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Thomas d'Aquin - ContraRetr.9 - Si tu veux entrer en religion, ne demande pas conseil aux proches selon la chair

Mais il reste deux choses qu’il faut encore conseiller à ceux qui entretiennent le propos d’entrer en religion : l’une est la manière d’entrer en religion ; l’autre est de savoir s’ils ont quelque empêchement par lequel ils seraient empêchés d’entrer en religion, par exemple, s’ils sont des serfs, ou s’ils sont unis par le mariage, ou quelque chose de ce genre.

Mais, en premier lieu, les proches selon la chair doivent être écartés de ce conseil. En effet, il est dit en Pr 25, 9 : "Traite de ce qui te concerne avec ton ami, et ne révèle pas ton secret à un étranger". Les proches selon la chair ne sont pas des amis eu égard à ce propos, mais plutôt des ennemis, selon ce qu’on lit en Mi 7, 6 : "Les ennemis de l’homme, ce sont les membres de sa maison". C’est ce que le Seigneur aussi met de l’avant en Mt 10, 36. Dans ce cas, donc, il faut surtout éviter les conseils des proches selon la chair. (...)

Il faut aussi que soient écartés de ce conseil les hommes charnels, par qui la sagesse de Dieu est considérée comme folie. Ainsi est-il dit par dérision en Si 37, 12 : Parle de sainteté avec un homme sans religion, et de justice avec un homme injuste!Et il ajoute plus loin : Ne porte attention à aucun de leurs conseils, mais fréquente l’homme sage(Si 37, 14‑15), à qui il faut demander conseil, s’il faut être conseillé par certains dans cette situation.

(ContraRetr.9)

Restant autem duo de quibus consiliari relinquitur his qui religionis assumendae propositum gerunt: quorum unum est de modo religionem intrandi; aliud autem est, si aliquod speciale impedimentum habeant, per quod impediantur a religionis ingressu; puta, si sint servi, vel matrimonio iuncti, vel aliquid huiusmodi.

Sed ab hoc consilio primo quidem amovendi sunt carnis propinqui. Dicitur enim Prov. XXV, 9: causam tuam tracta cum amico tuo, et secretum extraneo non reveles. Propinqui autem carnis in hoc proposito amici non sunt, sed potius inimici, secundum illud quod habetur Mich. VII, 6: inimici hominis domestici eius: quod etiam dominus introducit Matth. X, 36. In hoc igitur casu sunt praecipue vitanda carnalium propinquorum consilia. (...)

Arcendi sunt etiam ab hoc consilio carnales homines, apud quos Dei sapientia stultitia reputatur: unde Eccli. XXXVII, 12, irrisorie dicitur: cum viro irreligioso tracta de sanctitate, et cum iniusto de iustitia: et postea subdit: non attendas his in omni consilio, sed cum viro sancto assiduus esto: a quo est petendum consilium, si de aliquibus in hoc casu consiliari oporteat.

 


1. -- Morceau très autobiographique, lorsqu'on sait à quel point les parents de TH. s'opposèrent très concrètement et pendant un long temps à son entrée chez les dominicains quoiqu'ils furent plus que favorables à ce qu'il reste chez les bénédictins du Mont Cassin... pour en devenir l'abbé...

2. -- "s'il faut demander conseil" : encore une note autobiographique. On voit là que TH. n'a semble-t-il pas eu besoin de demander conseil et que sa décision a été ferme et hautement personnelle.

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Thomas d'Aquin - DeMalo.q15a5 - L'arbitre et les trois niveaux de réalités, physique, animal, intellectuel

Il faut donc remarquer qu'il appartient à la nature du libre arbitre de pouvoir se porter sur des choses diverses.

[Les êtres qui ne possèdent pas la connaissance]

Aussi la réalité à qui la connaissance manque, dont les actions sont déterminées à une seule [possibilité], n'agit en rien par son arbitre.

[Les êtres qui possèdent la connaissance sensible]

Les animaux sans raison agissent bien

  • par un arbitre,
  • mais pas un arbitre libre ;

parce que le jugement qui les fait rechercher ou fuir une chose est déterminé en eux par nature, de sorte qu'il ne peuvent pas le dépasser, comme la brebis ne peut pas ne pas fuir le loup qu'elle a vu.

[Les êtres qui possèdent la connaissance intellectuelle et rationnelle]

Mais tout être qui possède l'intellect et la raison agit de [par un] libre arbitre, c'est à dire en tant que son arbitre (qui le fait agir) suit l'appréhension de l'intellect ou de la raison, qui se rapportent à plusieurs [objets].

Et c'est pourquoi, comme il a été dit, il relève de la raison de libre arbitre de pouvoir se porter sur plusieurs [choses].

(DeMalo.q15a5)

Est ergo considerandum, quod ad rationem liberi arbitrii pertinet quod in diversa possit.

[ ]

Unde res cognitione carentes, quarum actiones sunt determinatae ad unum, nihil agunt suo arbitrio.

[ ]

Animalia vero irrationalia agunt quidem

  • arbitrio,
  • sed non libero;

quia iudicium quo aliquid prosequuntur velfugiunt, est in eis determinatum a natura, ita ut ipsum praeterire non possint, sicut ovis non potest non fugere lupum visum.

[ ]

Sed omne illud quod habet intellectum et rationem, agit libero arbitrio, in quantum scilicet arbitrium eius, quo agit, consequitur apprehensionem intellectus vel rationis, quae se habet ad multa.

Et ideo, sicut dictum est, ad rationem liberi arbitrii pertinet quod in diversa possit.

 


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Thomas d'Aquin - DePot.q1a5a13 - Dieu, bien qu'immuable, a le libre arbitre

  • ... l'arbitrage étant un jugement électif supposant une multiplicité

Bien que Dieu soit immuable, il n'est pas déterminé à une seule chose entre celles qui sont à faire [= qu'il est possible de faire], et c'est pourquoi il a le libre arbitre. 

(DePot.q1a5ad13)

Licet Deus sit immutabilis, tamen eius voluntas non est determinata ad unum in his quae facienda sunt : et ideo habet liberum arbitrium.

 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1- Les hommes peuvent agir librement à cause de leur capacité à confronter

  • ... et du fait qu'ils ont la notion de fin et celle de moyen, ainsi que l'ordre entre elles
  • A partir d'un jugement de la raison (ex iudicio rationis) les hommes agissent et sont mus,
    • car ils confrontent1 les choses à faire dans le domaine de l'action (conferunt enim de agendis),
  • mais à partir d'un jugement naturel (ex iudicio naturali) agissent et se meuvent toutes les bêtes.

Et cela ressort clairement,

  • d’une part, de ce que toutes celles qui sont de la même espèce opèrent semblablement
    • ainsi, toutes les hirondelles font leur nid de manière similaire,
  • et d’autre part de ce qu’elles ont un jugement pour une œuvre déterminée et non pour toute œuvre ;
    • ainsi, les abeilles n’ont pas d’industrie pour fabriquer autre chose que des rayons de miel (...).
  • [Les bêtes] ne sont pas la cause de leur arbitre, et n’ont pas la liberté de l’arbitre (libertatem arbitrii habent).
  • L’homme, en revanche, jugeant par la puissance (virtutem) de la raison sur les choses à faire dans le domaine de l'action, peut juger depuis son arbitre (de suo arbitrio), en tant qu’il connaît la raison [= la notion analogique] de la fin et du moyen, ainsi que la relation et l’ordre entre l’un et l’autre ;

voilà pourquoi il n’est pas seulement la cause de soi‑même

  • dans le mouvement,
  • mais [aussi] dans le jugement ;

et c’est pourquoi il est [doué] de libre arbitre, on peut quasiment dire de libre jugement pour agir ou ne pas agir.

