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Thomas d'Aquin - I.q82a1 - Ce que nous appelons « volontaire »

Le mouvement de la volonté est une certaine inclination vers quelque chose ;

et c’est pourquoi,

  • de même que quelque chose est dit « naturel » parce que [cette chose] est selon une inclination de la nature,
  • de même quelque chose est dit « volontaire » parce que [cette chose] est selon l’in­clination de la volonté.

(Somme, I.q82a1)

Motus voluntatis est inclinatio quaedam in aliquid.

Et ideo

  • sicut dicitur aliquid naturale quia est secundum inclinationem naturae,
  • ita dicitur aliquid voluntarium quia est secundum inclinationem voluntatis.

 


1. -- Intéressant de voir à quel point ce qui est dit volontaire n'a rien à voir avec la notion actuelle, celle du sujet qui se propose de faire quelque chose de par sa propre volonté qu'il pose comme absolu et comme vide de tout objet pré-determiné. Le mot inclination chez Thomas peut se prendre ou de la fin ou des moyens (voir DeVer.q22a4). La volonté est inclinée au bonheur de manière nécessaire mais la volonté peut s'incliner elle-même quant aux moyens qu'elle prend pour parvenir au bonheur.

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Thomas d'Aquin - Deux manières d'être similaires donnent deux manières d'aimer : amour d'amitié / amour de concupiscence - I-II.q27a3

La similitude est à proprement parler cause de l'amour. Mais il faut remarquer que la similitude peut tendre à une double [acception]. Similitudo, proprie loquendo, est causa amoris. Sed considerandum est quod similitudo inter aliqua potest attendi dupliciter.
  1. D'une première manière du fait que chacun d'eux a en acte une même [réalité], comme deux [choses] ayant la blancheur sont dit similaires.
  2. D'une autre manière du fait que l'un a en acte ce que l'autre a en puissance et [ceci] par une certaine inclination ;
    • comme lorsque nous disons que un corps lourd existant hors de son lieu a une similtude avec un corps grave qui existe en son lieu. 
    • Ou encore selon que la puissance a une similitude avec l'acte lui-même ; car dans la puissance elle-même existe d'une certaine façon l'acte
  1. Uno modo, ex hoc quod utrumque habet idem in actu, sicut duo habentes albedinem, dicuntur similes.
  2. Alio modo, ex hoc quod unum habet in potentia et in quadam inclinatione, illud quod aliud habet in actu,
    • sicut si dicamus quod corpus grave existens extra suum locum, habet similitudinem cum corpore gravi in suo loco existenti.
    • Vel etiam secundum quod potentia habet similitudinem ad actum ipsum, nam in ipsa potentia quodammodo est actus.
  1. Le premier genre de ressemblance est cause de l'amour d'amitié ou de la volonté de se faire mutuellement du bien (benevolentiae). De ce fait, deux êtres étant similaires, et n'ayant pour ainsi dire qu'une seule forme, ils sont, en quelque manière, un dans cette forme ;
    • deux hommes ne font qu'un dans l'espèce humaine,
    • et deux êtres blancs dans la même blancheur.

De sorte que l'affect de l'un tend vers l'autre comme vers un même être que soi, et lui veut le même bien qu'à soi.

  1. Mais le deuxième genre de similitude est cause de l'amour de concupiscence ou de l'amitié utile et délectable. Car tout être en puissance, en tant que tel, a l'appétit de son acte, et, lorsqu'il l'a obtenu, il s'en réjouit, s'il est sensible et doué de connaissance. Or dans l'amour de concupiscence, avons-nous dit, c'est lui-même, à proprement parler, que l'aimant aime, quand il veut ce bien qu'il convoite. 

 

  1. Primus ergo similitudinis modus causat amorem amicitiae, seu benevolentiae. Ex hoc enim quod aliqui duo sunt similes, quasi habentes unam formam, sunt quodammodo unum in forma illa,
    • sicut duo homines sunt unum in specie humanitatis,
    • et duo albi in albedine.

Et ideo affectus unius tendit in alterum, sicut in unum sibi; et vult ei bonum sicut et sibi.

  1. Sed secundus modus similitudinis causat amorem concupiscentiae, vel amicitiam utilis seu delectabilis. Quia unicuique existenti in potentia, inquantum huiusmodi, inest appetitus sui actus, et in eius consecutione delectatur, si sit sentiens et cognoscens. Dictum est autem supra quod in amore concupiscentiae amans proprie amat seipsum, cum vult illud bonum quod concupiscit.

Mais chacun s'aime plus que les autres, parce que l'un,

  • avec soi, est dans la substance [= on ne fait qu'un avec notre propre être],
  • tandis qu'avec un autre, est dans la similitude de quelque forme.

Et c'est pourquoi si de (ex) ce qui est similaire à lui-même dans la participation de la forme, il est lui-même empêché d'atteindre le bien qu'il aime, [ce qui lui est similaire] lui devient odieux,

  • non en tant qu'il lui est similaire,
  • mais en tant qu'il est un empêchement à son propre bien.

Magis autem unusquisque seipsum amat quam alium, quia

  • sibi unus est in substantia,
  • alteri vero in similitudine alicuius formae.

Et ideo si ex eo quod est sibi similis in participatione formae, impediatur ipsemet a consecutione boni quod amat; efficitur ei odiosus,

  • non inquantum est similis,
  • sed inquantum est proprii boni impeditivus.

Et pour cela

  • "les potiers se disputent les uns les autres" ; parce qu'ils s'empêchent les uns les autres dans leurs propres profits ;
  • et "les orgueilleux se querellent" parce qu'ils s'empêchent  les uns les autres dans l'excellence propre qu'ils convoitent (concupiscunt).

(Somme, I-II.q27a3)

Et propter hoc

  • figuli corrixantur ad invicem, quia se invicem impediunt in proprio lucro,
  • et inter superbos sunt iurgia, quia se invicem impediunt in propria excellentia, quam concupiscunt.

-----

1.

Quand les deux sont en acte d'une forme similaire --> amour d'amitié.

Quand l'un n'a qu'en puissance ce qu'a l'autre en acte --> amour de concupiscence.

On aime l'aimable en acte, le véritable amour se fait quand l'un aime la bonté en acte de l'autre, c'est pourquoi il y a réciprocité dans l'amitié.

