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Thomas d'Aquin - I-II.q30a3ad1 - Appétit naturel et appétit animal

Cela même qui est désirée (appetitur) par l'appétit naturel peut être désirée (appeti) par l'appétit animal lorsqu'il a été appréhendé. Et selon cela, nourriture et boisson et autres choses semblables que nous désirons  naturellement (appetuntur naturaliter), peuvent être [désirés] d'un désir animal.

(Somme, I-II.q30a3ad1)

Illud idem quod appetitur appetitu naturali, potest appeti appetitu animali cum fuerit apprehensum. Et secundum hoc cibi et potus et huiusmodi, quae appetuntur naturaliter, potest esse concupiscentia animalis (Leonine : naturalis).

Pas d'opposition  entre appétit naturel et appétit animal (c'est à dire sensitif). Le premier n'ayant pas besoin que le bien désiré soit porté à notre connaissance. J'ai faim parce que cela fait un moment que je n'ai pas mangé --> appétit naturel ; j'ai envie de manger à cause de la connaissance sensible (la bonne odeur et la vue de la nourriture, chez le boulanger) --> appétit animal.

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Thomas d'Aquin - Comme le bien lui-même, la connaissance du bien est principe de l'amour de ce bien

Comme nous l'avons dit, Le bien est cause de l'amour par mode d'objet. Or le bien n'est objet de l'appétit que selon qu'il est appréhendé. C'est pourquoi l'amour requiert une certaine appréhension du bien que l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe que "la vision corporelle est le principe de l'amour sensitif". Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe de l'amour spirituel. Ainsi donc la connaissance est cause de l'amour au même titre que le bien, qui ne peut être aimé que s'il est connu. (Somme, Ia-IIae, q. 27, a. 2, c.)

Sicut dictum est, bonum est causa amoris per modum obiecti. Bonum autem non est obiectum appetitus, nisi prout est apprehensum. Et ideo amor requirit aliquam apprehensionem boni quod amatur. Et propter hoc philosophus dicit, IX Ethic., quod visio corporalis est principium amoris sensitivi. Et similiter contemplatio spiritualis pulchritudinis vel bonitatis, est principium amoris spiritualis. Sic igitur cognitio est causa amoris, ea ratione qua et bonum, quod non potest amari nisi cognitum.

Il faut bien comprendre que lorsque Thomas dit que la connaissance du bien est tout autant cause de l'amour du bien que le bien lui-même, il ordonne néanmoins les deux réalités : le bien et la connaissance du bien. Les deux ne sont pas au même plan. Il est manifeste qu'il ne peut y avoir connaissance du bien si le bien n'existe pas. La connaissance est donc relative au bien qu'elle connaît.

Dans le déroulement du processus au cours duquel il y a amour de quelque chose, il faut à la fois que 

  • ce quelque chose existe
  • ET qu'il soit connu.

Les propriétés du bien aimé ne dépendent pas de la connaissance que j'en ai.

Aimer quelque chose, c'est aimer la chose elle-même, pas la connaissance que j'en ai. La réponse à l'objection n°2 montre d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de connaître parfaitement dans le détail ce qu'on aime pour l'aimer. Ici, la connaissance est donc relativisée de deux manières : 

  • en tant qu'elle est dépendante du bien connu,
  • et en tant qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit exhaustive.
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Thomas d'Aquin - DeVer.q26a7 - Passions et jugement de la raison

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans la Somme

Lorsque [les passions de l'âme] suivent la volonté, elles ne diminuent pas

  • la qualité
  • ou la bonté de l’acte,

car

  • elles seront modérées selon le jugement de la raison,
  • à partir duquel s’ensuit la volonté.

Mais elles ajoutent plutôt à la bonté de l’acte, à deux points de vue.

Secundum vero quod consequuntur ad voluntatem, sic non diminuunt

  • laudem actus
  • vel bonitatem :

quia

  • erunt moderatae secundum iudicium rationis,
  • ex quo voluntas sequitur.

Sed magis addunt ad bonitatem actus, duplici ratione.

Premièrement, par mode de signe :

car la passion même qui s’ensuit dans l’appétit inférieur est le signe que le mouvement de la volonté est intense. Il n’est pas possible, en effet, dans la nature passible, que la volonté se meuve fortement vers quelque chose sans qu’une passion s’ensuive dans la partie inférieure. 

C’est pourquoi saint Augustin dit au quatorzième livre de la Cité de Dieu: « Tant que nous portons l’infirmité de cette vie, nous ne vivrions pas selon la justice si nous n’éprouvions absolument aucune de ces passions. » Et peu après, il ajoute la cause en disant : « N’éprouver en effet aucune douleur, tant que nous sommes en ce séjour de misère, cela s’obtient, très chèrement, au prix de la cruauté de l’âme et de l’insensibilité du corps. »

Primo per modum signi :

quia passio ipsa consequens in inferiori appetitu est signum quod sit motus voluntatis intensus. Non enim potest esse in natura passibili quod voluntas ad aliquid fortiter moveatur, quin sequatur aliqua passio in parte inferiori.

Unde dicit Augustinus, XIV de Civitate Dei [cap. 9] :dum huius vitae infirmitatem gerimus, si passiones nullas habeamus, non recte vivimus.Et post pauca subiungit causam, dicens : nam omnino non dolere dum sumus in hoc loco miseriae, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, et stuporis in corpore.