(DeVer.q24a1)

  • Ex iudicio rationis homines agunt et moventur ; conferunt enim de agendis;
  • sed ex iudicio naturali agunt et moventur omnia bruta.

Quod quidem patet

  • tum ex hoc quod omnia quae sunt eiusdem speciei, similiter operantur,
    • sicut omnes hirundines similiter faciunt nidum :
  • tum ex hoc quod habent iudicium ad aliquod opus determinatum et non ad omnia ;
    • sicut apes non habent industriam ad faciendum aliquod aliud opus nisi favos mellis (...). 
  • Et sic non sunt causa sui arbitrii, nec libertatem arbitrii habent.
  • Homo vero per virtutem rationis iudicans de agendis, potest de suo arbitrio iudicare, in quantum cognoscit rationem finis et eius quod est ad finem, et habitudinem et ordinem unius ad alterum :

et ideo non est solum causa sui ipsius

  • in movendo,
  • sed in iudicando ;

et ideo est liberi arbitrii, ac si [Gaffiot : quasi] diceretur liberi iudicii de agendo vel non agendo.

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1.

  • De "confero" : comparer, mettre en parallèle.
  • Le verbe confero met bien en valeur l'analogie intelligence / raison, volonté / libre arbitre. Le mot est utilisé aussi en DeVer.q24a6
  • Plus tard, Thomas utilise l'expression ex collatione(Somme, I.q83a1 et I.q83a4), la collation étant l'acte de conférer avec quelqu'un. Collatio vient de Collatus participe passé de Confero.
  • En ce sens on pourait aussi traduire par : "les hommes tiennent en eux-mêmes conférence afin de juger" ou encore "les hommes discutent en eux-mêmes afin de juger", ou "s'entretiennent en eux-mêmes".
  • Voir l'éclairant article du CNRTL.
  • Voir la réponse de GPT4 : Quelles sont les différentes traductions possibles du verbe confero ? Le verbe latin “confero” peut être traduit en français de plusieurs manières selon le contexte. Les traductions les plus courantes sont “comparer”, “rassembler”, “réunir”, “apporter”, “contribuer” et “conférer”.
  • Une autre bonne traduction serait d'utiliser le verbe colliger mais demeure d'un usage trop rare...

2. -- "[Les bêtes] ne sont pas la cause de leur arbitre, et n’ont pas la liberté de l’arbitre" : très intéressant, cela montre que les bêtes ont bien un arbitre, c'est à dire une capacité de juger, mais cet arbitrage n'est pas libre, leur jugement est naturel.

3. -- "L’homme jugeant par la puissance de la raison sur les choses à faire, peut juger depuis son arbitre, en tant qu’il connaît la raison de la fin et du moyen, ainsi que la relation et l’ordre entre l’un et l’autre": la "raison" est la saisie dans telle chose puis dans telle autre, etc., d'un élément commun qui lui permet d'abstraire ; on découvre ainsi ce qu'est une fin en général et on peut ensuite juger à propos de certaines choses qu'elles sont des fins. Même chose pour la ratio de moyen. A PRECISER : La ratio fait appel à l'analogie et à l'abstraction.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad11 - Quelque chose du bien demeure dans l'action volontairement fautive - LUMINEUX

Le péché par le libre arbitre n’est pas commis si ce n'est par l’élection d’un bien apparent ; par conséquent, en n’importe quelle action peccamineuse demeure quelque chose (aliquid) du bien. Et quant à cela, la liberté est conservée ; en effet, si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait. 

(DeVer.q24a10ad11)

 

Peccatum per liberum arbitrium non committitur nisi per electionem apparentis boni ; unde in qualibet actione peccati remanet aliquid de bono. Et quantum ad hoc libertas conservatur : remota enim specie boni, electio cessaret, quae est actus liberi arbitrii.

 

Note : pour une compréhension moins théologique et plus directement philosophique, on peut remplacer le mot péché par l'expression "faute volontaire".

A lire et à relire pour la simplicité déconcertante du raisonnement.

La justification ainsi énoncée : "si l’espèce du bien était enlevée, l’élection, qui est l’acte du libre arbitre, cesserait", est lumineuse. On cesserait de vouloir le mal (et donc de le choisir) si nous ne saissions pas telle action formellement (specie) comme un bien.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a10ad7 - Le libre arbitre ne reçoit pas le plus et le moins

Le libre arbitre,

  • en tant qu’il est dit libre de contrainte (coactione), ne reçoit pas le plus et le moins ;
  • mais s'il on considère par rapport au péché et au malheur (miseria), il est dit dans un état plus libre que dans l'autre.

(DeVer.q24a10ad7)

Liberum arbitrium,

  • secundum quod dicitur liberum a coactione, non suscipit magis et minus ;
  • sed considerata libertate a peccato et amiseria, dicitur in uno statu esse magis liberum quam inalio.

 


 1. -- En principe, le libre arbitre, comme puissance spirituelle, n'est ni limité par ce qu'il choisit, ni quantifiée par la matière. Mais du point de vue ou d'un choix antérieur qui a conduit au péché ou du conditionnement matériel de la vie concrète d'un individu, le libre arbitre peut se trouver dans un état qui ne lui permet plus d'être ce pour quoi il est fait : vouloir le bien en le choisissant. Voir le rapport inégal du libre arbitre à l'égard du bien et à l'égard du mal (III.q34a3ad1).

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a12 - Où Thomas éclaire la relation entre le conseil et la délibération

En effet, puisque l’acte du libre arbitre 

  • est l’élection,
  • qui suit le conseil, 
  • c’est-à-dire la délibération de la raison, 
le libre arbitre ne peut s’étendre à ce qui échappe à la délibération de la raison, comme c’est le cas des choses qui se présentent de façon non préméditée.

(DeVer.q24a12)

Cum enim actus liberi arbitrii

  • sit electio,
  • quae consilium,
  • id est deliberationem rationis,

sequitur, ad illud se liberum arbitrium extendere non potest quod deliberationem rationis subterfugit, sicut sunt ea quae impraemeditate occurrunt.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a13 - Le libre arbitre n'a pas un pouvoir moteur - Juger n'est pas agir

Bien lire la note postérieure.

Quand il est dit : « Celui‑ci peut persévérer jusqu’à la fin de sa vie dans l’abstention du péché »,

  • la puissance est portée sur quelque chose d’affirmatif,
  • c’est‑à‑dire que quelqu’un se met en un état tel que le péché ne puisse être (esse) en lui ;

car l’homme ne pourrait, par un acte du libre arbitre, se rendre persévérant, que s’il se rendait impeccable. Or cela ne tombe pas sous le pouvoir du libre arbitre, car la vertu motrice exécutante (exequens) ne s’y étend pas.

Et c'est pourquoi l’homme ne peut être pour lui‑même une cause de persévérance, mais il est dans la nécessité de demander à Dieu la persévérance.

(DeVer.q24a13)

Cum dicitur : iste potest perseverare usque ad finem vitae in abstinentia peccati ;

  • potentia fertur ad aliquid affirmativum,
  • ut scilicet aliquis ponat se in tali statu quod peccatum in eo esse non possit :

aliter enim homo per actum liberi arbitrii non posset se facere perseverare, nisi se impeccabilem faceret. Hoc autem non cadit sub potestate liberi arbitrii, quia virtus motiva exequens ad hoc non se extendit.

Et ideo homo causa perseverantiae sibi esse non potest, sed necesse habet perseverantiam a Deo petere.


