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Thomas d'Aquin - La fatigue des opérations corporelles empêchent le plaisir de la contemplation de les perfectionner - I-II.q33a2

Les délectations du corps, par leur augmentation ou leur seule continuité, super-excèdent la disposition naturelle et engendrent le dégoût (fastidiosae), comme on le voit pour la délectation de manger. C'est pourquoi, lorsqu'on est parvenu à la perfection dans les plaisirs corporels, ils nous dégoûtent et, parfois, on a l'appétit de quelques autres [délectations].

Mais les déléctations spirituelles ne super-excèdent jamais la disposition naturelle (naturalem habitudinem) ; mais ils perfectionnent la nature. Aussi, lorsqu'on parvient à l'accomplisement en eux, c'est alors qu'ils sont le plus agréables (delectabiles) ; sauf peut-être par accident, du fait qu'à l'activité contemplative sont unies (adiunguntur) quelques opérations des puissances corporelles qui sont fatiguées (lassantur) par la prolongation de leur activité.

(Somme, Ia-IIae, q33a2)

Delectationes enim corporales, quia augmentatae, vel etiam continuatae, faciunt superexcrescentiam naturalis habitudinis, efficiuntur fastidiosae; ut patet in delectatione ciborum. Et propter hoc, quando aliquis iam pervenit ad perfectum in delectationibus corporalibus, fastidit eas, et quandoque appetit aliquas alias.

Sed delectationes spirituales non superexcrescunt naturalem habitudinem, sed perficiunt naturam. Unde cum pervenitur ad consummationem in ipsis, tunc sunt magis delectabiles, nisi forte per accidens, inquantum operationi contemplativae adiunguntur aliquae operationes virtutum corporalium, quae per assiduitatem operandi lassantur.

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1. Que les biens et les plaisirs corporels soient dans la nécessité naturelle de se limiter à une certaine mesure pour rester des biens et des plaisirs est également abordé en I-II.q32a7.

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Thomas d'Aquin - De Ver. q24a9 - Par la grâce, l’homme peut être si attaché au bien qu’il ne puisse que très difficilement pécher

[Dans l'état de voie, l'exercice de la raison ne peut être continu]

  • Or, bien qu’il puisse être accordé à un viateur que la raison ne se trompe aucunement 
      • à propos de la fin du bien
      • et à propos des [biens] utiles dans en particulier,
    • grâce aux dons de sagesse et de conseil,
  • cependant, que le jugement de la raison ne puisse être interrompu, cela excède l’état de voie, pour deux raisons.
    • D’abord et principalement parce qu’il est impossible à la raison d’exercer toujours l’acte de droite contemplation dans l’état de voie, en sorte que la raison de toutes les opérations [= actions] soit Dieu.
    • Ensuite, parce qu’il n'arrive pas, dans l’état de voie, que les puissances inférieures soient tellement soumises à la raison, que son acte ne soit nullement empêché à cause d’elles, sauf dans le Seigneur Jésus‑Christ, qui fut simultanément viateur et compréhenseur.

[Par la grâce, la continuité de l'attachement au bien peut être presque entier]

Mais cependant, par la grâce de la voie, l’homme peut être attaché au bien de telle façon qu’il ne puisse que très difficilement pécher : ainsi, en effet,

  • les puissances inférieures
    • sont réfrénées par les vertus infuses,
  • et la volonté
    • est inclinée plus fortement vers Dieu,
  • et la raison
    • est perfectionnée dans la contemplation de la vérité divine, et [cette] continuation [de la contemplation] provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire [l’homme] du péché.

Et tout ce qui manque pour la confirmation est complété par la garde de la divine providence, en ceux que l’on dit confirmés ; c’est‑à‑dire que chaque fois qu’il s’introduit une occasion de pécher, leur esprit est divinement stimulé pour résister. 

(De Ver. q24a9)

[ ]

  • Quamvis autem alicui viatori concedi possit ut ratio nullatenus erret
      • circa finem boni,
      • et circa utilia in particulari,
    • per dona sapientiae et consilii,
  • tamen non posse intercipi iudicium rationis, excedit statum viae, propter duo.
    • Primo et principaliter, quia rationem esse semper in actu rectae contemplationis in statu viae, ita quod omnium operum ratio sit Deus, est impossibile.
    • Secundo, quia in statu viae non contingit inferiores vires ita rationi esse subditas, ut actus rationis nullatenus propter eas impediatur, nisi in domino Iesu Christo, qui simul viator et comprehensor fuit.

[ ]

Sed tamen per gratiam viae ita potest homo bono astringi, quod non nisi valde de difficili peccare possit, per hoc quod

  • ex virtutibus infusis inferiores vires refrenantur,
  • et voluntas
    • in Deum fortius inclinatur,
  • et ratio
    • perficitur in contemplatione veritatis divinae, cuius continuatio ex fervore amoris proveniens hominem retrahit a peccato.

Sed totum quod deficit ad confirmationem, completur per custodiam divinae providentiae in illis qui confirmati dicuntur ; ut scilicet quandocumque occasio peccati se ingerit, eorum mens divinitus excitetur ad resistendum.

 

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  1. Cette citation plus longue est d'abord d'ordre théologique. Dans notre condition actuelle (in statu viae), la perfection de nos actions est impossible sans la grâce.
  2. A propos du vocabulaire, viateur signifie celui qui voyage en cette vie, ce voyageur est in statu viae, c'est à dire en transition, sur la voie qui le mène à la fin dernière, la vision béatifique.
  3. Compréhenseur signifie celui qui peut embrasser la totalité d'un ensemble, être capable de prendre ensemble. C'est le cas du Christ, voyageur en tant qu'homme et compréhenseur en tant que Dieu.
  4. "La raison est rendue parfaite dans la contemplation de la vérité divine, dont la continuation provenant de la ferveur de l’amour (ex fervore amoris) retire l’homme du péché"... La continuité de la contemplation provient de la ferveur de l'amour. 
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Thomas d'Aquin - DeMalo.q11a3ad1 - La sensibilité, même chez les parfaits, reste dans une certaine lutte contre le bien spirituel

L'acédie est-elle un péché mortel ?

Chez les hommes parfaits, il peut y avoir un mouvement imparfait d'acédie, du moins (saltem) dans la sensualité, en raison de ce que nul n'est si parfait qu'il ne reste en lui quelque opposition de la chair envers l'esprit. (DeMalo.q11a3ad1)

Utrum accidia sit peccatum mortale

In viris perfectis potest esse imperfectus motus accidiae saltem in sensualitate, propter hoc quod nullus est ita perfectus in quo non remaneat aliqua contrarietas carnis ad spiritum.

