourrait être aussi traduit par "surabondance", "excès" ou "débordement".
    2. A vérifier mais, a priori, grave erreur de traduction ("l'âme se portant intensément vers une chose") : pars animae intense movetur in aliquid : ici l'âme est mûe et non se meut, movetur est au présent passif, non actif, l'objet prime sur la possibilité volontariste de la raison. Ici, l'âme répond à une attraction. On n'est pas chez Duns Scot ! Même problème ici.
    3. La dernière partie est extraordinaire, le choix de se servir de la passion comme d'une monture pour aller plus vite. Quelle liberté ! On imagine très bien Thomas utilisant son amour passionné de la vérité pour donner plus d'allant à sa recherche concrète malgré la fatigue et autres obstacles.
    4. Promptius : ne veut pas dire immmédiatement "plus vite" mais davantage "plus facilement", en cela que la passion peut de nouveau rendre nos facultés spirituelles prêtes à être utilisées. Mais la traduction reste bonne, la passion habilement utilisée peut maintenir nos facultés éveillées, plus en acte. On est prêt à dégainer, on peut maintenir l'activité spirituelle plus longtemps. De même que Thomas reconnaîtra dans l'autre sens que la fatigue des faultés sensibles adjointes à l'activité contemplative ne permet pas de maintenir la contemplation indéfiniment.

    Raison, Choix (Election), Volonté, Jugement, Passions, Vertu, Bonté, Efficacité / Efficience, Moralité, Morale / éthique, Appétit sensible, Hâte, Vitesse, Promptitude

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    Thomas d'Aquin - La perfection morale requiert que l'homme soit aussi mû au bien par l'appétit sensible

    Donc, de même qu'il est meilleur que l'homme veuille le bien et le réalise extérieurement, ainsi la perfection du bien moral requiert que l'homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible, selon cette parole du Psaume (84, 3) -  Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant", le "coeur" étant ici l'appétit intellectuel, et la "chair" l'appétit sensible. (Somme, I-II, q. 24, a. 3, c.)

    Sicut igitur melius est quod homo et velit bonum, et faciat exteriori actu; ita etiam ad perfectionem boni moralis pertinet quod homo ad bonum moveatur non solum secundum voluntatem, sed etiam secundum appetitum sensitivum; secundum illud quod in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum, ut cor accipiamus pro appetitu intellectivo, carnem autem pro appetitu sensitivo.

    Volonté, Passions, Bien moral, Appétit sensible

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    Thomas d'Aquin - I-II.q23a1ad1 - Il doit nécessairement y avoir une puissance de l'irascible

    • ... sans quoi le bien difficile serait uniquement regardé comme un mal
    •  Le bien, en tant que délectable, meut le concupiscible.
    • Mais si le bien présente quelque difficulté à être atteint, il a par cela même quelque chose qui répugne à ce concupiscible.

    Et c'est pourquoi il est nécessaire qu'il existe une autre puissance pour tendre à cela [= au bien en tant que difficile à atteindre]. 

    Et il en va de même pour le mal.

    Et cette puissance est l'irascible.

    D'où vient la conséquence que les passions du concupiscible et de [celles] de l'irascible diffèrent par l'espèce.

    (Somme, I-II.q23a1ad3) 

    • Bonum inquantum est delectabile, movet concupiscibilem.
    • Sed si bonum habeat quandam difficultatem ad adipiscendum, ex hoc ipso habet aliquid repugnans concupiscibili.

    Et ideo necessarium fuit esse aliam potentiam quae in id tenderet.

    Et eadem ratio est de malis.

    Et haec potentia est irascibilis.

    Unde ex consequenti passiones concupiscibilis et irascibilis specie differunt.

     


     

    Mal, Désir (appétit sensible), Passions, Irascible, Concupiscible, Différence, Imagination, Espèce, Difficulté, Atteinte (du bien), Spécification

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    Thomas d'Aquin - Les passions de l'irascible s'exercent au sein des passions du concupiscible

    • Elles y naissent et s'y terminent

    L'irascible a été donné aux animaux pour vaincre les obstacles qui empêchent le concupiscible de tendre vers son objet, parce que le bien est difficile à atteindre, ou le mal difficile à vaincre. C'est pourquoi toutes les passions de l'irascible se terminent dans celles du concupiscible. C'est en ce sens que les passions de l'irascible sont suivies par la joie ou la tristesse, qui sont dans le concupiscible.  (Somme, I-II, q. 23, a. 1, r.1.)

