Skip to main content

Thomas d'Aquin - La dissonance est cause de la haine, la convenance est cause de l'amour

Le bien, sous la raison de bien, ne peut être objet de haine, ni en général, ni en particulier.

Quant à l'être et au vrai, on ne peut assurément les haïr en général, car c'est la dissonance qui est cause de la haine tandis que la convenance est cause de l'amour ; et, d'autre part, l'être et le vrai sont communs à toutes choses. 

Mais, en particulier, rien n'empêche qu'on haïsse tel être ou certaine vérité...

(Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 5, c.)

Bonum, sub ratione boni, non potest odio haberi, nec in universali nec in particulari.

Ens autem et verum in universali quidem odio haberi non possunt, quia dissonantia est causa odii, et convenientia causa amoris; ens autem et verum sunt communia omnibus. 

Sed in particulari nihil prohibet quoddam ens et quoddam verum odio haberi...

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - Consonnance - Convenance - Amour / Dissonance - Répugnance - Haine

Dans l'appétit naturel ceci apparaît manifeste :

  • de même que tout être possède une consonance naturelle ou aptitude avec ce qui lui convient (ce qui est l'amour naturel),
  • de même, à l'égard de ce qui lui répugne et le corrompt, tout être possède une dissonance naturelle, qui est la haine naturelle. 

 

In appetitu autem naturali hoc manifeste apparet, quod

  • sicut unumquodque habet naturalem consonantiam vel aptitudinem ad id quod sibi convenit, quae est amor naturalis;
  • ita ad id quod est ei repugnans et corruptivum, habet dissonantiam naturalem, quae est odium naturale.

De même, il apparaît [manifeste que], dans l'appétit animal ou dans l'appétit intellectuel,

  • l'amour est une consonance de l'appétit avec ce qui est appréhendé comme lui convenant ;
  • la haine, au contraire, est une sorte de dissonance de l'appétit à ce qui est appréhendé comme répugnant [= repoussant] et nuisible.

Sic igitur et in appetitu animali, seu in intellectivo,

  • amor est consonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut conveniens,
  • odium vero est dissonantia quaedam appetitus ad id quod apprehenditur ut repugnans et nocivum.

 

  • Or tout ce qui convient, en tant que tel, a raison de bien ;
  • pareillement, tout ce qui répugne, en tant que tel, a raison de mal.

Par conséquent, de même que le bien est l'objet de l'amour, ainsi le mal est-il l'objet de la haine. (Somme, Ia-IIae, q. 29, a. 1, c.)

  • Sicut autem omne conveniens, inquantum huiusmodi, habet rationem boni; 
  • ita omne repugnans, inquantum huiusmodi, habet rationem mali.

Et ideo, sicut bonum est obiectum amoris, ita malum est obiectum odii.

Notes :

1. Au Moyen-Âge, lorsqu'on dit que quelque chose est perçu sous la raison de bien ne signifie que ce quelque chose soit un bien, mais seulement qu'il est considéré sous cet aspect. 

2. Certains mots se comprennent mieux considérés en regard avec leur opposé : convenance / répugnance, consonnance / dissonance,...

Commentaire :

Thomas analyse ce qui se passe manifestement du point de vue de l'amour naturel, dans toute réalité confondue (la pierre, l'animal, etc.), puis ce qui se passe manifestement du côté de l'amour impliquant une connaissance, appréhension (monde sensible de l'animal, monde spirituel de l'être spirituel).

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeMalo.q10a1- EN COURS - Pourquoi l'envie est-elle une faute ?

Tout acte

  • qui relève de la fuite
  • et dont l'objet est un bien,

n'est convenable

  • ni quant à sa matière
  • ni quant à son objet,

et c'est pourquoi tout acte de cette sorte est un péché par son genre, ainsi

  • haïr le bien, le repousser et s'en attrister,
  • parce que dans l'intelligence, c'est aussi un vice de nier le vrai.

Il ne suffit cependant pas, pour qu'un acte soit bon,

  • qu'il implique la poursuite du bien ou la fuite du mal,
  • si ce n'est la poursuite du bien convenable, et la fuite du mal qui lui est opposé :

pour le bien, dont la perfection tient à la plénitude et à l'intégrité de la chose, sont requis plus d'éléments que pour le mal, qui résulte de chaque déficience singulière, comme le dit Denys dans Les Noms Divins (IV, 30).

Or l'envie implique une tristesse qui vient du bien ; aussi est-il patent qu'elle est de par son genre un péché.

(DeMalo.q10a1)

Omnis actus

  • ad fugam pertinens
  • cuius obiectum est bonum,

est non conveniens

  • suae materiae
  • vel obiecto;

omnis talis actus ex suo genere est peccatum; sicut

  • odire bonum et abominari bonum et de ipso tristari;
  • quia etiam in intellectu vitium est negare verum.