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1. Dans sa réponse Thomas dit : oui, en tant que telle, l'acédie est un péché mortel puisqu'elle est "une certaine tristesse qui vient de la répugnance de l'affect humain (affectus humanis) pour le bien spirituel divin". --- Mais pour qu'elle soit vraiment un péché mortel, il faut que l'acte d'acédie soit principal, dominant. C'est pourquoi Thomas ajoute dans les réponses aux objections qu'il reste toujours, même chez les parfaits (entendre : chez les gens qui sont principalement parfaits) une trace, une rémanence (remaneat) de contrariété (contrarietas) dans la sensibilité qui reste indocile à ce que choisit l'esprit, comme un cheval qui manifesterait de temps à autre un léger mécontentement dans le fait d'être dirigé. La sensibilité met beaucoup de temps à être "convertie" entièrement au bien spirituel parce que ce n'est pas son bien propre immédiat, son bien naturel. C'est pourquoi, il faut faire en sorte d'imbiber nos activités sensibles dans l'orientation (l'ordre) profonde de notre esprit au bien spirituel.

2. "Un mouvement imparfait d'acédie" : si le mouvement d'acédie est parfait (entendre : dominant jusqu'à ce que la volonté y adhère), alors il est un péché mortel.

3. Sensualité : voir I.q81a1

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Thomas d'Aquin - DePerf.11 - L'amour divin sort celui qui l'aime de son propre être pour être celui qu'il aime

Pour atteindre la perfection de la charité, il n’est pas seulement nécessaire

  • que l’homme écarte les réalités extérieures,
  • mais aussi que, en quelque manière, il s’abandonne complètement lui-même.

Denys dit en effet dans Les noms divins,chap. IV, que l’amour divin est faiseur d’extase [= provoque l'extase], c’est-à-dire qu’il met l’homme à l'extérieur de lui-même, en ne laissant pas l’homme être lui-même [= être à lui-même son propre être], mais [être] celui qui est aimé.

L’exemple en a été donné en lui-même par Paul, qui dit, en Ga 2, 20 : Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis : c’est plutôt le Christ qui vit en moi, comme s’il estimait que ce n’était pas sa [propre] vie, mais celle du Christ, car, en méprisant ce qui était proprement sien, il existe [litt. : adhère] totalement dans le Christ.

(DePerf.chap. 11)

Non solum autem necessarium est ad perfectionem caritatis consequendam quod

  • homo exteriora abiciat,
  • sed etiam quodammodo se ipsum derelinquat. 

Dicit enim Dionysius, 4 cap. De divinis nominibus, quod divinus amor est extasim faciens, id est hominem extra se ipsum ponens, non sinens hominem sui ipsius esse, sed eius quod amatur.

Cuius rei exemplum in se ipso demonstravit Apostolus dicens ad Gal. II, 20 Vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus, quasi suam vitam non suam aestimans, sed Christi; quia quod proprium sibi erat contemnens, totus Christo inhaerebat.

 


1. -- Celui qui aime vraiment, c'est à dire spirituellement et et d'une manière très forte, devient en quelque sorte celui qu'il aime. A plus forte raison quand celui qui est aimé est "celui qui est", celui de qui tout autre être dépend.

2. -- Extraordinaire de voir comment, dans un premier temps, on écarte les réalités extérieures, puis, dans un second, on est sorti de son propre être pour exister en une autre réalité. Il y a donc une bonne manière d'exister à l'extérieur !

3. -- "inhaerebat" : haereo signifie déjà "être attaché à", "adhérer à", le préfixe "in" ajoute une indication sur la manière dont se fait cet attachement. Il se fait à l'intérieur. Il faut rappeler que Thomas reprend à Denys l'un des effets de l'amour qui est l'inhésion en la personne aimée. On existe en l'autre lorsqu'on l'aime, cf. I.q28a2.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q21a6 - EN COURS - La ratio boni (La raison de bien)

DIFFICILE, UN TEMPS EST NECESSAIRE AVANT D'ASSIMILER - IL EST NECESSAIRE DE POSSEDER UN CERTAIN NIVEAU DE METAPHYSIQUE ET DE CRITIQUE/LOGIQUE POUR SAISIR, puisqu'on fait appel ici à un grand nombre de notions : forme, substance, acte, fin, qualité, relation, mode, espèce, ordre, bien, être (esse), etc.

Le bien de la créature consiste‑t‑il en (1) un mode, (2) une espèce et (3) un ordre, comme dit saint Augustin ? Utrum bonum creaturae consistat in modo, specie et ordine, sicut Augustinus dicit [cf.De nat. boni,cap. 3].
La raison de bien consiste dans les trois choses en question, selon ce que dit saint Augustin. Ratio boni in tribus praedictis consistit, secundum quod Augustinus dicit.

[Un nom implique deux relations possibles]

Et pour l'évidence de cela, il faut savoir qu'un nom donné (aliquod nomen) peut impliquer une relation de deux manières. [respectum : on traduit par relation et non par rapport qui convient aussi]

[a. La relation elle-même]

D'une première manière, en sorte que le nom soit donné pour signifier la relation elle‑même,

  • comme le nom de père, ou de fils, ou la paternité elle‑même.

[b. Ce qui suit la relation : une qualité]

En revanche, on dit de certains noms qu’ils impliquent une relation, parce qu’ils signifient une réalité d’un certain genre, qu’accompagne la relation, quoique le nom ne soit pas donné pour signifier la relation elle‑même ;

  • par exemple, le nom de science est donné pour signifier une certaine qualité, que suit une certaine relation, mais non pour signifier la relation elle‑même.

[Commentaire : dans la connaissance est établie une relation entre ce qui est connu et celui qui connaît, cette relation produit la science qui est une qualité qui perfectionne l'âme de celui qui connaît.]

[c. Ce que fait comprendre l'analogie nom / bien]

Et c’est de cette façon que la raison de bien implique une relation :

  • non parce que le nom même de bien signifie la seule relation elle‑même,
  • mais parce qu'il signifie [aussi la relation de] ce qui suit la relation, avec la relation elle‑même.

[Commentaire : ]

Or (3) la relation impliquée dans le nom de bien est la relation de cause de perfection, en ce sens qu’une chose (aliquid) est de nature à perfectionner

  • (2) non seulement selon la nature de l’espèce, [forme, ce qu'est une chose]
  • (1) mais aussi selon l’être (esse) qu’elle a dans la chose réelle (rebus) [le mode, la manière d'exister, l'existence  concrète] ;

de fait, c’est de cette manière que la fin perfectionne les moyens.

