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Thomas d'Aquin - I-II.q26a2 - La passion amour est circulaire, de même que l'amour volontaire (spirituel)

AVERTISSEMENT important à propos de cette traduction :

- La traducteur initial a constamment traduit appetibile par objet du "désir" ou "désirable", ce qui est très dommageable pour la compréhension car alors on ne distingue plus entre appétit et désir. En effet, le bien exerçant son influence sur l'appétit donne un fruit qu'est l'amour, cet amour se manifeste alors comme désir. Ainsi, une bonne traduction de ce passage permet de comprendre, dans ce texte, l'unique usage du mot désir.

  • Bien + appétit --> amour-affectif --> amour-désir --> amour effectif.

Nous avons traduit dans un premier temps par "objet de l'appétit", puis nous nous sommes décidés à traduire simplement "appétible" car il est assez rapide de s'adapter à ce mot qui n'existe pas immédiatement dans la langue française. 

 

La passion est l’effet de la cause agente dans le patient. Respondeo dicendum quod passio est effectus agentis in patiente.

------- [Dans le monde physique] -------

Or un agent naturel produit (inducit) un double effet dans le patient : 

  • premièrement, il lui donne une forme ;
  • deuxièmement, il lui donne le mouvement consécutif à cette forme,

comme ce qui génère [= ce qui est à la source --> litt. : le générant : = le générateur] donne au corps

C’est ainsi que la cause génératrice donne au corps engendré

  • la pesanteur,
  • et le mouvement que celle-ci entraîne.

Cette pesanteur elle-même, principe du mouvement vers le lieu connaturel, peut être appelée d’une certaine manière (quodammodo) amour naturel.

Agens autem naturale duplicem effectum inducit in patiens,

  • nam primo quidem dat formam,
  • secundo autem dat motum consequentem formam;

sicut generans dat corpori

  • gravitatem,
  • et motum consequentem ipsam.

Et ipsa gravitas, quae est principium motus ad locum connaturalem propter gravitatem, potest quodammodo dici amor naturalis.

------- [Dans le monde des passions] -------

De la même façon, l’appétible (appetibile) donne à l’appétit,

  • d’abord une certaine adaptation (coaptationem) envers lui, qui consiste à se complaire (complacentia) dans l'appétible (appetibilis), [= amour affectif]
  • et d’où procède le mouvement vers cet appétible (appetibile). [= amour-désir ou amour-concupiscant]

Car « le mouvement de l’appétit est circulaire », comme il est dit dans le De Anima d'Aristote :

  • l'appétible (appetibile) meut l’appétit, en se formant en quelque sorte dans son intention, [= amour affectif, actuation de l'appétit]
  • et l’appétit tend vers l'appétible (appetibile) [= amour-désir]
  • pour que s'ensuive [de l'atteindre] réellement ; [= amour effectif]

ainsi le mouvement se finit là où il avait son principe.

  • Le premier changement intérieur de l’appétit (immutatio appetitus) par l'appétible (appetibili) est appelée amour, ce qui n’est rien d’autre que la complaisance dans l'appétible ;
  • de cette complaisance suit le mouvement vers l’appétible, qui est désir,
  • et enfin le repos, qui est joie.

Sic etiam ipsum appetibile dat appetitui,

  • primo quidem, quandam coaptationem ad ipsum, quae est complacentia appetibilis;
  • ex qua sequitur motus ad appetibile.

Nam appetitivus motus circulo agitur, ut dicitur in III de anima,

  • appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione;
  • et appetitus tendit in appetibile
  • realiter consequendum,

ut sit ibi finis motus, ubi fuit principium.

  • Prima ergo immutatio appetitus ab appetibili vocatur amor, qui nihil est aliud quam complacentia appetibilis;
  • et ex hac complacentia sequitur motus in appetibile, qui est desiderium;
  • et ultimo quies, quae est gaudium.
Ainsi donc, puisque l’amour consiste dans une certaine modification de l’appétit sous l’influence de l'appétible, il est évident que c’est une passion ; au sens propre, selon qu’il se trouve dans le concupiscible ; dans un sens plus général, et par extension du mot (extenso nomine), en tant qu’il est dans la volonté. (Somme, I, q. 26, a. 2, c.) Sic ergo, cum amor consistat in quadam immutatione appetitus ab appetibili, manifestum est quod amor et passio, proprie quidem, secundum quod est in concupiscibili; communiter autem, et extenso nomine, secundum quod est in voluntate.

BEAUCOUP de vocabulaire à méditer, il faut revenir dessus souvent. Il semble que cet article écrit par Thomas soit le fruit d'une longue expérience/réflexion. C'est très concentré, il faut "hydrater" ce qui est écrit pour en voir toute l'ampleur.

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1. -- appetibile enim movet appetitum, faciens se quodammodo in eius intentione : faciens sea été traduit par s’imprimant dans d'autres traductions. On aurait pu aussi traduire littéralemnt : "en se faisant".

2. -- BIEN NOTER que le couple désir/joie au plan spirituel répond au couple concupiscence/plaisir au plan sensible.

3. -- L'amour-complaisance est l'amour affectif qui, tout en restant affectif, se mue en amour effectif... voir l'explication donnée ici.

4. -- Le mode circulaire du mouvement dans l'amour sensible se retrouve dans l'amour volontaire (voir derniers mots).

5. -- Bien voir le passage de l'intention à la possession réelle du bien extérieur.

6. -- La forme intentionnelle du bien "se fait" (faciens se), il y a une fabrication, il a une assimilation qui crée une forme, le bien se fait une présence intentionnelle dans l'âme de celui à qui est apportée la connaissance de ce bien.

7. -- Voir la succession des mots intentione et tendit. On frappe d'abord la capacité d'intentioner puis on tend. Le mot appétit lui-même ayant pour origine le fait de tendre.

8. -- Intéressante analogie implicite entre pesanteur et appétit. Il y a qqch en nous dont le poids nous emporte vers un certain lieu.

9. -- Le terme "appétit" est utilisé sur le plan de la volonté par extension (extenso nomine), son origine provient du plan du concupiscible (au sens neutre moralement) où il a son application première.

 

 

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Thomas d'Aquin - L'amour dans le Commentaire des Noms Divins - Ce que dit Hiérothée au sujet de l’amour - (4.12.451 et ss)

Points forts : 

455. : "l’amour en effet est une union selon que l’amant et l’aimé conviennent en quelque chose d'un"


 

 

 

 

 
  Leçon 12 (22a) : Ce que dit Hiérothée au sujet de l’amour.
451.-453. 451.-453.
 

454. En premier lieu, il distingue cinq amour :

  1. le premier est l’amour divin ;
  2. le second, l’amour angélique ;
  3. le troisième est l’amour intellectuel, à savoir celui par lequel les hommes aiment selon leur puissance intellectuelle ;
  4. le quatrième est l’amour animal qui se rapporte à la partie sensitive et que l’on retrouve
    • chez les hommes
    • et chez les animaux ;
  5. le cinquième est l’amour naturel, qui se rapporte à l’appétit naturel et que l’on retrouve
    • soit chez les animaux quant à leur puissance végétative,
    • soit chez les plantes,
    • soit même chez les êtres inanimés.

En effet, puisque nous avons dit que l’amour renvoie au premier mouvement de la volonté et de l’appétit, là où l’on retrouvera la volonté et l’appétit, on retrouvera nécessairement l’amour.

454. Distinguit, primo, quinque amores :

  1. quorum primus est amor divinus ;
  2. secundus amor angelicus ;
  3. tertius amor intellectualis, quo scilicet homines amant secundum intellectivam partem ;
  4. quartus est amor animalis qui pertinet ad sensitivam partem sive in hominibus sive in animalibus ;
  5. quintus est naturalis qui pertinet ad appetitum naturalem,
    • sive in animalibus quantum ad nutritivam partem
    • sive in plantis
    • sive etiam in rebus inanimatis.

Cum enim dictum sit quod amor importet primum motum voluntatis et appetitus, in quibuscumque contingit esse voluntatem et appetitum, contingit esse amorem.

Commentaire sur ce qui suit : TH. pointe ici un abus de langage de la part de Denys, l'amour n'est pas une puissance, mais une relation de convenance entre deux réalités.

L'amour n'est alors pas une puissance d'union ou de rapprochement mais est lui-même une union efficace et un rapprochement efficace ; efficace, c'est à dire qui produit un effet.

Et dans la Somme, TH. comptera l'union comme le premier des effets de l'amour.

455. Mais la notion commune d’amour convient à toutes les sortes d’amour qui précèdent. C’est pourquoi Denys ajoute que [ce qui suit procède de induction :]

  • quelle que soit la sorte d’amour que nous nommions,
  • nous intelligeons par le nom ‘amour’ une puissance d’union et de rapprochement.

Mais le mot puissance (virtus) ne s’entend ici

  • ni au sens d’une passion
  • ni au sens d’une disposition,

puisque l’amour n’est

  • ni une passion
  • ni un acte,

mais en un sens plus large

  • tout ce qui possède une efficacité de produire quelque chose, peut être dit
    • puissance (virtus)
    • ou puissant (virtuosum)
  • et c’est pourquoi il aurait été plus clair de dire de l’amour qu’il est une union et un rapprochement puissants
  • mais il préféra, parlant avec emphase (emphatice loquens) pour manifester l'efficace de l’amour, le nommer puissance.

Mais l’union diffère du rapprochement :

[L'union]

l’amour en effet est une union selon que l’amant et l’aimé conviennent en quelque chose d'un (in aliquo uno), qu’il s’agisse

  • ou d’une substance commune aux deux, comme lorsqu’un être s’aime lui-même (amat seipsum) ;
  • oud’une même espèce, lorsque deux animaux de même espèce s’aiment réciproquement (se  invicem diligunt) ;
  • ou d’une même patrie, comme lorsque deux compatriotes s’aiment (se diligunt) ;
  • ou encore d'un autre [convenance].

[Rapprochement (Concretio)]

Mais le rapprochement se rapporte à l’amour selon que les réalités unies demeurent distinctes sous un autre rapport, à savoir quant à la distinction qu’il y a entre l’amant et l’aimé.