1. -- Dans le De Veritate, comme dans la plupart de ses oeuvres, Thomas parle en théologien mais passe souvent par des affirmations que le philosophe soutient lui aussi. Ici, si le propos est tenu sous l'angle avant tout théologique, il contient une affirmation également très juste au point de vue philosophique. Le libre arbitre ne peut pas à lui seul passer à l'action. Juger librement d'une chose, n'est pas agir. On juge d'abord, on agit ensuite. Ce sont deux actes distincts. La partie efficiente de l'activité humaine éthique est un acte qui suit l'acte du jugement. A noter que la partie efficiente se distingue elle-même en deux actes distincts, le commandement puis l'application (aussi dit "exécution", ou "usage").

2. -- "exequens" : participe présent actif du verbe exequor, exequi, exsecutus sum qui signifie suivre, poursuivre, exécuter, accomplir. Par exemple : Exequens imperatoris mandata : Suivant les ordres de l’empereur. Exequens legem : Exécutant la loi. (Source : ChatGPT)

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad1 - On ne dit pas que l'homme est libre de ses actions, mais libre de son élection

L'homme n'est pas dit libre de ses actions, mais libre de son élection, qui est juge des choses à faire dans le domaine de l'action. Et le nom même "libre arbitre" le montre.

(DeVer.q24a1ad1)

Homo non dicitur esse liber suarum actionum, sed liber suae electionis, quae est judicum de agendis. Et hoc ipsum nomen liberi arbitrii demonstrat.

 


A précisément parler, l'homme n'est pas libre de ses actions, mais du choix qui prélude à ses actions. Ce qui implique de penser qu'il n'y a pas d'acte humain sans choix.

Voir aussi DeVer.q24a2ad3

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad17 - Le jugement libre, c'est le jugement d'élection passé par le conseil

Le jugement auquel la liberté est attribuée,

  • est le jugement d’élection,
  • et non celui que l’homme prononce sur les conclusions dans les sciences spéculatives ;

car l’élection est elle‑même comme une certaine science de ce qui est déjà passé par le conseil (praeconsiliatis).

(DeVer.q24a1ad17)

Iudicium cui attribuitur libertas,

  • est iudicium electionis ;
  • non autem iudicium quo sententiat homo de conclusionibus in scientiis speculativis ;

nam ipsa electio est quasi quaedam scientia de praeconsiliatis.

 

 


L'élection est le terme du conseil, comme la conclusion est le terme du raisonnement. A ce stade il n'y a pas de mouvement mais un repos.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad19 - Le libre arbitre, le conditionnement et les différentes causes efficientes et matérielles (les corps extérieurs, le corps, l'habitus acquis, l'habitus infus)

[Ce que l'on ne tient pas de notre naissance]

Les hommes ne tiennent de leur naissance aucune disposition immédiatement dans l’âme intellective, par laquelle ils sont de nécessité inclinés à élire une certaine fin : [aliquem => une fin seconde, un moyen, par laquelle on atteint la fin ultime]

  • ni du corps céleste,
  • ni d’aucune autre chose ;

si ce n’est que de leur nature même (ex ipsa sui natura) ils ont en eux un appétit nécessaire de la fin ultime, c’est‑à‑dire de la béatitude, 

  • ce qui n’empêche pas la liberté de l’arbitre,
  • puisque diverses voies demeurent éligibles pour suivre cette fin ;

et ce, parce que les corps célestes ne laissent pas une impression immédiate dans l’âme raisonnable.

[Ce que l'on tient de notre naissance]

[Le corps apporte en nous un certain conditionnement... ]

Mais de la naissance résulte une disposition dans le corps du nouveau-né,

  • tant par la puissance des corps célestes [= conditionnement naturel extérieur à nous]
  • que par les causes inférieures, que sont
    • la semence
    • et la matière du fœtus, [= conditionnement naturel intérieur à nous]
    • par quoi l'âme est en quelque manière penchée de manière efficiente (efficitur) [donc pas par une cause finale] à une certaine élection,
    • selon laquelle l'élection de l'âme rationnelle est inclinée à partir des passions,
      • qui sont dans l'appétit sensible,
      • qui est une puissance du corps qui suit les dispositions corporelles.

[... mais qui ne supprime pas le libre arbitre pour autant]

Mais de cela nulle nécessité n'est induite en lui quant à l’élection, puisqu’il est au pouvoir de l’âme raisonnable

  • de recevoir,
  • ou de repousser les passions naissantes.

Par la suite, l’homme devient de manière efficiente (efficitur) tel ou tel

  • par un habitus acquis,
    • dont nous sommes la cause,
  • ou par un habitus infus,
    • qui n’est pas donné sans notre consentement, quoique nous n’en soyons pas la cause.

Et cet habitus a pour effet (efficitur) que l’homme désire (appetat) efficacement la fin en consonnance avec cet habitus. Et un tel habitus

  • n’induit pas de nécessité,
  • ni ne lève la liberté de l’élection.

(DeVer.q24a1ad19)

[ ]

Homines ex nativitate non consequuntur aliquam dispositionem immediate in anima intellectiva, per quam de necessitate inclinentur ad aliquem finem eligendum,

  • nec a corpore caelesti,
  • nec ab aliquo alio ;

nisi quod ex ipsa sui natura inest eis necessarius appetitus ultimi finis, scilicet beatitudinis,

  • quod non impedit arbitrii libertatem,
  • cum diversae viae remaneant eligibiles ad consecutionem illius finis.

Et hoc ideo quia corpora caelestia non habent immediatam impressionem in animam rationalem.

[ ]

[ ]

Ex nativitate autem consequitur in corpore nati aliqua dispositio

  • tum ex virtute corporum caelestium,
  • tum ex causis inferioribus, quae sunt
    • semen
    • et materia concepti,

per quam anima quodammodo ad aliquid eligendum prona efficitur,

secundum quod electio animae rationalis inclinatur ex passionibus, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est potentia corporalis consequens corporis dispositiones.

[ ]

Sed ex hoc nulla necessitas inducitur ei ad eligendum ; cum in potestate animae rationalis sit

  • accipere,
  • vel etiam refutare passiones subortas.

Postmodum vero homo efficitur aliqualis

  • per aliquem habitum acquisitum
    • cuius nos causa sumus,
  • vel infusum,
    • qui sine nostro consensu non datur, quamvis eius causa non simus.

Et ex hoc habitu efficitur quod homo efficaciter appetat finem consonum illi habitui. Et tamen ille habitus

  • necessitatem non inducit,
  • nec libertatem electionis tollit.

1. -- consonum : cf. la haine qui exprime une relation de dissonance entre un sujet et un objet qui ne lui convient pas (voir traité des passions).

2. -- efficaciter appetat finem : formule concise qui résume tout : il y a le désir naturel de la fin, et il y a le fait de se diriger vers elle de manière efficiente à travers des moyens, c'est à dire par une opération, une action concrète. Dans le domaine moral, ces actions seront déterminées par la prudence (habitus acquis) ou par un don gratuit de Dieu (habitus infus).

3. -- Nécessité de prendre le contrôle de la partie efficiente, sans quoi on la laisse au conditionnement.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2 - L'homme peut accepter les passions ou les repousser, ce qui montre son libre arbitre

L’homme n’est pas nécessairement mû

  • par les choses qui se présentent à lui,
  • ou par les passions qui surgissent du dedans (insurgentibus),

parce qu’il peut

  • les accepter
  • ou les repousser ;

voilà pourquoi l’homme est [doué] de libre arbitre, mais non la bête. 

(DeVer.q24a2)

Homo non necessario movetur

  • ab his quae sibi occurrunt,
  • vel a passionibus insurgentibus

quia potest ea

  • accipere
  • vel refugere ;

et ideo homo est liberi arbitrii, non autem bruta.

 


 1. -- insurgentibus : alt. : qui s'élève du dedans.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a2 - La similitude de libre arbitre et la liberté conditionnée chez les animaux

  • Où Thomas joue un peu avec les mots ...