Mais

  • puisque les créatures ne sont pas leur être (esse) [ce qu'est une chose n'est pas identique à l'exister de cette chose],
  • il est nécessaire qu’elles aient un être reçu (esse receptum) ;

et par conséquent, leur être est

  • fini
  • et terminé [= déterminé] par la mesure de ce en quoi il est reçu.

 

Ad huius autem evidentiam sciendum est, quod aliquod nomen potest respectum importare dupliciter.

[1.]

Uno modo sic quod nomen imponatur ad significandum ipsum respectum,

  • sicut hoc nomen pater, vel filius, aut paternitas ipsa.

[2.]

Quaedam vero nomina dicuntur importare respectum, quia significant rem alicuius generis, quam comitatur respectus, quamvis nomen non sit impositum ad ipsum respectum significandum ;

  • sicut hoc nomen scientia est impositum ad significandum qualitatem quamdam, quam sequitur quidam respectus, non autem ad significandum respectum ipsum.

 

 

[c.]

Et per hunc modum ratio boni respectum implicat :

  • non quia ipsum nomen boni significet ipsum respectum solum,
  • sed quia significat id ad quod sequitur respectus, cum respectu ipso.

 

Respectus autem importatus in nomine boni, est habitudo perfectivi, secundum quod aliquid natum est perficere

  • non solum secundum rationem speciei,
  • sed etiam secundum esse quod habet in rebus ;

hoc enim modo finis perficit ea quae sunt ad finem.

Cum autem

  • creaturae non sint suum esse,
  • oportet quod habeant esse receptum ;

et per hoc earum esse est

  • finitum
  • et terminatum secundum mensuram eius in quo recipitur.

Ainsi donc, parmi les trois choses qu’énumère saint Augustin,

  • (3) la dernière, à savoir l’ordre,
    • est la relation qu’implique le nom de bien,
  • (2 et 1) et les deux autres, à savoir l’espèce et le mode,
    • causent cette relation.

En effet,

  • (2) l’espèce relève de la raison même (ipsam rationem) de l’espèce [trad. orig. = nature même de l'e.],
  • (1) qui, parce qu’elle a l’être en quelque chose [d'individuel] (aliquo),
    • est reçue avec un certain mode déterminé,
    • puisque tout ce qui est en quelque chose y est suivant le mode d’être de ce qui reçoit.

Ainsi donc,

  • chaque bien,
  • (3) en tant qu’il est cause de perfection

selon

  • (2) la raison de l’espèce [trad. orig. : la nature de l'espèce]
  • (1) et l’être (esse) en même temps,

a

  • (1) un mode,
  • (2) une espèce
  • (3) et un ordre.
  • (2) Une espèce quant à la nature même de l’espèce ;
  • (1) un mode quant à l’être (esse) ;
  • (3) un ordre quant à la relation même de cause de perfection.

Sic igitur inter ista tria quae Augustinus ponit,

  • ultimum, scilicet ordo,
    • est respectus quem nomen boni importat ;
  • sed alia duo, scilicet species, et modus,
    • causant illum respectum.

Species enim pertinet ad ipsam rationem speciei,

  • quae quidem secundum quod in aliquo esse habet,
  • recipitur per aliquem modum determinatum,
  • cum omne quod est in aliquo, sit in eo per modum recipientis.

Ita igitur

  • unumquodque bonum,
  • in quantum est perfectivum

secundum

  • rationem speciei
  • et esse simul,

habet

  • modum,
  • speciem
  • et ordinem.
  • Speciem quidem quantum ad ipsam rationem speciei;
  • modum quantum ad esse;
  • ordinem quantum ad ipsam habitudinem perfectivi.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad15 - Il faut aller jusqu'à vraiment vouloir ce qu'on veut !

 

La volonté s’obéit toujours à elle‑même, d’une certaine façon, c’est‑à‑dire que l’homme veut en quelque manière ce qu’il veut vouloir.

Mais d’une autre façon, elle ne s’obéit pas toujours, c’est‑à‑dire en tant que l’on ne veut pas

  • parfaitement
  • et efficacement

ce qu’on voudrait vouloir parfaitement et efficacement. 

(DeVer.q24a10ad15)

Voluntas sibi ipsi quodammodo semper obedit, ut sc. homo qualitercumque velit illud quod vult se velle.

Quodam autem modo non semper sibi obedit, in quantum scilicet aliquis

  • non perfecte
  • et efficaciter

vult quod vellet se perfecte et efficaciter velle.

 

 

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a9ad1 - La volonté parvient AUSSI à la fin lorsqu'elle la désire intensément, bien qu'elle ne la possède pas encore parfaitement

L'affect [volontaire] (affectus) parvient à la fin,

  • non seulement quand elle possède parfaitement la fin,
  • mais aussi, d’une certaine façon (quodammodo), quand elle la désire intensément (intense desiderat) ;

et par cette façon (hunc modum), d'une certaine manière (aliquo modo), quelqu'un (aliquis) peut être confirmé dans le bien en l’état de voie. 

(DeVer.q24a9ad1)

Affectus pervenit ad finem,

  • non solum quando finem perfecte possidet,
  • sed etiam quodammodo quando ipsum intense desiderat ;

et per hunc modum aliquo modo in statu viae aliquis potest confirmari in bono.

 


  1. La fin étant entendue ici comme fin spirituelle, il est réjouissant de pouvoir lui lier le mot intensément alors qu'il est de nos jours plus guère utilisé que dans le marketing pour qualifié le goût des aliments ou dans l'industrie des loisirs à propos des expériences qu'elle est sensée proposer. Ici, avec Thomas, l'intensité est d'abord dans le désir spirituel de la fin (en dernier lieu, la vision béatifique), désir si intense que les fruits sont déjà comme donnés par avance. Le terme "intensité" est un terme technique largement utilisé au Moyen-Âge.
  2. La dimension affective chez Thomas est à mettre en parallèle avec la dimension effective. Le moment "affect", c'est le moment passif de quelque chose qui touche une personne dans son appétit, qu'il soit sensible ou spirituel. Le moment "effectif" est le moment où la personne atteint réellement ce qui l'a touché. Voir union affective / union effective.
  3. Bien rapprocher le mot intensément du mot intention.
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Thomas d'Aquin - I-II.q36a4 - L'appétit naturel d'unité est cause de souffrance, tout comme l'appétit du bien

  • Tout être désire naturellement l’unité

 

 
  • Le bien en n'importe quelle chose (rei) consiste en une certaine unité, selon que chaque chose (res) tient unis en soi les [éléments] de sa perfection ;
    • d'où les platoniciens posaient que l’un était principe, tout comme le bien.
  • D'où, chaque [chose] appète [= désire] naturellement l'unité, tout comme la bonté.
  • Et c’est pour cela que, comme l'amour ou l'appétit du bien est cause de douleur, de même l'amour ou l'appétit de l'unité.