    Dicendum quod, sicut in primo dictum est, ad hoc vis irascibilis data est animalibus, ut tollantur impedimenta quibus concupiscibilis in suum obiectum tendere prohibetur, vel propter difficultatem boni adipiscendi, vel propter difficultatem mali superandi. Et ideo passiones irascibilis omnes terminantur ad passiones concupiscibilis. Et secundum hoc, etiam passiones quae sunt in irascibili, consequitur gaudium et tristitia, quae sunt in concupiscibili.

    Désir (appétit sensible), Passions, Imagination

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    Thomas d'Aquin - Imagination et passions

    Mais contre cela, il y a ce que dit Damascène, lorsqu'il décrit les passions animales : "La passion est un mouvement de l'appétit sensible se portant sur le bien ou sur le mal présent dans l'imagination. Et encore : La passion est un mouvement de l'âme irrationnelle à l'appréhension du bien et du mal". (Somme, I-II, q. 22, a. 3, s.c.)

    Sed contra est quod dicit Damascenus, in II libro, describens animales passiones, passio est motus appetitivae virtutis sensibilis in imaginatione boni vel mali. Et aliter, passio est motus irrationalis animae per suspicionem boni vel mali.

    Désir (appétit sensible), Passions, Imagination

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    Thomas d'Aquin - I-II.q22a3ad2 - ~ L'appétit sensible pâtit plus qu'il n'est actué alors que l'appétit intellectuel est plus actué qu'il ne pâtit

    On dit que la magnitude [= l'ampleur] de la passion

    • ne dépend pas seulement de la puissance (ex virtute) de l'agent,
    • mais encore de la passibilité (ex passibilitate) de celui qui pâtit,

    parce que les choses qui sont bien passibles (quae sunt bene passibilia) pâtissent beaucoup même de la part d'un agent faible.

    • Donc bien que l'objet de l'appétit intellectuel soit plus actif que l'objet de l'appétit sensitif, [ce qui devrait donc entraîner une plus grande passion dans celui qui pâtit]
    • pourtant l'appétit sensitif est plus passif.

    (Somme, I-II.q22a3ad2)

    Dicendum quod magnitudo passionis

    • non solum dependet ex virtute agentis,
    • sed etiam ex passibilitate patientis,

    quia quae sunt bene passibilia, multum patiuntur etiam a parvis activis.

    • Licet ergo obiectum appetitus intellectivi sit magis activum quam obiectum appetitus sensitivi,
    • tamen appetitus sensitivus est magis passivus.

     


     1. -- "quia quae sunt bene passibilia...", comprendre  : "parce ques les choses disposées à pâtir pâtissent beaucoup même de la part d'une cause de moindre importance".

    2. -- Puisque TH. dit que la passion est davantage dans la partie sensible que dans la partie intellectuelle, il reconnît par là même que la prtie intellectuelle possède un côté passif, sans doute a-t-il ici en tête l'intellect passif.

    3. -- Ici TH. semble dire que puisque le monde de l'appétit sensible est lié à la matière il est davantage passible que la partie appétit intellectuel. Alors que la partie intellectuelle, du fait même qu'elle est intellectuelle, est davantage portée à l'acte. L'objet de de l'appétit intellectuel actue davantage l'appétit intellectuel qu'il ne le fait pâtir. Par exemple, lorsque Dieu se révèle à nous, il nous actue plus qu'il ne nous fait pâtir.

    Acte, Puissance, Passions, Appétit, Sujet, Objet, Passibilité, Appétit sensible, Appétit intellectuel

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    Thomas d'Aquin - I-II.q38a2 - Extérioriser le mal intérieur par les larmes adoucie la douleur

    • Comme si on la diffusait à l'extérieur

    Les larmes et les gémissements atténuent naturellement la tristesse. Et cela pour une double raison.