 

Il y a dans [les bêtes] une certaine similitude du libre arbitre (similitudo liberi arbitrii),

  • en tant qu’elles peuvent
      • agir
      • ou ne pas agir
    • une seule et même chose, suivant leur jugement,
  • de sorte qu’il y a en elles comme (quasi) une certaine liberté conditionnée (conditionata libertas) :

en effet,

  • elles peuvent agir,
    • si elles jugent qu’il faut agir,
  • ou ne pas agir,
    • si elles ne jugent pas ainsi.

Mais parce que leur jugement est déterminé à une seule chose, par conséquent

  • et l’appétit
  • et l’action

sont déterminés à une seule chose. (DeVer.q24a2)

Est in eis quaedam similitudo liberi arbitrii,

  • in quantum possunt
      • agere
      • vel non agere
    • unum et idem, secundum suum iudicium,
  • ut sic sit in eis quasi quaedam conditionata libertas :
  • possunt enim agere,
    • si iudicant esse agendum,
  • vel non agere,
    • si non iudicant.

Sed quia iudicium eorum est determinatum ad unum, per consequens

  • et appetitus
  • et actio

ad unum determinatur.

 


1. -- Les animaux peuvent agir ou ne pas agir, or les animaux ne sont pas libres, et puisque les hommes peuvent eux aussi agir ou ne pas agir, cela signifie que la liberté ne se trouve pas dans le fait de pouvoir agir ou ne pas agir, à moins de n'être libre que par similitude. Mais alors en quoi est-on libre en tant qu'homme ? Nous le sommes par ce qui précède l'action : le jugement libre discernant entre les diverses actions possibles celle qui sera retenue et choisie, cf. DeVer.q24a1ad1. et DeMalo.q15a5.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4 - Distinction du libre arbitre au sens propre (un acte) et au sens usuel (une puissance)

  • Le libre arbitre, si l'on prête attention à la force du mot (vis vocabuli), désigne un acte ;
  • mais à partir de l'usage (ex usu) du langage est tirée une signification selon laquelle [le libre arbitre] est principe de l'acte.

En effet, lorsque nous disons que l’homme est [doué] de libre arbitre,

  • nous n'intelligeons pas (non intelligimus) qu’il juge librement en acte,
  • mais qu’il a en lui‑même de quoi pouvoir juger librement. 

(DeVer.q24a4)

  • Liberum arbitrium, si vis vocabuli attendatur, nominat actum ;
  • sed ex usu loquendi tractum est ut significet id quod est principium actus.

Cum enim dicimus esse hominem liberi arbitrii,

  • non intelligimus quod actu libere iudicet,
  • sed quod habeat in se unde possit libere iudicare. 

1. -- Le langage courant montre que nous préférons regarder le libre arbitre comme un pouvoir (donc comme une puissance en général) plutôt que comme cet acte de libre arbitre et cet autre acte de libre arbitre. Pour être libre, il faut "pratiquer" la liberté, c'est à dire poser concrètement tels actes de libre arbitre, c'est à dire tels actes de choix (desquels découlent telles actions). Pas de liberté seulement en puissance.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4 - Ni juger, ni juger librement n'est un habitus

Passage dans lequel les mots 

  • vis,
  • potentiae,
  • potestate

sont à distinués.

[L’acte de juger simple ne nécessite pas d'habitus]

Juger,

  • si rien n'est ajouté,
  • n'excède pas la capacité de la puissance (vim potentiae),
    • attendu que c’est l’acte d’une puissance,
      • c'est à dire la raison,
    • par [sa] nature propre,
    • sans cela qu'un certain habitus surajouté soit requis.

[L’acte de juger librement ne change rien]

  • Et si l’on y ajoute « librement » (libere),
  • de manière similaire [juger] n'excède [toujours] pas la capacité de la puissance (vim potentiae).

Car une chose est dîte se faire librement (libere) lorsqu’elle est au pouvoir (potestate) de celui qui fait.

Or, qu’une chose soit en notre pouvoir, cela est en nous

  • par une certaine puissance,
    • c'est à dire la volonté,
  • et non par un habitus.

Voilà pourquoi l’expression de libre arbitre ne désigne pas un habitus, mais

  • la puissance de volonté
  • ou de raison,
  • l’une en relation (ordinem) à l’autre.

En effet, l’acte d’élection est produit ainsi, c’est‑à‑dire de l’une d’elles en relation (ordinem) à l’autre (...).

De ce qui précède ressort aussi le motif pour lequel certains ont prétendu que le libre arbitre était un habitus. En effet, certains ont affirmé cela à cause de ce qui est ajouté par le libre arbitre à la volonté et à la raison, c’est‑à‑dire la relation (ordinem) de l’une à l’autre. Mais cela... 

(DeVer.q24a4)

[ ]

Iudicare,

  • si nihil addatur,
  • non excedit vim potentiae,
    • eo quod est alicuius potentiae actus,
      • scilicet rationis,
    • per propriam naturam,
    • sine hoc quod aliquis habitus superadditus requiratur.

[ ]

  • Hoc autem quod additur libere,
  • similiter vim potentiae non excedit. 

Nam secundum hoc aliquid libere fieri dicitur quod est in potestate facientis.

Esse autem aliquid in potestate nostra inest nobis

  • secundum aliquam potentiam,
  • non autem per aliquem habitum,
    • scilicet per voluntatem.

Et ideo liberum arbitrium habitum non nominat, sed

  • potentiam voluntatis
  • vel rationis,
  • unam siquidem per ordinem ad alteram.

Sic enim actus electionis progreditur, ab una scilicet earum per ordinem ad aliam (...).

Patet etiam ex dictis, unde quidam moti sunt ad ponendum liberum arbitrium esse habitum. Quidam enim hoc posuerunt propter id quod superaddit liberum arbitrium super voluntatem et rationem, scilicet ordinem unius ad alteram. Sed hoc...

 


1. -- Bien comprendre cette ordre entre volonté et raison...

2. --

  • Nous n'acquérons pas le jugement comme nous acquérons le courage. Juger que cette table-ci existe ne demande pas d'entraînement, alors que le courage, comme tous les habitus, demande à être exercé pour être acquis. C'est à force d'actes courageux que les actes courageux deviennent faciles à poser, comme une seconde nature ajoutée. Pour celui qui en fait usage, juger ou juger librement sont des puissances naturelles à disposition, et ce non par une seconde nature ajoutée.
  • On note que Thomas glisse du terme de libre arbitre au terme d'élection, ce qui montre bien la force du lien qui les lie, le second étant l'acte propre du premier.
  • Préciser ceci : Le libre arbitre est issu d'une puissance de la volonté ou de la raison, d'un ordre de l'une avec l'autre. L'élection est produite dans un ordre entre la volonté et la raison. Plus loin Thomas dit que le libre arbitre ajoute un ordre entre volonté et raison." Ce passage dans lequel Thomas semble hésiter à la suite d'Aristote trouve une réponse très claire en q24a6 et les rép. - Voir aussi Somme, I.q83a3).
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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a4ad4 - Juger librement relève directement de la puissance même de la raison

 

Connaître immatériellement convient à l’intelligence par la nature même de cette puissance.

Ainsi, le mode impliqué en cela que je dis « juger librement » (libere iudicare),

  • ne relève pas d’un habitus surajouté
  • mais relève de la puissance même de la raison (ipsam potentiae rationem)

(DeVer.q24a4ad4)

Cognoscere immaterialiter convenit intellectui ex ipsa natura potentiae.

Modus igitur importatus in hoc quod dico libere iudicare,

  • non pertinet ad aliquem habitum superadditum,
  • sed ad ipsam potentiae rationem pertinet.