 

455. Communis autem quaedam notificatio amoris, omnibus praedictis amoribus conveniens est ; unde subiungit quod,

  • quemcumque praedictorum amorum nominemus,
  • intelligimus per nomen amoris, quamdam virtutem unitivam et concretivam.

Sed virtus hic non accipitur

  • nec pro passione
  • nec pro habitu,

cum amor non sit

  • passio
  • vel actus,

sed accipitur communiter

  • prout omne illud quod habet efficaciam ad aliquid producendum, potest dici
    • virtus
    • vel virtuosum,
  • unde planius esset si diceretur unitio et concretio virtuosa,
  • sed maluit dicere virtutem, emphatice loquens, ad ostendendum efficaciam amoris.

Unitio autem a concretione differt ;

[Unitio]

est enim amor unitio secundum quod amans et amatum conveniunt in aliquo uno

  • sive illud sit substantia utriusque, sicut cum aliquis amat seipsum ;
  • sive sit species, sicut animalia quae sunt eiusdem speciei se invicem diligunt ;
  • sive sit patria, sicut compatriotae se diligunt ;
  • sive sit quodcumque aliud.

[Concretio]

Concretio autem ad amorem pertinet, secundum quod ea quae sic uniuntur quantum ad aliquid distincta remanent, scilicet quantum ad divisionem amantis et amati.

456. Cependant, cette union et ce rapprochement ne se retrouvent pas de la même manière dans toutes les sortes d’amour.... 456.Haec autem unitio vel concretio diversimode in diversis amoribus inveniuntur....

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Thomas d'Aquin - L'amour dans le Commentaire des Noms Divins (4.9.394-425)

Bien noter / best of : 

  • Le n° 401 est de toute première importance
  • induction du bien comme principe
  • "personne ne s’attriste d’une chose, si ce n’est parce qu’elle est contraire à ce qu’il aime" (401) --> la tristesse est relative au bien en tant que son acquisition est contrariée.
  • "une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ; et cet amour est nommé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié ;" (404)
  • "Tout ce qui est par accident se ramène à ce qui est par soi. Ainsi donc, cela même que nous aimons parce que c’est ce grâce à quoi un bien arrive à un autre, cela est compris dans l’amour de celui que nous aimons comme étant celui à qui nous voulons du bien." (405)

 

 394

 

[84852] In De divinis nominibus, cap. 4 l. 9

PLAN
 

395

  • Après avoir déterminé du beau et du bien qui poussent à l’amour,
  • Denys traite ici le l’amour en lui-même ;
    • et en premier, en ses propres mots ;
    • deuxièmement, au moyen des paroles de Hiérothée, lorsqu’il dit (179) : Et ces choses, notre noble… (leçon 12a).

Au sujet du premier point, il fait deux choses :

  • d’abord, il traite de l’amour divin ;
  • deuxièmement, il montre comment on dit de Dieu qu’Il est
    • à la fois amour
    • et aimable lorsqu’il dit (173) : Cependant, qu'est-ce que… (leçon 11a)
 

395.

  • Postquam Dionysius determinavit de pulchro et bono quae incitant ad amandum,
  • hic determinat de ipso amore ;
    • et primo, per verba propria ;
    • secundo, per verba Hierothei, ibi : haec et nobilis et cetera ;

circa primum, duo facit :

  • primo, determinat de amore divino ;
  • secundo, ostendit quomodo Deus
    • et amor
    • et amabilis dicatur ; ibi : quid autem et cetera.

396. Au sujet de l’amour divin, il fait trois choses :

  • premièrement, il détermine [ce qu'est] l’amour lui-même ;
    [ce qui suit sera l'objet de la leçon n° 10]
  • deuxièmement, de l’extase, qui est un effet de l’amour, là où il dit (168) : Il est cependant…, (leçon 10a) ;
  • troisièmement, il traite du zèle, qui est une certaine espèce d’amour, là où il dit (172) : C’est pourquoi…à la même leçon.

396. Circa primum, tria facit :

  • primo, determinat de ipso amore ;
  • secundo, de extasi, quae est effectus amoris ; ibi : est autem et cetera ;
  • tertio, de zelo, qui est quaedam amoris species ; ibi : propter quod et cetera.

397. Au sujet de l’amour, il fait deux choses :

  • premièrement, il traite de l’amour ;
  • deuxièmement, il écarte une objection là où il dit (170) : Et quelqu’un ne
 

397. Circa primum, duo facit :

  • primo, determinat de amore ;
  • secundo, excludit quamdam obiectionem ; ibi : et non aliquis et cetera.

398. Au sujet du premier point, il fait deux choses :

  • d’abord, il montre comment Dieu est objet d’amour ;
  • deuxièmement, comment Dieu aime, là où il dit (159) : Ce discours compte

398. Circa primum, duo facit :

  • primo, ostendit quomodo Deus est obiectum amoris ;
  • secundo, quomodo Deus amat ; ibi : confidit et cetera.

399. Au sujet du premier point, il fait trois choses :

  • d’abord, il montre quel est l’objet de l’Amour ;
  • deuxièmement, il montre comment l’amour est unique par rapport à chacun, là où il dit (157) : et c'est à cause de Lui… ;
  • troisièmement, il montre ce que produit l’amour chez les amants, là où il dit (158) : et toutes

399. Circa primum, tria facit :

  • primo, ostendit quid sit obiectum amoris ;
  • secundo quomodo singulis est amor respectu singulorum ; ibi : et propter ipsum et cetera ;
    • tertio, quid facit amor in amantibus ; ibi : et omnia et cetera.

PLAN DE LA LECON 9

CE QUE THOMAS ANNONCE :

  1. De l'amour en lui-même (determinat)
    1. Comment (quomodo) Dieu est objet d'amour
      1. Quel est (quid sit) l'objet de l'amour (400)
      2. Comment (quomodo) l'amour est singulier pour le singulier (403)
      3. Ce que fait (quid facit) l'amour chez les amants (408)
    2. Comment (quomodo) Dieu aime (409)

COMMENT THOMAS LE FAIT : 

  1. De l'amour en lui-même
    1. Comment Dieu est objet d'amour
      1. Quel est l'objet de l'amour (400)
        • Induction du bien comme principe propre des opérations - L'amour du bien est racine (401)
        • Toutes les affections dépendent du bien
        • Amour étant relatif à l'appétit, de quel appétit s'agit-il ici ? (402)
      2. Comment l'amour est singulier pour le singulier (403)
        • L'amour de concupiscence et l'amour de bienveillance ou d'amitié (404)
        • Aimer qqun pour lui-même comme réalité entière (subsistante) ou l'aimer pour un de ses accidents (l'une de ses perfections) pour nous-mêmes (405)
        • Un bien est un bien pour une chose selon 4 variations : (406)
          1. une chose est son propre bien (un homme à l'égard delui-même)
          2. une chose est un bien pour une chose qui lui est similaire (un homme envers un autre homme)
          3. la partie est un bien pour le tout : une chose est un bien pour une chose parcequ'elle lui appartient (la main qui appartient à l'homme)
          4. le tout est un bien pour la partie : à tel point que la partie peut se sacrifier pour le tout
        • En conséq. l'amour est ici exposé sous 4 modes : (407)
          1. l'inférieur aime son supérieur
          2. la chose égale aime une autre chose égale
          3. les supérieurs aiment les inférieurs
          4. une chose s'aime elle-même
      3. Ce que fait l'amour chez celui qui aime (408)
        • TOUTE action est causée par l'amour - QUOI qu'on fasse ou qu'on veuille, cela est causé ex amore -L'amour du bien est principe, racine (408)
    2. Comment Dieu aime (409)
      1. agathos agathou dia ton agathon (409)
      2. la défense de l'utilisation du terme "amour" (l'éros grec) au lieu de "dilection" (l'agathos grec) (410-424)
        • annonce que cette défense sera faite par un raisonnement puis par voie d'autorité (410)
        • il faut regarder l'intention de celui qui utilise le terme "amour" (411-414)
        • il faut utiliser les termes les plus manifestes [même si ce ne sont pas les plus adaptés] (415)

FIN DU PLAN

puis

COMMENTAIRE DU PASSAGE DANS LEQUEL DENYS TRAITE DE

L'AMOUR EN LUI-MËME

400. Il dit donc en premier que, de ce que le Beau et le Bien est la finalité de toute chose, il suit de là que le Beau, qui est aussi le Bien, est aimable par tous, désirable et préférable, parce que l’objet du désir et de l’amour est le Beau et le Bien.

400. Dicit ergo, primo, quod, ex quo pulchrum et bonum est finis omnium, consequens est quod pulchrum et bonumsit amabileab omnibus, desiderabileet diligibile, quia obiectum desiderii et amoris est pulchrum et bonum.

401. Mais pour l'évidence ce qui est dit ici, il faut considérer que l’amour se rapporte à la partie appétitive de l’âme.

Cependant, l’amour est la racine première et commune (prima et communis radix) à toutes les opérations de la partie appétitive ; c’est ce qui devient patent lorsqu'on examine les cas particuliers [l'autorité de l'expérience] :

[Ici, Thomas semble procèder à une induction du bien comme principe des opérations sur le plan appétitif (qu'il soit sensible ou spirituel) - A la racine du désir : le bien aimé ; à la racine de la joie : le bien aimé ;  - Voir ensuite, juste après, le rapport essentiel au bien - ne faut-il pas dire que c'est la co-aptatio qui est principe ? - Voir un peu plus loin.]

  • rien n’est désiré s’il n’est d’abord aimé ; [= l'expérience de l'amour lorsque le bien est absent]
  • et rien ne se réjouit de la chose qu’il possède si ce n’est parce qu’il l’aime ; [= l'expérience de l'amour lorsque le bien est présent]
  • et personne ne s’attriste d’une chose, si ce n’est parce qu’elle est contraire à ce qu’il aime. [l'expérience de l'amour lorsque se présente, à la place du bien, un objet contraire à ce qui est aimé - la mort de la personne aimée par ex.]

Et c’est pour cela qu’il faut que la ratio amoris reçoive son acception à partir de ce qui est l’objet commun de l’appétit.

Et cet objet est le bien.

 

De cela donc est dit que quelque chose est aimé,

  • parce que l'appétit de l'amant est en rapport(se habet) 
    • à ce [quelque chose qui est aimé]
  • comme
    • à son bien.