Ensuite à la façon d’une aide :

car lorsque la volonté élit quelque chose par le jugement de la raison, elle passe à l'action plus promptement et plus facilement si, avec cela, la passion est excitée dans la partie inférieure, l’appétitive inférieure étant proche du mouvement du corps.

Aussi saint Augustin dit‑il au neuvième livre de la Cité de Dieu: « Or ce mouvement de miséricorde sert la raison quand la miséricorde se manifeste sans compromettre la justice. »

Et c’est ce que le Philosophe dit au troisième livre de l’Éthique, citant le vers d’Homère : « éveille ta force et ton irritation » ; en effet, lorsqu’on est vertueux quant à la vertu de force, la passion de colère qui suit l’élection de la vertu contribue à la plus grande promptitude de l’acte ; mais si elle la précédait, elle perturberait le mode de la vertu

(DeVer.q26a7)

Secundo per modum adiutorii :

quia quando voluntas iudicio rationis aliquid eligit, promptius et facilius id agit, si cum hoc passio in inferiori parte excitetur ; eo quod appetitiva inferior est propinqua ad corporis motum.

Unde dicit Augustinus, IX de Civitate Dei [cap. 5] :servit autem motus misericordiae rationi, quando ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur. Et hoc est quod philosophus dicit in libro III Ethicorum [cap. 11 (1116b 28)] inducens versum Homeri :virtutem et furorem erige; quia videlicet, cum aliquis est virtuosus virtute fortitudinis, passio irae electionem virtutis sequens facit ad maiorem promptitudinem actus ; si autem praecederet, virtutis mo‑ dum perturbaret.

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q22a3ad2 - ~ L'appétit sensible pâtit plus qu'il n'est actué alors que l'appétit intellectuel est plus actué qu'il ne pâtit

On dit que la magnitude [= l'ampleur] de la passion

  • ne dépend pas seulement de la puissance (ex virtute) de l'agent,
  • mais encore de la passibilité (ex passibilitate) de celui qui pâtit,

parce que les choses qui sont bien passibles (quae sunt bene passibilia) pâtissent beaucoup même de la part d'un agent faible.

  • Donc bien que l'objet de l'appétit intellectuel soit plus actif que l'objet de l'appétit sensitif, [ce qui devrait donc entraîner une plus grande passion dans celui qui pâtit]
  • pourtant l'appétit sensitif est plus passif.

(Somme, I-II.q22a3ad2)

Dicendum quod magnitudo passionis

  • non solum dependet ex virtute agentis,
  • sed etiam ex passibilitate patientis,

quia quae sunt bene passibilia, multum patiuntur etiam a parvis activis.

  • Licet ergo obiectum appetitus intellectivi sit magis activum quam obiectum appetitus sensitivi,
  • tamen appetitus sensitivus est magis passivus.

 


 1. -- "quia quae sunt bene passibilia...", comprendre  : "parce ques les choses disposées à pâtir pâtissent beaucoup même de la part d'une cause de moindre importance".

2. -- Puisque TH. dit que la passion est davantage dans la partie sensible que dans la partie intellectuelle, il reconnît par là même que la prtie intellectuelle possède un côté passif, sans doute a-t-il ici en tête l'intellect passif.

3. -- Ici TH. semble dire que puisque le monde de l'appétit sensible est lié à la matière il est davantage passible que la partie appétit intellectuel. Alors que la partie intellectuelle, du fait même qu'elle est intellectuelle, est davantage portée à l'acte. L'objet de de l'appétit intellectuel actue davantage l'appétit intellectuel qu'il ne le fait pâtir. Par exemple, lorsque Dieu se révèle à nous, il nous actue plus qu'il ne nous fait pâtir.

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Thomas d'Aquin - L'extase dans le Commentaire des Noms Divins (4.10.426-441)

Bien noter : 

  • l'induction du fait que l'amour est extatique qui montre que dès qu'il y a amour, il y a dans le même temps extase, sortie de soi

426. Après que Denys ait déterminé à propos de l’amour, ici, il détermine à propos de l’extase qui est un effet de l’amour et à ce sujet il fait trois choses :

  • premièrement, il montre que l’extase est un effet de l’amour ;
  • deuxièmement, il manifeste cela dans les créatures, là où il dit (169) : Et elles montrent… ;
  • troisièmement, il manifeste cela en Dieu, là où il dit (171) : Osons dire…

426. Postquam Dionysius determinavit de amore, hic determinat de extasi quae est effectus amoris et circa hoc, tria facit :

  • primo, proponit extasim esse amoris effectum ;
  • secundo, manifestat hoc in creaturis ; ibi : et monstrant et cetera ;
  • tertio, manifestat hoc in Deo ; ibi : audendum et cetera.
[1. L'EXTASE EFFET DE L'AMOUR]  

427. Concernant le premier point, il faut considérer là une différence entre les puissances

  • cognitives
  • et appétitives,

à savoir que

  • car l'acte de la puissance cognitive se fait selon que ce qui est connu est dans le connaisasnt,
  • alors que l'acte de la puissance appétitive se fait selon l'inclination que l'appétit a envers ce qui est appété [désiré].

Mais la première opération de l’appétit est l’amour ainsi il a été dit plus haut (401), d’où il suit que l’amour porte en lui la première inclination de l’appétit dans la chose (rem) selon que cette dernière a raison de bien, lequel est l’objet de l’appétit.

