Skip to main content

Thomas d'Aquin - Dans la passion plaisir, un certain mouvement survit à la possession de la fin - I-II.q31a1ad2)

Dans l'animal on peut considérer un double mouvement :

  • l'un concerne l'intention de la fin et appartient à l'appétit ;
  • l'autre, regarde l'exécution et se rapporte à l'opération extérieure.

Donc, bien que chez celui qui a déjà obtenu le bien dans lequel il se délecte,

  • cesse le mouvement d'exécution par lequel il tend vers  la fin ;
  • le mouvement de la partie appétitive, lui, ne cesse pas pour autant.
  • Elle désirait (desiderabat) auparavant le bien qu'elle n'avait pas ;
  • elle s'en délecte maintenant qu'elle le possède.
  • Assurément la délectation est une sorte de repos de l'appétit, si l'on considère la présence du bien agréable qui le satisfait ;
  • cependant le changement intérieur (immutatio) de l'appétit sous l'action de l'appétible demeure, raison pour laquelle la délectation est un certain mouvement.

(Somme, Ia-IIae, q31.a1.ad2)

In animali duplex motus considerari potest,

  • unus secundum intentionem finis, qui pertinet ad appetitum,
  • alius secundum executionem, qui pertinet ad exteriorem operationem

licet ergo

  • in eo qui iam consecutus est bonum in quo delectatur, cesset motus executionis, quo tenditur ad finem;
  • non tamen cessat motus appetitivae partis, quae, sicut
  • prius desiderabat non habitum,
  • ita postea delectatur in habito.
  • Licet enim delectatio sit quies quaedam appetitus, considerata praesentia boni delectantis, quod appetitui satisfacit;
  • tamen adhuc remanet immutatio appetitus ab appetibili, ratione cuius delectatio motus quidam est.

Commentaire : 

1. La réponse se place sur plan de la partie animale, on parle donc ici du plaisir sensible sans dire si ce qu'on dit ici pour l'être à propos de la joie qui est un plaisir spirituel.

2. Deux mouvements, 

  • du côté de la fin : celui de l'appétit qui se produit à l'intérieur de l'animal, il y a en lui une "tension vers" (en fait, une double "tension vers", la naturelle, et celle amenée par la connaissance d'un bien concret - de la même manière il y a une double intention, celle inscrite dans la nature de l'animal et celle de l'objet à l'état de réalité intentionnelle amenée par la connaissance du dit objet) ;
  • du côté de l'exécution : il faut bien se mouvoir vers le chocolat pour qu'il devienne nôtre.

3. Lorsque le bien est possédé, la fin est atteinte, l'objet n'est plus intentionnel mais bien réel. L'appétit ne se nourrit plus de l'objet intentionnel mais de l'objet réel, c'est toujours l'objet, il est toujours là, sa possession amène l'appétit à une certaine perfection, mais une perfection qui dure dans le temps, tant qu'on qu'on savoure le chocolat. D'où la question suivante que posera Thomas pour préciser le rapport plaisir / temps.

4. Il est très intéressant de voir que dans le domaine passionnel la fin possédée réclame néanmoins de rester dans le temps, un écoulement, une succession... En sera-t-il de même dans le domaine de l'amour spirituel ?

5. Immutatio, même mot employé en q26.a2 : "Le premier changement intérieur de l’appétit par l'appétible est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible."

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a4 - EN COURS - Quatre actes de la raison et deux de l'affect à l'égard des actes humains

L'intérêt ici est de distinguer les différents actes humains, au-delà du contexte de la luxure dans lequel Thomas l'évoque, notamment à propos de l'ordre de ces actes.

-----

Et c'est pourquoi lorsque, dans l'acte de luxure, toute l'intention de l'âme est entraînée par la véhémence du plaisir vers les forces inférieures, c'est-à-dire le concupiscible et le sens du toucher, il est nécessaire que les puissances supérieures, à savoir la raison et la volonté, en souffrent un dommage. Et ideo quando in actu luxuriae propter vehementiam delectationis tota intentio animae attrahitur ad inferiores vires, idest ad concupiscibilem et ad sensum tactus, necesse est quod superiores, scilicet ratio et voluntas, defectum patiantur.

Or il y a quatre actes de la raison pour diriger (dirigit) les actes humains :

[1. Le bien fin :]

  • le premier est une certaine intellection par laquelle quelqu'un juge droitement de la fin, qui est comme le principe dans les opérations, comme le dit le Philosophe dans les Physiques (II, 15) ;

et dans la mesure où cet acte est empêché, on compte comme fille de la luxure l'aveuglement de l'esprit, selon cette parole de Daniel (13, 56) : "La beauté t'a égaré, et le désir a perverti ton coeur."

 

[2. Le conseil/délibération à propos des moyens :]

  • Le second acte est le conseil [~délibération] sur ce qu'il faut faire,

que le désir supprime ; Térence dit en effet dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 12) : "La chose n'admet en soi nulle conseil et nulle mesure, tu ne peux la régler par la réflexion", et il parle de l'amour sensuel (libidinoso) ; à ce point de vue, on a l'irréflexion.

 

[3. Le jugement auquel parvient le conseil : un moyen est choisi :]

  • Le troisième acte est le jugement sur les actions [qu'on doit poser] ;

et la luxure y met aussi obstacle. Il est dit en effet en Daniel (13, 9) : "Ils ont perverti leur esprit pour ne pas se souvenir des justes jugements" ; et à ce point de vue, on a la précipitation, lorsque l'homme est porté au consentement de façon précipitée (consensum praecipitanter), sans avoir attendu le jugement de la raison.