Donc

  • le rapport (habitudo)
  • ou l’adaptation (coaptatio)

de l’appétit à une chose comme à son bien est appelé amour.

 

Or tout ce qui est ordonné à quelque chose comme à son bien

  • a d'une certaine manière cette chose présente à soi
  • et unie selon une certaine similitude,
  • au moins [selon une similitude] de proportion,

de même que la forme est d'une certaine manière dans la matière

  • en tant qu'elle a une aptitude
  • et un ordre à elle.

 

[Comment les autres passions dépendent de la passion amour]

  • Cependant il arrive que le bien aimé soit totalement absent de l’amant
    • et c’est ainsi qu’est causé dans l’amant le désir de l’objet aimé ;
  • parfois cependant cet objet lui est totalement présent
    • et c’est ainsi qu’apparaît la délectation ou la joie chez celui qui aime ;
  • et au contraire, de son absence
    • naissent chez lui la crainte et la tristesse
    • et par conséquent toutes les autres affections qui en découlent.

401. Ad evidentiam autem eorum quae hic dicuntur, considerandum est quod amor ad appetitum pertinet.

Est autem amor prima et communis radix omnium appetitivarum operationum ; quod patet inspicienti per singula :

  • nihil enim desideratur nisi quod est amatum ;
  • neque aliquis gaudet de re habita, nisi quia amat eam ;
  • nec aliquis tristatur de aliquo, nisi quia est contrarium amato.

Et ideo oportet quod ratio amoris accipiatur ex eo quod est commune obiectum appetitus.

--> Hoc autem est bonum.

 

Ex hoc igitur aliquid dicitur amari,

  • quod appetitus amantis se habet
    • ad illud
  • sicut
    • ad suum bonum.

Ipsa igitur

  • habitudo
  • vel coaptatio

appetitus ad aliquid velut ad suum bonum amor vocatur.

 

Omne autem quod ordinatur ad aliquid sicut ad suum bonum,

  • habet quodammodo illud sibi praesens
  • et unitum secundum quamdam similitudinem,
  • saltem proportionis,

sicut forma quodammodo est in materia

  • inquantum habet aptitudinem
  • et ordinem ad ipsam.

 

  • Sed tamen contingit quod bonum amatum totaliter est absens amanti et sic causatur in amante desiderium amati ;
  • quandoque autem est totaliter praesens ei et sic causatur in eo delectatio vel gaudium de amato ;
    • et per contrarium, de eius absentia causatur timor et tristitia de ipso et per consequens aliae affectiones quae ab his derivantur.

402. Ainsi donc est patent ce en quoi diffèrent les mots qu'emprunte Denys, à savoir

  • désirable
  • et aimable ;

car le désir est un certain effet de l’amour.

Cependant en disant préférable, il détermine un certain mode de l'amour [= l'amour volontaire, spirituel] :

  • puisque en effet l’amour relève de l’appétit,
  • [alors] de (secundum) l'ordre des appétits découle (est) l'ordre des amours [= ses différents modes].

[Trois modes de l'appétit]

[1. L'appétit naturel]

Mais l’appétit le plus imparfait qui existe est l’appétit naturel, qui est dépourvu de toute connaissance et qui n’implique rien d’autre que la seule inclination naturelle.

[2. L'appétit sensible]

Au-dessus de lui se retrouve l’appétit sensible qui suit la connaissance sensible, mais qui est dépourvu de libre élection [= choix libre].

[3. L'appétit volontaire libre]

Mais l’appétit le plus élevé est celui qui comporte à la fois

  • connaissance
  • et libre élection :

d’une certaine manière (quodammodo) en effet cet appétit se meut lui-même, ce qui fait que l’amour qui lui correspond est le plus parfait et se nomme préférence, selon que l’amant discerne par son libre arbitre ce qui doit être aimé en tant que ce qui est aimé est discerné par la libre élection [TH ne fait pas référence à ce qui doit être aimé (pas d'introduction ici d'une autorité de commandement) --> confirmer auprès d'un bon latiniste].

[Important de bien lire ici : TH commente Denys, et Denys utilise le terme diligibile, c'est sous l'aspect de préférence que Thomas regarde l'appétit spirituel en tant que, sous un certain aspect (quodammodo), cet appétit là se meut lui-même en raison du jugement sur ce qu'on pense devoir être aimé ; mais le fait qu'il y a élection, choix préférentiel, n'enlève pas le fait que l'appétit spirituel, lui aussi, est déterminé par un bien, ce bien étant indépendant de la volonté du sujet. --> Ce passage pourrait être utlisé par les scotistes pour rapprocher en force Duns Scot de Thomas.]

402. Sic igitur patet in quo differt quod dicit :

  • desiderabile
  • et amabile ;

nam desiderium est quidam effectus amoris.

Quod autem dicit : diligibile, determinat quemdam modum amoris :

  • cum enim amor ad appetitum pertineat,
  • secundum ordinem appetituum est ordo amorum.

[1.]

Est autem imperfectissimus appetituum, naturalis appetitus absque cognitione, quod nihil aliud importat quam inclinationem naturalem.

[2.]

Supra hunc autem est appetitus sensibilis, qui sequitur cognitionem, sed est absque libera electione.

[3.]

Supremus autem appetitus est qui est cum cognitione et libera electione : hic enim appetitus quodammodo movet seipsum, unde et amor ad hunc pertinens est perfectissimus et vocatur dilectio, inquantum libera electione discernitur quid sit amandum.

 

403. Ensuite, lorsqu’il dit (157) : et c'est à cause de Lui…, il montre comment l’amour convient aux [cas] singuliers, et regarde [= concerne] les [cas] singuliers.

 

403. Deinde, cum dicit : et propter ipsum et cetera, ostendit quomodo amor conveniat singulis, respectu singulorum.

404. D’où il faut considérer que puisque l’amour implique un rapport (habitudinem) entre

  • l’appétit de l’amant
  • et le bien,
  • il y a autant de modalités pour une chose d’être aimée
  • qu’il y a de modalités pour une chose de se présenter à une autre comme un bien.

Ce qui, en vérité,

  • se produit de deux manières ;
  • car le bien, tout comme l’être, se dit de deux manières :
  • d’une manière en effet, l’être se dit d’abord, au sens propre et strict, de ce qui subsiste comme par exemple la pierre et l’homme ;
  • en un autre sens, l’être se dit de ce qui ne subsiste pas en soi, mais de ce par quoi quelque chose existe,
    • comme la blancheur
      • qui ne subsiste pas en elle-même
      • mais qui est ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc ainsi que le bien se dit de deux manières :

  • premièrement, comme quelque chose qui subsiste dans la bonté ;
  • deuxièmement, comme la bonté que possède un autre [être], et par lequel quelqu’un y trouve un bien. [TH. pense à la créature qui reçoit son bien de Dieu qui est bon en lui-même.]

Ainsi donc quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous le rapport d’un bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

404. Unde considerandum est quod, cum amor importet habitudinem appetitus ad bonum amantis,

  • tot modis contingit aliquid amari,
  • quot modis contingit aliquid esse bonum alterius.

Quod quidem, primo, 

  • contingit dupliciter ;
  • nam bonum dupliciter dicitur, sicut et ens : dicitur enim,
  • uno modo ens proprie et vere, quod subsistit ut lapis et homo;
  • alio modo quod non subsistit, sed eo aliquid est,
    • sicut albedo
      • non subsistit,
      • sed ea aliquid album est.

Sic igitur bonum dupliciter dicitur :

  • uno modo, quasi aliquid in bonitate subsistens ;
  • alio modo, quasi bonitas alterius, quo scilicet alicui bene sit.

Sic igitur dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

405. Et rien ne s’oppose à ce que nous aimions aussi de cette manière les réalités qui subsistent par elles-mêmes,

  • non pas en tant que réalités subsistantes,
  • mais parce que nous poursuivons à travers elles une perfection ;

tout comme nous disons aimer le vin

  • non pour lui-même en tant que substance, pour qu’il lui arrive un bien,
  • mais pour que par lui un bien nous arrive,
    • soit que nous nous délections de sa saveur,
    • soit que nous nous nourrissions de ses humeurs.

Mais

  • tout ce qui est par accident
  • se ramène à ce qui est par soi.

Ainsi donc,

  • cela même que nous aimons parce que c’est ce grâce à quoi un bien arrive à un autre,
  • cela est compris dans l’amour de celui que nous aimons comme étant celui à qui nous voulons du bien.

De fait, quelqu'un n'est pas aimé de dilection par quelqu'un

  • par ce par quoi il est par accident,
  • mais par ce par quoi il est par soi ;

il faut donc certes accepter [= recevoir une acception, un sens] la diversité des amours d'après les choses que nous aimons, °°° de manière à leur vouloir le bien°°°.

405. Nec est inconveniens si hoc etiam modo amemus aliqua quae per se subsistunt,

  • non quidem ratione substantiae eorum,
  • sed ratione alicuius perfectionis quam ex eis consequimur ;

sicut dicimus amare vinum,

  • non propter substantiam vini ut bene sit ei,
  • sed ut per vinum bene sit nobis
    • vel inquantum delectamur eius sapore
    • vel inquantum sustentamur eius humore.
  • Omne autem quod est per accidens
  • reducitur ad id quod est per se.

Sic igitur

  • hoc ipsum quod aliquid amamus, ut eo alicui bene sit,
  • includitur in amore illius quod amamus, ut ei bene sit.

Non est enim alicui [datif] aliquid diligendum

  • per id quod est per accidens,
  • sed per id quod est per se ;

et ideo oportet quidem diversitatem amorum accipere secundum ea quae sic amamus ut eis velimus bonum.