427. Circa primum, considerandum est quod haec est differentia inter vim

  • cognoscitivam
  • et appetitivam,

quia

  • actus virtutis cognoscitivae est secundum quod cognita sunt in cognoscente,
  • actus autem virtutis appetitivae est secundum inclinationem quam habet appetens ad rem quae appetitur.

Prima autem operatio appetitus est amor, ut supra dictum est, unde amor importat primam inclinationem appetitus in rem secundum quod habet rationem boni, quod est obiectum appetitus.

428. Mais ainsi que l’être est dit de deux manières, c’est-à-dire

  • de ce qui subsiste par soi
  • et de ce qui existe dans un autre,

de même le bien se dit de deux manières :

  • d'une première manière, il est dit de la réalité subsistante qui a en elle un bien,
    • comme l’homme qui est dit bon ;
  • d'une autre manière, il est dit de ce qui existe en quelqu'un et qui le fait bon,
    • comme la vertu qui est dite bien de l’homme, par laquelle il est bon ;

de même le blanc est dite être (ens),

  • non parce que elle-même serait [une chose] subsistante dans son être,
  • mais ce par quoi quelque chose est blanc.

C’est donc de deux manières que l’amour tend vers quelque chose :

  • d'une première manière, comme vers un bien substantiel,
    • ce qui en effet arrive comme lorsque (dum sic) nous aimons quelque chose de telle sorte (ut) que nous lui voulons du bien,
      • comme quand nous aimons un homme en lui voulant du bien ;
  • d'une autre manière, lorsque l’amour tend vers quelque chose, comme vers un bien accidentel,
    • par exemple nous aimons la vertu
      • non pas certes pour cette raison que nous voulons qu’elle soit bonne,
      • mais plutôt pour que grâce à elle nous soyons bons.
  • La première sorte d’amour, certains la nomment amour d’amitié
  • tandis qu’ils réservent pour la seconde le nom d’amour de concupiscence.

428. Sicut autem ens dupliciter dicitur, scilicet

  • de eo quod per se subsistit
  • et de eo quod alteri inest,

ita et bonum :

  • uno modo, dicitur de re subsistente quae habet bonitatem,
    • sicut homo dicitur bonus ;
  • alio modo, de eo quod inest alicui, faciens ipsum bonum,
    • sicut virtus dicitur bonum hominis, quia ea homo est bonus ;

similiter enim albedo dicitur ens,

  • non quia ipsa sit subsistens in suo esse,
  • sed quia ea aliquid est album.

Tendit ergo amor dupliciter in aliquid :

  • uno modo, ut in bonum substantiale,
    • quod quidem fit dum sic amamus aliquid ut ei velimus bonum,
      • sicut amamus hominem volentes bonum eius ;
  • alio modo, amor tendit in aliquid, tamquam in bonum accidentale,
    • sicut amamus virtutem,
      • non quidem ea ratione quod volumus eam esse bonam,
      • sed ratione ut per eam boni simus.
  • Primum autem amoris modum, quidam nominant amorem amicitiae ;
  • secundum autem, amorem concupiscentiae.

429. Il arrive (contingit) cependant parfois que nous aimions même certains biens subsistants d’un amour de concupiscence

  • parce que nous ne les aimons pas pour elles-mêmes,
  • mais pour ce qu’elles possèdent ;

c’est ainsi

  • que nous aimons le vin lorsque nous voulons, en le buvant, jouir de sa douceur ;
  • ou de manière similaire, avec un homme qui est aimé
    • à cause du plaisir
    • ou de l’utilité 
    • non pour lui-même
    • mais par accident,  (405).

429. Contingit autem, quandoque, quod etiam aliqua bona subsistentia amamus hoc secundo modo amoris,

  • quia non amamus ipsa secundum se,
  • sed secundum aliquod eorum accidens ;

sicut

  • amamus vinum, volentes potiri dulcedine eius ;
  • et similiter, cum homo
    • propter delectationem
    • vel utilitatem amatur,
    • non ipse secundum se amatur,
    • sed per accidens.

[Après un préambule, on commence ici à répondre à la question]

430. Ainsi donc, dans l'un et l'autre mode d’amour, l’affect de l’amant, par une certaine inclination, est attiré vers la chose aimée, mais selon divers modes :

  • car dans le deuxième mode d'amour [l'amour de concupiscence], l’affect de l’amant est attiré vers la chose aimée par un acte de la volonté, mais par [= à cause de] son intention, l’affect revient rapidement (recurrit)1 en lui-même (in seipsum) :

en effet, lorsque j'appète [= je désire] la justice ou le vin,

    • mon affect est incliné vers l’un de ces autres,
    • mais cependant il retourne rapidement (recurrit) en lui-même

parce qu’il se porte vers les choses susdîtes de telle manière que par elles il lui arrive (sit) un bien  ;

c’est pourquoi un tel amour ne place pas l’amant à l'extérieur de lui-même (extra se), quant à [= en raison de] la fin de l'intention.

  • Mais avec le premier mode d'amour, l'affect de l'amant est porté vers la réalité aimée de telle manière qu’il n'y ait pas ce retour rapide (recurrit) sur lui-même,
    • parce que c’est à la réalité aimée elle-même qu’il veut du bien
    • et non pour cette raison qu’il voudrait qu’au moyen d’elle il lui arrive (accidit) ensuite quelque chose [= un bien].