 


 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Le libre arbitre est la volonté elle‑même dans son acte d'élection

  • Le libre arbitre ne recouvre pas tout ce qu'est la volonté mais seulement en tant qu'elle élit.
  • ... de même que le délectable et l’honnête,
      • qui incluent la raison de fin,
    • sont objets de la puissance appétitive,
  • de même le bien utile, qui est proprement élu
      • (et cela est patent à partir du nom : car le libre arbitre, comme on l’a dit, est la puissance par laquelle l’homme peut juger librement).

Or, si une chose est dîte principe de ce qu’un acte est fait d’une certaine façon (aliqualiter),

  • il n’est pas nécessaire qu’elle soit purement et simplement (simpliciter) le principe de cet acte,
  • mais il est signifié qu’elle en est le principe d’une certaine façon (aliquiliter) ;
  • de même, en disant que la grammaire est la science du parler correct,
    • on ne dit pas qu’elle est purement et simplement le principe de la parole,
      • car l’homme peut parler sans la grammaire,
    • mais qu’elle est le principe de la correction dans la parole.
  • La puissance qui [fait] que nous jugeons librement ne s’intellige pas
    • de celle qui fait que nous jugeons purement et simplement,
      • ce qui appartient à la raison,
    • mais de celle qui fait (facit) la liberté quand nous jugeons,
      • ce qui appartient à la volonté.

C’est pourquoi le libre arbitre est la volonté elle‑même.

Il ne la dénomme pas

  • absolument,
  • mais dans l'ordre à un acte d’elle,
    • celui d’élire.

(DeVer.q24a6)

  • ... sicut bonum delectabile et honestum,
      • quae habent rationem finis,
    • sunt obiectum appetitivae virtutis,
  • ita et bonum utile, quod proprie eligitur) ;
    • et patet ex nomine : nam liberum arbitrium, ut dictum est, art. 4 huius quaest., est potentia qua homo libere iudicare potest.

Quod autem dicitur esse principium alicuius actus aliqualiter fiendi,

  • non oportet quod sit principium illius actus simpliciter,
  • sed aliqualiter significatur esse principium illius ;
  • sicut grammatica per hoc quod dicitur esse scientia recte loquendi,
    • non dicitur quod sit principium locutionis simpliciter,
      • quia sine grammatica potest homo loqui,
    • sed quod sit principium rectitudinis in locutione.
  • Ita et potentia qua libere iudicamus,
    • non intelligitur illa qua iudicamus simpliciter,
      • quod est rationis ;
    • sed quae facit libertatem in iudicando,
      • quod est voluntatis.

Unde liberum arbitrium est ipsa voluntas.

Nominat autem eam non

  • absolute,
  • sed in ordine ad aliquem actum eius,
    • qui est eligere. 

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a6 - Les deux dimensions du libre arbitre : la liberté et le jugement, la liberté provient de la volonté, le jugement de la raison

 

Extrêmement clair. C'est un point sur lequel Thomas précise les écrits d'Aristote.

[L’expression de] "Libre arbitre" ne désigne pas la volonté de manière absolu mais dans son ordre à la raison ; c’est pourquoi, pour signifier cela, la volonté et la raison sont mis obliquement (oblique) dans la définition du libre arbitre. 

(DeVer.q24a6ad1)

Liberum arbitrium non nominat voluntatem absolute, sed in ordine ad rationem, inde est quod ad hoc significandum voluntas et ratio in definitione liberi arbitrii oblique ponuntur.

 

La raison confronte les possibles, cette confrontation permet l'élection, acte propre du libre arbitre. La volonté ne peut confronter toute seule, elle "sous-traite" donc cette partie à la raison mais "reste aux commandes", car c'est un bien qu'on choisit et le bien relève de la volonté, non de la raison. 

---

 Encore plus clair : 

Bien que le jugement appartienne à la raison, cependant la liberté dans le jugement appartient immédiatement (immediate) à la volonté.

(DeVer.q24a6ad3)

Quamvis iudicium sit rationis, tamen libertas iudicandi est voluntatis immediate.

 

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 Nous sommes appelés rationnels et par la puissance de la raison et par la puissance de la volonté.

Nous sommes appelés rationnels non seulement

  • d’après la puissance de la raison,
  • mais aussi d’après l’âme rationnelle,
    • dont la volonté est une puissance ;

et ainsi,

  • selon que nous sommes rationnels
  • nous sommes dits être [doués] de libre arbitre.

Cependant, si le terme « rationnels » était pris de la puissance de la raison [uniquement], la citation des autorités sus-dites [Jean Damascène et Grégoire de Nysse] signifierait que

  • la raison est l’origine première du libre arbitre, [= ce qui est faux]
  • et non le principe immédiat de l’élection. [= comme cela doit être affirmé]

(DeVer.q24a6ad4)

Rationales dicimur non solum

  • a potentia rationis,
  • sed ab anima rationali,
    • cuius potentia est voluntas ;

et sic

  • secundum quod rationales sumus,
  • dicimur esse liberi arbitrii.

Si tamen rationale a rationis potentia sumeretur, praedicta auctoritas significaret

  • rationem esse primam liberi arbitrii originem,
  • non autem immediatum electionis principium.

 

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a7 - La volonté est ordonnée au bien en général, elle est donc laissée dans une certaine indifférence quant aux actions particulières

Dans l’agir, la nature rationnelle pourvue de libre arbitre est différente de toute autre nature.

  • En effet, une autre nature
    • est ordonnée à un certain (aliquod) bien particulier,
    • et ses actions sont déterminées relativement à ce bien,
  • au lieu que la nature raisonnable est simplement (simpliciter) ordonnée au bien.

Car,

  • de même que le vrai dans l’absolu (absolute) est l’objet de l'intellect (intellectus),
  • de même le bien dans l’absolu (absolute) [est l’objet de] la volonté ;

d’où vient que la volonté s’étend

  • au principe universel même des biens,
  • auquel nul autre appétit ne peut parvenir.

Et c’est pourquoi la créature rationnelle

  • n’a pas des actions déterminées (determinatas actiones),
  • mais se comporte avec une certaine indifférence (indifferentia) envers les actions matérielles

(DeVer.q24a7)

Differt autem in agendo natura rationalis praedita libero arbitrio ab omni alia natura.

  • Alia enim natura
    • ordinatur ad aliquod particulare bonum,
    • et actiones eius sunt determinatae respectu illius boni ;
  • natura vero rationalis ordinatur ad bonum simpliciter.

 

  • Sicut enim verum absolute obiectum est intellectus,
  • ita et bonum absolute voluntatis ;

et inde est quod

  • ad ipsum universale bonorum principium voluntas se extendit,
  • ad quod nullus alius appetitus pertingere potest.

Et propter hoc creatura rationalis

  • non habet determinatas actiones,
  • sed se habet sub quadam indifferentia respectu materialium actionum. 

 


1. -- "actions matérielles" : on doit pouvoir prendre ici le mot "matérielles" comme synonymes de "particulières".

2. -- "une certaine indifférence" : le mot "certaine" souligne que l'indifférence ne l'est que sous un certain aspectet n'est pas absolue.

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Thomas d'Aquin - I.q59a3 - Partout où est un intellect, est un libre arbitre

Seul celui qui possède un intellect peut agir par un jugement libre, car

  • il connaît la raison universelle de bien,
  • à partir de laquelle il peut juger si ceci ou cela est bon.

C’est pourquoi, en tout [être] où il y a un intellect est un libre arbitre.

(Somme, I.q59a3)

 

Sed solum id quod habet intellectum, potest agere iudicio libero, inquantum

  • cognoscit universalem rationem boni,
  • ex qua potest iudicare hoc vel illud esse bonum.