    1. Premièrement, 
      • parce que tout élément nocif enfermé à l'intérieur (interius) afflige davantage (parce que davantage est démultipliée (magis multiplicatur) l’attention (intentio) de l’âme à propos de lui ) ;
      • mais quand à l'extérieur (exteriora) il est dispersé, alors l’attention (intentio) de l’âme se trouve en quelque sorte désagrégée (disgregatur) à l'extérieur et ainsi la douleur intérieure est diminuée.

    Et pour cela, quand des hommes qui sont dans la tristesse,

      • manifestent leur tristesse à l'extérieur
          • ou par des pleurs
          • ou par des gémissements
          • ou même par des paroles,
    • [alors] la tristesse est atténuée.

    1. Deuxièmement ...

    (Somme, I-II.q38a2)

    Lacrimae et gemitus naturaliter mitigant tristitiam. Et hoc duplici ratione.

    1. Primo quidem,
      • quia omne nocivum interius clausum magis affligit, quia magis multiplicatur intentio animae circa ipsum,
      • sed quando ad exteriora diffunditur, tunc animae intentio ad exteriora quodammodo disgregatur, et sic interior dolor minuitur.

    Et propter hoc, quando homines qui sunt in tristitiis,

      • exterius suam tristitiam manifestant
          • vel fletu
          • aut gemitu,
          • vel etiam verbo,
    • mitigatur tristitia.

    1. Secundo, ...

     1. -- mitigant : on a hésité avec adoucir et apaiser. Nousa vons finalement gardé la traduction d'origine : "atténuée". Le terme mitigo, en effet, implique un mélange, quelque chose dont on diminue la réalité en mélengeant avec autre chose. La douleur reste, mais son intensité est alors moindre.

    Intention, Intérieur, Extérieur, Souffrance, Pleurs, Paroles, Gémissements, Division, Attention, Atténuation, Mélange

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    Thomas d'Aquin - I-II.q38a4ad1 - La science est cause de douleurs

    • La science en tant qu'elle nous corrige provoque de la peine

    « Celui qui augmente sa science ajoute à sa douleur », c’est vrai à cause de la difficulté et des échecs (defectum) que l’on rencontre dans la recherche de la vérité ou bien parce que la science fait connaître à l’homme beaucoup de choses contraires à sa volonté. Ainsi, du côté des objets de connaissance, la science engendre la douleur, mais du côté de la contemplation de la vérité, elle engendre le plaisir. (Somme, I-II.q38a4ad1)

    Qui addit scientiam, addit dolorem, vel propter difficultatem et defectum inveniendae veritatis, vel propter hoc, quod per scientiam homo cognoscit multa quae voluntati contrariantur. Et sic ex parte rerum cognitarum, scientia dolorem causat, ex parte autem contemplationis veritatis, delectationem.

    La recherche nous conduit à des conclusions d'ordre pratique qui nous amène à imposer des changements dans notre vie, et cela est, au début, douloureux. Thomas aurait sans doute été d'accord pour dire qu'ensuite, c'est un plaisir continuel que de se voir sans cesse corrigé par la recherche de la vérité.

    Vérité, Contemplation, Plaisir, Correction

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    Thomas d'Aquin - I-II.q38a1 - La tristesse est un état "non naturel", maladif, qui fatigue

    • La tristesse fatigue, elle est comme une maladie de l'appétit

    ... D'où

    • comme la délectation [= plaisir, joie] est à l'égard de la tristesse
      • dans les mouvements de l’appétit,
    • ainsi ce qu'est le repos à la fatigue
      • dans les mouvements corporels,

    [fatigue] qui provient de quelque transmutation non naturelle (innaturali), car la tristesse elle-même

    • [implique] une certaine fatigue
    • ou implique (importat) un état maladif de la puissance appétitive

    (Somme, I-II.q38a1) 

    ... Unde

    • sic se habet
      • delectatio ad tristitiam
      • in motibus appetitivis,
    • sicut se habet
      • in corporibus
      • quies ad fatigationem,

    quae accidit ex aliqua transmutatione innaturali, nam et ipsa tristitia

    • fatigationem quandam,
    • seu aegritudinem appetitivae virtutis importat.