Ainsi donc c’est un tel amour qui fait l’extase parce qu'il place l’amant à l'extérieur de lui-même (extra seipsum).

430. In utroque igitur modo amoris, affectus amantis per quamdam inclinationem trahitur ad rem amatam, sed diversimode : 

  • nam in secundo modo amoris, affectus amantis trahitur ad rem amatam per actum voluntatis, sed per intentionem, affectus recurrit in seipsum ;

dum enim appeto iustitiam vel vinum,

    • affectus quidem meus inclinatur in alterum horum,
    • sed tamen recurrit in seipsum,

quia sic fertur in praedicta ut per ea bonum sit ei ;

unde talis amor non ponit amantem extra se, quantum ad finem intentionis.

  • Sed cum aliquid amatur primo modo amoris, sic affectus fertur in rem amatam, quod non recurrit in seipsum,
    • quia ipsi rei amatae vult bonum,
    • non ex ea ratione quia ei exinde aliquid accidat.

Sic igitur talis amor extasim facit, quia ponit amantem extra seipsum.

431. Mais cet [amour d'amitié] se produit de trois manières ; en effet, ce bien substantiel peut se porter de trois manières à l’affect :

  • d'une première manière, selon que le bien est plus parfait que l’amant lui-même
    • et par cela l’amant se compare au bien comme la partie au tout,
    • car ce qui existe en totalité dans ce qui est parfait n'existe qu'en partie dans ce qui est imparfait ;
    • par conséquent, selon cela, l’amant est quelque chose de l’aimé.
  • Deuxièmement, selon que le bien aimé est du même ordre que l’amant.
  • Troisièmement, selon que l’amant est plus parfait que ce qui est aimé et ainsi l’amour de l’amant se porte vers l'aimé comme vers quelque chose qui lui appartient [litt. : de sien].

431. Sed hoc contingit tripliciter ; potest enim illud substantiale bonum, in quod affectus fertur, tripliciter se habere :

  • uno modo sic, quod illud bonum sit perfectius quam ipse amans
    • et per hoc amans comparetur ad ipsum ut pars ad totum,
    • quia quae totaliter sunt in perfectis partialiter sunt in imperfectis ;
    • unde secundum hoc, amans est aliquid amati.
  • Alio modo sic, quod bonum amatum sit eiusdem ordinis cum amante.
  • Tertio modo, quod amans sit perfectius re amata et sic amor amantis fertur in amatum, sicut in aliquid suum.

432. Ainsi donc,

A. quand l’appétit de l’amant se porte vers l’aimé comme vers un [être] supérieur dont un quelque chose [une partie] est l’amant lui-même, alors l’amant ordonne son propre bien vers l’aimé ;

    • par exemple, si la main aimait l’homme, elle ordonnerait cela-même qu’elle est vers le tout [le tout qu'est l'homme],
    • d’où elle se placerait totalement à l'extérieur d’elle-même
    • car en aucune manière il lui resterait quelque chose d'elle
    • mais elle ordonnerait tout vers l'aimé, [c'est-à-dire à l’homme].

B. Il n’en est pas ainsi quand un être en aime un autre de même rang ou qui lui est inférieur :

    • en effet, si une main en aimait une autre, elle ne s'ordonnerait pas totalement vers l’autre ;
    • et un homme qui aime sa main n'ordonne pas tout son bien vers le bien de la main.

Ainsi donc

A. quelqu’un doit aimer Dieu de sorte qu’il ne lui reste plus rien qui ne soit pas ordonné à Dieu.

B. Cependant, lorsqu’il aime des [réalités] égales ou inférieures, il suffit seulement qu’il soit à l'extérieur de lui-même en elles [ablatif, donc : dans sans mouvement] de sorte 

    • qu’à soi il ne tende pas seulement mais aux autres [aussi] ;
    • tout comme il ne faut pas qu’il s'ordonne totalement en elles.

432.

A. Sic igitur cum affectus amantis fertur in amatum superius, cuius aliquid est ipse amans, ipsum suum bonum amans ordinat in amatum ;

  • sicut si manus amaret hominem, hoc ipsum quod ipsa est in totum ordinaret,
  • unde totaliter extra se poneretur,
  • quia nullo modo aliquid sui sibi relinqueretur,
  • sed totum in amatum ordinaret.

B. Non autem ita est, cum aliquid amat sibi aequale vel id quod infra se est :

  • non enim una manus, si aliam amaret, totam se in aliam ordinaret,
  • neque homo amans suam manum, totum bonum suum in bonum manus ordinat.

A. Sic ergo aliquis debet Deum amare, quod nihil sui sibi relinquat, quin in Deum ordinetur.

B. Cum autem aequalia vel inferiora amat, sufficit quod sit extra se exiens in illa ita dumtaxat

  • quod non sibi soli intendat, sed aliis ;
  • nec oportet quod totaliter se in illa ordinet.

433. Ainsi donc l’amour divin peut ici s’accepter de deux manières :

  • d'une première manière, de l’amour par lequel Dieu est aimé

et c’est ainsi qu’il faut expliquer cette parole qui dit que l’amour divin fait l’extase,

    • c’est-à-dire qu’il place l’amant hors de lui,
    • c’est-à-dire qu’il l’ordonne à Dieu de telle sorte qu’il ne permet pas aux amants d’exister pour eux-mêmes
    • mais pour les réalités divines qu’ils aiment, car il ne leur reste rien qui ne soit ordonné à Dieu.