406. Et parce que nous aimons une chose dans la mesure où elle est un bien pour nous, il faut que l’amour varie d’autant de manières qu’il y a de manière pour une chose d’être un bien pour une autre. Ce qui se produit de quatre manières :

  1. premièrement, selon qu’une chose est son propre bien et ainsi une chose s’aime elle-même ;
  2. deuxièmement, selon qu’une chose fait un avec une autre par manière de similitude et ainsi une chose aime ce qui lui correspond dans un même ordre de choses, comme lorsqu’un homme aime un autre homme, les deux étant de même espèce, comme un citoyen aime son concitoyen ou comme un frère aime son frère ;
  3. troisièmement, une chose est le bien d’une autre parce qu’elle lui appartient comme la main appartient à l’homme ou plus universellement comme la partie appartient au tout ;
  4. enfin, selon qu’au contraire le tout est le bien de la partie : la partie en effet n’est parfaite que dans le tout et c’est pourquoi la partie aime naturellement le tout et est prête à se sacrifier spontanément pour le salut du tout. En effet, ce qui est supérieur dans les êtres se compare à l’inférieur comme le tout à la partie dans la mesure où cela même que le supérieur possède à la perfection et totalement n’est possédé par l’inférieur qu’imparfaitement et en partie et dans la mesure aussi où le supérieur contient en lui de nombreux inférieurs.
 

406. Et quia unumquodque amamus inquantum est bonum nostrum, oportet tot modis variare amorem, quot modis contingit aliquid esse bonum alicuius. Quod quidem contingit quadrupliciter :

  1. uno modo, secundum quod aliquid est bonum suipsius et sic aliquid amat seipsum ;
  2. alio modo, secundum quod aliquid per quamdam similitudinem est quasi unum alicui et sic aliquid amat id quod est sibi aequaliter coordinatum in aliquo ordine, sicut homo amat hominem alium eiusdem speciei et sicut civis amat concivem et sicut consanguineus, consanguineum ;
  3. alio modo, aliquid est bonum alterius quia est aliquid eius, sicut manus est aliquid hominis et universaliter pars est aliquid totius ;
  4. alio vero modo, secundum quod, e converso, totum est bonum partis : non enim est pars perfecta nisi in toto, unde naturaliter pars amat totum et exponitur pars sponte pro salute totius. Quod enim est superius in entibus, comparatur ad inferius sicut totum ad partem, inquantum superius, perfecte et totaliter, habet quod ab inferiori, imperfecte et particulariter habetur et inquantum supremum continet in se, inferiora multa.

407. C’est pourquoi Denys expose ici quatre modes d’amour :

  1. le premier, selon lequel l’inférieur aime son supérieur ;
    • et c’est ce qu’il signifie en disant qu’à cause du Bien et du Beau et grâce à Lui, les moindres, c’est-à-dire les inférieurs, aiment les meilleurs, à savoir les supérieurs, en se tournant vers eux, car c’est en eux qu’ils trouvent leur perfection ;
  2. deuxièmement, il présente le mode d'amour par laquelle les choses aiment celles qui leur sont égales ;
    • et il dit que les choses qui sont ordonnées,
      • c’est-à-dire disposées selon un même ordre, aiment celles qui leur correspondent,
      • c'est à dire celles qui appartiennent à une même communauté, dans la mesure où elles communiquent avec elles
        • soit selon l’espèce,
        • soit selon un autre rapport ;
  3. troisièmement, il présente le mode d'amour par laquelle les réalités supérieures aiment les inférieures ;
    • et il dit alors que les meilleures, c'est à dire les supérieures, aiment les moindres, c'est à dire les inférieures, d’une manière providentielle en pourvoyant au bien des réalités qui sont contenues sous elles ;
  4. quatrièmement, il présente la sorte d'amour par laquelle certaines réalités (aliqua) s’aiment eux-mêmes
    • et il dit que les individus s’aiment eux-mêmes comme en se con-tenant [= sans sortir de soi, dans un acte intérieur de soi vers soi ; cf. contention : contenir à l'intérieur],
    • c'est à dire dans la mesure où chacun est con-tenu en soi-même.

407. Unde et Dionysius hic quatuor modos amoris ponit :

  1. et primus est secundum quod inferius amat suum superius ; et hoc est quod dicit quia propter bonum et pulchrum et ipsius gratia, minora, idest inferiora, amant meliora, idest superiora, convertendo se ad ea, quia in eis habent suam perfectionem ;
  2. secundo, ponit modum, quo aequalia amant aequalia ; et dicit quod ordinata, idest ea quae sunt unius ordinis, amant coordinata, idest aequalia communicative, idest inquantum communicant cum eis vel in specie vel in quocumque ordine ;
  3. tertio, ponit modum quo superiora amant inferiora ; et dicit quod meliora, idest superiora amant minora, idest inferiora provisive, idest inquantum provident eis ut sub se contentis ;
  4. quarto, ponit modum quo aliqua amant seipsa
    • et dicit quod ipsa singula amant seipsa contentive,
      • idest inquantum unumquodque in seipso continetur.
CE QUE FAIT L'AMOUR CHEZ CELUI QUI AIME
( : PAR MODE D'EXCES DE BONTE, PAR SURABONDANCE DE BONTE)

408. Ensuite, lorsqu’il dit (158) : et le beau rend toute chose…, il montre ce que fait l’amour chez celui qui aime. En effet,

  • parce que l’amour est la racine commune de toute la partie appétitive,
  • il faut que toute opération de la partie appétitive soit causée par l’amour, ainsi que nous l’avons dit (401).

Et

  • parce que toute opération d’une chose est causée par l’appétit,
  • il s'ensuit que toute action d'une chose quelle qu'elle soit (rei cuiuscumque) est causée par l'amour (ex amore causetur),
  • et c’est ce qu’il dit, à savoir que c’est à partir du désir (ex desiderio) du Beau et du Bien que toute chose
    • fait
    • ou veut quelque chose,
    • quoiqu’elle fasse
    • ou qu'elle veuille.

Et il prend ici le désir pour l’amour, car il en est un effet, ainsi que nous l’avons vu (402).

408. Deinde, cum dicit : et omnia pulchrum et cetera, ostendit quid facit amor in amante.

  • Quia enim amor est communis radix appetitus,
  • oportet quod omnis operatio appetitus ex amore causetur, ut dictum est.

Et

  • quia omnis operatio uniuscuiusque rei ex appetitu causatur,
  • sequitur quod omnis actio cuiuscumque rei ex amore causetur ;
  • et hoc est quod dicit quod omnia ex desiderio pulchri et boni
  • faciunt et
  • volunt
  • quaecumque faciunt
  • et volunt.

Et sumit hic desiderium pro amore, quia est effectus eius, ut dictum est.

COMMENT DIEU AIME

A.

409. Ensuite, lorsqu’il dit (159) : Ce discours compte…,

il montre comment Dieu aime ; et il dit que nous pouvons dire avec confiance que Dieu,

  1. qui de toutes choses est cause,
    • à cause de l'excès de sa bonté,
  2. aime toute chose
  3. et à partir de [cet] amour
    • il fait toutes les choses en leur donnant l’être,
    • il les perfectionne en les comblant des perfections qui leur sont propres,
    • il les contient toutes en les conservant dans l’être
    • il les convertit toutes,
      • c'est-à-dire qu'Il les ordonne toutes en Lui comme en leur fin ;

et ainsi nous disons que l’amour divin

  1. est Bien [l'amour divin est le Bien]
  2. et est du Bien, [qui est issu du Bien,]
    • c’est-à-dire [que l'amour divin est issu] de Dieu
    • comme de celui qui aime
  3. et est cause du bien
    • comme cause de l'objet ; 

Dieu en effet n'aime rien si ce n'est à cause de sa bonté.

A.

409. Deinde, cum dicit : confidit et cetera, ostendit quomodo Deus amat ; et dicit quod confidenter dicere possumus quod Deus

  1. qui est omnium causa,
    • propter excessum (uperbolèn) suae bonitatis,
  2. omnia amat ;
  3. et ex amore
    • facit omnia dans eis esse ;
    • et omnia perficit, implendo singula propriis perfectionibus ;
    • et omnia continet, conservando ea in esse ;
    • et cuncta convertit,
      • idest in se ordinat sicut in finem ;

et sic dicimus : amor divinus

  1. est bonus [nominatif]
  2. et est boni [génitif],
    • idest Dei [genitif]
    • quasi amantis [genitif]
  3. et est propter bonum [accusatif]
    • sicut propter obiectum [accusatif] ;

Deus enim nihil amat nisi propter suam bonitatem [accusatif].

 

... ainsi nous disons que l’amour divin est Bien et est du Bien, c’est-à-dire de Dieu comme de celui qui aime et est cause du bien comme cause de l'objet ; Dieu en effet n'aime rien si ce n'est à cause de sa bonté.

[le grec dit : bien du bien, par le bien - (a) agathos (b) agathou (c) dia to agathon - nominatif, genitif, accusatif]

B.

Et pour expliquer ce qu’il vient de dire, il ajoute

  • que l’amour
  • par lequel Dieu aime les choses existantes
  • est celui qui opère la bonté en elles ;

et c’est à cause de cela qu’il dit : 

  • [comme] le bien lui-même,
    • préexiste causalement dans LE bien,
      • c'est à dire en Dieu,
      • selon un excès [= avant même la création effective Dieu possède en lui-même toutes les virtualités d'être bons possibles en raison de l'illimitation de sa bonté],
  • ainsi, 
    • toutes [choses] qui relèvent de la perfection et qui sont dans les créatures,
    • sont en Dieu plus excellentes encore ;

c’est à cause de cela qu’il avait dit que l’amour divin est [l'amour ??] du bien ;

 

ici, dit-il, l’amour divin ne se permit pas de demeurer en lui-même sans progéniture(germine),

c’est-à-dire sans produire les créatures,

mais son amour au contraire le mut à agir selon le mode d’action le plus excellent

en amenant toute chose à exister.

Par amour pour sa propre bonté, il continua de telle sorte qu’il voulut

  • étendre
  • et communiquer sa bonté aux autres [que lui-même]
    • selon que cela était possible,
    • c’est-à-dire [que cela était possible] par mode de similitude,
  • de telle sorte que sa bonté
    • ne demeure pas seulement en lui
    • mais s’écoule aussi dans les autres [que lui-même].

B. 

Et ad exponendum hoc quod dixerat, subdit

  • quod amor,
  • quo Deus amat existentia
  • est operativus bonitatis in ipsis ;

et propter hoc dicit

  • ipsum bonum, 
  • quia causaliter praeexistit in bono, idest Deo,
  • secundum excessum,
  • sicut
    • omnia ad perfectionem pertinentia
      • quae sunt in creaturis,
    • excellentius
      • sunt in Deo

et ideo dixerat divinum amorem esse boni ;

 

hic, inquam, divinus amor nonpermisit manere ipsum in seipso sine germine,

idest sine productione creaturarum,

sed amor movit ipsum ad operandum, secundumexcellentissimum modum operationis

inquantum produxit omnia in esse.