Quand il nous manque quelque chose que l'autre a,

  • nous ne regardons pas l'autre pour lui-même,
  • et l'autre n'a pas de raison de nous regarder du tout.

2.

Benevolentiae : la traduction habituelle par bienveilance ne semble pas ici adéquate. Un ami est quelqu'un a qui on veut du bien dit ailleurs Thomas.

3.

Noter la parenthèse métaphysique à partir de laquelle Thomas montre pourquoi, sous un certain aspect, l'amour de soi est plus grand que l'amour des autres. L'unité avec soi est substantielle tandis que l'unité avec l'autre se fait par la qualité.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q16a2 - La syndérèse murmure contre le mal et incline au bien

  • De temps en temps, le Thomas poète fait une apparition !

... il faut qu’il y ait un principe permanent qui ait une rectitude immuable, par rapport auquel toutes les opérations humaines soient examinées, en sorte que ce principe permanent

  • résiste à tout mal
  • et donne son assentiment à tout bien.

Et ce principe est la syndérèse, dont l'office est

  • de murmurer contre le mal
  • et d’incliner au bien ;

voilà pourquoi nous accordons qu’il ne peut y avoir de péché en elle.

(DeVer.q16a2)

... oportet esse aliquod principium permanens, quod rectitudinem immutabilem habeat, ad quod omnia humana opera examinentur ; ita quod illud principium permanens

  • omni malo resistat,
  • et omni bono assentiat.

Et haec est synderesis, cuius officium est

  • remurmurare malo,
  • et inclinare ad bonum ;

et ideo concedimus quod in ea peccatum esse non potest.

 


1. -- Rare passage dans lequel Thomas use d'une expression métaphorique.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q22a4 - Il y a trois sortes d'inclinations : deux non libres, une qui fonde la liberté

En effet,

  • plus une nature est proche de Dieu,
  • plus la similitude de la dignité divine est trouvée expressive en elle.

Or il revient à la dignité divine de mouvoir, incliner et diriger toutes choses, Dieu lui-même n’étant mû, incliné ou dirigé par rien d’autre. Par conséquent,

  • plus quelque nature est voisine de Dieu,
  • moins elle est inclinée par autre chose,
  • et plus elle est de nature à s’incliner elle-même.

Ainsi, la nature insensible qui (...)

La nature sensitive, étant (...)

[En quoi la nature rationnelle peut-elle s'incliner elle-même]

Mais la nature rationnelle (qui est supérieurement voisine de Dieu),

  1. n’a pas seulement (non solum) l’inclination vers quelque chose,
    • comme les réalités inanimées,
  2. ni seulement le moteur de cette inclination qui lui est pour ainsi dire (quasi) déterminée d’ailleurs,
    • comme la nature sensible,
  3. mais outre cela elle a en son pouvoir l’inclination elle‑même,
    • de sorte qu’il n’est pas nécessaire pour elle d’être inclinée vers l’appétible appréhendé,
    • mais elle peut
      • être inclinée
      • ou non inclinée.

Et ainsi, cette inclination ne lui est pas déterminée

  • par autre chose,
  • mais par elle‑même.

Et cela lui convient parce qu’elle n’use pas d’un organe corporel ; et ainsi,

  • s’éloignant de la nature sujette à être mue, [natura (ablatif d'origine) ; mobilis (génitif) mobile, capable d'être mû ]
  • elle accède à la nature de moteur et d’agent.

Et qu’une chose se détermine à soi‑même une inclination vers la fin, ne peut se produire que si

  • elle connaît la fin
  • et la relation de la fin aux moyens :

ce qui est le propre de la raison seulement.

Voilà pourquoi un tel appétit, que nul autre ne détermine de nécessité, suit l’appréhension de la raison ;

d'où, l’appétit rationnel, que l’on appelle volonté, est une puissance autre que l’appétit sensitif.

(DeVer.q22a4)

 

  • Quanto enim aliqua natura est Deo propinquior,
  • tanto expressior in ea divinae dignitatis similitudo invenitur.

Hoc autem ad divinam dignitatem pertinet ut omnia moveat et inclinet et dirigat, ipse a nullo alio motus vel inclinatus aut directus. Unde,

  • quanto aliqua natura est Deo vicinior,
  • tanto minus ab alio inclinatur
  • et magis nata est seipsam inclinare.

Natura igitur insensibilis, (...)

Natura vero sensitiva ut (...)

[Natura rationalis]

Sed natura rationalis, quae est Deo vicinissima,

  1. non solum habet inclinationem in aliquid
    • sicut habent inanimata,
  2. nec solum movens hanc inclinationem quasi aliunde ei determinatam,
    • sicut natura sensibilis ;
  3. sed ultra hoc habet in potestate ipsam inclinationem,
    • ut non sit ei necessarium inclinari ad appetibile apprehensum,
    • sed possit
      • inclinari
      • vel non inclinari.

 

Et sic ipsa inclinatio non determinatur ei

  • ab alio,
  • sed a seipsa.

Et hoc quidem competit ei in quantum non utitur organo corporali : et sic

  • recedens a natura mobilis,
  • accedit ad naturam moventis et agentis.

Quod autem aliquid determinet sibi inclinationem in finem, non potest contingere nisi cognoscat

  • finem,
  • et habitudinem finis in ea quae sunt ad finem :

quod est tantum rationis.

Et ideo talis appetitus non determinatus ex aliquo alio de necessitate, sequitur apprehensionem rationis ; unde appetitus rationalis, qui voluntas dicitur, est alia potentia ab appetitu sensibili.

 

 


1. -- Liberté et inclination à l'égard de l'amour, voir II-II.q19a4.

2. -- Très important de bien faire attention aux termes "non seulement", "nécessaire" et "nécessité". Cela rend le fait que les trois niveaux d'inclination cohabitent. Nous sommes inclinés parce que nous sommes des objets physiques, parceque nous sommes des êtres sensibles (connaissance et appétit sensibles), mais au-delà (ultra) de ces deux niveaux nous accédons à une nature capable de se déterminer par elle-même et non plus par "un autre". Mais attention, cela ne signifie pas que nous édictons ex nihilo les règles selon lesquelles notre appétit va tendre vers telle ou telle chose : TH. dit bien que si nous accédons à ce niveau c'est en raison du fait que nous connaissons la fin et les moyens qui peuvent y mener ; alors nous pouvons agir par nous-mêmes grâce à cette connaissance. Rappelons que pour TH. on ne délibère pas à propos de la fin, on la découvre seulement. Il s'agit d'une adhésion libre et non d'une choix arbitrairede notre propre fin. C'est pourquoi TH. dit "un appétit que nul autre ne détermine de nécessité", c'est à dire qu'il y a une détermination mais elle n'est pas nécessaire, il faut y adhérer.