Non tamen sufficit ad hoc quod actus sit bonus,

  • quod importet prosecutionem boni vel fugam mali
  • nisi sit prosecutio boni convenientis, et fuga mali quod ei opponitur;

quia plura requiruntur ad bonum, quod perficitur ex tota et integra causa, quam ad malum, quod relinquitur ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit V cap. de Divin. nominibus;

invidia autem importat tristitiam ex bono. Unde patet quod ex suo genere est peccatum. 

 


 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q1a1 - L'ens - sa convenance avec l'appétit - sa convenance avec l'intellect

  • La convenance de l’étant avec l’appétit est donc exprimée par le nom de « bien »
    • (ainsi est‑il dit au début de l’Éthique que « le bien est ce que toute chose recherche »).
  • La convenance avec l’intellect est exprimée, quant à elle, par le nom de « vrai ».
(DeVer.q1a1)
  • Convenientiam ergo entis ad appetitum exprimit hoc nomen bonum,
    • ut in principio Ethic. [I, 1 (1094 a 3)] dicitur quod bonum est quod omnia appetunt.
  • Convenientiam vero entis ad intellectum exprimit hoc nomen verum.

 

 

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - La vertu est un choix prédéterminé qui améliore la rapidité dans l'action

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

Pour faciliter la lecture, on pourra remplacer élection par choix et élire par choisir.

Comme dit le Philosophe au troisième livre de l’Éthique, « on fait preuve de plus de courage quand on se montre sans peur et sans trouble devant un péril surgi à l’improviste que devant un péril attendu ». En effet, l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation :

  • car les choses attendues, c’est‑à‑dire connues d’avance, on les élira par la raison et la réflexion (ex ratione et cogitatione)
    • sans habitus ;
  • mais ce qui surgit à l’improviste est élu
    • par un habitus.

Et il ne faut pas comprendre (intelligendum)

  • que l’opération par l’habitus de vertu pourrait être tout à fait sans délibération, puisque la vertu est un habitus électif,
  • mais que, pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection ;

par conséquent, chaque fois qu’une chose (aliquid) se présente comme convenant à cette fin,

  • elle est aussitôt élue,
  • à moins qu’elle ne soit empêchée par une délibération plus attentive et plus longue.

(DeVer.q24a12)

Ut enim philosophus dicit in III Ethicorum [cap. 11 (1117 a 17)], fortioris est in repentinis timoribus impavidum et imperturbatum esse, quam in praemanifestis. Ab habitu enim est magis operatio, quanto minus est ex praemeditatione :

  • praemanifesta enim, id est praecognita, aliquis praeeliget ex ratione et cogitatione sine habitu ;
  • sed repentina sunt secundum habitum.

Nec hoc est intelligendum

  • quod operatio secundum habitum virtutis possit esse omnino absque deliberatione, cum virtus sit habitus electivus ;
  • sed quia habenti habitum iam est in eius electione finis determinatus ;

unde quandocumque aliquid occurrit ut conveniens illi fini,

  • statim eligitur,
  • nisi ex aliqua attentiori et maiori deliberatione impediatur.

 


... l’opération vient d’autant plus de l’habitus qu’elle vient moins de la préméditation...

... puisque la vertu est un habitus électif...

... pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection...

1. -- Bien noter que l'habitus n'est pas un réflexe, le choix demeure, même s'il a été antérieurement et volontairement automatisé afin de ne pas avoir à rechoisir le moindre des petits actes dans le détail. Si les circonstances l'exigent, on pourra réactiver un choix plus conscient par l'attention et le temps qu'on y passera. Mais s'il n'y a pas lieu, c'est justement sur le plan de la rapidité à l'action et du temps gagné que l'homme prudent tablera. En dernier lieu, s'il s'agit de gagner du temps, c'est pour se consacrer aux tâches les plus nobles, et parmi elles la plus noble, celle d'aimer ("il est meilleur d’aimer Dieu que de le connaître", SommeI.q82a3). Noter que le mot "opérations" ou le mot "activités" est plus adapté ici que le mots "tâches".

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - I-II.q47a5 - La prudence est la vertu la plus nécessaire à la vie humaine.

  • Il faut une sous-traitance spécifique pour s'occuper des moyens, c'est la vertu de prudence qui s'en charge

La prudence est la vertu la plus nécessaire à la vie humaine. Bien vivre (bene vivere) consiste en effet à bien opérer (operari) [= agir]. Cependant pour que quelque chose soit bien opéré (bene operetur),

  • il est non seulement requis qu'on fasse quelque chose,
  • mais aussi qu'on le fasse d'une certaine manière (quomodo)

c'est à dire que

  • les [actions] soient posées selon une élection droite,
  • et non seulement à partir d'une impulsion ou d'une passion.