    La tristesse fatigue car elle est le signe que le bien désiré n'a pas été atteint, cette incomplétude de l'appétit plonge dans la division qui fatigue.

    D'une certaine manière, ce n'est pas naturel d'être triste, nous ne sommes pas fait pour cela. La tristesse est comme un état de violence pour l'appétit.

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    Comme si Thomas disait qu'il y a quelque chose dans la nature de naturellement non naturel, comme si la nature jouait naturellement contre elle-même. La fatigue est naturelle, mais du point de vue de ce que doit être le mouvement musculaire d'un individu dans son état de pleine forme, elle représente quelque chose qui s'oppose à la nature, de la même manière qu'un appétit qui ne trouve pas son terme quitte d'une certaine manière l'ordre naturel des choses.

    Du côté de la joie, nous admettons qu'elle nous donne une grande force pour agir, contrairement à la tristesse qui n'est pas amie de l'action.

    Analogiquement, on parlera donc d'un appétit fatigué. On dira que la tristesse produit les mêmes effets dans la dimension appétitive de notre être que la fatigue physique dans le corps : l'arrêt ou la diminution du mouvement. Comme la fatigue empêche l'exercice physique, la tristesse empêche la re-mise en mouvement vers un bien extérieur à atteindre.

    Thomas termine en disant que cette fatigue de l'appétit pourrait aussi se comprendre par le terme de "maladie", la tristesse serait ainsi une maladie de l'appétit.

    Après avoir dit ce qu'elle était (ce que nous ressentons en l'absence du bien), Thomas se livre ici à une forme de description expérimentale, presque psychologique, de la tristesse.

    Être triste est fatiguant.

    Nature, Mouvement, Plaisir, Appétit, Repos, Tristesse, Fatigue, Maladie, Contre-nature, Choses corporelles

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    Thomas d'Aquin - I-II.q37a2 - La tristesse est un poids qui peut à ce point atterrer qu'elle peut aller jusqu'à l'inertie totale (stupidus)

    • La métaphore de la pesanteur qui immobilise le corps physique au sol

    Les effets des passions de l’âme sont parfois nommées métaphoriquement, selon une similitude avec les corps sensibles, en cela que les mouvements de l’appétit animal sont similaires (similes) aux inclinations de l’appétit naturel [= celui existant même dans les objets physiques].

    Et sur ce mode

    • la ferveur (fervor) est attribuée à l’amour,
    • la dilatation (dilatatio) au plaisir,
    • et l’appesentissement (aggravatio) à la tristesse.

    On dit en effet qu’un homme est appesanti (aggravari) lorsqu’un poids empêche son mouvement propre.

    [Avec le poids croissant de la tristesse, augmente l'impossibilité d'échapper à l'inertie]

    Or il est manifeste, d’après ce qui a été dit précédement, que la tristesse arrive à partir d’un mal présent. Celui-ci, de ce fait même qu’il répugne au mouvement de la volonté, appesentit l'âme (aggravat animum), en tant qu'il l'empêche d'avoir la fruition (fruatur) [= jouir] de ce qu’elle veut.

    S'il n'y a pas une telle force (vis) de tristesse qu'elle ôte l'espoir d'échapper (spem evadendi)

    • bien que l’âme soit appesentie par cela que, présentement, elle ne peut obtenir (potitur) ce qu’elle veut ;
    • il reste cependant un mouvement pour repousser la [chose] nocive qui l’attriste.

    Mais si la force (vis) du mal super-accroît (superexcrescat) à un point tel qu'il exclut l'espoir d’y échapper (spem evasionis excludat),

    • alors, même le mouvement intérieur (interior motus) de l’âme angoissée (animi angustiatilitt. : rétrécie) est absolument empêché (simpliciter impeditur),
    • ainsi il ne peut se détourner ni d'un côté ni de l'autre.

    Et parfois est empêché le mouvement extérieur du corps (exterior motus corporis), de telle sorte que l'homme reste figé en lui-même (stupidus in seipso).