 

[4. Le moyen choisi doit être mis en oeuvre, commandement à l'exécution :]

  • Le quatrième acte est l'ordre d'agir (praeceptum de agendo),

qui est aussi empêché par la luxure en ce que l'homme ne persiste pas dans ce qu'il a décidé, comme Térence le dit aussi dans l'Eunuque (Act. I, 1, vers. 23) : "Ces paroles", selon lesquelles tu dis que tu vas te séparer de ton amie, "une fausse petite larme en restreindra la portée", et à ce point de vue, on a l'inconstance.

Sunt autem quatuor actus rationis, secundum quod dirigit humanos actus:

  • quorum primus est intellectus quidam, quo aliquis recte existimat de fine, qui est sicut principium in operativis, ut philosophus dicit in II Physic.;

et in quantum hoc impeditur, ponitur filia luxuriae caecitas mentis, secundum illud Daniel., XIII, 56: species decepit te, et concupiscentia subvertit cor tuum.

  • Secundus actus est consilium de agendis,

quod per concupiscentiam tollitur; dicit enim Terentius in eunucho: quae res in se neque consilium, neque modum habet ullum, eam consilio regere non potes; et loquitur in amore libidinoso; et quantum ad hoc ponitur inconsideratio.

  • Tertius actus est iudicium de agendis;

et hoc etiam impeditur per luxuriam: dicitur enim Daniel., XIII, 9, quod averterunt sensum suum (...) ut non recordarentur iudiciorum iustorum; et quantum ad hoc ponitur praecipitatio, dum scilicet homo inclinatur ad consensum praecipitanter, non expectato iudicio rationis.

  • Quartus actus est praeceptum de agendo,

quod etiam impeditur per luxuriam, in quantum homo non persistit in eo quod diiudicavit, sicut etiam Terentius dicit eunucho: haec verba, quae scilicet dicis, te recessurum ab amica, una falsa lacrymula restinguet; et quantum ad hoc ponitur inconstantia.

Par contre, du côté des affects désordonnés, deux choses sont à considérer. °°°

  1. La première est l'appétit du plaisir, vers lequel la volonté se porte comme à une fin ;
    • et quant à cela, on a l'amour de soi, quand on appète (appetit) pour soi de façon in-ordonnée (inordinate) le plaisir,
    • et par opposition, la haine de Dieu, dans la mesure où il défend le plaisir que l'on convoite (concupitam).

 

  1. L'autre chose à considérer, c'est l'appétit des choses grâce auxquelles on obtient cette fin-là ;
    • et quant à cela, on a les affects au monde présent,
      • c'est-à-dire à tout ce par quoi on parvient à la fin visée (intentum), qui appartient à ce monde présent ;
    • et par opposition, on a le désespoir du monde futur, parce que quand on s'attache trop aux plaisirs charnels, on a davantage de mépris pour les spirituels.

 

(DeMalo.q15a4)

Ex parte vero inordinationis affectus duo sunt consideranda,

  1. quorum unum est appetitus delectationis, in quem fertur voluntas ut finem;
    • et quantum ad hoc ponitur amor sui, dum scilicet inordinate sibi appetit delectationem;
    • et per oppositum odium Dei, in quantum scilicet prohibet delectationem concupitam.

 

  1. Aliud vero est appetitus eorum per quae consequitur quis hunc finem;
    • et quantum ad hoc ponitur affectus praesentis saeculi,
      • id est omnium eorum per quae ad finem intentum pervenit, quae ad saeculum istud pertinent;
    • et per oppositum ponitur desperatio futuri saeculi, quia dum nimis affectat carnales delectationes magis despicit spirituales.

 -----

1. Ordre concret des six actes mentionnés dans ce passage

  1. L'amour du bien (appétit du bien)
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
  4. La délibération sur les moyens
  5. Le choix d'un moyen
  6. Le commandement

2. Ordre général à travers l'oeuvre

  1. L'amour du bien
  2. Le jugement que ce bien est une bonne fin
  3. Les actes concernant les moyens
    1. Le désir d'un moyen (en raison de la fin aimée recherchée)
    2. Le conseil / délibération sur les moyens
    3. Le jugement issu de la délibération
  4. Le commandement
  5. L'exécution
  6. La jouissance (plaisir/joie)

3. Correspondance des vices engendrés par la luxure avec les actes humains :  

Raison
1. une intellection par laquelle on juge droitement de la fin aveuglement de l'esprit (caecitas mentis)
2. délibération à propos des moyens irréflexion (inconsideratio)
3. jugement final à propos d'un moyen consécutif de la délibération précipitation
4. commandement inconstance (manque de persévérance dans ce qui a été préalablement jugé)
Volonté / Affect
1. amour du bien amour désordonné de soi (quand on appète pour soi de manière in-ordonnée)
2. amour des moyens deséspoir du monde futur (par opposition à l'affect aux moyens de ce monde au service d'un mauvais bien)

 

%MCEPASTEBIN%
  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a9ad1 - La volonté parvient AUSSI à la fin lorsqu'elle la désire intensément, bien qu'elle ne la possède pas encore parfaitement

L'affect [volontaire] (affectus) parvient à la fin,

  • non seulement quand elle possède parfaitement la fin,
  • mais aussi, d’une certaine façon (quodammodo), quand elle la désire intensément (intense desiderat) ;

et par cette façon (hunc modum), d'une certaine manière (aliquo modo), quelqu'un (aliquis) peut être confirmé dans le bien en l’état de voie. 