Ex amore enim bonitatis suae processit quod bonitatem suam voluit

  • diffundere
  • et communicare aliis,
    • secundum quod fuit possibile,
    • scilicet per modum similitudinis
  • et quod eius bonitas
    • non tantum in ipso maneret,
      • sed ad alia efflueret.

LONG PASSAGE OU L'ON DEFEND
L'UTILISATION DU MOT AMOUR FACE A CELUI DE DILECTION

410. Et lorsqu’il dit (160) : Et qu'on ne…, il écarte ici une objection : en effet il pourrait sembler à quelqu’un que le nom ‘amour’ signifie toujours une passion naturelle et que pour cela on ne devrait pas l’utiliser pour l’appliquer aux réalités divines. Il écarte cependant cette objection

  • d’abord certes au moyen d’un raisonnement ;
  • deuxièmement, au moyen d’un argument d’autorité,

là où il dit (163) : Mais afin que nous ne

410. Et non aliquis et cetera. Hic excludit quamdam objectionem : posset enim alicui videri quod nomen amoris semper naturalem passionem significaret et ideo non esset eo utendum in divinis. Hanc autem obiectionem

  • primo quidem excludit per rationem ;
  • secundo, per auctoritatem,

ibi : sed ut non ista et cetera.

411. Au sujet du premier point, il fait deux choses ;

  • premièrement, il dit que l’objection est irraisonnable absurde ;
  • deuxièmement, il apporte un raisonnement, là où il dit (161) : Il faut cependant

411. Circa primum, duo facit :

  • primo, dicit obiectionem esse irrationabilem ;
  • secundo, adhibet rationem ; ibi : oportet autem et cetera.
L'argument qui défend le contraire est irrationnel

412. Il dit donc en premier que nul ne doit penser que nous attribuions à Dieu le nom ‘amour’ en allant à l’encontre de la coutume et en désaccord avec les saintes Écritures.

Il est irrationnel et tortu (pravum : de travers, déficient, vicieux, tortu = vieux mot inusité) comme je le pense [= avec notion de "juger de", "de donner son appréciation"], qu'un homme 

  • ne prête pas attention à la vertu d'intention, c'est-à-dire à ce qu'on à l'intention de signifier par un nom, 
  • mais [ne prête attention qu'] aux dires eux-mêmes ;

et

  • cela ne s'adresse pas à ceux qui veulent intelliger les choses divines,
  • mais à ceux
    1. qui regardent
        • les dires-mêmes
        • ou les sons-mêmes,
      • à la légère, sans en peser la signification,
    2. et qui de plus gardent les sons 
        • seulement à l'extérieur,
        • c'est-à-dire [seulement] jusqu'aux oreilles,
      • afin qu'ils ne parviennent pas plus loin, jusqu'à l'intellect;
    3. qui ne veulent pas voir
      • ce que tel dire signifie,
      • et comment il arrive d'expliquer [exponere = le fait de révéler le sens de] un dire par d'autres dires plus manifestes, signifiant la même chose.

*

Car ceux-là ne sont atteints que

  • par
    • les éléments eux-mêmes,
    • c’est-à-dire par les lettres, les syllabes et les lignes,
    • à savoir par les figures sensibles écrites
  • et non par ce qui est intelligible,

A.

car dans ce cas les sons des dires

  • ne parviennet pas jusqu’à la partie intellectuelle de l’âme,
  • mais s’arrêtent à proximité des lèvres de ceux qui parlent et des oreilles de ceux qui entendent,

de sorte qu’il n’est pas possible à leurs yeux

  • que le nombre quatre soit signifié par deux fois deux,
  • qu'avoir des lignes droitesle soit par rectiligne
  • ou que terre maternelle puisse l'être par patrie.

B.

Et cela est similaire pour certaines autres [locutions] dans lesquelles il arrive qu’une même intention soit signifiée par diverses parties du discours des termes différents.

Ceux-là, en recevant les paroles sont touchés,

  • par les lettres et les dires vocaux
  • et non par l’intention de l'intellect, qui accepte d'autres dires,

car

  • ils ne sont affectés que par les choses vocales mêmes
  • sans prêter attention à leur sens.
 

412. Dicit ergo primo quod nullus debet opinari quod nos commendemus in Deo nomen amoris praeter consuetudinem et convenientiam sacrarum Scripturarum.

Irrationabile enim est et pravum, sicut arbitror, quod homo non attendat ad virtutem intentionis, idest ad id quod aliquis intendit significare per nomen, sed ad ipsas dictiones ;

et hoc

  • non pertinet ad eos qui volunt intelligere divina,
  • sed ad eos
    1. qui respiciunt
        • ad ipsas dictiones
        • vel ipsos sonos
      • leviter non ponderando significationem eorum
    2. et qui etiam continent sonos
        • extra tantum,
        • scilicet usque ad aures,
      • ita quod non transeant ultra usque ad intellectum ;
    3. qui non voluntvidere
      • quid talis dictio significet
      • etquomodo contingit unam dictionem exponereper alias dictiones manifestiores, idem significantes.

*

Sed tales patiuntur aliquid

  • ab
    • ipsis elementis,
    • idest litteris, syllabis et lineis,
    • idest figuris scriptis sensibilibus
  • et non intelligibilibus,

quia ipsi soni dictionum

  • non transeunt usque ad intelligibilem partem animae,
  • sed morantur circa labialoquentium et circa auditusaudientium,

sicut non sit possibile

  • quod quaternarius numerus significetur per bis duo
  • aut hoc quod dico rectilineum significetur per habens rectas lineas
  • aut maternum solum significetur per patriam.

Et simile est de quibuscumque aliis in quibus contingit unam intentionem significari diversis partibus orationis.

Illi autem dicuntur compati

  • litteris et dictionibus vocalibus
  • et non intellectualibus, qui acceptant aliquas dictiones,

quia

  • afficiuntur ad ipsa voces
  • et non attendunt ad sensus eorum.

 

Argument pour l'utilisation du mot amour

413. Ensuite, lorsqu’il dit (161) : Il faut cependant…, il donne la raison de ce qu’il vient de dire ;

  • et premièrement qu’il ne faut pas s’attacher aux sons de voix quand les significations apparaissent clairement ;
  • deuxièmement, qu’il faut se servir des sons de voix les plus évidents, là (162) où il dit : Quand cependant

413. Deinde, cum dicit : oportet autem et cetera, assignat rationem praemissorum ;

  • et primo, quod non oportet attendere ad voces, quando constat de sensibus ;
  • secundo, quod utendum sit vocibus planioribus ; ibi : quando autem et cetera.

414. Il dit donc en premier qu’il faut voir, conformément à la raison droite, que nous nous servons des éléments, à savoir

  • des sons de voix,
  • des syllabes,
  • des mots
  • et des discours, qu’ils soient écrits ou parlés,
  • à cause des sens eux-mêmes,
  • c’est-à-dire à cause de l’ouïe et de la vue.

[Puisque nou sommes dotés de certains sens, nous usons d'eux pour signifier notre pensée]

Mais

  • quand notre âme s’est élevée à la participation des réalités intelligibles au moyen de l’opération intellectuelle,
  • alors la contribution des sens à la perception des réalités sensibles devient inutile
  • car celle-ci n’est qu’une préparation à la saisie des réalités intelligibles ;

alors

  • quand nous parvenons au terme, nous nous écartons du chemin qui y conduit
  • et ainsi quand l’intention poursuivie par l’intelligence au moyen des sons de voix devient évidente, c’est alors que cesse ce rôle joué par ces sons de voix au moyen desquels cette intention est signifiée.

Et donc il n'y a pas lieu de débattre à ce sujet. 

Et il donne un exemple du fait que les puissances intellectuelles de notre raison naturelle sont aussi superflues lorsque notre âme, conformée à Dieu (Deo conformata), s'élance (immittit) dans les choses divines,

  • non par un élan (immissione) des yeux du corps,
  • mais par un élan (immissione) de la foi,
  • c'est-à-dire, par le fait que la lumière divine, inconnue et inaccessible, s'unit à nous et se communique à nous.

En effet, [où l'analogie est explicitement exposée]

  • alors que nous considérons les réalités qui sont [de l’ordre] de la foi,
    • nous n’en jugeons pas par la raison naturelle ;
  • de même, lorsque nous voulons intelliger quelque chose,
    • il ne faut pas en juger par des sons de voix.

414. Dicit ergo primo quod oportet videre, secundum rectam rationem, quod elementis, scilicet

  • vocibus
  • et syllabis
  • et lineis
  • et orationibus, scriptis vel dictis,
  • utimur propter sensus ipsos,
  • scilicet propter auditum et visum.

Sed

  • quando anima nostra movetur intelligibili operatione ad intelligibilia participanda,
  • tunc sensus exteriorum sensibilium superfluunt
  • quia sensibilia sunt praeambula ad intelligibilia ;
  • quando autem pervenimus ad terminum, recedimus a via
  • et ita quando iam constat de intentione intellecta per voces cessat officium vocum quibus significantur.

Et ideo de hoc non est disceptandum.

Et ponit exemplum de hoc quod intellectuales virtutes nostrae naturalis rationis etiam superfluunt quando anima nostra Deo conformata immittit se rebus divinis,

  • non immissione oculorum corporalium,
  • sed immissione fidei,
  • scilicet per hoc quod divinum lumen ignotum et inaccessibile, seipsum nobis unit et communicat.
  • Dum enim consideramus ea quae fidei sunt,
    • non diiudicamus ea per rationem naturalem ;
  • et similiter cum volumus aliquid intelligere,
    • non oportet hoc diiudicare per voces.

415. Ensuite, lorsqu’il dit (162) : Quand cependant…, il montre qu’il faut davantage utiliser les noms qui sont les plus manifestes ; et il dit que

A.