    (Somme, I-II.q37a2)

    Effectus passionum animae quandoque metaphorice nominantur, secundum similitudinem sensibilium corporum, eo quod motus appetitus animalis sunt similes inclinationibus appetitus naturalis.

    Et per hunc modum

    • fervor attribuitur amori,
    • dilatatio delectationi,
    • et aggravatio tristitiae.

    Dicitur enim homo aggravari, ex eo quod aliquo pondere impeditur a proprio motu.

    [ ]

    Manifestum est autem ex praedictis quod tristitia contingit ex aliquo malo praesenti. Quod quidem, ex hoc ipso quod repugnat motui voluntatis, aggravat animum, inquantum impedit ipsum ne fruatur eo quod vult.

    Et si quidem non sit tanta vis mali contristantis ut auferat spem evadendi,

    • licet animus aggravetur quantum ad hoc, quod in praesenti non potitur eo quod vult;
    • remanet tamen motus ad repellendum nocivum contristans.

    Si vero superexcrescat vis mali intantum ut spem evasionis excludat,

    • tunc simpliciter impeditur etiam interior motus animi angustiati,
    • ut neque hac neque illac divertere valeat.

    Et quandoque etiam impeditur exterior motus corporis, ita quod remaneat homo stupidus in seipso.

     


    1. -- On notera l'extraordinaire précision de cette analyse qui n'a rien perdue de sa justesse, bien au contraire.

    2. -- C'est ainsi que dans le langage courant on dit être atterré par telle nouvelle ou par telle situation, on est semblable à la pierre ramenée au sol.

    Mal, Mouvement, Tristesse, Corps, Joie, Souffrance, Angoisse, Âme, Fruition, Poids, Stupidité

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    Thomas d'Aquin - I-II.q36a4 - L'appétit naturel d'unité est cause de souffrance, tout comme l'appétit du bien

    • Tout être désire naturellement l’unité

     

     
    • Le bien en n'importe quelle chose (rei) consiste en une certaine unité, selon que chaque chose (res) tient unis en soi les [éléments] de sa perfection ;
      • d'où les platoniciens posaient que l’un était principe, tout comme le bien.
    • D'où, chaque [chose] appète [= désire] naturellement l'unité, tout comme la bonté.
    • Et c’est pour cela que, comme l'amour ou l'appétit du bien est cause de douleur, de même l'amour ou l'appétit de l'unité.

    (Somme, I-II.q36a4)

    • Bonum enim uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit, prout scilicet unaquaeque res habet in se unita illa ex quibus consistit eius perfectio,
      • unde et platonici posuerunt unum esse principium, sicut et bonum.
    • Unde naturaliter unumquodque appetit unitatem, sicut et bonitatem.
    • Et propter hoc, sicut amor vel appetitus boni est causa doloris, ita etiam amor vel appetitus unitatis. 

     

     

     

     

    D'où la douleur n’est pas causée par l'appétit de n’importe quelle unité, mais de celle en laquelle constitue la perfection de la nature.

     (Somme, I-II.q36a4ad1)

    Unde dolor non causatur ex appetitu cuiuslibet unitatis, sed eius in qua consistit perfectio naturae.

     

     

     

     

    Amour, Perfection, Un, Bien, Appétit, Platon, Unité, Douleur

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    Thomas d'Aquin - I-II.q30a2ad1 - Il n'y a désir que de choses absentes

     

    Le bien délectable (delectabile) n’est pas absolument objet de concupiscence [= désir sensible], mais [seulement] sous la raison du fait d'être absent (sub ratione absentis).

    (Somme, I-II.q30a2ad1)

    Bonum delectabile non est absolute obiectum concupiscentiae, sed sub ratione absentis.

     

     

     

    Bien, Désir (appétit sensible), Appétit, Absence, Concupiscence, Délectation

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    Thomas d'Aquin - I-II.q29a6 - On peut parler de l’universel de deux façons

    De l'universel d'une double manière il arrive qu'on parle,

    • d'une manière, selon qu’on le considère sous l'intention d’universalité, 
    • d'une autre manière selon la nature à laquelle cette intention est attribuée ; 

    en effet

    • autre est la considération de l’homme universel,
    • autre est la considération de l’homme en tant qu’homme.