 

  • D'une autre manière, l’amour divin peut s’entendre de l’amour qui vient de Dieu,
    • non seulement de celui qui est en Lui,
    • mais aussi de celui qui est dans les autres, c’est-à-dire les égaux et les inférieurs

et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui suit :

n'abandonnant pas tant (tantum) les amantsà ce qui leur est propre,
mais à ceux qui sont aimés,

c’est-à-dire à ceux qui sont aimés, car c’est l’amour qui fait

    • qu’ils ne se contentent pas seulement de se replier sur eux-mêmes,
    • qu'ils ne tendent pas seulement vers eux-même, 
    • mais aussi vers les autres.

433. Sic igitur amor divinus dupliciter potest hic accipi :

  • uno modo, amor quo Deus amatur

et sic exponenda est haec littera quod amor divinus facit extasim,

    • idest ponit amantem extra se,
    • idest ordinat ipsum in Deum ita quod non permittit ipsos amatores esse sui ipsorum,
    • sed rerum divinarum quae amantur, quia nihil sui sibi relinquunt quin in Deum ordinent.

 

  • Alio modo, potest intelligi amor divinus qui est a Deo derivatus,
    • non solum in Deum,
    • sed etiam in alia, scilicet aequalia vel inferiora

et sic intelligendum est : 

non dimittens amatores esse sui ipsorum tantum, 
sed amatorum,

idest eorum quae amantur, quia amor facit

    • quod non solum sibi intendant,
    • sed etiam aliis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET DANS LES CREATURES]  

434. Ensuite, lorsqu’il dit (169) : Et ils montrent…il manifeste dans les créatures ce qu’il vient de dire ;

  • et d’abord, par mode d’induction ;
  • deuxièmement par un recours à l’autorité lorsqu’il ajoute (170) : C’est à cause de cela

434. Deinde, cum dicit : et monstrant et cetera, manifestat quod dixerat, in creaturis ;

  • et primo, per inductionem ;
  • secundo, per auctoritatem ; ibi : propter quod et cetera.
[a. Manifestation par voie d'induction]  

435. Il dit donc en premier que cet effet de l’amour, à savoir l’extase,

  • les réalités supérieures en font la preuve (demonstrant) au moyen de la providence qu’elles exercent (faciunt) à l’égard des réalités inférieures ;

c’est en cela en effet qu’elles sont placées d’une certaine manière hors d’elles-mêmes puisqu'alors elles se tournent vers les autres ;

  • et de même, celles qui sont co-ordonnées, à savoir les égales, manifestent la même chose par le support qu'elles exercent les unes à l'égard des autres, c’est-à-dire pour autant qu’elles s’entraident et s’entretiennent mutuellement ;
  • et les réalités inférieures le montrent par le fait qu'elles sont plus divinement convertis en les réalités qui leur sont supérieures, comme vers celles en qui leur bien existe.

Dans tous ces cas [n.b. : = le signe de l'induction] en effet il apparaît qu’une réalité sort d’elle-même aussitôt [dum = pendant que, indique ici la concommitance] qu’elle se tourne vers une autre.

On se sert ici du génitif au lieu de l’ablatif car la langue grecque en est dépourvue.

435. Dicit ergo primo quod praedictum effectum amoris,

  • demonstrant superiora per providentiam quam faciunt de inferioribus ;

in hoc enim quodammodo extra se ponuntur, quod aliis intendunt ;

  • et similiter, monstrant coordinata, idest aequalia, per continentiam qua se invicem continent, prout scilicet, unum ab altero iuvatur et fovetur ;
  • et monstrant etiam inferiora per hoc quod divinius convertuntur in sua superiora, ut in quibus eorum bonum existit.

In omnibus enim his apparet quod aliquid extra se exit, dum ad alterum convertitur.

Utitur autem hic genitivis pro ablativis, quia Graeci ablativis carent.

[b. Manifestation par voie d'autorité]  
 

436. Ensuite, lorsqu’il dit (170) : C’est à cause de cela… il montre la même chose, mais par voie d’autorité ;

et il dit que c’est à cause de cela que

  • l’amour ne permet pas à l’amant d'exister pour lui-même, [l'amour de type amour d'amitié en tant que tel implique une sortie et ne peut se contenter de rester en soi]
  • mais [le pousse à exister] pour l’aimé,

comme on le voit chez le grand Paul qui fut établi dans l’amour divin

  • comme dans une étreinte
  • et par une puissance de l’amour divin qui le fit sortir totalement de lui-même

lorsqu’il dit, en parlant comme par la bouche de Dieu, au deuxième chapitre de l’épître aux Galates (2, 20) : ¨Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi¨,

c'est à dire qu’il était sorti de lui-même, se projetant totalement en Dieu (totum se in Deum proiecerat),

ne cherchant pas

  • ce qui est à lui [litt. "est sien" ; = son bien propre]
  • mais ce qui est à Dieu [= le bien de Dieu, dans l'amour d'amitié, on recherche le bien de l'autre,... il appartient à Dieu d'être aimé...],

comme un vrai amant transporté dans l’extase,

  • vivant de Dieu
  • et ne vivant pas de sa propre vie
  • mais de celle du Christ, son Amour, laquelle lui paraissait de loin préférable.
 