(DeVer.q24a9ad1)

Affectus pervenit ad finem,

  • non solum quando finem perfecte possidet,
  • sed etiam quodammodo quando ipsum intense desiderat ;

et per hunc modum aliquo modo in statu viae aliquis potest confirmari in bono.

 


  1. La fin étant entendue ici comme fin spirituelle, il est réjouissant de pouvoir lui lier le mot intensément alors qu'il est de nos jours plus guère utilisé que dans le marketing pour qualifié le goût des aliments ou dans l'industrie des loisirs à propos des expériences qu'elle est sensée proposer. Ici, avec Thomas, l'intensité est d'abord dans le désir spirituel de la fin (en dernier lieu, la vision béatifique), désir si intense que les fruits sont déjà comme donnés par avance. Le terme "intensité" est un terme technique largement utilisé au Moyen-Âge.
  2. La dimension affective chez Thomas est à mettre en parallèle avec la dimension effective. Le moment "affect", c'est le moment passif de quelque chose qui touche une personne dans son appétit, qu'il soit sensible ou spirituel. Le moment "effectif" est le moment où la personne atteint réellement ce qui l'a touché. Voir union affective / union effective.
  3. Bien rapprocher le mot intensément du mot intention.
  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

- La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

  • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

 

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

------- [Dans le monde physique] -------

Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

  • premièrement, il lui donne une forme ;
  • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

  • la pesanteur,
  • et le mouvement que celle-ci entraîne.

Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

  • nam primo quidem dat formam,
  • secundo autem dat motum consequentem formam;

sicut generans dat corpori

  • gravitatem,
  • et motum consequentem ipsam.

Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

------- [Dans le monde des passions] -------

De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

  • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
  • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

  • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
  • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
  • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

  • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
  • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
  • et enfin le repos, qui est joie.

Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

  • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
  • ex qua sequitur motus ad appetibile.

Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

  • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
  • et appetitus tendit in appetibile
  • realiter consequendum,

ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

  • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
  • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
  • et ultimo quies, quae est gaudium.
Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

-----

1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens sea été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif... voir l'explication donnée ici.

4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

 

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I-II.q29a6 - On peut parler de l’universel de deux façons

De l'universel d'une double manière il arrive qu'on parle,

  • d'une manière, selon qu’on le considère sous l'intention d’universalité, 
  • d'une autre manière selon la nature à laquelle cette intention est attribuée ; 

en effet

  • autre est la considération de l’homme universel,
  • autre est la considération de l’homme en tant qu’homme.

(Somme, I-II.q29a6)

De universali dupliciter contingit loqui, 

  • uno modo, secundum quod subest intentioni universalitatis; 
  • alio autem modo, de natura cui talis intentio attribuitur, 
  • alia est enim consideratio hominis universalis,
  • et alia hominis in eo quod homo.

 


1. -- Autre est l'idée d'homme, son concept universel, sans rapport direct à tel homme ; autre est le fait de regarder tel homme en tant qu'il est homme, de voir en lui qu'il est un homme.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I-II.q38a2 - Extérioriser le mal intérieur par les larmes adoucie la douleur

  • Comme si on la diffusait à l'extérieur

Les larmes et les gémissements atténuent naturellement la tristesse. Et cela pour une double raison.

  1. Premièrement, 
    • parce que tout élément nocif enfermé à l'intérieur (interius) afflige davantage (parce que davantage est démultipliée (magis multiplicatur) l’attention (intentio) de l’âme à propos de lui ) ;
    • mais quand à l'extérieur (exteriora) il est dispersé, alors l’attention (intentio) de l’âme se trouve en quelque sorte désagrégée (disgregatur) à l'extérieur et ainsi la douleur intérieure est diminuée.

Et pour cela, quand des hommes qui sont dans la tristesse,

    • manifestent leur tristesse à l'extérieur
        • ou par des pleurs
        • ou par des gémissements
        • ou même par des paroles,
  • [alors] la tristesse est atténuée.

  1. Deuxièmement...

(Somme, I-II.q38a2)

Lacrimae et gemitus naturaliter mitigant tristitiam. Et hoc duplici ratione.

  1. Primo quidem,
    • quia omne nocivum interius clausum magis affligit, quia magis multiplicatur intentio animae circa ipsum,
    • sed quando ad exteriora diffunditur, tunc animae intentio ad exteriora quodammodo disgregatur, et sic interior dolor minuitur.

Et propter hoc, quando homines qui sunt in tristitiis,

    • exterius suam tristitiam manifestant
        • vel fletu
        • aut gemitu,
        • vel etiam verbo,
  • mitigatur tristitia.

  1. Secundo,...

 1. -- mitigant : on a hésité avec adoucir et apaiser. Nousa vons finalement gardé la traduction d'origine : "atténuée". Le terme mitigo, en effet, implique un mélange, quelque chose dont on diminue la réalité en mélengeant avec autre chose. La douleur reste, mais son intensité est alors moindre.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q62a9 - L'in-fini répugne à l'intention, l'intention est à l'égard de la fin

Dans chaque mouvement, l'intention du moteur est de porter dans quelque chose de déterminé, vers quoi il a l'intention de conduire (per-ducere) le mobile. En effet, l'intention est de la fin [= tient son être de la fin - ablatif d'origine], et l'indéfini (infinitum) lui répugne.