Mais, comme l'élection porte sur les moyens, la rectitude de l'élection requiert deux [choses], à savoir :

  • la fin due,
  • et ce qui est convenablement (convenienter) ordonnée à (ad) la fin due. [= plan des moyens]

[A la fin due]

  1. Mais à la fin due,
    • l'homme est convenablement disposé par la vertu [= ?? La témpérance] qui perfectionne la partie appétitive de l'âme, dont l'objet est
      • le bien
      • et la fin. 
  2. Mais à (ad) ce qui est convenablement ordonné à (in) la fin due,  [= plan des moyens]
    • il faut qu'on y soit directement disposé par un habitus de la raison, car
      • délibérer
      • et élire, 
        • qui sont les opérations relatives aux moyens,
    • sont des actes de la raison.

Et c'est pourquoi il est nécessaire que soit dans la raison une vertu intellectuelle, par laquelle est perfectionnée la raison, de sorte qu'elle se rapporte convenablement aux moyens.

Et cette vertu est la prudence. Aussi la prudence est-elle une vertu nécessaire pour bien vivre..

(Somme, I-II.q47a5)

Prudentia est virtus maxime necessaria ad vitam humanam. Bene enim vivere consistit in bene operari. Ad hoc autem quod aliquis bene operetur,

  • non solum requiritur quid faciat,
  • sed etiam quomodo faciat;

ut scilicet

  • secundum electionem rectam operetur,
  • non solum ex impetu aut passione.

Cum autem electio sit eorum quae sunt ad finem, rectitudo electionis duo requirit, scilicet

  • debitum finem;
  • et id quod convenienter ordinatur ad debitum finem.

[Ad debitum finem]

  1. Ad debitum autem finem homo convenienter disponitur per virtutem quae perficit partem animae appetitivam, cuius obiectum est
    • bonum
    • et finis.
  2. Ad id autem quod convenienter in finem debitum ordinatur,
    • oportet quod homo directe disponatur per habitum rationis, quia
      • consiliari
      • et eligere,
        • quae sunt eorum quae sunt ad finem,
    • sunt actus rationis.

Et ideo necesse est in ratione esse aliquam virtutem intellectualem, per quam perficiatur ratio ad hoc quod convenienter se habeat ad ea quae sunt ad finem.

Et haec virtus est prudentia. Unde prudentia est virtus necessaria ad bene vivendum. 

 

   

1. -- Il est intéressant de voir que TH. ajoute "et non seulement à partir d'une impulsion ou d'une passion", il aurait pu dire "et non à partir de". Il reste fidèle au fait que l'impulsion naturelle et la passion ne sont pas par elles-mêmes mauvaises, seulement neutres. Livrées à elles-mêmes, elles ne peuvent agir droitement, d'où la nécessité d'une vertu.

2. -- debitum finem : une fin issue d'une loi, cf. par ex. I-II.q91a2 :

Et d'où en cette créature est participée la raison éternelle, par laquelle elle possède une inclination naturelle à l'acte dû et à la fin due.

Unde et in ipsa participatur ratio aeterna, per quam habet naturalem inclinationem ad debitum actum et finem.

3. -- debitum finem : la traduction de 1933 dit : "la fin conforme au devoir", elle a été heureusement corrigée dans les années 80, c'est celle que nous avons retenue. Bien sûr, TH. est bien loin d'une morale du devoir !

4. -- convenienter : voir la notion de convenance chez TH.

  • Dernière mise à jour le .

Thomas d'Aquin - Le mouvement vers la possession du bien commence à faire entrer en délectation - I-II.q32a2ad1

 

A. Ce qui est mû, bien qu'il ne possède pas encore parfaitement ce vers quoi il est mû, commence cependant de posséder déjà quelque chose de ce vers quoi il est mû ; et, selon cela, le mouvement lui-même possède une certaine délectation.

Il manque cependant à la délectation la perfection car les délectations les plus parfaites sont dans les réalités immuables.

B. Le mouvement devient aussi délectable en tant qu'il se fait par lui quelque chose qui convient qui auparavant ne convenait pas ou qui avait cessé d'exister.

(Somme, I-II.q32a2ad1)

A. Id quod movetur, etsi nondum habeat perfecte id ad quod movetur, incipit tamen iam aliquid habere eius ad quod movetur, et secundum hoc, ipse motus habet aliquid delectationis.

Deficit tamen a delectationis perfectione, nam perfectiores delectationes sunt in rebus immobilibus.

B. Motus etiam efficitur delectabilis, inquantum per ipsum fit aliquid conveniens quod prius conveniens non erat, vel desinit esse.

-----

Voir aussi ici : 

 

1. "Ce qui se meut" --> C'est un passif, pas un actif, on doit donc traduire : "Ce qui est mû".

2. La convenance : deux choses qui s'assemblent naturellement, comme l'appétit et l'appétible : il convient à l'appétit de tendre vers l'appétible, il convient l'appétible d'être objet de l'appétit. Il n'y a pas de dissonance entre eux. Quand l'appétible n'est pas porté à la connaissance ou à la présence de l'appétit, il ne peut se produire de convenance.

  • Dernière mise à jour le .