436. Deinde, cum dicit : propter quod et cetera, ostendit idem per auctoritatem ;

et dicit quod propter hoc quod 

  • amor non permittit amatorem esse sui ipsius,
  • sed amati, 

magnus Paulus constitutus in divino amore

  • sicut in quodam continente 
  • et virtute divini amoris faciente ipsum totaliter extra se exire,

quasi divino ore loquens dicit, Galat. 2 : vivo ego, iam non ego, vivit autem in me Christus 

scilicet quia a se exiens totum se in Deum proiecerat,

non quaerens

  • quod sui est,
  • sed quod Dei, 

sicut verus amator et passus extasim,

  • Deo vivens 
  • et non vivens vita sui ipsius,
  • sed vita Christi ut amati, quae vita erat sibi valde diligibilis.
[2. MANIFESTATION DE L'EXTASE COMME EFFET EN DIEU]  

437. Ensuite, lorsqu’il dit (171) : Osons dire

  • il dit qu’il faut affirmer que l’opération de l’amour dont nous venons de parler se retrouve aussi en Dieu, en disant que 
  • ceci est dit audacieusement comme une vérité,
    • c'est à dire établir (faciente) cette vérité audacieusement ;
  • ou, comme une vérité,
    • c'est-à-dire qu’il faut affirmer comme vrai

que Lui-même,

qui est la cause de toute chose par son amour beau et bon par lequel Il aime tout,
selon l’abondance de sa bonté par laquelle il aime les choses,

sort de Lui-même

    • en tant qu'Il pourvoit aux besoins de tout ce qui existe par
      • sa bonté,
      • son amour
      • et sa charité,
    • et d'une certaine manière il est attiré et mis à terre (deponitur)
    • de manière relative à sa propre excellence,
      • selon le fait qu'il existe au-dessus de toutes choses
      • et qu'il est séparé de toutes choses,
    • de sorte qu'il est en toutes choses,
    • par les effets de sa bonté,
    • selon une certaine extase
    • qui le fait cependant exister dans tous les inférieurs,
    • de telle sorte que sa puissance supersubstantielle ne sorte pas de Lui (non egrediatur ab ipso).
    • En effet il comble toutes les choses sans que sa puissance ne soit épuisée dans aucune d’elles.

C’est ce que Denys ajoute certes pour montrer que par le mot ‘mis à terre(deponitur),

    • il ne faut pas comprendre que Dieu soit diminué,
    • mais seulement qu'il se communique à ceux qui participent de sa bonté.

437. Deinde, cum dicit : 

  • audendum et cetera, dicit quod praedicta operatio amoris etiam in Deo invenitur, dicens quod 
    • hoc audacter dicendum est pro veritate,
      • idest veritatem hanc audacter faciente ;
    • vel pro veritate,
      • idest pro vero hoc asserendo, 

quod ipse 

qui est omnium causa per suum pulchrum et bonum amorem quo omnia amat,
secundum abundantiam suae bonitatis qua amat res, 

fit extra seipsum,

    • inquantum providet omnibus existentibus per
      • suam bonitatem
      • et amorem
      • vel dilectionem
    • et quodammodo trahitur et deponitur 
    • quodammodo a sua excellentia, 
      • secundum quod supra omnia existit 
      • et ab omnibus segregatur,
    • ad hoc quod sit in omnibus,
    • per effectus suae bonitatis,
    • secundum quamdam extasim,
    • quae tamen sic ipsum facit in omnibus inferioribus esse,
    • ut supersubstantialis eius virtus non egrediatur ab ipso.
    • Sic enim implet omnia quod ipse in nullo evacuetur sua virtute.

Quod quidem addit, ut per hoc quod dixerat : deponitur,

  • non intelligatur aliqua minoratio,
  • sed hoc solum quod se inferioribus ingerit propter suae bonitatis participationem.
   

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0. Vérifier que la traduction de "in" par "vers" est toujours correcte (il faut l'accusatif).

1. Recurrit : courrir en arrière, revenir en courant, revenir vite, revenir

2. Dans l'amour de conupiscence, il y a un premier temps où l'on sort de soi mais c'est pour un bref instant, le temps de prendre ce qui nous intéresse à l'extérieur pour le ramener en soi. Donc, l'extase est ici certes dans un premier stade, contrairement à l'amour naturel de soi qui ne nécessite pas de sortir de soi, mais elle ne demeure pas dans cet état. Seul l'amour d'amitié restera tendu vers l'autre et demeurera dans cet "état de sortie".

3. Traduction originale du n° 437 : "... et que d’une certaine manière il se prolonge et s’abandonne, mais  à cause de son excellence conformément à Son existence qui demeure au-dessus et séparée de tout dans l’existence de tous les êtres, selon une certaine extase..."

4. n° 437 : "deponitur" :

  • trad. originale : "s'abandonne".
  • Traduction du grec par Sources Chrétiennes 478 : "et, pour ainsi dire, se laisse séduire par la bonté, la dilection et l'amour" ;
  • traduction de Georges Darboy : "et daigne bien se laisser vaincre aux charmes de la bonté, de la dilection et de l’amour".

5. n° 437 : "supersubstantialis eius" : trad. originale : "sa substance qui est au-dessus de toute substance"

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Thomas d'Aquin - L'homme peut tendre à Dieu plus en subissant son attraction que par le jugement de sa raison - I-II.q26a3ad4

Certains ont posé, jusque dans la volonté même, que le nom d'amour est plus divin que le nom de dilection,

  • parce que l'amour implique une certaine passion, d'autant plus qu'il l'est dans l'appétit sensitif ;
  • tandis que la dilection présuppose le jugement de la raison.