3. -- Il serait intéressant d'étudier si TH. n'est pas légèrement plus volontariste au début de sa carrière comme ici dans le DeVer.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad18 - Comment la volonté est doublement non contrainte

  • De même qu'un certain vrai, du fait qu'il est non mélangé de faux, est reçu de nécessité par l'intellect,
    • comme le sont les premiers principes de la démonstration,
  • de même un certain bien, du fait qu'il est non mélangé de mal, est de nécessité désiré (appetitur) par la volonté,
    • à savoir, la félicité elle-même.

[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 1er point - Du côté de la fin]

Cependant, il ne s’ensuit pas que la volonté soit contrainte par cet objet ; car « contrainte »

  • dit quelque chose de contraire à la volonté
    • (qui est proprement inclination de celui qui veut)
  • et ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect
    • (qui ne dit pas inclination en celui qui intellige).

[La volonté en elle-même n'est pas contrainte, 2ème point- Du côté des moyens]

  • A partir de la nécessité de ce bien
    • n'est pas induit la nécessité de la volonté à vouloir d'autres choses, 
  • comme à partir de la nécessité des premiers principes
    • est induit la nécessité à l'assentiment des conclusions ;
  • les autres choses voulues n'ont pas un rapport nécessaire à ce premier voulu (ou selon la vérité ou selon l'apparence) 
    • [qui ferait en] sorte que sans eux ce premier voulu ne soit pas possible ;
  • alors que les conclusions démonstratives ont un rapport nécessaire aux principes à partir desquels elles sont démontrées, 
    • si bien que, les conclusions n'étant pas vraies, il est nécessaire que les principes ne soient pas vrais.

(DeVer.q24a1ad18)

  • Sicut aliquod verum est quod propter impermixtionem falsi de necessitate ab intellectu recipitur,
    • sicut prima principia demonstrationis;
  • ita est aliquod bonum quod propter malitiae impermixtionem de necessitate a voluntate appetitur,
    • scilicet ipsa felicitas.

[ ]

Non tamen sequitur quod ab illo obiecto voluntas cogatur; quia coactio 

  • dicit aliquid contrarium voluntati,
    • quae est proprie inclinatio volentis ;
  • non autem dicit aliquid contrarium intellectui,
    • qui non dicit inclinationem intelligentis.

[ ]

  • Nec ex necessitate illius boni
    • inducitur necessitas voluntatis respectu aliorum volendorum,
  • sicut ex necessitate primorum principiorum
    • inducitur intellectui necessitas ad assentiendum conclusionibus ;
  • eo quod alia volita non habent necessariam habitudinem ad illud primum volitum vel secundum veritatem vel secundum apparentiam,
    • ut scilicet absque illis primum volitum haberi non possit;
  • sicut conclusiones demonstrativae habent necessariam habitudinem ad principia ex quibus demonstrantur,
    • ita quod, conclusionibus non existentibus veris, necesse est principia non esse vera.

 

 


1. -- Extraordinaire : du fait que le bonheur est un bien dans lequel on ne trouve aucun mal, il en peut qu'être nécessairement désiré.

2. -- Sur l'argument du côté de la fin : Le bonheur ne contraint pas la volonté à le vouloir, parce que la volonté est faite pour cela. Non seulement il n'y a pas contrainte, mais désirer le bonheur accomplit la volonté puisqu'elle a en elle-même une inclination au bonheur (elle tend naturellement à cela, elle ne peut faire autrement, comme voir n'est pas une contrainte pour l'oeil). C'est opurquoi, en d'autres lieux, TH. dira que la nécessité n'est pas contraire à la liberté mais seulement la contrainte.

3. -- Sur l'argument du côté des moyens : Le premier vrai et le premier bien servent de premier appui, l'un dans le domaine spéculatif l'autre dans le domaine pratique. Mais alors que ce qui en découle est nécessaire sur le plan spéculatif, cela n'est pas le cas sur le plan pratique. Ainsi, si les conclusions s'imposent d'elles-mêmes à partir des premiers principes (le premier vrai) sur le plan spéculatif, les moyens, eux, ne s'imposent pas à partir du premier bien (le premier bien, désir du bonheur) sur le plan pratique.

4. -- Remarque sur "« contrainte » (...) ne dit pas quelque chose de contraire à l’intellect, qui ne dit pas inclination en celui qui intellige". En effet, car l'intellect n'est pas déterminé à intelliger quelque chose en particulier, alors que la volonté en elle-même est "programmée" à vouloir le bonheur.

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Thomas d'Aquin - DeVer.q24a1ad19 - Le libre arbitre, le conditionnement et les différentes causes efficientes et matérielles (les corps extérieurs, le corps, l'habitus acquis, l'habitus infus)

[Ce que l'on ne tient pas de notre naissance]

Les hommes ne tiennent de leur naissance aucune disposition immédiatement dans l’âme intellective, par laquelle ils sont de nécessité inclinés à élire une certaine fin : [aliquem => une fin seconde, un moyen, par laquelle on atteint la fin ultime]

  • ni du corps céleste,
  • ni d’aucune autre chose ;

si ce n’est que de leur nature même (ex ipsa sui natura) ils ont en eux un appétit nécessaire de la fin ultime, c’est‑à‑dire de la béatitude, 

  • ce qui n’empêche pas la liberté de l’arbitre,
  • puisque diverses voies demeurent éligibles pour suivre cette fin ;

et ce, parce que les corps célestes ne laissent pas une impression immédiate dans l’âme raisonnable.

[Ce que l'on tient de notre naissance]

[Le corps apporte en nous un certain conditionnement... ]

Mais de la naissance résulte une disposition dans le corps du nouveau-né,

  • tant par la puissance des corps célestes [= conditionnement naturel extérieur à nous]
  • que par les causes inférieures, que sont
    • la semence
    • et la matière du fœtus, [= conditionnement naturel intérieur à nous]
    • par quoi l'âme est en quelque manière penchée de manière efficiente (efficitur) [donc pas par une cause finale] à une certaine élection,
    • selon laquelle l'élection de l'âme rationnelle est inclinée à partir des passions,
      • qui sont dans l'appétit sensible,
      • qui est une puissance du corps qui suit les dispositions corporelles.