(Somme, I-II.q36a4)

  • Bonum enim uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit, prout scilicet unaquaeque res habet in se unita illa ex quibus consistit eius perfectio,
    • unde et platonici posuerunt unum esse principium, sicut et bonum.
  • Unde naturaliter unumquodque appetit unitatem, sicut et bonitatem.
  • Et propter hoc, sicut amor vel appetitus boni est causa doloris, ita etiam amor vel appetitus unitatis. 

 

 

 

 

D'où la douleur n’est pas causée par l'appétit de n’importe quelle unité, mais de celle en laquelle constitue la perfection de la nature.

 (Somme, I-II.q36a4ad1)

Unde dolor non causatur ex appetitu cuiuslibet unitatis, sed eius in qua consistit perfectio naturae.

 

 

 

 

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Thomas d'Aquin - I-II.q57a5ad2 - L'homme qui agit par lui-même sans le conseil d'un autre atteint vraiment le bien vivre

Quand un homme opère le bien

  • non selon sa propre raison,
  • mais d'après la motion du conseil d'un autre, 

son opération n'est pas encore en tout parfaite,

  • quant à la raison qui dirige,
  • et quant à l'appétit qui meut.

D'où, si le bien est opéré, [= le bien est réellement fait, mais reste en partie extérieur]

  • ce n'est pas le bien simplement ; [= il reste encore une division, il faut que la personne accomplisse le bien entièrement d'elle-même sans que le conseil d'un autre soit nécessaire]
  • [car c'est opérer le bien simplement] qui est le bien vivre. [=bien vivre, ce sera alors savoir par soi-même et uniquement par soi-même quel bien il faut accomplir, alors l'acte sera simple et parfait]

(Somme, I-II.q57a5ad2)

 

Cum homo bonum operatur

  • non secundum propriam rationem,
  • sed motus ex consilio alterius;

nondum est omnino perfecta operatio ipsius,

  • quantum ad rationem dirigentem,
  • et quantum ad appetitum moventem.

Unde si bonum operetur,

  • non tamen simpliciter bene;
  • quod est bene vivere.

 


1. -- Le mot "parfaite" n'est pas à entendre ici comme quelque chose qui épuise totalement la capacité de bien opérer. On souligne simplement que agir par soi-même atteint une perfection que celui qui agit par un autre n'atteint pas.

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Thomas d'Aquin - I-II.q85a4 - La ratio boni (La raison de bien) révélée à travers quatre biens

Contexte : nous nous intéressons à la ratio boni dont TH. se sert ici à propos du péché. Il va terminer en distinguant quatre sortes de bien et en montrant que chacun d'eux répond à ce qui caractérise n'importe quel bien, c'est à dire ce qui caractérise la ratio boni.

Comme cela a été dit dans la première partie,

  • (1) le mode, [cause matérielle et efficiente]
  • (2) l'espèce [cause formelle]
  • (3) et l'ordre [cause finale]

sont conséquents

  • à tout bien créé, en tant que tel,
  • et aussi à tout être (ens).

(2) Car

  • tout être
  • et tout bien

sont considérés par une certaine forme dont est tirée l'espèce.

(1) D'autre part, la forme de chaque chose (rei), de quelque qualité qu'elle soit,

  • ou substantielle
  • ou accidentelle,

est selon une certaine mesure (aliquam mesuram),

d'où est indiqué dans Metaph. VIII, que les formes des choses (rerum) sont comme les nombres. En sorte qu'une forme a un certain mode en relation à une mesure.

(3) Enfin, par sa forme, chaque chose est ordonnée à autre chose.

Sicut in primo dictum est,

  • modus,
  • species
  • et ordo

consequuntur

  • unumquodque bonum creatum inquantum huiusmodi,
  • et etiam unumquodque ens.

Omne enim

  • esse
  • et bonum

consideratur per aliquam formam, secundum quam sumitur species.

Forma autem uniuscuiusque rei, qualiscumque sit,

  • sive substantialis
  • sive accidentalis,

est secundum aliquam mensuram,

unde et in VIII Metaphys. dicitur quod formae rerum sunt sicut numeri. Et ex hoc habet modum quendam, qui mensuram respicit.

Ex forma vero sua unumquodque ordinatur ad aliud.

 Ainsi,

  • selon divers degrés de biens
  • sont divers degrés
    • de mode, 
    • d'espèce
    • et d'ordre.

[a. le bien substance]

Il y a donc un bien qui relève de la substance [trad. orig. : le fond (!!)] même de la nature, qui a son mode, espèce, ordre ;

  • celui-là n'est ni privé ni diminué par le péché.

[b. le bien inclination]

Il y a encore un certain bien, celui de l'inclination de la nature, et ce bien a aussi son mode, espèce, ordre,

  • et celui-là est diminué par le péché, comme nous l'avons dit, mais non totalement supprimé.

[c. le bien vertu]

Il y a encore un certain bien, celui de la vertu et de la grâce, qui a aussi son mode, son espèce et son ordre;

  • et celui-là est totalement supprimé par le péché mortel.

[d. le bien acte]

Il y a encore un certain bien qui est l'acte ordonné lui-même, qui a aussi son mode, son espèce, son ordre ;

  • et cette privation est essentiellement le péché lui-même.

[Conclusion]

De sorte qu'on voit de manière patente comment le péché

  • et est une privation de mode, d'espèce et d'ordre,
  • et prive ou diminue le mode, l'espèce et l'ordre [eux-mêmes].

 Sic igitur

  • secundum diversos gradus bonorum,
  • sunt diversi gradus
    • modi,
    • speciei
    • et ordinis.

[a.]

Est ergo quoddam bonum pertinens ad ipsam substantiam naturae, quod habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et illud nec privatur nec diminuitur per peccatum.

[b.]

Est etiam quoddam bonum naturalis inclinationis, et hoc etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc diminuitur per peccatum, ut dictum est, sed non totaliter tollitur.

[c.]

Est etiam quoddam bonum virtutis et gratiae, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et hoc totaliter tollitur per peccatum mortale.

[d.]