Mais l'homme peut tendre à Dieu

  • plus par amour, passivement attiré (attractus) d'une certaine manière par Dieu lui-même,
  • que sa propre raison ne peut l'y conduire, ce qui relève de la raison de dilection, comme cela a été dit.

Et à cause de cela, l'amour est plus divin que la dilection. 

(Somme, I-II.q26a3ad4)

Aliqui posuerunt, etiam in ipsa voluntate, nomen amoris esse divinius nomine dilectionis,

  • quia amor importat quandam passionem, praecipue secundum quod est in appetitu sensitivo;
  • dilectio autem praesupponit iudicium rationis.

 

  • Magis autem homo in Deum tendere potest per amorem, passive quodammodo ab ipso Deo attractus,
  • quam ad hoc eum propria ratio ducere possit, quod pertinet ad rationem dilectionis, ut dictum est.

Et propter hoc, divinius est amor quam dilectio.

Ce passage est de première importance pour montrer tout ce qui oppose Duns Scot à Thomas !

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Thomas d'Aquin - La perfection d'une chose dépend de la réalité EXTERIEURE la plus parfaite vers laquelle cette chose tend - I.q59a3ad3

La connaissance réside dans le fait que le connu est dans le connaissant. (...) 

Mais l’acte de la puissance appétitive est [ce] par quoi l'affect est incliné vers la chose extérieure. Or, la perfection d’une chose ne dépend pas de toutes les choses vers lesquelles elle est inclinée, mais seulement des choses supérieures.

(Somme,  I.q59.a3.ad3)

Cognitio fit per hoc quod cognita sunt in cognoscente. (...)

Sed actus appetitivae virtutis est per hoc quod affectus inclinatur ad rem exteriorem. Non autem dependet perfectio rei ex omni re ad quam inclinatur, sed solum ex superiori.

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Thomas d'Aquin - La perfection morale requiert que l'homme soit aussi mû au bien par l'appétit sensible

Donc, de même qu'il est meilleur que l'homme veuille le bien et le réalise extérieurement, ainsi la perfection du bien moral requiert que l'homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible, selon cette parole du Psaume (84, 3) -  Mon coeur et ma chair ont exulté dans le Dieu vivant", le "coeur" étant ici l'appétit intellectuel, et la "chair" l'appétit sensible. (Somme, I-II, q. 24, a. 3, c.)

Sicut igitur melius est quod homo et velit bonum, et faciat exteriori actu; ita etiam ad perfectionem boni moralis pertinet quod homo ad bonum moveatur non solum secundum voluntatem, sed etiam secundum appetitum sensitivum; secundum illud quod in Psalmo LXXXIII, dicitur, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum, ut cor accipiamus pro appetitu intellectivo, carnem autem pro appetitu sensitivo.

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Thomas d'Aquin - On entend par mouvement sensuel l'opération de la puissance appétitive - I.q81a1 et I.q81a2

  • La sensualité n'est pas directement morale mais dit simplement l'appétit sensitif en général

AVERTISSEMENT : Nous nous permettons ici ce que nous ne pourrions nous permettre dans une traduction grand public : "sensualitas" est ici traduit littéralement "sensualité". Ce terme n'est pas à comprendre dans son sens moral actuel mais dans un sens neutre plus proche du terme "sensibilité" dans son versant affectif (par distinction de son versant cognitif). Une bonne traduction pourrait être "affectivité sensible"1.

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Le mouvement sensuel (sensualis) est un appétit consécutif à une appréhension sensible (sensitivam)

Car

  • l'acte de la puissance appréhensive n'est pas aussi proprement dit un mouvement,
  • comme [peut l'être] l'action de l'appétit, 

car

  • l'opération de la puissance appréhensive est perfectionnée en cela que les choses appréhendées sont dans celui qui appréhende,
  • tandis que l’opération de la puissance appétitive est perfectionnée en ce que l’être qui appète [= désire] est incliné dans la chose appétible [= désirable]2.

Et c’est pourquoi

  • l’opération de la puissance appréhensive est assimilée au repos,
  • tandis l’opération de la puissance appétitive est davantage assimilée au mouvement.

Aussi par mouvement sensuel (sensualem) est intelligé [= est entendu] l’opération de la puissance appétitive. Ainsi la sensualité est le nom de l'appétit sensitif.

(Somme, I.q81a1)

Motus autem sensualis est appetitus apprehensionem sensitivam consequens.

  • Actus enim apprehensivae virtutis non ita proprie dicitur motus, 
  • sicut actio appetitus,
  • nam operatio virtutis apprehensivae perficitur in hoc, quod res apprehensae sunt in apprehendente;
  • operatio autem virtutis appetitivae perficitur in hoc, quod appetens inclinatur in rem appetibilem.

Et ideo

  • operatio apprehensivae virtutis assimilatur quieti,
  • operatio autem virtutis appetitivae magis assimilatur motui.

Unde per sensualem motum intelligitur operatio appetitivae virtutis. Et sic sensualitas est nomen appetitus sensitivi.

 *     *     *

L’appétit sensitif est une faculté qu’on appelle en général sensualité, mais il se divise en deux puissances qui sont ses espèces : l’irascible et le concupiscible.