Somme, I.q62a9)

In unoquoque motu motoris intentio fertur in aliquid determinatum, ad quod mobile perducere intendit : intentio enim est de fine, cui repugnat infinitum.

 


1. -- Où l'on voit que la fin n'est pas un mot pris au hasard. La fin c'est ce qui est fini, c'est à dire précisément ce qui manque à ce qui est mis en mouvement. Il y a mouvement parce qu'on vise quelque chose qui manque, et ce qui est visée est cet état dans lequel n'existe pas ce manque, quelque chose à quoi il ne manque rien dans son ordre. Donc, intéressant de voir que ce qui est mis en mouvement n'est pas motivé par quelque chose qui serait lui-même en manque mais bien par quelque chose qui est en quelque sorte fini, qui possède quelque chose qui manque à celui qui est mis en mouvement. Le vide ne va pas vers le vide. La puissance ne va pas vers la puissance.

2. -- Infinitum : il faudrait traduire in-fini, non dans le sens infini mais dans le sens de ce qui n'est pas fini, terminé, de ce qui est en défaut de quelque chose.

3. -- "l'intention est de la fin", expression similaire fréquemment utilisée par Thomas à propos du libre arbitre : "l'homme est de libre arbitre (est liberi arbitrii)".

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I.q79a10ad3 - Intelligence | Intention | Raisonnement-Découverte | Jugement | Sagesse | Parole intérieure | Parole extérieure

Tous ces actes que le Damascène énumère sont une seule puissance, c'est à dire la [puissance] intellectuelle.

  1. Premièrement elle appréhende simplement quelque chose, et cet acte est dit intelligence.
  2. Deuxièmement, ce qu’elle a appréhendé, elle l'ordonne à quelque chose d'autre à connaître ou à opérer [= agir], et cela est appelé intention.
  3. Alors qu'elle persiste à chercher ce vers quoi elle tend, cela est appelé découverte par la réflexion.
  4. Alors qu'elle examine ce qui a été découvert par la réflexion pour [parvenir] à quelque chose de certain, cela est dit connaître ou faire oeuvre de sagesse (scire ver sapere) ; ce qu'est la phronèsis ou la sagesse, car "la sagesse c'est juger ", comme il est dit en Métaphysique I.
  5. Alors qu'elle tient quelque chose pour certain, comme quelque chose qui a été examiné, elle pense à comment manifester [= communiquer] cela aux autres, et cela est la disposition de la parole intérieure (intrioris sermonis) ;
  6. de quoi procède la parole extérieure (exterior locutio).

Et en effet toute différence dans les actes ne se diversifie pas en puissances ; mais celle-là seulement qui ne peut être réduite au même principe, comme il a été dit plus haut.

(Somme, I.q79a10ad3)

 

Omnes illi actus quos Damascenus enumerat, sunt unius potentiae, scilicet intellectivae.

  1. Quae primo quidem simpliciter aliquid apprehendit, et hic actus dicitur intelligentia.
  2. Secundo vero, id quod apprehendit, ordinat ad aliquid aliud cognoscendum vel operandum, et hic vocatur intentio.
  3. Dum vero persistit in inquisitione illius quod intendit, vocatur excogitatio.
  4. Dum vero id quod est excogitatum examinat ad aliqua certa, dicitur scire vel sapere; quod est phronesis, vel sapientiae, nam sapientiae est iudicare, ut dicitur in I Metaphys.
  5. Ex quo autem habet aliquid pro certo, quasi examinatum, cogitat quomodo possit illud aliis manifestare, et haec est dispositio interioris sermonis;
  6. ex qua procedit exterior locutio.

Non enim omnis differentia actuum potentias diversificat; sed solum illa quae non potest reduci in idem principium, ut supra dictum est.

  

-----

1. -- Excogitatio : Ch. V. Héris : réflexion ; F.-X. Putallaz : invention.

2. -- Appréhension --> Intention --> Réflexion --> Jugement (oeuvre de sagesse) --> Parole intérieure --> Parole extérieure

3. -- On notera que l'appréhension est ici appelée intelligence, c'est à dire acte de l'intellect. Mais l'appréhension n'est pas le seul acte de l'intellect, celui-ci peut aussi juger, (même si, pour se faire, il est souvent besoin de faire appel aux raisonnements de la raison). Voir DeVer.q15a1ad4.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - III.q85a1ad3 - Vouloir l'impossible est stupide

Avoir la douleur de ce qui a d'abord été fait, avec l'intention de tenter que ce qui a été fait n'ait pas existé, serait sot.

Somme, III.q85a1ad3

Dolere de eo quod prius factum est cum hac intentione conandi ad hoc quod factum non fuerit, esset stultum.

 


1. -- Dolere : d'autres ont traduit par "Regretter".

