Skip to main content

Thomas d'Aquin - I.q20a2ad3 - L'amour "comme de concupiscence" de Dieu envers les créatures irrationnelles

L'amitié ne peut exister si ce n'est envers des créatures rationnelles,

  • capables de se rendre l'amour
  • et de communiquer entre elles dans les diverses opérations de la vie
  • et qui peuvent bien ou mal tourner selon les changements de la fortune et du bonheur ; 

tout comme c'est envers elles que, proprement, la bienveillance s'exerce.

Mais les créatures irrationnelles

  • ne peuvent parvenir à aimer Dieu,
  • ni à participer à la vie
      • intellectuelle
      • et béatifique
    • que Dieu vit.

Alors donc, à proprement parler, Dieu n'aime pas les créatures irrationnelles 

  • d'un amour d'amitié ; 
  • mais d'un amour comme de concupiscence [= c'est à dire relatif, comme lorsque on aime le secours matériel qu'on offre à son ami],

en tant qu'il les ordonne

  • aux créatures raisonnables,
  • et même à lui-même ;
  • non comme s'il était en indigence ;
  • mais seulement à cause
    • de sa bonté
    • et pour notre utilité.

Car nous désirons (Concupiscimus) une chose

  • et pour nous
  • et pour les autres.

Amicitia non potest haberi nisi ad rationales creaturas,

  • in quibus contingit esse redamationem,
  • et communicationem in operibus vitae,
  • et quibus contingit bene evenire vel male, secundum fortunam et felicitatem,

sicut et ad eas proprie benevolentia est.

Creaturae autem irrationales

  • non possunt pertingere ad amandum Deum,
  • neque ad communicationem
      • intellectualis
      • et beatae vitae,
    • qua Deus vivit.

Sic igitur Deus, proprie loquendo, non amat creaturas irrationales

  • amore amicitiae,
  • sed amore quasi concupiscentiae;

inquantum ordinat eas

  • ad rationales creaturas,
  • et etiam ad seipsum;
  • non quasi eis indigeat,
  • sed propter 
    • suam bonitatem
    • et nostram utilitatem.

Concupiscimus enim aliquid

  • et nobis
  • et aliis.

 


1. -- Dieu peut vouloir (désirer) mais il n'a pas d'appétit (DePot.q3a15ad14)

2. -- "... mais d'un amour comme de concupiscence..." : à méditer, puis à commenter

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - L'amour, quel qu'il soit, lorsqu'il est intense, défend son bien - I-II.q28a4

  • ... et dans l'amour d'amitié, s'il est intense, on défend l'ami coûte que coûte

Note : Le terme zeluspeut ici être traduit presque exactement par jalousie.

Le zèle, en quelque mode qu'on la prenne, vient de l'intensité de l'amour. Il est manifeste en effet que

  • plus une puissance se porte intensément vers quelque chose,
  • plus elle repousse avec force tout ce qui lui est contraire ou ce qui lui répugne.

Or l'amour, dit S. Augustin, est "une sorte de mouvement qui tend vers l'aimé" : un amour intense cherchera donc à exclure tout ce qui s'oppose à lui. 

Mais cela arrive autrement dans l'amour de convoitise et autrement dans l'amour d'amitié. [Autre, autre : le signe de l'analogie, l'amour se dit de plusieurs manières.]

[A. Le zèle dans l'amour de convoitise]

Car dans l'amour de convoitise, celui qui désire intensément quelque chose est mû contre tout ce qui l'empêche d'obtenir ce qu'il aime ou d'en jouir tranquillement (quietae).

  • C'est de cette manière qu'il est dit du zèle des maris pour leurs femmes : ils ne veulent pas que ce qu'ils cherchent d'unique auprès d'elles soit empêché par la compagnie des autres.
  • Et de même, ceux qui recherchent l'excellence sont mûs contre ceux qui sont vus exceller, comme s'ils empêchaient leur propre excellence : c'est le zèle envieux, dont il est écrit (Ps 37, 1): "N'imite pas ceux qui sont dans l'intention mauvaise ; ne jalouse pas ceux qui font l'iniquité." 

[B. Le zèle dans l'amour d'amitié]

Tandis que dans l'amour d'amitié,

  • on cherche le bien de l'ami
  • de là, quand l'amour est intense, il se fait que l'homme est mû contre tout ce qui répugne au bien de l'ami.

Et selon cela, quelqu'un est dit avoir du zèle pour l'ami quand, si sont dits ou faits des choses contre le bien de l'ami, l'homme s'applique à les repousser.

C'est aussi de cette manière qu'on est dit être zélé pour Dieu, quand...

(Somme, I-II.q28a4)

Zelus, quocumque modo sumatur, ex intensione amoris provenit. Manifestum est enim quod

  • quanto aliqua virtus intensius tendit in aliquid,
  • fortius etiam repellit omne contrarium vel repugnans.

Cum igitur amor sit quidam motus in amatum, ut Augustinus dicit in libro octoginta trium quaest., intensus amor quaerit excludere omne quod sibi repugnat.

Aliter tamen hoc contingit in amore concupiscentiae, et aliter in amore amicitiae.

A.

Nam in amore concupiscentiae, qui intense aliquid concupiscit, movetur contra omne illud quod repugnat consecutioni vel fruitioni quietae eius quod amatur.