(Somme, I.q81a2)

Appetitus sensitivus est una vis in genere, quae sensualitas dicitur; sed dividitur in duas potentias, quae sunt species appetitus sensitivi, scilicet in irascibilem et concupiscibilem.

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1. Voir la note de F.-X. Putallaz :

Le mot « sensualitas » est d’ordinaire traduit par « sensibilité ». Mais ce dernier terme recouvre à la fois les facultés cognitives et les facultés appétitives ; or il s’agit ici seulement des deux facultés appétitives d’ordre sensible ; le terme « sensibilité » est donc trop large. En conservant le mot proche du latin « sensualité », on tombe dans le travers inverse, en raison de sa connotation de désir qu’il comporte, et même de désir imprégné de sexualité ; le terme est donc trop étroit. Je propose « affectivité sensible », au sens de la tendance qui porte l’appétit vers les réalités corporelles, afin de les atteindre, de les fuir ou de les combattre. Cette « affectivité sensible » est le siège des « sentiments », des émotions et des passions. Elle a un rôle vital.

in : Thomas d'Aquin, L'âme humaine, Cerf, 2018, p. 547.

2. Thomas préfère réserver le terme désir à l'appétit volontaire. Le terme appétit est plus générique, il peut refléter une tendance vers un bien sensible (concupiscence) comme spirituel (désir).

3. On comprend ici ce que Thomas dira plus loin, la sensualité (c'est à dire l'appétit sensitif, c'est à dire les passions) n'est pas en lui-même moral, cf. I-II.q24a1 : les passions en elles-mêmes ne sont pas morales.

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Thomas d'Aquin - On peut utiliser la passion par choix pour aller plus vite ! - I-II.q24a3ad1

  • Notamment : comment utiliser la passion pour améliorer l'action, la vertu

Voir passage équivalent dans De Veritate

Les passions peuvent avoir un double rapport avec le jugement de la raison. Dicendum quod passiones animae dupliciter se possunt habere ad iudicium rationis. 
1. Parfois elles le précèdent. Dans ce cas, elles obscurcissent (obnubilent) le jugement, duquel dépend la bonté de l'acte moral, et, par suite, elles diminuent la bonté de cet acte ; il est plus digne de louange d'accomplir une oeuvre de charité par jugement de raison que par la seule passion de pitié (misericordiae). Uno modo, antecedenter. Et sic, cum obnubilent iudicium rationis, ex quo dependet bonitas moralis actus, diminuunt actus bonitatem, laudabilius enim est quod ex iudicio rationis aliquis faciat opus caritatis, quam ex sola passione misericordiae.
2. D'autres fois, les passions sont consécutives au jugement. Ce peut être d'une double manière : Alio modo se habent consequenter. Et hoc dupliciter.
  • a) Par manière de rejaillissement (redundantiae) lorsque, la partie supérieure de l'âme est mue intensément vers une chose, la partie inférieure suit aussi son mouvement. Et ainsi la passion qui existe consécutivement [au jugement] dans l'appétit sensitif est un signe de l'intensité de la volonté. Et ainsi elle indique une bonté morale plus grande.
  • Uno modo, per modum redundantiae, quia scilicet, cum superior pars animae intense movetur in aliquid, sequitur motum eius etiam pars inferior. Et sic passio existens consequenter in appetitu sensitivo, est signum intensionis voluntatis. Et sic indicat bonitatem moralem maiorem. 
  • b) Par manière de choix : quand l'homme, par un jugement rationnel, choisit d'être affecté de telle passion afin d'agir plus vite (promptius), avec la coopération de l'appétit sensible. La passion ajoute alors à la bonté de l'acte.
Somme, I-II.q24a3ad1)
  • Alio modo, per modum electionis, quando scilicet homo ex iudicio rationis eligit affici aliqua passione, ut promptius operetur, cooperante appetitu sensitivo. Et sic passio animae addit ad bonitatem actionis.

 

Commentaires : 

  1. Redundantiae traduit par rejaillissement pourrait être aussi traduit par "surabondance", "excès" ou "débordement".
  2. A vérifier mais, a priori, grave erreur de traduction ("l'âme se portant intensément vers une chose") : pars animae intense movetur in aliquid: ici l'âme est mûe et non se meut, movetur est au présent passif, non actif, l'objet prime sur la possibilité volontariste de la raison. Ici, l'âme répond à une attraction. On n'est pas chez Duns Scot ! Même problème ici.
  3. La dernière partie est extraordinaire, le choix de se servir de la passion comme d'une monture pour aller plus vite. Quelle liberté ! On imagine très bien Thomas utilisant son amour passionné de la vérité pour donner plus d'allant à sa recherche concrète malgré la fatigue et autres obstacles.
  4. Promptius : ne veut pas dire immmédiatement "plus vite" mais davantage "plus facilement", en cela que la passion peut de nouveau rendre nos facultés spirituelles prêtes à être utilisées. Mais la traduction reste bonne, la passion habilement utilisée peut maintenir nos facultés éveillées, plus en acte. On est prêt à dégainer, on peut maintenir l'activité spirituelle plus longtemps. De même que Thomas reconnaîtra dans l'autre sens que la fatigue des faultés sensibles adjointes à l'activité contemplative ne permet pas de maintenir la contemplation indéfiniment.
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