[... mais qui ne supprime pas le libre arbitre pour autant]

Mais de cela nulle nécessité n'est induite en lui quant à l’élection, puisqu’il est au pouvoir de l’âme raisonnable

  • de recevoir,
  • ou de repousser les passions naissantes.

Par la suite, l’homme devient de manière efficiente (efficitur) tel ou tel

  • par un habitus acquis,
    • dont nous sommes la cause,
  • ou par un habitus infus,
    • qui n’est pas donné sans notre consentement, quoique nous n’en soyons pas la cause.

Et cet habitus a pour effet (efficitur) que l’homme désire (appetat) efficacement la fin en consonnance avec cet habitus. Et un tel habitus

  • n’induit pas de nécessité,
  • ni ne lève la liberté de l’élection.

(DeVer.q24a1ad19)

[ ]

Homines ex nativitate non consequuntur aliquam dispositionem immediate in anima intellectiva, per quam de necessitate inclinentur ad aliquem finem eligendum,

  • nec a corpore caelesti,
  • nec ab aliquo alio ;

nisi quod ex ipsa sui natura inest eis necessarius appetitus ultimi finis, scilicet beatitudinis,

  • quod non impedit arbitrii libertatem,
  • cum diversae viae remaneant eligibiles ad consecutionem illius finis.

Et hoc ideo quia corpora caelestia non habent immediatam impressionem in animam rationalem.

[ ]

[ ]

Ex nativitate autem consequitur in corpore nati aliqua dispositio

  • tum ex virtute corporum caelestium,
  • tum ex causis inferioribus, quae sunt
    • semen
    • et materia concepti,

per quam anima quodammodo ad aliquid eligendum prona efficitur,

secundum quod electio animae rationalis inclinatur ex passionibus, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est potentia corporalis consequens corporis dispositiones.

[ ]

Sed ex hoc nulla necessitas inducitur ei ad eligendum ; cum in potestate animae rationalis sit

  • accipere,
  • vel etiam refutare passiones subortas.

Postmodum vero homo efficitur aliqualis

  • per aliquem habitum acquisitum
    • cuius nos causa sumus,
  • vel infusum,
    • qui sine nostro consensu non datur, quamvis eius causa non simus.

Et ex hoc habitu efficitur quod homo efficaciter appetat finem consonum illi habitui. Et tamen ille habitus

  • necessitatem non inducit,
  • nec libertatem electionis tollit.

1. -- consonum : cf. la haine qui exprime une relation de dissonance entre un sujet et un objet qui ne lui convient pas (voir traité des passions).

2. -- efficaciter appetat finem : formule concise qui résume tout : il y a le désir naturel de la fin, et il y a le fait de se diriger vers elle de manière efficiente à travers des moyens, c'est à dire par une opération, une action concrète. Dans le domaine moral, ces actions seront déterminées par la prudence (habitus acquis) ou par un don gratuit de Dieu (habitus infus).

3. -- Nécessité de prendre le contrôle de la partie efficiente, sans quoi on la laisse au conditionnement.

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Thomas d'Aquin - I-II.q19a10 - La volonté humaine est conformée à la volonté de Dieu sous trois aspects - Y REVENIR - DIFFICILE A ASSIMILER DANS LE DETAIL

  • Materialiter (par efficience de l'inclination naturelle), formaliter (par la fin commune et universelle qu'est Dieu lui-même) et formaliter encore (par ??? charité)

Ne pas oublier qu'aliquid est un terme qui n'est pas anodin, le mot a une signification bien précise et importante. Il est l'un des transcendentaux. Voir notamment, au début du De Veritate.

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Dixièmement, [on se demande] s'il est nécessaire que la volonté humaine soit conforme à la volonté divine, pour qu'elle soit bonne.

Decimo, utrum necesse sit voluntatem humanam conformari divinae voluntati in volito, ad hoc quod sit bona.

[On appréhende d'abord par la raison ce vers quoi on tend ensuite, et on l'appréhende sous deux angles différents]

On a vu précédemment que la volonté est portée vers l'objet tel qu'il lui est présenté par la raison. Or la raison peut considérer un même être sous divers modes,

  • en sorte que sous une ratio, il soit bon,
  • et selon une autre ratio, il ne soit pas bon.

C'est pourquoi

  • une certaine (alicuius) volonté,
    • si elle veut qu'une chose soit,
      • selon qu'elle a raison de bien,
        • est bonne,
  • et une autre volonté,
    • si elle veut que cette même chose ne soit pas,
      • selon qu'elle a raison de mal,
        • cette volonté sera également bonne.

[ ]

Sicut ex praedictis patet, voluntas fertur in suum obiectum secundum quod a ratione proponitur. Contingit autem aliquid a ratione considerari diversimode,

  • ita quod sub una ratione est bonum,
  • et secundum aliam rationem non bonum.

Et ideo

  • voluntas alicuius,
    • si velit illud esse,
      • secundum quod habet rationem boni,
        • est bona,
  • et voluntas alterius,
    • si velit illud idem non esse,
      • secundum quod habet rationem mali,
        • erit voluntas etiam bona.

[Exemple : regard selon la justice (bien commun), regard selon la nature (bien particulier)]

  • Ainsi la volonté du juge est bonne lorsqu'il veut la mort d'un bandit
    • parce qu'elle est juste ;
  • et la volonté de l'épouse ou du fils de ce bandit lorsqu'ils ne veulent pas sa mort,
    • parce que cette mise à mort est un mal selon la nature, est également bonne.

Or, puisque la volonté suit la perception de la raison ou de l'intelligence,

  • selon que la ratio boni appréhendée sera commune,
  • selon cela la volonté est portée dans le bien commun,

comme on le voit dans l'exemple cité : le juge a la charge du bien commun, qui est la justice, et c'est pourquoi il veut la mort du bandit, laquelle à raison de bien en relation avec l'ordre social (statum communem) ;

la femme du bandit, quant à elle, a la considération du bien privé de la famille et c’est pourquoi elle ne veut pas que son mari soit mis à mort.