    (Somme, I-II.q29a6)

    De universali dupliciter contingit loqui, 

    • uno modo, secundum quod subest intentioni universalitatis; 
    • alio autem modo, de natura cui talis intentio attribuitur, 
    • alia est enim consideratio hominis universalis,
    • et alia hominis in eo quod homo.

     


    1. -- Autre est l'idée d'homme, son concept universel, sans rapport direct à tel homme ; autre est le fait de regarder tel homme en tant qu'il est homme, de voir en lui qu'il est un homme.

    Nature, Universel, Intention, Attribution, Universalité

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    Thomas d'Aquin - I-II.q24a1 - Lorsqu'elle est sous le commandement de la volonté les passions deviennent morales

    • Mais les passions en elles-mêmes ne sont pas morales

    Les passions de l'âme peuvent être considérées de manière double :

    • d'une manière, selon elles-mêmes
    • d'une autre manière, selon qu'elles sont sous le commandement de la raison et de la volonté.

    [Les passions en elle-mêmes]

    Donc, si on les considère selon elles-mêmes, c'est-à-dire comme mouvements de l'appétit irrationnel, il n'y a en elles ni bien ni mal moral, car cela dépend de la raison, comme nous l'avons vu plus haut.

    [Les passions sous le commandement de la raison et de la volonté]

    Mais si elles sont considérées selon qu'elles sont sous le commandement (imperio) de la raison et de la volonté, ainsi il y a en elles bien ou mal moral.

    • En effet, l’appétit sensitif est plus proche de la raison elle-même et de la volonté que nos membres extérieurs, dont cependant les mouvements et les actes sont bons ou mauvais moralement (moraliter) selon qu’ils sont volontaires [voluntarii = adj. génitif].
    • Donc, bien plus encore, les passions elles-mêmes en tant qu'elles sont volontaires [voluntariae = adj. génitif], peuvent être dites bonnes ou mauvaises moralement (moraliter).

    Et on les dit volontaires,

    • ou parce qu’elles sont commandées (imperantur) par la volonté,
    • ou parce que la volonté n’y fait pas obstacle (non prohibentur).

    (I-II.q24a1)

    Passiones animae dupliciter possunt considerari,

    • uno modo, secundum se;
    • alio modo, secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis.

    Si igitur secundum se considerentur, prout scilicet sunt motus quidam irrationalis appetitus, sic non est in eis bonum vel malum morale, quod dependet a ratione, ut supra dictum est.

    Si autem considerentur secundum quod subiacent imperio rationis et voluntatis, sic est in eis bonum et malum morale.

    • Propinquior enim est appetitus sensitivus ipsi rationi et voluntati, quam membra exteriora; quorum tamen motus et actus sunt boni vel mali moraliter, secundum quod sunt voluntarii.
    • Unde multo magis et ipsae passiones, secundum quod sunt voluntariae, possunt dici bonae vel malae moraliter.

    Dicuntur autem voluntariae

    • vel ex eo quod a voluntate imperantur,
    • vel ex eo quod a voluntate non prohibentur.

     

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    1. Les passions ne sont pas en elles-mêmes morales, comme un bras ou une jambe ne le sont également pas, mais, en tant qu'elle sont sous le commandement de la raison et de la volonté, etc. ...

    2. Noter que la passion chez l'homme semble toujours avoir une dimension morale puisque, laissée à elle-même, elle fait sortir l'homme de la moralité en le ramenant à l'ordre sensible. Or l'ordre sensible, chez l'homme, devrait toutjours être ou commandé ou agréé par la volonté. Mais est-ce bien vrai  ? Comme certains mouvements de nos membres extérieurs sont indifférents (comme se gratter la barbe), de la même manière le mouvement d'une passion ne pourrait-il pas lui aussi être indifférent ? Il semble néanmoins qu'il faille toujours au moins assumer nos passions pour les garder sur un plan moral, ainsi nos passions ne devraient pas être laissées à elle-même dans l'indifférence.