  • quand notre esprit s’applique à s’élever à la contemplation intellectuelle au moyen des [signes] sensibles,
    • alors elles sont
      • plus précieuses,
      • c'est-à-dire plus utiles,
    • ces espèces sensibles qui, plus manifestement, 
      •  portent
      • ou mettent à portée 
    • des intentions intellectuelles,
    • tels que des discours plus clairs [le font] pour [les réalités sensibles] les plus manifestement visibles.

B.

Mais

  • quand cela même qui [devraient] être représenté par les sens dans le monde sensible n'est pas manifeste,
  • alors les sens eux-mêmes ne peuvent pas bien représenter les [réalités] sensibles à l’esprit,
  • de sorte que ce qui est intelligible ne peut être saisi à partir du sensible.

C. [Conclusion]

Et alors, puisque le nom ‘amour’ est plus clair et plus communément répandu que le nom ‘dilection’, on doit l’utiliser de préférence pour signifier l’intention intelligible visée par notre propos. [Thomas donnera en I-II.q26a3 une analyse beaucoup plus profonde de la distinction amour / dilection, notamment à l'ad. 4]

415. Deinde, cum dicit : quando autem et cetera, ostendit quod vocibus manifestioribus est magis utendum ; et dicit quod

  • quando mens nostra studet moveri ad contemplationem intellectivam per sensibilia,
    • tunc sunt
      • pretiosiores
      • idest utiliores
    • illae sensibiles species quae
      • manifestius portant
      • vel deferunt
    • intellectuales intentiones,
  • ut planiores orationes, manifestiora visibilia.

Sed

  • quando ea quae non sunt manifesta in sensibilibus repraesentantur sensibus,
  • tunc nec ipsi sensus possunt bene repraesentare sensibilia menti,
  • ita scilicet quod ex ipsis sensibilibus intelligibilia capiantur.

Et ideo, quia nomen amoris planius et communius, quam nomen dilectionis est, magis eo utendum ad intellectualem intentionem significandam.

416. Ensuite, lorsqu’il dit 163) : Mais afin que nous ne…, il manifeste la même conclusion par l’autorité des Écritures ; et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre comment les saintes Écritures se servent du nom ‘amour’ pour parler des réalités divines (417) ;
  • deuxièmement, comment certains estimaient plus convenable d’utiliser le nom ‘amour’ que le nom ‘dilection’, là où il dit (164) : Bien que(418) ;
  • troisièmement, il montre qu’il faut se servir indifféremment de l’un et de l’autre, là où il dit (167) : Par tous ceux qui entendent(419)

416. Deinde, cum dicit : sed ut non ista et cetera, manifestat idem per auctoritates Scripturae ; et circa hoc, tria facit :

  • primo, ostendit quomodo nomine amoris sacra Scriptura utitur in divinis rebus ;
  • secundo, quomodo quidam reputant convenientius uti nomine amoris, quam nomine dilectionis ; ibi : quamvis et cetera ;
  • tertio, ostendit quod indifferenter utroque est utendum ; ibi : ab audientibus et cetera.
Argument tiré de l'Ecriture

417. Il dit donc en premier que,

  • afin qu'il ne paraisse pas présenter les raisons précédentes comme s'il voulait aller à l’encontre des saintes Écritures,
  • il présente ces arguments d’autorité tirés des Écritures contre ceux qui condamnent l’usage du nom ‘Amour’ pour traiter des choses divines, dont celui-ci :
    • ¨Aime-la et elle te servira¨, selon une traduction qui n’est pas de nous ;
    • la nôtre cependant dit, par rapport à ce passage du livre des Proverbes (4, 6) : ¨Honore-la, à savoir la sagesse, et elle te serviraétreins-la et elle te réjouira, et tu seras glorifié par elle quand tu l’auras embrassée¨.
    • Et l’on retrouve de nombreux autres passages dans les Écritures qui ont été écrits à la louange de l’amour chez les théologiens de l’amour (amatoriis theologiis) dans le Cantique des Cantiques.

417. Dicit ergo primo quod, ut non videatur praedictas rationes inducere tamquam volens pervertere sacras Scripturas, contra istos qui nomen amoris in divinis accusant, inducit has auctoritates :

  • ama eam et servabit te, secundum aliam translationem ;
  • nostra autem translatio habet, Prov. 4 : dilige illam, idest sapientiam et servabit te (...) arripe illam et exaltabit te, et glorificaberis ab ea, cum eam fueris amplexatus.
  • Et multa alia dicuntur ad laudem amoris in Scripturis, ut patet in amatoriis theologiis, idest in canticis canticorum.

Argument d'autorité

Note sur le passage suivant : TH. commente alors la phrase de Denys qui lui est parvenue ainsi traduite : "quibusdam Sanctorum visum est divinius esse nomen amoris quam nomen dilectionis" : "certains Saints pensaient que le nom d'amour était plus divin que le nom de dilection". L'original grec met en confrontation non pas amour et dilection mais éros et agapè, le mot éros n'étant pas à prendre dans son sens basic mais dans son sens élevé par le néoplatonisme, ainsi que Denys lui-même le remarque : "Ainsi le divin Ignace [d'Antioche] écrit aussi : « Mon amour (o emos erôs) a été crucifié » et il ajoute une autre autorité... Les éditeur ajoute quant à eux la mention d'Origène (Sources Chrétiennes, n° 578, p. 471, nn. 1 et 2).

418. Ensuite, lorsqu’il dit (164) : Bien que…, il montre que plusieurs ont estimé devoir préférer le nom ‘amour’ dans le domaine du divin ; et à ce sujet il fait trois choses :

  • d’abord, il présente l’opinion des autres ;
  • deuxièmement, il dit ce qu’il lui en semble lorsqu’il dit (165) : à moi en effet… ;
  • troisièmement, il présente l’argument supportant l’opinion des autres quand il ajoute (166) : à cause de cela cependant

418. Deinde, cum dicit : quamvis et cetera, ostendit quod quidam magis utendum hoc nomine amoris in divinis censebant ; et circa hoc, tria facit :

  • primo, ponit sententiam aliorum ;
  • secundo, ostendit quid sibi super hoc videtur ; ibi : mihi enim et cetera ;
  • tertio, assignat rationem sententiae aliorum ; ibi : propter hoc autem et cetera.

419. Il dit donc qu’aux yeux de certains des docteurs qui traitèrent des livres sacrés, bien qu’ils ne composèrent pas les Livres canoniques, le nomamour’ convenait davantage aux choses divines que le nom ‘dilection’.

  • D’où Ignace le Martyre, en écrivant au sujet du Christ, a dit : ‘mon amour’, à savoir le Christ dans lequel je mets tout mon amour, ¨fut crucifié¨.
  • Philon, dans le livre qu’il fit pour introduire aux livres saints, intitulé De la Sagesse divine,dit : ¨Je suis devenu amoureux de sa beauté¨, ainsi qu'on le lit au livre De la Sagesse (8, 2.).
  • D’où il est évident que le livre de la Sagesse ne fait pas encore partie des Livres canoniques.
  • D’où on conclut que nous ne devons pas craindre de nous servir du nom ‘amour’ et qu’une objection qui chercherait à jeter un doute à ce sujet ne doit pas nous en détourner.

419.Dicit ergo primo quod quibusdam doctorum qui sanctos sermones tractaverunt, licet canonicas Scripturas non conderent, visum est quod nomen amoris convenientius esset rebus divinis quam nomen dilectionis.

  • Unde Ignatius martyr scribit de Christo dicens : meus amor, idest Christus in quo totus meus amor est, crucifixus est.
  • Philo dicit in libro quem fecit introducentem ad sacra eloquia, de divina sapientia : amator factus sum, pulchritudinis eius, Sapient. 8.
  • Ex quo patet quod liber sapientiae nondum habebatur inter canonicas Scripturas.
  • Unde concluditur quod non debemus timere uti nomine amoris nec ab hoc debet nos revocare aliqua obiectio, super hoc dubitationem ingerere intendens.

420. Ensuite, lorsqu’il dit (165) : à moi en effet…il montre ce qui lui en semble ; et il dit qu’il lui apparaît que ceux qui composèrent les saintes Écritures se servirent

  • communément
  • et indifféremment

du nom ‘dilection’ et du nom ‘amour’.

420. Deinde, cum dicit : mihi enim et cetera, ostendit quid sibi super hoc videatur ; et dicit quod sibi videtur quod conditores sacrae Scripturae

  • communiter
  • et indifferenter

utuntur nomine dilectionis et amoris.

421. Ensuite, lorsqu’il dit (166) : à cause de cela…il présente la raison pour laquelle certains disent devoir se servir davantage du nom ‘amour’ dans les écrits divins ;

et il dit que si le nom ‘amour’ est appliqué aux choses divines, il semble que ce soit pour cette raison, à savoir pour écarter l’interprétation de ceux qui se servent de ce mot d’une manière grossière ;

[Le véritable amour mène à l'unité]

  • car tandis que le véritable amour est loué comme convenant à Dieu,
    • non seulement par nous qui présentons les Saintes Écritures,
    • mais aussi par ces Écritures elles-mêmes,

[L'amour corporel mène à la multiplicité]

  • le grand nombre des hommes sots (multitudines hominum insipientium)
    • qui ne peuvent saisir la forme-une (uniformitatem = ou "simplicité") signifiée par le nom d’amour divin,
    • se laisse aller selon sa conformité intime [à sa nature] [consuetudinem : cf. 4ème sens du Gaffiot, et en accord avec texte Denys grec : oikeôs] vers l’amour que l’on retrouve dans les réalités corporelles, [cet amour] est
      • dissimilaire [= l'amour divin rend un avec Dieu, aussi dans l'amour spirituel d'amitié]
      • et divisé :
    • car un tel amour ne trouve pas un tout qui lui soit suffisant,
    • et se divise donc en différentes parties ;
    • et si
      • pendant un certain temps il trouve satisfaction en une [chose],
      • cependant il n’y persévère pas
      • mais il cherche naturellement ce qui lui plaît dans diverses [choses].

Et c'est ce qui arrive dans les choses corporelles car elles sont

  • dissimilaires
  • et divisées.
  • Cette sorte d’amour,
  • tout comme le bien divisé,

n’est cependant pas le véritable amour,

  • tout comme non plus le bien divisé,
  • car le bien divisible n'est pas
    • le véritable
    • et le parfait bien,
  • contrairement au bien indivisible qui est au maximum un ;

en effet, le bien et l’un se rencontrent, (concurrunt, litt. : courrent ensemble, vont de pair), ainsi que Boèce le prouve au troisième livre de son traité De la Consolation.