2. -- Autrement dit, pour Thomas, vouloir l'impossible est stupide. Ce ne sera pas le cas pour Duns Scot qui cherchera à montrer, à l'occasion de propos sur la chute du diable, qu'il est possible de vouloir l'impossible ; et pour le diable, de vouloir être Dieu alors qu'il sait ne pas être Dieu et qu'il est impossible de le devenir.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - L'extase dans le Commentaire des Noms Divins (4.10.426-441)

Bien noter : 

  • l'induction du fait que l'amour est extatique qui montre que dès qu'il y a amour, il y a dans le même temps extase, sortie de soi

426. Après que Denys ait déterminé à propos de l’amour, ici, il détermine à propos de l’extase qui est un effet de l’amour et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre que l’extase est un effet de l’amour ;
  • deuxièmement, il manifeste cela dans les créatures, là où il dit (169) : Et elles montrent… ;
  • troisièmement, il manifeste cela en Dieu, là où il dit (171) : Osons dire…

426. Postquam Dionysius determinavit de amore, hic determinat de extasi quae est effectus amoris et circa hoc, tria facit :

  • primo, proponit extasim esse amoris effectum ;
  • secundo, manifestat hoc in creaturis ; ibi : et monstrant et cetera ;
  • tertio, manifestat hoc in Deo ; ibi : audendum et cetera.
[1. L'EXTASE EFFET DE L'AMOUR]  

427. Concernant le premier point, il faut considérer là une différence entre les puissances

  • cognitives
  • et appétitives,

à savoir que

  • car l'acte de la puissance cognitive se fait selon que ce qui est connu est dans le connaisasnt,
  • alors que l'acte de la puissance appétitive se fait selon l'inclination que l'appétit a envers ce qui est appété [désiré].

Mais la première opération de l’appétit est l’amour ainsi il a été dit plus haut (401), d’où il suit que l’amour porte en lui la première inclination de l’appétit dans la chose (rem) selon que cette dernière a raison de bien, lequel est l’objet de l’appétit.

427. Circa primum, considerandum est quod haec est differentia inter vim

  • cognoscitivam
  • et appetitivam,

quia

  • actus virtutis cognoscitivae est secundum quod cognita sunt in cognoscente,
  • actus autem virtutis appetitivae est secundum inclinationem quam habet appetens ad rem quae appetitur.

Prima autem operatio appetitus est amor, ut supra dictum est, unde amor importat primam inclinationem appetitus in rem secundum quod habet rationem boni, quod est obiectum appetitus.

428. Mais ainsi que l’être est dit de deux manières, c’est-à-dire

  • de ce qui subsiste par soi
  • et de ce qui existe dans un autre,

de même le bien se dit de deux manières :

  • d'une première manière, il est dit de la réalité subsistante qui a en elle un bien,
    • comme l’homme qui est dit bon ;
  • d'une autre manière, il est dit de ce qui existe en quelqu'un et qui le fait bon,
    • comme la vertu qui est dite bien de l’homme, par laquelle il est bon ;

de même le blanc est dite être (ens),

  • non parce que elle-même serait [une chose] subsistante dans son être,
  • mais ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc de deux manières que l’amour tend vers quelque chose :

  • d'une première manière, comme vers un bien substantiel,
    • ce qui en effet arrive comme lorsque (dum sic) nous aimons quelque chose de telle sorte (ut) que nous lui voulons du bien,
      • comme quand nous aimons un homme en lui voulant du bien ;
  • d'une autre manière, lorsque l’amour tend vers quelque chose, comme vers un bien accidentel,
    • par exemple nous aimons la vertu
      • non pas certes pour cette raison que nous voulons qu’elle soit bonne,
      • mais plutôt pour que grâce à elle nous soyons bons.
  • La première sorte d’amour, certains la nomment amour d’amitié
  • tandis qu’ils réservent pour la seconde le nom d’amour de concupiscence.

428. Sicut autem ens dupliciter dicitur, scilicet

  • de eo quod per se subsistit
  • et de eo quod alteri inest,

ita et bonum :

  • uno modo, dicitur de re subsistente quae habet bonitatem,
    • sicut homo dicitur bonus ;
  • alio modo, de eo quod inest alicui, faciens ipsum bonum,
    • sicut virtus dicitur bonum hominis, quia ea homo est bonus ;

similiter enim albedo dicitur ens,

  • non quia ipsa sit subsistens in suo esse,
  • sed quia ea aliquid est album.

Tendit ergo amor dupliciter in aliquid :

  • uno modo, ut in bonum substantiale,
    • quod quidem fit dum sic amamus aliquid ut ei velimus bonum,
      • sicut amamus hominem volentes bonum eius ;
  • alio modo, amor tendit in aliquid, tamquam in bonum accidentale,
    • sicut amamus virtutem,
      • non quidem ea ratione quod volumus eam esse bonam,
      • sed ratione ut per eam boni simus.
  • Primum autem amoris modum, quidam nominant amorem amicitiae ;
  • secundum autem, amorem concupiscentiae.

429. Il arrive (contingit) cependant parfois que nous aimions même certains biens subsistants d’un amour de concupiscence

  • parce que nous ne les aimons pas pour elles-mêmes,
  • mais pour ce qu’elles possèdent ;

c’est ainsi

  • que nous aimons le vin lorsque nous voulons, en le buvant, jouir de sa douceur ;
  • ou de manière similaire, avec un homme qui est aimé
    • à cause du plaisir
    • ou de l’utilité 
    • non pour lui-même
    • mais par accident,  (405).

429. Contingit autem, quandoque, quod etiam aliqua bona subsistentia amamus hoc secundo modo amoris,

  • quia non amamus ipsa secundum se,
  • sed secundum aliquod eorum accidens ;

sicut

  • amamus vinum, volentes potiri dulcedine eius ;
  • et similiter, cum homo
    • propter delectationem
    • vel utilitatem amatur,
    • non ipse secundum se amatur,
    • sed per accidens.