Unde ubicumque est intellectus, est liberum arbitrium.  

 


(début de l'article ici)

 

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Thomas d'Aquin - I.q59a3 - Un arbitre n'est pas nécessairement libre

Il y a des êtres

  • qui n’agissent pas à partir d'un arbitre,
  • mais qui sont comme agis et mus par d’autres,
    • telle la flèche lancée vers un but une fin par l’archer.

D’autres êtres agissent

  • par un certain arbitre (quodam arbitrio),
  • mais qui n’est pas libre, tels les animaux sans raison (irrationalia) ;

ainsi la brebis fuit le loup à partir d'un certain jugement (quodam iudicio) qui estime que le loup lui est nuisible ;

  • mais ce jugement n’est pas lui-même libre,
  • mais il lui est inné par implanté par nature (a natura inditum).

(I.q59a3)

Quaedam sunt

  • quae non agunt ex aliquo arbitrio,
  • sed quasi ab aliis acta et mota,
    • sicut sagitta a sagittante movetur ad finem.

Quaedam vero agunt

  • quodam arbitrio,
  • sed non libero, sicut animalia irrationalia,

ovis enim fugit lupum ex quodam iudicio, quo existimat eum sibi noxium;

  • sed hoc iudicium non est sibi liberum,
  • sed a natura inditum.

 

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(suite et fin de l'article ici)


 1. -- Notre la relative équivalence arbitre / jugement.

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Thomas d'Aquin - I.q60a2 - (1) Différence connaissance / amour : l’acte de l'appétit volontaire met en rapport celui qui désire avec la chose-même - (2) Le bien ultime est désiré et choisi par soi, le moyen à cause du bien-fin-ultime

S'il y a dans l'ange la dilection élective [= amour de choix] Utrum in angelis sit dilectio elective

[Chez les anges]

Chez les anges existe

  • une certaine dilection naturelle
  • et une certaine dilection élective ;

et la dilection naturelle, en eux, est principe de [la dilection] élective,

  • parce que, toujours, ce qui relève du premier a raison de principe (ratio principii) ; 
    • de sorte que, puisque la nature est première en chaque [être], il faut que ce qui relève de la nature soit principe en ces [êtres].

[Chez les hommes]

Et cela apparaît chez les hommes

  • et quant à son intellect
  • et quant à sa volonté.
  • L’intellect, en effet, connaît les principes naturellement, et, à partir de cette connaissance est causée en l'homme la science des conclusions,
    • lesquelles ne sont pas connues naturellement par l'homme,
      • mais [seulement] par la recherche ou par l’enseignement (doctrinam).
  • Pareillement (similiter) dans la volonté, la fin se prend sur ce mode, comme le principe pour l'intellect, comme il est dit dans Physiques, II.

C’est pourquoi la volonté tend naturellement vers sa fin ultime, car tout homme veut naturellement la béatitude. De cette volonté naturelle dérivent tous les autres volontés ; car tout ce que veut l’homme, il le veut en vue de la fin.

  • La dilection du bien que l’homme veut naturellement comme fin, est une dilection naturelle.
  • La dilection qui en est dérivée, qui est un bien aimé (diligitur) en vue de la fin, est une dilection élective.

In angelis est

  • quaedam dilectio naturalis
  • et quaedam electiva.

Et naturalis dilectio in eis est principium electivae,

  • quia semper id quod pertinet ad prius, habet rationem principii;
    • unde, cum natura sit primum quod est in unoquoque, oportet quod id quod ad naturam pertinet, sit principium in quolibet.

Et hoc apparet in homine

  • et quantum ad intellectum,
  • et quantum ad voluntatem.
  • Intellectus enim cognoscit principia naturaliter, et ex hac cognitione causatur in homine scientia conclusionum,
    • quae non cognoscuntur naturaliter ab homine, sed per inventionem vel doctrinam.
  • Similiter in voluntate finis hoc modo se habet, sicut principium in intellectu, ut dicitur in II physic..

Unde voluntas naturaliter tendit in suum finem ultimum, omnis enim homo naturaliter vult beatitudinem. Et ex hac naturali voluntate causantur omnes aliae voluntates, cum quidquid homo vult, velit propter finem.

  • Dilectio igitur boni quod homo naturaliter vult sicut finem, est dilectio naturalis,
  • dilectio autem ab hac derivata, quae est boni quod diligitur propter finem, est dilectio electiva.

Cela, cependant, se prend différemment de la partie de l'intellect, et [de la partie de] la volonté.

  • Parce que, comme il a été dit plus haut, la connaissance de l'intellect se fait selon que les choses connues (res cognitae) sont dans celui qui connaît.
    • Or, du fait de l’imperfection de la nature intellectuelle dans l'homme,
      • que, de manière non immédiate, son intellect a naturellement [connaissance] de tous les intelligibles,
      • mais quelques-uns [seulement], à partir desquels il est mû vers certains autres.
  • Mais l’acte de la puissance (virtutis) appétitive est [= se réalise], au contraire (e converso), selon l'ordre de l'appétit vers la chose (res).
    • Or, certaines de ces [choses]
      • sont bonnes en elles-mêmes (secundum se bona)
      • et donc appétibles [= désirables] en elles-mêmes (secundum se appetibilia) ;
    • et il y a certaines [choses]
      • dont la ratio boni [= ~ la bonté] tient à leur ordre à autre chose,
      • et qui sont appétibles à cause de cette autre chose.

[Peu importe qui désire, c'est naturellement qu'on désire la fin et électivement qu'on désire les moyens]

D'où, ce n'est pas du fait de l'imperfection de celui qui appète  

  • que quelqu'un (aliquid) appète naturellement [une réalité] comme fin, 
  • et que quelqu'un (aliquid) appète par élection [une réalité] comme ordonnée à la fin.

Hoc tamen differenter se habet ex parte intellectus, et voluntatis.

  • Quia, sicut supra dictum est, cognitio intellectus fit secundum quod res cognitae sunt in cognoscente.
    • Est autem ex imperfectione intellectualis naturae in homine,
      • quod non statim eius intellectus naturaliter habet omnia intelligibilia,
      • sed quaedam, a quibus in alia quodammodo movetur.
  • Sed actus appetitivae virtutis est, e converso, secundum ordinem appetentis ad res.
    • Quarum quaedam
      • sunt secundum se bona,
      • et ideo secundum se appetibilia,
    • quaedam vero 
      • habent rationem bonitatis ex ordine ad aliud,
      • et sunt appetibilia propter aliud.

[ ]

Unde non est ex imperfectione appetentis, quod

  • aliquid appetat naturaliter ut finem,
  • et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.

[Retour au cas de l'ange, ce qui se passe au plan de la connaissance ne se retrouve pas au plan de l'amour]

Donc, puisque la nature de l’ange est parfaite,

  1. on trouve en lui
    • seulement la connaissance naturelle,
    • non la connaissance ratiocinante (ratiocinativa) [= raisonnante].
  1. Mais on trouve en lui la dilection
    • et naturelle
    • et élective.

[Tout cela a été dit au plan simplement naturel, qui est d'ailleurs insuffisant]

Mais ces [choses] ont été dites en laissant de côté celles qui sont au-dessus de la nature (supra naturam), car la nature de celles-ci n'est pas un principe suffisant. De cela, il sera dit plus bas.

(Somme, I.q60a2)

[ ]

Quia igitur natura intellectualis in angelis perfecta est,

  1. invenitur in eis
    • sola cognitio naturalis,
    • non autem ratiocinativa,
  1. sed invenitur in eis dilectio
    • et naturalis
    • et electiva.

[ ]

Haec autem dicta sunt, praetermissis his quae supra naturam sunt, horum enim natura non est principium sufficiens. De his autem infra dicetur.