[ ]

  • Sicut iudex habet bonam voluntatem, dum vult occisionem latronis,
    • quia iusta est,
  • voluntas autem alterius, puta uxoris vel filii, qui non vult occidi ipsum,
    • inquantum est secundum naturam mala occisio, est etiam bona.

Cum autem voluntas sequatur apprehensionem rationis vel intellectus,

  • secundum quod ratio boni apprehensi fuerit communior,
  • secundum hoc et voluntas fertur in bonum communius.

Sicut patet in exemplo proposito, nam iudex habet curam boni communis, quod est iustitia, et ideo vult occisionem latronis, quae habet rationem boni secundum relationem ad statum communem; uxor autem latronis considerare habet bonum privatum familiae, et secundum hoc vult maritum latronem non occidi.

[Le bien que Dieu appréhende et qu'il veut, il le veut sous la raison de bien commun]

Or, le bien de tout l'univers est ce qui est qu'appréhendé par Dieu, créateur et gouverneur de l'univers ;

d'où, tout ce qu'il veut,

  • il le veut sous la raison de bien commun,
    • qui est sa bonté,
      • qui est le bien de tout l'univers.

[Le bien que l'homme appréhende, il le veut ou sous une raison particulière ou sous une raison universelle]

De son côté, ce que la créature appréhende, selon sa nature, est un certain bien particulier proportionné à sa nature. 

Or, il arrive que telle chose (aliquid)

  • soit un bien selon une raison particulière,
  • et ne le soit pas sous la raison universelle, et inversement, comme cela a été dit.

Bonum autem totius universi est id quod est apprehensum a Deo, qui est universi factor et gubernator,

unde quidquid vult,

  • vult sub ratione boni communis,
    • quod est sua bonitas,
      • quae est bonum totius universi.

Apprehensio autem creaturae, secundum suam naturam, est alicuius boni particularis proportionati suae naturae.

Contingit autem aliquid 

  • esse bonum secundum rationem particularem,
  • quod non est bonum secundum rationem universalem, aut e converso, ut dictum est.

[Divers cas]

  1. Cela explique qu'
    • une certaine (aliqua) volonté particulière est bonne lorsqu'elle veut une certaine chose (aliquid) selon une raison particulière,
    • alors que Dieu ne la veut pas selon une raison universelle, et vice versa.

 

  1. De là vient aussi que diverses volontés de divers hommes peuvent,
    • même si elles s'opposent par leurs objets, 
    • être bonnes,

parce que sous diverses raisons particulières (rationibus particularibus) ils veulent ceci

    • être
    • ou ne pas être.

[Quand veut-on de la bonne manière ?] 

Or, n'est pas droite, la volonté d'un certain (alicuius) homme qui veut un certain (aliquod) bien particulier,

  • à moins qu'il ne se réfère au bien commun comme à la fin,
    • (avec ceci que l'appétit naturel de chaque partie est aussi ordonné au bien commun du tout).

Or, c'est de la fin [elle-même] qu'est prise la raison formelle de vouloir quelque chose qui est ordonné à une fin 

Donc, pour que quelqu’un (alquis), avec une volonté droite, 

  • veuille un certain bien particulier, 
    • il faut que ce bien particulier soit voulu matériellement,
  • mais que le bien commun divin
    • soit voulu formellement.

La volonté humaine est donc tenue de se conformer

  • à la volonté divine formellementdans ce qui est voulu,
    • car elle doit vouloir le bien divin et commun,
  • mais pas matériellement, pour la raison déjà dîte.

[ ]

  1. Et ideo contingit quod
    • aliqua voluntas est bona volens aliquid secundum rationem particularem consideratum,
    • quod tamen Deus non vult secundum rationem universalem, et e converso.

 

  1. Et inde est etiam quod possunt diversae voluntates diversorum hominum
    • circa opposita
    • esse bonae,

prout sub diversis rationibus particularibus volunt hoc

    • esse
    • vel non esse.

[ ]

Non est autem recta voluntas alicuius hominis volentis aliquod bonum particulare,

  • nisi referat illud in bonum commune sicut in finem,
  • cum etiam naturalis appetitus cuiuslibet partis ordinetur in bonum commune totius.

Ex fine autem sumitur quasi formalis ratio volendi illud quod ad finem ordinatur.

Unde ad hoc quod aliquis recta voluntate

  • velit aliquod particulare bonum, 
    • oportet quod illud particulare bonum sit volitum materialiter,
  • bonum autem commune divinum
    • sit volitum formaliter.

Voluntas igitur humana tenetur conformari

  • divinae voluntati in volito formaliter,
    • tenetur enim velle bonum divinum et commune,
  • sed non materialiter, ratione iam dicta.

[Même quand on veut matériellement, d'une certaine manière, on veut ce que Dieu veut -

Con-formation formelle selon la fin et con-formation matérielle selon l'efficience]

Cependant, quant à ces deux [aspects], de quelque manière (modo) [que ce soit] la volonté humaine est conformée à la volonté divine.

[Lorsque la volonté veut Dieu lui-même, la forme de la con-formité vient de la fin, comme dit plus haut :]

Parce que,

  • selon qu'elle est conformée à la volonté divine dans la ratio communi de ce qui est voulu,
    • elle lui est conformée dans la fin ultime [= cause finale].

[L'inclination naturelle, à laquelle on ne peut rien, porte notre volonté sans faire appel directement à la fin, elle est simplement mise en mouvement, et cette mise en mouvement est une efficience :]

  • En revanche, selon qu'elle n'est pas conformée à ce qui est voulu matériellement,
    • elle lui est conformée à cette dernière selon la raison de cause efficiente,  [= cause efficiente]
      • (parce que cette inclination propre qui suit
        • la nature
        • ou l’appréhension particulière de cette chose
      • est donnée par Dieu comme cause effective [= cause efficiente].)

C’est pourquoi on a l'habitude de dire qu'est conformée, quant à cela [= l'inclination naturelle], la volonté humaine à la volonté divine, parce qu'elle veut ce que Dieu veut qu’elle veuille. [= donc bien comprendre que ce niveau n'est pas directement celui de la liberté mais celui de l'inclination naturelle.]

[ ]

Sed tamen quantum ad utrumque, aliquo modo voluntas humana conformatur voluntati divinae.

[ ]

Quia

  • secundum quod conformatur voluntati divinae in communi ratione voliti,
    • conformatur ei in fine ultimo.