[Après un préambule, on commence ici à répondre à la question]

430. Ainsi donc, dans l'un et l'autre mode d’amour, l’affect de l’amant, par une certaine inclination, est attiré vers la chose aimée, mais selon divers modes :

  • car dans le deuxième mode d'amour [l'amour de concupiscence], l’affect de l’amant est attiré vers la chose aimée par un acte de la volonté, mais par [= à cause de] son intention, l’affect revient rapidement (recurrit)1 en lui-même (in seipsum) :

en effet, lorsque j'appète [= je désire] la justice ou le vin,

    • mon affect est incliné vers l’un de ces autres,
    • mais cependant il retourne rapidement (recurrit) en lui-même

parce qu’il se porte vers les choses susdîtes de telle manière que par elles il lui arrive (sit) un bien  ;

c’est pourquoi un tel amour ne place pas l’amant à l'extérieur de lui-même (extra se), quant à [= en raison de] la fin de l'intention.

  • Mais avec le premier mode d'amour, l'affect de l'amant est porté vers la réalité aimée de telle manière qu’il n'y ait pas ce retour rapide (recurrit) sur lui-même,
    • parce que c’est à la réalité aimée elle-même qu’il veut du bien
    • et non pour cette raison qu’il voudrait qu’au moyen d’elle il lui arrive (accidit) ensuite quelque chose [= un bien].

Ainsi donc c’est un tel amour qui fait l’extase parce qu'il place l’amant à l'extérieur de lui-même (extra seipsum).

430. In utroque igitur modo amoris, affectus amantis per quamdam inclinationem trahitur ad rem amatam, sed diversimode : 

  • nam in secundo modo amoris, affectus amantis trahitur ad rem amatam per actum voluntatis, sed per intentionem, affectus recurrit in seipsum ;

dum enim appeto iustitiam vel vinum,

    • affectus quidem meus inclinatur in alterum horum,
    • sed tamen recurrit in seipsum,

quia sic fertur in praedicta ut per ea bonum sit ei ;

unde talis amor non ponit amantem extra se, quantum ad finem intentionis.

  • Sed cum aliquid amatur primo modo amoris, sic affectus fertur in rem amatam, quod non recurrit in seipsum,
    • quia ipsi rei amatae vult bonum,
    • non ex ea ratione quia ei exinde aliquid accidat.

Sic igitur talis amor extasim facit, quia ponit amantem extra seipsum.

431. Mais cet [amour d'amitié] se produit de trois manières ; en effet, ce bien substantiel peut se porter de trois manières à l’affect :

  • d'une première manière, selon que le bien est plus parfait que l’amant lui-même
    • et par cela l’amant se compare au bien comme la partie au tout,
    • car ce qui existe en totalité dans ce qui est parfait n'existe qu'en partie dans ce qui est imparfait ;
    • par conséquent, selon cela, l’amant est quelque chose de l’aimé.
  • Deuxièmement, selon que le bien aimé est du même ordre que l’amant.
  • Troisièmement, selon que l’amant est plus parfait que ce qui est aimé et ainsi l’amour de l’amant se porte vers l'aimé comme vers quelque chose qui lui appartient [litt. : de sien].

431. Sed hoc contingit tripliciter ; potest enim illud substantiale bonum, in quod affectus fertur, tripliciter se habere :

  • uno modo sic, quod illud bonum sit perfectius quam ipse amans
    • et per hoc amans comparetur ad ipsum ut pars ad totum,
    • quia quae totaliter sunt in perfectis partialiter sunt in imperfectis ;
    • unde secundum hoc, amans est aliquid amati.
  • Alio modo sic, quod bonum amatum sit eiusdem ordinis cum amante.
  • Tertio modo, quod amans sit perfectius re amata et sic amor amantis fertur in amatum, sicut in aliquid suum.

432. Ainsi donc,

A. quand l’appétit de l’amant se porte vers l’aimé comme vers un [être] supérieur dont un quelque chose [une partie] est l’amant lui-même, alors l’amant ordonne son propre bien vers l’aimé ;

    • par exemple, si la main aimait l’homme, elle ordonnerait cela-même qu’elle est vers le tout [le tout qu'est l'homme],
    • d’où elle se placerait totalement à l'extérieur d’elle-même
    • car en aucune manière il lui resterait quelque chose d'elle
    • mais elle ordonnerait tout vers l'aimé, [c'est-à-dire à l’homme].

B. Il n’en est pas ainsi quand un être en aime un autre de même rang ou qui lui est inférieur :

    • en effet, si une main en aimait une autre, elle ne s'ordonnerait pas totalement vers l’autre ;
    • et un homme qui aime sa main n'ordonne pas tout son bien vers le bien de la main.

Ainsi donc

A. quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

B. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif, donc : dans sans mouvement] de sorte 

    • qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ;
    • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

432.

A. Sic igitur cum affectus amantis fertur in amatum superius, cuius aliquid est ipse amans, ipsum suum bonum amans ordinat in amatum ;

  • sicut si manus amaret hominem, hoc ipsum quod ipsa est in totum ordinaret,
  • unde totaliter extra se poneretur,
  • quia nullo modo aliquid sui sibi relinqueretur,
  • sed totum in amatum ordinaret.

B. Non autem ita est, cum aliquid amat sibi aequale vel id quod infra se est :

  • non enim una manus, si aliam amaret, totam se in aliam ordinaret,
  • neque homo amans suam manum, totum bonum suum in bonum manus ordinat.

A. Sic ergo aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

B. Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.