Est etiam quoddam bonum quod est ipse actus ordinatus, quod etiam habet suum modum, speciem et ordinem,

  • et huius privatio est essentialiter ipsum peccatum.

[Conclusion]

Et sic patet qualiter peccatum

  • et est privatio modi, speciei et ordinis;
  • et privat vel diminuit modum, speciem et ordinem.

 1. -- Analogie avec la mesure : si une chose mesure tant, et si on modifie cette chose en gangeant ses mesures, alors elle n'est plus la même chose. Quelque chose qui est mesurée d'une certaine manière fait que cette chose est unique et ce qu'elle est. Voir la référence au numérique dans le Commentaire du De Trinitate de Boèce lorsqu'est traitée l'individuation qui se fait, chez TH., par la matière, avec donc l'aspect de la quantité.

2. -- Bien noter que TH. corrige l'ordre donné par Augustin : de mode, espèce, ordre, on passe a espèce, mode, ordre. 

3. -- Dans l'ordre de l'être, espèce, mode, ordre, donneront la substance, l'individu, l'acte ; ou encore l'être selon la forme, tel être concret, l'être en acte.

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Les quatre biens évoqués par TH. :

[a.] -- Le bien-substance n'est pas touché par le péché, un homme reste un homme qu'il soit pécheur ou non.

[b.] -- L'inclination naturelle n'est pas touchée en elle-même puisqu'elle dépend de ce qu'est une chose (le bien substance) mais elle peut être diminuée dans son exercice réel, comme recouverte.

[c.] -- La vertu morale est acquise, elle peut donc se perdre totalement. La grâce est donnée à la nature, elle peut donc se perdre également.

[d.] -- Le bien moral doit aller jusqu'à l'accomplissement, l'application concrète, d'un acte et celui-ci peut très bien ne pas l'être ou remplacé par un autre qui ne convient pas (et ce d'autant plus que la vertu et la grâce auront été perdues).

Dans ces différents biens, que sont le mode, l'espèce, l'ordre ?

[a.] -- Le mode du bien substance c'est l'existence concrète d'un être (ex. : tel homme, Jean, l'individu) ; l'espèce d'un bien-substance, c'est ce qu'il est (ex. : un homme) ; l'ordre d'un bien substance, c'est qu'il existe en acte.

[b.] -- Le mode de l'inclination naturelle c'est son existence concrète et unique dans tel être individué ; l'espèce, ce qu'est cette inclination (ex. : l'inclination de la volonté au bien) ; l'ordre, l'accomplissement de cette inclination (ex. : l'inclination en acte de la volonté au bien, l'ami qui veut le bien de son ami et qui agit pour que cela arrive).

[c.] -- Idem que b. mais pour ce qui est acquis, ajouté à la nature.

[d.] -- Tel acte ; ce qu'est cet acte ; jusqu'à quel point cet acte pousse jusqu'à sa perfection (ex. l'action héroïque ; cf. la différence entre une oeuvre accomplie par un artisan ordinaire et celle accomplie par un maître artisan).

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Thomas d'Aquin - I.q62a9ad1 - Au terme, plus de mouvement, le changement est accompli, la fin atteinte - Ainsi la différence entre la charité d'ici-bas et la charité parfaite

 

On a laissé le texte entier de cette réponse au 3ème argument, et donc aussi son aspect théologique (le mérite, l'ange, l'état de voyageur, la charité). 

Deux choses à notre ici : le préambule général sur le progrès, et son application à propos de la charité.

[On se demande] si les anges bienheureux dans la béatitude peuvent progresser ?  Utrum angeli beati in beatitudine proficere possint

[Préambule]

Le mérite est à l'égard de celui qui est mû vers la fin. Or la créature rationnelle est mûe vers la fin, 

  • non seulement en [recevant] passivement, 
  • mais aussi en opérant [activement]. 
  • Et si une certaine fin est sous la puissance (virtuti)de la créature rationnelle,
    • cette opération est dîte acquisition de cette fin ;
    • comme l'homme en méditant acquiert la science [la science est le fruit du raisonnement],
  • mais si la fin n'est pas en son pouvoir (potestate),
    • mais reçue par un autre,
      • l'opération sera méritoire de la fin

De plus, à ce qui est [parvenu] au terme ultime (ultimo termino), ne convient plus de mouvoir, mais le changement est [= est accompli].

[Progrès dans la charité et charité parfaite]

D'où

  • la charité imparfaite, qui est celle de la voie, c'est mériter,
  • tandis que la charité parfaite n'est pas mériter, mais est dans le pouvoir fruir de la récompense [= mais cueille le fruit de la récompense].

Et comme dans les habitus acquis, l'opération qui précède l'habitus est acquisition de l'habitus, mais [l'opération] qui est issu d'un habitus déjà acquis, est une opération déjà parfaite [la] déléctation [qui l'accompagne].

Et de manière similaire l'acte de la charité parfaite n'a pas la raison de mérite mais relève plutôt de la perfection de la récompense.

(Somme, I.q62a9ad1)

Mereri est eius quod movetur ad finem. Movetur autem ad finem creatura rationalis,

  • non solum patiendo,
  • sed etiam operando.

Et si quidem finis ille subsit virtuti rationalis creaturae, operatio illa dicetur acquisitiva illius finis, sicut homo meditando acquirit scientiam,

si vero finis non sit in potestate eius, sed ab alio expectetur, operatio erit meritoria finis.

Ei autem quod est in ultimo termino, non convenit moveri, sed mutatum esse.

Unde

  • caritatis imperfectae, quae est viae, est mereri,
  • caritatis autem perfectae non est mereri, sed potius praemio frui.

Sicut et in habitibus acquisitis, operatio praecedens habitum est acquisitiva habitus, quae vero est ex habitu iam acquisito, est operatio iam perfecta cum delectatione.

Et similiter actus caritatis perfectae non habet rationem meriti, sed magis est de perfectione praemii.

N.B. : Traduction un peu difficile par endroit, sans doute très perfectible, la dernière phrase par ex.

1. -- Noter que le vocabulaire propre au domaine passionnel et le vocabulaire propre au domaine spirituel sont quelque fois utilisés l'un pour l'autre par Thomas. délectation désigne proprement le plaisir sensible mais est ici utilisé pour désigner la joie, plaisir spirituel.

 

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Thomas d'Aquin - I.q82a2ad2 - La volonté n'est pas totalement soumise à vouloir un bien particulier...

  • ...alors qu'elle ne peut vouloir autrement (comme volonté) que sous la ratio boni

Ce qui meut cause de nécessité le mouvement dans le mobile, quand le pouvoir de ce qui meut excède le mobile, de telle sorte que toute sa possibilité de mouvement est soumise à ce qui meut.