 

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0. --  Dilection = amour spirituel impliquant un choix conscient, à la différence de l'amour instinctif et de l'amour passionnel et même de l'amour spirituel dans son tout premier moment, avant que l'intention de se porter vers l'objet aimé n'entre en jeu. Ici, Thomas ne parle que de dilection, ce qui signifie qu'il parle d'un amour du bonheur et d'un amour des moyens dans lesquels réside déjà un choix conscient, un certain jugement. On n'est pas au moment tout à fait premier de la naissance de ces amours.

1. --  Dans l'étude des passions Thomas parlera de l'amour naturel distingué de l'amour sensitif et de la dilection. Ici, il parle de dilection naturelle. Il serait intéressant de bien distinguer amour naturel et dilection naturelle. Le mot nature n'est pas utilisé exactement dans le même sens... A creuser. La dilection naturelle serait l'amour conscient qu'on est amené à élire suite à l'amour naturel du bonheur. Choisir ce qui pourtant s'impose. Il est assez amusant de relever chez Thomas l'expression "dilection élective" puisque l'élection fait déjà partie de ce qu'est la dilection. Il y a une double élection qui se fait en cascade : la dilection simple dans laquelle on aime d'un amour choisi la fin (qualifiée de naturelle par TH.) puis la dilection de ce qui, propement, est objet d'élection : le moyen. C'est très subtil, mais pas étonnant de la part de Thomas qui expérimente ce dont il parle, cette expérience qui révèle la complexité de la vie humaine lorsqu'on l'analyse (elle est bien plus simple lorsqu'on la vit, comme la voiture apparaît complexe quand elle est entièrement démontée, mais simple quand elle roule). On se demande comme ce manuel pour débutants qu'est la Somme peut être compris par les dits débutants !

2. -- Le principe est à l'intellect ce que la fin est à la volonté.

  • En s'appuyant sur un principe, l'intellect parvient à des conclusions par le raisonnement, ces conclusions n'étant pas évidentes au point de départ.
  • En s'appuyant sur la fin (la dilection du bonheur), la volonté parvient par délibération à vouloir des biens intermédiaires, des moyens en vue de la fin, qui n'étaient pas évidents dans la dilection naturelle initiale du bonheur.

La conclusion issue du raisonnement est analogue au choix issu de la délibération.

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A. -- On notera ce que nous prenons comme une grossière erreur de traduction :
 
Unde non est ex imperfectione appetentis, quod aliquid appetat naturaliter ut finem, et aliquid per electionem, ut ordinatur in finem.
qui a été rendu par : 
 
Ce n’est donc pas du fait de son imperfection que le sujet désirant veut ceci naturellement comme sa fin, et cela électivement, en l’ordonnant à sa fin. 
 
"et aliquid" est traduit par "et ceci", ce qui ne répond pas des deux choses désirées : le bien ultime comme fin, et les moyens ordonnés à cette fin.
 
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Thomas d'Aquin - I.q83a1 - Le libre jugement provient de la confrontation de la raison

  • Ex collatione

L’homme agit à partir d'un jugement1, car, par la puissance cognitive, il juge

  • s’il faut fuir quelque chose
  • ou le poursuivre.

Mais parce que ce jugement

  • ne pro­vient pas d’un instinct naturel (naturali instinctu) portant sur un opérable particulier (in particulari operabili) [= une action particulière],
  • mais provient de quelque confrontation (ex collatione quadam -ablatif) de la raison,

il agit alors à partir d'un libre jugement (agit libero iudicio), pouvant se porter sur des objets divers (in diversa).

(Somme, I.q83a1) 

Homo agit iudicio, quia per vim cognoscitivam iudicat aliquid esse

  • fugiendum
  • vel prosequendum.

Sed quia iudicium istud

  • non est ex naturali instinctu in particulari operabili,
  • sed ex collatione quadam rationis,

ideo agit libero iudicio, potens in diversa ferri.

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1. agit libero iudicio : ablatif, il peut exprimer ici  le point de départ ou/et le moyen.

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Thomas d'Aquin - I.q83a4 - Analogie intelligence / raison / conclusion -- volonté / libre arbitre / moyens

 

Si le libre arbitre est une puissance appétitive, est-elle la même puissance que la volonté, ou une autre ?

 

 

Si est appetitiva, utrum sit eadem potentia cum voluntate, vel alia.

 

Les puissances appétitives être proportionnées aux puissances cognitives, comme on l'a dit plus haut.

  • De même que de la partie appréhension intellectuelle se prennent l'intellect et la raison, 
  • ainsi de la partie appétit intellectif se prennent la volonté et le libre arbitre,
    • qui n’est rien d’autre que la puissance élective (vis electiva).

Et cela est patent à partir du rapport entre objets et actes [de ces puissances].

Potentias appetitivas oportet esse proportionatas potentiis apprehensivis, ut supra dictum est.

  • Sicut autem ex parte apprehensionis intellectivae se habent intellectus et ratio,
  • ita ex parte appetitus intellectivi se habent voluntas et liberum arbitrium,
    • quod nihil aliud est quam vis electiva.

Et hoc patet ex habitudine obiectorum et actuum.

[Du côté de l'appréhension intellective]  
  • Intelliger (intelligere) implique une simple saisie de quelque réalité (alicuius rei).
    • d'où être intelligé est proprement dit des principes,
      • [principes qui] sont connus par eux-mêmes sans confrontation.
  • Raisonner (Ratiocinari), c’est passer d’une connaissance à une autre,
    • d'où, proprement, c'est sur les conlusions que nous raisonnons,
      • [conclusions] qui deviennent connues à partir des principes.
  • Nam intelligere importat simplicem acceptionem alicuius rei,
    • unde intelligi dicuntur proprie principia,
      • quae sine collatione per seipsa cognoscuntur.
  • Ratiocinari autem proprie est devenire ex uno in cognitionem alterius, 
    • unde proprie de conclusionibus ratiocinamur,
      • quae ex principiis innotescunt.
[Du côté de l'appétit intellectif, (= spirituel)]  

Il en va de même dans l’appétit :

  • vouloir (velle) implique un simple appétit (simplicem appetitum) de quelque réalité,
    • d'où, la volonté est dîte [volonté] de la fin, laquelle est par elle-même objet de l'appétit.
  • Elire, c’est appéter [= désirer] une chose pour en obtenir une autre, 
    • d'où [élire] est proprement à propos de ce qui est en vue de la fin [= les moyens].

Similiter ex parte appetitus,

  • velle importat simplicem appetitum alicuius rei,
    • unde voluntas dicitur esse de fine, qui propter se appetitur.
  • Eligere autem est appetere aliquid propter alterum consequendum,
    • unde proprie est eorum quae sunt ad finem.
[Les premiers principes sont aux conclusions ce que la fin est aux moyens]  

Mais, 

  • de même qu''il y a un rapport dans l’ordre de la connaissance du principe à la conclusion,
    • [conclusion] à laquelle nous donnons notre assentiment à cause des principes,
  • ainsi, dans l’ordre appétitif il y a un rapport de la fin aux moyens,
    • [moyens] qui sont appétés [= désirés] à cause de la fin.

D'où est manifeste que

  • de même qu'il y a un rapport de l'intellect à la raison,
  • ainsi il y a un rapport de la volonté à la puissance élective, ce qui est la même chose que le libre arbitre.

Mais a été montré (ostensum) plus haut 

  • qu'intelliger et raisonner est une même puissance (potentiae),
  • comme reposer et mouvoir est une même capacité (virtutis),

D'où aussi vouloir et élire est une même puissance.

Et à cause de cela volonté et libre arbitre ne sont pas deux puissances, mais une [seule].