[ ] 

  • Secundum autem quod non conformatur ei in volito materialiter,
    • conformatur ei secundum rationem causae efficientis,
      • quia hanc propriam inclinationem consequentem
        • naturam,
        • vel apprehensionem particularem huius rei,
      • habet res a Deo sicut a causa effectiva.

 

Unde consuevit dici quod conformatur, quantum ad hoc, voluntas hominis voluntati divinae, quia vult hoc quod Deus vult eum velle.

[Il y a aussi la manière de vouloir, par la charité]

Il existe également un autre mode de conformité selon la raison de cause formelle, à savoir que l’homme veut quelque chose (aliquid) par charité, commeDieu le veut. 

Cette conformité est également ramenée (reducitur) à une conformité formelle qui est tirée de l’ordre vers la fin ultime, qui est l’objet propre de la charité.

Est et alius modus conformitatis secundum rationem causae formalis, ut scilicet homo velit aliquid ex caritate, sicut Deus vult.

Et ista etiam conformitas reducitur ad conformitatem formalem quae attenditur ex ordine ad ultimum finem, quod est proprium obiectum caritatis. 


1. -- Sur l'immédiateté du bien particulier, voir : DeVer.24a2, début.

2. -- "ex ordine ad ultimum finem", la traduction originale traduit "finem" par "but" !

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Thomas d'Aquin - I.q105a4 - Dieu seul meut la volonté ET par ce qu'il est en lui-même (objet) ET par l'inclination qu'il suscite en nous (sujet).

Art. 4 : Est questionné si Dieu peut mouvoir la volonté : Quarto, utrum possit movere voluntatem.

De même que l’intellect, comme cela a été dit, est mu

  1. par son objet,
  2. et par celui qui lui donne la faculté de connaître,

ainsi la volonté est mue

  1. par son objet qui est le bien,
  2. et par celui qui crée la faculté de vouloir.

Sicut intellectus, ut dictum est, movetur

  • ab obiecto,
  • et ab eo qui dedit virtutem intelligendi;

ita voluntas movetur

  • ab obiecto, quod est bonum,
  • et ab eo qui creat virtutem volendi.
[1. Du côté de l'objet]  

Or la volonté peut être mue, à titre d’objet,

  • par un bien quelconque ;

mais elle ne peut l’être d’une manière suffisante et efficace

  • sinon par Dieu.

En effet, quelque chose ne peut suffisamment mouvoir un certain mobile si la vertu active du moteur 

  • ne dépasse pas,
  • ou au moins n’égale pas

la vertu passive du mobile.

Or la vertu passive de la volonté s’étend au bien dans son universalité ; car

  • son objet est le bien universel (bonum universale) 
  • comme l’objet de l’intelligence est l’être universel (ens universale).

Mais tout bien créé

  • est un certain bien particulier ;

Dieu seul

  • est le bien universel.

C’est pourquoi lui seul 

  • comble (implet) la volonté
  • et la meut suffisamment comme objet. 

Potest autem voluntas moveri sicut ab obiecto,

  • a quocumque bono;

non tamen sufficienter et efficaciter

  • nisi a Deo.

Non enim sufficienter aliquid potest movere aliquod mobile, nisi virtus activa moventis

  • excedat,
  • vel saltem adaequet

virtutem passivam mobilis.

Virtus autem passiva voluntatis se extendit ad bonum in universali,

  • est enim eius obiectum bonum universale,
  • sicut et intellectus obiectum est ens universale.

Quodlibet autem bonum creatum

  • est quoddam particulare bonum,

solus autem Deus

  • est bonum universale.

Unde ipse solus

  • implet voluntatem,
  • et sufficienter eam movet ut obiectum.
[2. Du côté de l'inclination = du côté du sujet]  

De manière similaire, la faculté (virtus) volontaire est causée par Dieu seul. Vouloir, en effet,

  • n’est rien d'autre qu’une certaine inclination vers l’objet de la volonté,
  • c’est-à-dire vers le bien universel.

Or incliner un être vers le bien universel appartient au premier moteur, car c’est à lui que correspond la fin ultime. Ainsi, dans les choses humaines, il appartient à celui qui préside d’orienter (dirigere) la multitude vers le bien commun. 

Similiter autem et virtus volendi a solo Deo causatur. Velle enim

  • nihil aliud est quam inclinatio quaedam in obiectum voluntatis,
  • quod est bonum universale.

Inclinare autem in bonum universale est primi moventis cui proportionatur ultimus finis, sicut in rebus humanis dirigere ad bonum commune est eius qui praeest multitudini. 

D'où,

  • des deux manières, il est propre à Dieu de mouvoir la volonté,
  • mais surtout au second point de vue [selon lequel Dieu] incline intérieurement la volonté.
Unde utroque modo proprium est Dei movere voluntatem, sed maxime secundo modo, interius eam inclinando.

1. -- Par bien universel Thomas veut dire le bien envers qui tous les autres biens sont relativisés ou encore le bien qui est entièrement un bien, un bien à qui ne manque rien de la bonté. Nous ne sommes pas en logique, Thomas ne fait pas de Dieu un concept : le bien en général, la notion (ratio) de bien. Evidemment Dieu n'est pas une abstraction, il est LE bien et le plus réel qui soit, le plus PARTICULIER qui soit. Thomas met certes en regard "particulare bonum" et "bonum universale" mais on peut entendre le mot particulier en plusieurs sens...

2. -- A PRECISER : Le mot interius est éclairant : Dieu en lui-même, de par sa bonté entière et première, de manière pour ains dire extérieure, attire à lui ; mais plus encore Dieu agit en nous, intérieurement, pour nous mettre sur une pente, une inclination, qui nous amène à "glisser" vers lui. Il faudrait voir exactement en quoi "Dieu seul" cause notre capacité volontaire. Quand ma volonté est mûe par le morceau de chocolat, en quoi est-de Dieu seul qui, en fait, la meut. On voit bien dans la premier mode comment Dieu seul peut combler (implet) la volonté... mais dans le deuxième mode... ? Un début de réponse : l'inclination est sensée être si forte en nous, que tout bien réel, effectivement exerce sur nous une attraction mais que cette capacité en nous d'être attiré ne se repose en dernier lieu qu'en Dieu seul. Chaque bien particulier met en oeuvre notre inclination, mais le seul qui nous attire fondamentalement, totalement, si nous sommes suffisammant éveillés, appauvris, c'est Dieu seul. Comme si à travers toutes les inclinations aux biens particuliers, c'est fondamentalement LE bien vers lequel nous inclinons.