Avec le fait que la possibilité de la volonté regarde le bien universel et parfait, toute sa possibilité ne peut être soumise en tout à quelque bien particulier.

C’est pourquoi elle n’est pas de nécessité mise en mouvement par lui.

(Somme, I.q82a2ad2)

Movens tunc ex necessitate causat motum in mobili, quando potestas moventis excedit mobile, ita quod tota eius possibilitas moventi subdatur.

Cum autem possibilitas voluntatis sit respectu boni universalis et perfecti, non subiicitur eius possibilitas tota alicui particulari bono.

Et ideo non ex necessitate movetur ab illo.


1. -- C'est la raison de bien (ratio boni) qui est nommée ici bien universel et parfait. En tant que ratio elle ne peut pas être incomplète, d'où le mot parfait ici. 

2. -- La volonté n'est pas soumise en tout à tel bien particulier mais seulement dans la mesure où la volonté veut toujours sous la raison de bien, c'est à dire que la volonté ne veut que ce qui lui apparaît comme bien. Si un bien particulier lui apparaît comme un bien, alors elle veut ce bien particulier, mais à travers la ratio boni, et donc elle n'est pas liée en tout au bien particulier. L'animal juge d'un jugement naturel (qui lui vient d'un autre comme dit Thomas, c'est à dire de son créateur), alors que l'homme a la capacité de juger de lui-même si telle chose est un bien.

3. -- Sur la ratio boni, voir ici.

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Thomas d'Aquin - I.q82a3 - Version complète : De l'intellect ou de la volonté, quelle est la plus grande ? - SOMMET - Y REVENIR

L'éminence d’une chose à l'égard d'une autre peut être considérée doublement, 

  • d'une manière : absolument (simpliciter),
  • d'une autre manière : selon un rapport (secundum quid).
  • Une chose est considérée telle absolument,
    • quand elle est telle selon elle-même,
  • et elle est telle selon un rapport,
    • quand elle est telle au regard d'une autre.

[Simpliciter -- l'objet est plus élevé donc la puissance est plus élevée]

Si l’intellect et la volonté sont considérées selon elles-mêmes, ainsi l’intellect est trouvée plus éminente.

Et cela apparaît à partir de la comparaison des objets entre eux.

L'objet de l'intellect, en effet, est plus simple et plus absolu que l'objet de la volonté.

  • C'est un fait que l’objet de l’intellect est la raison même de bien appétible [= la notion même de bien vers lequel on peut être porté] (ipsa ratio boni appetibilis) ; 
  • et le bien appétible, dont la ratio [= la notion] est dans l’intellect, est l’objet de la volonté.

Et plus quelque chose est plus simple et plus abstrait, plus il est selon soi noble et élevé. Et c’est pourquoi l’objet de l’intellect est plus élevé que l'objet de la volonté.

Avec donc [le fait que] la ratio propre d’une puissance est ordonnée [= dépend de son ordre] à l’objet, il s’ensuit que selon soi et absolument (simpliciter), l'intellect est plus élevée et plus noble que la volonté.

[Secundum quid]

Relativement (secundum quid) cependant, et par comparaison à un autre, la volonté est trouvée parfois plus élevée que l'intellect ; c'est à dire à partir du [fait] que l'objet de la volonté est trouvé dans une chose (altiori re) plus elevée que l'objet de l'intellect. 

Comme si je disais que l’ouïe est sous un certain rapport plus noble que la vue, parce que la chose qui produit le son est d’une plus grande perfection qu’une autre chose qui serait colorée, bien que la couleur soit plus noble et plus simple que le son.

C'est un fait qui a déjà été dit plus haut,

  • l'action de l'intellect consiste en cela que la ratio d'une chose intelligée est dans celui qui intellige ;
  • l’acte de la volonté, de son côté, est perfectionné en cela que la volonté est inclinée vers la chose-même (ipsam rem) telle qu'elle est en soi.

Et c'est pourquoi le Philosophe dit en Métaphysique VI

  • que le bien et le mal, qui sont objets de la volonté, sont dans les choses (rebus),
  • [et que] le vrai et le faux, qui sont objets de l’intellect, sont dans l’esprit.
  • Quand alors la chose (res) en laquelle est le bien est une chose plus noble que l’âme même (en laquelle est la raison (ratio) ayant été intelligée),
    • par comparaison à une telle chose (rem), la volonté est plus élevée que l'intellect.
  • Quand, d'un autre côté, la chose (res) en laquelle est le bien est une chose inférieure à l’âme,
    • à ce moment-là, par comparaison à une telle chose (rem)l’intellect est plus élevé que la volonté. 

D'où

  • il est meilleur d’aimer Dieu que de connaître [Dieu] ;
  • et au contraire il est meilleur de connaître les choses corporelles que de [les] aimer.

Toutefois, absolument (simpliciter) [parlant], l’intellect est plus noble que la volonté.

(Somme, I.q82a3)

Eminentia alicuius ad alterum potest attendi dupliciter,

  • uno modo, simpliciter;
  • alio modo, secundum quid.
  • Consideratur autem aliquid tale simpliciter,
    • prout est secundum seipsum tale,
  • secundum quid autem,
    • prout dicitur tale secundum respectum ad alterum.

[ ]

Si ergo intellectus et voluntas considerentur secundum se, sic intellectus eminentior invenitur.

Et hoc apparet ex comparatione obiectorum ad invicem.

Obiectum enim intellectus est simplicius et magis absolutum quam obiectum voluntatis,

  • nam obiectum intellectus est ipsa ratio boni appetibilis;
  • bonum autem appetibile, cuius ratio est in intellectu, est obiectum voluntatis.

Quanto autem aliquid est simplicius et abstractius, tanto secundum se est nobilius et altius. Et ideo obiectum intellectus est altius quam obiectum voluntatis.

Cum ergo propria ratio potentiae sit secundum ordinem ad obiectum, sequitur quod secundum se et simpliciter intellectus sit altior et nobilior voluntate.

[ ]

Secundum quid autem, et per comparationem ad alterum, voluntas invenitur interdum altior intellectu; ex eo scilicet quod obiectum voluntatis in altiori re invenitur quam obiectum intellectus.

Sicut si dicerem auditum esse secundum quid nobiliorem visu, inquantum res aliqua cuius est sonus, nobilior est aliqua re cuius est color, quamvis color sit nobilior et simplicior sono.