421. Deinde, cum dicit : propter hoc et cetera, assignat rationem quare quidam in divinis magis dicunt utendum nomine amoris ;

et dicit quod propter hoc videtur quod nomen amoris apponatur rebus divinis, ut excludatur acceptio illorum qui inconvenienter nomine amoris utuntur ;

  • quia cum in Deo, ut ipsum decet, laudetur verus amor
    • non solum a nobis qui sacras Scripturas exponimus
    • sed et ab ipsis Scripturis,
  • multitudines hominum insipientium qui non possunt capere uniformitatem quam signat nomen amoris divini, prolapsae sunt secundum suam consuetudinem ad amorem qui invenitur in rebus corporalibus, qui est
    • dissimilis
    • et divisus :
    • quia talis amor non invenit in uno totum quod ei sufficiat
    • et ideo dividitur per diversa ;
    • et
      • si per aliquod tempus sibi satisfiat in uno,
      • tamen in hoc non durat,
      • sed natus est quaerere in diversis quod sibi placet.

Et hoc contingit rebus corporalibus quia sunt

  • dissimilia
  • et divisa.

Hic autem amor non est verus amor,

  • sicut nec bonum divisum,
  • cum divisibile non sit
    • verum
    • et perfectum bonum,
  • sed bonum indivisibile, quod est maxime unum ;

bonum enim et unum in idem concurrunt, ut Boetius probat in libro de consolatione.

422. Et cet amour corporel est

  • une certaine idole,
  • c’est-à-dire une similitude du véritable amour
  • ou même une caricature ou une détérioration du véritable amour.

A.

Et les multitudes s’abandonnent à cet amour parce qu’elles ne peuvent saisir la forme-une (uniformitatem = ou "simplicité") de l’amour divin ;

et c’est pour cela que ce nom, apparaissant

  • pour ainsi dire fâcheux à plusieurs,
  • c’est-à-dire inconvenant,

fut néanmoins attribué à la Sagesse divine afin que,

  • de leur affaissement dans les réalités inférieurs, ces derniers soient
      • élevés
      • et excités 
    • vers la connaissance du véritable amour
  • et qu’ils se libèrent de la difficulté dont il pâtissait à propos de ce nom ;

B.

il en est de même aussi pour d’autres noms de Dieu, auxquels des réalités corporelles encore plus humbles sont fréquemment attribuées afin que l’esprit soit poussé

  • à ne pas demeurer en elles,
  • mais de comprendre Dieu par-dessus toutes [ces] choses.

ainsi qu’on l’a déjà dit au deuxième chapitre de la Hiérarchie des Anges.

C.

Et c’est pourquoi les Écritures saintes attribuent à Dieu le nom ‘amour’, à savoir parce que nous nous en servons davantage pour désigner l’amour bas et charnel.

422. Hic autem amor corporalis

  • est quoddam idolum (eidôlon),
  • idest similitudo veri amoris
  • vel magis quidam defectus sive casus a vero amore.

A.

Ideo autem prolabuntur multitudines ad hunc amorem, quia non possunt capere uniformitatem divini amoris ;

et ideo hoc nomen dispositum est in divina sapientia,

  • sicut apparens multis molestius,
  • idest inconvenientius,
  • ad hoc quod sursum
      • eleventur
      • et excitentur,
    • quasi in inferioribus recumbentes, ad cognitionem veri amoris
  • et ut etiam liberentur a difficultate quam patiuntur circa hoc nomen ;

B.

sicut etiam et in aliis Dei nominationibus, frequenter attribuuntur corporalia magis infima, ut mens cogatur in eis

  • non remanere,
  • sed super omnia Deum intelligere,

 

comme aussi dans les autres rendez-vous de Dieu, des choses corporelles plus inférieures sont fréquemment attribuées, de sorte que l'esprit est forcé de ne pas rester en elles, mais de comprendre Dieu par-dessus toutes choses.

 

ut in II cap. angelicae hierarchiae dictum est.

C.

Et ideo nomine amoris utitur Scriptura in divinis, quia hoc nomine magis utimur pro infimo et carnali amore.

IL Y A DES ABUS DE LANGAGES DANS UN SENS MAIS AUSSI DANS L'AUTRE : 
L'AMOUR EST PRIS POUR LA DILECTION ET VIS VERSA

423. En revanche, dit-il, il serait inconvenant de croire, selon ce qui apparaît clairement dans les Écritures, qu’il existe

  • des zèles terrestres
  • c'est à dire des amours [terrestres]

dans les réalités divines qu'on voit être nommées par le terme dilection.

C'est ainsi que David dit, dans ce passage du deuxième Livre de Samuel (1, 26), selon cette traduction qui n’est pas de nous :¨Ton amour est tombé sur moi comme l’amour des femmes¨, mais que nous avons en vérité traduit ainsi : ¨ Je suis affligé pour toi, mon frère Jonathan, tu m'étais délicieusement cher ; ton amitié m'était plus merveilleuse que l’amour des femmes

423. Rursus, inquam, inconveniens esset quod a nobis opinaretur esse

  • terrenos zelos,
  • idest amores

in rebus divinis, qui videntur exprimi per nomen dilectionis, secundum quod apparet ex plano modo Scripturae.

Dixit enim quidam, scilicet David, II Reg. 1 secundum aliam translationem : cecidit dilectio tua super me, sicut dilectio mulierum ; nostra vero translatio habet : doleo super te, frater mi Ionatha, decore nimis, et amabilis super amorem mulierum.

424. Ensuite, lorsqu’il dit (167) : Par ceux qui entendent…il montre comment sont reçus selon les Écritures les noms

  • de dilection
  • et d’amour ;

et il dit qu’auprès de ceux qui s’y entendent correctement au sujet de Dieu, il est entendu que les saints théologiens qui produisirent les Livres canoniques accordent la même portée et la même signification aux noms

  • ‘dilection’
  • et ‘amour’,
  • soit d'après ce que Dieu leur manifesta,
  • soit d'après ce qu’ils manifestèrent de Dieu.

En effet l’un et l’autre nom

  1. sont significatifs d'une certaine puissance unitive,
    • en tant que [cette puissance signifiée par ces noms] unit l'amant à l'aimé,
    • dans la mesure où tous deux désirent la même chose.
  2. et ils renvoient aussi à une puissance conjonctive,
    • dans la mesure où chacun est conjoints à la convenance de l'autre,
      • selon une inclination,
      • selon laquelle les deux amants sont dans une relation de l'un à l'égard de l'autre (se habent ad invicem) ;
  3. et à celle d’un assemblage des différences (differenter concretivae),
    • selon que dans une telle conjonction sont sauvegardées les différences [propres] à chacun des amants, dont parfois l’un est supérieur et l’autre inférieur ;
  4. et cette puissance préexiste dans le Beau et le Bien,
    • à savoir en Dieu qui aime
      • et Lui-même
      • et les autres
        à cause de sa beauté et de sa bonté.

424. Deinde, cum dicit : ab audientibus et cetera, ostendit quomodo accipitur secundum Scripturas nomen

  • dilectionis
  • et amoris ;

et dicit quod ab illis qui recte audiunt divina hoc sancitur, quod in eadem virtute et significatione accipitur a sanctis theologis qui canonicas Scripturas ediderunt, nomen

  • dilectionis
  • et amoris,
  • secundum ea quae eis a Deo manifestata sunt
  • vel quae ipsi de Deo manifestaverunt.

Utrumque enim nomen

  • est significativum cuiusdam virtutis unitivae,
    • inquantum unit amantem amato,
    • prout utrumque idem desiderant ;
  • et coniunctivae,
    • prout utrumque coniungitur convenientiae alterius
      • secundum inclinationem,
      • secundum quam duo amantia se habent ad invicem ;
  • et differenter concretivae,
    • secundum quod in tali coniunctione salvatur differentia utriusque amantium, quorum quandoque unum est superius aliud inferius ;
  • et haec quidem virtus praeexistit in pulchro et bono,
    • scilicet in Deo qui amat
      • et se
      • et alia
        propter suam pulchritudinem et bonitatem.

425. Et encore une fois cette puissance est attribuée aux choses créées par Dieu, qui est le Beau et le Bien, à cause du Beau et du Bien qui est l’objet propre de l’amour.

  • En effet, rien n’est aimé s’il ne se rapporte au beau et au bien.
  • Et cette puissance embrasse certes les réalités qui sont du même ordre,
    • à savoir celles qui sont égales selon qu’elles sont dans une relation (se habent ad invicem)
    • telle qu’elles se communiquent les unes aux autres alternativement.
  • De plus la puissance de l’amour meut les réalités supérieures à pourvoir aux besoins des inférieures et elle établit dans les réalités supérieures celles qui ont moins,
    • c’est-à-dire les réalités inférieures, selon qu’elle tourne celles-ci vers celles-là dans lesquelles elles trouvent leur bien propre, ce que nous avons déjà expliqué plus haut (404-407).

425. Et iterum haec virtus attribuitur rebus creatis a Deo, qui est pulcher et bonus, propter pulchrum et bonum, quod est proprium obiectum amoris.

  • Nihil enim amatur, nisi secundum quod habet rationem pulchri et boni.
  • Et haec quidem virtus continet coordinata,
    • idest aequalia secundum quod sic se habent ad invicem
    • quod alternatim sibi invicem communicant sua.
  • Movet etiam virtus amoris superiora ad providendum inferioribus et collocat minus habentia,
    • idest inferiora in superioribus inquantum convertit haec ad illa sicut ad proprium bonum quod habent in illis. Et haec supra exposita sunt.

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Thomas d'Aquin - La passion amour dans le Commentaire des sentences

(Passage livré ici in extenso plus pour analyse que par volonté de citer.)

 

L’amour se trouve-t-il seulement dans le concupiscible ?

Utrum amor sit tantum in concupiscibili

Tout ce qui découle d’une fin doit d’une certaine manière avoir été déterminé à cette fin, autrement cela ne parviendrait pas à cette fin plutôt qu’à une autre. Or, cette détermination doit provenir de l’intention de la fin, et non seulement de la nature qui tend vers cette fin, car alors tout serait hasard, comme l’ont affirmé certains philosophes.