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Thomas d'Aquin - II-II.q19a4 - L'amour ne se réalise pas sur un mode servile - COMM. PRESQ. VALIDé

La servitude s'oppose à la liberté. (...) L'esclave est [quelqu'un] qui n'est pas la cause de sa propre opération, mais [quelqu'un qui est] pour ainsi dire (quasi) mû par [quelquechose] d'extrinsèque. Or celui qui fait quelque chose à partir de l'amour, opère pour ainsi dire (quasi) à partir de lui-même, parce que à partir d'une inclination propre il est mû à l'opération.

C'est pourquoi il est contre la raison de servilité que quelqu'un opère à partir de l'amour.

(Somme, II-II.q19a4)

Servitus enim libertati opponitur. (...) Servus est qui non causa sui operatur, sed quasi ab extrinseco motus. Quicumque autem ex amore aliquid facit, quasi ex seipso operatur, quia ex propria inclinatione movetur ad operandum. 

Et ideo contra rationem servilitatis est quod aliquis ex amore operetur.

 


1. 

Ex seipso (à partir de lui-même) ne signifie pas que celui qui agit par amour agit complètement à partir de lui-même, mais seulement sous un certain point de vue, TH. ajoute d'ailleurs l'adverbe quasi, "pour ainsi dire, comme", parce que l'existence de l'amour suppose un amant et un aimé entre lesquels il y a convenance et coaptatio, l'un est apte à aimer telle chose et cette chose est apte à être aimée ; d'un côté le sujet est incliné naturellement vers tel bien, et de l'autre le bien a naturellement en lui-même une bonté propre capable de donner son objet à l'inclination du sujet. L'amour ne se fait pas ex nihilo à partir de soi-même. Pour qu'il y ait amour, il faut qu'il y ait deux réalités. De même que l'esclave est comme déterminé de l'extérieur, de même celui qui aime n'est que comme entièrement déterminé de l'intérieur. (Même dans le cas de l'amour naturel, celui qui n'a pas besoin de la connaissance d'un objet extérieur pour exister, TH. maintient qu'il y a convenance entre l'inclination naturelle de l'objet et l'intention du Créateur.) Il faut simplement rappeler ici que aimer, c'est aimer quelquechose (ou quelqu'un).

Ce que TH. souhaite souligner ici, c'est que l'homme fait sienne l'inclination, ce que l'animal ne peut faire. L'homme peut refuser le sens vers lequel une inclination le fait tendre.

Le fait qu'on aime un autre à partir d'une inclination faite sienne implique que l'on adhère à cet amour. C'est cette adhésion qui fait en sorte que nous n'aimons pas comme l'esclave obéit, c'est ce qui fait la liberté de notre amour.

2. -- Ce passage est bien éclairé par les différents types d'inclination mentionnés en DeVer.q22a4q22a4 lorsqu'est abordée l'inclination rationnelle.

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Thomas d'Aquin - Iq59a2 - Notre volonté n'est pas notre essence, contrairement à Dieu

  • Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté

L'inclination vers quelque chose d'extrinsèque (extrinsecum) se fait par quelque chose de surajouté à l'essence ;

  • ainsi l'inclination au lieu se fait par gravité ou par légèreté (per gravitatem vel levitatem) ;
  • l'inclination à produire un être semblable à soi se fait par le moyen de qualités actives.

Or la volonté a naturellement une inclination au bien.

Il n'y aura donc identité entre essence et volonté que

  • dans le cas ou la totalité du bien est contenue dans l'essence de celui qui veut,
    • comme en Dieu, qui ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté. [= Il ne veut rien d'autre que sa propre bonté]

Cela ne peut être dit d'aucune créature, car le bien infini est en dehors (extra) de l'essence de tout être créé.

(Somme, I.q59a2)

Sed inclinatio ad aliquid extrinsecum, est per aliquid essentiae superadditum,

  • sicut inclinatio ad locum est per gravitatem vel levitatem,
  • inclinatio autem ad faciendum sibi simile est per qualitates activas.

Voluntas autem habet inclinationem in bonum naturaliter.

Unde ibi solum est idem essentia et voluntas,

  • ubi totaliter bonum continetur in essentia volentis;
    • scilicet in Deo, qui nihil vult extra se nisi ratione suae bonitatis.

Quod de nulla creatura potest dici; cum bonum infinitum sit extra essentiam cuiuslibet creati.

 


A noter : 

- "Dieu ne veut rien en dehors de lui si ce n'est en raison de sa bonté." S'il faut comprendre que Dieu ne veut rien d'autre que sa propre bonté, par extension, lorsqu'il nous veut et nous crée, cela ne se fait pas pour autre chose qu'en voulant sa propre bonté. Il faudrait détailler ici pour voir en quoi cela peut être vrai. Car nous ne sommes pas créés par nécessité, Dieu n'ayant pas besoin de nous. Mais Dieu en nous créant ne peut pas créer autre chose que des êtres dont la volonté est appelée à être entièrement tournée vers Lui. Volonté = appétit d'amour. Acte volontaire = acte d'amour, aimer. La volonté n'est volonté, au sens "avoir de la volonté", qu'à propos des moyens, le volontarisme se contente du moyen et se termine (à tord) au moyen en oubliant la fin, c'est à dire le bien, l'être aimable et donc aimé.

Tout ce que "fait" Dieu en dehors de lui-même est fait par amour gratuit comme une expression de sa bonté (surabondance, débordement, surplus).

- Il n'y a pas de tension en Dieu vers quelque chose qu'il n'aurait pas, c'est pourquoi il n'y a pas d'inclination en lui. Voir aussi ici. Il y a bien un amour mais pas d'appétit.

- Noter le cas de Dieu et les autres cas : pour nous, la volonté vient comme quelque chose d'extrinsèque à notre essence dans ce sens que nous ne sommes pas réductible à notre puissance volontaire. Tandis que Dieu est identique à son intellect, identique à sa volonté.

 

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Thomas d'Aquin - L'aptitude à connaître la fin fait l'action volontaire - I-II.q6a1

  • Volontaire et inclination propre ne sont pas contradictoires

Trouve-t-on du volontaire dans les actes humains ?

Il faut qu'il y ait du volontaire dans les actes humains.