(Somme, I.q83a4)

  • Sicut autem se habet in cognitivis principium ad conclusionem,
    • cui propter principia assentimus ;
  • ita in appetitivis se habet finis ad ea quae sunt ad finem,
    • quae propter finem appetuntur.

Unde manifestum est quod sicut se habet intellectus ad rationem, ita se habet voluntas ad vim electivam, idest ad liberum arbitrium.

Ostensum est autem supra

  • quod eiusdem potentiae est intelligere et ratiocinari,
  • sicut eiusdem virtutis est quiescere et moveri.

Unde etiam eiusdem potentiae est velle et eligere.

Et propter hoc voluntas et liberum arbitrium non sunt duae potentiae, sed una.


1. --

L'analogie est donc la suivante : 

  • comme les premiers principes s'imposent dans l'ordre de la connaissance,
  • ainsi s'imposent la connaissance simple de la fin dans l'ordre de l'agir ;

puis

  • comme le raisonnement, à partir des premiers principes, amène à la connaissance d'autres choses,
  • ainsi l'élection, à partir de la connaissance de la fin, amène à la connaissance des moyens.

Voici les rapports de proportions à souligner :

(1) premiers principes, (2) raisonnement, (3) conclusion ;

(1) fins, (2) élection (qui implique la recherche par le conseil), (3) moyens.

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Thomas d'Aquin - II-II.q189a6 - Pour entrer en religion, il faut se fier au Père des esprits plutôt qu'à ceux qui nous ont donné la chair

Si les parents se trouvent dans une telle nécessité que seule l'aide de leurs enfants peut convenablement y pourvoir, ces enfants n'ont pas le droit d'abandonner le soin de leurs parents pour entrer en religion.

Quand les parents ne sont pas dans une telle nécessité qu’ils aient grandement (multum) besoin de l’assistance de leurs enfants, ceux-ci peuvent abandonner le service de leurs parents et entrer en religion, même contre leur défense.

Passé l’âge de la puberté, quiconque est de condition libre (ingenuues) a la liberté (libertatem habet) en ce qui concerne les questions relatives à la disposition de son état de vie, surtout s’il s’agit du service de Dieu : il vaut mieux obéir au Père des esprits (Hébreux 12, 9) pour que nous vivions, qu’aux parents de la chair.

(Somme, II-II.q189a6)

Parentibus in necessitate existentibus ita quod eis commode aliter quam per obsequium filiorum subveniri non possit, non licet filiis, praetermisso parentum obsequio, religionem intrare.

Si vero non sint in tali necessitate ut filiorum obsequio multum indigeant, possunt, praetermisso parentum obsequio, filii religionem intrare, etiam contra praeceptum parentum,

quia post annos pubertatis, quilibet ingenuus libertatem habet quantum ad ea quae pertinent ad dispositionem sui status, praesertim in his quae sunt divini obsequii; et magis est obtemperandum patri spirituum, ut vivamus, quam parentibus carnis, ut apostolus, Heb. XII, dicit.

 


Voir aussi dans le Contra Retrahentes.

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Thomas d'Aquin - Le libre arbitre se rapporte par lui-même et naturellement au bien - III.q34a3ad1

  • et il se rapporte au mal sur le mode du défaut et hors de la nature

Le libre arbitre ne se rapporte pas au bien et au mal de la même manière,

  • car il se rapporte au bien
    • par lui-même
    • et naturellement ;
  • mais il se rapporte au mal
    • sur le mode du défaut
    • et hors de la nature.

Mais comme le dit le Philosophe, dans De Caelo II, 3, ce qui est au-delà de la nature est postérieur à ce qui est selon la nature, parce que ce qui est au-delà de la nature est une sorte de coupure (excisio) de ce qui est selon la nature.

Et donc le libre arbitre d'une créature au premier instant de sa création

  • peut être mû vers le bien en méritant,
  • mais non vers le mal en péchant,

du moins si la nature est encore intacte.

(Somme, III.q14a1ad2)

Liberum arbitrium non eodem modo se habet ad bonum et ad malum,

  • nam ad bonum se habet
    • per se
    • et naturaliter;
  • ad malum autem se habet
    • per modum defectus,
    • et praeter naturam.

Sicut autem philosophus dicit, in II de caelo, posterius est quod est praeter naturam, eo quod est secundum naturam, quia id quod est praeter naturam, est quaedam excisio ab eo quod est secundum naturam.

Et ideo liberum arbitrium creaturae in primo instanti creationis

  • potest moveri ad bonum merendo,
  • non autem ad malum peccando,

si tamen natura sit integra.

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 1. Citation du De Caelo, 286a 18 : 

ὕστερον δὲ τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν,
καὶ ἔκστασίς τίς ἐστιν ἐν τῇ γενέσει
τὸ παρὰ φύσιν τοῦ κατὰ φύσιν

"D'autre part ce qui est contre la nature est postérieur à ce qui est selon la nature
et ce qui est contre nature dans la génération est une sorte de déviation au regard de ce qui est selon la nature."

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Thomas d'Aquin - Les actions humaines sont celles qui sont posées par une volonté délibérée à cause d'une fin - I-II.q1a1

  • ... les autres sont seulement des actions de l'homme

Convient-il à l’homme d'agir à cause d'une fin ?

Des actions posées par l'homme, celles-là seules sont proprement dites "humaines" celles qui sont propres à l'homme en tant qu'homme.

Et l'homme diffère des autres créatures, [celles qui sont] irrationnelles, en cela qu'il est seigneur (dominus) de ses actes. D'où il suit que sont appelées proprement humaines les seules actions dont l'homme est seigneur (dominus).

C'est cependant par sa raison et sa volonté que l'homme est le seigneur de ses actes, d'où il suit que le libre arbitre est dit "une faculté de la volonté et de la raison".

  • Sont donc dites proprement humaines ces actions qui procèdent d'une volonté délibérée.
  • S'il est cependant d'autres actions qui conviennent à l'homme, elles peuvent être seulement dites (dici quidem) des actions de l'homme, mais non pas des actions  proprement humaines, puisqu'elles ne sont pas de l'homme en tant qu'il est homme.

Or, il est manifeste que toute action qui procéde d'une puissance quelconque est causée selon la raison (rationem) de son objet [= la nature de son objet]. Or l'objet de la volonté c'est la fin et le bien.

Il est donc nécessaire que toutes les actions humaines soient à cause d'une fin.

(Somme. I-II.q1a1)

Utrum hominis sit agere propter finem ?

Actionum quae ab homine aguntur, illae solae proprie dicuntur humanae, quae sunt propriae hominis inquantum est homo.

Differt autem homo ab aliis irrationalibus creaturis in hoc, quod est suorum actuum dominus. Unde illae solae actiones vocantur proprie humanae, quarum homo est dominus.

Est autem homo dominus suorum actuum per rationem et voluntatem, unde et liberum arbitrium esse dicitur facultas voluntatis et rationis.

  • Illae ergo actiones proprie humanae dicuntur, quae ex voluntate deliberata procedunt.
  • Si quae autem aliae actiones homini conveniant, possunt dici quidem hominis actiones; sed non proprie humanae, cum non sint hominis inquantum est homo.

Manifestum est autem quod omnes actiones quae procedunt ab aliqua potentia, causantur ab ea secundum rationem sui obiecti. Obiectum autem voluntatis est finis et bonum.

Unde oportet quod omnes actiones humanae propter finem sint.

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1. Dominus : il serait plus aisé pour la compréhension de traduire "maître", mais le mot seigneur a plus d'ampleur et invite moins à une compréhension stoïcienne de "maîtrise de soi". Le seigneur respecte ce sur quoi il a autorité (voir l'expression "être grand seigneur").

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