  • Et hoc modo viri dicuntur zelare uxores, ne per consortium aliorum impediatur singularitas quam in uxore quaerunt.
  • Similiter etiam qui quaerunt excellentiam, moventur contra eos qui excellere videntur, quasi impedientes excellentiam eorum. Et iste est zelus invidiae, de quo dicitur in Psalmo XXXVI, noli aemulari in malignantibus, neque zelaveris facientes iniquitatem.

B.

Amor autem amicitiae

  • quaerit bonum amici,
  • unde quando est intensus, facit hominem moveri contra omne illud quod repugnat bono amici.

Et secundum hoc, aliquis dicitur zelare pro amico, quando, si qua dicuntur vel fiunt contra bonum amici, homo repellere studet.

Et per hunc etiam modum aliquis dicitur zelare pro Deo, quando...

 ----- 

 1. Dans le cas d'un amour spirituel (i.e. un amour d'amitié) ne peut-on pas dire que le zèle sera soutenu par la vertu de force de manière spéciale et par la vertu de prudence d'une manière générale ?

%MCEPASTEBIN%
  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - Nous aimons quelqu'un d'amitié lorsque nous l'aimons pour son être même - Comm.Noms.Divins.4.9.404

  • ... non à cause d'une de ses qualités accidentelles dont nous retirons un bien

Quelqu'un est aimé de deux manières :

  • d'une première manière, sous la raison de bien subsistant [= nous aimons la personne subsistante elle-même pour elle-même]
    • et alors une chose est vraiment et proprement aimée quand nous voulons que soit le bien pour elle ;
    • et cet amour est appelé par plusieurs amour de bienveillance ou d’amitié (benevolentiae vel amicitiae) ;
  • d'une autre manière, par mode de bonté inhérente, selon qu'une chose est dite aimée, 
    • non pas en tant que nous voulons que soit le bien pour elle,
    • mais en tant que nous voulons que par cette chose un bien soit,
      • comme lorsque nous disons aimer la science ou la santé.

(Commentaire des Noms Divins, 4.9.404)

Dupliciter aliquid amatur :

  • uno modo, sub ratione subsistentis boni
    • et hoc vere et proprie amatur, cum scilicet volumus bonum esse ei ;
    • et hic amor, a multis vocatur amor benevolentiae vel amicitiae ;
  • alio modo, per modum bonitatis inhaerentis, secundum quod aliquid dicitur amari,
    • non inquantum volumus quod ei bonum sit,
    • sed inquantum volumus quod eo alicui bonum sit,
      • sicut dicimus amare scientiam vel sanitatem.

-----

1. Bien noter : TH. atteste que plusieurs auteurs ou enseignants utilisent déjà l'expression "amour d'amitié" ; il la reprend ici à son compte.

2. Benevolentia : disposition à vouloir du bien ; amor benevolentiae : amour par lequel nous voulons à l'autre le bien. Dans d'autres passages TH. ajoute que cet amour nous pousse à opérer le bien pour la personne qu'on aime d'amitié, c'est à dire nous pousse à travailler pour le bien de l'autre.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - Seul l'amour spirituel d'amour d'amitié sort réellement de lui-même - I-II.q28a3

[La première extase est celle qui se fait par l'intermédiaire de la connaissance qui médite intensément sur l'objet aimé, elle nous abstrait (abstrahit) des autres choses.]  

... Quant à la seconde extase, l'amour la fait directement : 

  • purement et simplement (simpliciter) dans l'amour d'amitié ;
  • non purement et simplement dans l'amour de concupiscence, mais seulement relativement (secundum quid).

De fait,

  • dans l'amour de convoitise,
    • l'aimant se porte d'une certaine manière hors de soi-même, en tant que, 
      • non content de jouir du bien qu'il possède,
      • il cherche à jouir de quelque chose en dehors de lui-même.
    • Mais parce que ce bien extérieur, il cherche à l'avoir pour soi,
      • il ne sort pas purement et simplement de soi ;
      • mais une telle affection, in fine, se conclut en-dessous de lui [= se ramène sous le pouvoir de sa convoitise].
  • Mais dans l'amour d'amitié, l'affection sort purement et simplement d'elle-même,
    • parce qu'on veut le bien à son ami et on opère [à cela],
    • comme si on lui portait soins et providence
      • à cause de l'ami lui-même.

(Somme, I-II.q28a3)

Sed secundam extasim facit amor directe,

  • simpliciter quidem amor amicitiae;
  • amor autem concupiscentiae non simpliciter, sed secundum quid.

Nam

  • in amore concupiscentiae,
    • quodammodo fertur amans extra seipsum, inquantum scilicet,
      • non contentus gaudere de bono quod habet,
      • quaerit frui aliquo extra se.
    • Sed quia illud extrinsecum bonum quaerit sibi habere,
      • non exit simpliciter extra se,
      • sed talis affectio in fine infra ipsum concluditur.
  • Sed in amore amicitiae, affectus alicuius simpliciter exit extra se,
    • quia vult amico bonum, et operatur,
    • quasi gerens curam et providentiam ipsius,
      • propter ipsum amicum.

 ----- 

 

  • Dernière mise à jour le .