Pour amener cela à l'évidence, il faut considérer que

  • le principe de certains actes est dans l'agent ou dans ce qui est mû.
  • Et il y a des mouvements et des actes dont le principe est extérieur.

En effet, 

  • si une pierre se meut vers le haut, le principe de ce mouvement est à l'extérieur de la pierre,
  • si au contraire elle se meut vers le bas, le principe de ce mouvement est à l'intérieur de la pierre elle-même. 

Parmi ces choses qui sont mûes par un principe intrinsèque,

  • certains se meuvent eux-mêmes,
  • certains non.

En effet, tout ce qui agit ou est mû agit ou est mû en raison d'une fin, comme on l'a établi précédemment ; seront donc mus de manière parfaite, par un principe intrinsèque, les êtres où l'on trouve un principe intrinsèque tel que,

  • non seulement ils soient mus,
  • mais qu'ils soient mus vers une fin.

Or, pour que quelque chose se fasse en vue d'une fin (propter finem),il faut qu'il y ait une certaine connaissance de la fin (cognitio finis aliqualis).

  • Donc tout ce qui agit ou est mû de l'intérieur, en ayant connaissance de la fin (notitiam finis), possède en soi le principe de son acte,
    • non seulement pour agir,
    • mais pour agir en vue d'une fin (propter finem).
  • Mais ce qui n'a aucune connaissance de la fin (notitiam finis), eût-il en soi le principe de son acte ou de son mouvement, n'a pas en soi le principe d'agir ou d'être mû en vue d'une fin (propter finem), mais ce principe est dans un autre qui l'imprime (imprimitur) en lui. Aussi ne dit-on pas que de tels êtres se meuvent eux-mêmes, mais qu'ils sont mus par d'autres.

En revanche, ceux qui ont la connaissance de la fin (notitiam finis) sont dits se mouvoir eux-mêmes, précisément parce qu'ils ont en eux,

  • non seulement de quoi agir,
  • mais de quoi agir en vue d'une fin.

Ainsi, parce que l'une et l'autre [de ces conditions] viennent d'un principe intrinsèque

  • qu'ils agissent,
  • et qu'ils agissent pour une fin,

les actes et les mouvements de ces êtres sont dits volontaires, c'est ce qu'en effet implique cette appellation de "volontaires", que le mouvement et l'action proviennent de sa propre inclination.

C'est pourquoi, dans la définition d'Aristote, de S. Grégoire de Nysse et de S. Jean Damascène on appelle volontaire, non seulement "ce qui procède d'un principe intérieur", mais en y ajoutant "de science". Aussi, puisque l'homme excelle à connaître la fin de son oeuvre et à se mouvoir lui-même, c'est dans ses actes que l'on trouve le plus haut degré de volontaire.

(Somme. I-II.q6a1)

Utrum in humanis actibus inveniatur voluntarium

Oportet in actibus humanis voluntarium esse.

Ad cuius evidentiam, considerandum est quod

  • quorundam actuum seu motuum principium est in agente, seu in eo quod movetur; 
  • quorundam autem motuum vel actuum principium est extra.
  • Cum enim lapis movetur sursum, principium huius motionis est extra lapidem,
  • sed cum movetur deorsum, principium huius motionis est in ipso lapide.

Eorum autem quae a principio intrinseco moventur,

  • quaedam movent seipsa,
  • quaedam autem non.

Cum enim omne agens seu motum agat seu moveatur propter finem, ut supra habitum est; illa perfecte moventur a principio intrinseco, in quibus est aliquod intrinsecum principium

  • non solum ut moveantur,
  • sed ut moveantur in finem.

Ad hoc autem quod fiat aliquid propter finem, requiritur cognitio finis aliqualis.

  • Quodcumque igitur sic agit vel movetur a principio intrinseco, quod habet aliquam notitiam finis, habet in seipso principium sui actus
    • non solum ut agat,
    • sed etiam ut agat propter finem.
  • Quod autem nullam notitiam finis habet, etsi in eo sit principium actionis vel motus; non tamen eius quod est agere vel moveri propter finem est principium in ipso, sed in alio, a quo ei imprimitur principium suae motionis in finem. Unde huiusmodi non dicuntur movere seipsa, sed ab aliis moveri.

Quae vero habent notitiam finis dicuntur seipsa movere, quia in eis est principium

  • non solum ut agant,
  • sed etiam ut agant propter finem.

Et ideo, cum utrumque sit ab intrinseco principio, scilicet

  • quod agunt,
  • et quod propter finem agunt,

horum motus et actus dicuntur voluntarii, hoc enim importat nomen voluntarii, quod motus et actus sit a propria inclinatione.

Et inde est quod voluntarium dicitur esse, secundum definitionem Aristotelis et Gregorii Nysseni et Damasceni, non solum cuius principium est intra, sed cum additione scientiae. Unde, cum homo maxime cognoscat finem sui operis et moveat seipsum, in eius actibus maxime voluntarium invenitur.

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1. Bien noter que comme la passion désir, la volonté relève d'une inclination, la différence spécifique résidant dans le fait qu'on connaît ce pour quoi on agit et non en premier lieu parce que la volonté serait libre. On agit volontairement parce qu'on connaît ce pour quoi on agit. La question de la liberté et du libre arbitre est une autre question. Nous sommes dans la continuité de ce qui a été dit à propos du bonheur humain, l'homme n'est pas libre de vouloir être heureux. Ici on cherche simplement à savoir ce qu'est le volontaire et s'il se trouve dans l'homme.

2. Le fait de se mouvoir par soi-même est une action.

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Thomas d'Aquin - La perfection d'une chose dépend de la réalité EXTERIEURE la plus parfaite vers laquelle cette chose tend - I.q59a3ad3

La connaissance réside dans le fait que le connu est dans le connaissant. (...) 

Mais l’acte de la puissance appétitive est [ce] par quoi l'affect est incliné vers la chose extérieure. Or, la perfection d’une chose ne dépend pas de toutes les choses vers lesquelles elle est inclinée, mais seulement des choses supérieures.

(Somme,  I.q59.a3.ad3)

Cognitio fit per hoc quod cognita sunt in cognoscente. (...)

Sed actus appetitivae virtutis est per hoc quod affectus inclinatur ad rem exteriorem. Non autem dependet perfectio rei ex omni re ad quam inclinatur, sed solum ex superiori.

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