    Raison, Désir (appétit sensible), Passions, Commandement, Imperium, Membre, Moralité, Empêchement

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    Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

    AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

    - La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

    • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

    Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

     

    La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

    ------- [Dans le monde physique] -------

    Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

    • premièrement, il lui donne une forme ;
    • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

    comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

    C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

    • la pesanteur,
    • et le mouvement que celle-ci entraîne.

    Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

    Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

    • nam primo quidem dat formam,
    • secundo autem dat motum consequentem formam;

    sicut generans dat corpori

    • gravitatem,
    • et motum consequentem ipsam.

    Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

    ------- [Dans le monde des passions] -------

    De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

    • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
    • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

    Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

    • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
    • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
    • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

    ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

    • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
    • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
    • et enfin le repos, qui est joie.

    Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

    • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
    • ex qua sequitur motus ad appetibile.

    Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

    • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
    • et appetitus tendit in appetibile
    • realiter consequendum,

    ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

    • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
    • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
    • et ultimo quies, quae est gaudium.
    Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

    BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

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    1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens se a été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

    2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

    3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif ... voir l'explication donnée ici.

    4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

    5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

    6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

    7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

    8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

    9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

     

     

    Amour, Réel, Volonté, Mouvement, Passions, Plaisir, Intention, Appétit, Complaisance, Possession, Joie, Amour naturel, Concupiscence

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    Thomas d'Aquin - I-II.q27a1ad3 - Le beau est identique au bien

    Le beau est identique au bien ; seule la raison diffèrre1(sola ratione differens)

    Le bien étant ce que « tous appètent [= désirent] »,

    • il [relève] à la ratio boni que d'être un repos pour l'appétit, 
    • tandis qu’il relève de la ratio pulchri que d'être un repos pour l'appétit quant à sa vue ou quant à sa connaissance [= la vue et la connaissance du bien].

    C’est pourquoi les sens les plus intéressés par la beauté sont ceux qui procurent le plus de connaissances, comme la vue et l’ouïe mises entièrement au service (deservientes) de la raison ; nous parlons, en effet, de beaux spectacles et de belles musiques. Les objets des autres sens n’évoquent pas l’idée de beauté : nous ne disons pas belles les saveurs ou belles les odeurs.

    Cela montre bien que le beau ajoute (addit) au bien un certain ordre à la puissance connaissante ; 

    • le bien est alors dit ce qui complaît (complacet) à l’appétit "purement et simplement" (simpliciter) ;
    • et le beau est dit ce qui plaît (placet) à l'appréhension

    (Somme, I-II.q27a1ad3)

    Pulchrum est idem bono, sola ratione differens. Cum enim bonum sit quod omnia appetunt, 

    • de ratione boni est quod in eo quietetur appetitus,
    • sed ad rationem pulchri pertinet quod in eius aspectu seu cognitione quietetur appetitus.

    Unde et illi sensus praecipue respiciunt pulchrum, qui maxime cognoscitivi sunt, scilicet visus et auditus rationi deservientes, dicimus enim pulchra visibilia et pulchros sonos. In sensibilibus autem aliorum sensuum, non utimur nomine pulchritudinis, non enim dicimus pulchros sapores aut odores.

    Et sic patet quod pulchrum addit supra bonum, quendam ordinem ad vim cognoscitivam,

    • ita quod bonum dicatur id quod simpliciter complacet appetitui;
    • pulchrum autem dicatur id cuius ipsa apprehensio placet.

    1 Au lieu de : « leur seule différence procède d’une vue de la raison ».

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    1. -- A noter cette question de vocabulaire chez Thomas : le bien complaît à l'appétit, le beau plaît à l'appréhension. On voit ailleurs que la complaisance est au niveau de l'amour affectif, c'est à dire le tout premier moment de l'amour. A distinguer du terme quand l'amour devient effectif.

    2. -- Le bien est donc davantage objet de l'appétit (sensible - vue - ; ou spirituel - connaissance -) ; le beau, davantage objet de l'appréhension, c'est à dire de l'intellect, de l'intelligence.