Ut enim supra dictum est,

  • actio intellectus consistit in hoc quod ratio rei intellectae est in intelligente;
  • actus vero voluntatis perficitur in hoc quod voluntas inclinatur ad ipsam rem prout in se est.

Et ideo philosophus dicit, in VI Metaphys.,

  • quod bonum et malum, quae sunt obiecta voluntatis, sunt in rebus;
  • verum et falsum, quae sunt obiecta intellectus, sunt in mente.

  • ... Quando igitur res in qua est bonum, est nobilior ipsa anima, in qua est ratio intellecta,
    • per comparationem ad talem rem, voluntas est altior intellectu.
  • Quando vero res in qua est bonum, est infra animam,
    • tunc etiam per comparationem ad talem rem, intellectus est altior voluntate.

Unde

  • melior est amor Dei quam cognitio,
  • e contrario autem melior est cognitio rerum corporalium quam amor.

Simpliciter tamen intellectus est nobilior quam voluntas.


1. -- Résumons :

  • l'objet de l'intellect : la raison de bien, la ratio boni, la notion de bien ;
  • l'objet de la volonté : le bien réel capable de nous mobilisé, de nous attiré, mais seulement si ce bien concret est appréhendé et jugé à travers la ratio boni qui est dans l'intellect.

Voilà pourquoi Thomas dit que l'objet de l'intelligence est plus simple, c'est que l'intellect n'a pas besoin de la volonté pour se porter vers son objet, c'est à dire la vérité des choses, celle-ci n'étant atteinte qu'à travers une appréhension qui permet ensuite le jugement : ce bien-ci est un bien. Alors que la volonté est dépendante de l'intellect. Ce qui ne signifie pas que sa dépendance la rende inférieure en tout, mais seulement quant à certains objets comme va le dire Thomas. Passionnant et extrêmement réaliste. Thomas, ici comme ailleurs, est d'une très grande finesse d'analyse.

A travers notre volonté, c'est à dire notre capacité d'aimer, nous n'aimons pas le bien en général, le bien universel, la notion ou l'idée de bien, mais nous aimons tel bien, telle personne, un Dieu bien réel.

De son côté, la connaissance de n'importe quelle vérité nous ennoblie mais l'amour de n'importe quel bien ne nous ennoblie pas nécessairement.

2. -- "la ratio propre d’une puissance est ordonnée à l’objet", cela signifie que la compréhension qu'on peut avoir d'une puissance est directement relative à son objet, on ne comprend ce qu'est une puissance que relativement à son objet. De même que la puissance d'un rateau ne se comprend pas s'il n'y a rien à ratisser car c'est seulement en découvrant les feuillles mortes ratissables que la puissance du rateau devient intelligible.

3. -- "in qua est ratio intellecta" : Intéressant de voir que dans le cas d'une chose plus noble que l'âme, Thomas prend soin de préciser que l'âme est l'âme en tant qu'elle a intelligé la raison de bien qui a servi à juger de la chose qui lui est supérieure. Et donc l'intellect lui-même participe dans le processus qui permet à l'âme de connaître qu'une réalité est plus digne d'être aimée que d'être connue. L'intellect collabore ici à son propre "retrait" au profit de la volonté.

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Sur cette question, voir p. 553, la note intéressante de FX Putallaz dans L'âme humaine, Le Cerf, 2018.

Voir aussi l'explication de Thomas dans De Veritate, q. 22, a. 11., plus détaillée bien qu'abordée à travers un vocabulaire et un angle un peu différents.

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Thomas d'Aquin - L'aptitude à connaître la fin fait l'action volontaire - I-II.q6a1

  • Volontaire et inclination propre ne sont pas contradictoires

Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ?

Il faut qu'il y ait du volontaire dans les actes humains.

Pour amener cela à l'évidence, il faut considérer que

  • le principe de certains actes est dans l'agent ou dans ce qui est mû.
  • Et il y a des mouvements et des actes dont le principe est extérieur.

En effet, 

  • si une pierre se meut vers le haut, le principe de ce mouvement est à l'extérieur de la pierre,
  • si au contraire elle se meut vers le bas, le principe de ce mouvement est à l'intérieur de la pierre elle-même. 

Parmi ces choses qui sont mûes par un principe intrinsèque,

  • certains se meuvent eux-mêmes,
  • certains non.

En effet, tout ce qui agit ou est mû agit ou est mû en raison d'une fin, comme on l'a établi précédemment ; seront donc mus de manière parfaite, par un principe intrinsèque, les êtres où l'on trouve un principe intrinsèque tel que,

  • non seulement ils soient mus,
  • mais qu'ils soient mus vers une fin.

Or, pour que quelque chose se fasse en vue d'une fin (propter finem),il faut qu'il y ait une certaine connaissance de la fin (cognitio finis aliqualis).

  • Donc tout ce qui agit ou est mû de l'intérieur, en ayant connaissance de la fin (notitiam finis), possède en soi le principe de son acte,
    • non seulement pour agir,
    • mais pour agir en vue d'une fin (propter finem).
  • Mais ce qui n'a aucune connaissance de la fin (notitiam finis), eût-il en soi le principe de son acte ou de son mouvement, n'a pas en soi le principe d'agir ou d'être mû en vue d'une fin (propter finem), mais ce principe est dans un autre qui l'imprime (imprimitur) en lui. Aussi ne dit-on pas que de tels êtres se meuvent eux-mêmes, mais qu'ils sont mus par d'autres.

En revanche, ceux qui ont la connaissance de la fin (notitiam finis) sont dits se mouvoir eux-mêmes, précisément parce qu'ils ont en eux,

  • non seulement de quoi agir,
  • mais de quoi agir en vue d'une fin.

Ainsi, parce que l'une et l'autre [de ces conditions] viennent d'un principe intrinsèque

  • qu'ils agissent,
  • et qu'ils agissent pour une fin,

les actes et les mouvements de ces êtres sont dits volontaires, c'est ce qu'en effet implique cette appellation de "volontaires", que le mouvement et l'action proviennent de sa propre inclination.

C'est pourquoi, dans la définition d'Aristote, de S. Grégoire de Nysse et de S. Jean Damascène on appelle volontaire, non seulement "ce qui procède d'un principe intérieur", mais en y ajoutant "de science". Aussi, puisque l'homme excelle à connaître la fin de son oeuvre et à se mouvoir lui-même, c'est dans ses actes que l'on trouve le plus haut degré de volontaire.

(Somme. I-II.q6a1)

Utrum in humanis actibus inveniatur voluntarium

Oportet in actibus humanis voluntarium esse.