[11100]Respondeo dicendum, quod omne quod sequitur aliquem finem, oportet quod fuerit aliquo modo determinatum ad illum finem: alias non magis in hunc finem quam in alium perveniret. Illa autem determinatio oportet quod proveniat ex intentione finis, non solum ex natura tendente in finem: quia sic omnia essent casu, ut quidam philosophi posuerunt.

Or, avoir l’intention d’une fin est impossible à moins que la fin ne soit connue sous la raison de fin, ainsi que la proportion de ce qui est ordonné à la fin vers la fin même. Or, celui qui connaît la fin et ce qui est ordonné à la fin ne dirige pas seulement lui-même vers la fin, mais aussi d’autres choses, comme l’archer lance la flèche vers la cible. Ainsi donc, quelque chose tend de deux manières vers la fin. Intendere autem finem impossibile est, nisi cognoscatur finis sub ratione finis, et proportio eorum quae sunt ad finem in finem ipsum. Cognoscens autem finem et ea quae sunt ad finem, non solum seipsum in finem dirigit, sed etiam alia, sicut sagittator emittit sagittam ad signum. Sic ergo dupliciter aliquid tendit in finem.
  • Premièrement, en tant que dirigé vers la fin par lui-même, ce qui n’existe que chez celui qui connaît la fin et la raison de fin.
  • D’une autre manière, en tant que dirigé par un autre, et, de cette manière, toutes choses tendent selon leur nature vers leurs fins propres et naturelles, dirigées par la sagesse qui crée la nature.
  • Uno modo directum in finem a seipso, quod est tantum in cognoscente finem et rationem finis.
  • Alio modo directum ab alio; et hoc modo omnia secundum suam naturam tendunt in fines proprios et naturales, directa a sapientia instituente naturam.

De sorte que nous trouvons deux appétits :

  • l’appétit naturel, qui n’est rien d’autre que l’inclination d’une chose à sa fin naturelle, qui vient de la direction de celui qui crée la nature;
  • et l’appétit volontaire, qui est l’inclination de celui qui connaît la fin et l’ordre à cette fin.

Et secundum hoc invenimus duos appetitus:

  • scilicet appetitum naturalem, qui nihil aliud est quam inclinatio rei in finem suum naturalem qui est ex directione instituentis naturam,
  • et iterum appetitum voluntarium, qui est inclinatio cognoscentis finem, et ordinem in finem illum;
Entre ces deux appétits, il existe un qui est intermédiaire : il vient de la connaissance de la fin sans que la raison de fin ne soit connue, ni proportion à la fin elle-même de ce qui est ordonné à la fin : c’est l’appétit sensible. et inter hos duos appetitus est unus medius, qui procedit ex cognitione finis sine hoc quod cognoscatur ratio finis et proportio ejus quod est ad finem, in finem ipsum; et iste est appetitus sensitivus.

Ces deux appétits se trouvent seulement dans la nature vivante et connaissante. Or, tout ce qui est propre à la nature du vivant doit se ramener à une puissance de l’âme chez ceux qui ont une âme; aussi est-il nécessaire qu’existe une puissance de l’âme à qui il appartient de désirer, par opposition à celle à laquelle il appartient de connaître, de la même manière que les substances séparées se divisent en intellect et volonté, comme le disent les philosophes.

Et hujusmodi duo appetitus inveniuntur tantum in natura vivente et cognoscente. Omne autem quod est proprium naturae viventis, oportet quod ad aliquam potentiam animae reducatur in habentibus animam; et ideo oportet unam potentiam animae esse cujus sit appetere, condivisam contra eam cujus est cognoscere, sicut etiam substantiae separatae dividuntur in intellectum et voluntatem, ut dicunt philosophi.

Ainsi donc, il ressort que l’appétit naturel et l’appétit volontaire diffèrent en ceci que l’inclination de l’appétit naturel vient d’un principe extrinsèque : c’est pourquoi il n’a pas de liberté, car est libre ce qui est cause de soi.

Mais l’inclination de l’appétit volontaire se trouve à l’intérieur de celui-là même qui veut : la volonté possède donc la liberté.

Sic ergo patet quod in hoc differt appetitus naturalis et voluntarius, quod inclinatio naturalis appetitus est ex principio extrinseco; et ideo non habet libertatem, quia liberum est quod est sui causa:

inclinatio autem voluntarii appetitus est in ipso volente; et ideo habet voluntas libertatem.

Mais l’inclination de l’appétit sensible vient en partie de celui qui désire, pour autant qu’il découle de la perception de ce qui est désirable. Aussi Augustin dit-il que « les animaux sont mus par ce qui est vu », en partie par l’objet, dans la mesure où la connaissance de l’ordre à la fin leur fait défaut.

C’est pourquoi il faut que ce qui leur convient leur soit assuré par un autre qui connaît la fin. Or, tout ce qui vient de Dieu reçoit une certaine nature par laquelle il est ordonné à sa fin ultime. Il faut donc que, dans toutes les créatures qui ont une fin, se trouve aussi dans la volonté elle-même un appétit naturel par rapport à la fin ultime. C’est ainsi que l’homme veut par appétit naturel la béatitude et ce qui concerne la nature de la volonté.

Sed inclinatio appetitus sensitivi partim est ab appetente, inquantum sequitur apprehensionem appetibilis; unde dicit Augustinus, quod animalia moventur visis: partim ab objecto, inquantum deest cognitio ordinis in finem: et ideo oportet quod ab alio cognoscente finem, expedientia eis provideantur.

Et propter hoc non omnino habent libertatem, sed participant aliquid libertatis. Omne autem quod est a Deo, accipit aliquam naturam qua in finem suum ultimum ordinetur. Unde oportet in omnibus creaturis habentibus aliquem finem inveniri appetitum naturalem etiam in ipsa voluntate respectu ultimi finis; unde naturali appetitu vult homo beatitudinem, et ea quae ad naturam voluntatis spectant.

Il faut donc dire qu’un appétit naturel est inhérent à toutes les puissances de l’âme et à toutes les parties du corps par rapport à leur propre bien  Sic ergo dicendum est, quod naturalis appetitus inest omnibus potentiis animae et partibus corporis respectu proprii boni; 

mais l’appétit animal, qui porte sur un bien déterminé, pour lequel l’inclination de la nature ne suffit pas, relève d’une puissance déterminée,

  • soit de la volonté,
  • soit du concupiscible.

De là vient

  • que toutes les autres puissances de l’âme sont entraînées par leurs objets au-delà de la volonté, car toutes les autres [puissances] possèdent un si grand appétit naturel à l'égard de leur objet,
  • mais la volonté possède au-delà de l’inclination naturelle,  une autre [puissance], dont celui qui veut est lui-même la cause.1

sed appetitus animalis, qui est boni determinati, ad quod non sufficit naturae inclinatio, est alicujus determinatae potentiae,

  • vel voluntatis
  • vel concupiscibilis.

Et inde est quod

  • omnes aliae vires animae coguntur a suis objectis praetervoluntatem: quia omnes aliae habent appetitum naturalem tantum respectu sui objecti;
  • voluntas autem habet praeter inclinationem naturalem, aliam, cujus est ipse volens causa.

Cela est dit de manière similaire de l’amour, qui est l'achèvement du mouvement appétitif, car

  • un amour naturel existe dans toutes les puissances ET dans toutes les choses ;
  • mais l’amour animal, pour dire ainsi, est dans une certaine puissance déterminée,
    • soit dans la volonté, selon quoi est exprimé l'achèvement de l’appétit de la partie intellectuelle,
    • soit dans le concupiscible, selon quoi est exprimé une détermination de l’appétit sensible.2

Et similiter dicendum est de amore, qui est terminatio appetitivi motus: quia

  • amor naturalis est in omnibus potentiis et omnibus rebus;
  • amor autem animalis, ut ita dicam, est in aliqua potentia determinata,
    • vel voluntate, secundum quod dicit terminationem appetitus intellectivae partis;
    • vel in concupiscibili, secundum quod dicit determinationem sensitivi appetitus.

(Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 co.)

 

Tout cela est très subtile, il faut bien décanter ce qui est dit.

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1. Passage très intéressant dans lequel Thomas montre qu'il y a chez l'être dotée de volonté un jeu entre

  • la détermination naturelle à être entraîné par son objet (car l'appétit sensible ou volontaire sont avant cela des appétits naturels bien qu'ils ne soient pas seulement cela),
  • et la détermination que le sujet se donne à lui-même par sa volonté tout en reconnaissant que la puissance volontaire, comme toute puissance de l'âme, possède une inclination naturelle.

Les deux cohabitent dans l'être volontaire, il s'agira de voir ensuite comment ordonner.

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2. Thomas force ici le langage (il le précise : ''ut ita dicam") pour dire que l'amour animal (distingué ici de l'amour naturel qui est en lui-même pure détermination - la pierre lachée tombe naturellement sans qu'on puisse y faire quoi que ce soit si elle n'es pas empêchée) est relatif en plus de sa détermination naturelle à une certaine puissance déterminée : 

  • soit que la puissance elle-même se détermine (la volonté termine l'acte appétitif volontaire)
  • soit que l'objet détermine la puissance (l'objet détermine l'acte appétitif sensitif).

Le plan sensible s'ajoute au plan naturel (chez l'animal), comme le plan "intellectuel" s'ajoute aux plans sensible et naturel (chez l'homme).

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - Où Thomas mentionne la distinction de quatre modes d'amour chez Denys - I-II.q28a6ad1

... Nous parlons ici de l'amour tel qu'il est communément accepté, selon qu'il comprend sous lui l'amour

  • intellectuel,
  • rationnel,
  • animal,
  • naturel,

c'est ainsi que Denys parle de l'amour.

... Nos autem loquimur nunc de amore communiter accepto, prout comprehendit sub se amorem

  • intellectualem,
  • rationalem,
  • animalem,
  • naturalem,

sic enim Dionysius loquitur de amore in IV cap. de Div. Nom.

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1. Quelle différence TH. fait-il entre amour intellectuel et amour rationnel ?

  • Dernière mise à jour le .