433. Ainsi donc l’amour divin peut ici s’accepter de deux manières :

  • d'une première manière, de l’amour par lequel Dieu est aimé

et c’est ainsi qu’il faut expliquer cette parole qui dit que l’amour divin fait l’extase,

    • c’est-à-dire qu’il place l’amant hors de lui,
    • c’est-à-dire qu’il l’ordonne à Dieu de telle sorte qu’il ne permet pas aux amants d’exister pour eux-mêmes
    • mais pour les réalités divines qu’ils aiment, car il ne leur reste rien qui ne soit ordonné à Dieu.

 

  • D'une autre manière, l’amour divin peut s’entendre de l’amour qui vient de Dieu,
    • non seulement de celui qui est en Lui,
    • mais aussi de celui qui est dans les autres, c’est-à-dire les égaux et les inférieurs

et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui suit :

n'abandonnant pas tant (tantum) les amantsà ce qui leur est propre,
mais à ceux qui sont aimés,

c’est-à-dire à ceux qui sont aimés, car c’est l’amour qui fait

    • qu’ils ne se contentent pas seulement de se replier sur eux-mêmes,
    • qu'ils ne tendent pas seulement vers eux-même, 
    • mais aussi vers les autres.

433. Sic igitur amor divinus dupliciter potest hic accipi :

  • uno modo, amor quo Deus amatur

et sic exponenda est haec littera quod amor divinus facit extasim,

    • idest ponit amantem extra se,
    • idest ordinat ipsum in Deum ita quod non permittit ipsos amatores esse sui ipsorum,
    • sed rerum divinarum quae amantur, quia nihil sui sibi relinquunt quin in Deum ordinent.

 

  • Alio modo, potest intelligi amor divinus qui est a Deo derivatus,
    • non solum in Deum,
    • sed etiam in alia, scilicet aequalia vel inferiora

et sic intelligendum est : 

non dimittens amatores esse sui ipsorum tantum, 
sed amatorum,

idest eorum quae amantur, quia amor facit

    • quod non solum sibi intendant,
    • sed etiam aliis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET DANS LES CREATURES]  

434. Ensuite, lorsqu’il dit (169) : Et ils montrent…il manifeste dans les créatures ce qu’il vient de dire ;

  • et d’abord, par mode d’induction ;
  • deuxièmement par un recours à l’autorité lorsqu’il ajoute (170) : C’est à cause de cela

434. Deinde, cum dicit : et monstrant et cetera, manifestat quod dixerat, in creaturis ;

  • et primo, per inductionem ;
  • secundo, per auctoritatem ; ibi : propter quod et cetera.
[a. Manifestation par voie d'induction]  

435. Il dit donc en premier que cet effet de l’amour, à savoir l’extase,

  • les réalités supérieures en font la preuve (demonstrant) au moyen de la providence qu’elles exercent (faciunt) à l’égard des réalités inférieures ;

c’est en cela en effet qu’elles sont placées d’une certaine manière hors d’elles-mêmes puisqu'alors elles se tournent vers les autres ;

  • et de même, celles qui sont co-ordonnées, à savoir les égales, manifestent la même chose par le support qu'elles exercent les unes à l'égard des autres, c’est-à-dire pour autant qu’elles s’entraident et s’entretiennent mutuellement ;
  • et les réalités inférieures le montrent par le fait qu'elles sont plus divinement convertis en les réalités qui leur sont supérieures, comme vers celles en qui leur bien existe.

Dans tous ces cas [n.b. : = le signe de l'induction] en effet il apparaît qu’une réalité sort d’elle-même aussitôt [dum = pendant que, indique ici la concommitance] qu’elle se tourne vers une autre.

On se sert ici du génitif au lieu de l’ablatif car la langue grecque en est dépourvue.

435. Dicit ergo primo quod praedictum effectum amoris,

  • demonstrant superiora per providentiam quam faciunt de inferioribus ;

in hoc enim quodammodo extra se ponuntur, quod aliis intendunt ;

  • et similiter, monstrant coordinata, idest aequalia, per continentiam qua se invicem continent, prout scilicet, unum ab altero iuvatur et fovetur ;
  • et monstrant etiam inferiora per hoc quod divinius convertuntur in sua superiora, ut in quibus eorum bonum existit.

In omnibus enim his apparet quod aliquid extra se exit, dum ad alterum convertitur.

Utitur autem hic genitivis pro ablativis, quia Graeci ablativis carent.

[b. Manifestation par voie d'autorité]  
 

436. Ensuite, lorsqu’il dit (170) : C’est à cause de cela… il montre la même chose, mais par voie d’autorité ;

et il dit que c’est à cause de cela que

  • l’amour ne permet pas à l’amant d'exister pour lui-même, [l'amour de type amour d'amitié en tant que tel implique une sortie et ne peut se contenter de rester en soi]
  • mais [le pousse à exister] pour l’aimé,

comme on le voit chez le grand Paul qui fut établi dans l’amour divin

  • comme dans une étreinte
  • et par une puissance de l’amour divin qui le fit sortir totalement de lui-même

lorsqu’il dit, en parlant comme par la bouche de Dieu, au deuxième chapitre de l’épître aux Galates (2, 20) : ¨Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi¨,

c'est à dire qu’il était sorti de lui-même, se projetant totalement en Dieu (totum se in Deum proiecerat),

ne cherchant pas

  • ce qui est à lui [litt. "est sien" ; = son bien propre]
  • mais ce qui est à Dieu [= le bien de Dieu, dans l'amour d'amitié, on recherche le bien de l'autre,... il appartient à Dieu d'être aimé...],

comme un vrai amant transporté dans l’extase,

  • vivant de Dieu
  • et ne vivant pas de sa propre vie
  • mais de celle du Christ, son Amour, laquelle lui paraissait de loin préférable.
 

