Thomas d'Aquin - I.59a1 - On ne peut aimer spirituellement qu'à travers l'aide de l'intellect qui permet de saisir la ratio boni et de juger ce qu'on aime pour l'aimer pour ce qu'il est - UN SOMMET
On ne peut comprendre immédiatement ce passage. Bien lire le commentaire.
[1. L'appétit naturel] Certains [êtres] sont inclinés au bien par la seule disposition (habitudinem) de la nature, sans connaissance, comme les plantes et les corps inanimés. Et une telle inclination au bien est appelée appétit naturel. [2. L'appétit sensible] Certains [êtres] sont inclinés au bien avec une certaine connaissance,
L'inclination qui suit cette connaissance est dîte appétit sensitif. [3. L'appétit intellectuel ; entendre "appétit volontaire"] Certains autres [êtres] sont inclinés au bien avec une connaissance par laquelle ils connaissent la ratio boni elle-même, ce qui est le propre de l'intellect. [ --> rien d'autre que l'intellect ne peut saisir une ratio, par abstraction chez les hommes, par saisie directe chez les anges] Et ceux-là sont inclinés vers le bien de la façon la plus parfaite (perfectissime) ;
C’est pourquoi, puisque les anges appréhendent par leur intelligence la raison universelle de bien, il est manifeste qu’il y a en eux une volonté. (Somme, I.59a1) |
[1.] Quaedam enim inclinantur in bonum, per solam naturalem habitudinem, absque cognitione, sicut plantae et corpora inanimata. Et talis inclinatio ad bonum vocatur appetitus naturalis. [2.] Quaedam vero ad bonum inclinantur cum aliqua cognitione;
Inclinatio autem hanc cognitionem sequens, dicitur appetitus sensitivus. [3.] Quaedam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem; quod est proprium intellectus. Et haec perfectissime inclinantur in bonum;
Unde cum angeli per intellectum cognoscant ipsam universalem rationem boni, manifestum est quod in eis sit voluntas.
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Voir aussi ici.
1. -- Bien faire attention a chaque fois que TH. parle de ratio boni, le sujet est delicat. Car on n'aime en effet pas un universel, une notion, mais toujours tel bien existant. Toutefois on ne l'aime pas uniquement comme on aime particulièrement un être particulier ! - Cela demande un peu de finesse ici, mais c'est tès grisant intellectuellement à comprendre. - Sans la ratio boni je ne peux voir les divers plans de biens, le plan du bien naturel, le plan du bien sensible, le plan du bien spirituel. A chaque fois on touche le bien, ce qui me permet, bien que les plans soient différents, d'abstraire la notion commune de bien, ce qu'au Moyen-Âge on appelle ratio boni. Ayant la capacité de voir le bien partout où il se trouve, je peux les ordonner entre eux, je peux voir qu'un bien spirituel est supérieur à un bien sensible. Aimer spirituellement une personne n'est pas la même chose que l'aimer pour ses qualités sensibles, physiques, etc. Et cela se fait nécessairement avec le concours de l'intellect. La volonté, comme volonté, ne peut abstraire ; mais, dans l'expérience volontaire, c'est à dire dans l'expérience de mon appétit spirituel pour le bien spirituel, je fais appelle à mon intellect pour distinguer mon attraction au bien spirituel de mon attraction au bien sensible. En jugeant qu'un bien sensible et un bien spirituel sont tous les deux des biens, je vois par la même occasion ce qui les différencie l'un de l'autre. Grâce au commun saisi par la ratio boni, je distingue comme par soustraction ce qui reste : leur différence, qualités sensibles d'un côté, qualité spirituelle de l'autre. Et c'est alors en le connaissant et en le jugeant pour ce qu'il est, que j'aime spirituellement un bien en ce qu'il a de spirituel. - Ce qui n'exclue pas les autres plans, comme le souligne TH. au moment où il parle des passions qui peuvent/doivent être assumées, "emmenées", dans l'acte d'amour spirituel.
2. -- Quand Thomas parle d'inclination vers le bien universel lui-même, il faut bien notre le quasi. : "quasi inclinata in ipsum universale bonum". Il ne faut pas entendre que l'appétit volontaire se porte vers l'idée en soi du bien mais que dans tel bien elle discerne que c'est un bien. Elle est capable de juger que ce bien est un bien et un bien spirituel aimable spirituellement. Thomas n'est pas ici platonicien, il ne dit pas qu'il faut aimer la ratio boni.
3. -- A distinguer de la quête universelle du bonheur, voir par exemple ici.
4. -- A noter : ce qu'est le propre de l'intellect : appréhender la ratio d'une chose, ce qu'est une chose ... "Ceci est un bien".
Universel, Particulier, Volonté, Intellect / Intelligence, Bien, Désir (appétit sensible), Désir (appétit volontaire), Appétit, Appréhension, Bien universel, Ratio boni
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