Ad cuius evidentiam, considerandum est quod

  • quorundam actuum seu motuum principium est in agente, seu in eo quod movetur; 
  • quorundam autem motuum vel actuum principium est extra.
  • Cum enim lapis movetur sursum, principium huius motionis est extra lapidem,
  • sed cum movetur deorsum, principium huius motionis est in ipso lapide.

Eorum autem quae a principio intrinseco moventur,

  • quaedam movent seipsa,
  • quaedam autem non.

Cum enim omne agens seu motum agat seu moveatur propter finem, ut supra habitum est; illa perfecte moventur a principio intrinseco, in quibus est aliquod intrinsecum principium

  • non solum ut moveantur,
  • sed ut moveantur in finem.

Ad hoc autem quod fiat aliquid propter finem, requiritur cognitio finis aliqualis.

  • Quodcumque igitur sic agit vel movetur a principio intrinseco, quod habet aliquam notitiam finis, habet in seipso principium sui actus
    • non solum ut agat,
    • sed etiam ut agat propter finem.
  • Quod autem nullam notitiam finis habet, etsi in eo sit principium actionis vel motus; non tamen eius quod est agere vel moveri propter finem est principium in ipso, sed in alio, a quo ei imprimitur principium suae motionis in finem. Unde huiusmodi non dicuntur movere seipsa, sed ab aliis moveri.

Quae vero habent notitiam finis dicuntur seipsa movere, quia in eis est principium

  • non solum ut agant,
  • sed etiam ut agant propter finem.

Et ideo, cum utrumque sit ab intrinseco principio, scilicet

  • quod agunt,
  • et quod propter finem agunt,

horum motus et actus dicuntur voluntarii, hoc enim importat nomen voluntarii, quod motus et actus sit a propria inclinatione.

Et inde est quod voluntarium dicitur esse, secundum definitionem Aristotelis et Gregorii Nysseni et Damasceni, non solum cuius principium est intra, sed cum additione scientiae. Unde, cum homo maxime cognoscat finem sui operis et moveat seipsum, in eius actibus maxime voluntarium invenitur.

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1. Bien noter que comme la passion désir, la volonté relève d'une inclination, la différence spécifique résidant dans le fait qu'on connaît ce pour quoi on agit et non en premier lieu parce que la volonté serait libre. On agit volontairement parce qu'on connaît ce pour quoi on agit. La question de la liberté et du libre arbitre est une autre question. Nous sommes dans la continuité de ce qui a été dit à propos du bonheur humain, l'homme n'est pas libre de vouloir être heureux. Ici on cherche simplement à savoir ce qu'est le volontaire et s'il se trouve dans l'homme.

2. Le fait de se mouvoir par soi-même est une action.

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Thomas d'Aquin - La perfection d'une chose dépend de la réalité EXTERIEURE la plus parfaite vers laquelle cette chose tend - I.q59a3ad3

La connaissance réside dans le fait que le connu est dans le connaissant. (...) 

Mais l’acte de la puissance appétitive est [ce] par quoi l'affect est incliné vers la chose extérieure. Or, la perfection d’une chose ne dépend pas de toutes les choses vers lesquelles elle est inclinée, mais seulement des choses supérieures.

(Somme,  I.q59.a3.ad3)

Cognitio fit per hoc quod cognita sunt in cognoscente. (...)

Sed actus appetitivae virtutis est per hoc quod affectus inclinatur ad rem exteriorem. Non autem dependet perfectio rei ex omni re ad quam inclinatur, sed solum ex superiori.

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Thomas d'Aquin - La vertu ordonne et modère les passions et les opérations - I-II.q59a4

  • "La vertu est un habitus électif" - "Pour celui qui a un habitus, la fin est déjà déterminée dans son élection"

La vertu morale perfectionne la puissance appétitive de l'âme en l'ordonnant au bien de la raison.

Mais ce bien est ce qui est modéré et ordonné selon la raison. Aussi, dans tout ce qui se trouve être ordonné et modéré par la raison, il se trouve de la vertu morale. Or, la raison

  • ne met pas seulement de l'ordre dans les passions de l'appétit sensible,
  • elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qui est la volonté, laquelle n'est pas, nous l'avons dit, le siège de la passion.

Et voilà pourquoi les vertus morales n'ont pas toutes pour matière les passions, mais certaines les passions, certaines les opérations.

(Somme. I-II.q59a4)

Virtus moralis perficit appetitivam partem animae ordinando ipsam in bonum rationis.

Est autem rationis bonum id quod est secundum rationem moderatum seu ordinatum. Unde circa omne id quod contingit ratione ordinari et moderari, contingit esse virtutem moralem. Ratio autem

  • ordinat non solum passiones appetitus sensitivi;
  • sed etiam ordinat operationes appetitus intellectivi, qui est voluntas, quae non est subiectum passionis, ut supra dictum est.

Et ideo non omnis virtus moralis est circa passiones; sed quaedam circa passiones, quaedam circa operationes.

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Thomas d'Aquin - Le mouvement vers la possession du bien commence à faire entrer en délectation - I-II.q32a2ad1

 

A. Ce qui est mû, bien qu'il ne possède pas encore parfaitement ce vers quoi il est mû, commence cependant de posséder déjà quelque chose de ce vers quoi il est mû ; et, selon cela, le mouvement lui-même possède une certaine délectation.

Il manque cependant à la délectation la perfection car les délectations les plus parfaites sont dans les réalités immuables.

B. Le mouvement devient aussi délectable en tant qu'il se fait par lui quelque chose qui convient qui auparavant ne convenait pas ou qui avait cessé d'exister.

(Somme, I-II.q32a2ad1)

A. Id quod movetur, etsi nondum habeat perfecte id ad quod movetur, incipit tamen iam aliquid habere eius ad quod movetur, et secundum hoc, ipse motus habet aliquid delectationis.

Deficit tamen a delectationis perfectione, nam perfectiores delectationes sunt in rebus immobilibus.

B. Motus etiam efficitur delectabilis, inquantum per ipsum fit aliquid conveniens quod prius conveniens non erat, vel desinit esse.

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Voir aussi ici : 

 

1. "Ce qui se meut" --> C'est un passif, pas un actif, on doit donc traduire : "Ce qui est mû".

2. La convenance : deux choses qui s'assemblent naturellement, comme l'appétit et l'appétible : il convient à l'appétit de tendre vers l'appétible, il convient l'appétible d'être objet de l'appétit. Il n'y a pas de dissonance entre eux. Quand l'appétible n'est pas porté à la connaissance ou à la présence de l'appétit, il ne peut se produire de convenance.

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