436. Deinde, cum dicit : propter quod et cetera, ostendit idem per auctoritatem ;

et dicit quod propter hoc quod 

  • amor non permittit amatorem esse sui ipsius,
  • sed amati, 

magnus Paulus constitutus in divino amore

  • sicut in quodam continente 
  • et virtute divini amoris faciente ipsum totaliter extra se exire,

quasi divino ore loquens dicit, Galat. 2 : vivo ego, iam non ego, vivit autem in me Christus 

scilicet quia a se exiens totum se in Deum proiecerat,

non quaerens

  • quod sui est,
  • sed quod Dei, 

sicut verus amator et passus extasim,

  • Deo vivens 
  • et non vivens vita sui ipsius,
  • sed vita Christi ut amati, quae vita erat sibi valde diligibilis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET EN DIEU]  

437. Ensuite, lorsqu’il dit (171) : Osons dire

  • il dit qu’il faut affirmer que l’opération de l’amour dont nous venons de parler se retrouve aussi en Dieu, en disant que 
  • ceci est dit audacieusement comme une vérité,
    • c'est à dire établir (faciente) cette vérité audacieusement ;
  • ou, comme une vérité,
    • c'est-à-dire qu’il faut affirmer comme vrai

que Lui-même,

qui est la cause de toute chose par son amour beau et bon par lequel Il aime tout,
selon l’abondance de sa bonté par laquelle il aime les choses,

sort de Lui-même

    • en tant qu'Il pourvoit aux besoins de tout ce qui existe par
      • sa bonté,
      • son amour
      • et sa charité,
    • et d'une certaine manière il est attiré et mis à terre (deponitur)
    • de manière relative à sa propre excellence,
      • selon le fait qu'il existe au-dessus de toutes choses
      • et qu'il est séparé de toutes choses,
    • de sorte qu'il est en toutes choses,
    • par les effets de sa bonté,
    • selon une certaine extase
    • qui le fait cependant exister dans tous les inférieurs,
    • de telle sorte que sa puissance supersubstantielle ne sorte pas de Lui (non egrediatur ab ipso).
    • En effet il comble toutes les choses sans que sa puissance ne soit épuisée dans aucune d’elles.

C’est ce que Denys ajoute certes pour montrer que par le mot ‘mis à terre(deponitur),

    • il ne faut pas comprendre que Dieu soit diminué,
    • mais seulement qu'il se communique à ceux qui participent de sa bonté.

437. Deinde, cum dicit : 

  • audendum et cetera, dicit quod praedicta operatio amoris etiam in Deo invenitur, dicens quod 
    • hoc audacter dicendum est pro veritate,
      • idest veritatem hanc audacter faciente ;
    • vel pro veritate,
      • idest pro vero hoc asserendo, 

quod ipse 

qui est omnium causa per suum pulchrum et bonum amorem quo omnia amat,
secundum abundantiam suae bonitatis qua amat res, 

fit extra seipsum,

    • inquantum providet omnibus existentibus per
      • suam bonitatem
      • et amorem
      • vel dilectionem
    • et quodammodo trahitur et deponitur 
    • quodammodo a sua excellentia, 
      • secundum quod supra omnia existit 
      • et ab omnibus segregatur,
    • ad hoc quod sit in omnibus,
    • per effectus suae bonitatis,
    • secundum quamdam extasim,
    • quae tamen sic ipsum facit in omnibus inferioribus esse,
    • ut supersubstantialis eius virtus non egrediatur ab ipso.
    • Sic enim implet omnia quod ipse in nullo evacuetur sua virtute.

Quod quidem addit, ut per hoc quod dixerat : deponitur,

  • non intelligatur aliqua minoratio,
  • sed hoc solum quod se inferioribus ingerit propter suae bonitatis participationem.
   

 -----

0. Vérifier que la traduction de "in" par "vers" est toujours correcte (il faut l'accusatif).

1. Recurrit : courrir en arrière, revenir en courant, revenir vite, revenir

2. Dans l'amour de conupiscence, il y a un premier temps où l'on sort de soi mais c'est pour un bref instant, le temps de prendre ce qui nous intéresse à l'extérieur pour le ramener en soi. Donc, l'extase est ici certes dans un premier stade, contrairement à l'amour naturel de soi qui ne nécessite pas de sortir de soi, mais elle ne demeure pas dans cet état. Seul l'amour d'amitié restera tendu vers l'autre et demeurera dans cet "état de sortie".

3. Traduction originale du n° 437 : "... et que d’une certaine manière il se prolonge et s’abandonne, mais  à cause de son excellence conformément à Son existence qui demeure au-dessus et séparée de tout dans l’existence de tous les êtres, selon une certaine extase..."

4. n° 437 : "deponitur" :

  • trad. originale : "s'abandonne".
  • Traduction du grec par Sources Chrétiennes 478 : "et, pour ainsi dire, se laisse séduire par la bonté, la dilection et l'amour" ;
  • traduction de Georges Darboy : "et daigne bien se laisser vaincre aux charmes de la bonté, de la dilection et de l’amour".

5. n° 437 : "supersubstantialis eius" : trad. originale : "sa substance qui est au-dessus de toute substance"

  • Dernière mise à jour le .