    3. -- Il y a donc dans le bien une dimension qui satisfait, qui vonvient, à la connaissance. Lorsqu'il s'agit d'un acte moralement mauvais, c'est cependant sous un aspect secondairement bon que l'intelligence y trouvera quelque chose de beau. Chez Arsène Lupin, rompu à l'art du vol, son vol pourra être trouvé beau dans l'exercice, dans la réalisation de son vol, pas quant au vol lui-même. C'est ce en quoi le vol comporte une part de bien qu'on trouvera le vol beau.

    4. -- On se rappelle qu'il y a trois dimensions du bien dans la ratio boni, reprises d'Augustin, l'espèce, l'ordre, le mode. Ici Thomas évoque une dimension d'ordre qui établit une relation entre le bien et la puissance connaissante.

    Beau, Bien, Connaissance, Plaisir, Appétit, Repos, Sens (les), Vue, Ouïe, Complaisance, Joie, Ratio boni, Ratio pulchri, Odorat, Odeurs, Saveurs, Goût

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    Thomas d'Aquin - I-II.q30a1ad2 - Qu'est-ce que le désir à proprement parler ?

    Le désir (desiderium) peut davantage relever (magis pertinere), à proprement parler, non seulement de l'appétit inférieur mais aussi du supérieur. En effet, il n'implique pas, comme la concupiscence (concupiscentia), une certaine multiplicité associée dans le fait de convoiter (aliquam consociationem cupiendo) mais un mouvement simple vers la chose désirée (desideratam).

    (Somme, I-II.q30a1ad2)

    Desiderium magis pertinere potest, proprie loquendo, non solum ad inferiorem appetitum, sed etiam ad superiorem. Non enim importat aliquam consociationem in cupiendo, sicut concupiscentia; sed simplicem motum in rem desideratam.

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    Très intéressant car la notion d'association autour du désir sensible explique le préfixe "con" de concupiscence. C'est une expérience sensible au cours de laquelle un faisceau d'éléments distincts trouvés dans un certain bien sensible suscite en nous une attraction sensible. Il y a donc quelque chose d'aveugle dans le désir sensible (concupiscence) qu'on ne fait en partie que constater, les raisons pour lesquelles nous sommes attirés sensiblement par une réalité sensible ne sont pas toujours très claires. Alors que dans le désir (lorsque le terme est proprement employé, c'est à dire comme appétit spirituel), l'attraction est exercée par un objet simple. L'objet étant d'autant plus facile à discerner qu'il est simple, il en découle un désir plus simple, plus pur (pas au sens moral), plus limpide. Ce n'est pas seulement à cause de ce qu'est la chose spirituelle désirée, mais parce qu'une chose, en tant qu'elle est spirituelle, est simple. La concupiscence hérite de la complexité des éléments matériels dont est fait le corps. C'est une des causes pour lesquelles la concupiscence s'exerce souvent dans un certain chaos. Une autre cause se trouve lorsque le désir sensible persévère malgré le jugement de la raison. 

    Bien, Désir (appétit sensible), Passions, Désir (appétit volontaire), Appétit, Simplicité, Multiplicité, Concupiscence

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    Thomas d'Aquin - I-II.q24a2 - Les passions sont bonnes si mesurées par la raison

     Les Péripatéticiens donnent le nom de passion à tous les mouvements de l'appétit sensitif. 
    • Ils les estiment bonnes quand elles sont modérées (moderatae) par la raison,
    • et mauvaises quand elles sont au-delà de la modération de la raison. (...) 

    Les passions ne sont pas dîtes maladies (morbi) ou profonds troubles (perturbationes) de l'âme, si ce n'est quand elles manquent de la modération (moderatione) de la raison.

    (Somme, I-II.q24a2)

    Peripatetici vero omnes motus appetitus sensitivi passiones vocant.

    • Unde eas bonas aestimant, cum sunt a ratione moderatae;
    • malas autem, cum sunt praeter moderationem rationis. (...)

    Non enim passiones dicuntur morbi vel perturbationes animae, nisi cum carent moderatione rationis.

     


    1. -- Le mot perturbationes a un sens plus fort qu'un simpe trouble, il s'agit d'un bouleversement profond qui change radicalement la donne.

    Raison, Passions, Ordre, Modération, Mesure, Trouble

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